C. UNE EXCEPTION BIEN FRANÇAISE
Né de la nécessité de combler le vide
créé par la suppression de la tutelle, le contrôle des
actes financiers et budgétaires des collectivités locales, qui
est exercé, à titre principal, par les préfets et les
chambres régionales des comptes, constitue, donc, à maints
égards, une novation par rapport aux traditions institutionnelles et
administratives de notre pays. Original au regard de notre histoire, le
contrôle financier représente également une
spécificité française
par rapport à nos
partenaires européens.
En effet, si notre système de contrôle externe des finances n'est
pas sans équivalent en Europe, il demeure sans homologue, ni analogue
dans sa dimension juridictionnelle.
Les éléments de droit comparé, qui ont été
rassemblés par l'organisation européenne des institutions
européennes chargées du contrôle externe des finances
publiques (EURORAI)
9(
*
)
et
par le comité des experts du Conseil de l'Europe concluent à une
grande
diversité
des systèmes de contrôle selon la
nature et la forme de l'Etat :
Etat fédéral
comme
l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique et la Confédération
helvétique ;
Etat régionalisé
ou
"autonomique"
comme l'Italie ou l'Espagne ;
Etat unitaire
décentralisé
comme la France et
Etat unitaire
centralisé
comme le Portugal ou la République d'Irlande.
Au-delà de cette diversité des situations, des traits communs
peuvent être dessinés et des grandes tendances esquissées.
Tout d'abord, tous les Etats semblent être confrontés au
même dilemme celui qui découle de la nécessité de
concilier deux mouvements en apparence contradictoires : d'une part,
une aspiration générale à l'autonomie locale qui se
traduit par un processus de réduction des contrôles sur les
collectivités locales et, d'autre part, les difficultés
budgétaires et financières des Etats qui renforcent la propension
naturelle des gouvernements à surveiller l'évolution des budgets
locaux et à mettre en place des mécanismes de contrôle
régulier de l'emploi des fonds publics.
Deuxième ligne
de
fond
et de
force,
une tendance
à une
"normalisation",
voire à une
"banalisation"
du contrôle financier : la distinction entre les actes ou
délibérations à caractère financier et les autres
tend à s'estomper et le contrôle financier s'insère dans un
ensemble plus vaste celui du contrôle de légalité.
Toutefois, cette évolution générale laisse subsister des
exceptions pour certaines décisions relevant de la politique
financière de la collectivité, avec des survivances de
contrôle préalable et même d'un contrôle
d'opportunité exercé par l'organe de contrôle externe.
Tel est le cas en
Italie
où les comités régionaux
de contrôle (CORECO) exercent un quasi contrôle
d'opportunité en matière financière puisque dans l'examen
du budget et des comptes annuels, le contrôle de légalité
s'étend
"à la cohérence interne des actes"
et
à
"la correspondance des données comptables avec celles des
délibérations et avec les pièces justificatives jointes
à ces dernières".
Tel est le cas en
Autriche
où les décisions
financières les plus importantes font l'objet d'une approbation
préalable.
Mais le plus souvent les mécanismes d'approbation préalable ne
portent, de manière ponctuelle, que sur certaines décisions.
C'est ainsi qu'au
Portugal
les principaux contrats des
collectivités, qu'il s'agisse de travaux publics, de fournitures ou de
recrutements, doivent être soumis au contrôle préventif de
la Cour des comptes.
Quant aux décisions de recourir à l'
emprunt,
elles
demeurent fréquemment soumises à autorisation préalable,
comme notamment en
Autriche,
en
Belgique,
en
Espagne,
en
Irlande,
en
Norvège
et au
Royaume-Uni.
La
troisième tendance,
qui peut être observée,
réside dans une multiplication des procédures destinées
à déceler puis à faire face aux
"situations de crise
budgétaire"
comme un budget en déficit, lors de son adoption
ou en cours d'exécution.
La situation de déficit est généralement constatée
par l'autorité de contrôle ou à l'initiative de la
collectivité elle-même. Ce constat se traduit
généralement par la mise en oeuvre d'un
"mécanisme de
double commande",
en application duquel la collectivité est tenue de
se conformer aux prescriptions de l'autorité chargée du
contrôle.
La
quatrième tendance
est constituée par une
évolution assez générale vers un contrôle de gestion
axé sur un contrôle de
"l'économie, de l'efficience et
de l'efficacité de l'action publique"
(la
" règle des
3 E "
) qui se rapproche de l'audit ou de l'évaluation,
tout en évitant d'
apprécier
les choix politiques
effectués par la collectivité locale.
Enfin,
dernier élément
commun à tous les pays
européens, une tendance à confier le contrôle externe des
collectivités locales à des institutions autonomes et, de
façon générale, à des autorités
administratives indépendantes. Ces instances peuvent prendre la forme
d'un service de l'Etat comme en
Irlande
où les agents du
"service du contrôle financier des collectivités locales"
sont juridiquement des fonctionnaires du ministère de l'environnement,
ayant la qualité d'experts-comptables et bénéficiant d'une
indépendance reconnue.
Il peut s'agir également, comme au
Royaume-Uni,
de
commissions
de contrôle financier des administrations locales,
instituées
sous la forme d'organismes indépendants et disposant d'une autonomie
financière, puisque leurs ressources proviennent, en totalité,
des honoraires versés par les collectivités locales en
contrepartie des contrôles effectués.
Il peut s'agir, enfin, de cours des comptes, comme en
Allemagne
où il existe une cour par Land. En règle
générale, le président d'une cour et les
vice-présidents sont élus par le parlement du Land (le
Landstag
) et les membres des cours sont, pour partie, élus par le
parlement du Land et, pour partie, nommés par le gouvernement du Land.
En outre, sans être à proprement parler des magistrats, les
membres des Cours des comptes bénéficient de
l'indépendance d'un juge : ils ne sont pas révocables et ne
peuvent, sans leur consentement, être affectés à un autre
emploi.
Indépendant de l'Etat fédéral et de la Cour
fédérale des comptes, chaque cour se situe à mi-chemin
entre le parlement du Land, sur lequel elle s'appuie et dont elle tire sa
légitimité et son indépendance, et le gouvernement du Land
qui, comme le parlement, est destinataire des observations de la Cour.
En définitive,
les chambres régionales des comptes
françaises occupent une place particulière dans ce concert
européen tant par leur statut de juridiction -qui n'a pas
d'équivalent en Europe- que par l'étendue et la
variété de leurs attributions.