B. DEUXIÈME PARTIE DE LA SESSION DE 1996 (23-25 AVRIL)
1. Discours de M. Léonid KOUTCHMA, Président de l'Ukraine - Questions de MM. Claude BIRRAUX, député (UDF), Jean-Claude MIGNON, député (RPR), et Jean VALLEIX, député (RPR) (Mardi 23 avril)
M. KOUTCHMA, Président de l'Ukraine, a tout d'abord
remercié l'Assemblée parlementaire et sa Présidente, Mme
FISCHER, pour leur invitation. Il exprime également sa reconnaissance
à tous ceux qui, l'an dernier, ont appuyé la demande
d'adhésion de l'Ukraine et ont ainsi soutenu le peuple de ce pays dans
la voie des réformes et de la démocratie. Cette confiance
l'engage dans une marche irréversible vers la constitution d'une
société de droit.
L'Ukraine, un des derniers Etats européens à s'être
affranchi du joug colonial et du communisme, a ainsi fait des choix sans
ambiguïté : l'indépendance, le bien-être du
peuple, la construction de la société et de l'Etat sur des bases
démocratiques. Cette construction s'opère, via le processus
constitutionnel, sur un cycle de cinq ans. Il s'agit d'un long chemin,
ponctué de luttes politiques entre les forces du passé
totalitaire et celles de l'avenir démocratique.
Seul pays d'Europe centrale et orientale à ne pas encore disposer d'une
nouvelle constitution, l'Ukraine en adoptera une très bientôt. Le
Président Koutchma fera tout son possible pour cela. Le texte final
est en cours de négociation car la tactique suivie est de rechercher le
compromis plus que la confrontation.
Pour garantir la légalité et la légitimité de la
nouvelle constitution, le Président Koutchma n'exclut pas que le peuple
ukrainien soit consulté par référendum. Si tout se passait
favorablement, trois cents ans après sa première tentative
constitutionnelle de 1710, l'Ukraine jetterait ainsi les bases solides et
définitives de sa démocratie et de sa liberté.
Il faut reconnaître que le processus de mise en forme constitutionnelle
donne lieu à d'épineuses confrontations, compliquées par
d'énormes difficultés économiques et sociales. Le
programme de réforme, lancé en 1994 en direction d'une
économie de marché, a déjà donné des
résultats positifs et l'année 1995 a permis d'enregistrer une
stabilisation de la dégradation économique. Le rythme de
diminution de la production a ralenti, les salaires réels ont
augmenté et l'on escompte, pour 1996, un accroissement de la production
agricole et industrielle.
Le Gouvernement a entrepris de maîtriser l'inflation et son programme de
restructuration de la propriété et de la gestion
économiques commence à porter ses fruits. Le chemin est long mais
ce qui encourage l'Ukraine, c'est la volonté des institutions
européennes et mondiales -Union européenne, Conseil de l'Europe,
OCDE, FMI, Banque mondiale, BERD- de lui apporter leur aide et de favoriser sa
participation à un espace économique européen commun.
Pour réformer la législation et la mettre en conformité
avec les normes européennes, une commission spéciale a
été créée, ce qui garantit que les engagements pris
devant le Conseil seront respectés. Cela est vrai de l'adoption d'une
nouvelle constitution, qui est très près de se réaliser.
D'autres engagements, il faut le reconnaître franchement, ne sont pas
très bien perçus par une partie de la société et
des forces politiques du pays. Tel est le cas du moratoire sur les
exécutions. Cependant, comme le dit le proverbe, "l'engagement vaut plus
cher que l'argent", et l'Ukraine s'appliquera à respecter tous ses
engagements.
Elle apprécie l'aide que le Conseil lui apporte dans leur mise en
œuvre, grâce au programme conjoint "la démocratie à
travers le droit". Elle a déjà ratifié dix conventions et
elle va adhérer prochainement à cinq autres. Elle examine en
particulier la ratification de la convention-cadre sur les minorités
nationales qu'elle a signée le 15 septembre et elle exprime sa
satisfaction de voir le Conseil élaborer un tel document dans la mesure
où, en Europe, les foyers de tension sont souvent dus à la
question des minorités.
Pour ce qui la concerne l'Ukraine a adoptée une législation qui,
pour les droits de l'homme et les statuts de minorité, a reçu
l'approbation du Conseil et qui explique pourquoi elle ne connaît pas de
conflits interethniques. Elle espère que les minorités
ukrainiennes qui se trouvent dans les autres pays bénéficieront
des mêmes conditions favorables.
M. Koutchma souhaite cependant évoquer le problème épineux
des personnes déplacées qui reviennent s'installer en Ukraine,
comme les Tatars de Crimée. Ceux-ci sont près de 300 000
à être revenus et il faut y ajouter 17 000 Bulgares,
20 000 Grecs et 15 000 Allemands, qui, eux aussi, ont voulu revenir
sur leur terre natale. L'Ukraine n'a aucune responsabilité morale dans
les crimes commis par le régime totalitaire vis-à-vis de ces
peuples, mais elle est seule à supporter les conséquences de ces
réinstallations. Il faudrait deux milliards de dollars américains
pour réaliser le programme qui a été ratifié alors
que l'Ukraine ne dispose que de cent millions de dollars, de sorte que le
mouvement de retour s'est interrompu. Aussi demande-t-elle une aide urgente de
la communauté internationale.
Depuis qu'elle a accédé à l'indépendance, l'Ukraine
a manifesté la volonté de s'intégrer aux institutions
internationales et européennes. Elle a signé des accords de
partenariat et de coopération avec l'Union, dont elle souhaite devenir
membre de plein droit et dont, en attendant, elle espère obtenir le
statut de membre associé.
L'Europe comprend les problèmes auxquels l'Ukraine est affrontée
et va lui apporter une aide. C'est pourquoi, la procédure de
ratification de 1994 va s'accélérer.
En ce qui concerne la coopération avec les organisations comme l'OTAN et
l'UEO, l'Ukraine cherche une voie de coopération
équilibrée, dont la première étape a
été constituée par le partenariat en faveur de la paix.
Elle considère qu'une zone dénucléarisée dans la
région pourrait contribuer beaucoup à la stabilité. La
sécurité du continent serait en tout cas vouée à
l'échec si les pays non alignés se retrouvaient dans une sorte de
zone tampon, grise, entre l'OTAN et le puissant voisin de l'Ukraine. Celle-ci
n'est pas hostile à tout élargissement de l'OTAN mais elle
considère que cet élargissement doit être un processus
ouvert et ne doit pas contribuer à la réapparition de
confrontations.
M. Koutchma, qui rappelle la participation de son pays au processus d'Helsinki,
considère que l'OSCE est un instrument unique de diplomatie
préventive et indique qu'il coopère avec elle pour définir
l'autonomie de la Crimée. L'Ukraine souhaite sincèrement trouver
une solution équilibrée à ce problème ; elle
refuse tout séparatisme, mais désire éviter d'attiser les
tensions dans la région. Elle veille donc à garantir les droits
des minorités et élabore un statut d'autonomie qui
préserve l'intégrité territoriale de la république.
Personne n'a intérêt à encourager des menées
séparatistes qui constitueraient un précédent dangereux en
Europe. Chacun doit savoir que la stabilité absolue des
frontières est un gage de paix.
Aujourd'hui, l'Europe connaît, dans certaines régions, des crises
aiguës, l'inquiétude est diffuse, les minorités se sentent
menacées, les migrations et les périls écologiques posent
de nouveaux problèmes. Dans ce contexte, l'Ukraine est favorable
à tout ce qui peut contribuer à consolider et stabiliser les
relations entre les pays. Les différentes institutions comme les Nations
Unies, l'OTAN, l'OSCE ont participé à la recherche d'un
règlement du conflit en Bosnie, avec l'aide du Conseil de l'Europe, de
l'Union et de l'UEO. Pour sa part, l'Ukraine est favorable à
l'établissement de relations bilatérales conformes au droit
international. Elle n'a pas de prétention territoriale et rejette toute
prétention du même type à son égard de la part de
quelque voisin que ce soit.
Le dialogue entre l'Ukraine et la Russie va se poursuivre dans le respect de la
souveraineté des Etats, selon les principes de la non ingérence,
de l'intégrité territoriale et de l'inviolabilité des
frontières. L'Ukraine participe activement aux travaux des structures
interétatiques régionales comme l'Organisation de
coopération de la mer Noire, et elle se déclare favorable
à une coopération internationale dans le domaine
écologique. La tragédie de Tchernobyl lui a appris que seule une
aide internationale permettait d'atténuer les effets d'une telle
catastrophe. Aussi a-t-elle bien reçu les décisions du
récent Sommet de Moscou qui constitue un pas important dans la voie de
la coopération entre Etats.
M. Koutchma conclut en observant que la situation internationale et les
perspectives qui s'offrent à son pays peuvent inciter à
l'optimisme. Les Ukrainiens œuvrent en tout cas dans ce sens,
persuadés qu'ils sont que la démocratie dépend pour une
bonne part de l'existence d'un Etat indépendant. Ils ont jeté les
bases d'un système démocratique conforme aux normes
européennes, d'un Etat de droit, d'une économie de marché.
Ils vont poursuivre dans cette voie, vers la création d'un Etat
prospère dans une Europe unie.
M. Claude BIRRAUX, député (UDF)
, a posé
à M. Koutchma la question suivante :
" Un incident survenu récemment à la centrale
nucléaire de Tchernobyl est demeuré secret pendant quelques
semaines, ce qui fait peser des doutes sur la rupture avec les principes du
régime communiste pour qui seule comptait la production, puisque ce
régime sanctionnait ceux qui provoquaient des arrêts de la
production.
" Que comptez-vous faire pour que, désormais, la
sûreté soit l'unique préoccupation des responsables et des
travailleurs ukrainiens du nucléaire, ce qui ne nécessite pas de
financement du G7 ? "
Le Président Koutchma lui a répondu que l'Ukraine ne cache rien
et agit dans le respect des normes internationales. Ceux qui en douteraient
peuvent le vérifier auprès de l'Agence de l'énergie
atomique à Vienne. L'incident auquel fait allusion l'orateur n'a
existé que dans l'imagination de journalistes ukrainiens.
M. Jean-Claude MIGNON, député (RPR)
, a
interrogé à son tour M. Koutchma en ces termes :
" Monsieur le Président, ce qui se passe à Tchernobyl
concerne bien sûr l'Ukraine, mais aussi l'humanité tout
entière. Dernièrement, un nouvel accident grave s'est produit en
chargeant du combustible dans un des réacteurs. Nous n'avons appris
l'accident que plusieurs mois après.
" Eu égard aux efforts faits par la communauté
internationale, vous comprendrez aisément que nous aimerions être
avertis immédiatement lorsqu'intervient un accident de ce type,
considéré comme très important. Avez-vous l'intention de
nous informer dans le futur, en espérant bien sûr que de tels
accidents ne se reproduiront pas ? "
Le Président Koutchma lui a répondu que ce type d'accident ne
survient pas qu'en Ukraine. Si le Conseil est mécontent de l'information
diffusée par l'Ukraine, celle-ci tentera d'améliorer sa politique
de communication. En tant que Président, il a reçu en temps utile
l'information relative à l'accident de Tchernobyl et l'a transmise
immédiatement.
Enfin,
M. Jean VALLEIX, député (RPR)
, a posé
à M. KOUTCHMA la question suivante :
" Monsieur le Président, pouvez-vous éclairer
l'Assemblée sur la répartition de la flotte de l'ex-URSS ?
Un accord a-t-il été conclu sur l'utilisation des bases
navales ? Qu'en est-il de l'application de cet accord tant pour l'Ukraine
que pour la Crimée ? "
M. Koutchma lui a répondu qu'il s'agit d'un problème entre la
Crimée et la Russie. Tant qu'il ne sera pas résolu, aucun
traité de collaboration ne pourra être signé. C'est la
raison pour laquelle, d'ailleurs, Boris Eltsine ne veut plus venir à
Kiev depuis longtemps. La négociation a cependant avancé à
plusieurs niveaux. Le stationnement des unités navales russes en
Crimée ne pose actuellement plus de problème. Le seul point noir
qui persiste est celui de Sébastopol et du statut de la flotte russe en
mer Noire. L'Ukraine a confirmé que sa base navale principale de la mer
Noire était Sébastopol. Cependant, les Russes disant la
même chose, l'Ukraine ne peut être d'accord. Ce problème
devrait pouvoir être résolu.