4. Les littoraux insulaires sont des milieux fragiles, qui font l'objet de dégradations nombreuses
4.1 Des littoraux remarquables et soumis à des agressions très vives
Les formes littorales des îles tropicales sont remarquables et variées. Le long des côtes des îles volcaniques se succèdent plages, falaises et mangroves. Un récif corallien, plus ou moins développé, borde le rivage. Les paysages sont d'autant plus variés que s'opposent un versant « au vent », soumis à l'influence des alizés, et un versant « sous le vent », plus sec. Les îles basses du Pacifique, entourées d'un récif corallien qui délimite un lagon, constituent aussi des paysages remarquables
Ces espaces naturels littoraux, tant terrestres que marins, subissent des agressions multiples, qui vont de leur occupation très dense à leur destruction pure et simple, soit sous l'effet de pollutions, soit sous l'effet d'aménagements. S'il ne faut pas négliger les conséquences des phénomènes naturels catastrophiques (cyclones, tsunamis), ce sont surtout les actions humaines qui peuvent faire l'objet de politiques de prévention
La dégradation des récifs coralliens est la plus spectaculaire des atteintes aux milieux littoraux tropicaux : on y pratique l'extraction des matériaux, par exemple celle des sables coralliens des lagons pour la réalisation de travaux publics. Cela entraîne une modification du milieu et peut être à l'origine de la prolifération d'algues toxiques, comme la ciguatera. Les apports terrigènes modifient aussi le milieu de vie des coraux et le perturbent durablement. L'artificialisation du trait de côte, comme à Papeete ou à Nouméa, où la côte est artificielle sur une vingtaine de kilomètres, consiste à combler le récif corallien et entraîne la mort des organismes coralliens.
Les pollutions et les rejets constituent un dernier type de perturbation du milieu corallien. Le rejet dans les lagons des ordures et des effluents a été la pratique la plus usitée jusqu'à présent, mais tend à être de mieux en mieux contrôlée. La pollution biologique des eaux lagonaires atteint les plages des agglomérations, par exemple à Nouméa et Papeete, où les eaux de baignade sont de qualité médiocre, les zones les plus polluées se situant en face des plus fortes concentrations humaines. L'absence ou la désorganisation de réseaux d'évacuation des eaux usées est une réalité. L'assainissement des eaux est très insuffisant. En Polynésie Française, par exemple, 40 % des rejets ne sont pas conformes.
La dégradation des récifs coralliens et la pollution des eaux littorales ne sont pas les seules atteintes au milieu littoral et marin de l'outre-mer. D'autres milieux remarquables, comme les mangroves, subissent des dégradations. La qualité des paysages marins et terrestres, et par conséquent leur protection et leur conservation, conditionne l'attrait des îles et donc leur développement touristique, ressource économique importante. C'est pourquoi des politiques publiques sont mises en oeuvre avec plus ou moins de succès.
4.2 Les politiques publiques qui s'appliquent sur les littoraux d'outre-mer
En matière de politiques publiques relatives au littoral, les dispositifs à l'oeuvre en métropole s'applique. Mais certaines adaptations à l'outre-mer doivent être mentionnées.
Le domaine public maritime fait ainsi l'objet de mesures de protection rigoureuses. Les travaux, ouvrages, extractions de matériaux, dépôts d'objets divers et les dégradations y sont interdits sans autorisation. Outremer, les « cinquante pas géométriques » ou « cinquante pas du roi » constituent une particularité du domaine public maritime.
Il s'agit d'une bande de 81,20 mètres de large comptée à partir de la laisse de haute mer, limite supérieure des marées, rattachée à l'origine au domaine de la Couronne et qui avait pour but de préserver la libre circulation le long du bord de mer et de permettre la surveillance du rivage. En 1955, un décret-loi a transféré cette bande dans le Domaine Privé de l'État car on considérait que le régime de domaine public constituait un frein au développement économique des DOM. La dégradation de cette zone conduisit le gouvernement à renverser sa politique : les circulaires du 26 février 1974 et du 26 août 1980 prévoyaient le maintien des terrains non encore vendus dans le patrimoine national et sa non affectation à des utilisations privatives. La loi littoral de 1986 a réincorporé ce qui restait de la zone des « cinquante pas » dans le domaine public, tout en prévoyant de déclasser les terrains qui seraient plus utiles à la satisfaction des besoins d'intérêt public.
Ces tergiversations n'ont pas été favorables à la protection de la zone des « cinquante pas ». Les nombreuses dérogations au principe de l'inaliénabilité prévues dans la loi littoral permettent en outre de tenir compte des demandes exprimées par les personnes privées lorsqu'elles ne sont pas en contradiction avec l'intérêt général La loi de décembre 1996 relative à « l'aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des « cinquante pas géométriques » dans les DOM distingue trois types de zones :
- les espaces urbanisés, pour lesquels la création d'agences foncières est prévue, qui redistribueront les terrains entre les occupants et l'administration :
- les espaces naturels, qui vont être affectés au Conservatoire du littoral ou, s'il refuse, confié aux communes qui en feront une gestion naturelle ;
- les espaces occupés par une urbanisation dite diffuse.
La loi littoral contient, dans son titre III, des dispositions particulières aux DOM. Mais, le texte comporte des ambiguïtés ne favorisant pas l'équilibre entre aménagement et protection. La notion d'« urbanisation diffuse » rend les possibilités de construction particulièrement complexes dans les espaces proches du rivage. La Réunion est la seule région d'outre-mer à s'être dotée d'un Schéma de Mise en Valeur de la Mer (SMVM) officiellement approuvé. Enfin, l'article 146-6 du Code de l'urbanisme prévoit la protection des espaces naturels remarquables. Cette disposition est applicable dans les DOM, mais la désignation des zones concernées n'est pas encore achevée.
La loi n° 84-747 du 2 août 1984 relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion leur confère des compétences particulières en matière de planification et d'aménagement du territoire. Les régions d'outre-mer, conformément aux dispositions de l'article 3 de cette loi, sont tenues de se doter d'un schéma d'aménagement qui fixe les orientations fondamentales en matière de développement, de mise en valeur du territoire et de protection de l'environnement. Le Schéma d'Aménagement Régional (SAR) de la Réunion a été approuvé en Conseil d'État en novembre 1994. Le SAR vaut SMVM, tel qu'il est défini par l'article 57 de la loi 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État. Les dispositions correspondantes sont regroupées dans un chapitre individualisé au sein du SAR (art. 13).
Le SAR et le SMVM ont valeur de prescriptions d'aménagement et d'urbanisme Autrement dit, les schémas directeurs, les schémas de secteur, les Plans d'Occupation des Sols (POS) et les documents d'urbanisme en tenant lieu doivent être compatibles avec leur dispositions (article L.111-1-1 du code de l'urbanisme). Le SAR comme le SMVM ne s'imposent donc pas aux autorisations d'occuper et d'utiliser le sol mais ne produisent leurs effets juridiques qu'au travers des documents d'urbanisme de compétence communale ou intercommunale.
Le SAR est un document d'orientation. Il détermine notamment la destination générale des différentes parties du territoire de la région, l'implantation des grands équipements d'infrastructures et de communication routière, la localisation préférentielle des extensions urbaines, des activités industrielles, portuaires, artisanales, agricoles, forestières et touristiques. Un tel contenu l'apparente à un schéma directeur et le distingue nettement du POS qui est un document à caractère réglementaire.
Le SMVM porte une attention particulière à l'objectif de protection du littoral, compte tenu de la très forte pression urbaine que supporte une petite partie de ses côtes ainsi que des menaces qui pèsent sur la barrière récifale.
Aux protections réglementaires qui s'appliquent sur les littoraux s'ajoutent des protections foncières, tout aussi essentielles. La maîtrise du foncier est devenue un point vital pour assurer une protection de l'environnement, comme pour accompagner le développement harmonieux du tourisme.
La taxe sur les « espaces naturels sensibles » est perçue en métropole comme outre-mer. Mais on observe des limites à la définition de la zone de préemption, à laquelle revient le produit de la taxe. Cette politique semble illustrer un manque de détermination.
Le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, dont les compétences s'exercent également dans les DOM, y a déjà réalisé de nombreuses acquisitions.
Ainsi, 1136 hectares ont été acquis par le Conservatoire en Martinique, répartis entre chaque type de littoral, pour y préserver les rivages, avec leur flore et leur faune.
Les sites acquis par le Conservatoire sont inégalement répartis sur l'ensemble de l'archipel guadeloupéen. 2000 hectares ont déjà été acquis.
En Guyane, le Conservatoire du littoral a acquis quelques sites, notamment celui de la Pointe Isère et les marais périphériques, premier site mondial pour la ponte des tortues luth.
L'intervention du Conservatoire du littoral a toujours été difficile dans le contexte réunionnais d'intense pression urbaine. En 20 ans, il a quand même acquis 485 hectares, pour la plupart sur des côtes rocheuses et à falaises, à l'exception notoire de l'étang de Gol.
L'extension de la compétence du Conservatoire du littoral aux rivages de Mayotte a été rendu effective par le décret du 5 avril 1995. Aucune acquisition n'a encore été faite à ce jour.
Si les actions du Conservatoire est partout salué, il n'en reste pas moins que cet établissement ne fait qu'un travail partiel. Le Conservatoire n'a pas de ligne budgétaire pour gérer les terrains dont il fait l'acquisition. Il serait souhaitable que dans le décret d'application de la loi relative aux « cinquante pas » soient définis les moyens de gestion du Conservatoire. Il faudrait au moins que le Conservatoire puisse faire assurer un gardiennage des terrains acquis, afin qu'ils ne soient pas occupés sans titre comme c'est le cas pour l'un d'entre eux en Guadeloupe.
Les questions environnementales sont inscrites aux Contrats de Plan et font l'objet d'investissements.
Outre les politiques publiques de l'État, il faut mentionner les dispositions communautaires et les compétences des territoires, notamment la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie
Le Grand-Cul-de-Sac-Marin, exceptionnel écosystème marin et côtier, est par exemple classé en réserve naturelle et en site « Ramsar 26 ( * ) ». Dans le cadre des actions de REGIS 27 ( * ) I et II, certaines mesures existent en faveur de la connaissance et de la mise en valeur du patrimoine naturel dans les DOM.
L'objectif 1 également, qui reprend des éléments des contrats de Plan prend en compte ces questions.
Enfin, la mobilisation des fonds communautaires pour l'acquisition de terrains par le Conservatoire du littoral devient désormais possible, car leur protection est l'objet principal de l'investissement.
Dans les TOM, les responsabilités en matière d'environnement sont diverses et relèvent des provinces en Nouvelle-Calédonie, du territoire en Polynésie Française et pour l'essentiel des chefferies à Wallis-et-Futuna, même si l'État et le Territoire se partagent certaines compétences.
Le ministère de l'Environnement du territoire de la Polynésie Française envisage l'élaboration d'un Plan Général d'Aménagement de l'île (PGA). Dans cette perspective, le Territoire a décidé de développer un vaste programme d'études environnementales devant déboucher sur des propositions pratiques d'utilisation et d'aménagement du milieu naturel.
En Nouvelle-Calédonie, l'environnement dépend des trois Provinces depuis la loi référendaire de 1988. Cependant, les collectivités : territoire, provinces et communes, ont vocation à participer à la réalisation des opérations. L'État, dans les domaines autres que celui de l'environnement, peut intervenir le cas échéant. La souveraineté de l'État s'applique sur les installations portuaires et les transports maritimes qui ont des activités polluantes, qui échappent donc aux Provinces.
Les Provinces et les communes, qui ont en charge l'environnement, ont des finances limitées, qui conditionnent la priorité des choix et la réalisation de tel ou tel aménagement pour enrayer une dégradation de l'environnement.
Concernant l'application des conventions internationales, la France garde partout toutes ses prérogatives. Tel est le cas de la Convention de Ramsar sur les milieux humides ou des engagements souscrits à Rio.
Enfin, en matière de protection de l'environnement, la coopération régionale est active, notamment dans le Pacifique. La France a signé et ratifié des conventions internationales à vocation régionale : celle d'Apia sur « la protection de la nature dans le Pacifique Sud » en 1976, celle de Nouméa sur la « protection de l'environnement marin » en 1986, le protocole sur la « prévention de la pollution de la région Pacifique Sud résultant de l'immersion des déchets », celui sur les « interventions d'urgence contre les incidents générateurs de pollution » et lancé avec l'Australie en 1991 un programme de recherche en quatorze projets pour la plupart sur le Pacifique Sud.
En 1980 a été lancé le Programme Régional Océanien de l'Environnement (PROE), parrainée par la CPS, le PNUE, le SPEC 28 ( * ) et la CESAP 29 ( * ) . Ce programme veut couvrir à l'échelon régional l'ensemble des problèmes environnementaux. Son plan d'action 1991-1996 couvrait neuf secteurs : de la préservation de la biodiversité à la gestion des ressources côtières et celle de la pollution en s'occupant aussi de programmes d'information, de sensibilisation, de formation.
Espaces réduits, très convoités et par là fragilisés, les littoraux insulaires sont l'objet de dispositions particulières, qui le plus souvent guérissent plutôt qu'elles ne préviennent ses dégradations. La cohérence des différentes politiques menées doit être examinée dans le détail. L'adéquation entre les impératifs de protection et ceux de développement économique, essentiellement touristique, doit être faite, au risque d'hypothéquer l'attractivité future de ces territoires.
* 26 Dans la ville iranienne de Ramsar, sur les bords de la mer Caspienne, s'est tenue en 1971 la conférence internationale relative à la protection des zones humides d'importance internationale et a été rédigée la convention du même nom, que la France n'a ratifiée, ainsi que son protocole, de façon définitive qu'en 1986. Cette convention stipule que chaque partie contractante doit désigner les zones humides appropriées de son territoire à inclure dans la liste des zones humides d'importance internationale. Outre le Grand Cul de Sac Marin, les marais de Kaw en Guyane sont un site Ramsar.
* 27 Régis se situe dans le contexte général des actions entreprises par l'Union européenne en faveur des régions ultra-périphériques et qui ont pour objectif à moyen terme d'accélérer la diversification de ces économies régionales. Dans cette optique, Régis favorise autant que possible la coopération économique de ces régions avec les pays limitrophes et leur accès aux marchés communautaires, afin d'atténuer leur dépendance vis-à-vis de leurs débouchés métropolitains traditionnels.
* 28 ex-secrétariat du Forum du Pacifique Sud.
* 29 Commission Économique et Sociale des Nations Unies pour le Pacifique.