2. Un cap à maintenir en dépit du report des négociations
Compte
tenu de l'attachement de l'ensemble de la communauté occidentale aux
principes du libéralisme, il n'est pas étonnant que la France se
retrouve relativement isolée dans sa position en faveur de l'exception
culturelle.
On ne saurait donc se contenter des incantations habituelles. Alors que faut-il
faire ? Réponses :
- il faut d'abord nous mobiliser nous-mêmes,
- chercher à l'extérieur des appuis auprès de nos
partenaires, sur une base modérée, en trouvant la bonne solution
entre une " bunkerisation " irréaliste et la soumission
complaisante au complexe médiatico-financier international.
- 1? Face à la déferlante américaine, le maintien de notre culture suppose une réelle mobilisation de nos forces . Et d'abord de la lucidité et du courage mis au service de ces forces. " A nous de faire préférer la culture française ", pourrait-on dire en plagiant la formule sans complexe d'une récente campagne de publicité.
- 2? Car , il est parfaitement possible - à certaines conditions - d'accepter le jeu du marché sans se plier à la dérégulation à outrance voulue par les grands groupes américains, qui s'avancent masqués derrière les idéaux de liberté et de créativité, pour imposer leur pouvoir. A nous d'aider nos partenaires européens à ouvrir les yeux.
La France et ses partenaires européens ont le droit et le devoir de l'exiger. Du reste, les États-Unis ont eux-mêmes déposé une liste de réserves dérogatoires, dite " liste B ". Cette liste permettrait de maintenir des discriminations en faveur de leurs ressortissants, notamment dans le domaine des subventions des marchés publics et des télécommunications.
Mais la défense de l'exception culturelle ne doit pas être transformée en un protectionnisme culturel, doublé d'un anti-américanisme de mauvais aloi. Deux aspects doivent être soulignés :
-
•
Les méthodes américaines
, leur évidente
efficacité à condition de les adapter à nos
mentalités, seraient de nature à dynamiser la production
audiovisuelle européenne. Le malthusianisme est un risque. L'exemple de
la création des multiplexes et la revitalisation du cinéma qui en
est, semble-t-il, résultée, prouvent les effets
bénéfiques de la concurrence organisée.
• Il faut donc convaincre nos compatriotes des bienfaits du dynamisme et les inciter à ne pas confondre les intérêts d'un certain microcosme médiatico-culturel avec ceux de l'économie et de la culture française. Le protectionnisme n'est pas forcément la seule et unique réponse à apporter à tous les problèmes.
En dépit de toutes les aides, le déficit audiovisuel de l'Europe vis-à-vis des États-Unis a pratiquement doublé en cinq ans pour atteindre 5,6 milliards de dollars. Ce déséquilibre n'est pas nouveau, mais il intervient dans un contexte qui en accentue les enjeux : l'audiovisuel représente aujourd'hui pour les États-Unis le plus gros poste à l'exportation, avant l'aéronautique et la chimie, tandis que le marché européen, en très forte croissance (+ 9 % par an de 1994 à 1997, contre 6,4 % par an seulement pour le marché américain) est sa principale zone de développement.
Tous ces chiffres nous démontrent, une fois de plus, que les batailles économiques se gagnent non à coups de règlements ou de crédits budgétaires, mais en rendant plus attractif à l'internationalisation son appareil de production. Les industries culturelles et audiovisuelles ne font pas exception à la règle.
Nous devons savoir que, dans le domaine audiovisuel, aujourd'hui global et mondial, il est vain de vouloir imposer ses propres règles du jeu aux autres. Croire trop facilement qu'on peut y parvenir, c'est s'exposer à la marginalisation économique et culturelle, et, tôt ou tard, au dépérissement.
*
* *
Avec le
report des négociations à la rentrée 1998, si la France a
gagné une bataille, elle n'a pas gagné la guerre.
Sans doute ce succès temporaire est-il aussi dû à une
certaine convergence d'intérêts avec les États-Unis
eux-mêmes. Tout au long des négociations, on a vu aux
États-Unis même grandir une hostilité, ou du moins une
certaine méfiance, vis-à-vis de l'A.M.I., alimentées par
un vieux fond de protectionnisme américain certains
démocrates de gauche, proches des syndicats, certains
républicains, des États eux-mêmes ont fini par s'apercevoir
qu'ils avaient peut-être plus à perdre qu'à gagner dans ce
démantèlement de toutes les barrières à
l'investissement international. Washington n'avait, en outre, aucune envie d'un
choc frontal avec les Européens sur les lois D'Amato et Helms-Burton,
par lesquelles les États-Unis s'autorisent à sanctionner les
entreprises qui investissent à Cuba, en Libye et en Iran. Et comme une
bonne nouvelle n'arrive jamais seule, le projet de nouveau marché commun
transatlantique - NTM - proposé par le commissaire Leon Brittan a
été abandonné, là encore sans doute à cause
du manque d'enthousiasme des États-Unis pour un projet qui ne leur
apportait guère d'avantages : renforcer le libre échange de
part et d'autres de l'Atlantique sans y intégrer, à cause de
l'opposition de la France, l'agriculture et la culture n'offrait guère
d'intérêt pour les Américains.
En tout état de cause, notre intérêt est de nous faire
comprendre des Américains et de tenter de les comprendre.
Certes, dans le domaine audiovisuel, sous nos yeux, les États-Unis
passent de la position de suprématie, où ils étaient les
meilleurs, à une situation pratiquement hégémonique,
où ils vont pratiquement dominer le marché mondial.
Nous savons que le nombre d'Américains qui s'intéressent vraiment
à la France est relativement faible. Ils ne comprennent donc pas notre
protectionnisme et pas davantage pourquoi nous sommes opposés à
une libéralisation du commerce dans des secteurs aussi sensibles que
l'agriculture, la défense, aussi bien que pour la culture, le
cinéma et l'audiovisuel.
Les Américains vont naturellement voir dans cette attitude
française une nouvelle manifestation d'anti-américanisme
viscéral. Il est important de leur faire comprendre que tel n'est pas le
cas.
Dans un entretien récemment paru dans un grand magazine, M. Lionel
Jospin explique que la France n'a nullement l'intention de renoncer à
son identité nationale pas plus qu'à sa vision des relations
internationales, et de conclure : "
que si les Français ne
sont pas d'accord avec la façon de penser des Américains, ce
n'est pas pour autant que l'on est anti-américain
".
En fait, les Américains ont besoin d'entendre un discours franc et
clair ; car depuis de nombreuses années, les préjugés
qui se sont accumulés sur la France ne vont pas disparaître du
jour au lendemain. Il nous faut donc agir de façon à
améliorer l'image de la France aux États-Unis, de telle sorte que
si nous faisons un effort pour comprendre les Américains, ils en fassent
un pour nous comprendre. Afin de leur faire admettre que nous n'accepterons
jamais d'immoler notre culture sur l'autel du libre échangisme culturel.