COMPTE RENDU DU DÉBAT EN COMMISSION DES FINANCES

Le mercredi 27 mai 1998

Présidence de M. Christian PONCELET, Président

QUESTIONS DE M. ALAIN LAMBERT, RAPPORTEUR GENERAL -

1? Ne pensez-vous pas que l'État doive se limiter aux règles principales et ne pas trop intervenir ?

2? Que peut-on faire pour les télévisions locales?

3? L'exception culturelle française et européenne a-t-elle un véritable avenir ?

4? Les mariages entre groupes industriels et groupes de communication comportent-ils des risques ?

5? Pouvez-vous commenter la situation de Microsoft face à la justice américaine ?
RÉPONSES DU RAPPORTEUR

En ce qui concerne la première question, je ne défends pas la création de réglementations nouvelles, j'estime par contre qu'il faut rendre plus efficaces celles qui existent. Dans ce domaine, les alternances politiques n'ont pas facilité les choses. Prenons un exemple : la Haute Autorité a été créée en 1982 ; en 1986, le Conseil national de la communication et des libertés lui succédait. Puis depuis 1989, ce fut le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) qui, je l'espère, aura une plus longue vie. Je me suis, du reste, toujours opposé à de telles conséquences des alternances politiques.

S'agissant de notre position très minoritaire dans le monde (programmes audiovisuels), la seule réponse tient dans l'amélioration de l'exportation. J'ai fait, au nom de la commission des finances des propositions constantes aux gouvernements successifs. Mais, l'influence des corporatismes n'a permis que des actions à courte vue.

Le problème des télévisions locales sera vraisemblablement étudié au cours des débats consacrés au projet de loi sur la communication audiovisuelle. Mais, d'ores et déjà, une solution pourrait être trouvée par le biais d'un accord entre la presse quotidienne régionale et les chaînes de télévision.

L'exception culturelle a ses limites. Les quotas sont indispensables mais ne règlent pas tout. Ils ne garantissent pas la victoire. Il suffit pour s'en convaincre d'examiner les décisions du jury lors du récent festival de Cannes. Deux actrices françaises ont été distinguées, mais la France ne l'a pas été autrement. Il ne faut pas qu'une exception culturelle mal comprise nous place hors de l'évolution culturelle du monde.

S'agissant des démêlés entre Microsoft et la justice américaine, il semble que si Microsoft l'emportait, cette société aurait alors des chances d'envahir la planète.

QUESTIONS DE M. JEAN-PHILIPPE LACHENAUD -
1? Que devient la Société française de production (SFP) et quel est son avenir ?

2? Qu'en est-il des dispositifs anticoncentration qui devaient s'inscrire dans le futur projet de loi sur la communication audiovisuelle ?

3? Avez-vous connaissance du contenu des lettres de cadrage sur l'audiovisuel pour le budget 1999 ?
RÉPONSES DU RAPPORTEUR

Concernant la SFP, cette société a coûté plus de 2 milliards de francs au budget. Le principal responsable de cette situation est l'État. En effet - au départ, en 1975 - celui-ci n'a pas voulu ou n'a pas su capitaliser correctement cette société, ni lui assigner des missions claires et pas davantage lui imposer des méthodes satisfaisantes de gestion.

S'agissant de la loi anti-concentration, le Gouvernement actuel avait exprimé l'idée de revenir sur la loi du 1er février 1994. Personnellement, j'ai toujours été favorable à ce qu'une société puisse détenir au moins 49 % du capital d'une chaîne. Ceci afin que les sociétés françaises soient plus puissantes qu'elles ne le sont aujourd'hui. Sur ce point, Mme Trautmann semble avoir été sensible à notre argumentation.

Sur les lettres de cadrage pour le budget 1999, Mme Trautmann a bien voulu m'en faire connaître les grandes lignes ; elles me paraissent assez satisfaisantes.

QUESTION DE M. EMMANUEL HAMEL -

Existe-t-il une volonté de réglementer les programmes diffusés par la télévision ? On peut y voir régulièrement des scènes de violence affolantes. Financièrement, politiquement, est-il possible de réglementer ce qui est diffusé à la télévision ?

RÉPONSE DU RAPPORTEUR

Nous réfléchissons à cette question et depuis longtemps. Nous avons fait de nombreuses propositions qui, pour la plupart, sont restées sans suite. Pourquoi autant de violence à la télévision ? Réponse : parce que la violence attire les téléspectateurs ! Quels étaient les deux moteurs de la tragédie grecque ? Réponse : l'amour et la mort. Aujourd'hui, le sexe et la violence ; tels sont les ressorts de l'émotion humaine.

Quelles solutions trouver, réponses : avertir le téléspectateur et rendre possible la responsabilisation des familles, notamment par la mise en place de la "puce antiviolence". Ce système est déjà en vigueur au Canada. Il va être prochainement adopté par les États-Unis. Pourquoi ne pas le faire en France ? Il s'agit de donner à chacun le pouvoir d'assumer ses responsabilités.

QUESTION DE M. RENÉ TREGOUËT -

Actuellement, la télévision est un tout, mais cela va changer de nature. Vous aurez toujours un émetteur, mais un ordinateur traitera tous ces signaux. Ce sont ceux qui détiendront les "tuyaux" et les "terminaux", qui auront la capacité de définir les programmes. Dans ce contexte, notre télévision publique ne pourrait-elle pas se rapprocher de notre opérateur national, France Télécom, qui détient les tuyaux ?

RÉPONSE DU RAPPORTEUR

En ce qui concerne les évolutions technologiques que vous évoquez, on pourra bientôt tout espionner sur Internet ! Internet rendra tout possible : l'excellent et le pire.

Quant au rapprochement France Télécom/France Télévision, il s'exerce déjà au sein de TPS. A long terme, il faut se demander si France Télécom aura toujours l'argent disponible pour répondre aux sollicitations de l'Etat.

QUESTIONS DE M. MICHEL CHARASSE -
1? Vous avez réaffirmé la nécessité d'un État fort en matière audiovisuelle. Cependant, je vous rappelle que cet État, qui est tout, ne dirige rien, puisqu'il a délégué son autorité au CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) et à l'ART (Autorité de régulation des télécommunications). Il serait intéressant pour le Sénat de pouvoir apprécier comment ces délégataires du pouvoir public exercent leur fonction et, notamment, la manière dont les sanctions sont appliquées.

2? Des dispositions dérogatoires ont été prévues pour le secteur public, notamment pour la publicité. La loi l'a voulu parce qu'elle considère que le service public audiovisuel ne doit pas être comme les autres. Pouvez-vous me dire actuellement quelle est la différence entre le secteur public et le secteur privé concernant les programmes télévisuels ? Le rapporteur spécial peut-il répondre à cette question : un service public se justifie-t-il encore ?

3? Je souhaiterais connaître le délai de la renégociation de la convention collective.

4? Serait-il possible d'avoir une comparaison au m² du coût de France Télévision par rapport à TF1.

5? Il me paraît injuste de dire qu'il y a défaillance de la tutelle pour la SFP. Il serait intéressant de dire que les actionnaires privés ont été défaillants aussi, notamment TF1.

6? Je voudrais également être éclairé sur le conflit ouvert entre le service public et les pratiques ruineuses de l'INA ?

7? L'Assemblée nationale aurait l'intention de lier la redevance télévision à la taxe d'habitation. En savez-vous plus sur ce point ? J'avais, pour ma part, tenté, il y a quelques années, un rapprochement du fichier Télévision avec le fichier des abonnés aux chaînes codées et aux abonnés du câble. Cette mesure avait été refusée comme cavalier budgétaire. Je vous rappelle qu'un milliard de francs sont en jeu dans cette affaire !
RÉPONSES DU RAPPORTEUR

S'agissant de l'exercice par l'État de ses prérogatives, notamment lorsqu'il le fait par l'intermédiaire du CSA et de l'ART, il n'existe guère de sanctions mais c'est là un problème général dans notre pays ; on n'aime pas beaucoup sanctionner. Comme vous le souhaitez, je demanderai un bilan des décisions du CSA à son Président M. Hervé Bourges et je vous le ferai connaître dès réception.

INTERVENTION DE M. MICHEL CHARASSE -

Entre parenthèses, j'ai demandé au CSA une décision sur une radio locale dans mon département. Je n'ai pas obtenu de décision. J'ai donc brouillé moi-même la radio. A ce moment-là, le CSA est intervenu !

RÉPONSE DU RAPPORTEUR

Vous m'avez demandé si le service public audiovisuel n'était pas devenu le " clone " du secteur privé. Peut-être ! C'est parce que la publicité est devenue la seule variable d'ajustement du budget du service public de l'audiovisuel. Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner que le secteur public se trouve dans l'absolue nécessité de se mettre au niveau du secteur privé en utilisant les mêmes méthodes, puisqu'on lui impose les mêmes moyens. Les Gouvernements de droite et de gauche - depuis une quinzaine d'années - en sont responsables.

Il reste cependant des émissions spécifiques au service public : les émissions religieuses, l'expression syndicale et politique ; sur France 3, l'émission "Les petits bonheurs".

Quant au prix au m² de TF1, je vais le demander pour essayer de le mettre dans le rapport.

Concernant la redevance télévision, pourquoi M. Rousselet, dites-vous, n'a-t-il pas voulu du rapprochement avec le fichier des abonnés à Canal + ? Peut être, parce que des abonnés au câble étaient exonérés de la redevance : certes. Mais, plus sérieusement, parce qu'une telle mesure pouvait mettre en cause la confidentialité commerciale.

M. MICHEL CHARASSE - Ne pourrait-on pas tenter de reprendre cette mesure ?

M. LE PRÉSIDENT - Le rapport d'information pourrait évoquer cette question.

M. JEAN CLUZEL - J'ai toujours été partisan de la redevance. Ses enjeux économiques sont importants et ses enjeux culturels encore davantage. Acquitter une redevance, ce doit être le prix à payer pour maintenir notre capacité de production audiovisuelle.

QUESTION DE M. MAURICE BLIN -

Comment faire face à l'envahissement du marché européen par les produits américains ? Celui-ci a des conséquences sur le plan culturel. En effet, tant que le cinéma américain était un cinéma d'auteur, nous luttions avec les mêmes armes mais aujourd'hui, il y a une énorme différence entre le cinéma d'auteur et le cinéma "produit" fabriqué à partir d'une étude de marché. Dans ces conditions, je ne vois pas, et je le déplore, comment les Européens peuvent être à même de répondre à une telle concurrence.

RÉPONSE DU RAPPORTEUR -

Que fait-on contre l'envahissement des sous-produits américains ? Ma réponse est : pas assez. J'ajoute que, sous la présidence de M. Poncelet, nous avons commencé une étude sur les aides publiques au cinéma. Je pilote cette étude qui sera présentée prochainement à l'Office d'évaluation des politiques publiques.

Nous avons inventé, avec les Américains, le cinéma. Mais les Américains ont conservé les leçons de Molière : une histoire et du spectacle. Il semble que les enseignements de Molière aient été oubliés en France ! Le "Titanic" a battu en trois mois le record de "La grande vadrouille", parce qu'il présente une histoire et qu'il offre du spectacle.

QUESTIONS DE M. CHRISTIAN PONCELET, PRÉSIDENT -
1? Quels seront les effets sur la presse écrite de l'évolution technologique et commerciale de l'audiovisuel et du marché publicitaire ?

2? Va-t-on réussir un jour à établir un code déontologique pour les professions de l'information ?
INTERVENTION DE M. MICHEL CHARASSE - La presse n'en veut pas !

RÉPONSES DU RAPPORTEUR

Les craintes de M. Poncelet pour la presse écrite sont justifiées. Notre premier quotidien national français tire à 400 000 exemplaires (mais OUEST FRANCE à plus de 900 000). Le premier quotidien danois, à 600 000, ce qui représenterait plus de 5 000 000 d'exemplaires pour la France. Il existe un vrai problème de lecture de la presse dans notre pays. Concernant la déontologie de l'information, c'est avant tout une question de responsabilité personnelle et de respect de quelques grands principes.

M. LE PRÉSIDENT -

Merci, M. le Rapporteur spécial pour toutes ces précisions. Je demande à présent à la commission d'approuver cette communication.

Elle est adoptée à l'unanimité et sera publiée sous la forme d'un rapport d'information.

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