3. Proposition pour un second sommet des chefs d'Etat et de Gouvernement du Conseil de l'Europe - Interventions de MM. Jean SEITLINGER, député (UDF), corapporteur de la Commission des questions politiques, Jean VALLEIX, député (RPR), Jean BRIANE, député (UDF), Gabriel KASPEREIT, député (RPR) (Mardi 24 septembre)
Le Sommet des Chefs d'Etat et de Gouvernement de Vienne
(octobre 1993) avait clairement reconnu le rôle du Conseil de
l'Europe comme l'organisation politique paneuropéenne par excellence,
capable d'arrimer à l'Europe les démocraties émergentes de
l'Europe Centrale et Orientale.
Le rapport présente le bilan de l'action du Conseil de l'Europe trois
ans plus tard, suite au mandat que lui avait confié ce sommet.
L'évolution du Conseil de l'Europe et du contexte géopolitique et
institutionnel en Europe conduisent à la nécessité d'une
nouvelle impulsion politique de la part des Chefs d'Etat et de Gouvernement.
Le rapport constate ainsi que si certaines décisions de Vienne ont
été mises en oeuvre (réforme du mécanisme de
contrôle de la Convention européenne des Droits de l'Homme,
élaboration d'une convention sur la protection des minorités,
Plan d'action contre le racisme et l'intolérance), d'autres sont
restées dans l'impasse : par exemple, le protocole à la
Convention européenne des Droits de l'Homme pour la protection des
droits culturels individuels, révision du statut, etc.
Dans le même temps, le Conseil de l'Europe s'est pratiquement
élargi à l'ensemble du continent avec l'adhésion de la
Russie. La révision institutionnelle de l'Union européenne est en
cours et le processus de mondialisation des échanges sous l'effet du
développement des techniques de télécommunications
s'accélèrent et mettent en cause la cohésion des
sociétés en Europe.
Cette situation exige qu'une réflexion nouvelle soit engagée sur
les moyens et objectifs à long terme du Conseil de l'Europe, pour lui
permettre de jouer le rôle dans la promotion du modèle de
société pour l'Europe du XXIe siècle.
C'est pourquoi le projet de recommandation propose qu'un second Sommet soit
organisé en 1997.
M. Jean SEITLINGER, député (UDF), co-rapporteur de la
Commission des questions politiques
et initiateur de la proposition de
tenue d'un deuxième sommet du Conseil de l'Europe, formule, en
présentant son rapport écrit, les observations suivantes :
" Monsieur le Président, mes chers collègues, M. Miguel
Martínez a exposé d'excellente façon les raisons pour
lesquelles nous demandons, après le premier sommet de Vienne de 1993, un
deuxième sommet.
" Après un demi-siècle de bipolarisation au plan des
relations mondiales, après cette séparation et l'architecture
rigide que l'Europe a connue, après cette "règle du jeu", certes
simple et lisible, mais critiquable, tout est à présent
entré en mouvement, nul n'en doute. Nous les premiers avons accueilli
des pays d'Europe centrale et orientale. Face à ces bouleversements,
nous sommes confrontés au fait que l'élargissement, qui
d'ailleurs se termine, ne peut pas tenir lieu de politique
éternellement : il nous faut à présent engager une
réflexion de fond.
" Ce n'est pas un caprice que de demander un deuxième sommet, on
l'a déjà dit. Ceci n'est pas parce que d'autres institutions en
bénéficient très régulièrement, voire tous
les six mois. Mais Il s'agit d'un constat : les sommets sont le moteur
politique ; c'est vers le sommet, vers cette réunion de chefs
d'Etat et de Gouvernement, que sont transférées pour
décision des questions importantes.
" Quelles sont nos propositions ? Je vais les résumer
très brièvement.
" Premièrement, il est clair qu'il faut procéder à
une adaptation politique et donc à un renforcement du rôle
politique des composantes du Conseil de l'Europe, Assemblée
parlementaire, Secrétaire général, Comité des
ministres.
" Deuxièmement, il nous faut, bien sûr, préparer un
modèle social européen ou un modèle de
société européen. Nous sommes confrontés au
défi de la mondialisation, non seulement au niveau de l'identité
culturelle mais aussi au niveau de la Charte sociale. Nous avons
été par excellence, et nous devons en être fiers, une
expertise dans le domaine des droits de l'homme, du pluralisme parlementaire et
de l'Etat de droit. A présent nous devons être l'institution
pilote qui élabore un modèle de société
européen et notamment, en plus de la Charte sociale approfondie, qui
garantisse la fonction publique, le service public, la professionnalisation et
le caractère apolitique de la fonction publique dans tous les pays.
" Pour toutes ces obligations, et pour tous ces mandats, il est clair
que
des moyens budgétaires accrus sont indispensables. Il ne faudrait pas
que les contributions suivant les nouvelles adhésions, viennent en
déduction dans un budget déjà insuffisant. Nous voulons
bien accepter ces missions ambitieuses indispensables, ces projets de
partenariat démocratique avec l'Union européenne et avec d'autres
institutions pour l'ensemble des pays du Conseil de l'Europe, mais à la
condition que l'on nous en donne les moyens. Cette exigence est traduite dans
un amendement dont nous discuterons plus tard.
" Voilà, très résumé, ce que je voulais dire
au début d'un débat qui s'annonce fort riche. "
M. Jean VALLEIX, député (RPR)
, prend ensuite la parole en
ces termes :
" Mes chers collègues, présenter en quelques minutes les
observations du Groupe des démocrates européens est un peu une
gageure. Cependant, au nom de ce Groupe, j'entends apporter notre soutien
à l'initiative prise ainsi qu'au rapport. Au passage, je complimente les
deux rapporteurs : on sait que l'exercice est difficile lorsqu'il y a deux
personnes pour présenter un rapport ! En l'occurrence, il semble
que le résultat soit excellent.
" L'initiative a été prise au mois d'avril dernier par
quelques-uns de nos collègues, pour appuyer l'intention de
Mme Fischer. Il semble que le projet présenté
recueille aujourd'hui à la fois l'intérêt de notre
Assemblée parlementaire, mais aussi la considération du Conseil
des ministres.
" Nous sommes donc en charge de cette préparation avec un horizon
précis, la deuxième partie de l'année 1997, et nous avons
raison tant les événements sont allés vite depuis le
Sommet de Vienne.
" Au passage, je signale que s'il est bien de parler du Sommet de
Vienne,
je regrette que l'on ne sache pas assez que c'est le sommet du Conseil de
l'Europe. Si ce doit être le Conseil de Strasbourg, je souhaite que ce
soit le Sommet du Conseil de l'Europe de Strasbourg pour que notre institution
soit positionnée.
" Notre institution remplit en effet une mission exceptionnelle. Nous
ne
sommes pas l'Union européenne, partenaire actif et irremplaçable
de cette Europe économique. Nous ne sommes pas l'UEO, partenaire encore
modeste mais qui s'élargit pour répondre à des besoins
d'exigence et de sécurité dans cette Europe de paix où
nous mesurons, à la lumière des expériences de ces
dernières années, depuis Vienne, combien elle est difficile
à vivre en pratique. Par conséquent, il est important que la CIG
suive son chemin et avance. Il est important que le Conseil de l'Europe ait son
mot à dire dans tous ces domaines. Sa vocation n'est pas seulement
d'être une structure européenne. Il n'est pas seulement une
institution mais il est une organisation d'Etats rassemblés et assumant
une vocation commune.
" Cette vocation, qui dépasse l'institution, est de servir les
hommes et les femmes, et les enfants, de notre Europe, conformément
à un héritage de civilisations tout à fait
irremplaçable, qui a servi de modèle à beaucoup d'autres,
qui n'est pas le seul au monde mais qui, vraisemblablement, et c'est ce qui
nous réunit, fait que sur l'essentiel nous savons être d'accord.
" C'est en cela que nos rapporteurs, détaillant quelques
orientations, nous aident à concrétiser le projet. L'affaire est
assez complexe. Nous sommes dans une Europe actuellement sceptique. Il
appartient au Conseil de l'Europe de lui rendre plus d'âme et plus
d'enthousiasme. Il appartient au Conseil de l'Europe de rendre l'approche
économique plus humaine. Quand on parle du social, tout à fait
nécessaire et à la base de notre démarche
générale, il ne doit pas s'agir seulement des aménagements
des salaires, des conditions de travail : il faut aussi considérer
l'homme dans sa dimension générale et dans ses aspirations.
" Le Conseil de l'Europe n'est pas chargé de dire seulement non. Il
doit dire oui, il doit entraîner des courants. A cet égard, la
vocation humaine du Conseil de l'Europe doit l'emporter sur la seule
démarche sociale. Par conséquent, l'aspect culturel est
considérable.
" C'est pourquoi, le projet doit davantage penser à proposer un
modèle et non imposer une contrainte. Ce modèle serait la
translation vers le futur de nos civilisations additionnées et non pas
fondues, de telle manière que le projet de deuxième sommet
nourrisse le fond de notre politique et ne soit pas simplement une correction
institutionnelle, ou une situation dans la nouvelle architecture
européenne.
" Demain, nous parlerons de l'OCDE et de l'économie en
général. Cet après-midi, nous traiterons de la politique
sociale, après-demain de la biomédecine. Voilà très
exactement les pistes qui sont les nôtres, les vocations internationales
du Conseil de l'Europe, les vocations humaines selon nos civilisations
européennes historiques. Il y a là beaucoup à inventer.
" Le Conseil de l'Europe a une place unique au milieu des autres
institutions. Je remercie nos rapporteurs d'avoir si bien posé le
problème. Il faut maintenant œuvrer pour le succès de ce
sommet. "
M. Jean SEITLINGER, député (UDF)
, reprend la parole pour
apporter aux orateurs les éléments de réponse suivants
:
" A mon tour, je veux remercier les orateurs qui en intervenant ont
enrichi les débats. Ceux qui n'ont pas pu parler auront certainement
l'occasion d'apporter leur contribution.
" Je formulerai d'abord un double constat. Tous les orateurs se sont
prononcés en faveur d'un deuxième sommet et personne ne s'est
opposé à ce que le calendrier prévu soit respecté
-à savoir le deuxième semestre 1997.
" Le point important, c'est la substance. De nombreux orateurs ont
demandé que le statut soit modifié, corrigé, pour tenir
compte des bouleversements des dernières années. Nombre
d'orateurs ont aussi souligné l'aspect financier, demandant des moyens
budgétaires accrus ainsi que l'autonomie financière pour
l'Assemblée. Ces questions sont également prévues dans
notre rapport et figurent dans nos propositions.
" Le plat de résistance, la substance essentielle, est ce que nous
appelons le "modèle européen de société". Certains
ont parlé de "civilisation européenne", d'autres ont
mentionné des "valeurs", mais tout cela se retrouve dans l'expression
"modèle européen de société", ou
"sécurité démocratique", qui concerne aussi bien
l'identité culturelle -avec l'éducation, la formation des jeunes,
évoquées par notre collègue Laakso- que l'espace
juridique, qui comprend aussi bien la lutte contre la criminalité, le
terrorisme dont a parlé notre collègue de la
fédération de Russie, que le volet social, cette charte qui doit
donner une déontologie à la fonction publique et assurer la
protection des travailleurs.
" Voilà ce que nous retenons et ce que nous nous efforcerons de
traduire encore dans des documents. Car, rappelons que notre Assemblée
parlementaire n'est pas la seule composante, mais l'une des trois. Cependant,
nous nous efforçons d'être le moteur de ce deuxième sommet
et nous voulons que les chefs d'Etats et de Gouvernements
l'organisent. "
M. Jean BRIANE, député (UDF)
, s'exprime sur ce sujet en
ces termes :
" Au début de mon intervention, je veux féliciter les deux
rapporteurs sur la qualité de leur rapport, les féliciter pour le
duo harmonieux de leurs propos qui reflètent l'harmonie et la
sérénité qui règnent d'une manière
générale dans cet hémicycle du Conseil de l'Europe.
" Le constat doit être fait que les institutions européennes
créées après la Deuxième guerre mondiale ont
apporté à l'Europe un demi-siècle de paix et de
prospérité : cependant, le drame yougoslave encore actuel
est un révélateur qui montre que les pays européens n'ont
pu, malgré l'existence des institutions européennes,
régler ce conflit interne dans l'une des contrées du continent
européen.
" L'Europe institutionnelle n'a pas encore su se donner l'autorité
politique et morale, les voies et les moyens de régler, par
elle-même, tous ses conflits internes. Elle a encore besoin de la tutelle
de son allié américain. J'arrêterai là mes
réflexions sur les faiblesses et les insuffisances de l'Europe et sur
ses acquis positifs pour souligner le rôle du Conseil de l'Europe dans la
construction de l'Europe des droits de l'homme et de la démocratie,
l'Europe des hommes, l'Europe de la diversité des cultures, l'Europe de
l'esprit. Que de chemin parcouru depuis la création du Conseil de
l'Europe en 1949. Hier une dizaine de pays fondateurs, aujourd'hui quarante
pays membres. Bientôt, tous les pays du continent européen seront
membres du Conseil de l'Europe.
" Est-ce à dire que le rôle et la fonction de
l'aînée des institutions européennes seraient alors
terminés et que nous pourrions rentrer chez nous ? Certes
non ! Bien au contraire !
" Au moment où le Conseil de l'Europe se prépare à
célébrer son cinquantième anniversaire, au moment
où il s'interroge sur son avenir et sur l'opportunité d'un
deuxième sommet, il me paraît que nous devons, sans
hésitation aucune et sans état d'âme, affirmer avec force
la nécessité de maintenir et de conforter la mission propre du
Conseil de l'Europe au sein des institutions européennes existantes et
notamment par rapport à l'Union européenne et à son
élargissement prévisible vers les pays à l'est du
continent.
" Il faut renforcer le rôle du Conseil de l'Europe et les moyens
budgétaires matériels et humains nécessaires à son
bon fonctionnement. Il convient aussi, sans faire ombrage aux autres
institutions européennes, de renforcer son rôle politique, de
réformer et d'adapter le statut de 1949. Cinquante ans après sa
création, après tous les changements intervenus en Europe, cela
est nécessaire.
" Le Conseil de l'Europe d'aujourd'hui et de demain doit toujours
promouvoir les droits de l'homme et de la démocratie, aborder les
problèmes de société, proposer un ensemble de
références et de valeurs communes pour les pays européens.
" Le deuxième sommet du Conseil de l'Europe doit avoir lieu. Il
doit être l'occasion d'approfondir et de redéfinir les missions
qui doivent être les siennes par rapport et à côté de
l'ensemble des autres institutions européennes. "
M. Gabriel KASPEREIT, député (RPR)
, formule les
observations suivantes :
" A mon tour, je félicite mes collègues Seitlinger et
Martínez. Parmi toutes les propositions et les arguments
formulés, je retiens particulièrement l'idée que le moment
est venu pour notre Assemblée de s'attacher à l'étude d'un
modèle de société pour le XXI
e
siècle.
" Nous sommes qualifiés pour la faire. Notre action essentielle sur
le respect des droits de l'homme fait que, plus que toute autre
Assemblée ou Organisation internationale, nous ne pouvons être
suspectés de parti pris et encore moins d'idéologie partisane.
Membres et observateurs, nous réunissons des parlementaires de plus de
quarante Etats et nombreux sont ceux qui frappent encore à notre porte,
conscients que nous sommes la seule assemblée internationale où
les échanges peuvent se dérouler dans la franchise et la
sérénité, parce que nous sommes dégagés des
problèmes ponctuels exigeant des solutions immédiates et
entraînant parfois des conflits internes, et que, de ce fait, nous sommes
éloignés des tentations de la démagogie et des querelles
d'intérêt.
" Il est urgent de faire cette étude sur l'avenir de notre
société. L'Europe n'est plus ce qu'elle était à la
fin des années 80. Elle n'est déjà plus celle de
Maastricht : ce traité a été élaboré
alors que la guerre froide se poursuivait. L'écroulement du mur de
Berlin a été le premier signal annonçant qu'un monde
nouveau commençait à apparaître, sans qu'on sache, bien
sûr, comment il serait constitué. L'implosion de l'URSS,
concrétisée par le putsch de Moscou en août 1991, a
été la victoire de la liberté.
" Mais dans le même temps, l'évolution technologique des
moyens de communication -qu'il s'agisse du transport des personnes et bien plus
encore de la transmission instantanée et en grand nombre des
informations- s'est faite à une vitesse qui dépasse largement
celle de l'évolution politique et aboutit au fait qu'il est difficile
d'imaginer l'avenir et même de saisir le présent. En fait, nous
vivons une révolution industrielle dont les conséquences sont
plus grandes que celles de la révolution du XIX
e
siècle, car cette dernière se faisait dans le cadre des Etats
alors que la révolution actuelle implique le monde entier, passant au
travers des frontières.
" Cette situation s'exprime particulièrement dans les migrations et
dans la mondialisation.
" Je ne m'attarderai pas sur le premier phénomène, sauf pour
dire qu'aucun des Etats aux prises avec ce problème n'a encore pu y
apporter de solution alors que son règlement devient pourtant urgent.
" La mondialisation se développe sans que soient établies
des barrières à ce phénomène qui bouleverse notre
existence car elles font disparaître deux notions essentielles pour
l'homme que sont l'espace et le temps. On voit déjà
l'économie dicter sa loi à la politique, c'est-à-dire
à la société.
" Et pour couronner le tout, c'est face à un problème de
morale élémentaire que nous nous trouvons, problème que
nous pouvons constater chaque jour dans ce qu'Internet peut transmettre
d'ignoble. Nous sommes dans une période où le
développement technologique a permis que soit répandu sans
contrôle tout ce qui dégrade l'homme au moment même
où notre société européenne s'est
éloignée de ce qui est religieux et a perdu ses repères.
" Le prochain sommet que nous voulons est essentiel pour l'avenir du
Conseil de l'Europe. Je souhaite qu'on y décide l'élaboration
d'une charte constituant un modèle de société. "
La recommandation n° 1303 contenue dans le rapport 7637 est
adoptée, amendée.