ANNEXE N° III
COMPTES RENDUS DES AUDITIONS AUXQUELLES A
PROCÉDÉ LE GROUPE DE TRAVAIL
M. Jacques BONNET
Président de chambre
à la Cour des Comptes,
Chef de la mission d'inspection
des
chambres régionales des comptes
Jeudi 5 juin 1997
M.
Jacques Bonnet
a, tout d'abord, dressé un tableau de la situation
actuelle des chambres régionales des comptes, dont le régime
juridique n'a cessé d'évoluer depuis l'institution de ces
chambres par la loi du 2 mars 1982. Soulignant que ces juridictions
nouvelles n'étaient que partiellement héritières de la
Cour des Comptes, il a insisté sur la part de novation qui avait
présidé à leur création. Il a relevé la
difficulté particulière de leur tâche dans la mesure
où leur champ de compétence concerne des assemblées
élues. Il a ensuite rappelé que les juridictions
financières locales comportaient 25 chambres régionales des
comptes, qui employaient un effectif de 320 magistrats, dont un tiers
était issu de l'Ecole nationale d'administration.
Par ailleurs, il a rappelé que les chambres régionales des
comptes devaient contrôler plus de 67.000 comptabilités
publiques, auxquelles il convenait d'ajouter les comptes de nombreux organismes
de droit privé bénéficiant de financements en provenance
des collectivités locales.
M. Jacques Bonnet
a ensuite dressé un bilan quantitatif de
l'activité des chambres régionales des comptes qui prononcent
plus de 17.000 jugements par an, ce qui correspond à un rythme
d'apurement quadriennal. Puis, il a indiqué qu'en 1995 les chambres
régionales des comptes avaient émis 1.370 avis
budgétaires et adressé 2.671 communications aux ordonnateurs
ou aux autorités administratives, dont plus de 1.120 lettres
d'observations provisoires et près de 960 lettres d'observations
définitives. Il a enfin souligné que 264 mises en
débet avaient été prononcées, qui avaient mis
à la charge des comptables publics près de 29 millions de
francs, cet ensemble ayant abouti dans 83 cas à une
déclaration de comptabilité de fait. 63 affaires ont fait
l'objet d'une transmission au procureur de la République.
M. Jacques Bonnet
a rappelé que la législation applicable
aux chambres régionales des comptes avait connu une évolution
constante puisque, depuis la loi fondatrice du 2 mars 1982, pas moins de
dix lois étaient intervenues pour modifier soit leurs
compétences, soit les procédures applicables à l'exercice
du contrôle financier. Il a insisté, en particulier, sur
l'importance de la "loi d'amélioration de la décentralisation" du
5 janvier 1988 qui avait, d'une part, restreint le champ d'action des
chambres régionales des comptes, en soustrayant à leur
contrôle les communes de moins de deux mille habitants et dont le montant
des recettes ordinaires était inférieur à 2 millions
de francs et, d'autre part, organisé et défini le cadre d'un
véritable contrôle de la gestion des collectivités locales.
Il a souligné que cette loi avait eu des effets très positifs,
dans la mesure où elle avait permis de recentrer le contrôle des
chambres régionales des comptes sur les "grandes" collectivités.
M. Jacques Bonnet
a, par ailleurs, insisté sur la naissance
d'une véritable procédure contradictoire destinée à
encadrer l'exercice du contrôle de gestion.
Il a ensuite axé son analyse sur les lettres d'observations
définitives, dont il a considéré qu'elles concentraient
les principales difficultés rencontrées dans l'exercice du
contrôle financier. S'agissant du contenu des lettres d'observations
définitives,
M. Jacques Bonnet
a tout d'abord
constaté que la très grande majorité des observations
traitait de la régularité des décisions des
collectivités locales sans qu'il soit porté d'appréciation
sur leur gestion. Sur ce point, il a précisé que l'analyse des
décisions de gestion était reprise dans le cadre de travaux
thématiques conduits par la Cour des Comptes sous la forme de rapports
particuliers. A cet égard, il a rappelé que ces rapports, qui
avaient traité notamment des constructions scolaires, de l'aide sociale,
du thermalisme et des interventions économiques des collectivités
locales, constituaient des analyses nuancées de la gestion des
collectivités locales. Il a ensuite insisté sur la fonction
essentielle des juridictions financières, qui était de concourir
à une bonne gestion des collectivités locales en les mettant en
garde contre un certain nombre de risques ou de dérives.
S'agissant du contrôle de l'opportunité des choix de gestion,
M. Jacques Bonnet
a souligné que, s'il existait parfois des
maladresses de rédaction dans les lettres d'observations, il ne
s'agissait, en aucun cas, pour les juridictions financières de porter
une appréciation sur les choix politiques effectués par les
élus locaux. Il a alors évoqué les deux cas "litigieux" du
pont de Normandie et de la participation financière de la commune des
Sables-d'Olonne au "Vendée-Globe". A cet égard, il a noté
que, dans le premier cas, la chambre régionale des comptes avait
relevé l'absence de compétence du département pour
participer à cette opération, ainsi que le renchérissement
du coût de l'opération. Dans le second cas, la chambre
régionale des comptes s'était bornée à
suggérer la réalisation d'études destinées à
évaluer les "retours" de la participation financière de la
commune en termes d'effets économiques et à mettre ces
éventuelles retombées en rapport avec l'investissement
effectué par la collectivité.
Il a cependant considéré que la mise en oeuvre du contrôle
de gestion pouvait s'avérer imparfaite et que ce constat avait conduit
la Cour des Comptes à engager une vaste consultation des chambres
régionales des comptes, dont l'objectif était d'aboutir à
l'élaboration d'un "code de bonne conduite" dans la mise en oeuvre du
contrôle de gestion. Soulignant que cette consultation était
encore en cours, il a néanmoins précisé que les principaux
objectifs de cette démarche étaient de recommander une
hiérarchisation des observations en fonction de leur importance et de
leur enjeu financier et de définir des critères objectifs pour
apprécier la gestion d'une collectivité locale.
S'agissant d'éventuelles adaptations législatives,
M. Jacques
Bonnet
a indiqué qu'à l'exception d'une éventuelle
suppression de l'automaticité de la sanction
d'inéligibilité et de démission d'office applicable
à la gestion de fait, la Cour des Comptes considérait que les
textes en vigueur formaient un ensemble acceptable. Il a cependant
relevé qu'un éventuel développement du rôle
préventif des chambres régionales des comptes pouvait être
envisagé en instituant une procédure d'avis préalable sur
les projets de conventions comportant une délégation de service
public, ainsi qu'en ce qui concerne les "montages" juridiques susceptibles de
déboucher sur une gestion de fait.
S'agissant de l'institution éventuelle d'une procédure de recours
à l'encontre des lettres d'observations définitives qui serait
exercée par les collectivités locales auprès de la Cour
des Comptes, il a considéré qu'il existait un problème
juridique dans la mesure où la lettre d'observations définitives
ne constituait pas une décision juridictionnelle et qu'en outre, une
telle procédure comportait, dans l'état actuel des moyens dont
dispose la Cour des Comptes, un risque d'encombrement de son prétoire.
Répondant aux questions de
M. Yann Gaillard, rapporteur par
intérim,
le chef de la mission d'inspection des chambres
régionales des comptes a tout d'abord indiqué que la mission
pouvait être saisie par le Premier Président de la Cour des
comptes, à la suite d'une lettre adressée par une
collectivité locale, afin de se prononcer sur le point de savoir si une
chambre régionale des comptes avait outrepassé ses
compétences. Sur ce point, il s'est dit favorable à la mise en
oeuvre d'une pratique prétorienne, plutôt qu'à une
définition législative plus précise du rôle de la
mission d'inspection des chambres régionales des comptes.
S'agissant des violations de la règle du secret professionnel au cours
d'un contrôle de gestion,
M. Jacques Bonnet
a souligné
l'existence d'un droit disciplinaire qui permettait de sanctionner les
magistrats qui seraient reconnus coupables de manquements à la
règle du secret professionnel. Il a cependant relevé que la
très grande majorité des "fuites" ne trouvaient pas leur origine
dans les chambres régionales des comptes. Sur ce point, il a
néanmoins jugé utile de réaffirmer le caractère
impératif de la règle du secret professionnel.
S'agissant de l'adjonction des réponses de la collectivité locale
à la lettre d'observations définitives, il a souligné
qu'il n'existait pas d'obstacles de principe à une telle adaptation.
Quant aux formes de la communication de ces lettres d'observations
définitives aux assemblées délibérantes,
M.
Jacques Bonnet
a rappelé que les textes prévoyaient une
"communication", qui pouvait être écrite, et ne prescrivaient, en
aucun cas, l'obligation d'une lecture devant l'assemblée
délibérante. S'agissant, enfin, de la distinction existant entre
le contrôle juridictionnel et le contrôle de gestion, il a
précisé que ces derniers relevaient de deux logiques totalement
distinctes.
Répondant ensuite aux questions de
M. Joël Bourdin,
le chef
de la mission d'inspection des chambres régionales des comptes a tout
d'abord reconnu la difficulté de définir
précisément la frontière entre le contrôle de
régularité et le contrôle d'opportunité. A cet
égard, il a rappelé qu'il n'appartenait pas aux juridictions
financières de se prononcer sur des décisions politiques, mais
qu'elles devaient cantonner leur action à l'analyse de la mise en oeuvre
financière de ces décisions. S'agissant d'éventuels cas de
"harcèlement" d'une collectivité locale par une chambre
régionale des comptes,
M. Jacques Bonnet
a demandé que si
de tels cas existaient, ils soient signalés à la Cour des
comptes, qui pourrait éventuellement engager une procédure de
sanction disciplinaire en cas de manquements graves aux règles
professionnelles. S'agissant, enfin, de l'articulation entre le contrôle
de légalité et le contrôle de gestion, il a indiqué
que le fait, pour une collectivité locale, d'avoir passé "la
barrière" du contrôle de légalité ne pouvait pas
préjuger de la régularité de la mise en oeuvre d'une
décision.