Perspectives à moyen terme de l'économie mondiale
REGNAULT (René)
RAPPORT D'INFORMATION 443 (97-98) - DELEGATION DU SENAT POUR LA PLANIFICATION
PRÉSENTATION
Depuis
1984, la Délégation pour la planification propose chaque
année aux membres de la Haute Assemblée de consacrer quelques
heures à la présentation et la discussion de travaux
réalisés par les organismes d'analyse et de prévision avec
lesquels le Service des Etudes du Sénat collabore
régulièrement.
Cette réunion veut être un lieu d'information et de
réflexion. En prenant ainsi l'initiative d'une rencontre entre
experts
et
sénateurs
, la Délégation pour la
planification s'attache à remplir sa mission prospective dans le domaine
économique.
Un Colloque consacré aux
perspectives à moyen terme de
l'économie mondiale
s'est ainsi tenu le 2 avril 1998. La
présidence des travaux a été assurée conjointement
par M. Jean-Michel CHARPIN, Commissaire au Plan, et par votre
Rapporteur.
Les débats ont essentiellement porté sur la présentation
et la discussion d'une projection de l'économie mondiale à
l'horizon 2005, réalisée à l'aide du modèle
multinational MIMOSA par l'Observatoire français des conjonctures
économiques (OFCE). La version finale de cette étude figure en
annexe
à ce rapport. Plusieurs experts ont également
commenté les résultats de cet exercice ou dessiné quelques
perspectives d'évolution de l'économie mondiale, évoquant
notamment le passage à l'euro et la crise asiatique.
Ces travaux constituent la
première phase
des exercices de
projections macroéconomiques conduits en 1998 par la
Délégation pour la Planification. Leur visée est à
la fois
mondiale
et à
long terme
.
Compte tenu des enseignements qu'elle retirera de ce Colloque, la
Délégation fera en effet procéder dans les prochains mois
à de nouveaux cadrages dans le but de présenter à
l'
automne
, comme à l'habitude, des perspectives davantage
centrées sur l'
économie française
et sur le profil
des
prochaines années
.
I - OUVERTURE DU COLLOQUE
•
M. René RÉGNAULT, Vice-Président de la
Délégation du Sénat pour la Planification.
Mesdames et Messieurs, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord
remercier celles et ceux qui ont répondu à cette invitation et
tout particulièrement ceux qui, à mes côtés, ont
préparé ce colloque et vont nous présenter dans un instant
le fruit de leur réflexion.
Vous comprendrez toutefois qu'à l'ouverture de ce colloque, je commence
par saluer la mémoire de celui qui aurait dû se trouver
aujourd'hui à cette place, notre regretté et estimé
collègue Bernard Barbier, qui nous a brutalement quittés il y a
à peine un mois.
La plupart d'entre vous êtes des habitués de nos colloques
annuels, inaugurés voici quinze ans par Bernard Barbier, et qu'il
présidait avec l'humour, la bonne humeur, le doigté,
l'efficacité et la sûreté de jugement que nous avons tous
appréciés.
Sénateur de la Bourgogne, il fut Maire de Nuits-St-Georges et Grand
Maître de la Confrérie des Chevaliers du Tastevin. Il avait, entre
autres, beaucoup de talents, en particulier celui de rendre cette
matière que nous allons évoquer ce matin, la
macroéconomie, sympathique et vivante.
Ce treizième colloque, dont il avait fixé la date et l'ordre du
jour, aurait dû, pour lui, être le dernier puisqu'il n'avait pas
l'intention de se représenter aux élections sénatoriales
de septembre prochain. Mais le destin a voulu que ce colloque soit le premier
qui se tiendra sans lui.
Occupant sa place à titre intérimaire puisque la
Délégation pour la Planification n'a pas eu encore le temps de
désigner son nouveau Président, permettez-moi de donner en
exemple ce collègue dont nous avons tous apprécié les
qualités humaines et qui a puissamment contribué à
améliorer les capacités de réflexion et d'analyse du
Sénat ; capacités de réflexion, qualité des
analyses appréciées bien au-delà des limites de notre
action et activité habituelles.
Avant que nous débutions nos travaux, je voudrais en quelques mots
rappeler l'esprit de ce colloque tel que l'avait souhaité Bernard
Barbier.
Cette réunion se veut tout d'abord un lieu d'information et de
réflexion.
En prenant ainsi l'initiative d'une rencontre entre experts et parlementaires,
la Délégation pour la Planification s'attache à tenir le
rôle d'information qui lui est confié et à contribuer
à l'animation du débat public.
Pour que le dialogue entre experts et parlementaires soit fructueux, il est
souhaitable qu'une grande liberté d'expression soit garantie et ce,
même si les opinions exprimées peuvent parfois nous surprendre.
Enfin, je rappellerai que la visée de nos travaux est à la fois
mondiale et à moyen terme. Ainsi demanderons-nous aux orateurs de se
concentrer sur ce double horizon et à ceux qui interviendront dans la
discussion de ne pas se focaliser sur le court terme.
Il s'agit au cours de cette matinée de dessiner des cheminements
possibles et d'éclairer la poursuite de nos réflexions, voire de
nos décisions, de décrire des tendances lourdes de nos
économies, plutôt que d'afficher des prévisions.
Avant de donner la parole aux différents intervenants, je voudrais
saluer la présence à mes côtés de M. Jean-Michel
Charpin, Commissaire au Plan, que je suis très heureux de
féliciter pour sa récente et brillante nomination et que notre
Délégation a l'honneur d'accueillir pour la première fois
sous ce titre car il est un familier des travaux de notre
Délégation. Il les connaît remarquablement bien ; nous
aurons certainement, en ce qui concerne au moins les parlementaires, l'occasion
de le vérifier.
Monsieur le Commissaire, je vous remercie d'avoir bien voulu accepter de
coprésider ce colloque et de m'aider à en animer les
débats. Cela signifie que vous avez toute liberté pour intervenir
dans la discussion.
Compte tenu de vos fonctions actuelles, mais aussi de vos travaux
antérieurs en tant que Directeur du CEPII ou en tant que Directeur du
Service des Etudes économiques de la BNP, je ne doute pas que vous aurez
un regard particulièrement éclairé sur les travaux qui
vont nous être présentés.
Je vous donnerai la parole, Monsieur le Commissaire, avant de la donner aux
représentants de l'Observatoire français des conjonctures
économiques, M. Philippe Sigogne et Henri Sterdyniak, pour nous
présenter la projection de l'économie mondiale à l'horizon
2005, réalisée à l'aide du modèle MIMOSA, non sans
les avoir chaleureusement remerciés ainsi que toute leur équipe
pour avoir mené à bien cette très lourde étude dans
des délais très brefs, et non sans avoir remercié
également le Président de cet Institut, M. Jean-Paul
Fitoussi, pour la contribution qu'apporte son organisme à la
capacité de réflexion du Sénat.
Je vous remercie de votre attention. Je vais tout de suite donner la parole
à M. Charpin.
•
M. Jean-Michel CHARPIN
,
Commissaire au Plan
-
Je vous remercie, Monsieur le Président.
Je voudrais dire deux mots à l'ouverture de notre réunion ;
le premier pour indiquer que dès ma prise de fonction au Commissariat
général du Plan, le Sénateur Barbier m'avait
contacté pour me demander d'animer avec lui cette journée, ce que
j'avais accepté avec beaucoup de joie. Ce sont des journées
auxquelles j'ai participé souvent et à différents titres
et dont j'ai pu apprécier l'utilité et la qualité. Je vous
remercie, Monsieur Régnault, d'avoir bien voulu confirmer cette
invitation pour aujourd'hui.
Ma deuxième remarque sera pour dire que ces journées et
l'ensemble du travail de la Délégation pour la Planification du
Sénat ont joué au cours des quinze dernières années
un rôle tout à fait important dans l'animation du débat
économique en France. Les experts appréciaient de travailler pour
la Délégation et pour le Sénateur Barbier ; ils y
trouvaient une ambiance très particulière, faite de
qualité des travaux techniques, d'ouverture de la discussion, d'absence
de tension politique, de convivialité, qui faisaient qu'ils
étaient toujours très heureux de se mettre au service du
Sénateur Barbier et de la Délégation pour venir
présenter leurs travaux et discuter les travaux des autres.
De tout cela, je crois qu'à la fois la profession des
économistes, le Sénat et le pays, par l'éclairage que ces
travaux ont apporté, sont très redevables au Sénateur
Barbier.
II - UNE PROJECTION DE L'ÉCONOMIE MONDIALE À L'HORIZON 2005,
réalisée par l'Observatoire français des conjonctures
économiques à l'aide du modèle multinational MIMOSA
•
M. Philippe SIGOGNE, Directeur du Département d'Analyse et
de Prévision de l'Observatoire français des conjonctures
économiques (OFCE)
.
Mesdames, Messieurs, Messieurs les Sénateurs, merci de nous accueillir
dans cette enceinte ; je ne puis que m'associer à ce qui a
été dit à propos du Sénateur Barbier que nous
regrettons tous et auquel nous devons effectivement cette stimulation de nos
travaux, lui qui nous a sans cesse poussés à continuer dans cette
voix du dialogue avec toutes les parties prenantes au débat politique en
France.
Cette année est une année très spéciale à
plusieurs titres, puisqu'elle annonce la fin des discussions
franco-françaises sur le moyen terme. La mondialisation s'est
déjà fait sentir dans des pans entiers de notre économie
et de l'économie internationale, et nous entrons cette année
-cela est maintenant avéré- dans le cadre de l'euro.
Les propos que je vais mentionner en introduction, avant de passer la parole
à Henri Sterdyniak, sont essentiellement liés à ces
questions de mondialisation et d'entrée dans l'euro : cette
mondialisation est-elle bénéfique ou mauvaise pour le
fonctionnement de nos économies ? Que peut-elle apporter ? A
quels risques doit-on s'attendre dans l'évolution à venir ?
Quels seront les moyens politiques nécessaires pour maîtriser
l'évolution future de nos économies ?
Nous poserons essentiellement des questions parce que l'objectif de la
prévision à moyen terme n'est pas tant de donner des
réponses toute faites à un moment donné. Il ne s'agit pas
d'un exercice de prévision, comme vous l'avez dit, Monsieur le
Président, mais d'une projection qui souligne des tendances, fait
apparaître des problèmes et suggère d'éventuelles
inflexions.
Derrière la mondialisation, il y a un événement
extrêmement fort qui est l'acceptation par un nombre de plus en plus
important de pays d'une libération totale, ou quasi totale, des
mouvements de capitaux.
L'utilité de la libération des mouvements de capitaux est
d'assurer au mieux, à tout moment, une allocation optimale des
ressources de façon à ce que, là où il y a des
possibilités de développement, celles-ci puissent être
financées convenablement. Il faut donc éviter les
problèmes de rareté qui ont pu avoir lieu à certains
moments dans des domaines où les possibilités du futur sont
particulièrement prometteuses.
Le but final est d'arriver dans un système concurrentiel à une
homogénéisation des rendements demandés dans la mesure
où les capitaux vont aller là où les gisements de
productivité n'ont pas été totalement exploités,
mais semblent à un moment donné devoir l'être davantage.
Pour attirer ces capitaux -on l'a vu récemment à travers la crise
asiatique- les Etats sont prêts à entrer ou à faire
semblant d'entrer dans un moule libéral. Ils sont prêts aussi
parfois à maintenir, y compris artificiellement, des avantages
comparatifs par rapport à leurs partenaires.
Cela passe parfois par des conditions de travail particulièrement
contraignantes et que la morale peut être amenée à
réprouver.
Parfois, cela implique de très bas salaires du fait de réserves
de main-d'oeuvre abondantes issues de l'agriculture ou de chômeurs.
Parfois, cela tient au maintien de parités sous évaluées
qui provoquent une accumulation de réserves et un développement
du crédit intérieur difficilement maîtrisable.
Si l'on regarde l'impact sur les grandes zones du monde, des évolutions
monétaires récentes, on constate que la création de
dollars des années 1990 a grandement facilité la
disponibilité de fonds pour un grand nombre de pays émergents. Il
en est résulté une surestimation des possibilités de
développement à court terme de ces zones.
La cause de cette création de dollars, probablement excessive à
un certain moment, a été au départ le sauvetage du
système financier américain.
Cet aspect des choses est amené à se reproduire et
déjà se développe dans d'autres zones puisque, on l'a vu,
les difficultés japonaises ont amplifié la tendance depuis
plusieurs années à l'exportation de capitaux, publics d'abord,
privés ensuite depuis que les rendements sur le sol japonais sont
devenus très peu rémunérateurs.
L'Europe a été, elle aussi, partie prenante lors de la baisse de
taux d'intérêt et du fait du tassement de son taux
d'investissement, très préoccupant depuis le début des
années 1990.
Il apparaît que lorsqu'une zone développée ne propose pas
à ses ressortissants suffisamment de possibilités
d'investissement, les capitaux vont chercher meilleure fortune ailleurs et,
alors, ont tendance à exagérer l'attrait des autres zones.
Les engagements bancaires qui ont été récemment
réalisés par le système financier français en Asie
ont montré à quel point il était impératif pour un
système financier qui a besoin de se ressourcer, de chercher ailleurs,
au risque de développer des opérations délicates, un
rendement qu'il ne trouve pas nécessairement sur place.
J'en viens maintenant aux perspectives.
La recherche de rentabilité implique aujourd'hui et encore pendant de
nombreuses années sans doute d'économiser le capital productif en
Europe et au Japon, alors que les Etats-Unis sont dans une situation totalement
différente : ayant déjà réalisé une
productivité accrue de leur capital ; ils exploitent celle-ci
à plein. La rentabilité américaine est reconnue comme
étant l'une des meilleures du monde.
Au même moment où les finances publiques américaines se
redressent considérablement, plus spectaculairement qu'il n'était
attendu, les entreprises privées exploitent à plein les effets de
levier que leur apportent la baisse des taux d'intérêt à
long terme et en même temps la maîtrise de leurs profits.
Aujourd'hui donc, l'endettement extérieur américain est
uniquement le résultat de l'endettement des entreprises privées.
On peut se demander jusqu'à quel point cette situation peut aller.
Aujourd'hui, l'effet de richesse joue à plein dans les pays
anglo-saxons ; il a pour conséquence la relance des prix de
l'immobilier et amène à se demander si l'on n'entre pas dans une
nouvelle phase spéculative où les prix des actifs augmentent trop
rapidement par rapport à ce qui est soutenable à moyen terme.
Comme toujours, dans ces conditions, certains soutiennent que, puisque les
profits vont bien, puisque l'inflation est faible, on ne voit pas pourquoi la
croissance s'arrêterait.
Je n'entrerai pas dans le détail des questions d'économie
réelle puisque Henri Sterdyniak le fera à ma suite mieux que moi.
Ce que je veux simplement signaler ici, c'est que dans une partie du monde, le
Japon, nous avons un excès d'épargne durable et une insuffisance
aux Etats-Unis, qui semblent se prolonger tout au long de l'exercice que nous
avons mené.
A
priori
on ne voit pas pourquoi de telles tendances
n'entraîneraient pas une réaction inverse un jour ou l'autre.
" Les arbres ne montent pas jusqu'au ciel ", et l'on a dit trop tard,
pour beaucoup de pays, que l'insoutenabilité n'apparaissait qu'à
partir du moment où le krach était arrivé.
Malheureusement, les exercices de projection à moyen terme ne permettent
pas de dater ces événements, ils montrent simplement
l'accumulation des tensions et des déséquilibres.
Si l'effet de richesse joue à plein, comme je l'ai dit, dans les pays
anglo-saxons, à l'inverse, la baisse des prix des actifs est le signe de
la déflation japonaise.
La question japonaise est cruciale aujourd'hui, mais ce qui est peut-être
plus important si l'on cherche à évaluer la possibilité de
rupture, que nous n'avons pas introduite dans nos scénarios, c'est de se
demander ce qui se passera au moment où cette économie aura
à nouveau besoin de ses capitaux pour se redresser.
Car aujourd'hui, on le voit bien, les capitaux japonais reviennent sur le sol
japonais lorsqu'il s'agit de couvrir des pertes et de présenter des
bilans à peu près favorables, mais tout aussitôt, ces
capitaux repartent puisque les rendements à l'extérieur sont
beaucoup plus rémunérateurs.
Un déséquilibre se produit donc, qui ne peut pas durer
indéfiniment.
Où se situe l'Europe par rapport à cela ? Quelles sont ses
perspectives ?
L'Europe se situe à mi-chemin entre la contraction japonaise et la
situation américaine, déjà très avancée dans
l'utilisation et la traduction de la rentabilité en termes
d'investissement, mais elle continue à se restructurer et elle n'a pas
fini de le faire car l'euro implique des bouleversements considérables
dans les prochaines années en termes de structures des appareils
productifs.
Il est courant de dire que puisque le marché européen va, en
gros, tripler de taille, les entreprises doivent elles-mêmes tripler de
taille ; cela changera considérablement leurs modes de financement.
Celles-ci seront probablement amenées, comme les entreprises
américaines, à puiser dans un gisement de marchés
obligataires qu'elles n'ont pas exploités jusqu'à présent,
ce qui changera fortement la donne par rapport aux décennies
passées.
Les chances des restructurations paraissent amplifiées par l'euro qui
ouvre effectivement de grandes possibilités sur le continent
européen.
L'inflation restera faible ; c'est une constante pour la plupart des
économies, mais la question est ouverte de savoir si, à mesure
que l'emploi reprendra, des risques de tension peuvent apparaître. Ceci
est sujet de débat, les projections qui sont faites ici se fondant
sur les comportements usuels peuvent faire apparaître dans certains cas
une reprise de l'inflation.
On peut se demander, en regardant l'exemple américain, dans quelle
mesure le maintien de taux d'intérêts réels plus bas que
par le passé et les économies de capital qui seront
réalisées, ne permettront pas d'accroître progressivement
la part des salaires dans la valeur ajoutée dans de nombreuses
économies sans risque d'inflation, les besoins d'accumulation des
entreprises se trouvant réduits grâce au progrès technique.
Les taux d'intérêt réels sont tirés vers le bas par
la reconnaissance du tassement des prix. Cela passe par deux
éléments : d'une part, les anticipations reconnaissent de
plus en plus cette situation ; d'autre part, le maintien durable de taux
d'intérêt à court terme finit par avoir une influence sur
les taux d'intérêt à long terme.
La réduction des déficits publics est souvent mentionnée
comme un élément qui facilite la baisse des taux
d'intérêt réels. Ceci n'est recevable que dans la mesure
où dans le même temps, on n'a pas en contrepartie un fort
endettement du secteur privé.
Si c'est le cas, c'est-à-dire si pendant plusieurs années, les
entreprises européennes restent dans une situation d'économie de
capital, de restructuration, d'autofinancement relativement
élevé, alors il est vrai que ceci est tout à fait
favorable à la baisse des taux d'intérêt réels.
En revanche, si l'on entre dans un système à l'américaine
où le déficit public a disparu, mais l'endettement privé
prend une nouvelle dimension, il n'est pas assuré que les taux
d'intérêt réels restent durablement aussi bas. Mais on s'en
réjouira en pensant que les entreprises ont enfin pris le chemin de
l'investissement, de la croissance et d'une évolution du potentiel
économique plus élevée.
Que seront les spécificités de l'euro ?
Evidemment, on est d'abord obligé de réfléchir un peu au
court terme ; vous m'en excuserez, Monsieur le Président, mais je
ferai une petite incidente pour essayer d'imaginer ce que sera le comportement
de la Banque centrale européenne lorsqu'elle sera mise en place au
1
er
janvier de l'an prochain.
Nous avons tenté de réfléchir à ces questions pour
voir dans quelle mesure les taux d'intérêt réels et
nominaux de court terme seraient affectés par ces décisions et ce
qui pourrait changer par rapport au comportement de l'ensemble des banques
centrales prises isolément aujourd'hui à l'intérieur de
l'Europe.
La réponse nous semble encore ambiguë. Si l'on retient des
indicateurs et des modèles de fonctionnement à
l'américaine pour la Banque centrale européenne, à ce
moment-là, on peut garder une certaine confiance dans le niveau des taux
d'intérêt et juger que ceux-ci ne seront pas trop
élevés, c'est-à-dire se maintiendront aux alentours de 4
et quelques % à partir du début de 1999.
Si, en revanche, on adoptait une vision plus germanique des choses, on
considérerait que ces taux seraient peut-être de l'ordre de
5 %. C'est un peu la fourchette que nous avons en tête à
l'heure actuelle. Cette fourchette doit évidemment être
complétée par l'appréciation que l'on peut avoir du
comportement d'un aréopage de onze banquiers centraux venant remplacer
le système existant aujourd'hui. Certes, l'Institut Monétaire
Européen et la Banque Centrale Européenne à sa suite
n'auront cesse de dire que ce qui comptera, ce sont les agrégats
européens, agrégats monétaires, inflation
européenne, etc. Il n'en reste pas moins que nous aurons à faire
face à un groupe de onze banquiers d'origine nationale qui chacun
pourraient avoir la tentation de regarder ce qui se passe chez eux pour fixer
leur décision. Or, à chaque banquier correspondra une voix, il
n'y a pas de prépondérance de l'Allemagne ou d'un autre grand
pays par rapport à la moyenne.
En entrant dans l'Union européenne, on s'aperçoit que les
situations conjoncturelles des pays ne sont pas toutes harmonieusement
équilibrées et qu'un certain nombre de petits pays se trouvent
aujourd'hui dans une situation plus tendue que la moyenne. Il n'est pas
impossible qu'il en dérive finalement une vision un peu plus restrictive
en moyenne de cette politique économique, au moins pour un certain
temps, jusqu'à ce que l'équilibre se fasse au travers des pertes
de compétitivité de certains, ce qui peut prendre
éventuellement un certain temps.
La valeur de l'euro risque, pour toutes les raisons qui ont été
mentionnées, d'être forte : apparition d'un site de
productivité potentielle élevée en Europe, comportement
peut-être relativement restrictif de la Banque Centrale au départ.
Nous n'avons pas poussé l'argument trop loin dans nos prévisions
car nous avons retenu que l'euro se revaloriserait modérément par
rapport au dollar, lui-même étant relativement
pénalisé par les déficits extérieurs
accumulés dont nous avons parlé.
Cela ne nous a pas amenés à descendre au-dessous de 1 dollar
(vous excuserez la référence passéiste) pour 1,60
DM ; évidemment, il faudra maintenant apprendre à raisonner
par rapport à l'euro ; cela représente malgré tout
une dévalorisation de la monnaie américaine qui peut peser sur la
croissance de notre continent pendant un certain temps. Il n'en reste pas moins
que ceci renforcera les efforts de compétitivité en Europe et
sera accompagné d'entrées de capitaux dont il faudra bien un jour
ou l'autre s'assurer la maîtrise si on ne veut pas s'engager à
notre tour dans un cycle spéculatif renouvelé.
Je vous remercie, Monsieur le Président.
M. René RÉGNAULT, Président
.- Merci, Monsieur
Sigogne.
•
M. Henri Sterdyniak, Directeur-adjoint au Département
d'Analyse et de Prévision de l'Observatoire français des
conjonctures économiques (OFCE).
Monsieur le Président, Messieurs les Sénateurs, Monsieur le
Commissaire, Mesdames et Messieurs, durant les prochaines années, c'est
la mondialisation qui va dominer l'économie mondiale. Cette
mondialisation signifie que ce qui va être important pour chaque pays,
chaque zone, va être la capacité à s'insérer dans
l'économie mondiale, à produire de manière
compétitive, à attirer les investissements directs, les
crédits et les capitaux flottants.
En même temps, lorsqu'on considère la crise asiatique qui a
frappé les meilleurs élèves de la mondialisation, on voit
que cette mondialisation n'est pas un long fleuve tranquille ; c'est un
processus qui a ses contradictions et ses périls.
Comment peut-on assurer une demande satisfaisante à l'échelle
mondiale si chaque pays a comme ambition de freiner ses salaires et ses
emplois ?
Comment trouver des profits satisfaisants pour des masses de plus en plus
élevées de capitaux ?
Comment éviter l'instabilité des taux d'intérêts,
des taux de change, des bourses lorsque les marchés sont dominés
par des investisseurs frileux, paranoïaques et à la recherche de
rentabilité élevée ?
Trois paradoxes sont réapparus avec force dans les années
récentes : d'une part, les prêteurs veulent prêter des
sommes importantes ; ensuite, ils se plaignent que les gens auxquels ils
ont prêté, les Etats ou les Entreprises, sont trop
endettés. Puis, ils veulent des taux d'intérêt
élevés et en même temps ces taux d'intérêt
élevés fragilisent les emprunteurs, que ce soit les entreprises
ou les finances publiques. Enfin, ils veulent des rentabilités
sûres et élevées, qui sont souvent obtenues grâce
à des bulles financières, que ce soit sur les marchés
boursiers ou sur les marchés immobiliers, et non pas par des
investissements réels productifs.
Dans cette situation, les Etats sont coincés entre des exigences
contradictoires. La mondialisation brise les solidarités nationales,
elle crée une fracture sociale entre les gagnants et les exclus. Les
gagnants sont de plus en plus tentés de refuser d'aider les perdants,
d'avoir recours aux marchés mondiaux ou à l'évasion
fiscale. Les systèmes de protection sociale sont menacés, en
particulier les retraites de répartition par le développement des
fonds de pension.
Les grandes entreprises mettent les Etats en concurrence et en même
temps, elles se désintéressent de la solidarité nationale
et n'assurent plus la croissance de l'emploi. C'est de plus en plus dans les
petites entreprises et dans les services que les emplois se créent.
Cependant, aucun pays ne peut plus s'exclure de la mondialisation sans priver
son peuple des bénéfices de la vie moderne, du progrès
technique et des échanges internationaux. Il n'y a pas d'alternative.
Les années qui viennent de s'écouler ont vu une nette
hiérarchisation des performances des différents pays et des
différentes zones.
Dans les pays industrialisés, le dynamisme américain depuis 1992
contraste avec la médiocrité des performances de l'Europe ou pire
encore, du Japon.
Les ex-pays socialistes ont du mal à sortir de leur
désorganisation et, au contraire, les pays d'Asie du sud-est ont connu
des performances brillantes. L'Amérique latine commence à se
redresser tandis que de toute évidence, le monde arabe et surtout
l'Afrique restent à l'écart du dynamisme mondial.
Notre prévision ne prolonge pas totalement cette hiérarchisation.
Aux Etats-Unis, nous prévoyons un net ralentissement en 1998-99 puis une
croissance plus modérée. Les facteurs exceptionnels qui ont
permis cet essor important depuis 1992 ne se reproduiront pas dans la
période à venir.
Le Japon continuerait à vivre une croissance médiocre ; il
se retrouverait dans ce que nous avons appelé la
" nipposclérose " qui est le pendant exact de
" l'eurosclérose " qui nous a frappés pendant si
longtemps et au contraire, l'Europe profiterait de la fin des politiques
budgétaires restrictives, de taux d'intérêt plus faibles,
d'une monnaie en moyenne plus basse, et sa croissance atteindrait 2,5 % en
moyenne sur les huit années à venir, ce qui permettrait un
certain reflux du chômage, qui passerait de 10,4 % en 1997
à 8,4 % en 2005.
Les ex-pays socialistes verraient leur croissance s'affermir. Ils
s'intégreraient de mieux en mieux dans l'économie mondiale,
commenceraient à attirer des capitaux et les investissements directs de
façon sensible.
Les Dragons et les pays d'Asie, après la crise de 1998-99,
connaîtraient de nouveau un rythme de croissance vigoureux bien qu'en
léger repli par rapport à ce qu'il était naguère.
L'Amérique latine et l'Afrique connaîtraient des croissances
satisfaisantes bien qu'en deçà des croissances asiatiques.
Je vais commencer par un regard sur la situation conjoncturelle en 1998-99.
Le début de l'année 1998 a vu contre toute attente la poursuite
d'une croissance vigoureuse aux Etats-Unis, qui a continué à
être impulsée par la demande intérieure. En sens inverse,
on a vu en 1997, le retour de la croissance en Europe grâce aux gains
fournis par l'appréciation du Dollar et grâce à l'essor de
la demande intérieure dans plusieurs des petits pays de l'Union.
Selon nous, 1998 devrait marquer un ralentissement de la croissance
américaine et au contraire, une nette reprise en Europe avec une
politique budgétaire qui deviendra neutre après avoir
été fortement restrictive et une embellie des demandes
intérieures qui se propagerait aux grands pays. C'est déjà
le cas en France ; nous espérons donc cette embellie des demandes
intérieures en Allemagne et en Italie.
Le scénario optimiste pour l'Europe a été, vous le savez,
remis en cause par la crise asiatique qui est venue apporter une certaine
incertitude sur l'évolution de l'économie mondiale. A court
terme, la chute de la demande pèse, bien sûr, sur les importations
des pays industrialisés. Ensuite, ces pays ont dévalué
massivement. Donc, leurs entreprises vont devenir plus compétitives, on
va avoir plus de mal à leur vendre et elles vont pouvoir exporter plus,
mais cela ne va pas jouer rapidement parce que ces entreprises sont tellement
désorganisées par des faillites, par des difficultés
d'acheter des biens d'équipement, etc., que pendant un certain temps,
elles ne bénéficieront pas de cette compétitivité
potentielle.
De façon plus structurelle, cette crise remet en question un
scénario dans lequel, petit à petit, chacune de régions du
monde pouvait bénéficier des capitaux des pays les plus riches
pour accélérer sa croissance. Les capitaux des pays riches vont
maintenant considérer avec plus de crainte les possibilités
fabuleuses offertes par les pays émergents.
Nous vous proposons donc dans notre document qui présente la situation
des années 1998-99 une simulation à l'aide du modèle
MIMOSA, de la crise asiatique.
C'est un exercice difficile à réaliser, surtout avec un
modèle multinational, parce qu'il faut tenir compte de l'ensemble des
effets et avoir un scénario qui soit cohérent à la fois
pour ces pays et pour les pays industrialisés.
Nous avons pris en compte le fait que ces pays vont avoir moins de
financements, donc du coup, vont importer moins de biens d'équipement,
ce qui va frapper les pays industrialisés. Ils vont avoir des gains de
compétitivité mais ceux-ci ne vont jouer qu'à terme plus
lointain en raison de leur désorganisation.
La crise se traduit également par une chute du prix des matières
premières et du prix du pétrole ; nous avons, de
manière contestable, dit qu'une part de la baisse du prix du
pétrole découlait de la crise asiatique, et qu'une partie
était autonome.
Enfin, elle a provoqué une baisse, du moins une non augmentation, des
taux d'intérêts dans les pays industrialisés, aussi bien en
Europe, qu'en Allemagne, qu'aux Etats-Unis, que nous avons prise en compte.
On arrive au tableau 9 (page 24 de l'annexe) qui nous dit, d'une part, que les
pays d'Asie vont connaître une chute de leur PIB d'environ 6 % en
1998 et que cela va leur permettre, petit à petit, de rétablir
leur balance courante puisque le gain à l'horizon de deux ans, est pour
chacune des deux zones de notre modèle, puisque nous distinguons une
zone " Dragons " et une zone " Autres pays d'Asie " de
l'ordre de 50 milliards de dollars.
Si l'on regarde le tableau 8 (page 23 de l'annexe), on voit que l'on a une
chute de la production, une chute du PIB, pour nous, Union Européenne,
qui est de l'ordre de 0,9 % en 1998 (il y a un partage dans notre tableau
entre 1997 et 1998, mais qui est douteux parce que nous avons un modèle
annuel et on a du mal à bien prendre les délais de court
terme ; je me polariserai donc sur les chiffres 1998) et de 2 points au
Japon, ce qui est un chiffre relativement important, avec un effet
désinflationniste non négligeable, de l'ordre de 0,3 point.
Cette crise asiatique va donc ralentir la croissance européenne.
A moyen terme, pour ces pays asiatiques, trois scénarios sont
concevables.
Le premier, que nous avons écarté, aurait consisté
à dire : " toute la croissance passée était une
vaste bulle financière ; maintenant, ces pays vont connaître
durablement une période de croissance ralentie ". Nous n'avons pas
retenu ce scénario car nous pensons que la croissance de ces pays repose
effectivement fondamentalement sur des bases industrielles saines, même
si des bulles financières se sont ajoutées au cours de ces
dernières années.
Nous n'avons pas non plus retenu un scénario à la mexicaine,
où après un ajustement brutal et rapide, on repart
immédiatement dans le même sens et avec la même
intensité.
Nous avons adopté un scénario médian avec une phase
d'ajustement de deux-trois ans et ensuite, le retour à une croissance
vigoureuse, c'est-à-dire que nous continuons à penser que ces
pays ont trouvé le secret d'une croissance saine, sur la longue
période, même si les marchés financiers sont venus
perturber, par des bulles intempestives sur les marchés boursiers et
financiers, la vigueur de leur croissance.
La crise asiatique a des effets particulièrement importants au Japon. Le
Japon a connu une année 1997 médiocre, un taux de croissance de
0,1 point en glissement malgré des taux d'intérêt faibles
et la chute du yen. Le Japon a trop écouté certains
économistes qui disaient : " Réduisez massivement
vos déficits publics et la demande privée repartira ". En
fait, la restauration du solde public a pesé très lourdement sur
la croissance et en 1998, la crise asiatique va le frapper à plein.
Cette crise asiatique a des impacts de fragilisation du secteur bancaire
japonais et à l'avenir sur le moyen terme, nous prévoyons une
croissance extrêmement faible du Japon avec le maintien d'un taux de
chômage important pour ce pays, avec des salaires qui vont augmenter
moins vite que la productivité du travail, donc une consommation qui
sera très peu vigoureuse. En même temps, l'investissement ne sera
pas porteur, car le Japon connaît une crise de suraccumulation et de
manque de rentabilité. Le Japon a accumulé massivement mais ne
réussit plus à rentabiliser un taux d'investissements massif.
Enfin, tout au long de la période, le Japon continuerait à
pratiquer une politique budgétaire restrictive parce que c'est son
programme à moyen terme et qu'il entend préparer le
vieillissement de sa population. Donc, tout au long de la période, le
Japon serait une zone de croissance extrêmement faible.
Passons maintenant aux Etats-Unis. La demande intérieure est
restée jusqu'à présent extrêmement vigoureuse, mais
malgré tout, nous prévoyons un net ralentissement en 1998 et
1999.
Ce net ralentissement aurait trois composantes : d'abord la crise
asiatique ; par ailleurs, il faut voir que le dynamisme de la consommation
aux Etats-Unis est tout à fait particulier : il s'explique par les
plus-values boursières. Les ménages américains ont
réalisé des plus-values boursières fabuleuses qui leur
évitent de faire un effort d'épargne et du coup, ils peuvent
consommer plus. En même temps, les fonds de pension ont besoin de moins
de cotisations puisque la Bourse fait monter automatiquement leur richesse.
Le dynamisme américain repose donc sur la croissance de la Bourse.
Comme l'a dit Philippe Sigogne, " les arbres ne montent pas jusqu'au
ciel " ; nous avons donc fait l'hypothèse qu'au cours de
l'année 1998, soit spontanément, soit avec une petite impulsion
de la politique monétaire, la Bourse américaine
descendrait ; nous ne prévoyons pas un krach mais une fin de la
croissance, une décrue des cours boursiers, ce qui provoquerait une
hausse du taux d'épargne, qui réduirait fortement le taux de
croissance américain.
Le troisième élément est la question des taux
d'investissement aux Etats-Unis.
Si vous vous reportez au graphique 15 (page 50 de l'annexe) vous voyez que le
taux d'investissement aux Etats-Unis a augmenté de façon
très importante sur la période récente.
Le problème est qu'il y a deux manières de lire ce taux
d'investissement suivant qu'on le lit en volume ou selon qu'on le lit en
valeur, la différence entre les deux étant le fait que
l'équipement américain se fait de plus en plus en machines
extrêmement perfectionnées (ordinateurs, etc.) dont, dans la
comptabilité américaine, le prix relatif diminue de façon
importante, de sorte que le taux d'investissement en valeur augmente beaucoup
moins vite que le taux d'investissement en volume.
Si l'on regarde le taux en volume, on voit que les Américains ont fait
un effort extrêmement important d'investissement dans la période
récente. Nous avons considéré que cet effort se
stabiliserait dans l'avenir ; cela suffit à faire que les deux
éléments particuliers qui ont impulsé la croissance aux
Etats-Unis (la consommation des ménages et l'investissement des
entreprises) connaîtraient un certain ralentissement.
A moyen terme, la croissance aux Etats-Unis est proche de sa croissance
potentielle, soit 2,4 %, avec un taux de chômage qui se maintient
à peu près au niveau du taux d'équilibre, de 5,7 %.
Il y a une incertitude dans notre prévision, qui est le problème
de la productivité du travail : on a le choix entre deux
scénarios. Celui que l'on a retenu consiste à dire qu'il n'y a
pas de miracle de la productivité aux Etats-Unis. Malgré ces
investissements importants en technologie nouvelle, il n'y a pas encore de
brutale rupture de la productivité du travail qui reste à
1,4 % l'an, dans notre prévision.
On a écarté un scénario plus optimiste qui nous dirait que
les Etats-Unis sont passés dans un nouvel âge et vont maintenant
avoir durablement une croissance de la productivité plus importante.
C'est là un point dont on pourra éventuellement discuter.
L'Europe devrait connaître une croissance vigoureuse en 1998-99. Il y a,
bien sûr, la baisse des taux d'intérêt et la fin des
politiques restrictives en Europe. En 1997, il y a une impulsion
budgétaire restrictive dont le total représentait 1,1 % du
PIB européen. En 1998-99, la plupart des pays vont relâcher leurs
efforts et la politique budgétaire va devenir neutre.
Si l'on regarde maintenant la situation des différents pays, on voit que
huit des pays européens connaissent déjà une forte
croissance de leur demande intérieure et dans la plupart de ces huit
pays européens, leur croissance est actuellement freinée par la
contribution externe. Comme ce sont des pays en forte expansion, ils importent
plus qu'ils n'exportent.
Deux pays combinent les deux avantages, c'est-à-dire qu'ils font
à la fois des gains à l'extérieur et ont une demande
intérieure vigoureuse : il s'agit de l'Irlande et de la Finlande
qui ont des situations très particulières.
Il y a six pays européens où la demande intérieure n'est
pas encore repartie avec vigueur en 1997. Parmi ces pays, cinq ont quand
même eu une croissance satisfaisante en 1997 en s'appuyant sur la demande
extérieure, donc en " mangeant " un peu la demande
intérieure des partenaires et en profitant de l'appréciation du
dollar.
Un pays a perdu sur les deux tableaux : faible demande intérieure
et des gains importants à l'exportation : c'est l'Italie, car
l'Italie a pratiqué une politique budgétaire restrictive et a vu
son taux de change s'apprécier.
L'hypothèse que nous avons retenue ici, compte tenu des informations
conjoncturelles dont nous disposons, c'est que la situation va se
dégeler en 1998. En France, c'est déjà le cas, mais on a
fait l'hypothèse d'après les enquêtes de conjoncture, que
ce sera également le cas en Allemagne et en Italie. L'Italie et
l'Espagne bénéficieront particulièrement en 1998 de la
baisse des taux d'intérêt puisqu'une fois qu'ils seront dans
l'euro, leur taux d'intérêt va se caler dans les taux de
l'ensemble de l'Europe.
Par contre, la baisse du dollar, le tassement de la demande aux Etats-Unis
devraient ralentir quelque peu la croissance en Europe.
Il y a un pays en Europe qui a toujours une conjoncture
différente : le Royaume Uni, qui n'est pas partie prenante de l'UEM
et heureusement, peut-on dire, parce que le Royaume Uni a toujours un
décalage par rapport à l'Europe. Ce n'est pas seulement une
question de politique, mais le Royaume Uni a toujours une conjoncture à
l'américaine, c'est-à-dire qu'il a eu en 1997 une très
forte croissance ; pour freiner sa croissance, il augmente ses taux
d'intérêt alors que l'ensemble des pays européens les ont
baissés. Et on s'attend à ce qu'en 1998-99, il ait un
ralentissement économique quand l'ensemble des pays européens va,
au contraire, connaître une expansion économique. Donc, la
présence du Royaume Uni en Europe compliquerait encore la politique
monétaire.
Si l'on s'intéresse maintenant au problème du moyen terme en
Europe, nous avons dans notre papier commencé par nous interroger sur la
politique budgétaire. Vous savez que les pays européens entrent
dans l'euro de façon limite puisque dix des quinze pays de l'Union
européenne ont des déficits publics supérieurs à 2
points de PIB et onze des pays de l'Union européenne ont des dettes
publiques supérieures à 60 % du PIB.
Il y a donc deux stratégies possibles.
Une première stratégie est celle proposée par l'IME et les
Banques centrales européennes, consistant à dire à tout le
monde, en particulier à la Belgique et à l'Italie :
" Continuez à faire des efforts de manière à
réduire votre dette publique au niveau préétabli que nous
avons déterminé ". Cet objectif obligerait l'Italie, la
Belgique, l'Autriche, les Pays-Bas à poursuivre et accentuer une
politique budgétaire restrictive.
Au contraire, une stratégie qui a plus notre faveur consiste à
dire : " On peut atténuer le caractère restrictif des
politiques budgétaires, on peut se contenter d'attendre de la baisse des
taux d'intérêt, la croissance, l'amélioration des soldes
publics, et ne se lancer dans des politiques budgétaires restrictives
que si il apparaît effectivement des risques de surchauffe
économique, de l'inflation ou du déficit extérieur ".
De toute évidence, ce risque n'existe pas actuellement en Europe.
Si l'on prend, par exemple, l'Italie et la Belgique qui sont les pays les plus
montrés du doigt, ce sont des Etats qui ont en même temps des
excédents extérieurs tout à fait importants.
La politique économique qui figure dans notre prévision est une
politique médiane, c'est-à-dire que nous avons fait
l'hypothèse que tout au long de la période, les pays
européens continueraient à pratiquer des politiques de
dépenses restrictives, les dépenses publiques augmenteraient
nettement moins vite que le PIB et du coup, les déficits se
réduiraient progressivement, mais il y aurait une impulsion
budgétaire de l'ordre de 0,3 à 0,4 point du PIB chaque
année dans l'ensemble de l'Europe. Dans toute l'Europe, on
connaîtrait une croissance de l'ordre de 2,5 % par an ;
l'inflation resterait maîtrisée.
Un point important et problématique est celui de la croissance de la
productivité du travail. Selon notre projection cette croissance
resterait modérée en Europe, de l'ordre de1,8 à 1,5 selon
les pays. Cette croissance modérée de la productivité du
travail aurait deux conséquences : une à court terme
favorable, c'est-à-dire que l'on pourrait résorber relativement
favorablement le chômage en Europe, en particulier la France aurait un
taux de chômage de 9,7 % en 2005, donc une amélioration
sensible, mais à moyen terme, cette modération limiterait la
croissance possible du salaire réel compatible avec la stabilité
de l'inflation. En fin de période, dans des pays comme l'Allemagne, la
France, la Grande Bretagne, on serait pratiquement au taux de chômage
naturel. Le point un peu triste pour la France est qu'avec 9,7 %, on
serait pratiquement au taux de chômage naturel, c'est-à-dire que
les salaires réels augmenteraient de 1,5 %, ce qui serait à
peu près le taux de la productivité du travail. Il serait
difficile d'aller au-delà.
Pour terminer, je voudrais dire quelques mots du tableau 6 (page 132 de
l'annexe) qui représente l'évolution des balances courantes
à l'échelle mondiale.
Selon notre projection, la polarisation persisterait entre l'Europe et le
Japon, qui demeureraient des zones excédentaires, et les Etats-Unis qui
resteraient une nation déficitaire.
En revanche, certains pays en voie de développement tireraient mieux
leur épingle du jeu et bénéficieraient de financements
plus importants. Selon nous, ce serait le cas notamment pour toute la zone
d'Europe de l'Est qui, du coup, pourrait retrouver une croissance
satisfaisante. Nous avons également fait l'hypothèse que les
capitaux reviendraient en Asie du Sud-est.
Pour conclure, notre projection est cette année relativement optimiste.
Nous faisons l'hypothèse que la crise asiatique ne sera qu'un incident
de parcours.
Nous écartons l'hypothèse où tous les capitaux auraient
durablement un comportement de reflux vers la qualité,
c'est-à-dire qu'ils refuseraient dorénavant d'investir dans les
pays émergents, ce qui aurait un effet récessif à
l'échelle mondiale.
Nous avons maintenu des taux d'intérêt réels relativement
bas à l'échelle mondiale et en même temps, nous avons fait
l'hypothèse que l'UEM sera un succès, en ce sens que la
croissance sera suffisamment vigoureuse pour que le pacte de stabilité
n'ait pas à jouer, donc qu'il n'y aura pas de tension politique en
Europe.
Nous avons fait l'hypothèse que les finances publiques
s'amélioreront grâce à la baisse des taux
d'intérêt, à une croissance vigoureuse et que les pays
auront la sagesse d'éviter des mesures trop rigoureuses.
Enfin, nous avons fait l'hypothèse que l'euro ne sera pas une monnaie
trop forte.
Dans ces conditions, l'Europe connaîtrait une lente décrue de son
taux de chômage.
Je vous remercie.
•
Commentaires de M. Stephen POTTER, Directeur au Département
des Affaires économiques de l'Organisation de coopération et de
développement économique (O.C.D.E.).
Merci. Monsieur le Président, Messieurs les Sénateurs, Mesdames,
Messieurs, je suis très heureux et honoré de participer
aujourd'hui à ce colloque.
Je remercie les auteurs. Il est très clair qu'énormément
de travail a été fait pour produire ces documents.
Malheureusement, je n'ai pas pu les étudier suffisamment. Je m'excuse
donc d'avance si je dis de choses qui ne sont pas justifiées en ce qui
concerne le contenu des papiers.
Quelques mots d'abord sur la situation à court terme.
A L'OCDE, les prévisions que l'on fait en ce moment ne sont pas
très différentes de celles qu'on vient de voir exposées. A
court terme, on a un peu plus de croissance aux Etats-Unis et un peu moins au
Japon, mais le tableau de l'économie mondiale est très similaire.
En fait, ayant discuté récemment avec des prévisionnistes
nationaux, il me semble qu'il y a très peu de différence en ce
moment dans les appréciations qui sont faites. Il y a un grand
consensus, ce qui est peut-être inquiétant. Cela concerne aussi
les analyses faites de la crise asiatique, qui est le nouvel
élément qui affecte la situation depuis les six derniers mois. On
arrive à des effets de la crise de l'ordre de 1 % du PIB des pays
de l'OCDE et on trouve qu'il y a des facteurs qui vont dans l'autre sens,
surtout des taux d'intérêt plus bas que prévu, et la baisse
du prix du pétrole et des matières premières.
Cela signifie qu'en fait, les révisions des prévisions que l'on a
faites depuis six mois ne sont pas énormes, de l'ordre de 0,5 % du
PIB pour la zone de l'OCDE. Ce 0,5 % est concentré au Japon et en
Corée. Pour l'Europe et pour les Etats-Unis, on a très peu
révisé nos prévisions depuis six mois.
J'ai dit qu'il y a un grand consensus sur les effets, mais en fait, les marges
d'incertitude autour de ces effets sont beaucoup plus grandes que la
différence qui existe entre différentes analyses.
Tout le monde suppose une stabilisation des marchés financiers, une
absence de contagion vers d'autres pays émergents et surtout on a
écarté une dépréciation en Chine ou à
Hongkong qui risquerait de beaucoup changer l'appréciation que l'on
pourrait faire de la zone Asie.
On pourrait aussi s'inquiéter des effets possibles en Russie parce que
les marchés financiers y sont encore très fragiles et avec la
baisse du prix du pétrole, les finances publiques sont dans un
état encore pire qu'on le pensait il y a quelques mois.
En ce qui concerne donc le court terme, je dirais " d'accord ", mais
les incertitudes sont très grandes. Pour l'instant, le choc que l'on a
en face de nous, qui vient de l'Asie, semble être moins important que les
chocs que l'on a connus pendant les vingt dernières années, mais
à l'époque, on a sous-estimé les effets de ces
chocs ; il ne faut donc peut-être pas être trop optimiste
quand même.
Pour passer au moyen terme, je dois dire que j'ai été un peu
perplexe en voyant le titre de votre papier :
" Mondialisation,
triomphes et périls "
, parce que je ne vois pas la discussion
de ces sujets dans le document. Dans les deux premières pages, on parle
un peu des risques possibles, mais je ne vois pas en quoi la mondialisation a
influencé vos réflexions. Il serait peut-être
intéressant d'explorer un peu ce point.
On peut considérer que c'est une hypothèse de base et il serait
intéressant d'explorer différentes variantes des simulations par
rapport à cette
baseline
comme on dit en anglais. Je vous
encourage à faire des simulations dans ce sens.
Ceci n'est pas vraiment une critique. Si l'on faisait des projections à
moyen terme, on ferait la même chose et l'on aboutirait à des
chiffres que l'on pourrait caractériser de " sages ". Il me
semble que ce sont des projections sages ; on n'inclut pas de choc ou de
mauvaise nouvelle.
Je suis donc d'accord : on peut décrire ces projections comme
étant relativement optimistes. Les risques vont donc pratiquement tous
dans le même sens. Il est difficile d'imaginer un meilleur
résultat que celui indiqué par ces projections.
Concernant les différents éléments des projections
à moyen terme, je serais d'accord avec votre analyse des Etats-Unis.
Nous aussi hésitons à adopter des thèses " new
age " tout en reconnaissant que la performance des années
récentes a été très bonne.
Je suis également d'accord sur le fait que l'on peut penser que le
déficit externe n'est pas soutenable, mais on le dit depuis très
longtemps ! On ne peut pas prévoir à quel moment il y aurait
une discontinuité.
En fait, c'est moins insoutenable que les déficits que l'on a vus il y a
une dizaine d'années parce qu'il n'y a plus le problème des
déficits jumeaux. Le déficit budgétaire a disparu, le
budget est équilibré, mais il est vrai qu'il y a aux Etats-Unis
un problème d'épargne et qu'il faudrait peut-être que le
budget soit excédentaire pour que la situation devienne plus soutenable.
A mon sens, le Japon est l'élément le plus inquiétant dans
ces projections et dans l'économie mondiale parce que ce n'est pas une
simple récession que l'on observe au Japon, mais vraiment une
dépression. A court terme, la situation pourrait être encore plus
faible que dans les projections.
Nous pensons qu'il faut maintenant un paquet de mesures complètes pour
traiter les problèmes du système financier, pour
accélérer la déréglementation de l'économie
japonaise et pour donner un peu de stimulus budgétaire, pour
démarrer l'économie.
Il n'est pas du tout sûr que l'on aura tout cela parce que le
Gouvernement japonais semble " tétanisé " en ce moment.
Je me demande donc si la projection que vous proposez est vraiment possible
pour le Japon. Est-ce soutenable ? Pourquoi y a-t-il une reprise
faible ? N'y a-t-il pas un risque que le yen déprécie
beaucoup plus avec le genre de scénario que vous esquissez pour le
Japon ?
Les résultats les plus probables me semblent être une reprise via
l'exportation avec un yen plus faible, s'il n'y a pas tout ce paquet de mesures
que l'on peut considérer comme nécessaires maintenant au Japon.
Pour l'Europe, j'ai essentiellement quelques questions à proposer.
Vous dites que l'Union monétaire est un succès. Oui, mais en
fait, l'Union n'est pas vraiment testée dans vos projections. Cela
démarre à un bon moment, où toutes les conditions sont
réunies pour quelques années d'expansion un peu partout.
L'ajustement budgétaire est derrière nous maintenant, mais enfin,
le test aura lieu quand il y aura des chocs ou de mauvaises nouvelles (absentes
ici).
Je vois à travers ces papiers peut-être des différences
d'appréciation sur le degré de synchronisation des pays de
l'Union.
Il est vrai que dans la période récente, si on regarde les taux
de croissance, il y a une forte synchronisation, illustrée dans un des
graphiques.
Si l'on considère les niveaux d'activité, c'est peut-être
moins le cas. Et l'encadré que vous avez sur la règle de Taylor
montre qu'en fait les besoins en matière de politique monétaire
sont un peu différents à l'intérieur de l'Union. Les
petits pays de la périphérie sont en général plus
avancés dans le cycle que les trois grands pays, France, Allemagne,
Italie, et le début de l'Union sera peut-être un peu plus
difficile que vous ne l'indiquez.
L'Union a-t-elle un effet sur les projections ? Pensez-vous que la
croissance sera plus rapide, ou l'inflation plus basse, à cause de
l'Union monétaire ?
Il est frappant que vous fassiez la projection de l'Europe, même à
l'horizon 2005, en prenant des pays individuels et en les additionnant ;
à quel moment faut-il modéliser l'Europe, la zone des Onze ?
Si on fait référence à l'expérience de
l'unification allemande, pendant deux ans environ, on a continué
à faire des projections des deux parties de l'Allemagne puis les
Allemands ont considéré que ce n'était plus possible.
M. Henri STERDYNIAK-
Nous continuons à faire des projections sur
l'Allemagne à deux parties !
M. Stephen POTTER.-
D'accord...
(rires)
Les différences entre les taux de chômage dans les pays sont
frappantes au bout de huit ans, surtout entre la France et l'Allemagne. Peut-on
considérer que les taux de chômage que l'on a en fin de
période sont essentiellement les taux structurels, les taux
naturels ? On pourrait considérer que l'Allemagne a eu des
problèmes structurels plus sérieux que la France.
Finalement, vous montrez des soldes courants pour l'année 2005. Est-ce
un concept encore intéressant ? Les statistiques vont-elles exister
pour les soldes courants en 2005 ? Personne ne sait ce qu'est le solde du
Texas ou de l'Arizona !
Merci.
•
Discussion
M. René RÉGNAULT, Président
.- Merci, Monsieur
Potter ; vous avez tous compris qu'il s'exprimait au nom de l'OCDE,
où il occupe des fonctions de Directeur des affaires économiques.
Donc, même si c'est aussi son sentiment personnel, on peut tout de
même penser aisément qu'il ne s'était pas
complètement départi de sa responsabilité au sein de
l'organisme.
Je voudrais le remercier doublement parce qu'il nous a fait la gentillesse de
s'exprimer en français.
Nous allons poursuivre par une petite discussion à partir des questions
que vous poserez, mais je donnerai auparavant la parole à Monsieur le
Commissaire.
Au titre des questions, autorisez-moi à prolonger l'une de celles de M.
Potter tout à l'heure, qui s'est montré préoccupé
des différences des niveaux du chômage atteints dans les pays de
l'Union monétaire et qui vous demandait en quelque sorte, Monsieur
Sterdyniak, de nous expliquer comment vous arriviez à cela.
J'ai moi aussi la même question pour la France et cela me conduit
à vous demander : quels sont les éléments que vous
avez pris en compte appartenant en propre ou spécifiquement à
chacun des pays ? Je vais être plus concret en disant :
avez-vous fait quelques essais, à défaut d'être allé
plus loin, en prenant en compte les dernières mesures du Gouvernement de
la France en matière d'action en direction de la résorption du
chômage ? Je pense aux 35 heures ou à des actions comme les
politiques pour les jeunes. Pourquoi ? Parce que vous dites aussi dans
votre rapport que le redémarrage de la croissance se nourrit de la
reprise de la demande intérieure qui, elle-même, se nourrit de la
réduction du chômage.
Voilà l'objet de cette question.
J'en aurais une seconde, si vous me permettez...
Votre projection retient l'hypothèse que les politiques
économiques en Europe seraient plus favorablement augmentées
qu'au cours des années 1990 et vous dites avec insistance que cela
permettrait le retour vers un sentier de croissance de l'ordre de 2,3 %
par an, qui demeure cependant insuffisant pour résorber
significativement le chômage que nous connaissons. Ce faisant, l'Europe
ne retrouverait pas les capacités de croissance perdues au cours des
années 1990. Autrement dit, le potentiel de croissance à moyen
terme de l'Europe est-il limité à 2,3 % par an, ou, au
contraire, ne peut-on considérer que l'Europe a des capacités de
croissance non inflationnistes supérieures à ce que décrit
la projection, ce qui lui permettrait de rattraper, en partie au moins, la
croissance perdue entre les années 1992 et 1997 ?
Peut-on espérer l'enclenchement et l'amplification d'un cercle vertueux,
au travers et à partir de l'Union monétaire, basée sur la
confiance des agents économiques, tel que viennent de le connaître
les Etats-Unis, ou même tel que l'a connu l'Europe à la fin des
années 1980, plus particulièrement 1986 à 1990, en quelque
sorte un mouvement symétrique de celui des années 1991 à
1997 ?
Merci des réponses que vous apporterez tout à l'heure à
quelques unes des questions posées.
Je me tourne vers la salle.
Monsieur François Trucy m'avait fait signe avant la suspension de
séance...
M. François TRUCY, Sénateur.-
Ma question s'adressait
à MM. Sterdyniak et Sigogne, parce que dans les propos qu'ils ont
développés tout à l'heure, j'ai cru trouvé d'abord
une information que le Président Régnault ne tardera pas à
transmettre au Gouvernement, à savoir que la situation serait
extrêmement favorable et qu'il pouvait ralentir sa rigueur et prodiguer
moins de vertu dans la préparation budgétaire. Ai-je vraiment
bien compris cela puisque vous avez cité l'exemple d'une Italie qui paye
des deux côtés ces efforts-là ; vous incitez donc le
Gouvernement à faire un budget 1998 beaucoup plus souple, voire
même un budget 1999 détendu. Ou ai-je mal compris, parce que, tout
de même, nous sommes arrivés à remplir les contraintes de
l'euro très péniblement, avec même des ressources un peu
exceptionnelles (France Télécom, etc.) et comme M. Dominique
Strauss Kahn ne parle pas beaucoup de privatisation et d'ouverture de capital
supplémentaires, on ne voit pas d'où viendraient les ressources
considérables pour faciliter le maintien dans les limites des
critères de l'euro ?
Je ne suis donc pas sûr d'avoir bien compris.
M. René RÉGNAULT, Président.-
Merci, Monsieur Trucy.
Y a-t-il d'autres questions dans la salle ?
Il semble que ce ne soit pas le cas ; je passe donc la parole à
Monsieur le Commissaire.
M. Jean-Michel CHARPIN, Commissaire au Plan
.- J'ai été
très frappé par le fait que les raisonnements qui nous ont
été présentés donnent, en ce qui concerne l'Asie et
les Etats-Unis, un rôle considérable aux prix d'actifs. Du
côté du Japon, la phase de récession que connaît ce
pays provenait pour une large part de la déflation des prix d'actifs,
tant en matière boursière qu'immobilière, qui a suivi la
phase de bulle spéculative des années 1980. Dans la crise
actuelle du sud-est asiatique, les prix d'actifs jouent clairement un
rôle considérable et dans la croissance très forte que l'on
constate aux Etats-Unis, Henri Sterdyniak nous a bien montré qu'elle
procède largement du dynamisme de la demande privée,
elle-même alimentée par les plus-values boursières
très importantes qui ont été engendrées par la
montée de la Bourse.
Tous ces raisonnements me paraissent tout à fait valides.
J'en tire néanmoins quelques interrogations pour ce qui concerne
l'Europe. Les plus-values boursières ont en effet été
considérables aussi en Europe et en France.
En France, depuis environ deux ans, la montée de la Bourse a
été exceptionnellement forte ; on sait que depuis le
début de l'année, le phénomène s'est encore
accéléré, on pourrait presque dire
" emballé " et la Presse titre ce matin sur le fait que la
capitalisation boursière de la Place de Paris atteint 5 000
milliards. L'augmentation a été, si on la mesure avec le CAC 40,
de 30 % depuis le début de l'année. Il suffit de faire des
règles de trois pour s'apercevoir que tout cela constitue en plus-values
potentielles des pourcentages extrêmement considérables du PIB et
du revenu disponible des ménages.
D'où un certain nombre de questions :
Premièrement, dans l'évolution de la conjoncture
européenne déjà constatée, quelle part peut-on
affecter à ces phénomènes de prix d'actifs ?
Deuxièmement, dans les développements à venir de la
conjoncture européenne et française, que peut-on penser de la
façon dont ces plus-values boursières considérables vont
jouer sur le comportement des ménages, au niveau de l'épargne et
de la consommation ?
Enfin, dans quelle mesure pensez-vous que dans l'ensemble du monde, mais aussi
pour ce qui concerne la future Banque centrale européenne, les
autorités monétaires doivent tenir compte, dans la
détermination de leur politique monétaire, de ces mouvements de
prix d'actifs ?
M. René RÉGNAULT, Président
.- Merci, Monsieur
Charpin.
Je vais maintenant donner la parole à M. Joël Bourdin qui, par
ailleurs, mais ce n'est pas sa seule qualité, est aussi le
Président de l'Observatoire des Finances Locales.
M. Joël BOURDIN, Sénateur
.- Mais ce n'est pas sur ce
sujet-là que j'interviendrai !
M. René RÉGNAULT, Président
.- Je sais bien, mais
vous êtes un observateur et on sait ô combien pertinent !
M. Joël BOURDIN, Sénateur
.- Merci, Monsieur le
Président.
J'ai entendu avec beaucoup d'intérêt les rapports qui nous ont
été présentés et j'en remercie les auteurs parce
que c'est effectivement une somme qui nous a été
distribuée.
En entendant quelques commentaires, je me pose une question qui concerne les
Etats-Unis : je ne sais plus qui parmi les interlocuteurs a dit que
même les arbres ne montent pas jusqu'au ciel ; c'est un adage bien
connu de la Bourse...
M. René RÉGNAULT, Président
.- C'était M.
Sigogne.
M. Joël BOURDIN, Sénateur
.- J'ai entendu aussi que vous
évoquiez en ce qui concerne l'économie américaine, un
effet qui d'ailleurs a été très bien analysé par
les théoriciens de l'économie en d'autres temps, qui est l'effet
de richesse, en disant que les ménages américains consomment en
se finançant en quelque sorte sur les plus-values boursières. Il
y a sans doute un corollaire à cela, qui est que les ménages
américains doivent continuer à s'endetter.
Ma question est celle-ci : comme la Bourse n'ira pas jusqu'au ciel et
qu'un jour, il y aura un renversement, quand les ménages se seront
encore plus endettés et qu'ils ne pourront plus puiser dans leurs gains
financiers, que deviendra l'économie américaine ? Ne peut-on
pas craindre des jours noirs, pas simplement à la Bourse, aux
Etats-Unis, avec les conséquences que cela pourrait avoir dans nos
pays ?
M. René RÉGNAULT, Président
.- Je vous remercie. Y
a-t-il d'autres questions ?
M. José BALARELLO, Sénateur
.- Traditionnellement,
l'économie française a été portée par
l'immobilier, parce que la plupart des Français ont des origines
paysannes, qui ont été échaudés d'ailleurs par des
phénomènes comme l'emprunt russe, etc. Donc, pendant un certain
nombre d'années, on a considéré la Bourse comme tabou et
les Français ont investi dans l'immobilier, ce qui a d'ailleurs fait
marcher le BTP et l'ensemble de l'économie.
Or depuis quelques années, il y a un retour vers la Bourse ;
avez-vous mesuré l'influence de l'engouement pour la Bourse et de la
chute de l'immobilier ? Y a-t-il dans votre esprit une certaine
corrélation ? Avez-vous envisagé une étude sur cette
question ?
M. René RÉGNAULT, Président
.- Merci, Monsieur
BALARELLO.
S'il n'y a pas d'autre question, je vais me tourner vers ceux qui se sont
sentis un peu plus interpellés que les autres par les questions
posées.
M. Henri STERDYNIAK, Directeur-adjoint au Département d'Analyse et de
Prévision de l'Observatoire français des conjonctures
économiques (OFCE)
.- Concernant la politique de l'emploi en France,
nous avons pris en compte les mesures pour l'emploi des jeunes, telles qu'elles
ont été décidées par le Gouvernement (les 350 000
emplois jeunes). Par contre, en ce qui concerne la mesure de réduction
de la durée du travail, nous ne l'avons pas incorporée dans le
compte central ; elle figure en variante, dans le document
présentant la projection à moyen terme.
Nous avons fait avec le modèle MIMOSA une variante dans laquelle nous
avons supposé que la loi sur les 35 heures était votée
dans la forme qu'elle avait actuellement à l'Assemblée Nationale
et qu'elle était mise partiellement en application, c'est-à-dire
que nous avons fait l'hypothèse, certes contestable, que 70 % des
entreprises passaient aux 35 heures. Le tableau 19 (page 165 de l'annexe) en
donne les conséquences pour l'économie française ;
pour des raisons de déontologie, ce sont les conséquences telles
qu'elles sortent directement du modèle.
L'impact à l'horizon 2005 est de 1 point de chômage en moins, le
PIB n'étant pratiquement pas affecté. Il y a une période
transitoire qui est relativement favorable en ce sens que la baisse du
chômage incite les ménages à consommer plus et à
acheter plus de logements, ce qui relance l'activité, mais cet effet
transitoire s'estompe. Donc, à terme, il y a simplement un effet partage
du travail et le taux de chômage est plus bas de 1 point.
M. René RÉGNAULT, Président
.- S'agit-il d'1 point
de croissance ou d'1 point de chômage ?
M. Henri STERDYNIAK
.- Il y a 1 point de chômage en moins par
rapport à ce qui figure dans le compte central. Vous pouvez le prendre
ou ne pas le prendre selon que vous croyez ou non à l'impact de ces
mesures.
En ce qui concerne la croissance potentielle, nous avons en Europe et en France
une croissance potentielle de l'ordre de 2,5 % l'an ; il faut voir
que l'Europe a été frappée d'un choc majeur, qui est le
ralentissement de la productivité du travail. Naguère, la
productivité du travail croissait au rythme de 4 % l'an ; on
est actuellement dans des taux de l'ordre de 1,5 % l'an. Avec un tel
ralentissement, les possibilités de croissance potentielle sont
naturellement affectées.
On peut évidemment penser qu'une partie importante du ralentissement de
la productivité du travail vient du ralentissement de la croissance
elle-même ; la productivité du travail repartira
peut-être à la hausse si l'on a plus de croissance ; un
certain nombre de mesures qui réduisent la croissance de la
productivité du travail sont plus ou moins réversibles, mais le
plus probable actuellement, compte tenu de notre degré de connaissance,
est de dire que ce ralentissement du progrès technique est durable, donc
que la croissance est durablement plus faible.
Reste que nous avons un écart de 5 ou 6 points à combler ;
le fait est que, compte tenu des comportements de salaires qui figurent en
France et en Allemagne dans le modèle, les politiques économiques
ne peuvent pas faire n'importe quoi. Le développement de la croissance
se fait donc progressivement. Petit à petit, l'investissement repart
ainsi que la consommation. Cela a des effets vertueux puisque la baisse du
chômage fait que les ménages sont confortés dans la baisse
du taux d'épargne et à moyen terme, on rejoint en 2005 une
situation où la productivité du travail augmente comme les
salaires réels ; on aura peut-être à ce
moment-là une heureuse surprise : soit que la productivité
du travail augmente plus rapidement, soit que les processus de formation des
salaires soient modifiés. Mais dans l'état actuel des choses, on
en est resté à cette vision raisonnable.
En réponse à M. le Sénateur Trucy sur la question de la
rigueur budgétaire, il faut voir que l'Europe a connu une rigueur
budgétaire extrêmement forte de 1992 à 1997, dans une
période de faible croissance et de taux d'intérêt
élevés par rapport à cette faible croissance.
Nous avons fait l'hypothèse que cette rigueur s'atténuerait.
D'ailleurs, si l'on regarde la plupart des pays, on ne poursuit pas en 1998 le
surcroît de rigueur que l'on s'est imposé de 1996 à 1997.
Cela ne veut pas dire qu'on revient en arrière, mais que l'on reste au
degré de rigueur qui a été atteint. Donc, le fait de
passer d'une impulsion négative à une politique budgétaire
neutre a, en différence, un effet favorable sur la croissance. Si
effectivement, on a une croissance un peu vigoureuse et pas de remontées
rapides des taux d'intérêt, on s'apercevra alors qu'un certain
nombre de pays sont allés trop loin dans la rigueur. Cela dégage
donc un peu de marge de manoeuvre qui sera bienvenue pour la croissance
à venir.
En ce qui concerne la mondialisation, on peut effectivement estimer que nous
n'en faisons pas assez, que nous restons prisonniers de pratiques
archaïques, qui consistent à faire des prévisions par pays.
Nous tenons compte des interactions (interactions commerciales et interactions
par les flux de capitaux), mais nous n'avons pas encore une vision
intégrée mondiale ou même européenne du
développement économique. Pour nous, c'est conforté par le
fait qu'il existe encore des conjonctures nationales en Europe. La situation
italienne en 1997 par exemple est très différente de la situation
finlandaise ou irlandaise et ce serait masquer le réel que de dire que
l'on peut d'ores et déjà faire des prévisions à
l'échelle européenne. Les problèmes de politique sociale,
de politique budgétaire, de fiscalité, etc. restent encore
extrêmement nationaux. Nous ne faisons donc pas le pas qui consisterait
à faire directement des projections européennes, qui n'auraient
aucun sens et qui nous écarteraient complètement du vécu.
La vie politique, la vie économique continuent actuellement en Europe
à se faire dans un cadre national.
En revanche, on essaye de tenir compte au mieux de cette mondialisation. Par
exemple, nous ne pensons pas que des pays pourraient se lancer dans des
politiques trop inflationnistes en Europe, parce qu'ils savent très bien
qu'ils en seraient sanctionnés par des pertes de
compétitivité, qu'ils ne pourraient pas corriger par des
politiques de change.
Effectivement, un des problèmes que nous avons est la disparité
des situations en Europe qui apparaît de façon évidente en
1998-99. Les taux d'intérêt qu'il faut pratiquer dans le nord ou
le sud de l'Europe diffèrent, le taux d'intérêt espagnol ne
devrait pas être égal au taux d'intérêt allemand.
Pourtant, ce sera le cas en 1999 ; on va donc entrer dans une situation
difficile où l'instrument unifié va devoir gérer des
situations différentes et ce sera la politique budgétaire qui
devra réguler de manière fine la conjoncture dans les
différents pays alors que cette politique budgétaire n'est pas
coordonnée à l'échelle européenne.
On voit donc que l'on a une source potentielle de conflits et de
difficultés sur laquelle on ne s'est pas appesanti ici ; nous avons
publié au début de l'année une lettre sur les questions de
l'UEM dans laquelle on avait abordé ces questions ; on ne l'a pas
reprise ici.
Un point important à l'avenir est que les besoins de croissance
seront différents en Europe. La France a un taux de croissance de la
population active qui est, sur le moyen terme, de 0,5 % l'an. L'Allemagne
a une croissance de la population active nulle. Ce qui veut dire que
l'Allemagne a un besoin de croissance, toutes choses égales par
ailleurs, inférieur de 0,5 point par an ; cela signifie que sur
huit ans, si la France et l'Allemagne ont le même taux de croissance, il
y a 4 points d'écart de chômage entre la France et l'Allemagne.
C'est une question qui devrait être réglée à
l'échelle européenne ; il faudra que certains pays aient
plus de croissance que les autres.
M. Olivier PASSET va nous dire quelques mots sur le Japon...
M. Olivier
PASSET, économiste à l'OFCE
.- Sur
le Japon, je suis tout à fait en accord avec ce qu'a dit M. POTTER,
c'est-à-dire que le scénario spontané est plutôt
très pessimiste et déflationniste. C'est celui que l'on avait
spontanément. Maintenant, il faut incorporer un Etat en crise, qui
intervient probablement par petites touches au lieu de gérer massivement
le problème, ce qui fait que notre scénario s'en ressent,
à savoir que l'on n'est pas allé jusqu'au bout de la logique
budgétaire telle qu'elle est annoncée. Implicitement, on voit
bien que l'on a du mal à maintenir la parité du yen. Donc, ce que
l'Etat n'est pas capable de résoudre, les marchés vont le
résoudre probablement plus brutalement. On risque donc d'avoir un
scénario peut-être plus contrasté sur le Japon,
c'est-à-dire avec un décrochage plus massif de sa monnaie,
peut-être même une remise en cause du régime ou de la
politique budgétaire. Dans ce cas-là, on aura peut-être la
même chose en moyenne que ce que l'on a mis, mais avec quelque chose qui
risque d'être beaucoup plus contrasté.
Par ailleurs, la libéralisation au Japon a été peu
incorporée. Ce que l'on sait, c'est que si une telle politique est
réellement mise en oeuvre, à horizon de la prévision,
c'est un scénario de destruction créatrice qui est plus
destructeur à court terme et même à moyen terme,
c'est-à-dire qu'aligner les prix japonais sur les prix internationaux et
homogénéiser les règles de concurrence, c'est quelque
chose qui n'est pas porteur de croissance à horizon de cinq, six ou sept
ans.
Pour nous, ce n'est pas le canal immédiat de reprise, mais on a des
mécanismes plus simples qui tiennent au décrochage du taux de
change ou à une impulsion budgétaire plus forte.
M. SIGOGNE, Directeur du Département d'Analyse et de Prévision
de l'Observatoire français des conjonctures économiques
(OFCE)
.- J'interviendrai sur des points restés en suspens et qui, en
particulier, traitent du problème du prix des actifs ; peut-on
s'attendre en Europe à une réplique de ce que l'on attend pour
les Etats-Unis ? La remontée de la Bourse en Europe a-t-elle eu le
même type d'incidence sur les comportements de consommation ?
Je ne le crois pas parce que nous ne sommes pas au même stade du
développement économique. La grande différence entre le
comportement américain ou britannique et le comportement du reste de
l'Europe, est que ceci intervient dans un cadre où le chômage est
sensiblement plus élevé et les incitations à s'endetter
ont été jusqu'à présent beaucoup plus faibles de la
part des différents agents économiques. D'une part, les
ménages sont plus précautionneux et, d'autre part, les
entreprises sont dans ce stade de restructuration qui les amène plus
à s'intéresser au désendettement ou aux
opportunités de croissance externe qu'à une réelle
envolée dans les dettes. Nous en sommes encore très loin ;
donc le risque de retour en arrière est beaucoup plus faible.
Si on est optimiste, on peut envisager une certaine déconnexion des
évolutions boursières en Europe et aux Etats-Unis pour les
années à venir parce qu'ensuite, on aura une phase très
porteuse de croissance, qui est dans le scénario une croissance
modérée, mais qui implique tout de même une certaine
utilisation d'un effet de levier. Ceci soutiendra encore ces valeurs
boursières qui sont aujourd'hui portées essentiellement par un
excès de liquidité et pas encore par des perspectives durablement
assises de croissance des rentabilités sur fonds propres.
En ce qui concerne l'immobilier et la Bourse, il y a des liens forts, mais
parfois des divergences considérables. La principale divergence que nous
avons aujourd'hui, notamment si l'on regarde le cas de la France, est que
l'immobilier a été longtemps, comme vous l'avez dit, Monsieur le
Sénateur, porté par le besoin de refuge dans des valeurs
réelles, dans des périodes très inflationnistes. Ces
périodes sont particulièrement néfastes à la Bourse
parce que les opérateurs pensent que lorsqu'il y a de l'inflation, la
capacité des entreprises à maintenir la part de leur profit est
en danger.
Aujourd'hui, nous sommes dans un monde différent où l'immobilier
ne bénéficie plus de cette fuite dans les biens réels et
se trouve relégué au rang d'un actif comme les autres. Le
particulier n'est plus dans la position où il est possible d'envisager
de revendre son logement sans perte, ne serait-ce que par l'existence des
droits de mutation qui, dans un monde sans inflation, représentent un
élément de blocage majeur.
Aujourd'hui donc, les deux éléments sont dissociés, ce qui
n'empêche pas qu'à partir d'une certaine retombée des prix
des actifs immobiliers à un niveau considéré comme
acceptable, la perspective d'un rendement convenable amène effectivement
un retour des transactions, mais là encore, il faudra bien faire la
distinction entre différentes dépenses d'immobiliers, celles qui
sont susceptibles d'être influencées par les mouvements de
capitaux internationaux qui reprendront un rôle important dans les
années à venir ; si l'euro est une zone attractive, comme je
le pense, dans le futur, à ce moment-là, ces segments de
marché seront à nouveau très sollicités. Cela sera
relativement indépendant de l'évolution de la Bourse.
Sur la question des Etats-Unis -crainte de jours noirs, conséquences
chez nous-, ce qui est esquissé dans notre scénario à
moyen terme, c'est finalement l'absence relative de diffusion des
difficultés américaines sur le continent européen.
Nous pensons que si les Etats-Unis ont fait le plein de leurs plus-values
potentielles, s'il n'y a pas un réel " new age ", mais quelque
chose qui représente un retour à un fonctionnement plus normal de
l'économie par rapport aux rigidités qui avaient lieu
antérieurement, l'Europe suit, plus ou moins bien, et avec ses
spécificités propres, le même chemin, et le fait qu'elle
soit décalée d'une dizaine d'années à peu
près par rapport au comportement américain, l'amène
à être autonome dans cette évolution.
Le risque est donc plutôt que l'on soit trop attractif que pas assez, au
moment où les Etats-Unis l'apparaîtraient moins.
M. René RÉGNAULT, Président
.- Merci, Monsieur
Sigogne.
Je pense que les intervenants ont obtenu réponse à leurs
questions.
Y a-t-il d'autres réactions ?
Je vais maintenant considérer que notre discussion est close et passer
à la suite de nos travaux.
Je vais donc donner la parole à M. Jean-Claude Berthélemy, qui
est le Directeur du CEPII.
Si nous connaissons bien au Sénat le CEPII, qui collabore avec notre
Assemblée depuis de nombreuses années, c'est la première
fois que nous avons le plaisir, la chance, d'accueillir
M. Berthélemy, à qui nous souhaitons la bienvenue puisqu'il
vient tout récemment de prendre la Direction de cet organisme.
Monsieur Berthélemy, vous avez la parole.
III - INCERTITUDES ET OPPORTUNITÉS POUR L'ÉCONOMIE MONDIALE
•
M. Jean-Claude BERTHÉLEMY, Directeur du Centre
d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII)
.-
Monsieur le Président, Messieurs les Sénateurs, Monsieur le
Commissaire, Mesdames, Messieurs, je voudrais tout d'abord vous remercier
d'avoir souhaité m'associer au nom du CEPII à cette manifestation
qui, pour le CEPII, a effectivement un double caractère de
nouveauté cette année : le premier est que son Directeur a
changé -vous l'avez mentionné- ; le deuxième est que,
contrairement aux années passées, le scénario de
perspectives de l'économie mondiale qui vous a été
présenté a été confectionné toujours
à l'aide du modèle MIMOSA, qui est notre
copropriété avec l'OFCE, mais l'a été uniquement
par l'OFCE suite à diverses réorganisations internes de nos deux
instituts.
Je dois remercier nos amis de l'OFCE d'avoir accepté d'assumer la
tâche ingrate de la préparation de cette projection à
l'horizon 2005 et d'en avoir exonéré le CEPII ! Ces
remerciements sont tout à fait sincères.
Le fait que le CEPII n'ait pas participé à cet exercice de
projection ne signifie pas, bien au contraire, que nous ayons cessé de
réfléchir à l'avenir de l'économie mondiale.
C'est à quelques réflexions sur ce sujet-là, en essayant
de me placer d'un point de vue de moyen et long terme, que je vais me livrer
maintenant.
Ma communication intitulée " Incertitudes et opportunités
pour l'économie mondiale " portera en fait sur deux points
particuliers, qui me semblent importants parce que nous sommes en train
d'assister à une modification assez radicale de la configuration de
l'économie mondiale. Réfléchir à cette
configuration sera probablement dans les années à venir un
préalable nécessaire à une démarche prospective sur
des projections de l'économie mondiale.
Les deux changements radicaux dont je voudrais vous entretenir sont les
suivants.
Le premier est la réussite hier, c'est-à-dire il y a un an,
quasiment inespérée et aujourd'hui à portée de
main, de la construction de l'Union Economique et Monétaire.
Il me semble et je vais vous indiquer pourquoi de suite, que la construction de
l'UEM va modifier en profondeur le système monétaire
international et pas seulement la vie quotidienne des citoyens européens.
En disant cela, je vais évidemment dans le sens d'un certain nombre de
choses qui ont été dites notamment par M. Potter.
Le second événement dont je voudrais vous parler, qui
n'était pas du prévisible il y a un an, est la crise
asiatique ; la crise asiatique en elle-même n'est évidemment
pas un événement de portée de long terme, comme cela est
d'ailleurs reconnu dans la projection faite avec le modèle MIMOSA, mais
cette crise signifie une fragilité accrue du système financier
international globalisé, et ceci est une préoccupation
très importante que nous devons avoir pour le moyen et le long terme.
Permettez-moi, Monsieur le Président, de développer un peu ces
deux points.
Tout d'abord, l'Union Economique et Monétaire.
Il y a un an, les optimistes pensaient qu'il y aurait quelque six pays
prêts à entrer dans l'UEM au 1
er
janvier 1999.
Maintenant, et sans vouloir préempter les décisions qui seront
prises pendant le week-end du 1
er
mai, nous savons qu'il s'agira de
11 pays. Cela change les perspectives parce que l'UEM va devenir dans
l'économie mondiale, une zone intégrée de poids tout
à fait comparable aux Etats-Unis et nettement plus important que celui
du Japon.
Il me semble que cela constitue une modification assez importante de
l'équilibre des relations internationales qui mérite notre
attention.
Il y a évidemment des conséquences internes à l'Europe,
qui ont déjà été évoquées, notamment
une plus grande stabilité monétaire qui est déjà
internalisée par les marchés. Rappelons-nous qu'après la
crise mexicaine de 1994, il y avait eu un certain nombre d'attaques
spéculatives sur les monnaies européennes. Après la crise
asiatique de 1997, nous n'avons connu aucune de ces attaques. C'est un signe
que les marchés ont compris qu'il y avait maintenant une
stabilité durable des relations monétaires à
l'intérieur de l'Europe.
Le deuxième aspect qui a été amplement souligné
tout à l'heure concernant toujours les Européens eux-mêmes,
a trait à l'assainissement budgétaire.
On peut présenter les choses de deux manières :
- celle de M. Sterdyniak tout à l'heure, c'est-à-dire qu'une fois
que l'effort a été fait, on va pouvoir
l'" arrêter ", en tout cas, on ne va pas avoir de coût
supplémentaire ;
- une façon alternative de présenter les choses consisterait
à dire que maintenant que nos gouvernements ont acquis une grande
crédibilité dans leur politique budgétaire par un
assainissement des finances publiques, nos économies sont dans une bien
meilleure position pour faire face aux défis de l'avenir.
Cet acquis est important, il est à mettre au crédit du
Traité de Maastricht et il ne faut pas le perdre de vue.
Pour ce qui est du système monétaire international, la question
la plus importante que tout le monde se pose concerne évidemment la
stabilité ou l'instabilité future des relations de change,
notamment des relations entre l'euro et le dollar.
Des réflexions sont menées au CEPII et ailleurs sur ce sujet, qui
vont dans différentes directions ; il me semble que l'argument le
plus important à ce sujet consiste à dire que l'euro et le dollar
étant appelés à terme à faire jeu égal dans
le système monétaire international, ni les Etats-Unis, ni
l'Europe ne pourront se permettre ce qu'ont fait les Etats-Unis pendant
très longtemps, c'est-à-dire une politique de " benign
neglect " qui a provoqué les fluctuations que l'on sait de la
parité du dollar par rapport au deutschemark et aux autres monnaies
internationales.
Je crois, mais c'est un pari que je fais sur l'avenir, qu'il y a une
opportunité formidable liée à la création de l'UEM
qui est une opportunité de stabilisation des relations monétaires
internationales à travers une parité euro-dollar qui pourrait
être plus stable que la parité deutschemark-dollar.
Voilà pour les opportunités liées à l'UEM à
onze et dans un avenir probablement proche, à plus.
Quels en sont maintenant les risques ?
Le risque le plus évident, qui a déjà été
souligné tout à l'heure, est celui consistant à avoir une
monnaie européenne qui serait relativement forte. Ce risque est d'autant
plus réel que si l'euro devient une monnaie internationale, et tout
porte à croire que ce sera le cas à terme, il y aura
évidemment une demande d'euro, aussi bien comme monnaie de transaction
que comme monnaie de réserve et cette demande d'euro fera face à
une offre d'autant plus limitée que la zone euro aura, comme cela est
inscrit dans le scénario de l'OFCE, un excédent de balance
courante structurel. Donc peu de sorties d'euro face à la demande d'euro
sur le marché international.
Il ne faut pas toutefois surestimer ce risque ou se tromper de cible.
La première raison est qu'il est possible, me semble-t-il, que les
marchés aient déjà internalisé la création
de l'euro ; on l'a bien vu en tout cas en ce qui concerne la
stabilité des monnaies européennes et si effectivement, il y a
une certaine internalisation de la création de l'euro par les
marchés, cela veut dire qu'une partie de l'effet que je signalais
devrait être déjà inscrite dans les cours du deutschemark,
du franc français et des autres monnaies qui deviendront des euros au
1
er
janvier 1999.
Je ne pense donc pas qu'il y aura de hausse significative de l'euro dès
sa création pour cette raison.
L'autre raison pour laquelle je disais qu'il ne faut pas se tromper de cible,
c'est que finalement, ce qui fera la force de l'euro, c'est l'accumulation
gigantesque des déficits courants américains. Les Etats-Unis,
rappelons-le, sont devenus le plus important débiteur net de la
planète, avec un actif net négatif de 1 500 milliards de
dollars, qui s'accroît à un rythme de 150 à 200 milliards
de dollars par an (d'après les chiffres du scénario MIMOSA qui me
semblent être plutôt une fourchette).
Il y a de bonnes raisons de penser que ceci n'est pas soutenable à long
terme. Cela pèsera peut-être sur le cours du dollar et contribuera
à la force de l'euro, mais cela pourrait créer un danger bien
plus grand encore. Ce risque est celui qui s'est manifesté dans les
années passées quand les Etats-Unis avaient des
préoccupations sur la balance courante, c'est-à-dire un risque de
politique commerciale restrictive, protectionniste de la part des Etats-Unis.
Ce risque est évidemment bien plus grand puisqu'il mettrait en danger le
processus de globalisation.
De ce point de vue, la proposition de Sir Leon Brittan, d'aller vers une zone
de libre-échange transatlantique, qui a beaucoup de défauts, qui
ont été d'ailleurs soulignés à juste titre par les
autorités françaises, aurait au moins le mérite de
permettre aux Européens de prévenir partiellement un tel danger.
C'est une réflexion évidemment ouverte que je vous livre à
ce sujet.
Bien entendu, les problèmes du dollar dans le système
monétaire international seront aussi liés à la situation
en Asie puisque la zone euro n'est pas la seule à avoir des perspectives
d'excédent courant dans l'avenir, le Japon en a également.
Permettez-moi donc, Monsieur le Président, d'en venir maintenant
à la crise asiatique.
La crise asiatique et ses tenants et aboutissants présente
évidemment beaucoup plus de risques que d'opportunités.
Je voudrais toutefois commencer par les opportunités.
Tout d'abord, et je crois que nous sommes parfaitement d'accord avec l'OFCE sur
ce sujet, il me semble clair que la crise asiatique est essentiellement une
crise de liquidité, avec une difficulté particulière
concernant l'Indonésie ; je ne souhaite pas vous en entretenir
aujourd'hui, vous connaissez la situation politique dans ce pays.
Cette crise de liquidité a malgré tout suscité dans ces
pays des efforts de restructuration et d'assainissement extrêmement
courageux, qui sont déjà en marche, notamment en Corée.
Pour cette raison, les pays asiatiques sortiront, à mon avis, de la
crise qu'ils ont connue en 1997 et qu'ils connaîtront en 1998, avec un
dynamisme renouvelé.
Les pays émergents asiatiques avaient jusqu'à présent des
taux d'investissement extrêmement importants associés à des
taux d'épargne qui dépassaient tous les records mondiaux et leur
croissance rapide était essentiellement liée à ces
performances d'investissement, malgré une assez grande inefficience dans
l'allocation de ces ressources financières par leur système
financier ; maintenant, avec l'assainissement qui est en cours dans leur
système financier, leur épargne existe toujours et continuera
à être importante, mais elle sera beaucoup moins gaspillée
qu'auparavant, donc suscitera un dynamisme encore plus grand de la croissance.
Par conséquent, dans les cinq à dix ans à venir, l'Asie
contribuera à alimenter durablement la croissance mondiale et je crois
qu'il est de notre intérêt, à nous Européens, de
faire en sorte que ce mouvement de rebond de l'Asie se matérialise le
plus tôt possible et si possible avant les trois ans de la projection de
MIMOSA, même si cela veut dire que ces pays, par les gains de
compétitivité que l'on connaît, exporteront en plus grand
nombre des marchandises sur nos marchés.
Il faut d'ailleurs noter que la croissance des exportations de l'Asie vers nos
pays ne serait pas nécessairement dommageable -c'est une
leçon élémentaire que nous tirons de la globalisation-
tant il est vrai qu'une bonne partie des exportations de l'Asie vers l'Europe
ne sont pas tant des concurrents des produits des industries européennes
que des intrants dont nous avons besoin, que nous ne produisons plus ou peu et
dont la baisse des coûts ne peut que nous bénéficier.
Voilà pour les opportunités en Asie.
Les risques sont nombreux.
L'économie du Japon est en panne. Cela a été
souligné. Je voudrais sur ce point renforcer ce qu'a dit M. Potter tout
à l'heure, à savoir que la crise du Japon est une crise profonde,
qui est une crise de confiance qui ne sera certainement pas résolue par
des mesures budgétaires de relance, fussent-elles aussi importantes que
celles annoncées la semaine dernière et qui ne sont pas prises en
compte dans le scénario MIMOSA de l'OFCE.
Il me semble que, même si cela doit représenter quelques
coûts à court terme, le Japon ne sortira de cette crise de
confiance qu'au prix d'une déréglementation massive notamment de
la sphère financière, ce qui suppose que le Gouvernement japonais
ait à la fois le courage politique et toute l'habileté
nécessaire pour aller jusqu'au bout du projet de
big bang
, de
libéralisation de la sphère financière.
Ce que je dis de la sphère financière vaut évidemment
également pour la déréglementation des marchés de
biens et services.
Un pays asiatique n'a pas été mentionné jusqu'à
présent ; il s'agit de la Chine qui est l'autre géant
régional de ce continent.
Nous devons à partir de maintenant parler de la Chine -et je pense que
M. Dadush ne me contredira pas sachant ce qu'il a écrit sur le sujet-
parce que la Chine va devenir l'un des acteurs majeurs de l'économie
mondiale au 21e siècle et la Chine est dans une situation
économique fragile. Le système d'allocation des ressources en
Chine est encore plus inefficace que celui que l'on a connu jusqu'à
présent en Corée ou en Thaïlande. Cela a été
masqué par l'existence d'un système bancaire étatique
particulièrement peu transparent. Mais dans les cinq à dix
années à venir, la Chine ne fera pas l'économie d'une
restructuration profonde de ses entreprises publiques, entreprise
périlleuse sur le plan politique à la fois parce qu'elle aura des
implications en termes de chômage et des implications en termes de
refonte complète du système de protection sociale.
La Chine malgré son système politique non-démocratique est
un pays où les pressions politiques sont importantes et prises en compte
par les autorités publiques. Le danger serait que la Chine utilise un
jour ou l'autre l'arme du change pour se redonner quelques marges de manoeuvre
pour faciliter la restructuration qui a été annoncée.
Evidemment, ce serait tout à fait catastrophique pour l'économie
mondiale, pour le système monétaire international et pour le
système financier international globalisé. Cela a
déjà été mentionné ; c'est un souci
très important et je suis sûr qu'il sera au centre des discussions
que M. Zhu Rongji va avoir en Europe cette semaine.
Il me reste, Monsieur le Président, à vous parler de ce qui me
paraît le plus sérieux en ce qui concerne la crise asiatique,
c'est-à-dire le fait que cette crise manifeste une fragilité
croissante du système financier international, fragilité qui
s'était manifestée une première fois en 1982, qui s'est
manifestée de nouveau au Mexique en 1994 et qui se manifeste maintenant
en Asie.
Ces crises du système de financement international ne doivent pas
nécessairement être évitées ; c'est très
probablement le prix que nous devons payer pour la globalisation
financière qui permet par ailleurs des gains d'efficacité qui ont
été rappelés.
D'ailleurs, dans le mot " crise ", il y a en chinois deux
concepts : celui de danger et celui d'opportunité.
Les crises sont donc non seulement inévitables mais utiles parce
qu'elles permettent une réorganisation du système.
Maintenant, il faut savoir les gérer et il ne me semble pas que nous
puissions nous permettre, sans coûts importants, d'observer dans l'avenir
des crises telles que celle qui est apparue en Asie à
l'été 1997.
Pour cela, au moins deux conditions doivent être remplies.
La première est qu'il existe un prêteur en dernier ressort,
institution absolument nécessaire pour éviter des crises de
liquidité. Nous n'avons pas les institutions en place pour cela. Comme
cela a été écrit très brillamment par Michel
Aglietta encore récemment, le FMI n'est pas en position de jouer ce
rôle de prêteur en dernier ressort. Il nous faut donc
réinventer un système monétaire international avec un vrai
prêteur en dernier ressort.
La deuxième condition est que le prêteur en dernier ressort ne
peut pas assumer son rôle s'il n'y a pas, par ailleurs, de
mécanismes qui forcent les créanciers privés à
assumer pleinement les risques qu'ils prennent. Nous sommes depuis 1982 dans un
système extrêmement particulier où les autorités
publiques, et en dernier ressort nos contribuables, assument finalement
l'essentiel des risques associés à des prêts consentis plus
ou moins prudemment par les banques et les fonds de placement.
Ce système a d'ailleurs montré qu'il fonctionnait parfaitement du
point de vue des banques lors de la crise mexicaine de 1994 et il ne faut pas
s'étonner que les banques se soient engouffrées dans la
brèche en prêtant tout aussi imprudemment des sommes
considérables dans les pays émergents d'Asie, avec les
conséquences que l'on sait maintenant.
Ce que l'on oublie souvent, c'est que ces quinze dernières années
de crise financière résolue par les autorités publiques,
sont tout à fait atypiques par rapport à l'expérience
historique que l'on a des crises financières.
Les crises financières internationales existent depuis qu'il existe des
mouvements internationaux de capitaux. Simplement, elles étaient
auparavant peut-être un peu moins fréquentes ; elles
apparaissaient à un rythme de une tous les vingt ou trente ans, les plus
connues étant celles des années 1820, 1850, 1880-90, 1910 et
1930. Dans toutes ces crises, ce sont les créanciers qui ont
assumé les risques qu'ils avaient pris. Le plus remarquable est que
malgré tout, sur cette période, si l'on calcule
ex-post
les rendements des obligations émises par les pays émergents de
ces époques, y compris par exemple certains Etats du sud des Etats-Unis,
on constate qu'ils ont été comparables, voire supérieurs,
aux rendements des obligations émises par les gouvernements
européens.
Donc le fait que les créanciers assument les risques qu'ils prennent en
tant qu'investisseurs n'implique pas nécessairement qu'ils en subissent
les coûts sur le long terme.
Un système financier international dans lequel les investisseurs
assument les risques qu'ils prennent, n'est pas nécessairement un
système dans lequel les investisseurs en question disparaissent.
Il y a sur ces bases une réflexion qui reste à mener sur l'avenir
du système financier international, qui me semble urgente quand on
observe ce qui s'est passé depuis cet été à la
suite de la crise asiatique.
En conclusion, Monsieur le Président, je crois que nous entrons,
grâce notamment à l'achèvement de la construction
européenne, dans un monde où les règles du jeu et les
attitudes des gouvernements ont commencé à changer, mais
où beaucoup de progrès restent à accomplir dans le domaine
de ce que l'on peut appeler en franglais la " gouvernance mondiale ".
C'est évidemment un monde que nous avons énormément de
difficulté à percevoir et à prévoir, ce qui n'est
pas étonnant : c'est un monde qui reste en partie à
construire.
Des réflexions approfondies sur les perspectives de cette nouvelle
économie mondiale, qui a connu des changements aussi radicaux que ceux
observés à l'issue de la Seconde Guerre mondiale, sont absolument
nécessaires et nous ne pouvons que nous féliciter que le
Sénat, à travers les colloques organisés depuis
1984 sur les perspectives de l'économie mondiale, donne une
impulsion en France à de tels travaux.
Merci, Monsieur le Président.
M. René RÉGNAULT, Président
.- Monsieur
Berthélemy, je vous remercie. Vous venez de nous servir à haute
dose une série d'informations et d'analyses, mais aussi de questions,
d'interrogations et de perspectives. Voilà qui éclaire donc
nombre de questions soulevées dans la première partie de nos
travaux.
Je vais maintenant donner la parole à M. Uri Dadush, Chef du Groupe des
perspectives du développement à la Banque Mondiale, que je
remercie très vivement d'avoir accepté de traverser l'Atlantique
pour nous faire part de ses analyses sur la crise asiatique dont on vient
déjà de nous parler il y a un instant.
Je le remercie aussi doublement, car je sais par avance qu'il va s'exprimer en
français.
Monsieur Dadush, je vous donne donc la parole pour une vingtaine de minutes.
IV - CAUSES, ENSEIGNEMENTS ET IMPLICATIONS DE LA CRISE ASIATIQUE
•
M. Uri DADUSH, Chef du Groupe des perspectives du
développement à la Banque Mondiale
.-
Merci, Monsieur le Président. Mesdames, Messieurs, Messieurs les
Sénateurs, je suis aussi heureux d'être parmi vous dans une
discussion de si haute qualité.
Je vais développer quatre points sur la crise asiatique qui sont
basés sur un rapport que l'on a publié la semaine
dernière, intitulé " Global development finances ".
Premier point : la reprise en Asie devrait être longue et difficile
et la crise aura des effets sensibles surtout sur les pays en voie de
développement. Il y a peut-être là une différence
d'accent parce que nous voyons des effets beaucoup plus importants sur les pays
en voie de développement et moins importants sur les pays industriels.
Je voudrais commencer par dire qu'il y a des signes très forts qui
indiquent que la situation financière est en train de se stabiliser dans
la plupart des pays touchés par la crise. Par exemple, depuis le
début de l'année, il y a plus de 50 % d'augmentation des
bourses de la Thaïlande, de la Corée (en dollars), mais cette
reprise financière reste fragile en raison des difficultés que
connaît l'Indonésie et parce que le gros des efforts d'ajustement
sectoriel reste à faire.
Selon nos prévisions, les cinq pays les plus touchés vont voir
leur Produit Intérieur Brut chuter en 1998 et leur rythme de croissance
ne retournera pas au rythme de tendance à long terme avant l'an 2000.
De ce point de vue-là, décrire la crise simplement comme une
crise de liquidité me paraît sous-estimer l'importance et la
profondeur de cette crise, sans mettre en doute la capacité de ces pays
d'être solvables à long terme.
Le commerce devrait être à la base de l'ajustement, mais il y a
des risques considérables que la reprise des exportations se trouve
très ralentie par la faiblesse des échanges intrarégionaux
qui représentent en Asie 50 % des exportations.
A cause de la récession au Japon et de la
décélération en Chine, la reprise des exportations
dépendra de façon très importante de la capacité
d'absorption des marchés extérieurs à la région,
c'est-à-dire les Etats-Unis et l'Union européenne. C'est une
chance que cette crise ait eu lieu à un moment où ces
marchés ont une bonne croissance.
L'impact de la crise devait être plus douloureux pour les pays en
développement que pour les pays industriels. Par exemple, tandis qu'en
1998, les révisions des prévisions de croissance résultant
de la crise asiatique, pour les Etats-Unis et l'Union européenne, sont
minimes, les prévisions pour les pays en voie de développement
ont été baissées en moyenne de 1 à 2 points
selon les régions.
Pourquoi ?
Premièrement, parce que les effets de l'ajustement des échanges
commerciaux seront plus ressentis par la plupart des pays en
développement qui sont en général des petites
économies ouvertes et qui ont des difficultés d'accès au
crédit, particulièrement maintenant.
Deuxièmement, parce que les termes de l'échange ont
déjà évolué en faveur des pays industriels.
Troisièmement, parce que les flux financiers sont
détournés des pays en développement au profit des pays
industriels.
Quatrièmement, parce que tandis que les politiques monétaires
peuvent être relâchées dans les pays en
développement, les politiques monétaires et fiscales dans les
pays en voie de développement doivent devenir plus restrictives à
la suite de la crise.
Je ne veux pas minimiser les effets sur les pays industriels ; il est vrai
que jusqu'à maintenant, ils ont vu les effets positifs de la crise parce
que les prix et les taux d'intérêt ont baissé, mais ils
doivent encore en voir l'effet négatif qu'est l'ajustement commercial.
Malgré cela, on ne voit heureusement pas d'effet très important
sur la croissance à cause de tous les facteurs que j'ai illustrés
et d'autres.
Le deuxième point dont je voudrais parler sur la base du rapport est
qu'à plus longue échéance, les effets de la crise
asiatique sur les flux de capitaux privés, à notre avis,
devraient être assez limités.
Malgré la crise, les flux des ressources privées à long
terme vers les pays en voie de développement ont progressé
d'environ 10 milliards de dollars en 1997 par rapport à l'année
précédente, atteignant ainsi presque 260 milliards de dollars,
qui est un record. Or, la tendance observée durant les trois derniers
mois de 1997 est très différente de celle des neuf premiers,
c'est-à-dire entre la période qui a suivi l'éclatement de
la crise et la période qui l'a précédé. Pendant les
premiers neuf mois, le volume des émissions d'obligations et des
nouveaux engagements de prêt s'est élevé en moyenne
à 20 milliards de dollars par mois, contre 12 milliards par mois pendant
les trois derniers mois et à moins de 5 milliards par mois en janvier et
février 1998, contre presque le triple de ce volume à la
même période de l'an passé.
A supposer que la stabilisation financière se poursuive en Asie, le
fléchissement des flux de capitaux privés sera limité en
1998 et les perspectives à plus long terme sont bonnes pour que la
composante la plus importante de ces flux, à savoir l'investissement
direct étranger, continue à croître.
Ces prédictions reposent sur trois considérations.
Premièrement, les pays en développement malgré la crise se
trouvent face à une conjoncture extérieure favorable à la
reprise, qui n'a pas de comparaison avec la conjoncture internationale des
années 1980 ; le commerce international est en pleine expansion,
les taux d'intérêt sont modérés.
Deuxièmement, malgré le fait que l'on a eu l'impression que les
marchés ont réagi de façon très uniforme à
la crise en faisant très peu de distinction entre pays, à notre
avis, cette impression se base sur des observations de quelques semaines, mais
après un certain temps, les marchés font vite la
différence entre un pays et un autre. On a vu ce phénomène
à la suite de la crise du Mexique ; on l'observe à nouveau
dans cette crise. C'est ainsi que l'adoption d'une certaine politique en
Thaïlande, en Corée et au Brésil a donné lieu
à une reprise, si hésitante soit-elle, des flux financiers vers
ces pays, alors que la situation reste très difficile en
Indonésie.
Troisièmement, l'importance accrue des flux vers le secteur privé
et, en particulier, des flux d'investissement de portefeuille, devrait se
traduire par un redressement relativement rapide des flux financiers, sous
l'effet de la réaction des investisseurs au fléchissement des
prix. Par exemple, il ressort d'une enquête effectuée il y a
quelques semaines par nos collègues des Nations Unies auprès des
investisseurs étrangers que, dans l'ensemble, les entreprises
multinationales ont maintenu leurs plans d'investissement dans la
région. C'est une situation tout à fait différente de
celle des années 1980, où les flux étaient des prêts
de banques commerciales qui ont été restructurés sur une
durée entre cinq et dix ans.
La troisième leçon que l'on tire de la crise est qu'il est
nécessaire de réévaluer les indicateurs de
solvabilité des pays.
Personne n'avait prévu l'ampleur et la gravité de la crise, et
cette erreur de prévision est due, selon nous, en bonne partie au
changement profond de la structure des flux de capitaux vers les pays en voie
de développement.
Durant les années 1980, les flux étaient essentiellement
constitués de prêts des banques commerciales aux gouvernements.
Aujourd'hui, ils émanent de sources diverses, dont les plus importantes
sont les entreprises multinationales et les fonds communs de placement, et ces
flux vont de façon prédominante aux entreprises privées.
Il va presque sans dire que les risques liés à ces flux sont
très différents de ceux des années 1980.
Quand les emprunteurs étaient principalement les gouvernements, le
risque souverain était déterminant. Certains indicateurs tels que
le déficit budgétaire étaient d'une importance critique,
au même titre que le taux d'épargne nationale, la croissance, le
ratio dette-exportation, etc. ; dans la plupart des cas, ces indicateurs
donnaient largement le feu vert aux investisseurs en Asie de l'Est.
En revanche, aujourd'hui, le risque est tout autant un risque d'entreprise
qu'un risque souverain. La qualité du système bancaire, le
degré d'endettement, l'ampleur de l'asymétrie des
échéances et des monnaies et la confiance dans les taux de change
sont autant de critères essentiels pour évaluer ce genre de
risque.
De toute évidence, nous devons accorder beaucoup plus d'attention
à ces variables. Malheureusement, la base d'information sur la
qualité de beaucoup de ces variables, par exemple des prêts
bancaires, laisse souvent à désirer dans les pays industriels et
plus encore dans les pays en développement. C'est un problème
qu'il faut résoudre.
Cela m'amène au quatrième et dernier point, c'est-à-dire
une conclusion en matière de politique économique du rapport qui
est très forte, à savoir qu'il est nécessaire d'adapter le
renforcement du système financier dans les pays en voie de
développement au rythme de la libéralisation financière.
Arriver à un système bancaire où la qualité de
gestion interne est bonne et mettre une solide réglementation en place
n'est pas chose facile. Bien que les pays industriels aient eu au moins un
siècle pour le faire, plusieurs d'entre eux, parmi lesquels le Japon,
les Etats-Unis et la Suède, se sont encore heurtés à de
graves problèmes bancaires au cours des dix dernières
années. Et malheureusement, nous savons que les crises bancaires sont
plus lourdes de conséquences dans les pays en développement que
dans les pays développés.
En Asie de l'Est, la libéralisation financière est un
phénomène relativement récent, et comme la région a
connu des performances économiques extraordinaires, l'afflux des
capitaux a été énorme. Par exemple, en 1996,
l'Indonésie a attiré un volume net de flux de capitaux
privés équivalent à 6 % de son PIB et la
Thaïlande, à 14 % et, dans les deux cas, les flux ont
été de cet ordre de grandeur pour la troisième
année consécutive.
Avec un certain recul, nous pouvons dire que le système financier de ces
pays était mal préparé pour assurer
l'intermédiation d'apports extérieurs d'une telle ampleur. On
fournit dans ce rapport deux indications qui en attestent :
Premièrement, lorsque la crise a éclaté, la proportion de
prêts non productifs était estimée à 15 à
20 % du total, c'est-à-dire 15 à 20 fois supérieur
à celui des Etats-Unis. Les emprunts en devises contractés pour
financer des investissements en monnaie nationale et les emprunts à
court terme, pour des investissements immobiliers à long terme ont
été deux erreurs élémentaires mais très
coûteuses. La politique macroéconomique et la politique de
l'échange ont contribué à créer des incitations
perverses qui ont favorisé des décisions aussi aventureuses.
Deuxièmement, il semble à présent que certains des
investissements dont l'accélération a coïncidé avec
le brusque afflux de capitaux ont été mal orientés ou,
pour le moins, ont donné des rendements relativement faibles, comme en
témoignent divers indicateurs parmi lesquels la productivité
marginale du capital, mesurée de différentes façons.
La crise a confirmé que pour tirer profit de l'intégration
financière internationale, il faut d'abord remplir certaines
conditions : l'existence de solides marchés financiers, l'abondance
d'informations et la transparence, conjuguées à une saine
politique macroéconomique. Ces conditions préalables ne sont pas
une garantie qu'il n'y aura plus de crise, mais elles en réduisent le
risque et augmentent sensiblement les chances que l'emprunt à
l'étranger donne les résultats attendus. Et lorsque ces
conditions sont réunies, les effets de toute crise éventuelle ont
des chances d'être moins perturbants.
Pour conclure, Monsieur le Président, je dirai que le ton prudent
adopté par la Banque Mondiale dans ce rapport à l'égard
des brusques afflux de capitaux privés ne trahit pas une volonté
de dissuader les dirigeants des pays en développement de poursuivre le
processus d'intégration dans les marchés financiers mondiaux. Les
gains à attendre de cette intégration sont très
substantiels, surtout pour les flux d'investissement étranger direct,
mais on cherche, à la suite de la crise asiatique, à
présenter les conditions importantes de manière à
permettre de tirer le maximum des apports des capitaux extérieurs et de
faire cela d'une façon réaliste.
M. René RÉGNAULT, Président
.- M. Dadush vient de
nous apporter un autre éclairage sur la crise asiatique, dont chacun
d'entre nous aura certainement retenu l'importance et la qualité, et
fera de tout cela de quoi conduire sa propre réflexion.
Je vais me tourner maintenant vers M. Charpin à qui je vais demander
d'intervenir. Il sera le dernier intervenant, donc celui de la conclusion de
nos travaux.
V - CONCLUSION DU COLLOQUE
•
M. Jean-Michel CHARPIN, Commissaire au Plan
.-
Monsieur le Président, je vais faire trois remarques qui portent
respectivement sur le niveau français, le niveau européen et le
niveau international, pour dire à la fois comment j'apprécie les
analyses qui nous ont été présentées et quelles
questions j'en tire pour l'avenir.
En ce qui concerne l'économie française d'abord, les perspectives
à court terme qui ont été présentées par
l'OFCE ont été qualifiées à la fois par Henri
Sterdyniak et d'autres participants au débat, d'optimistes.
Personnellement, je ne les qualifierai pas vraiment d'optimistes ; elles
sont certainement favorables, mais si elles nous apparaissent comme optimistes,
c'est parce que nous avons du mal à intérioriser la vitesse de
croissance actuelle de l'économie française.
Dans les prévisions que vient très récemment de publier
l'INSEE, le chiffre de glissement du PIB entre le premier trimestre 1997 et le
premier trimestre 1998 est de 3,6 %. Il n'a pas été repris
par la presse pour la bonne raison qu'il n'est écrit nulle part dans le
rapport de l'Institut. C'est un chiffre relativement élevé et que
les prévisionnistes à court terme de l'économie
française sont amenés à prendre en compte, même si
le chiffrage précis du premier trimestre 1998 n'est pas encore
définitif.
En conséquence, pour arriver à des moyennes annuelles de l'ordre
de 3 % sur le PIB total, ou de 3,1 % sur le PIB marchand, comme ce
qui est repris dans la prévision de l'OFCE, on peut incorporer un
ralentissement finalement pas négligeable du tout en cours
d'année.
En ce qui concerne la prévision à moyen terme, elle donne un
chiffre de 2,3 %, Monsieur le Président demandait tout à
l'heure à quelles conditions ce chiffre pourrait être
augmenté. On pourrait faire des exercices de ce type pas
inintéressants. D'après les chiffrages disponibles sur
l'économie française, un taux de croissance de ce type sur
moyenne période est proche des estimations du taux de croissance
potentiel.
Dans un article récent, Jean-Paul Fitoussi et Olivier Blanchard
proposaient pour la France des taux de croissance effectifs nettement
supérieurs dans la période qui vient, d'environ 1 point par un,
même un peu plus. Cela dit, le problème de fond n'est probablement
pas celui-là. Le problème de fond est que dans la projection de
l'OFCE, comme dans l'exercice réalisé par MM. Blanchard et
Fitoussi, au bout d'un certain temps, on arrive à un taux de
chômage que l'on ne peut plus faire baisser ; on y arrive plus ou
moins tôt ou plus ou moins tard suivant le taux de croissance
intermédiaire.
Dans l'exercice de l'OFCE, ce taux est atteint en fin de période et est
un peu inférieur à 10 %. Se posent alors des
problèmes d'une autre nature, qui peuvent d'ailleurs concerner fortement
mon institution : pourquoi la reprise conjoncturelle ne parvient-elle pas
à faire baisser le chômage au-delà de ce seuil ? Quels
sont les changements de nature structurelle qui seraient nécessaires
pour aller en dessous de ce seuil, pas très éloigné de
celui que l'on avait constaté à la fin des années 1980, au
moment de la période de très forte croissance ? On
était à l'époque très légèrement
passé au-dessous de 9 % et ensuite, cela n'avait plus baissé.
Au niveau européen, je partage tout à fait les diverses
appréciations qui ont été portées sur le fait que
la création de l'euro se passe dans de bonnes conditions, que les
anticipations des marchés, la bonne conjoncture font que la mise en
place devrait se faire de façon calme.
Néanmoins, je ne vois pas dans la bonne réaction du
système monétaire et des économies européennes
à la crise asiatique, une preuve que tout cela serait extrêmement
solide, donc qu'il n'y aurait plus de menace pour l'avenir. Il me semble que la
particularité des arrangements de coordination monétaire, c'est
qu'ils sont extrêmement efficients face au choc symétrique, que
l'on peut même d'une certaine façon relier d'assez près
toute cette construction progressive de l'Union monétaire
européenne depuis vingt ans au fait qu'il y a eu beaucoup de chocs
symétriques -en mettant de côté, bien sûr, la
réunification allemande- sur l'économie européenne depuis
vingt-cinq ans, dont les plus forts ont été les chocs
pétroliers. Face à ce type de choc, les arrangements de
coordination monétaire créent un supplément
d'efficacité et la crise asiatique est clairement de cette nature.
Cela ne doit pas nous empêcher de continuer à
réfléchir beaucoup au risque que dans l'avenir surviennent de
nouveau des chocs asymétriques, aux tensions que cela ferait à ce
moment là peser sur l'Union Monétaire européenne et sur
les dispositifs qu'il convient de mettre en place, soit au niveau des Quinze,
soit au niveau des Onze, soit aux niveaux nationaux, pour éviter que de
tels éventuels futurs chocs se soldent entièrement sur l'emploi,
comme cela a été finalement assez largement le cas lors du choc
de la réunification allemande.
Troisième remarque sur le niveau international. Je partage beaucoup des
appréciations qui ont été portées par Jean-Claude
Berthélemy et Uri Dadush.
Dans les mécanismes préventifs ou curatifs, il faut veiller
à ne pas empêcher la mondialisation financière de se
poursuivre, de se manifester les bienfaits d'une allocation internationale du
capital efficace. En revanche, il faut porter une extrême attention,
probablement plus qu'on ne l'a fait, d'une part, aux mécanismes de
gestion de crise et, d'autre part, à la surveillance du système
financier.
Les mécanismes de gestion de crise sont encore très insuffisants
en matière internationale. A Wall Street, sur le Stock exchange, des
dispositifs ont été développés pour faire en sorte
que, dès que le marché se met à divaguer, un certain
nombre de dispositifs se mettent en route, de diverses natures, qui permettent
d'éviter que les choses dérapent de façon trop
considérable. Dans les crises internationales, de quelque nature
qu'elles soient, on en est extrêmement loin. Quand se manifestent des
crises de liquidité comme celle que l'on a vue se manifester
récemment, c'est avec des bricolages mi-public, mi-privé, que
l'on arrive à éviter des effondrements gravissimes, comme ce qui
s'est passé pour la Corée du sud vers la fin de l'année
1997, mais tout cela est encore largement improvisé.
Il n'est pas simple de l'organiser parce que chacun a compris que les deux
propositions faites par Jean-Claude Berthélemy, c'est-à-dire le
fait de construire un prêteur en dernier ressort international et en
même temps augmenter la réalité du coût du risque
pour les prêteurs, ne sont pas naturellement compatibles. Le fait de
créer un prêteur en dernier ressort aura pour effet d'augmenter
encore tous ces problèmes d'information sur le crédit, de hasard
moral. De plus, être prêteur en dernier ressort au niveau
international, c'est très difficile ; son rôle doit
être par définition ambigu, imprévisible, arbitraire
à certains égards. Sinon, il augmente de façon
considérable les risques de hasard moral, et on se demande quelle
institution au niveau international pourrait avoir la légitimité
de prendre des décisions dont une caractéristique serait son
caractère arbitraire.
Concernant la surveillance des institutions financières on a
découvert qu'il y avait un grave manque dans la finance internationale.
Pour les pays développés, Monsieur Dadush l'a rappelé en
omettant, par courtoisie, un cas évident qui est celui de la France. On
a découvert à l'occasion de la crise asiatique que c'était
encore bien pire dans un certain nombre d'autres pays, malgré la
considérable activité de réglementation qui a
été organisée par le Groupe des Dix au cours des
dernières années. Il ne suffit pas de faire des
réglementations internationales, encore faut-il que les institutions
chargées de les appliquer dans les différents pays les
appliquent, donc qu'elles soient elles-mêmes surveillées par des
superviseurs vigilants.
M. René RÉGNAULT, Président
.-
Nous arrivons à la fin de nos travaux. Je voudrais, puisque je n'occupe
ce poste que très provisoirement, vous dire, Messieurs les experts qui
vous êtes exprimés, et à vous qui avez eu la bonté
de les écouter avec beaucoup d'attention, deux choses que j'ai retenues,
en restant dans le caractère mondial du propos qui a été
la marque de cette matinée de réflexion.
Vous nous avez livré un certain nombre d'éléments
concernant les outils dont il faudrait encore se doter. J'ai reçu comme
étant l'appel à la création ou à la
définition d'un grand chantier celui relatif à ce système
financier international, qu'il conviendrait de réorganiser ou tout
simplement d'organiser, et j'ai vu en écoutant M. Charpin, que la marge
de manoeuvre n'était pas si aisée que cela. Mais merci, Mesdames
et Messieurs les experts, de la contribution que sera la vôtre à
tout ce que vous pourrez apporter à l'émergence de ce grand
arbitre mondial qui aujourd'hui, s'il existe, Monsieur Dadush, existe de
façon insuffisante. C'est ce que nous a dit M. Berthélemy et
entre vous, s'il y a des différences d'analyses, il n'y a pas de
contradiction au niveau du diagnostic, mais aussi au niveau de la proposition
de traitement que vous suggérez.
On voit bien que nous naviguons encore quelque part à vue, mais je suis
d'une région de marin et la navigation à vue, si pour le
cabotage, cela peut se concevoir, quand il faut prendre la haute mer, il vaut
mieux avoir des instruments de bord plus sophistiqués. Ils ne le sont
jamais assez pour assurer la sécurité, preuve d'ailleurs que nous
ne sommes pas là non plus, tout au moins le passé récent
l'a montré, à l'abri de tout accident.
La deuxième chose que j'ai retenue est que nous pouvions nous demander,
nous les élus et les politiques, à quoi nous servions, car au
fond ces experts ont eux des instruments et l'instrumentation se
développe. J'ai retenu au moins une chose : on peut avoir tous les
outils et les meilleurs du monde, s'il n'y a pas quelque part aussi la
société et la confiance de celle-ci, les meilleurs instruments
sont aussi quelque part condamnés à une relative
inefficacité.
C'est donc ce mariage des deux qu'il faut toujours mieux réussir. C'est
pour ce faire que nous avons organisé ce colloque qui a
été d'une très haute tenue, qui me vaut de remercier
celles et ceux qui nous ont fait l'honneur d'y participer, remercier les
intervenants pour la richesse des propos et la " fraîcheur " de
la réflexion puisque vous faites référence à des
rapports qui viennent d'être publiés ou qui vont l'être
incessamment.
Je dois également beaucoup de remerciements à mes
collègues Vice-Présidents de la Délégation, qui
m'ont confié la présidence de ce Colloque, afin qu'il puisse se
tenir en temps et en heure, ce qui était la manière la plus
simple de rendre hommage à Bernard BARBIER et qui permettra à
l'opinion publique, au travers des comptes rendus qu'en fera la presse, de
bénéficier des réflexions que les experts conviés
ce matin nous ont soumises.