C. UNE CONCENTRATION PÉRILLEUSE
Les
années récentes ont été marquées par de
nombreuses fusions-acquisitions. Mais loin d'avoir été les
prédateurs, les grandes se sont avérées être les
proies de telles opérations.
L'année 1996 a été marquée par le rachat de l'UAP
par AXA, donnant naissance à un géant de 300 milliards de
francs de chiffre d'affaires. Les AGF sont ensuite entrés dans le giron
de l'allemand Allianz fin 1997, Athéna étant partagée
entre les AGF et l'italien Generali qui a récupéré
l'allemand AMB. Groupama a enfin repris le GAN en 1998, se hissant au
2
ème
rang de l'assurance française derrière
AXA-UAP.
Or, en dépit d'une certaine rationalité, la concentration traduit
une lutte pour l'accroissement de la part de marché dans le contexte
d'un marché européen arrivé à maturité. Elle
reflète la rivalité des grands groupes pour le pouvoir de
marché et la maîtrise des politiques tarifaires.
1. La course à la part de marché remplace le souci de rentabilité
Le
secteur français de l'assurance est nettement plus concentré que
dans les pays de taille comparable en Europe ou dans le monde. Ceci est
certainement le résultat de l'action de l'Etat pendant la période
de nationalisation, qui a donc ainsi profité de la période
où il était propriétaire de l'assurance pour entreprendre
une certaine restructuration du secteur, contrairement à l'inaction qui
lui a été reprochée dans le domaine bancaire.
Cependant, paradoxalement, les acquisitions à un prix parfois trop
élevé, n'ont pas nécessairement renforcé les
géants nationaux comme en a témoigné la chute du cours de
l'action UAP trois mois après sa mise sur le marché. La
capitalisation de la société est ainsi passée de 50
à 30 milliards de francs, ce qui a facilité son rachat par
AXA.
Or, la concentration de l'assurance française s'est
accélérée ces dernières années. Elle devrait
encore se prolonger, même si le mouvement de fusion absorption semble
parvenir à un pallier.
Les dix premiers groupes d'assurance détenaient en 1997 près de
68 % des parts de marché (volume des primes) contre 60 % en
1990.
Cette concentration vise d'abord à répondre à
l'européanisation et à la globalisation de
l'économie : face à des acteurs économiques à
vocation mondiale, des partenaires financiers globaux sont requis pour
accompagner et soutenir les stratégies mondiales des entreprises et des
groupes industriels.
Les fusions permettent en effet :
- de profiter de synergies commerciales par complémentarité des
produits ;
- de réaliser des économies d'échelle par la mise en
commun d'un certain nombre de services administratifs, financiers ou
informatiques qui sont générateurs de frais fixes
élevés.
Toutefois, il est à craindre que cette lutte pour les parts de
marché l'emporte sur le souci de rentabilité, voire de
solidité, et qu'ainsi, comme l'observe le Commissariat
Général du Plan, "
la concentration infuse une dose
d'aléa moral non négligeable dans le système financier,
susceptible de produire des effets négatifs en cas de
crise
".
2. Au delà d'un certain seuil, les regroupements sont contre-productifs
En
effet, le commissariat Général du Plan estime que "
le
coût d'acquisition du contrôle des sociétés cibles
sur le marché financier et les limites des rendements d'échelle
peuvent restreindre sérieusement l'intérêt objectif pour
les actionnaires d'un certain nombre d'absorptions et du processus de
concentration au delà de certains seuils
".
Deux arguments sont avancés par le CGP :
Les prix d'acquisition de nouvelles filiales par des groupes d'assurance
intégrant souvent une prime de contrôle parfois
élevée comportant une survaleur (un " goodwill ")
importante, peuvent mettre en cause la rentabilité de ces
opérations.
Les économies d'échelle ne sont pas infinies. En effet, selon une
étude SIGMA, les économies d'échelle dans l'assurance sont
réelles jusqu'à 500 millions de dollars de primes émises.
L'étude montre à l'inverse que les petites structures d'assurance
opérant sur des niches ont des marges moyennes supérieures
à celles des plus grands groupes grâce à des frais
généraux et une sinistralité mieux
maîtrisés.
3. Les restructurations bousculent les agents généraux23( * )
Selon la
fédération nationale des syndicats d'agents
généraux d'assurance (FNSAGA) le nombre d'agents
généraux est passé de 25.000 au début des
années 80 à 17.000 aujourd'hui, soit 50.000 personnes avec
leurs collaborateurs.
Payés à la commission, les agents généraux sont les
mandataires d'un groupe d'assurances dont la stratégie affecte son
activité. Or, les stratégies de rationalisation mises en place
par le groupe d'assurances à l'égard de leurs réseaux de
distribution risquent de diminuer encore le nombre d'agents
généraux.
Pour autant, cette profession qui est l'une des plus anciennes dans le monde de
l'assurance est loin d'être amenée à disparaître mais
les mutations en cours nécessiteront chez les agents
généraux une adaptation de leur compétence. En
réduisant régulièrement les taux de commission et en
procédant à des regroupements d'agences, les assureurs poussent
en effet les agents à optimiser leurs techniques de marketing et
à accroître leur chiffre d'affaires.
Enfin, il faut noter que la convention signée en 1996 par la FNSAGA, la
fédération française des sociétés
d'assurances (FFSA) et les pouvoirs publics a réformé l'ancien
statut des agents généraux. Les compagnies d'assurance disposent
en effet de la possibilité de baisser les taux de commission et
d'imposer aux candidats à la reprise d'agences des conditions de plus
grande rentabilité.
Au terme de ce panorama rapide du secteur de l'assurance en France, si l'on
peut avoir des motifs de satisfaction et estimer, comme le Commissariat
Général du Plan, que les acteurs français de l'assurance
sont désormais bien aguerris au jeu de la concurrence, il convient
toutefois de ne pas perdre de vue la vulnérabilité très
grande de l'assurance française.
Cette vulnérabilité est d'autant plus préoccupante dans le
contexte actuel de volatilité des places boursières et de baisse
des taux d'intérêt que le résultat technique des
sociétés d'assurance est très dépendant des
produits financiers qu'elles réalisent.
Or, certains aspects réglementaires et fiscaux ont tendance à
entretenir cette vulnérabilité en constituant des distorsions de
concurrence ou en déstabilisant les flux de primes qui constituent le
chiffre d'affaires des assureurs.