b) La question lancinante des listes d'attente dans les hôpitaux
1. Les restructurations hospitalières
La maîtrise des dépenses de santé s'est traduite par une
restructuration hospitalière sous la forme de regroupements ou de
fermetures. Ainsi, le nombre de lits pour 1.000 habitants est tombé de
8,4 en 1972 à 4,9 en 1995. Le Danemark se situe ainsi dans le bas de la
fourchette des pays de l'Union européenne.
Ensemble des hôpitaux (lits pour 1.000 habitants)
|
1972 |
1982 |
1992 |
1995 |
Allemagne |
11.4 |
11.1 |
9.9 |
9.7 |
Autriche |
10.8 |
10.9 |
9.7 |
9.3 |
Belgique |
8.6 |
9.3 |
7.8 |
nd. |
Danemark |
8.4 |
7.7 |
5.1 |
4.9 |
Espagne |
5.1 |
5.0 |
4.1 |
4.0 |
Finlande |
15.0 |
15.5 |
11.0 |
9.3 |
France |
9.2 |
11.0 |
9.4 |
8.9 |
Grèce |
6.3 |
6.0 |
5.0 |
nd. |
Irlande |
11.4 |
9.3 |
5.3 |
5.0 |
Italie |
10.6 |
9.2 |
6.7 |
6.4 |
Luxembourg |
12.3 |
13.2 |
11.3 |
nd. |
Pays-Bas |
11.7 |
12.0 |
11.4 |
11.3 |
Portugal |
6.4 |
5.2 |
4.5 |
4.1 |
Royaume-Uni |
9.1 |
8.0 |
5.4 |
4.7 |
Suède |
15.5 |
15.0 |
7.6 |
6.3 |
(Source Eco Santé OCDE 1997)
Selon les chiffres fournis lors des entretiens de la délégation
avec le ministère de la santé, le nombre de lits serait
passé de 32.269 en 1980 à 23.905 en 1994. Pendant cette
période, le nombre d'admissions a crû de 916.000 à
1.110.000 ; la durée de séjour serait ainsi tombée de 9,9
jours à 6,6 jours, signe, selon les interlocuteurs de la
délégation, d'une meilleure efficacité du système.
Les hôpitaux psychiatriques ont été particulièrement
touchés par les réductions de lits, passant de 2,2 lits par 1.000
habitants en 1972 à 0,4 en 1994.
Hôpitaux psychiatriques (lits pour 1.000 habitants)
|
1972 |
1982 |
1992 |
1995 |
Allemagne |
2.0 |
1.8 |
1.4 |
1.3 |
Autriche |
nd. |
1.2 |
0.9 |
0.8 |
Belgique |
nd. |
nd. |
1.8 |
nd. |
Danemark |
2.2 |
1.7 |
0.5 |
nd. |
Espagne |
nd. |
1.0 |
0.6 |
nd. |
Finlande |
nd. |
3.9 |
2.0 |
1.3 |
France |
nd. |
2.3 |
1.5 |
1.3 |
Grèce |
1.4 |
1.3 |
1.1 |
nd. |
Irlande |
nd. |
3.9 |
1.9 |
1.6 |
Islande |
2.0 |
2.0 |
1.4 |
nd. |
Italie |
nd. |
1.2 |
0.7 |
nd. |
Luxembourg |
nd. |
nd. |
2.0 |
nd. |
Pays-Bas |
nd. |
1.7 |
1.6 |
1.6 |
Norvège |
nd. |
1.6 |
0.8 |
0.7 |
Portugal |
1.2 |
1.0 |
0.7 |
0.7 |
Royaume-Uni |
nd. |
2.2 |
1.1 |
nd. |
Suède |
nd. |
3.0 |
1.4 |
0.6 |
(Source Eco Santé OCDE 1997)
Cette dernière évolution est toutefois spécifique et
repose sur un choix de politique psychiatrique inspiré du modèle
italien ; ce choix n'a toutefois pas rencontré l'unanimité et des
fonds spécifiques ont dû être débloqués par
l'Etat pour régler le problème de l'hébergement des
malades.
Les interlocuteurs de la délégation n'ont pas sous-estimé
les difficultés politiques rencontrées par les Comtés dans
cette politique de fermeture et de regroupement.
En revanche, il semble que les problèmes de reconversion des personnels
médicaux aient pu être résolus par la mobilité au
sein d'un pays de dimensions modestes et pour le personnel non médical,
par des plans de réinsertion en coopération avec le secteur
privé, assortis, le cas échéant, d'une aide de l'Etat.
2. Des normes peu ambitieuses
Dans ce contexte, le problème des listes d'attente des hôpitaux
pour les examens et les interventions est une caractéristique danoise
qui mobilise, par période, les médias et suscite des
débats au Parlement.
La délégation n'a pas obtenu de véritables statistiques
sur la longueur des listes d'attente. En revanche, au fil des entretiens, les
principales interventions affectées par des listes d'attente ont
été évoquées : cataracte, pontage cardiaque,
prothèse de la hanche et du genou, opérations de hernie ou de
varices. Des listes d'attente existent également pour certains examens.
Selon M. Iversen, directeur de l'Association des médecins
spécialistes, une tentative de transparence conduisant à
afficher, hôpital par hôpital, la longueur de l'attente pour chaque
type d'intervention a échoué faute d'un accord sur le mode de
calcul du temps d'attente.
Tout au plus peut-on citer les
" normes applicables lors du renvoi
pour
consultation ou admission à l'hôpital "
figurant dans les
" objectifs et stratégies "
élaborés pour
trois ans en décembre 1995 par la direction de l'hôpital public
régional de Gentofte :
" Les patients seront informés de la date de convocation au
plus tard sept jours après que l'hôpital a reçu la lettre
de renvoi pour consultation ou admission de la part du médecin
traitant.
" Les examens préliminaires doivent, dans la mesure du
nécessaire, avoir lieu au service des consultations externes avant
l'hospitalisation. Il faut en outre veiller à coordonner l'examen avec
le médecin traitant de sorte à éviter que des examens
coïncident.
" Le patient doit se voir proposer un
examen au plus tard dans le
mois
qui suit la date de la lettre de renvoi.
" Le patient doit se voir proposer un
traitement au plus tard
dans les
trois mois qui suivent la fin du ou des examens.
"
Tels sont les
" objectifs "
qui sont fixés,
c'est-à-dire traiter un patient
4 mois et 7 jours
après la réception de la lettre du généraliste
adressant ce patient à l'hôpital.
A l'évidence, de tels objectifs qui visent, par définition,
à progresser par rapport à une situation donnée,
conduisent à s'interroger sur l'organisation du service public
hospitalier et sur les ressources qui lui sont affectées par les
Comtés.
De fait, lors de la visite de l'hôpital de Gentofte, la
délégation a constaté une certaine insuffisance dans
l'équipement (à titre d'exemple : le confinement sanitaire du
bloc opératoire de chirurgie cardio-vasculaire) et des normes de confort
pour les malades qui ne seraient guère acceptées en France
(notamment des chambres à quatre ou cinq lits).
L'hôpital public régional de Gentofte
Le comté de Copenhague (qui n'inclut pas les villes de
Copenhague et de Frederiksberg) est le plus petit comté en termes de
superficie (526 km
2
) mais le deuxième en termes de population
(609.000 habitants). Il est divisé en 18 communes.
L'hôpital régional de Gentofte est l'un des quatre hôpitaux
du comté avec ceux de Herlev, de Glostrup et d'Amager. Il dessert quatre
municipalités (Gentofte, Lyngby-Taarbnek, Sollerod et la zone de Ryvang)
soit au total 161.000 habitants.
Avec 1.000 lits occupés en moyenne et traitant 45.000 admissions,
l'hôpital emploie 4.000 salariés. Sa responsabilité
principale est le diagnostic et le traitement des maladies cardio-vasculaires
pour lesquelles sa compétence s'étend à l'ensemble du
comté.
Il comporte toutefois six services de médecins (médecine
générale, dermatologie, pédiatrie, maladie pulmonaire,
cardiologie et rhumatologie), cinq services de chirurgie (cardio-thoracique,
gynécologique et obstétrique, gastro-entérologique,
urologique et vasculaire, orthopédique) et deux services de psychiatrie.
Il possède en outre un centre de rééducation à
Malaga (Espagne) en coopération avec la ville de Copenhague.
3. Une décentralisation menacée
Il résulte de cette situation un dysfonctionnement de la
décentralisation du système de santé.
Le Folketing (parlement danois) et le Gouvernement ne peuvent pas ne pas se
saisir de questions qui agitent les médias et qui, pourtant, sont du
ressort des comtés, responsables des hôpitaux.
Ainsi, des priorités ont été établies par le
Parlement pour certaines opérations dont les listes d'attente
étaient trop importantes.
Il en a été ainsi pour les prothèses du genou. Mais si les
listes d'attente pour les prothèses du genou se sont progressivement
résorbées du fait de cette priorité décidée
au niveau national, par contrecoup et à ressources identiques, les
listes d'attente des prothèses de la hanche se sont allongées.
Dès lors, des enveloppes budgétaires spécifiques ont
été débloquées par l'Etat pour financer les
priorités ainsi définies.
Le point de vue des médecins tel qu'exprimé lors de la visite de
l'hôpital de Gentofte, est apparu passablement désabusé :
dès lors qu'elles résultent d'une pénurie de ressources,
la question des listes d'attente relèverait de la responsabilité
des politiques. Les priorités qui sont alors établies
résultent moins d'un choix reposant sur une analyse des besoins de la
santé publique par le corps médical, que de la prise en compte de
l'émotion publique face aux dysfonctionnements du service public
hospitalier.
Mais la multiplication de dotation spécifique, signe de
l'ingérence croissante du pouvoir central, remettrait en cause l'un des
fondements de la décentralisation et compte tenu de la part
prépondérante de la gestion du système hospitalier dans
les compétences des comtés, conduirait à s'interroger sur
l'avenir même de cette collectivité territoriale.
4. L'absence d'une " soupape " privée
La relative pénurie des ressources de l'hôpital public face au
problème des listes d'attente, n'a pas pour autant permis
l'émergence d'une offre alternative privée.
La place du secteur privé dans le système hospitalier danois ne
semble pas une question dépourvue de connotations idéologiques.
Ainsi, force est de constater que la visite de l'hôpital privé
Hamlet ne figurait pas spontanément dans le programme de la mission
sénatoriale préparée en concertation avec le
ministère des affaires sociales.
Il est vrai que l'offre privée n'est pas significative d'un point de vue
statistique puisqu'elle représente environ 0,2 % des lits et que la
délégation, dans le cadre d'un programme resserré, lui a
consacré, en proportion, un temps qui a pu sembler excessif. De fait,
les interlocuteurs de la délégation lors de la visite de
l'hôpital public de Gentofte en ont fait l'observation avec une
courtoisie amusée. A l'évidence, l'hôpital privé est
simplement toléré au sein du système danois. Les
mêmes interlocuteurs soulignaient, non sans humour, que chaque fois que
l'offre privée commençait de se développer en raison des
dysfonctionnements du système public, un effort budgétaire
exceptionnel et significatif venait remettre les choses en ordre.
De l'aveu même du directeur de l'hôpital Hamlet, la démarche
des actionnaires de cet hôpital privé (compagnies d'assurance et
grandes entreprises notamment) était elle-même plus
idéologique que financière.
Toutefois, cette visite, dans un hôpital qui est apparu moderne voire
modèle mais également sépulcral en raison peut-être
du jour et de l'heure choisis
10(
*
)
, a apporté à la mission,
a contrario
ou à la marge, un aperçu tout à fait
intéressant du fonctionnement du système hospitalier dans son
ensemble.
Au total, et sans trop forcer le trait, l'hôpital privé Hamlet est
apparu comme une présence marginale du secteur privé, voulu comme
symbolique par ses promoteurs eux-mêmes, toléré en tant que
tel par l'hôpital public comme un moyen, par la sous-traitance, de
résorber très ponctuellement des listes d'attente trop longues.
L'hôpital privé Hamlet
Construit en 1991 à Frederisksberg, municipalité
limitrophe de Copenhague, l'hôpital privé Hamlet offre un spectre
large d'activités dans le cadre de traitement planifié
(prothèse de la hanche et du genou, pontages cardiaques,
opérations de la cataracte, chirurgie plastique, traitement de la
stérilité etc.).
L'équipe permanente comporte 4 médecins et 42 infirmières
à laquelle s'ajoute une quarantaine de médecins consultants
" de renom " venant des hôpitaux publics et qui
interviennent
en-dehors de leurs obligations de service (après 16 heures et pendant
leurs journées de congé).
L'hôpital est doté d'un équipement de pointe (diagnostic et
blocs opératoires).
Mais l'hôpital ne compte que 33 lits (dont 25 en chambres individuelles),
ce qui représente environ la moitié de la capacité que
pourrait traiter le plateau technique de l'hôpital.
Il ne s'agit pas en l'espèce d'un blocage dû à
l'administration mais du choix des actionnaires qui souhaitent que
l'hôpital, dans sa consistance actuelle pourtant
déséquilibrée, puisse atteindre l'équilibre
financier.
De fait, jusqu'à présent cet hôpital n'a pas
été une bonne affaire pour ses actionnaires puisqu'il affiche un
déficit de 28 millions de KD en 1994, de 23 millions de KD en 1995,
17 millions de KD en 1996 et devrait enregistrer un résultat
négatif de 10 à 12 millions de KD en 1997 pour un chiffre
d'affaires de 57 millions de KD, ce qui représente encore près de
20 % du chiffre d'affaires.
L'équilibre des comptes est attendu pour 1999.
Cette perspective repose, certes, sur le développement de la
clientèle privée. Ainsi, la compagnie privée d'assurance
DANICA, actionnaire de l'hôpital propose des contrats d'assurance
à sa clientèle ; le directeur de l'hôpital Hamlet insiste
sur le fait qu'une assurance représente une prime de l'ordre de 400
à 800 KD par trimestre, ce qui ne réserve pas l'accès
à Hamlet aux seuls " riches ". Plus
généralement, une priorité et une réduction
tarifaire sont accordées aux actionnaires d'Hamlet pour leurs
salariés. Par ailleurs, les entreprises prennent parfois
également en charge le coût de l'hospitalisation de leurs
personnels afin de contourner les listes d'attente des hôpitaux publics
qui allongent de manière inconsidérée les arrêts
maladie, l'indisponibilité des salariés dont la
rémunération est souvent maintenue en application des conventions
collectives.
Mais le développement de l'activité de l'hôpital Hamlet
passe également, plus paradoxalement, par une coopération et une
complémentarité plus étroites avec le système
public géré par les comtés.
Des accords ponctuels ont été conclus avec un certain nombre
d'hôpitaux régionaux. Ainsi, l'hôpital Hamlet doit traiter
" à prix fixe ", avant la fin de l'année 1997, 45
prothèses de la hanche pour le compte de l'hôpital régional
de Roskilde et, avant janvier 1998, 60 prothèses du genou pour le
territoire du Groenland. Dans ce dernier cas, les patients doivent
bénéficier d'un programme spécial de
rééducation à Copenhague avant de pouvoir reprendre
l'avion pour le Groenland et se prendre en charge sur place. De même, un
accord a été passé avec les hôpitaux de Copenhague
pour 150 opérations de la cataracte " à moitié
prix " en hôpital de jour. La liste d'attente à Copenhague
pour ce type d'opération atteindrait 1.000 personnes.
En revanche, une coopération avec les comtés sur un plus long
terme (de l'ordre de trois ans) qui permettrait à hôpital de
Hamlet de mieux planifier son activité semble plus difficile à
mettre en place. Une coopération de ce type avec le comté de
Copenhague (où se trouve Frederiksberg) semble impossible au directeur
de l'hôpital Hamlet pour des raisons tenant à l'orientation
politique de ce comté.
*
* *
Une analyse plus approfondie du système de santé
danois aurait certainement nécessité des entretiens plus nombreux
et spécifiques notamment avec le corps médical ou encore avec le
ministère de la Santé, par exemple sur les questions de
sécurité sanitaire auxquelles la commission est
particulièrement attentive. Il est ainsi significatif d'observer que la
direction générale des denrées alimentaires relève
au Danemark du ministère de la santé.
En dépit de sa brièveté, due aux contraintes du calendrier
parlementaire français, la mission de la commission a toutefois permis
à ses membres de mieux percevoir les performances du système
danois mais également les problèmes qu'il doit résoudre.
Mais il est vrai que les enseignements qui peuvent en être tirés
sont limités par les caractéristiques tant géographiques
que démographiques d'un pays de dimensions modestes et qui
apparaît de surcroît très homogène.