MAÎTRISER LES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE : QUELS INSTRUMENTS ÉCONOMIQUES ?
LEPELTIER (Serge)
RAPPORT D'INFORMATION 346 (98-99) - Délégation du Sénat pour la planification
Table des matières
- SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS
- INTRODUCTION
-
CHAPITRE I
DÉSORMAIS SCIENTIFIQUEMENT ÉTABLIE,
LA NÉCESSITÉ DE MAÎTRISER LES ÉMISSIONS
DE GAZ À EFFET DE SERRE A ÉTÉ UNANIMEMENT RECONNUE LORS DES SOMMETS
DE RIO (1992) ET DE KYOTO (1997)- I. POURQUOI LUTTER CONTRE L'ACCUMULATION DE GAZ À EFFET DE SERRE DANS L'ATMOSPHÈRE ?
- II. POURQUOI S'EFFORCER DE RÉDUIRE LES ÉMISSIONS DÈS MAINTENANT ?
-
III. POURQUOI LES PAYS INDUSTRIALISÉS DOIVENT-ILS
S'ENGAGER LES PREMIERS DANS LA MAÎTRISE DES ÉMISSIONS DE GAZ
À EFFET DE SERRE ?
- 1. Les pays en développement seront à l'avenir les principales victimes et les principaux responsables de l'accroissement des émissions de gaz à effet de serre
- 2. Les pays industrialisés ont toutefois une responsabilité historique en matière d'effet de serre
- 3. Les pays industrialisés doivent donc s'engager les premiers dans la maîtrise des émissions, de manière suffisamment crédible pour rallier les pays en développement
- IV. POURQUOI ACCORDER LA PRIORITÉ À LA MAÎTRISE DES ÉMISSIONS DE CO2 ?
-
CHAPITRE II
LA THÉORIE ÉCONOMIQUE PROPOSE DES INSTRUMENTS POUR RÉDUIRE LES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE AU MOINDRE COÛT- I. LA MAÎTRISE DES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE N'IRA PAS SANS COÛTS NI EFFETS REDISTRIBUTIFS
-
II. LA TAXATION DES ÉMISSIONS DE CO2 : UN
INSTRUMENT SIMPLE ET EFFICIENT, MAIS QUI POURRAIT PÉNALISER LA
COMPÉTITIVITÉ DES PAYS QUI Y RECOURRAIENT ISOLÉMENT.
- 1. La taxation est un instrument simple et efficient, qui satisfait au principe pollueur-payeur
- 2. Pour être efficace, la taxation doit toutefois s'accompagner de politiques publiques d'incitation à la maîtrise de l'énergie
- 3. Sous certaines conditions strictes, la taxation des émissions de CO2 pourrait conduire à un " double dividende "
- 4. La taxation des émissions de CO2 doit être coordonnée à l'échelle internationale
- 5. La coordination internationale des taxes sur le CO2 est néanmoins délicate
-
III. LES MARCHÉS DE PERMIS D'ÉMISSION
CONSTITUENT UN INSTRUMENT EFFICIENT, MAIS DE MISE EN oeUVRE DIFFICILE
- 1. Le principe des marchés de permis d'émission n'est aucunement immoral
- 2. Les marchés de permis constituent un instrument efficient sous certains conditions
- 3. Cette intuition théorique est validée par les expériences de marchés de permis conduites aux États-Unis
- 4. L'allocation initiale des permis soulève toutefois des difficultés considérables
- IV. LA RÉGLEMENTATION EST NÉCESSAIRE, À TITRE COMPLÉMENTAIRE
- V. BIEN CIBLÉES, LES SUBVENTIONS SONT EFFICACES
-
CHAPITRE III
ENJEUX ET MODALITÉS DE LA COOPÉRATION INTERNATIONALE EN MATIÈRE DE CHANGEMENT CLIMATIQUE- I. UNE COOPÉRATION DIFFICILE
- II. POURTANT SIMPLE ET EFFICIENTE, LA CRÉATION D'UNE TAXE COORDONNÉE SUR LE CO2 N'A PAS ENCORE FAIT L'OBJET D'UN ACCORD INTERNATIONAL
- III. LE SOMMET DE KYOTO S'EST CONCLU PAR UN ACCORD SUR LE PRINCIPE DE QUOTAS D'ÉMISSIONS POUR LES PAYS INDUSTRIALISÉS À PARTIR DE 2008, C'EST-À-DIRE D'UNE APPROCHE PAR LES QUANTITÉS ET NON PAS PAR LES PRIX
-
IV. LES PAYS SIGNATAIRES DU PROTOCOLE DE KYOTO SE SONT
ÉGALEMENT ACCORDÉS SUR LE PRINCIPE DE MÉCANISMES
D'ÉCHANGE DE LEURS QUOTAS
- 1. Le principe commun de ces mécanisme de flexibilité : plusieurs pays peuvent s'accorder pour répartir leurs efforts de manière plus efficiente
- 2. L'Union européenne a ainsi obtenu la possibilité de former une " bulle " au regard du protocole de Kyoto
- 3. Le protocole de Kyoto reconnaît également la possibilité de marchés internationaux de permis d'émissions, et le principe de la " mise en oeuvre conjointe "
- 4. Le protocole de Kyoto reconnaît deux mécanismes de flexibilité intertemporelle
- 5. Le protocole de Kyoto reconnaît le " mécanisme de développement propre "
-
V. LE FONCTIONNEMENT CONCRET DE CES MÉCANISMES
D'ÉCHANGE, QUI SOULÈVENT DES DIFFICULTÉS
CONSIDÉRABLES, DEVRA ÊTRE NÉGOCIÉ AVANT LA FIN DE
L'AN 2000
- 1. Le " calendrier de Buenos Aires "
- 2. Le fonctionnement pratique de ces échanges soulève des difficultés considérables
- 3. Les difficultés pratiques soulevées par les mécanismes de flexibilité sont liées au principe même des quotas, et non pas aux instruments d'échange
- 4. Le mécanisme de développement propre présente des risques spécifiques
-
VI. LE DÉVELOPPEMENT DES ÉCHANGES DE PERMIS
D'ÉMISSION SOULÈVE DES INQUIÉTUDES LÉGITIMES
- 1. Les marchés de permis pourraient constituer une désincitation à la maîtrise des émissions pour les pays industrialisés
- 2. La mise en place de marchés internationaux de permis d'émissions pourrait s'accompagner de conflits et de distorsions de concurrence
- 3. L'Union européenne souhaite donc limiter le rôle des mécanismes de flexibilité
- VII. LA FRANCE ET L'UNION EUROPÉENNE SERAIENT TOUTEFOIS LES PRINCIPAUX BÉNÉFICIAIRES DES ÉCHANGES DE PERMIS, ET NE POURRONT SANS DOUTE PAS RESPECTER LEURS ENGAGEMENTS DE KYOTO SANS ACHETER DES PERMIS
- VIII. L'UNION EUROPÉENNE DOIT DONC ENVISAGER AVEC PLUS D'OUVERTURE LES ÉCHANGES DE PERMIS D'ÉMISSION
-
CHAPITRE IV
A L'ÉCHELLE NATIONALE, ASSOCIER
VOLONTARISME POLITIQUE ET UTILISATION PRAGMATIQUE DES INSTRUMENTS ÉCONOMIQUES-
I. COMBINER LES INSTRUMENTS ÉCONOMIQUES AVEC
PRAGMATISME
- 1. Pour des politiques graduelles, prévisibles et crédibles
- 2. Pour des politiques coordonnées à l'échelle européenne
- 3. Réduire les distorsions fiscales et réglementaires
- 4. Différencier les politiques de maîtrise des émissions selon les secteurs d'activité
- 5. Privilégier la vérité des prix dans le secteur des transports
- 6. Privilégier les incitations publiques et la réglementation pour le secteur résidentiel-tertiaire
- 7. Privilégier les engagements volontaires et l'accès aux marchés de permis pour les industries à haut contenu énergétique
-
II. INFLÉCHIR LES CHOIX COLLECTIFS
- 1. Informer les citoyens
- 2. Rétablir la notion de maîtrise de l'énergie
- 3. Donner l'exemple dans les administrations
- 4. Prendre en compte l'effet de serre dans les choix publics
- 5. Evaluer et coordonner les choix publics
- 6. Associer les collectivités locales
- 7. Débattre au Parlement des Plans nationaux de lutte contre l'effet de serre
-
I. COMBINER LES INSTRUMENTS ÉCONOMIQUES AVEC
PRAGMATISME
- CONCLUSION
N°
346
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès verbal de la séance du 11 mai 1999.
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation du Sénat pour la planification (1) sur les instruments économiques et fiscaux visant à limiter les émissions de gaz à effet de serre,
Par
M. Serge LEPELTIER,
Sénateur.
(1)
Cette délégation est composée de
: MM. Joël
Bourdin,
président
; Serge Lepeltier, Marcel Lesbros, Georges
Mouly, Jean-Pierre Plancade,
vice-présidents
; Roger Husson,
Mme Odette Terrade,
secrétaires
; M. Pierre André,
Mme Janine Bardou, MM. Michel Charzat, Patrick Lassourd, Henri Le Breton,
Daniel Percheron, Roger Rinchet, Alain Vasselle.
Environnement -
Changement climatique - Commerce international -
Coordination des politiques économiques - CO
2
-
Développement propre - Double dividende - Economies d'énergie -
Economie de l'environnement - Ecotaxe - Effet de serre - Equité -
Evaluation des politiques publiques - Fiscalité - Marchés de
permis - Mécanismes de flexibilité - Modèles
macroéconomiques - Permis d'émission négociables -
Protocole de Kyoto - Prospective -Réglementation - Sommet de Rio -
Subventions - Transports - Union européenne.
SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS
Pour
les négociations internationales relatives au changement
climatique :
• Promouvoir inlassablement l'idée d'une taxation des
émissions de CO
2
coordonnée dans les pays de l'OCDE.
• Mais accepter, au nom du principe de précaution, le
développement des échanges internationaux de permis
d'émissions, dont la France aura sans doute besoin pour respecter ses
engagements de Kyoto.
• Renoncer à l'idée avancée par la France et l'Union
européenne de rationner ces échanges de permis.
• Mais mobiliser les négociateurs européens pour que les
échanges de permis prévus par le protocole de Kyoto soient
efficaces, transparents, ouverts, non discriminatoires et concurrentiels.
• Promouvoir l'harmonisation internationale des règles
d'allocation des permis d'émissions aux opérateurs privés.
• Renforcer l'expertise économique et financière des
Délégations européennes aux conférences
internationales sur le climat.
• Inciter les entreprises françaises à participer à
des projets de développement propre.
Pour le cadre communautaire de maîtrise des émissions de gaz
à effet de serre :
• Adopter la proposition de directive qui vise à étendre
et à renforcer la taxation minimale des produits
énergétiques.
• Rechercher les bases d'un compromis pour une coordination plus
ambitieuse de la fiscalité de l'énergie dans l'Union
européenne.
• Coordonner les grandes lignes des politiques nationales des Etats
membres en matière d'effet de serre.
• Instaurer avant 2008 un système européen de permis
d'émissions négociables, ouvert aux entreprises industrielles et
aux collectivités territoriales, et interconnecté à terme
avec les marchés internationaux de permis.
Pour les mesures nationales de maîtrise des émissions de gaz
à effet de serre :
• Mieux informer les citoyens des enjeux liés au changement
climatique.
• Débattre au Parlement des plans nationaux de lutte contre
l'effet de serre.
• Conduire des politiques graduelles, annoncées à l'avance
et qui préparent systématiquement le très long terme.
Privilégier les mesures " utiles en tout état de
cause ".
• Déterminer, dans le cadre du Commissariat général
du Plan, une valeur de référence pour la tonne de carbone
émis.
• Intégrer systématiquement la valeur des émissions
de gaz à effet de serre évitées ou suscitées par
les grands projets d'infrastructure dans l'évaluation de leur
rentabilité socio-économique.
• Refonder et rétablir la notion d'économies
d'énergie. Renforcer durablement les moyens de l'ADEME consacrés
à la maîtrise de l'énergie.
• Donner l'exemple dans les bâtiments de l'Etat : respecter la
réglementation qui limite la température dans les locaux
publics ; modifier les modalités d'investissement immobilier de
l'Etat pour prendre en compte les coûts de fonctionnement des
bâtiments.
• Réduire les distorsions fiscales et réglementaires qui
concourent insidieusement à accroître nos émissions de gaz
à effet de serre : rapprocher la fiscalité des
énergies primaires de leur contenu en CO
2
;
rééquilibrer la fiscalité des carburants ; modifier
les mécanismes de péréquation des prix de
l'électricité ; favoriser le développement des
énergies renouvelables dans les départements d'outre-mer.
• Promouvoir la filière bois et le développement de la
cogénération.
• Restituer au consommateur un signal de prix qui intègre le
coût pour la collectivité du choix de son mode de transport ;
moduler la fiscalité des véhicules selon leurs émissions
de polluants.
• Contrôler l'application de la réglementation relative aux
performances énergétiques des nouveaux bâtiments.
Simplifier et renforcer la réglementation relative aux bâtiments
tertiaires.
• Amplifier les déductions fiscales pour gros travaux sur les
opérations de rénovation et de réhabilitation qui
présentent une utilité collective manifeste, et plus
particulièrement sur les travaux qui réduisent la consommation
d'énergie.
• Informer sur les gisements d'économies d'énergie :
sensibiliser les jeunes aux consommations inutiles ; diffuser les ampoules
basse consommation, renforcer l'étiquetage des appareils
électroménagers ; développer la certification ;
former à la conduite économique ; mettre en oeuvre la
disposition de la loi sur l'air du 30 décembre 1996 qui rend obligatoire
l'information des locataires et des acquéreurs de logements sur les
dépenses énergétiques qu'ils peuvent s'attendre à
acquitter annuellement.
• Développer l'appui au diagnostic énergétique
pour les collectivités locales, les PME et les particuliers. Mettre
à leur disposition, via le réseau Internet, des auto-diagnostics
énergétiques. Favoriser l'émergence d'un marché de
services énergétiques aux usagers.
Pour les collectivités territoriales :
• Informer et conseiller les élus locaux. Associer les
collectivités territoriales à la maîtrise des
émissions de gaz à effet de serre.
• Prendre en compte, de manière cohérente, la
maîtrise des émissions de gaz à effet de serre dans les
contrats de Plan Etat-Régions et dans les contrats
d'agglomération.
• Coordonner les politiques foncières, la fiscalité locale,
l'urbanisme commercial, l'offre de services collectifs et l'offre de transports
en commun pour réduire les trajets subis et le recours
systématique à la voiture individuelle pour les
déplacements quotidiens.
• Promouvoir l'offre de transports économes en énergie
fossile. Faciliter la circulation à vélo. Mieux imputer aux
automobilistes le coût collectif de l'usage de leur véhicule en
ville. Mieux réguler les feux.
• Développer les énergies locales : filière
bois, cogénération, valorisation énergétique des
déchets, petit hydraulique, géothermie, éolien,
solaire.
INTRODUCTION
A
l'issue du sommet " Planète terre " tenu à Rio de
Janeiro en juin 1992, 171 Etats, dont tous les Etats européens, auxquels
s'ajoute l'Union européenne, signataire à part entière,
ont ratifié la
convention-cadre
des Nations Unies sur le
changement climatique
, dont l'objectif ultime est "
la
stabilisation des concentrations de gaz à effet de serre dans
l'atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation
anthropique
1(
*
)
du système
climatique
".
Dans le cadre de cette convention, entrée en vigueur le
21 mars 1994, les pays dits " de l'Annexe I ",
c'est-à-dire les pays de l'OCDE (dont la France), l'Ukraine et la
Russie, ainsi que la plupart des pays d'Europe orientale, se sont
engagés à
stabiliser
le volume de leurs émissions
de gaz à effet de serre en l'an 2000 au même niveau qu'en 1990.
Au
Sommet de Kyoto
(décembre 1997), ces engagements ont
été prolongés pour la période 2008-2012 : les pays
industrialisés se sont en moyenne engagés à réduire
de 5,2 % leurs émissions de gaz à effet de serre sur la
période 2008-2012 par rapport à 1990, l'Union européenne
s'engageant pour sa part à réduire ses émissions de
8 %.
Dans le cadre d'un accord interne à l'Union européenne, la
France
s'est engagée à
stabiliser
ses
émissions
(objectif 0 %).
Ces
objectifs
quantifiés, notamment parce qu'ils ne concernent
que les pays industrialisés, sont relativement
modestes
d'un
point de vue environnemental : leur respect ne ferait que ralentir
légèrement la progression des concentrations de gaz à
effet de serre dans l'atmosphère et retarder un peu les effets du
changement climatique.
Pourtant, le respect de ces engagements suppose une
inflexion majeure
des tendances de la consommation d'énergie dans les pays les plus
développés.
En effet, alors même que la faiblesse de la croissance économique
dans les années 1990 a freiné la consommation d'énergie,
la France ne devrait pas respecter son objectif de stabilisation des
émissions de gaz à effet de serre en l'an 2000 par rapport
à 1990 : après s'être infléchies au
début des années 1990, nos émissions de CO
2
réaugmentent fortement (+4,7 % en 1998) et se sont
établies en 1998
2(
*
)
à
108 millions de tonnes d'équivalent carbone, nettement
au-delà du niveau atteint en 1990 (104,5 millions de tonnes).
En outre, si l'économie française connaissait, lors de la
prochaine décennie, une progression de l'activité de l'ordre de
son " potentiel de croissance ", (environ 2,3 % par an), les
émissions de gaz à effet de serre
augmenteraient
spontanément de près d'un quart.
Le rapport du Commissariat général du Plan " Energie
2010-2020, les chemins d'une croissance sobre ", suggère donc que
le respect par la France du protocole de Kyoto repose sur la combinaison de
trois facteurs : "
une politique nationale de maîtrise de
l'énergie volontariste, une convergence au moins européenne
autour de certaines mesures, une transformation socioculturelle des modes de
vie
"
3(
*
)
.
Or, la mise en oeuvre des plans nationaux successifs de lutte contre l'effet de
serre a pris du retard : les mesures de maîtrise des
émissions appliquées à ce jour représenteraient
seulement
15 % des efforts
requis
pour stabiliser les
émissions de gaz à effet de serre en France d'ici 2008-2012, et
la mise en oeuvre effective de l'ensemble des mesures décidées au
cours des années 1990 ne représenterait qu'un quart à la
moitié des efforts requis.
Ce constat a conduit la Délégation pour la Planification du
Sénat à confier à votre rapporteur un
rapport
d'information
sur les instruments économiques qui permettraient
à la France de maîtriser ses émissions de gaz à
effet de serre au
moindre coût
économique.
CHAPITRE I
DÉSORMAIS SCIENTIFIQUEMENT
ÉTABLIE,
LA NÉCESSITÉ DE MAÎTRISER LES
ÉMISSIONS
DE GAZ À EFFET DE SERRE A ÉTÉ
UNANIMEMENT RECONNUE LORS DES SOMMETS
DE RIO (1992) ET DE KYOTO
(1997)
I. POURQUOI LUTTER CONTRE L'ACCUMULATION DE GAZ À EFFET DE SERRE DANS L'ATMOSPHÈRE ?
1. L'effet de serre est un phénomène naturel, mais qui est amplifié par le développement des activités humaines
L'effet
de serre est un phénomène naturel. S'il n'existait pas, la terre
serait inhabitable, car la température sur terre serait
inférieure de quelque 33° C à ses niveaux actuels.
Le
mécanisme
de l'effet de serre, schématiquement, est le
suivant
4(
*
)
: le rayonnement solaire
incident est pour partie absorbé par la terre, principalement à
la surface, pour partie renvoyé vers l'espace sous la forme de
rayonnements de longueur d'onde plus élevée. Une partie de ce
rayonnement est à son tour absorbée et réfléchie
par les gaz à effet de serre de l'atmosphère, principalement par
la vapeur d'eau, les nuages, le CO
2
(dioxyde de carbone), le
CH
4
(méthane), le N
2
O (protoxyde d'azote) et les
CFC (chlorofluorocarbones)
5(
*
)
.
Autrement dit, la terre reçoit à la fois un rayonnement provenant
directement du soleil et un rayonnement réfléchi par
l'atmosphère, ce qui entraîne une élévation des
températures moyennes à la surface.
Cet effet est
amplifié
par les formes contemporaines du
développement des activités humaines.
En effet, la plupart des activités humaines (transports, chauffage,
réfrigération, industrie, élevage, déchets...)
rejettent des gaz à effet de serre. En particulier, l'utilisation de
sources fossiles d'énergie (charbon, pétrole, gaz) ou de
l'électricité produite à partir de ces sources fossiles,
émet du CO
2
, qui se diffuse très rapidement dans
l'atmosphère et y demeure en moyenne plus d'un siècle avant
d'être " piégé " dans des " puits à
carbone ", comme la végétation.
Tous les modèles s'accordent à prévoir que les
émissions humaines de gaz à effet de serre augmenteront
spontanément à un rythme soutenu au cours des décades
à venir. Selon l'OCDE, le total de ces émissions pourraient ainsi
tripler
d'ici 2050, pour atteindre 50 à 70 milliards de
tonnes d'équivalent CO
2
, soit 15 à 20 milliards
de tonnes d'équivalent carbone
6(
*
)
par an.
Ces émissions de gaz à effet de serre tendent à
s'accumuler
dans l'atmosphère : il est désormais
établi que la teneur atmosphérique des gaz à effet de
serre a significativement augmenté depuis l'époque
préindustrielle, notamment pour le méthane (CH
4
:
+ 145 % environ), le protoxyde d'azote (N
2
O :
+ 15 % environ) et le CO
2
(+ 30 % environ).
La
concentration
de CO
2
dans l'atmosphère est ainsi
passée de 280 ppm
7(
*
)
à
360 ppm en un siècle, alors qu'elle n'était pas sortie d'une
fourchette de 170 ppm à 280 ppm au cours des 200.000
années précédentes.
2. L'accumulation des gaz à effet de serre dans l'atmosphère tend à changer le climat
Les
constatations précédentes ont conduit en 1988 à la
création du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution
du climat (GIEC), sous l'égide du Programme des Nations Unies pour
l'Environnement (PNUE) et de l'Organisation météorologique
mondiale (OMM). Le GIEC est une
instance
intergouvernementale
qui
regroupe près de deux mille chercheurs et experts, avec pour missions
d'évaluer les données scientifiques disponibles sur
l'évolution du climat, d'en apprécier les incidences
écologiques et socio-économiques, et de formuler des
stratégies possibles de prévention et d'adaptation.
Le GIEC a publié un premier rapport en 1990. Mis à jour en 1992,
ce rapport a servi de base scientifique aux négociations du sommet de la
Terre de Rio. Le GIEC a ensuite rendu public en 1995 son deuxième
rapport d'évaluation, et conduit désormais un processus
d'expertise continu : un troisième rapport est en cours
d'élaboration.
Les résumés de ces rapports ont été
approuvés mot à mot
à l'unanimité par
l'assemblée du GIEC et
ratifiés
par l'ensemble des parties
à la convention cadre sur le climat (dont la France).
Les rapports du GIEC concluent très nettement que l'accumulation de gaz
à effet de serre dans l'atmosphère tend à
modifier le
climat
.
Le GIEC a ainsi mis en évidence de nombreuses "
anomalies
statistiques " relatives à l'évolution récente du
climat. Par exemple, l'ampleur et la persistance d'El Niño entre 1990 et
1995, phénomène à l'origine de sécheresses et
d'inondations en Amérique Latine ont été inhabituelles par
rapport à la situation au cours des 120 dernières années.
En outre, les travaux scientifiques coordonnés par le GIEC indiquent
que la température moyenne à la surface de la terre a
augmenté de 0,3 à 0,6 °C depuis l'ère
préindustrielle, les effets de ce
réchauffement
ayant
été jusqu'alors en partie masqués et
atténués par l'inertie thermique des océans et par la
présence croissante d'aérosols (poussières, sulfates) dans
l'atmosphère (où ils font écran au rayonnement solaire).
En l'absence de mesures énergiques de maîtrise des
émissions de gaz à effet de serre, le GIEC estime donc que la
température
moyenne à la surface de la terre pourrait
s'accroître encore de 2° C entre 1990 et 2100
(+ 1° C à + 3,5° C selon les
scénarios), ce qui représente (par dilatation thermique) une
élévation d'environ 50 cm du
niveau de la mer
(+ 15 à + 95 cm selon les scénarios).
Enfin, le GIEC a étudié différents
scénarios
qui permettraient de
stabiliser
la concentration de CO
2
dans
l'atmosphère. L'examen de ces scénarios suggère que
l'effort à réaliser est considérable. Par exemple, pour
stabiliser la concentration de CO
2
à 550 ppm (le double de la
concentration préindustrielle ou une fois et demie la concentration
actuelle), ce qui constitue selon l'Union européenne un objectif
nécessaire à long terme, il faudrait que les émissions
mondiales retrouvent en 2100 leur niveau d'aujourd'hui, malgré la
croissance de la population mondiale et l'industrialisation des pays en
développement, puis que ces émissions diminuent ensuite d'un
tiers. La hausse de la température globale se poursuivrait toutefois
longtemps après 2100 (en raison de l'inertie thermique des
océans), et elle serait à terme supérieure à
2°C
8(
*
)
.
3. Ce changement climatique sera vraisemblablement préjudiciable à l'humanité
Selon le
GIEC (1995), ce changement climatique s'accompagnerait d'une perturbation du
cycle de l'eau et par une augmentation de la fréquence et de
l'intensité des
catastrophes naturelles
d'origine climatique
(sécheresses, inondations, tempêtes, cyclones).
La montée du niveau de la mer et l'accroissement de la fréquence
des tempêtes (et des surcotes) menaceront certains
espaces
côtiers
, en particulier les deltas (comme la Camargue), les
mangroves, les récifs coralliens, les plages d'Aquitaine.
Selon le GIEC, la superficie émergée du Bangladesh sera ainsi
réduite de 17,5 %, celle de l'Egypte de 1 %.
Par ailleurs, le changement climatique pourrait favoriser la recrudescence du
paludisme
, ainsi que l'extension de maladies infectieuses comme la
salmonellose ou le choléra, en raison de l'élévation de la
température et de la multiplication des
inondations
.
En outre, le changement climatique serait trop rapide pour que les
écosystèmes naturels
puissent s'adapter : il en
résultera sans doute une forte baisse de la biodiversité
(c'est-à-dire la disparition d'espèces animales ou
végétales).
Les effets du changement climatique sur l'
agriculture
sont
débattus : schématiquement, d'un côté les
plantes cultivées pourraient souffrir de " stress hydrique "
(c'est-à-dire de l'alternance de périodes de sécheresse et
de pluviosité plus prononcées) ; de l'autre, l'accumulation
de CO
2
dans l'atmosphère exerce aussi un rôle
fertilisant sur les plantes (qui tendent à pousser plus vite).
Au total, le changement climatique aura des conséquences
économiques importantes : aux coûts directs
(dégâts des tempêtes, par exemple), s'ajoutent en effet des
coûts d'adaptation (construction de digues, modification des cultures,
etc.).
Pour la
France
, les simulations réalisées par les experts
de Météo-France
9(
*
)
suggèrent que le changement climatique réduirait le
caractère tempéré du climat : la France
connaîtrait un réchauffement moyen de l'ordre de 2° C,
mais celui-ci serait davantage marqué en été et dans le
sud du pays. En outre, les précipitations augmenteraient de 20 % en
hiver, mais baisseraient de 15 % l'été. Il en résulterait
une augmentation des
crues
en hiver et au printemps et une diminution
sensible de l'humidité du sol en été et à
l'automne, avec une augmentation du stress hydrique pour les cultures agricoles
(maïs, tabac, tournesol, ...) et les arbres forestiers (pin maritime,
hêtre, chêne pédonculé...) les plus sensibles
à la sécheresse.
Ces évolutions pourraient être préjudiciables à
l'agriculture, à l'environnement et au tourisme : " la France
serait moins douce ".
Par ailleurs, le réchauffement du climat pourrait entraîner la
disparition d'entre un tiers et la moitié de la masse des
glaciers
alpins
au cours des cent prochaines années
10(
*
)
(ce qui accroîtrait les risques d'avalanches),
ainsi qu'une réduction sensible du
manteau neigeux
dans les Alpes
et les Pyrénées, avec des conséquences importantes pour
les stations de ski de moyenne montagne.
Inversement, il existe également un risque, difficilement quantifiable,
que le changement climatique ne se traduise par un affaiblissement du Gulf
Stream
11(
*
)
, susceptible d'entraîner un
refroidissement sensible de notre façade océanique
(- 4° C), ramenant les températures moyennes en France au
niveau de celles atteintes lors de la dernière
glaciation
.
II. POURQUOI S'EFFORCER DE RÉDUIRE LES ÉMISSIONS DÈS MAINTENANT ?
1. Le principe de précaution commande de freiner le changement climatique dès aujourd'hui
Le fait
que les émissions humaines de gaz à effet de serre tendent
à perturber le climat et à accroître le risque de
phénomènes climatiques extrêmes est désormais
scientifiquement établi
par les travaux du GIEC, dont le
deuxième rapport a été approuvé mot à mot en
décembre 1995 par les représentants de 116 gouvernements, de 13
organisations intergouver-nementales et de 25 O.N.G.
Certains auteurs toutefois ont argué des incertitudes quant aux
conséquences précises du changement climatique pour
préconiser de ne rien faire avant d'en savoir plus, d'autant plus que
" l'échelle de temps " du phénomène est
très longue : après la stabilisation du niveau des
émissions de gaz à effet de serre, il faudra plusieurs
décennies pour que la concentration de ces gaz dans l'atmosphère
cesse d'augmenter, et plusieurs siècles pour que le niveau de la mer
s'arrête de monter, en raison de l'
inertie
du climat.
Certaines simulations économiques suggèrent par ailleurs qu'il
serait économiquement rationnel de
repousser
dans l'avenir la
maîtrise des émissions afin de l'effectuer à moindre
coût.
Ces simulations reposent toutefois sur un
pari
quant aux
évolutions technologiques futures. Ce pari est contraire au
principe
de précaution
unanimement reconnu lors du Sommet de Rio.
Par ailleurs, si l'on attend pour agir d'être en mesure d'établir
des prévisions climatiques précises à l'horizon d'un
siècle, il est certain que l'on ne fera jamais rien. Or les
connaissances scientifiques accumulées jusqu'à aujourd'hui
soulignent que le changement climatique sera très probablement
dommageable à l'humanité. En outre, certains des
dommages
prévisibles, comme la réduction de la biodiversité et la
destruction d'écosystèmes côtiers, seront
irréversibles
. Dans ces conditions, le principe de
précaution commande d'agir dès aujourd'hui pour freiner
l'accumulation de gaz à effet de serre dans l'atmosphère.
L'article 2 de la convention-cadre sur le changement climatique stipule ainsi
que " ...
quand il y a risque de perturbations graves ou
irréversibles, l'absence de certitudes scientifiques absolues ne doit
pas servir de prétexte
" et qu'il "
incombe aux parties
de prendre des mesures de précaution pour prévoir,
prévenir ou atténuer les causes du changement climatique ou en
limiter les effets néfastes
" (c'est-à-dire
" mitiger " le changement climatique).
D'un point de vue économique, il est rationnel de payer dès
aujourd'hui une "
prime d'assurance
", sous la forme de
mesures de maîtrise des émissions, pour retarder le changement
climatique, en attendant d'en savoir plus.
Réduire dès aujourd'hui les émissions de gaz à
effet de serre est également plus
équitable
, notamment
vis-à-vis des générations futures. En effet, cela revient
à répartir une partie du coût des dommages potentiels sur
les pollueurs actuels, au travers des coûts de maîtrise des
émissions.
Enfin, l'
inertie
des émissions de gaz à effet de serre
invite à des
décisions publiques rapides
. Les choix
publics contemporains en matière d'urbanisme et d'infrastructures de
transports conditionnent en effet le niveau des émissions de gaz
à effet de serre du siècle prochain, en particulier pour les pays
en développement, qui effectuent aujourd'hui des choix de
développement irréversibles
12(
*
)
.
2. Le coût des dommages liés au changement climatique est très difficile à évaluer
La
théorie économique suggère de mettre les coûts d'une
politique au regard de ses avantages. Un tel bilan coûts/avantages est
cependant extrêmement difficile, sinon impossible, dans le cas du
changement climatique :
- il est difficile de rapporter des coûts présents (de
maîtrise des émissions) à des bénéfices
futurs (la mitigation des conséquences dommageables du changement
climatique) lorsque ceux-ci sont lointains : le coût d'un dommage
survenant dans 100 ans varie de 1 à 50, selon que le taux
d'actualisation retenu (c'est-à-dire la préférence pour le
présent) est de 5 % ou de 1 % ;
- les
prévisions
d'émissions sont très
sensibles
aux
hypothèses
retenues en matière de
croissance, de progrès technique et de prix relatifs des
différentes sources d'énergie, comme l'illustrent les projections
ci-dessous de l'OCDE :
PROJECTIONS DES ÉMISSIONS DE CO
2
À
L'HORIZON 2050
SELON DIVERSES HYPOTHÈSES POUR LA CROISSANCE
MONDIALE
SUR LA PÉRIODE 1990-2050
Taux de croissance annuel moyen 1990-2050 |
Emissions de CO
2
en 2050
|
3,3 % |
30 |
2,3
%
|
17 |
1,3 % |
9 |
Source : OCDE, 1995. |
- le
lien entre les émissions (flux) de CO
2
et l'évolution
des concentrations (stocks) de gaz à effet de serre dans
l'atmosphère est loin d'être parfaitement élucidé.
L'incertitude tient surtout au manque d'informations précises sur les
processus d'élimination des gaz à effet de serre (l'action des
" puits ") et à la complexité des interactions entre
les gaz dans l'atmosphère ;
- enfin, même si les incertitudes scientifiques étaient
levées, le coût prévisible du changement climatique
demeurerait très difficile à estimer avec précision. La
valorisation de
risques irréversibles
dont l'horizon est lointain
soulève en effet des dilemmes, notamment éthiques, qui sont
presque insolubles, par exemple : quel coût donner à la
disparition d'une espèce naturelle ou d'un
écosystème ?
Les tentatives d'estimation du coût du changement climatique fournissent
toutefois
deux enseignements
:
- d'une part, l'
ordre de grandeur
des dommages liés au changement
climatique est de
plusieurs points du PIB mondial annuel
13(
*
)
(0 à 21 % selon les études
recensées par le GIEC, avec une moyenne de 3,6 %). Selon le GIEC,
le coût du changement climatique serait ainsi de 5 à 125 $
par tonne de carbone actuellement émise (le Conseil d'analyse
économique donnant pour sa part une fourchette plus large :
coût négatif à 200 $ / tonne) ;
- d'autre part, les
pays en développement
seront les principales
victimes
du changement climatique car leurs économies sont plus
fragiles et plus dépendantes des milieux naturels, tandis que certains
pays froids pourraient globalement en bénéficier, du fait de
l'augmentation de leurs rendements agricoles.
ESSAI
D'ESTIMATION DU
|
||
Europe orientale et ex-URSS |
- 0,3 % |
|
OCDE - Europe |
1,3 % |
|
Amérique du Nord |
1,5 % |
|
OCDE - Pacifique (Japon, Corée, Nouvelle-Zélande, Australie) |
2,8 % |
|
Moyen-Orient |
4,1 % |
|
Amérique Latine |
4,3 % |
|
Asie du Sud et du Sud-Est |
8,6 % |
|
Afrique |
8,7 % |
Source : TOL (1994), repris dans le rapport du
GIEC
(1995),
chapitre 6, p. 63.
3. Il convient donc de privilégier les mesures " sans regrets " et les instruments souples, graduels et lisibles
Les
incertitudes relatives aux aspects économiques du changement climatique
ne plaident évidemment pas pour l'inaction, mais invitent seulement
à conduire des politiques de maîtrise des émissions qui
soient graduelles, transparentes et si possible réversibles,
c'est-à-dire à recourir aux instruments économiques les
plus
souples
.
Ces incertitudes invitent par ailleurs à veiller au
" séquençage " des politiques de réduction des
émissions de gaz à effet de serre, en mettant continûment
en rapport les coûts économiques d'une modernisation
prématurée de certaines installations et les risques d'une
temporisation excessive (qui rendrait la maîtrise des émissions
plus coûteuse à l'avenir).
Il est notamment indispensable d'accorder une priorité aux mesures
"
sans regrets
" ou " utiles en tout état de
cause ", c'est-à-dire qui accroissent le bien-être collectif
indépendamment de leur impact favorable pour la maîtrise des
émissions de gaz à effet de serre.
Selon l'OCDE, la suppression de certaines
distorsions fiscales
et des
imperfections de marché conduisant à une utilisation
sous-optimale de l'énergie réduirait ainsi de 20 % les
émissions de CO
2
des pays industrialisés. Par
ailleurs, l'abandon des subventions à l'énergie dans les pays en
développement et en transition pourrait stimuler leur croissance
économique, tout en réduisant de 4 à 18 % les
émissions mondiales de CO
2
14(
*
)
.
III. POURQUOI LES PAYS INDUSTRIALISÉS DOIVENT-ILS S'ENGAGER LES PREMIERS DANS LA MAÎTRISE DES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE ?
1. Les pays en développement seront à l'avenir les principales victimes et les principaux responsables de l'accroissement des émissions de gaz à effet de serre
Les
estimations présentées supra suggèrent que le coût
du changement climatique rapporté au PIB sera plus élevé
pour les pays en développement que pour les pays industrialisés.
Les pays en développement tropicaux et subtropicaux concentreront
également l'immense majorité des victimes humaines liées
à la fréquence accrue des tempêtes et des cyclones.
Or, les pays en développement sont aujourd'hui et demeureront à
l'avenir les principaux responsables de l'
accroissement
des
émissions de gaz à effet de serre. En effet, leurs besoins
énergétiques augmentent fortement, en lien avec leur
développement économique et avec leur dynamisme
démographique.
En outre, ces besoins énergétiques risquent d'être
largement satisfaits à partir de
charbon
(l'énergie
fossile la plus polluante pour l'effet de serre), car il s'agit de la
principale ressource énergétique de nombre de pays en
développement, dont la
Chine
et l'
Inde
.
Selon l'OCDE, les émissions de CO
2
de la Chine et de l'Inde
pourraient représenter ainsi plus d'un tiers des émissions
mondiales de CO
2
en 2050, tandis que les pays de l'OCDE ne
représenteraient plus qu'un quart des émissions mondiales.
EMISSIONS ANNUELLES DE CO
2
:
L'IMPORTANCE
CROISSANTE DES PAYS EN DÉVELOPPEMENT
PART DES ÉMISSIONS MONDIALES DE CO
2
(EN %)
|
1990 |
2050 |
OCDE |
48 |
25 |
dont Etats-Unis |
23 |
12 |
Europe de l'Est et ex-Union soviétique |
23 |
17 |
Chine et Inde |
13 |
38 |
Reste du monde |
16 |
20 |
Source : modèle GREEN de l'OCDE, 1998. |
A
l'échelle mondiale, la maîtrise des émissions de gaz
à effet de serre dépendra donc à très long terme
avant tout des choix énergétiques des pays en
développement.
Selon M. Michel PETIT, coordonnateur du GIEC pour la France, si les
pays industrialisés mettaient tous en oeuvre, dès aujourd'hui,
les politiques de maîtrise des émissions les plus rigoureuses qui
soient envisagées, le réchauffement de la planète ne
serait ainsi réduit que de 0,3°C à l'horizon 2100
(1,7°C au lieu de 2°C), si les pays en développement
n'infléchissent pas leur mode de croissance.
LES
INCERTITUDES RELATIVES À L'ÉVOLUTION
DE LA CONSOMMATION
D'ÉNERGIE DE LA CHINE
15(
*
)
Avec 1,3
milliards d'habitants (21 % de la population mondiale), la Chine ne
représente aujourd'hui que 10 % de la consommation mondiale
d'énergie, et moins de 5 % de celle de pétrole (sa
consommation de pétrole est à peine supérieure à
celle de l'Allemagne).
A ce jour, l'intensité énergétique (c'est-à-dire le
rapport consommation d'énergie/PIB) est ainsi deux fois plus faible que
dans la moyenne des pays en développement. Les causes de cette
sobriété " anormale " demeurent débattues :
surestimation du PIB, efficacité énergétique induite par
des pratiques contraignantes (comme les restrictions aux déplacements),
structure différente de l'économie ?
De même, l'évolution de la consommation d'énergie de la
Chine apparaît difficile à prévoir, la principale inconnue
portant sur les besoins énergétiques du secteur des
transports :
- selon certains " optimistes ", ces besoins pourraient demeurer
contenus, la progression du nombre de véhicules individuels (2 millions
aujourd'hui) étant limitée par le faible développement des
infrastructures routières, le faible degré d'urbanisation et la
densité du réseau ferroviaire ;
- à l'inverse, d'autres énergéticiens s'inquiètent
de ce que le mode de développement chinois ne rejoigne celui des autres
économies dynamiques d'Asie, à la faveur notamment de l'ouverture
croissante de l'économie. La consommation d'énergie par habitant
a en effet été multipliée entre 1971 et 1994 d'un facteur
4 à 6 en Indonésie, en Thaïlande et en Corée, dont le
niveau de développement économique
" précède " celui de la Chine.
2. Les pays industrialisés ont toutefois une responsabilité historique en matière d'effet de serre
Les pays
industrialisés ont une
responsabilité
particulière
dans l'accumulation des émissions de gaz à effet de serre dans
l'atmosphère.
En premier lieu, les pays industrialisés sont très largement
responsables des émissions passées de gaz à effet de serre
dans l'atmosphère depuis la révolution industrielle.
En second lieu, les pays industrialisés et en transition
émettent
encore aujourd'hui plus des
deux tiers
des gaz
à effet de serre.
EMISSIONS ANNUELLES DE CO
2
: 1950-1994
(en tonnes de CO
2
16(
*
)
)
Enfin, les pays industrialisés émettent aujourd'hui beaucoup plus
de gaz à effet de serre par habitant, notamment de CO
2
, que
les pays en développement.
EMISSIONS DE CO
2
PAR HABITANT EN 1993
(en tonnes de carbone par an)
Etats-Unis |
5,4 |
Pays-Bas |
3,1 |
OCDE |
3,0 |
Allemagne |
3,0 |
France |
1,7 |
Chine |
0,6 |
Afrique |
0,2 |
Monde |
1,1 |
Les pays
industrialisés sont ainsi largement responsables de l'augmentation de la
concentration
de gaz à effet de serre dans l'atmosphère
depuis la révolution industrielle, donc du
changement
climatique
observé depuis plusieurs décennies.
Les pays industrialisés possèdent par ailleurs les meilleures
technologies
disponibles pour réduire les émissions de gaz
à effet de serre.
L'article 3 alinéa 1 de la convention-cadre des nations Unies sur le
changement climatique énonce donc le principe de
responsabilités communes
, mais
"
différenciées
". Les pays
industrialisés ont ainsi reconnu leur responsabilité
particulière en matière de changement climatique.
3. Les pays industrialisés doivent donc s'engager les premiers dans la maîtrise des émissions, de manière suffisamment crédible pour rallier les pays en développement
Il
découle des constats précédents que
l'équité
, comme la volonté de promouvoir des
relations diplomatiques apaisées entre les pays du Nord et ceux du Sud,
commandent aux pays industrialisés de s'engager les premiers dans la
maîtrise des émissions.
Toutefois, cet engagement sera peu utile s'il n'exerce pas
d'effets
d'entraînement
(politique et technologique) sur les pays en
développement.
Il importe donc que cet engagement soit
crédible
,
c'est-à-dire que les pays développés prennent des mesures
qui " démontrent [qu'ils] prennent l'initiative de modifier les
tendances à long terme des émissions anthropiques ", comme
l'énonce l'article 4 de la convention-cadre sur le changement
climatique. Les pays de l'OCDE doivent donc donner des " signes
forts " en matière d'effet de serre.
Par ailleurs, les pays industrialisés doivent privilégier les
instruments de maîtrise des émissions auxquels les pays en
développement pourront le plus aisément se rallier et qui
favorisent la
diffusion
des technologies économes en
énergie.
Enfin, le processus de maîtrise des émissions à
l'échelle internationale doit être
équitable
pour
être légitime, donc efficace. La France souligne à cet
égard avec constance lors des sommets internationaux que la
maîtrise des émissions doit s'accompagner d'une
convergence
des
niveaux d'émissions
par
habitant
: il n'y a
aucune justification à ce qu'un Américain du Nord ait durablement
le " droit " d'émettre 25 fois plus de CO
2
dans
l'atmosphère qu'un Africain.
A titre d'exemple, pour stabiliser la concentration de CO
2
dans
l'atmosphère à 550 ppm (le double du niveau
préindustriel), la France estime ainsi que les émissions de
CO
2
des pays industrialisés devraient converger à long
terme vers un niveau situé entre 1 et 2,7 tonnes de carbone par habitant
et par an.
IV. POURQUOI ACCORDER LA PRIORITÉ À LA MAÎTRISE DES ÉMISSIONS DE CO2 ?
CARACTÉRISTIQUES ET SOURCES
DES PRINCIPAUX GAZ À EFFET DE SERRE D'ORIGINE HUMAINE
|
Emissions anthropiques
|
|
Part dans le réchauffement anthropique de la planète (" le forçage radiatif "), en % |
Principales sources anthropiques d'émissions |
CO
2
|
26.000 |
120 |
64,2 % |
Utilisation d'énergie (80 %) et modification de l'utilisation des sols principalement déforestation (17,3 %), production de ciment (2,7 %). |
CH
4
|
300 |
10,5 |
19,3 % |
Production et utilisation d'énergie (25,9 %), fermentation entérique (23,9 %), rizières (17 %), déchets (7,4 %), décharges (10,8 %), combustion de biomasse (8 %), eaux usées domestiques (7,1 %). |
CFC |
0,7 |
9,0 |
9,5 % |
Industrie (100 %), principalement réfrigérants, aérosols, agents d'expansion, solvants. |
N
2
O
|
6 |
132 |
4,0 % |
Combustion de combustibles fossiles (8,7 %), sols fertilisés (47,8 %), défrichage (17,4 %), production d'acide (15,2 %), combustion de biomasse. |
Autres hydrocarbures halogénés (HFC, PFC) |
1,2 |
variable |
2,9 % |
Activités industrielles : applications comparables à celles des CFC et production d'aluminium |
Source : GIEC, 1990, 1992.
1. Les émissions de CO2 constituent la cause principale du changement climatique
Le
CO
2
est, de loin, le plus important des gaz à effet de serre
d'origine anthropique : si l'on tient compte du pouvoir de
réchauffement des différents gaz, les émissions de
CO
2
sont ainsi responsables des deux tiers du changement climatique,
et même de
80 %
de l'effet de serre imputable aux
pays
industrialisés
.
Ces émissions de CO
2
sont aujourd'hui en
augmentation
rapide à l'échelle mondiale et, contrairement à d'autres
gaz à effet de serre, on ne connaît pas de procédés
efficaces de
capture
au bout du tuyau ("
end of pipe
").
CAPTURE ET STOCKAGE DES REJETS DE CO 2 17( * )
Il
existe déjà des technologies chimiques de
capture
de
CO
2
, mais leur coût est élevé (de l'ordre de 900
F/tonne de carbone). A moyen terme, d'autres technologies pourraient permettre
de réduire ces coûts. Cependant, le rendement d'une centrale
électrique thermique équipée de systèmes de capture
serait environ 15 % moindre, ce qui pourrait renchérir de 30 %
le coût du Kw/h produit. En outre, la capture du CO
2
entraîne une surconsommation énergétique, donc une
surproduction de CO
2
. Enfin, ces technologies ne concerneraient que
les grandes installations fixes.
Le
stockage
de CO
2
est envisagé dans des gisements
d'hydrocarbures épuisés, dans les nappes aquifères ou dans
les océans (cette dernière formule reposant sur l'idée
d'accélérer le processus naturel d'absorption du CO
2
par les océans, en y injectant du CO
2
et en espérant
qu'il y séjournera plusieurs centaines d'années avant de se
redégager dans l'atmosphère). Outre leurs difficultés
techniques et leur coût élevé (lié au transport du
CO
2
), ces injections, qui ne seraient d'ailleurs envisageables que
pour les émissions d'installations fixes (en raison de la
nécessité de récupérer le CO
2
émis), présentent toutefois de nombreuses incertitudes quant
à leur impact sur l'environnement.
Par ailleurs, les effets du CO
2
sur le climat sont relativement bien
identifiés, et la plupart des émissions de CO
2
se
mesurent avec une
précision
suffisante pour constituer l'assiette
d'une taxe.
Enfin, les mesures d'atténuation des émissions de CO
2
influent indirectement sur les émissions de méthane et
directement sur les émissions d'oxydes d'azote (NO
x
) et
d'oxydes de soufre (SO
x
).
En effet, une part significative des émissions de
méthane
(grisou) sont liées à l'extraction du charbon, aux rejets dans
l'atmosphère à la sortie des puits de pétrole, et à
la distribution du gaz : en agissant sur les émissions de
CO
2
, donc sur la consommation d'énergie fossile, on
réduit indirectement les émissions de méthane. De
même, les émissions d'oxyde d'azote ou de soufre sont largement
liées à l'utilisation de combustibles, notamment dans les
véhicules automobiles.
Ces arguments plaident prioritairement en faveur de politiques de
maîtrise des
émissions
de CO
2
.
Il est cependant nécessaire de favoriser aussi le développement
des " puits " de carbone, c'est-à-dire d'une part de
réduire le déboisement, de préserver le couvert forestier
et de favoriser l'afforestation (le reboisement) ; d'autre part, de
promouvoir
l'utilisation du bois
, dans la construction ou
l'ameublement : non seulement le
bois
est un matériau qui
fixe le carbone
, mais il se substitue pour partie à d'autres
matériaux (ciment, acier), dont la production émet des gaz
à effet de serre dans l'atmosphère.
La promotion des " puits " de carbone ne peut cependant se substituer
à long terme à une politique de maîtrise des
émissions, dans la mesure où le reboisement ne met pas un terme
aux émissions brutes de carbone et où il existe une limite
physique aux surfaces qui s'y prêtent.
2. Il est également possible de maîtriser à faible coût les émissions des autres gaz à effet de serre
Les
émissions de protoxyde d'azote (N
2
O) sont principalement
liées à l'utilisation d'engrais dans l'agriculture et à
des
processus
industriels
tels que la production d'acide nitrique
et d'acide adipique, ainsi qu'à la généralisation des pots
catalytiques et aux processus de combustion des combustibles fossiles.
Les émissions de
méthane
(CH
4
) proviennent du
lisier, de la digestion du bétail, des déchets (notamment des
décharges), enfin de la production et de la distribution
d'énergie.
Les émissions de N
2
O et de CH
4
résultent
donc d'un très large éventail d'activités humaines et sont
souvent difficiles à mesurer. Elles se prêtent donc mal à
l'instauration d'un impôt ou d'un marché.
Selon les travaux réalisés par la Commission européenne,
il serait toutefois possible de parvenir à des réductions
supplémentaires de ces gaz à faible coût, grâce
à des réglementations adaptées, favorisant
l'amélioration des processus industriels, la réduction des
déchets biodégradables, la récupération du
méthane dans les décharges, la réduction des
émissions provenant des gazoducs, enfin une meilleure gestion de
l'alimentation et du lisier animaux.
S'agissant des autres gaz à effet de serre, les
CFC
sont d'ores
et déjà interdits dans le cadre du protocole de Montréal,
car ces substances attaquaient dans la couche d'ozone.
Le protocole de Kyoto a par ailleurs pris en considération trois gaz
" industriels " à pouvoir radiatif élevé et
longue durée de vie dans l'atmosphère, même si leur
incidence sur le réchauffement est pour l'heure relativement
limitée :
- les HFC, produit de substitution aux CFC ;
- les PFC, qui sont principalement des sous-produits de la fusion de
l'aluminium ;
- le SF
6
, dont les émissions sont notamment dues à son
utilisation dans les équipements à haute tension, mais
également à la production de magnésium et à
d'autres usages industriels.
Le potentiel de réduction des émissions de ce gaz est pour
l'heure mal connu. Selon la Commission européenne, il semblerait
toutefois possible, en coopération avec les milieux industriels, de
parvenir à une réduction significative à faible coût
d'ici à 2010.
CHAPITRE II
LA THÉORIE ÉCONOMIQUE
PROPOSE DES INSTRUMENTS POUR RÉDUIRE LES ÉMISSIONS DE GAZ
À EFFET DE SERRE AU MOINDRE COÛT
I. LA MAÎTRISE DES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE N'IRA PAS SANS COÛTS NI EFFETS REDISTRIBUTIFS
1. La maîtrise des émissions de gaz à effet de serre n'ira pas sans coûts pour certains secteurs économiques
La
maîtrise des émissions de CO
2
, principal facteur de
l'effet de serre, suppose d'effectuer davantage d'
économies
d'énergie
ou de substituer des énergies très peu
(électricité nucléaire, électricité
hydraulique, énergies renouvelables) ou peu (comme le gaz) intenses en
CO
2
aux énergies les plus intenses en CO
2
(charbon, pétrole).
Cette évolution repose sur un redéploiement progressif de nos
économies et une inflexion de nos modes de vie.
Ce redéploiement n'ira pas sans
coûts
socio-économiques
d'adaptation
: par exemple,
certaines entreprises devront modifier et moderniser leurs modes de production
plus tôt qu'elles ne l'avaient anticipé.
Ce redéploiement accélérera la
transformation
sectorielle
de nos économies, au détriment des secteurs
producteurs ou fortement utilisateurs d'énergie (transports automobiles,
par exemple).
Si le marché du travail fonctionne mal, en particulier si la
mobilité géographique ou sectorielle des salariés est
insuffisante pour compenser le déclin relatif de certaines
activités, ce redéploiement pourrait entraîner un
chômage
de
transition
.
Ces coûts de friction résultent de la nécessité
même de maîtriser les émissions de gaz à effet de
serre, pour prévenir des dommages supérieurs.
Le recours à des instruments économiques, comme des taxes sur le
CO
2
, ne fait que
répartir ces coûts
de la
manière la plus efficace, c'est-à-dire la moins
pénalisante pour la croissance économique à long terme.
Les simulations effectuées à ce jour suggèrent d'ailleurs
que le
coût
de maîtrise des émissions serait
très faible
à l'échelle macroéconomique :
les politiques de maîtrise des émissions n'auraient
pas
d'impact perceptible
sur la progression de notre niveau de
vie à moyen terme. Selon l'OCDE, la mise en oeuvre du protocole de
Kyoto ne freinerait la progression du PIB des pays industrialisés que de
0,01 à 0,05 point par an d'ici 2010.
2. La maîtrise des émissions de gaz à effet de serre s'accompagnera également d'effets redistributifs
La
maîtrise des émissions de gaz à effet de serre exercera
nécessairement des
effets redistributifs
:
- entre
entreprises
,
a priori
au détriment des
activités intensives en énergie, et en faveur de certaines
activités de services
18(
*
)
;
- entre
ménages
, au détriment des plus gros utilisateurs
d'énergie ;
- entre
Etats
, au détriment des pays producteurs et exportateurs
d'énergie et, dans une moindre mesure, au détriment des pays
industrialisés qui se sont le plus engagés à rationner
leurs émissions
19(
*
)
.
Ces effets redistributifs trouvent leur origine dans la nécessité
même de réduire les émissions de gaz à effet de
serre. Il serait d'ailleurs conforme au
principe pollueur/payeur
que les
ménages, les particuliers ou les pays les moins économes en
énergie participent davantage à l'effort collectif de
maîtrise des émissions.
Par ailleurs, le fait que les pays industrialisés se soient
engagés à rationner leurs émissions de manière plus
ou moins intensive, tandis que les pays en développement n'ont pas pris
d'engagements semblables, se traduira nécessairement par des
distorsions
de
concurrence
à l'échelle
internationale.
II. LA TAXATION DES ÉMISSIONS DE CO2 : UN INSTRUMENT SIMPLE ET EFFICIENT, MAIS QUI POURRAIT PÉNALISER LA COMPÉTITIVITÉ DES PAYS QUI Y RECOURRAIENT ISOLÉMENT.
1. La taxation est un instrument simple et efficient, qui satisfait au principe pollueur-payeur
Les
émissions de gaz à effet de serre présentent un coût
pour la collectivité qui n'est pas reflété dans les prix
actuels des énergies fossiles. Cette " externalité
négative " conduit à une
surconsommation
d'énergie
et à des émissions de gaz à effet de
serre préjudiciables au bien-être collectif.
Dès lors, il est légitime de modifier, via l'instauration de
taxes appropriées, le système des prix relatifs afin de faire
prendre en compte aux agents le coût réel de leurs
émissions de gaz à effet de serre : la taxation satisfait
ainsi au principe pollueur/payeur. En corrigeant une externalité
négative, elle rétablit la
vérité des prix
,
c'est-à-dire qu'elle améliore le fonctionnement du marché,
au lieu de le fausser.
La taxation des émissions de gaz à effet de serre est par
ailleurs un instrument
simple
d'utilisation par les autorités
publiques, dès lors que les émissions sont bien
identifiées, ce qui est notamment le cas pour le CO
2
.
En particulier, les autorités publiques n'ont pas besoin de disposer
d'informations sur les techniques et les coûts de production des agents
économiques, au contraire d'une approche réglementaire.
La taxation est également un instrument
souple
, qui permet la
modulation de la politique de l'environnement en fonction de l'évolution
des connaissances scientifiques et techniques.
La taxation est un instrument
lisible
pour les agents
économiques : la mise en oeuvre graduelle d'une taxe, selon un
calendrier annoncé à l'avance et crédible fournit un
horizon (" un signal de prix ") pour les choix d'
investissement
des ménages, des entreprises et des collectivités publiques.
La taxation est plus
efficace
que la réglementation : en
effet, la taxation incite les agents dont les coûts de dépollution
sont faibles à aller au-delà de la norme ou de l'existant.
La taxation est un instrument économiquement
efficient
:
chaque agent réagit de la manière qui lui convient le mieux, en
fonction de ses coûts de réduction des émissions. La
réduction des émissions est ainsi obtenue au
moindre
coût
.
Par ailleurs, chaque agent est incité à réduire les
émissions jusqu'à ce que ses coûts marginaux de
dépollution atteignent le niveau de la taxe (c'est-à-dire
jusqu'à ce qu'il ne lui soit plus rentable de réduire ses
émissions). A long terme, les coûts marginaux de maîtrise
des émissions sont donc égalisés pour l'ensemble des
agents économiques. La taxe permet ainsi de
répartir
efficacement
les effets de maîtrise des émissions : les
réductions d'émissions les plus importantes seront
effectuées là où leur coût est le plus faible.
En particulier, la taxation devrait dynamiser les mesures " sans
regrets ", et stimuler les efforts de recherche et d'innovation des agents
privés.
La taxation peut également fournir des
ressources
aux
autorités publiques pour favoriser le développement de
technologies " propres ".
La taxation des émissions de CO
2
pourrait
générer d'
autres avantages
économiques que la
maîtrise de l'effet de serre : réduction des dommages
environnementaux causés par les émissions gazeuses (par exemple
de dioxyde de soufre - SO
2
-) liées à la consommation
d'énergies fossiles, réduction des coûts de congestion,
d'insécurité et de bruit liés aux transports ;
réduction de la
dépendance énergétique
, etc.
Pour être pleinement efficace, la taxation doit être mise en oeuvre
de manière
graduelle
et selon un calendrier annoncé
longtemps à l'avance, afin de permettre aux agents économiques
d'effectuer leurs calculs coûts/avantages et de limiter leurs coûts
d'ajustement.
Dans le cadre de la lutte contre l'effet de serre, le niveau
" optimal " d'une taxe sur le CO
2
, c'est-à-dire le
niveau qui freinerait suffisamment les émissions de CO
2
pour
satisfaire au principe de précaution, varie selon les études de
600 à 1.500 F/tonne de carbone
, ce qui correspondrait
à une augmentation de 25 % à 60 % du prix du
pétrole raffiné, à une augmentation de 100 % à
400 % du prix du charbon, et à une
hausse
de
40 centimes à 1 franc du litre de carburant.
En revanche, le niveau de taxe sur le CO
2
suffisant pour atteindre
les
objectifs
fixés
à Kyoto
pourrait être
inférieur : de l'ordre de
100 à 800 F/tonne de
carbone,
soit l'équivalent de quelques centimes à
0,5 franc par litre de carburant.
Lorsqu'elle s'ajoute à une
fiscalité
déjà
élevée
, l'efficacité d'une taxe
modérée est toutefois controversée : soit par exemple
une voiture consommant 7 litres aux 100 kilomètres, et dont la
durée de vie est de 200.000 kilomètres. Elle consommera au
total 14.000 litres de carburant, ce qui correspond à 8 tonnes
de carbone environ. Une taxe de 800 F/tonne de carbone ne
représentera alors qu'un coût de l'ordre de 6.400 F sur la
durée de vie de la voiture, soit un surcoût marginal très
faible (quelques %), par rapport à l'ensemble des coûts d'achat et
d'entretien du véhicule. Il est ainsi peu probable que cette taxe
infléchisse immédiatement les choix des automobilistes.
A
court terme
, la taxation des émissions de CO
2
pourrait donc avoir un impact assez
faible
: selon la Direction de
la Prévision, une augmentation du prix de l'énergie fossile de
10 % ne réduirait la consommation que de 3 % après
5 ans
20(
*
)
.
A long terme
, la sensibilité de la consommation d'énergies
fossiles à leur prix serait cependant en France
quatre fois plus
élevée
: l'évolution des prix de l'énergie
exerce bien à long terme une influence sensible sur la consommation
d'énergie, donc sur les émissions de gaz à effet de serre.
Cette intuition est confirmée pour l'Union européenne par les
simulations réalisées par l'OCDE à l'aide du modèle
d'équilibre général GREEN
21(
*
)
: selon ces simulations, une écotaxe
aurait sur les émissions de CO
2
des effets d'abord modestes,
puis fortement
croissants
avec le temps.
EMISSIONS DE CO
2
DE L'UNION EUROPÉENNE
APRÈS L'IMPOSITION, EN 1990
22(
*
)
,
D'UNE ÉCOTAXE
ÉNERGIE-CO
2
ÉQUIVALENTE À 10 $/BARIL DE
PÉTROLE
|
1990 |
1995 |
2000 |
2010 |
2030 |
2050 |
Emissions ( en millions de tonnes de carbone ) |
|
|
|
|
|
|
% d'écart par rapport au scénario de référence |
|
|
|
|
|
|
L' expérience des vingt dernières années suggère d'ailleurs une corrélation entre les efforts d'économie d'énergie et les variations des prix de l'énergie :
LIEN
ENTRE LES VARIATIONS DES PRIX DE L'ÉNERGIE
ET DE L'INTENSITÉ ÉNERGÉTIQUE
23(
*
)
DANS LE SECTEUR DES TRANSPORTS
|
France |
Etats-Unis |
Japon |
|
Evolution du prix moyen des carburants (en %) |
78 / 81
|
+ 17,5
|
+ 58,2
|
+ 46,1
|
Evolution de l'intensité énergétique (en %) |
78 / 86
|
- 6,0
|
- 16,4
|
- 11,9
|
Source : Commissariat général du Plan, 1998.
Selon le Conseil d'analyses économiques
24(
*
)
, les niveaux d'émission de CO
2
des
différents pays industrialisés seraient de même
liées au prix implicite de ces émissions
25(
*
)
: "
La Suède, pays plus froid et
de même niveau de vie que les Etats-Unis, dégage 5 fois moins
de CO
2
par dollar
de PIB,
avec un prix
à la tonne d'émission 2,5 fois plus fort. Avec un prix
d'émission 75 % plus élevé qu'aux Etats-Unis,
l'Allemagne de l'Ouest dégage 2 fois moins de CO
2
par dollar produit
".
Au total, il semble bien que nos économies soient sensibles aux
signaux de prix
que représenteraient des taxes sur le
CO
2
.
2. Pour être efficace, la taxation doit toutefois s'accompagner de politiques publiques d'incitation à la maîtrise de l'énergie
La
taxation n'est pleinement efficiente que si l'ensemble des agents
économiques sont effectivement en mesure d'effectuer des calculs et des
arbitrages coût/avantages.
La taxation est ainsi peu efficace si les agents économiques connaissent
mal leur consommation d'énergie et/ou leurs coûts de
maîtrise des émissions. Cela pourrait être le cas des
ménages, pour la consommation des appareils
d'électroménagers, l'éclairage individuel ou l'isolation
des bâtiments.
Comme le soulignait le rapport de la
Commission d'enquête
du
Sénat
sur la politique énergétique de la
France
26(
*
)
, il est ainsi nécessaire
d'informer
les locataires ou les acquéreurs sur la consommation
énergétique des logements ; d'informer les consommateurs sur
les performances énergétiques des appareils
électroménagers ; enfin d'informer les citoyens sur leurs
consommations inutiles.
Par ailleurs, la taxation peut être inefficace dans les secteurs
où les agents rencontrent des
contraintes de financement
pour
effectuer des investissements pertinents en matière d'économies
d'énergie (par exemple dans le logement social ou pour certaines PME).
Il incombe alors aux autorités publiques de réduire les
imperfections du marché du crédit, en accordant aux agents
concernés des garanties publiques ou des subventions pour leurs emprunts.
Enfin, la taxation sera d'autant plus juste et plus efficace que les
autorités publiques s'attacheront à offrir des
alternatives
aux agents privés, par exemple en développant
les transports collectifs, pour les trajets domicile - travail.
3. Sous certaines conditions strictes, la taxation des émissions de CO2 pourrait conduire à un " double dividende "
•
La prévention du changement climatique justifie à elle seule
l'instauration d'une taxe sur les émissions de CO
2
, dont le
produit pourrait être très important : une taxe de 600
F/tonne de carbone rapporterait, en France, près de
60 milliards
de francs
, soit 0,7 % du PIB.
La taxation environnementale ne doit cependant pas servir de prétexte
à la hausse des prélèvements obligatoires et de frein
à la rationalisation des dépenses publiques : la taxe
prélevée doit être
redistribuée
sous la forme
d'une baisse des autres impôts.
L'instauration d'une taxe sur le CO
2
est donc l'occasion d'une
réforme
fiscale
de grande ampleur.
A priori
, si cette réforme fiscale substitue une taxe sur le
CO
2
à des impôts plus
distorsifs
pour
l'activité économique, elle peut favoriser la croissance. La
baisse de certains prélèvements distorsifs peut d'ailleurs en
retour stimuler la maîtrise des émissions
de CO
2
: par exemple, la diminution des droits de mutation
pourrait faciliter les déménagements des salariés, et donc
réduire les trajets domicile-travail.
• De manière générale, l'idée selon laquelle
une réforme fiscale pourrait remplacer des impôts distordants par
des impôts prélèvements moins défavorables à
l'activité économique suscite néanmoins deux
réserves
:
- en premier lieu : la structure d'une économie dépendant
largement de celle de la fiscalité, toute réforme fiscale se
traduit par des
coûts d'adaptation
. Dans le cas de l'instauration
d'une taxe sur le CO
2
, ces coûts de redéploiement ne
sont toutefois pas liés à la réforme fiscale
elle-même, mais à la nécessité de réduire les
émissions de CO
2
;
- en second lieu, les économistes éprouvent les plus grandes
difficultés à déterminer quels sont les impôts qui,
pour une économie et un moment donnés, sont les plus
préjudiciables à l'activité économique.
En l'espèce, il semble toutefois que, compte tenu du niveau
élevé du
chômage
, notamment pour les salariés
les moins qualifiés, les
charges
sociales
pesant sur le
coût du travail figurent aujourd'hui en Europe parmi les
prélèvements les plus pénalisants pour la croissance
à l'emploi, d'où l'idée émise par la Commission
européenne
27(
*
)
de " recycler "
le produit d'une écotaxe sous la forme d'
allégements de
cotisations sociales
28(
*
)
.
• En première analyse, la combinaison d'une taxe sur
l'énergie et/ou les émissions de CO
2
et
d'allégements de charges sociales sur les salaires constitue un
transfert favorable aux entreprises et aux salariés, au détriment
des consommateurs. Ce transfert des prélèvements des actifs vers
les inactifs pourrait contribuer à
l'enrichissement
du
contenu
en
emploi
de la croissance à travers deux
mécanismes :
- l'allégement du coût du travail ralentirait la
substitution
de capital au travail, tant à l'échelle
microéconomique - dans chaque entreprise -, qu'à
l'échelle macroéconomique - la demande des consommateurs serait
modifiée au profit des biens ou services intensifs en travail, dont le
prix baisserait - ;
- cet effet serait
renforcé
par la hausse du prix de
l'énergie. De manière générale, les investissements
en biens d'équipement et l'utilisation d'énergie sont en effet
complémentaires, car les machines consomment de l'énergie.
L'augmentation du prix de l'énergie résultant des écotaxes
inciterait donc les entreprises à privilégier les modes de
production les plus intensifs en main-d'oeuvre.
Par ailleurs, la taxation des énergies fossiles réduirait les
importations d'énergie, donc améliorerait le
solde
extérieur
.
• Ces effets favorables seraient toutefois contrebalancés par les
conséquences du
choc inflationniste
induit par cette
réforme fiscale : l'accroissement du prix de l'énergie
entraînerait, en raison de l'importance de ce produit dans la
consommation des ménages (10 % d'un budget-type), une forte
élévation des
prix
à la
consommation
.
Si les salaires étaient indexés sur l'évolution du pouvoir
d'achat, il en résulterait une accélération des salaires
nominaux, donc des prix à la production, ce qui enclencherait une
spirale prix/salaires.
En outre, la résorption du chômage, initialement induite par la
mesure, favoriserait une hausse du salaire réel. Or, cette
accélération des salaires réels serait concomitante avec
un ralentissement des gains de productivité du travail (en freinant
la substitution capital/travail, la réforme fiscale ralentirait en effet
le progrès technique), qui devrait " normalement "
s'accompagner d'un ralentissement des rémunérations (il y aurait
moins de " grain à moudre ").
Au total, la mesure peut
accélérer l'inflation
et
dégrader
les
coûts
salariaux unitaires
des
entreprises
, ce qui freinerait la croissance et
in fine
l'emploi.
Cela explique que les simulations effectuées avec des modèles
macroéconométriques, qui reflètent les comportements
passés, conduisent, en première analyse, à un certain
scepticisme
quant à la possibilité d'un double
dividende : selon ces modèles, l'impact de la mesure sur la
croissance et l'emploi serait en tout état de cause faible, et
peut-être même légèrement négatif.
DOUBLE DIVIDENDE ET MODELES MACROECONOMIQUES Le fonctionnement spontané des modèles macroéconométriques met en évidence le premier dividende : l'instauration d'une écotaxe compensée par des allègements de cotisations sociales réduit significativement la consommation d'énergie et les émissions de CO 2 . En revanche, le fonctionnement spontané de ces modèles, qui reflète les comportements passés, ne conduit pas à un double dividende : la réforme fiscale est à peu près neutre pour la croissance et l'emploi, tout en accélérant l'inflation. |
||||||||||||
EFFETS
MACROÉCONOMÉTRIQUES À 5 ANS D'UNE TAXE SUR LES
ÉMISSIONS DE CARBONE
(1)
ÉQUIVALENTES À
300 F/TONNE DE CARBONE, SELON LE MODÈLE MÉTRIC
|
||||||||||||
|
|
... compensée par une baisse de la TVA |
... compensée par une baisse des cotisations sociale employeurs |
|
||||||||
|
P.I.B. |
0,06 |
0,00 |
|
||||||||
|
Prix à la consommation |
- 0,03 |
+ 0,40 |
|
||||||||
|
Solde budgétaire en % du P.I.B. |
+ 0,00 |
+ 0,07 |
|
||||||||
|
(1) . Soit environ 30 milliards de francs par an. |
|
||||||||||
• En revanche, si l'on rajoute aux simulations une hypothèse de modération salariale 29( * ) , les modèles macroéconométriques font apparaître un " double dividende " : à coût budgétaire nul, le remplacement des charges sociales par une écotaxe est favorable à la croissance et à l'emploi à moyen terme, tout en réduisant les émissions de CO 2 . |
||||||||||||
SIMULATION, À L'AIDE DU MODÈLE
MACROÉCONOMÉTRIQUE HERMÈS, D'UNE RÉDUCTION DES
COTISATIONS SOCIALES EMPLOYEUR FINANCÉE PAR UNE TAXE
CO
2
/ÉNERGIE
(
1)
,
ÉQUIVALENTE À 1 POINT DE PIB, SOUS L'HYPOTHÈSE DE
MODÉRATION SALARIALE
|
||||||||||||
|
|
France |
Six pays européens |
|
||||||||
|
P.I.B. |
+ 0,06 |
+ 0,15 |
|
||||||||
|
Consommation |
+ 0,03 |
+ 0,15 |
|
||||||||
|
Investissement |
- 0,06 |
- 0,01 |
|
||||||||
|
Exportations |
- 0,56 |
- |
|
||||||||
|
Importations |
- 0,56 |
- |
|
||||||||
|
Solde extérieur en points de P.I.B. |
+ 0,08 |
- |
|
||||||||
|
Emploi |
+ 0,44 |
+ 0,64 |
|
||||||||
|
Salaire réel/tête |
+ 0,24 |
+ 0,39 |
|
||||||||
|
Prix à la consommation |
+ 0,80 |
+ 0,95 |
|
||||||||
|
Solde public ( 2) |
0,00 |
0,00 |
|
||||||||
|
Solde extérieur en points de PIB |
- 2,78 |
- 3,53 |
|
||||||||
|
Emissions de CO 2 |
- 4,69 |
- 4,41 |
|
||||||||
|
1. Par
construction : l'intégralité du produit de la taxe
ex
post
est ristournée.
|
|
||||||||||
|
||||||||||||
SIMULATION, À L'AIDE DU MODÈLE
MACROÉCONOMÉTRIQUE HERMÈS-LINK
(1)
, D'UNE
RÉDUCTION DES COTISATIONS SOCIALES EMPLOYEUR FINANCÉE PAR UNE
TAXE CO
2
-ÉNERGIE
(2)
, SOUS L'HYPOTHÈSE DE
MODÉRATION SALARIALE ET EN TENANT COMPTE DU PROGRÈS
TECHNIQUE
(3)
|
||||||||||||
|
|
France |
Six pays européens |
|
||||||||
|
Montant de la taxe en 2005 (en % du PIB) |
1,10 (4) |
1,7 |
|
||||||||
|
P.I.B. |
0,15 |
0,74 |
|
||||||||
|
Emploi |
0,33 |
0,74 |
|
||||||||
|
Solde public (en % du P.I.B.) |
- 0,22 |
0,02 |
|
||||||||
|
Consommation d'énergie |
- 3,19 |
- 5,50 |
|
||||||||
|
Emissions de CO 2 |
5,73 |
- |
|
||||||||
1.
Bureau du plan - Bruxelles, Erasme, Paris, 1997.
|
•
Ce résultat s'inverse si l'on rajoute une hypothèse de
modération salariale. Les simulations commanditées par la
Commission européenne (cf. encadré) suggèrent ainsi que
l'introduction d'une taxe mixte CO
2
/énergie d'un montant de
l'ordre de 1 % du PIB, redistribuée sous forme de baisse des
cotisations sociales, aurait des effets considérables à moyen
terme sur la consommation d'énergie et les émissions de
CO
2
, tout
en favorisant la croissance et l'emploi, sous
réserve que cette réforme fiscale s'accompagne de politiques de
modération salariale.
Ces simulations suggèrent également que ce double dividende est
d'autant plus important que la mesure est mise en oeuvre simultanément
dans plusieurs pays interdépendants : il en résulte alors un
effet d'entraînement
mutuel, lié au dynamisme de la
consommation catalysé par les créations d'emplois.
Enfin, des variantes de ces simulations suggèrent que les
créations d'emplois potentielles sont plus importantes si les
allégements de charges sociales sont ciblés sur les
bas
salaires
.
Ces résultats macroéconométriques, sont dans l'ensemble
confirmés pour le long terme par les simulations réalisées
à l'aide de " modèles d'équilibre
général calculables " qui reproduisent de manière
théorique le fonctionnement de l'économie.
• Ces résultats sont toutefois
fragiles
, car les
modèles appréhendent très mal les enchaînements
macroéconomiques induits par les variations de
prix
relatifs.
En outre, les modèles macroéconomiques rendent mal compte des
coûts " de transition " et des " chocs sectoriels "
induits par la mesure
30(
*
)
.
• Au total, votre rapporteur ne saurait se risquer à trancher la
controverse académique sur le double dividende, mais il en retient
toutefois deux
conclusions
consensuelles :
-
la taxation des émissions de CO
2
se justifie par
elle-même
et ne doit pas reposer sur l'idée d'un " double
dividende ". Ce double dividende est en effet d'ampleur limitée
(+ 70.000 à + 100.000 emplois potentiels en France pour
un déplacement de prélèvements de l'ordre de cent
milliards de francs). En outre, le double dividende repose sur l'acceptation
par les consommateurs d'un transfert de pouvoir d'achat au profit des
entreprises et, implicitement, des chômeurs, ce qui semble aujourd'hui
incertain ;
- l'instauration d'une taxe sur les émissions de CO
2
doit
cependant s'accompagner de politiques de
modération
salariale,
sous peine de relancer l'inflation et de dégrader la
compétitivité des entreprises, donc l'emploi.
4. La taxation des émissions de CO2 doit être coordonnée à l'échelle internationale
Si un
pays décide de
manière isolée
l'introduction d'une
taxe sur le CO
2
compensée par la baisse d'autres
prélèvements, il modifie la
compétitivité
de
ses secteurs exportateurs
31(
*
)
:
- d'un côté la compétitivité-prix des branches
intensives en énergie (industrie lourde, transports internationaux) est
détériorée ;
- de l'autre, la compétitivité-prix des activités peu
intensives en énergie est accrue.
La résultante de ces deux effets est incertaine, mais probablement
défavorable. En effet, les pertes de compétitivité sont
concentrées
sur certains secteurs, où elles exercent un
impact suffisamment sensible pour conduire à des délocalisations
d'activités, tandis que les gains de compétitivité sont
plus diffus, et dans l'ensemble modestes, de sorte que leur impact est
réduit.
La plupart des modèles suggèrent ainsi que les effets de
l'introduction d'une taxe sur les émissions de CO
2
sont moins
favorables lorsque cette taxe est mise en oeuvre de manière
isolée, que lorsque la réforme fiscale est coordonnée dans
un ensemble de pays interdépendants.
L'introduction d'une taxe sur le CO
2
dans la France seule pourrait
ainsi y freiner la croissance, dans des proportions toutefois très
modestes, comme l'illustrent les simulations ci-dessous.
SIMULATION À L'AIDE DES MODÈLES HERMÈS
ET
MIDAS
|
||
|
Mesure mise en oeuvre en France seule |
Mesure mise en oeuvre à l'échelle européenne européens |
|
Résultats pour la France |
|
P.I.B. |
- 0,03 |
0,18 |
Emploi (milliers) |
+ 89 |
+ 116 |
Solde budgétaire (en % du P.I.B.) |
- 0,05 |
+ 0,36 |
Solde commercial (en % du P.I.B.) |
0,39 |
0,40 |
Cela
explique que, parmi les pays de l'OCDE, seuls le Danemark, la Finlande, les
Pays-Bas, la Norvège et la Suède aient adopté des taxes
sur l'énergie ou le CO
2
explicitement destinées
à réduire les émissions de CO
2
32(
*
)
. En outre, ces systèmes de taxes comportent de
nombreuses
exemptions
ou modérations de taux, concernant
notamment l'électricité, les industries lourdes et les
entreprises qui sont fortement utilisatrices d'énergie et/ou qui sont
exposées à la concurrence internationale, ce qui en réduit
d'ailleurs l'efficacité pour la maîtrise des émissions de
CO
2
.
L'instauration d'une taxe sur les émissions de CO
2
doit donc
s'effectuer dans la mesure du possible de manière
coordonnée
à l'échelle internationale.
La plupart des simulations macroéconométriques suggèrent
à cet égard que l'
Union européenne
pourrait
constituer une échelle suffisante, sous réserve d'exemptions
spécifiques à certaines activités très intensives
en énergie et exposées à la concurrence des autres pays
industrialisés.
En effet, l'Union européenne constitue à la fois une zone
suffisamment fermée pour que l'impact macroéconomique des
variations de compétitivité vis-à-vis du reste du monde
soit relativement faible, et une zone suffisamment intégrée pour
que la redistribution du produit de l'écotaxe sous la forme d'une baisse
des charges sociales exerce un effet d'entraînement mutuel sur la
croissance et l'emploi dans les pays membres.
5. La coordination internationale des taxes sur le CO2 est néanmoins délicate
Le
débat relatif aux
propositions européennes
d'écotaxe montre toutefois que, même coordonnée à
l'échelle internationale, la taxation peut modifier les conditions
concurrentielles au détriment des pays consommateurs ou producteurs
d'énergies riches en carbone, de sorte que l'instauration
coordonnée d'une écotaxe demeure délicate : la
plupart des pays de l'Union européenne s'accordent désormais sur
le
principe
d'une écotaxe (dont seraient exonérées
les énergies nouvelles), mais par sur l'
assiette
de cette taxe.
La
Commission européenne
avait en effet proposé au Conseil
en 1992, puis en mai 1995, une
directive
portant création d'une
écotaxe
sur les produits énergétiques assise pour
moitié sur le contenu en carbone de ces produits (c'est-à-dire
sur le CO
2
), pour moitié sur leur contenu en énergie.
Le montant de cette
taxe mixte CO
2
/énergie
devait
être graduellement augmenté pour atteindre l'équivalent de
10 $ par baril.
PROPOSITION DE DIRECTIVE TAXE CO
2
/ÉNERGIE
AMENDÉE EN MAI 1995 :
TAUX OBJECTIFS POUR L'AN 2000 (TAUX
ÉQUIVALENTS À 10 $ PAR BARIL)
(EN
ÉCUS)
1 litre d'essence |
0,04487 |
1 litre de gazole |
0,05140 |
1 kg de GPL |
0,0625 |
1 kg de fuel lourd |
0,05737 |
1 litre de gaz naturel |
0,042 |
Produits énergétiques solides |
0,00937
Écu/kg de CO
2
|
Électricité |
0,007ECU par Kw/h |
1. Le
niveau de la taxe serait fixé à 30 % de l'objectif la
première année, et atteindrait ensuite progressivement 100 % de
ce taux objectif.
Trois arguments justifiaient selon la Commission le choix d'une
assiette
mixte
50 % CO
2
/50 % énergie :
- une assiette mixte incite à
économiser
l'ensemble des
énergies, donc favorise à long terme un développement
économique moins fondé sur l'utilisation intensive de
l'énergie ;
- une taxe assise uniquement sur le contenu en CO
2
des
énergies aurait conféré un avantage comparatif excessif
à l'
énergie nucléaire
, alors même que les
externalités négatives liées à la filière
électronucléaire (déchets notamment) sont mal
maîtrisées. Le principe de précaution invitait donc, selon
la Commission, à diversifier l'approvisionnement
énergétique ;
- enfin, une taxe assise sur le seul contenu en CO
2
des produits
énergétiques aurait donné un
avantage
très
important à la
France
33(
*
)
, dont
la consommation d'énergie repose largement sur les
électricités hydraulique et électronucléaire (qui
n'émettent quasiment par de CO
2
), au détriment des
autres pays européens, dont l'Allemagne, qui produisent leur
électricité en majorité à partir d'énergies
fossiles (charbon, gaz). Cet avantage aurait stimulé les exportations
françaises d'électricité électronucléaire,
d'une part ; favorisé la compétitivité
intra-européenne des industries lourdes françaises, d'autre
part
34(
*
)
.
Ce choix d'une assiette mixte CO
2
/énergie rencontrait
toutefois trois
réserves
:
- en premier lieu, la prise en compte des externalités négatives
présumées ou le " rétablissement de la
vérité des prix " dans la filière nucléaire,
ne peut être atteint de manière efficiente par la
fiscalité. Il vaudrait mieux astreindre les opérateurs à
provisionner
rigoureusement les coûts de retraitement des
déchets et de démantèlement des centrales, comme le
suggère la
Cour des comptes
dans son dernier rapport annuel ;
- en second lieu, une assiette mixte réduit l'incitation à
substituer
des énergies pauvres en CO
2
à des
énergie riches en CO
2
. Une taxe mixte est donc
moins
efficace
à court terme qu'une taxe émise seulement sur le
CO
2
;
- enfin, une assiette mixte énergie/CO
2
ne trouve
guère de fondements
éthiques,
car elle ne répond
guère aux principe pollueur/payeur.
Ces réserves ont motivé
l'opposition
à la directive
de l'Espagne, et dans une moindre mesure de la France, cependant que le
Royaume-Uni se réclamait par principe hostile à une harmonisation
de la fiscalité, et craignait par surcroît des pertes de
compétitivité importante pour les industries consommant du
charbon.
Le projet de directive s'est ainsi trouvé
bloqué
. Le
Conseil a donc invité la Commission à reformuler des propositions
sur une base moins ambitieuse (cf. encadré).
|
NOUVELLE PROPOSITION DE DIRECTIVE DE LA COMMISSION
-
augmenter
les taux minimaux d'accise fixés par la directive
92/82/CEE pour certains produits énergétiques qui n'ont pas
été réévalués depuis lors ;
|
|
|||||||||||
|
NIVEAU
DES IMPÔTS INDIRECTS (AUTRES QUE LA TVA)
|
|
|||||||||||
|
|
Impôts indirects au
|
Taux minima proposés pour 2002 |
|
|||||||||
|
Super sans plomb (1000 l) |
625 |
500 |
|
|||||||||
|
Essence sans plomb (1000 l) |
583 |
500 |
|
|||||||||
|
Gazole-carburant (1000 l) |
362 |
393 |
|
|||||||||
|
Gazole de chauffage (1000 l) |
79 |
26 |
|
|||||||||
|
Fuel lourd 1 (1000 kg) |
18 |
28 |
|
|||||||||
|
Charbon (1 GJ) |
0 |
0,7 |
|
|||||||||
|
Gaz naturel (1000 m3) |
13 2 |
25 |
|
|||||||||
|
Électricité :
|
0,2
3
|
3
|
|
|||||||||
|
1.
Teneur en soufre < 1 %.
|
|
|||||||||||
|
EFFETS
À L'HORIZON 2005 DE LA DIRECTIVE PORTANT RESTRUCTURATION DE LA
FISCALITÉ ÉNERGÉTIQUE, SELON DIVERS MODÈLES
MACROÉCONOMIQUES, SOUS L'HYPOTHÈSE D'UNE AFFECTATION DES
RESSOURCES FISCALES SUPPLÉMENTAIRES À DES ALLÉGEMENTS DE
CHARGES SOCIALES
|
|
|||||||||||
|
|
Modèle Hermès 1 |
Modèle GE1-E3 2 (2004) |
Modèle E3 ME 3 |
|
||||||||
|
|
France |
UE |
France |
UE |
France |
UE |
|
|||||
|
PIB |
0,01 |
0,06 |
0,02 |
0,02 |
0,09 |
0,20 |
|
|||||
|
Emploi (en milliers) |
17 |
190 |
13 |
155 |
72 |
457 |
|
|||||
|
Émissions de CO 2 |
- 2,14 |
- 1,60 |
- 0,63 |
- 1,47 |
- 0,46 |
- 0,50 |
|
|||||
|
1.
Modèle macroéconométrique, Bureau général du
Plan. Bruxelles et Erasme. Paris.
|
|
Selon la
Commission européenne cette directive réduirait les
distorsions de concurrence
sur le marché intérieur qui
sont imputables aux différentiels de taxation de l'énergie.
En outre, l'augmentation des taux minima d'accises réduirait la
concurrence fiscale
entre États membres, permettant de ce fait
aux États qui le souhaitent d'accroître la taxation des
émissions de CO
2
, sans souffrir de pertes de
compétitivité dissuasives.
Enfin, les propositions de la Commission se traduiraient par une hausse de la
taxation de certains produits énergétiques qui, quoique modeste,
pourrait contribuer à la
maîtrise des émissions
de
CO
2
, tout en stimulant légèrement la croissance et
l'emploi, selon les simulations macroéconomiques réalisées
par la Commission.
Votre rapporteur estime que l'adoption de cette Directive constitue un premier
pas indispensable.
Votre rapporteur souhaite par ailleurs qu'un compromis permette une
coordination plus ambitieuse de la fiscalité énergétique
à l'échelle de l'Union européenne.
III. LES MARCHÉS DE PERMIS D'ÉMISSION CONSTITUENT UN INSTRUMENT EFFICIENT, MAIS DE MISE EN oeUVRE DIFFICILE
1. Le principe des marchés de permis d'émission n'est aucunement immoral
Le
principe des marchés des permis d'émission consiste à
allouer aux " pollueurs " (des États à l'échelle
internationale, des entreprises à l'échelle nationale)
gratuitement, à prix fixe ou aux enchères, des
quotas
d'émissions
de CO
2
, que ceux-ci peuvent ensuite
s'échanger.
Chaque émetteur de CO
2
doit alors s'assurer qu'il
détient autant de permis d'émission que ce qu'il va
émettre. Dans le cas contraire, il se trouve contraint ou bien de
réduire ses émissions, ou bien d'acheter des permis. Inversement,
si ses efforts de maîtrise des émissions lui permettent de
posséder un excédent de permis, il peut mettre ceux-ci en vente.
Le développement de marchés de permis d'émissions
négociables rencontre en France des
obstacles culturels
35(
*
)
:
- "
l'organisation de nos
régimes administratifs
,
fondée sur la transcription réglementaire d'approches
d'ingénieur ;
- la croyance de la part des administrations, mais aussi des entreprises, que
la souplesse nécessaire à une maîtrise efficiente des
émissions serait obtenue par la
négociation informelle
des
conditions d'application de la réglementation, plutôt que par un
système formel de permis ;
-
le rejet de la notion de " droit à polluer ", dans un
pays où le terme de " droit " est associé à des
contenus positifs ;
- enfin, l'idée que des agents privés puissent gagner de l'argent
avec de la pollution est généralement considérée
comme
immorale
".
Le principe des marchés de permis n'est pourtant en aucun cas
immoral : loin de consacrer un " droit à polluer ", la
création de marchés de permis d'émission
restreint
au contraire la faculté des agents économiques d'émettre
du CO
2
, qui était auparavant illimitée.
2. Les marchés de permis constituent un instrument efficient sous certains conditions
À
l'instar des taxes, les marchés de permis sont en théorie un
instrument efficient : les réductions d'émissions ont lieu
là où leur
coût
est le plus
faible
. En effet,
les agents ayant les coûts marginaux de maîtrise des
émissions les plus faibles ont intérêt à
procéder à des investissements de dépollution pour vendre
des permis d'émission aux agents ayant des coûts plus
élevés. Inversement, ces derniers peuvent acheter des permis
plutôt que de procéder à des réductions
d'émissions trop coûteuses.
Pour que les marchés de permis soient efficients, il est toutefois
nécessaire que le
nombre
de
participants
effectifs soit
limité
, sinon les coûts de transaction sont trop
élevés : il est donc exclu que chaque automobiliste
achète des permis d'émission pour son véhicule. Mais le
nombre de participants doit aussi être
suffisant
, sinon les
échanges sont peu concurrentiels.
En outre, le fonctionnement des marchés de permis doit être
transparent.
En effet, les transactions occultes favorisent les
rapports de force
politique et les abus de position dominante.
La transparence des marchés pourrait
a priori
reposer sur une
obligation déclarative, mais il semble préférable que les
transactions s'effectuent plutôt par l'intermédiaire d'une ou
plusieurs
bourses d'échanges
36(
*
)
:
- chaque État ou entreprise demandeur de permis aurait ainsi un
accès équitable, mais concurrentiel, à toutes les offres
de permis . Cela éviterait les arrangements
privilégiés et exclusifs qui réserveraient le
bénéfice des échanges les plus prometteurs à
certains États ou grandes entreprises, en fonction de relations
d'allégeance ou de dépendance ;
- la mise en concurrence la plus large des offres et des demandes favoriserait
un prix économiquement significatif qui, rendu public, fournirait une
information
précieuse à tous les opérateurs, y
compris ceux qui ne sont pas partie à l'échange ;
- l'information ainsi donnée sur le prix de transaction permettrait
d'évaluer aisément par la suite les conditions selon lesquelles
les gouvernements rétrocéderaient des permis à leurs
entreprises (une rétrocession à un prix inférieur au prix
d'acquisition se révélant comme une subvention
déguisée) ;
- enfin, la liquidité du marché serait accrue, tandis que les
coûts de transaction seraient réduits.
Par ailleurs, si l'offre et la demande sont instables ou inertes, ce qui est le
cas de l'énergie, le rationnement induit par les quotas
d'émissions peut se traduire par une forte
volatilité des
prix
, préjudiciable aux décisions des agents
économiques. Les quotas d'émission CO
2
doivent donc
comporter des mécanismes de flexibilité intertemporelle (mise en
réserve des permis excédentaires à une période
donnée, calcul des émissions en moyenne, possibilité
" d'emprunter " des permis). Ces mécanismes, qui
favoriseraient l'apparition de marchés dérivés permettent
en retour une meilleure
efficience intertemporelle
: les
réductions d'émissions sont effectuées au moment où
elles sont collectivement les moins coûteuses.
Il existe toutefois un dilemme entre l'efficience économique (qui invite
à une grande flexibilité dans le temps), et la
crédibilité
du système (il ne doit pas être
possible de repousser trop longtemps ses obligations).
Enfin, pour que les marchés de permis fonctionnent, il est
nécessaire que les permis aient une valeur, c'est-à-dire qu'il
existe un mécanisme de
sanction
dissuasif en cas de non respect
des quotas et que le respect des quotas ne soit pas difficile à
contrôler.
3. Cette intuition théorique est validée par les expériences de marchés de permis conduites aux États-Unis
Les
États-Unis ont expérimenté dès 1977
différentes formules de flexibilité dans leur approche contre les
pollutions atmosphériques. Avec la réforme de la
loi sur l'air
de 1990
(" Clean Air Act "), les États-Unis ont ainsi
entrepris de créer un marché national de permis d'émission
du dioxyde de soufre (SO
2
), sur la base d'un plafond national
d'émission réparti entre les centrales thermiques
37(
*
)
. Ce programme avait pour objectif de réduire
le phénomène des
pluies acides
, c'est-à-dire une
pollution à longue distance, à l'instar de celle due aux rejets
de gaz à effet de serre. À ce titre, cette expérience
fournit des
enseignements
quant à la possibilité de lutter
contre le changement climatique au moyen de marchés de permis
d'émission :
- l'expérience du programme Acid-Rain démontre la
faisabilité
à grande échelle d'un système de
permis négociable et l'existence de
gains économiques
importants. Certes, il a fallu une longue période
d'expérimentation pour définir, et rendre acceptable aux yeux des
tutelles administratives, des ONG, de l'opinion, des firmes elles-mêmes,
un système de règles permettant des échanges fluides. Mais
les objectifs de réduction des émissions de SO
2
ont
été atteints, et même dépassés, et les
coûts moyens de dépollution ont été réduits
de 30 à 50 % par rapport à l'approche réglementaire
initialement envisagée, ces gains provenant notamment de la mise en
concurrence des différentes techniques de dépollution
38(
*
)
.
- "
l'expérience américaine démontre
également la souplesse d'un système de permis
négociables : le marché n'a pas fonctionné de la
façon qui était prévue -toutes les précisions
relatives aux prix, aux quantités échangées et à
l'évolution des technologies s'étant
révélées erronées-, mais il a su s'adapter de
façon satisfaisante, au moins en première
approximation
"
39(
*
)
.
- le programme Acid-Rain suggère par ailleurs quelques
facteurs
clefs
de
succès
40(
*
)
. En
premier lieu, la
vente aux enchères
d'une partie des permis (le
reste étant alloué gratuitement), a joué un rôle
important dans le démarrage, puis l'unification du marché, en
diffusant de l'information, en favorisant l'apparition d'un prix public et en
stimulant l'apparition
d'intermédiaires
(ou courtiers)
spécialisés. En second lieu, les tentatives initiales de greffer
les permis négociables sur les dispositifs réglementaires
existants et d'introduire les marchés de permis par phases successives,
se sont révélées source de complexité et
d'inefficacité.
Enfin, le succès du programme " Acid Rain " doit beaucoup
à la crédibilité du système de
mesure
41(
*
)
des émissions,
d'enregistrement et de mises à jour des droits de chaque
détenteur, ainsi que des systèmes de
sanction
et de
pénalités en cas de défaillance.
Il est donc clair qu'un tel système ne pourrait être
transposé
à l'identique pour les émissions de
CO
2
, que se soit à l'échelle nationale (entre grandes
entreprises), en raison de la moindre précision de la
mesure
des
émissions ; ou à l'échelle internationale (entre
États), en raison de la difficulté de mettre en place un
système de
contrôle
et de
sanction
crédible.
4. L'allocation initiale des permis soulève toutefois des difficultés considérables
D'un
point de vue théorique, la taxation des émissions de
CO
2
et l'instauration d'un marché de permis d'émission
sont des instruments relativement proches, en ce qu'il s'agit d'instruments de
marché qui permettent tous deux de réduire les émissions
au moindre coût. La vente de permis à prix fixe est ainsi analogue
à une taxe. Marché de permis et taxation présentent
toutefois plusieurs différences :
- la taxation permet aux autorités publiques de fixer un
plafond
(le montant de la taxe), pour les
coûts
de réduction des
émissions, avec une incertitude sur l'efficacité de la taxe pour
réduire les atteintes à l'environnement. En revanche, un
système de permis négociables permet de fixer à l'avance
un plafond pour les émissions de CO
2
, mais avec une
incertitude sur les coûts de la dépollution mise en oeuvre.
Le choix de l'instrument optimal dépend donc de l'
incertitude
que les autorités publiques préfèrent supporter. Dans le
cas de l'effet de serre, les coûts du changement climatique pourraient
être quasiment proportionnels aux émissions (il est difficile de
mettre en évidence des effets de seuil), tandis que les coûts de
dépollution sont très sensibles aux objectifs (la
détermination d'objectifs trop ambitieux pourrait conduire à des
coûts économiques prohibitifs). Dans ces conditions, il est
a
priori
préférable de recourir à la taxation
plutôt qu'à des quotas et à des échanges de
permis ;
- par ailleurs, le système de marchés de permis est un instrument
moins adapté si le nombre d'intervenants est trop élevé
(en raison des
coûts de transactions),
ou si ce nombre est
réduit (en raison des risques de
collusion
). A l'échelle
nationale, il ne saurait donc être question de marchés de permis
qu'entre entreprises de taille suffisante (ce qui ne couvrirait qu'une partie
des émissions) ;
- les marchés de permis présentent toutefois l'avantage d'ajuster
les contraintes pesant sur les agents économiques au
contexte
économique
général : lorsque la conjoncture est
déprimée, les émissions ralentissent, donc le prix des
permis baisse, toutes choses égales par ailleurs, ce qui réduit
les efforts demandés aux entreprises ;
- en outre, lorsque les permis sont distribués gratuitement (comme dans
le programme " Acid Rain "), les entreprises polluantes ne subissent
pas de
choc financier
initial, ce qui rend l'instrument plus
acceptable
qu'une taxe.
L'
allocation initiale
des permis soulève toutefois des
difficultés considérables.
En théorie, si les coûts de transaction sont faibles, l'efficience
économique et environnementale ne dépend pas des modalités
d'allocation de ces permis : les réductions d'émission ont
lieu de toute façon là où leur coût est le plus
faible.
L'allocation des permis présente toutefois des effets redistributifs
très importants, dès lors que ces permis ont une
valeur
marchande
ou un coût d'opportunité.
Les modalités d'allocation initiale et de
renouvellement
des
permis d'émissions (à l'instar des permis de pêche, ils
sont temporaires), soulèvent ainsi des problèmes
d'
équité
et
de distorsions de concurrence
, aussi
bien à l'échelle nationale, qu'à l'échelle
internationale. Par exemple, selon quelles règles allouer des permis aux
nouvelles entreprises ? Une entreprise qui ferme une installation
polluante conserve-t-elle ses quotas ?
Sauf si elle s'effectue sous forme d'enchères périodiques,
l'allocation des permis donne ainsi lieu à des
marchandages
aux
enjeux financiers considérables, pour lesquels les diplomaties (à
l'échelle internationale) et les administrations (à
l'échelle nationale), sont inégalement préparées.
Les négociations internationales sur le changement climatique achoppent
ainsi entre pays en développement et pays industrialisés sur le
critère d'allocation " équitable " qui doit être
retenu (cf. chapitre III.1)
De manière générale, l'allocation des permis risque en
fait de conduire à une situation de
"
victime-payeur
" : les victimes ayant davantage
intérêt que les " pollueurs " à la maîtrise
des émissions, elles se verront contraintes de brader des quotas
à bas prix aux pollueurs afin que ceux-ci consentent à s'associer
à la réduction des émissions. La répartition des
quotas de Kyoto repose ainsi largement sur des " droits acquis ".
À l'échelle nationale, cette situation se manifesterait par
l'allocation gratuite de permis aux entreprises émettrices, au
détriment de la collectivité (qui aliénerait ce faisant
son patrimoine).
IV. LA RÉGLEMENTATION EST NÉCESSAIRE, À TITRE COMPLÉMENTAIRE
1. La maîtrise des émissions de gaz à effet de serre ne saurait entièrement reposer sur la réglementation
La
réglementation
42(
*
)
consiste
à imposer des limites quantitatives à l'émission de
substances nocives ou à l'utilisation de certains biens. Elle peut
prendre de nombreuses formes :
normes
d'émission
individuelles,
obligations
de recourir à des techniques de
production moins polluantes ou à des dispositifs de dépollution,
etc.
D'une manière générale, la réglementation est
indispensable en matière environnementale quand il s'agit de
prévenir des risques vitaux identifiés ou localisés, par
exemple pour le transport des produits dangereux ou le fonctionnement des
centrales nucléaires. Mais cela n'est pas le cas des risques
associés au changement climatique, car on ne peut établir la
chaîne des causalités
entre les émissions d'une
installation donnée et les perturbations du climat.
Lorsque des
contrôles
sont possibles la réglementation peut
être efficace et présente l'avantage que ses effets sur
l'environnement sont parfaitement
prévisibles
, dans la mesure
où elle s'appuie sur des normes définies avec précision.
Le rapport du Comité interministériel de l'évaluation des
politiques publiques relatif à la maîtrise de
l'énergie
43(
*
)
, souligne ainsi que
"
l'action réglementaire développée avec
continuité depuis 1975 pour améliorer l'efficacité
énergétique des nouveaux bâtiments constitue un exemple
réussi qui a eu un impact énergétique marqué et
rentable
".
L'établissement de normes peut également faciliter la production
de certains produits en grande série, donc conduire à des
économies d'échelle
.
La réglementation est toutefois
difficile
à
calibrer
. Trop exigeante, elle fait peser des coûts excessifs sur
les agents économiques. Insuffisante, elle est inefficace.
Le Comité interministériel d'évaluation des politiques
publiques
44(
*
)
remarque, par exemple, que
"
la réglementation qui avait exigé en 1975 un niveau
minimum de rendement pour les chaudières est un échec exemplaire.
Insuffisamment exigeante, elle n'a servi à rien alors qu'elle aurait
pu généraliser l'emploi de matériels plus performants
et stimuler le progrès technique
".
En raison de ces difficultés de calibrage, la réglementation est
difficile et coûteuse à administrer : les négociations
entre les industriels et l'administration pour la codétermination des
seuils réglementaires peuvent être longues et délicates.
Elle est également
instable
, ce qui brouille les anticipations
des entreprises et des ménages et ne favorise pas les meilleurs choix
d'investissements. Par ailleurs, lorsqu'elle impose certains moyens
technologiques, la réglementation constitue un
frein
au
progrès technique puisqu'elle fixe une fois pour toutes les
méthodes à utiliser
45(
*
)
.
En outre, la réglementation est difficile à
coordonner
à l'échelle internationale. Il y a alors un risque que les Etats
cherchent à manipuler les normes pour créer des barrières
aux importations ou pour avantager leurs entreprises à l'exportation.
Enfin, les réglementations, même les mieux définies, ne
sont
pas
efficientes
économiquement : elles ne minimisent
pas le coût total pour atteindre un objectif fixé. En effet, il
est impossible de les différencier suffisamment pour tenir compte de
chaque situation, de sorte que les réductions d'émissions ne sont
pas nécessairement effectuées là où elles sont les
moins coûteuses (les coûts marginaux de réduction des
émissions ne sont pas égalisés pour tous les agents). D'un
côté, certains agents devront effectuer des investissements
très coûteux et peu efficaces ; de l'autre, les agents qui
pourrait réduire leurs émissions à très faible
coût ne sont aucunement incités à aller au-delà des
normes existantes.
Au total, la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre
ne saurait donc entièrement reposer sur une approche
réglementaire.
2. La maîtrise des émissions de gaz à effet de serre requiert toutefois le renforcement de certaines réglementations
Le
recours à des instruments de marché (taxation et permis
d'émissions) est inopérant dans au moins deux situations :
- lorsque les émissions sont difficiles à établir ou
à
mesurer
: il est alors malaisé de déterminer
une assiette fiscale ou de contrôler le respect de quotas
d'émission ;
- lorsque les agents ne disposent pas d'une
information
suffisante sur
leurs propres émissions et sur leurs coûts de dépollution,
soit par " myopie " (les ménages connaissent ainsi très
mal les coûts et les avantages de l'isolation des habitations), soit
parce que les émissions sont très diffuses (les consommateurs
prennent ainsi très peu en compte le critère d'efficacité
énergétique lors de l'achat d'ampoules ou d'appareils
électroménagers).
Dans ces deux configurations, le recours à la réglementation est
indispensable.
La lutte contre les émissions des gaz à effet de serre autres que
le CO
2
, dont les émissions sont difficiles à mesurer,
passe donc par la réglementation. On peut ainsi réduire les
émissions de méthane par l'instauration ou le renforcement des
réglementations relatives aux mises en décharge, aux fuites de
gaz sur les sites de production d'énergie et les oléoducs, voire
à la qualité de l'alimentation des ruminants.
Par ailleurs, la réglementation peut améliorer l'information des
consommateur, grâce à :
- l'instauration d'
obligations d'information
, à l'instar du
système d'étiquetage informatif qui a été rendu
obligatoire pour certains appareils électroménagers
(réfrigérateurs, congélateurs, sèche-linge), afin
d'orienter les consommateurs vers les appareils les plus économes ;
- le développement de "
labels
". À court terme,
la labellisation peut s'avérer peu efficace pour lutter contre le
changement climatique. En effet, les coûts de certification et de
contrôle peuvent être élevés, et la labellisation ne
répondrait peut-être pas à un besoin d'information des
consommateurs, qui ne sont pas encore prêts à des sacrifices
individuels significatifs pour lutter contre le changement climatique. En
outre, la labellisation pourrait être considérée par l'OMC
comme une barrière aux échanges internationaux. Cependant,
à long terme, la diffusion de labels pourrait
sensibiliser
les
consommateurs à la maîtrise de l'énergie, et contribuer au
développement d'une conscience environnementale ;
- des dispositions réglementaires portant sur des
normes
minimales
de rendement énergétique (ces normes fournissent
implicitement une information aux consommateurs).
Par ailleurs, le renforcement de la réglementation peut prendre la forme
d'
engagements
volontaires
de la part des industriels : les
constructeurs automobiles européens se sont ainsi engagés
auprès de l'Union européenne sur des objectifs quantifiés
d'amélioration de l'efficacité énergétique de leurs
moteurs
46(
*
)
.
Idéalement, le renforcement de la réglementation doit être
harmonisé
à l'échelle internationale, afin
d'éviter l'apparition de barrières ou de distorsions aux
échanges, et le développement corollaire de litiges commerciaux.
Mais l'harmonisation des normes est un processus très lent et
très difficile.
L'adoption par un pays isolé d'une réglementation plus
restrictive n'est toutefois pas toujours un frein à sa
compétitivité. Les premiers pays à mettre en oeuvre
certaines normes peuvent disposer d'une
avance technologique
ou peser
davantage lors des négociations internationales relatives à la
normalisation (les pays suiveurs s'adaptant aux normes définies par les
pays pionniers), à l'instar de l'Allemagne avec les pots
catalytiques.
V. BIEN CIBLÉES, LES SUBVENTIONS SONT EFFICACES
1. Les subventions peuvent présenter des inconvénients
Les
subventions
qui seraient nécessaires pour réduire les
émissions de gaz à effet de serre sans recourir à d'autres
instruments économiques atteindraient des montants considérables
(plusieurs dizaines de milliards de francs par an), et se traduiraient par des
prélèvements publics supplémentaires. Par ailleurs, les
subventions sont parfois peu efficaces (effets d'aubaine), peu
efficientes
(en distordant le fonctionnement des marchés), et peu
réversibles
.
En outre, la gestion des subventions peut représenter des coûts
pour les administrations, comme pour les entreprises, tout en étant
difficile à calibrer.
Le rapport du Comité interministériel de l'évaluation des
politiques publiques relatif à la maîtrise de
l'énergie
47(
*
)
concluait par exemple qu'il
"
n'a pas été possible de mettre en évidence
l'impact de l'aide, très modeste, constituée par le régime
d'amortissement accéléré des investissements de
maîtrise d'énergie, qui représente un avantage
équivalent à une subvention de 2 à 5 % selon la
durée de vie de l'installation
". Par ailleurs, les avantages
fiscaux proposés aux sociétés agrées pour le
financement des économies d'énergie (SOFERGIE) constituent selon
ce même rapport d'évaluation
48(
*
)
"
une formule qui complique, sans profit réel, le paysage des
financements des entreprises et des collectivités
".
Enfin, le fait de subventionner les " polleurs " peut être
injuste et favorise à long terme le développement d'un
"
aléa moral
" (c'est-à-dire une incitation
à polluer pour bénéficier de subventions).
En conséquence, la lutte contre le changement climatique ne saurait
entièrement reposer sur la création de nouvelles subventions.
Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, il
serait au contraire plus judicieux de réduire certaines
subventions
implicites
à la consommation d'énergie ou aux énergies
les plus riches en CO
2
(cf. chapitre IV).
2. Des subventions ciblées sont toutefois nécessaires pour remédier aux imperfections des marchés
La
théorie économique identifie plusieurs configuration où
des
subventions ciblées
peuvent efficacement favoriser la
maîtrise des émissions de gaz à effet de serre.
En premier lieu, il est efficace d'aider les agents économiques qui
rencontrent des
contraintes de financement
, c'est-à-dire qui
éprouvent des difficultés à emprunter pour effectuer des
investissements à la fois rentables d'un point de vue
socio-économique et pertinents pour la maîtrise des
émissions de gaz à effet de serre.
À l'échelle internationale, il est ainsi souhaitable que les pays
industrialisés accordent des garanties d'emprunt ou des aides directes
aux investissements de dépollutions des pays en développement
où se trouvent les gisements de maîtrise des émissions les
moins coûteux.
À l'échelle nationale, il est notamment pertinent d'aider
l'afforestation, les investissements d'économie d'énergie des
PME, les efforts d'isolation thermique des bailleurs sociaux et des
primo-accédants à la propriété, ainsi que les
projets des collectivités locales en matière de transports
collectifs. Ces aides peuvent prendre la forme de subventions directes, mais
aussi de garanties d'emprunt, dont l'
effet multiplicateur
peut
être élevé.
En second lieu, des subventions bien ciblées peuvent avoir un
"
effet déclencheur
" en améliorant
l'information des agents économiques, à travers deux
mécanismes :
- le fait que les investissements de maîtrise des émissions soit
subventionné est un
"
signal " symbolique
important de leur intérêt pour la collectivité dans son
ensemble, qui contribue à sensibiliser l'ensemble des agents
économiques au changement climatique. Conjoncturellement, il serait
ainsi mal venu de remettre en cause le principe de certaines subventions aux
économies d'énergie, même si leur impact est
incertain ;
- par ailleurs, les
subventions au conseil
, en particulier le
cofinancement des
diagnostics énergétiques
pour les
collectivités locales, les entreprises ou les particuliers, sont
extrêmement efficaces. La plupart des agents économiques n'ont en
effet ni l'idée d'effectuer un tel diagnostic, ni surtout une
idée des économies d'énergie qu'ils pourraient
réaliser.
Enfin, les autorités publiques peuvent subventionner les
"
externalités positives
", c'est-à-dire les
décisions individuelles qui accroissent le bien-être collectif,
sans que leur auteur en soit directement récompensé.
Il convient notamment d'encourager la
recherche-développement
en
matière de changement climatique, et de réorienter les
dépenses de R & D dans le domaine de
l'énergie : selon l'OCDE, durant la période 1977-1990, moins
de 6 % des dépenses de R & D dans le domaine de
l'énergie des pays de l'OCDE ont été affectées aux
économies d'énergie, et seulement 9 % aux formes
d'énergie renouvelables, contre près de 50 % à la
fission nucléaire et 12 % à la fusion nucléaire.
Par ailleurs, subventionner la diffusion de technologies prometteuses, comme la
cogénération
permet de bénéficier
d'économies d'échelle, donc d'en réduire le coût.
La cogénération 49( * )
La
cogénération recouvre un ensemble de techniques de production
simultanée d'énergie thermique, récupérée
sous forme de gaz chauds ou de vapeur et utilisée pour le chauffage, et
d'énergie mécanique, cette dernière étant le plus
souvent utilisée pour produire de l'électricité par
couplage à un alternateur.
La valorisation simultanée de la chaleur et de l'énergie
mécanique peut permettre d'atteindre des rendements
énergétiques très élevés, de l'ordre de
80 %, et même jusqu'à 90 %, largement supérieurs
à ceux d'une production séparée de chaleur et
d'électricité. La cogénération permet donc de
réaliser des économies appréciables d'énergie
primaire.
La cogénération se prête en outre à la valorisation
énergétique des ordures ménagères.
CHAPITRE III
ENJEUX ET MODALITÉS DE LA
COOPÉRATION INTERNATIONALE EN MATIÈRE DE CHANGEMENT
CLIMATIQUE
I. UNE COOPÉRATION DIFFICILE
1. Le changement climatique : un problème global, d'ampleur sans précédent
Au
contraire des " pluies acides ", qui retombent pour partie sur le
territoire des pays pollueurs, ou des atteintes à la couche d'ozone,
dont les CFC émis par les pays industrialisés étaient
largement responsables, le changement climatique est un problème
entièrement global, dont tous les pays sont à la fois
responsables et victimes : les émissions de gaz à effet de
serre se diffusent très rapidement dans l'atmosphère de
l'ensemble de la planète, où leur concentration est
homogène.
Le changement climatique est aussi
sans précédent
par son
ampleur, par la diversité des activités humaines
concernées, et par l'importance des inflexions nécessaires pour y
remédier : contrairement aux CFC, il existe peu de produits de
substitution aux gaz à effet de serre.
La lutte contre le changement climatique soulève également nombre
de questions nouvelles, en matière économique, éthique et
politique.
2. Comment déterminer le niveau d'effort optimal ?
La
première de ces questions porte sur le
calendrier
et
l'
intensité
des efforts de maîtrise des émissions
à l'échelle internationale.
Si le respect du principe de précaution invite en effet à agir
(cf. chapitre I), les connaissances scientifiques et les simulations
économiques ne permettent en effet guère de déterminer un
niveau d'effort " optimal ", d'autant plus que l'horizon temporel ou
les préférences des populations diffèrent : le
degré de préférence pour le présent, la valeur
attribuée à la préservation de la biodiversité, la
solidarité envers les générations à venir ne sont
pas les mêmes dans tous les pays.
Par surcroît, le coût de maîtrise des émissions est
partout plus que proportionnel aux réductions de ces émissions,
comme l'illustre le tableau ci-dessous.
|
|
|
||||
|
Émissions en 2010 (en millions de tonnes de carbone) |
Réduction d'émissions
|
Ordre de grandeur du coût pour l'Union européenne (en milliards d'euros) |
Ordre
de grandeur coût moyen de réduction
|
|
|
|
1030 (référence) |
0 |
0 |
- |
|
|
|
900 |
- 130 |
10 |
75 |
|
|
|
800 |
- 230 |
25 |
110 |
|
|
|
700 |
- 330 |
60 |
180 |
|
|
|
600 |
- 430 |
130 |
300 |
|
|
|
Source : OCDE, calculs de l'auteur. |
3. Comment répartir les efforts entre les pays ?
Il est
difficile de définir un critère optimal pour la
répartition des efforts de maîtrise des émissions entre
pays.
Le critère
a priori
le plus conforme à
l'équité consisterait à partager un plafond
d'émissions mondial
au prorata
de la
population
des pays.
La mise en oeuvre de ce critère n'est toutefois par aussi simple qu'il
n'y paraît : faut-il par exemple accroître les quotas des pays
démographiquement dynamiques, au détriment de ceux qui
maîtrisent la fécondité de leur population ?
|
|
|
||||||||||||
|
EXEMPLES DE RÈGLES D'ALLOCATION DES QUOTAS À
L'ÉCHELLE INTERNATIONALE
|
|
||||||||||||
|
|
Règle |
Avantages |
|
||||||||||
|
1. |
Droits acquis . Quotas alloués d'après les parts d'émissions des pays/régions dans une année donnée. |
Relativement facile à définir et à mesurer. |
|
||||||||||
|
2. |
Règle égalitaire . Quotas alloués à proportion du poids démographique de chaque pays/région dans une année donnée. |
Facile à mesurer et conforme au principe de l'égalité des droits en matière d'utilisation de l'atmosphère. |
|
||||||||||
|
3. |
Règle d' efficience . Quotas alloués à proportion de l'inverse de l'intensité de carbone relative des pays/régions, mesurée par le ratio des émissions de C0 2 au PIB, pondérée en fonction de la population. |
Avantage les pays qui utilisent des sources d'énergie plus efficientes émettant moins de carbone. |
|
||||||||||
|
4. |
Règle redistributive . Quotas alloués en proportion inverse du PIB par habitant du pays/de la région, pondéré en fonction de la population. |
Avantage
les pays pauvres en engendrant un flux positif de
|
|
||||||||||
|
5. |
Règle d' équité et d' efficience . Quotas alloués en proportion inverse de la consommation de combustibles fossiles par habitant d'un pays/d'une région. |
Tend à avantager les pays en développement démunis et les pays qui favorisent les sources d'énergie exemptes de carbone et l'utilisation rationnelle de l'énergie. |
|
||||||||||
|
|
|
|
|
||||||||||
|
RÉPARTITION INITIALE DES QUOTAS
50(
*
)
SUIVANT DIFFÉRENTES RÈGLES D'ALLOCATION
(EN % DU TOTAL)
|
|
||||||||||||
|
|
Droits acquis |
Critère égalitaire |
Efficience |
Critère redistributif |
Équité |
|
|||||||
|
États-Unis |
27.1 |
7.9 |
15.4 |
0.2 |
1.9 |
|
|||||||
|
Japon |
6.8 |
3.9 |
11.0 |
0.2 |
4.0 |
|
|||||||
|
Communauté européenne |
16.6 |
10.2 |
19.8 |
0.7 |
4.1 |
|
|||||||
|
Autres pays de l'OCDE (1) |
6.0 |
4.0 |
7.7 |
0.3 |
4.5 |
|
|||||||
|
Chine |
12.2 |
35.1 |
18.2 |
42.0 |
20.6 |
|
|||||||
|
Ex-Union soviétique |
20.9 |
9.1 |
2.7 |
2.8 |
2.3 |
|
|||||||
|
Inde |
3.0 |
26.1 |
23.8 |
52.7 |
59.2 |
|
|||||||
|
Europe de l'Est |
7.3 |
3.8 |
1.5 |
1.1 |
3.5 |
|
|||||||
|
(1) À l'exclusion du Mexique. |
|
||||||||||||
|
SIMULATION DES TRANSFERTS FINANCIERS INDUITS EN 2050 ENTRE
GRANDES ZONES PAR LE CHOIX D'UNE RÈGLE D'ALLOCATION
|
|
||||||||||||
|
|
|
||||||||||||
|
|
Région |
|
|||||||||||
|
Règle d'allocation des quotas |
OCDE |
Ex-Union soviétique et Europe de l'Est |
Chine et Inde |
|
|||||||||
|
Droits acquis |
14 |
22 |
-36 |
|
|||||||||
|
Critère égalitaire |
-90 |
-29 |
119 |
|
|||||||||
|
Efficience |
5 |
-57 |
52 |
|
|||||||||
|
Critère redistributif |
-176 |
-58 |
234 |
|
|||||||||
|
Équité |
-130 |
-52 |
182 |
|
|||||||||
|
Source OCDE. |
|
|
|
|
|||||||||
|
Les simulations ci-dessus suggèrent que l'allocation des quotas nationaux sur la base de l'égalité " pure " (au prorata du nombre d'habitants), se traduirait par des transferts au profit des pays en développement, dont le montant serait plusieurs fois supérieur au montant actuel de l'ensemble de l'aide au développement. |
|
En
outre, ce critère ne tient compte ni des
responsabilités
historiques en matière de changement climatique, ni des
capacités
technologiques ou financières des
différents États, ni de ce que les
effets
du changement
climatique sont très différenciés, (certains pays froids
en seraient peut-être même bénéficiaires).
Enfin, la répartition des efforts selon un critère
égalitaire se traduirait par des
transferts
au profit des pays en
développement, dont le montant total pourrait être
supérieur au niveau actuel de l'aide au développement et
équivalent aux transferts induits par les chocs pétroliers au
profit des pays de l'OPEP, ce qui ne paraît par de nature à
réunir l'
adhésion
des pays industrialisés.
Ces problèmes d'équité entraînent le risque de
comportements de "
passagers clandestins
" : quel que
soit le critère retenu, à défaut d'autorité
coercitive à l'échelle internationale, certains pays refuseront
de s'associer aux efforts collectifs de maîtrise des émissions ou
auront la tentation de s'affranchir de leurs obligations, tout en
espérant bénéficier des efforts consentis par les
autres.
4. Le problème des " fuites de carbone "
L'efficacité de mesures de réduction des
émissions de gaz à effet de serre prises unilatéralement
par un pays ou un ensemble de pays peut être affectée par un
phénomène baptisé "
fuite de carbone
".
Ces fuites de carbone se produisent si la maîtrise des émissions
de CO
2
dans certains pays tend à
accroître
les
émissions de CO
2
des
autres pays
, à travers les
mécanismes suivants :
- le ralentissement de la consommation d'énergies fossiles dans les pays
qui s'efforcent de réduire leurs émissions de CO
2
entraîne une diminution de la demande mondiale de ces énergie,
donc une baisse de leur
prix
. Cela peut favoriser une hausse de la
consommation d'énergie fossile dans les autres pays ;
- par ailleurs, les efforts de maîtrise des émissions dans les
pays " vertueux " peuvent stimuler le développement des
activités les plus polluantes dans les pays les moins vertueux,
où ces activités seraient de fait plus
compétitives.
Les simulations effectuées par l'OCDE à l'aide du modèle
Green d'une réduction unilatérale des émissions dans
l'Union européenne suggèrent toutefois que l'ampleur de ces
" fuites de carbone " serait très
limitée
(de
l'ordre de quelque %), voire négatives.
AMPLEUR DES FUITES DE CARBONE SOUS L'HYPOTHÈSE D'UNE
STABILISATION UNILATÉRALE DES ÉMISSIONS DANS L'UNION
EUROPÉENNE
|
||
|
2010 |
2030 |
Évolution des émissions de l'Union européenne par rapport au scénario de référence : |
- 206 |
- 389 |
Évolution des émissions des autres pays : |
+ 3 |
- 13 |
Source : OCDE, 1995. |
Au
premier abord surprenant, ce résultat s'explique, selon l'OCDE, par
l'action de
mécanismes correcteurs
:
- la maîtrise des émissions dans les pays de l'Union
européenne entraînerait une diminution du prix mondial du
pétrole
, conduisant à un ralentissement de la croissance
économique, donc des émissions de CO
2
, des pays
exportateurs de pétrole (OPEP, Russie). Par ailleurs, cette baisse du
prix du pétrole favoriserait un
effet de substitution
interénergie par lequel le pétrole remplacerait plus rapidement
le charbon dans les pays en développement, ce qui favoriserait la
maîtrise des émissions.
- par ailleurs, les pertes de compétitivité subies par les
secteurs à haute intensité d'énergie dans l'Union
européenne, s'accompagneraient inévitablement d'un renforcement
de l'avantage comparatif des autres secteurs économiques, susceptible de
favoriser des
relocalisations
d'autres activités dans les pays de
l'Union.
Le modèle utilisé par l'OCDE ne peut toutefois prendre en compte
plusieurs mécanismes susceptibles d'
accroître
l'ampleur de
ces " fuites de carbone
51(
*
)
:
- l'impact de mesures unilatérales sur les anticipations et les
comportements stratégiques des producteurs, qui peuvent être
incités à délocaliser leurs unités de
production ;
- le pouvoir de marché des producteurs de biens à haute
intensité d'énergie dans les pays ne participant pas à la
réduction des émissions : si ces producteurs sont moins
nombreux, ils pourront accroître leurs marges, ce qui se traduira par un
transfert de revenus au profit des pays les moins économes en
énergie, donc par une augmentation des émissions
totales.
II. POURTANT SIMPLE ET EFFICIENTE, LA CRÉATION D'UNE TAXE COORDONNÉE SUR LE CO2 N'A PAS ENCORE FAIT L'OBJET D'UN ACCORD INTERNATIONAL
1. L'instauration d'une taxe coordonnée sur le CO2 constituerait un instrument simple et efficient, ainsi qu'un " signal " politique fort
Le
recours à une taxation du CO
2
coordonnée à
l'échelle internationale, c'est-à-dire à une action par
les prix, constituerait un instrument efficient. En effet, la taxe maximiserait
les réductions d'émissions dans les pays où elles sont les
moins coûteuses. Au total, la taxation coordonnée du
CO
2
est susceptible de
diviser
au moins
par 2
les
coûts
de maîtrise des émissions par rapport à
des mesures de réduction unilatérales.
La taxation coordonnée n'empiéterait guère sur la
souveraineté
des États, puisque les ressources fiscales
qu'ils prélèveraient leur reviendraient directement (une partie
de ces revenus pouvant toutefois bénéficier au fonds mondial pour
l'environnement).
COÛT MACROÉCONOMIQUE DU PROTOCOLE DE KYOTO SUR
LA
PÉRIODE 1990-2010 SELON DIVERSES HYPOTHÈSES
(Ecart du PIB en 2010 par rapport au scénario " sans
mesures ", en % du PIB)
|
Chaque
zone met en oeuvre
|
Taxe
coordonnée
|
Union européenne |
- 0,8 % |
- 0,2 % |
Etats-Unis |
- 0,4 % |
- 0,2 % |
Japon |
- 0,9 % |
- 0,2 % |
Pays exportateurs de pétrole |
- 3,4 % |
- 1,4 % |
Monde |
- 0,7 % |
- 0,2 % |
Source : Centre de développement de l'OCDE,
Modèle GREEN, 1998.
La mise en oeuvre d'une taxe coordonnée serait par ailleurs très
simple
, et très aisée
à contrôler
.
La taxation coordonnée des émissions de CO
2
permettrait de maîtriser très simplement les
rejets
" apatrides
", c'est-à-dire les émissions
liées aux transports aériens ou maritimes internationaux, pour
lesquelles les politiques nationales sont impuissantes et le
développement de réglementations internationales semble complexe.
A défaut, ces émissions doivent faire l'objet d'une taxation ou
d'une réglementation spécifique.
Enfin, l'instauration d'une taxe coordonnée, même d'un montant
modeste, et même limitée aux pays industrialisés, aurait
constitué un
signal
politique et diplomatique fort :
- attestant vis-à-vis de l'
opinion publique
, de l'importance du
changement climatique ;
- attestant vis-à-vis des
pays en développement
de la
détermination des pays industrialisés à réduire
leurs émissions ;
- témoignant de la prise en considération du principe de
précaution et de la capacité des pays industrialisés
à prendre en compte leur intérêt commun.
2. Le principe d'une taxe coordonnée n'a pas pour l'heure surmonté les réticences de certains pays
Lors des
négociations internationales relatives à l'effet de serre, le
principe d'une taxe coordonnée à l'échelle mondiale a
rencontré l'
opposition
des pays en développement gros
consommateurs de charbon, au premier rang desquels l'
Inde
et la
Chine
, où l'instauration d'une écotaxe assise sur le
CO
2
aurait constitué un choc économique de très
grande ampleur.
En effet, le prix initial de l'énergie y est faible. En outre, selon le
GIEC, le contenu en CO
2
d'une unité de PIB est dix fois plus
élevé en Chine qu'en Europe, en raison d'un recours accru au
charbon et d'une efficacité énergétique moindre.
Au total, selon l'OCDE, le montant d'une taxe harmonisée à
l'échelle mondiale aurait représenté en Chine et en Inde
une part du PIB plus de quatre fois supérieure à celle atteinte
dans les principaux pays industrialisés. Le produit fiscal de la taxe
aurait également été plus important, permettant des
allégements massifs d'autres impôts. Mais le "
choc
économique
" induit aurait peut-être affecté la
croissance de ces pays en développement.
En outre, l'instauration d'une taxe sur les CO
2
exercerait des
effets redistributifs importants en Chine, où les produits
énergétiques sont pour partie subventionnés, ce qui y rend
la mesure socialement et politiquement difficile.
Au total, selon l'OCDE
52(
*
)
, l'instauration
d'une taxe sur les émissions de CO
2
, coordonnée
à l'échelle mondiale, devrait s'accompagner de
transferts
financiers massifs en faveur des pays en développement. En quelque
sorte, il faudrait aider ces pays pour qu'ils acceptent d'effectuer l'essentiel
des efforts de réduction, dans l'intérêt de la
collectivité à l'échelle planétaire.
Il demeure toutefois envisageable, et souhaitable, d'instaurer une taxe
coordonnée sur le CO
2
au sein des pays de l'
OCDE
,
où les disparités sont plus limitées. Cette mesure
représenterait en effet un " signal fort "
vis-à-vis des pays en développement.
Mais cette idée s'est jusqu'alors heurtée aux réticences
des
États-Unis
envers le principe même d'une
" taxe ", et plus encore d'une taxe
" internationale ".
III. LE SOMMET DE KYOTO S'EST CONCLU PAR UN ACCORD SUR LE PRINCIPE DE QUOTAS D'ÉMISSIONS POUR LES PAYS INDUSTRIALISÉS À PARTIR DE 2008, C'EST-À-DIRE D'UNE APPROCHE PAR LES QUANTITÉS ET NON PAS PAR LES PRIX
1. Les acquis du Sommet de Rio53( * )
La
convention-cadre
sur le changement climatique adoptée en juin
1992 au Sommet de Rio après quinze mois de négociations, puis
ratifiée
par
171 États
, dont tous les
États européens, auxquels s'ajoutent la communauté
européenne, signataire à part entière, est
entrée en vigueur
le 21 mars 1992.
Cette convention définit les
principes
qui doivent guider
l'action de la communauté internationale :
- la protection du climat doit être assurée pour le
bénéfice des générations présentes et
futures, sur la base d'un critère d'
équité
qui
prenne en compte les responsabilités communes mais
différenciées des États, ainsi que leurs capacités
respectives ;
- les parties à la convention ont l'obligation de prendre des
mesures
de précaution
pour
anticiper, prévenir ou
réduire les causes du changement climatique ;
- les mesures adoptées par les parties ne doivent pas constituer une
discrimination arbitraire ou injustifiable ou une restriction
déguisée au
commerce international
;
- enfin, la conférence des parties (COP) est désignée
comme l'
organe exécutif
de la convention. Elle examine
périodiquement la pertinence des engagements, à la lumière
des progrès scientifiques et de l'expérience des programmes
nationaux de réduction des émissions.
Au vu de ces principes, une distinction a été
opérée dans les types d'engagements incombant respectivement aux
pays en développement et aux pays industriels. Les pays de l'OCDE, moins
le Mexique, et les pays en transition vers une économie de
marché, en particulier la Fédération de Russie et
l'Ukraine, constituent ainsi " les pays de l'Annexe 1 " qui ont
souscrit des engagements particuliers :
- ramener leurs émissions des trois principaux gaz à effet de
serre (CO
2
, méthane, N
2
O) en l'an 2000 au niveau
de 1990 ;
- assurer le
financement
des surcoûts qui seraient
supportés par des pays en développement, du fait des actions de
réduction des gaz à effet de serre que ces derniers
entreprendraient.
Le Sommet de Rio instituait ainsi les
prémices d'engagements
quantitatifs
. Ces engagements, qui n'étaient pas assortis de
mécanismes de contrôle et de sanctions, ne seront toutefois
guère respectés : selon le Conseil d'analyses
économiques, "
la plupart des pays signataires de la convention
n'auront pas ramené en l'an 2000 leurs émissions au niveau de
1990. Certains en seront même très éloignés :
les États-Unis pourraient bien augmenter leurs émissions de
près de 15 %, et l'Union européenne de
5 %
".
2. Les engagements du protocole de Kyoto
La
troisième session de la conférence des parties à la
conférence sur le climat, qui s'est tenue à
Kyoto
en
décembre 1997
, avait donc pour ordre du jour l'adoption de
nouveaux engagements.
Ce sommet s'est effectivement conclu par un
accord
entre l'ensemble des
parties, y compris les pays en développement.
Cet accord, le " protocole de Kyoto ", constitue sans doute le
traité le plus
ambitieux
jamais signé en matière
d'environnement.
Cet accord comporte pour l'essentiel des
engagements
de la part des pays
" de l'annexe I ", c'est-à-dire des pays
industrialisés et les pays en transition, de réduire ou de
limiter les
émissions globales
de six gaz à effet de
serre
54(
*
)
exprimées en
équivalent
CO
2
, et mesurées sur la
période 2008-2012.
En moyenne, ces engagements consisteraient, pour les pays
industrialisés, à réduire leurs émissions sur la
période 2008-2012 de 5 % par rapport au niveau de
référence de 1990, alors qu'en l'absence de mesures, ces
émissions auraient augmenté en moyenne de près d'un quart.
Les émissions des pays industrialisés seraient ainsi
réduites
de près de
30 %
par rapport à
leur
tendance
.
Ces engagements varient entre
- 8 %
(pour l'Union
européenne) et
+ 10 %
(pour l'Islande) pour 2008-2012
par rapport à 1990
55(
*
)
, sans tenir
compte des sources d'émissions ou inversement des " puits " de
carbone liés à la forêt ou au changement d'affectation des
terres
56(
*
)
.
Dans le calcul de leurs émissions pour la période 2008-2012, les
parties tiendront compte des modifications des émissions
résultant de leurs initiatives en matière de
boisement
et
de
reboisement
(qui absorbe du CO
2
) où à
l'inverse de déforestation.
LES
ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE PAR PAYS EN 1990
|
|||||
1990 |
Quotas
|
||||
|
Émissions de CO
2
|
Émissions de l'ensemble des gaz à effet de
serre
|
Émissions de GES par habitant hors changements d'affectation des sols et sylviculture |
Émissions de GES par habitant y compris changements d'affectation des sols et sylviculture |
par rapport à 1990 en moyenne annuelle |
Australie |
79 |
127 |
7,4 |
15,0 |
+ 8 % |
États-Unis |
1352 |
1593 |
6,4 |
4,6 |
- 7 % |
Canada |
126 |
158 |
6,0 |
6,0 |
- 6 % |
Russie |
651 |
840 |
5,7 |
4, 3 |
0 % |
Allemagne |
277 |
339 |
4,3 |
4,0 |
- 21 %* |
Pays-Bas |
47 |
58 |
3,9 |
3,8 |
- 6 %* |
Royaume-Uni |
157 |
198 |
3,5 |
3,4 |
- 12,5 % |
Italie |
117 |
154 |
2,7 |
2,1 |
- 6,5 % |
Japon |
315 |
329 |
2,7 |
1,9 |
- 6 % |
France |
100 |
135 |
2,4 |
1,8 |
0 % * |
Espagne |
62 |
85 |
2,2 |
1,6 |
+ 15 % |
* Ces quotas résultent d'un accord de juin 1998 interne à l'Union européenne et relatif au partage de l'objectif de l'Union (- 8 %). |
Les pays de l'annexe I se sont par ailleurs engagés à avoir pris, d'ici 2005, des mesures tangibles , leur permettant de réaliser une part significative (mais non précisée) de leurs engagements.
3. Les zones d'ombre du protocole de Kyoto
Même si les
pays en développement
reconnaissent
qu'ils devront eux aussi participer à l'effort général de
maîtrise des émissions, le protocole ne comporte aucun engagement
précis de leur part.
Le protocole de Kyoto résulte ainsi pour l'essentiel d'un compromis
diplomatique entre pays développés, qui se sont alloués
entre eux des quotas
57(
*
)
. Ces quotas sont
l'expression ni de la
rationalité économique
, ni de
l'
équité
, comme le suggère la lecture du tableau
ci-dessus.
Au total, les réductions d'émissions acceptées pour la
période 2008-2012 sont ainsi très en deçà de ce qui
serait nécessaire, d'après les scientifiques, pour stabiliser les
émissions de gaz à effet de serre à un niveau compatible
avec le principe de précaution.
Par ailleurs, le principe des quotas soulève des difficultés de
contrôle
(certification, vérification) et de
sanction
: le protocole reste très flou quant aux
modalités des sanctions, le terme de " sanctions "
n'étant même pas mentionné dans le texte de l'accord. En
outre, le protocole demeure muet sur l'
après 2012.
Par surcroît, toute partie peut se
retirer
du protocole
après trois années écoulées à partir de
l'entrée en vigueur du protocole, sans que cela ait, semble-t-il de
conséquence
58(
*
)
.
Or, il est indispensable que le processus de Kyoto soit
crédible
,
afin que les pays en développement se rallient effectivement à la
maîtrise des émissions.
Enfin, l'entrée en vigueur du protocole de Kyoto ne sera effective que
trois mois après sa ratification par 55 parties de la convention,
dont des pays de l'annexe I (des pays industrialisés)
représentant au moins 55 % des émissions totales des parties
de l'annexe I en 1990, ce qui est très loin d'être atteint et
ce qui signifie que les
États-Unis
(plus de 30 % des
émissions mondiales de CO
2
) disposent quasiment d'un droit de
veto
.
IV. LES PAYS SIGNATAIRES DU PROTOCOLE DE KYOTO SE SONT ÉGALEMENT ACCORDÉS SUR LE PRINCIPE DE MÉCANISMES D'ÉCHANGE DE LEURS QUOTAS
1. Le principe commun de ces mécanisme de flexibilité : plusieurs pays peuvent s'accorder pour répartir leurs efforts de manière plus efficiente
Les coûts marginaux de réduction des émissions diffèrent dans des proportions considérables selon les pays. Schématiquement, il est plus facile et moins coûteux de maîtriser les émissions de CO 2 dans les pays où l'utilisation de l'énergie est initialement moins efficace, ainsi que dans les pays où les énergies consommées sont riches en CO 2 et peuvent donc être remplacées par des énergies moins polluantes. Inversement, il est plus difficile et beaucoup plus coûteux de maîtriser les émissions de CO 2 dans les pays où l'efficacité énergétique est élevée et où les possibilités de substitution sont réduites.
COÛT D'UNE RÉDUCTION DE 1 % PAR AN DU TAUX
DE
CROISSANCE MOYEN DES ÉMISSIONS
59(
*
)
|
|||
Union européenne |
80 |
||
Économies dynamiques d'Asie ... |
52 |
||
Brésil |
40 |
||
Japon |
39 |
||
États-Unis |
35 |
||
Pays exportateurs de pétrole |
35 |
||
Pays en transition |
23 |
||
Inde |
7 |
||
Chine |
3 |
||
Source : Simulation du modèle GREEN, OCDE, 1995. |
Il est
donc rationnel que plusieurs pays s'accordent pour maîtriser les
émissions de CO
2
avec le meilleur rapport
efficacité/coût, c'est-à-dire là où les
réductions d'émissions sont les moins coûteuses.
Selon les simulations effectuées par l'OCDE, le recours à ces
mécanismes de flexibilité permet de diviser au moins par deux les
coûts des engagements de Kyoto :
COÛTS DES ENGAGEMENTS DE KYOTO EN 2010
|
|||||
|
Chaque pays ou bloc 1 de pays de l'annexe I respecte ses engagements seul |
Réduction des émissions au moindre coût |
Réduction des émissions au moindre coût |
||
|
au moyen d'une taxe intérieure |
par une taxe coordonnée dans les pays de l'annexe I |
par des marchés de permis entre les pays de l'annexe I |
grâce à des échanges de permis à l'échelle mondiale |
|
Union européenne |
- 0,8 |
- 0, 2 |
- 0,4 |
- 0,2 |
|
États-Unis |
- 0,4 |
- 0,2 |
- 0,3 |
- 0,2 |
|
Pays en transition |
2,1 |
1,6 |
1,2 |
0,9 |
|
CEI |
- 1,0 |
0,7 |
3,0 |
1,3 |
|
total annexe I |
- 0,5 |
- 0,1 |
- 0,1 |
- 0,2 |
|
Chine |
- 0,1 |
- 0,1 |
- 0,1 |
0,4 |
|
Pays exportateurs de pétrole |
- 3,3 |
- 1,4 |
- 1,3 |
- 0,9 |
|
Total pays en développement |
- 1,0 |
- 0,5 |
- 0,4 |
-0,1 |
|
Monde |
- 0,7 |
- 0,2 |
- 0,2 |
-0,1 |
|
1.
Union européenne, États-Unis, Japon, et les pays de l'OCDE,
Économies en transition, Etats Baltes et communauté des
États indépendants (Russie, Ukraine notamment).
|
Ces
simulations suggèrent également que le recours à des
mécanismes de flexibilité est
gagnant-gagnant
à
l'échelle mondiale.
- les engagements des pays de l'annexe I sont réalisés
à moindre coût ;
- les pays en développement ou en transition bénéficient
des
transferts
financiers ou technologiques liés aux
échanges ;
- la croissance des pays industrialisés est moins ralentie, ce qui
freine moins la demande adressée aux pays en développement, donc
leur propre croissance.
Le ralentissement de la croissance dans les pays industrialisés
lié à la mise en oeuvre du protocole de Kyoto serait quoi qu'il
en soit
imperceptible
à l'échelle macroéconomique
(- 0,01 point à - 0,05 point de croissance annuelle
en moins selon les scénarios).
2. L'Union européenne a ainsi obtenu la possibilité de former une " bulle " au regard du protocole de Kyoto
Lors des
négociations de Kyoto, l'Union européenne a demandé, et
obtenu, la possibilité pour un groupe de pays de prendre un
engagement solidaire
au regard du protocole de Kyoto, c'est-à-dire
de former ensemble une "
bulle
".
Les parties qui souhaitent ainsi satisfaire à leurs obligations de
manière conjointe doivent établir un
accord
séparé
portant nouvelle répartition des engagements
individuels des États membres. Ainsi, la France et l'Allemagne qui se
sont toutes deux dans un premier temps engagées à Kyoto sur un
objectif de - 8 % pour 2008-2012 par rapport à 1990, ont vu
leurs objectifs ramenés respectivement à 0 % et
- 21 % dans le cadre d'un accord interne à l'Union
européenne.
L'accord créant une bulle doit être déposé au moment
de la ratification ou de l'entrée en vigueur du protocole, et doit
rester valide sur la durée entière de la période
d'engagement. En cas de défaillance collective, la
responsabilité
de l'Union européenne et des États
membres serait
conjointement
engagée.
Comme le souligne le Conseil d'analyses économiques
60(
*
)
, ce mécanisme "
répond aux
préoccupations européennes, mais il ouvre des perspectives qui
peuvent être saisies par toutes les autres parties. Des bulles
opportunistes, ne reposant pas sur un lien géographique,
économique et politique fort, peuvent donc être
constituées
".
Cette possibilité emportait ainsi
de facto
la
reconnaissance
du principe des
marchés
de permis : si
l'Union européenne refuse ce principe ou si elle souhaite en limiter
l'utilisation, rien n'empêchera les pays qui le souhaitent de former une
bulle " opportuniste " pour échanger des permis entre
eux.
3. Le protocole de Kyoto reconnaît également la possibilité de marchés internationaux de permis d'émissions, et le principe de la " mise en oeuvre conjointe "
Le
protocole de Kyoto autorise le
négoce
des quotas
d'émissions entre les pays qui ont pris des engagements chiffrés,
c'est-à-dire les pays industrialisés et en transition. Les
États qui parviendront à un niveau d'émissions
inférieur à la quantité qui leur était
attribuée pourront ainsi revendre une partie de leurs quotas
d'émission à d'autres États.
Des
opérateurs privés
pourront accéder à ces
marchés internationaux, mais sous la responsabilité de leur
État d'origine : si les autorités françaises
attribuent une partie du quota national à une entreprise
française, celle-ci pourra vendre des permis d'émission, qui
viendront en déduction du quota alloué à la France.
Inversement, si un opérateur privé achète des permis sur
les marchés internationaux, ceux-ci s'ajouteront au quota de son pays.
La
mise en oeuvre conjointe
constitue une forme particulière du
négoce de droits d'émission au niveau du projet
61(
*
)
. Les parties à l'annexe I de la
convention pourront entreprendre, avec d'autres parties à
l'annexe I, des projets (par exemple la substitution de combustible d'une
centrale thermique, la construction d'une centrale nucléaire, le
développement d'une infrastructure ferroviaire), qui se traduiront par
une réduction supplémentaire des émissions dans le pays
où se déroule le projet.
Ces réductions augmenteront d'autant le quota de la partie qui finance
le projet, tout en étant défalquée du quota du pays
où se déroule le projet. La mise en oeuvre de ce mécanisme
d'application conjointe suppose donc un
accord intergouvernemental
. Il
s'agit en fait d'une
forme particulière du négoce
,
où les quotas sont
troqués
en contrepartie d'un appui
technique ou financier à certains projets.
|
EXEMPLES DE MISE EN oeUVRE DU MÉCANISME D'APPLICATION CONJOINTE |
|
|
1. Dans le cadre d'un accord intergouvernemental, la France finance la modernisation de centrales thermiques en Pologne |
|
|
2.
Baisse des émissions de la Pologne par rapport au scénario sans
aide.
|
|
|
3. Le
quota de la France est augmenté de 1 million de tonnes
|
|
|
ou |
|
|
1. Une entreprise française modernise une cimenterie en République Tchèque, dans le cadre d'un protocole entre la France et la République Tchèque |
|
|
2.
Baisse des émissions de la République Tchèque
|
|
|
3. Le
quota de la France a augmenté de 500.000 tonnes par an :
|
|
|
|
|
4. Le protocole de Kyoto reconnaît deux mécanismes de flexibilité intertemporelle
Les
engagements des pays de l'annexe I seront vérifiés
en
moyenne
sur la période 2008-2012. Ce mode de calcul a pour avantage
de
lisser
les effets de la
conjoncture
économique, comme
des aléas climatiques : si les quotas avaient été
établis pour une année donnée, par exemple 2010, les pays
connaissant cette année une conjoncture exceptionnelle ou un hiver
très rigoureux, susceptibles d'entraîner une hausse temporaire de
leurs émissions de CO
2
, auraient été
désavantagés.
Par ailleurs, les permis d'émission non utilisés peuvent
être
mis en réserve
pour des périodes
ultérieures. Cet élément de souplesse accroît
l'efficacité écologique du dispositif à court terme
(certains pays pourraient être incités à aller
au-delà de leurs engagement), sans la réduire à long
terme. Ce mécanisme constitue par ailleurs une
garantie
pour le
cas où les échanges de permis démarreraient difficilement,
ainsi qu'une source d'efficience économique : les réductions
d'émission pourront être effectuées " en avance "
si cela s'avère économiquement avantageux.
Ce mécanisme de flexibilité intertemporelle devrait notamment
entraîner l'apparition de "
marchés
dérivés
" de permis d'émission,
c'est-à-dire de négoce de permis pour des périodes
futures, sous réserve que le prolongement des objectifs quantitatifs
au-delà de 2012 apparaisse crédible.
5. Le protocole de Kyoto reconnaît le " mécanisme de développement propre "
Le mécanisme de développement propre constitue la possibilité pour une partie de l'annexe I (c'est-à-dire pour un pays industrialisé), de gagner des quotas d'émission en effectuant des projets de réduction d'émission dans des pays en développement. Ce mécanisme sera ouvert aux personnes privées et publiques.
EXEMPLE DE MISE EN oeUVRE DU MÉCANISME
|
1. La France (ou une entreprise française) modernise une cimenterie ou finance un projet d'économie d'énergie en Inde. |
2. Réductions supplémentaires des émissions de CO 2 de l'Inde |
3. Ces réductions sont évaluées et certifiées par des experts indépendants. |
4.
L'Inde ne perd rien.
|
Au
contraire de l'application conjointe, le pays où se déroule le
projet ne perd pas de quotas, puisqu'il n'a pas pris d'engagements
chiffrés. Il y a ainsi un risque de " collusion ". Les
réductions d'émission doivent donc être
certifiées
par des experts indépendants, sous la
supervision d'un organe spécifique de nature multilatérale.
Par ailleurs, pour être prises en compte, les émissions devront
correspondre à "
des effets, réels, mesurables et
à long terme du point de vue du changement climatique
".
Une part du produit financier des crédits d'émission sera
réservée à la couverture des coûts administratifs de
gestion du dispositif et à l'attribution d'une aide aux pays en
développement particulièrement vulnérables au changement
climatique.
V. LE FONCTIONNEMENT CONCRET DE CES MÉCANISMES D'ÉCHANGE, QUI SOULÈVENT DES DIFFICULTÉS CONSIDÉRABLES, DEVRA ÊTRE NÉGOCIÉ AVANT LA FIN DE L'AN 2000
1. Le " calendrier de Buenos Aires "
Lors de
la
conférence
de
Buenos Aires
(1998), les parties à
la convention cadre sur le changement climatique se sont accordées sur
un
calendrier
de négociation des modalités pratiques de
ces mécanismes, qui avaient été largement laissées
dans le flou par le protocole de Kyoto.
Après une étape intermédiaire en 1999, ces
modalités devraient ainsi être négociées avant la
fin de l'an 2000, dans le cadre d'un
sommet sur le climat
qui pourait se
tenir à partir d'
octobre 2000
, c'est-à-dire au moment
où la France exercera la
présidence
de
l'Union
européenne
.
Le résultat de ces négociations conditionnera vraisemblablement
la
ratification
du protocole de Kyoto, donc son entrée en vigueur.
Certains des experts auditionnés expriment toutefois des
doutes
quant à la possibilité de finaliser un accord avant la fin de
l'an 2000, compte tenu de l'ampleur des problèmes en suspens.
2. Le fonctionnement pratique de ces échanges soulève des difficultés considérables
Les
négociations relatives aux modalités pratiques des
mécanismes de flexibilité devront notamment prévoir des
mécanismes de
contrôle
et de
sanction
, qui
constitueraient à bien des égards une
novation
à
l'échelle internationale.
Le dispositif de sanctions prévu par le protocole de Montréal sur
les CFC, qui reposait sur des
sanctions commerciales
(comme
l'interdiction d'importer des produits contenant des CFC en provenance des pays
non signataires) est en effet
inapplicable
aux émissions de gaz
à effet de serre : tous les produits échangés
contiennent de l'énergie (donc " des rejets " de
CO
2
) et il n'est pas envisageable de soumettre à un boycott
total les pays qui ne participeraient pas à la lutte commune contre le
changement climatique.
La définition de règles contraignantes se heurte en
l'espèce à un
dilemme
cornélien :
- des sanctions suffisantes sont nécessaires pour s'assurer du respect
du traité, pour éviter des comportements de passager clandestin,
et surtout pour donner une
valeur
aux quotas d'émissions :
à défaut de sanctions, les parties n'ont aucun
intérêt à s'échanger des permis ou à mettre
en oeuvre des projets de développement propre, ce qui réduit
d'autant l'efficience de l'action collective contre le changement
climatique ;
- inversement, si les sanctions apparaissent trop dures, elle ne seront pas
appliquées, ou bien les États concernés pourraient se
retirer du protocole, comme l'article 27 leur en ouvre la
possibilité.
• La théorie économique suggère que des
sanctions financières
, par exemple, l'obligation de constituer un
dépôt non rémunéré auprès du Fonds
mondial pour l'Environnement, éventuellement converti en amende si les
dépassements persistent, pourraient constituer un optimum. Toutefois, le
seul traité international prévoyant à ce jour des
sanctions financières analogues est le traité de Maastricht.
• À tout le moins, il paraît nécessaire
d'éviter que des pays vendent des permis dont ils ne disposent
pas : face à une situation économique
détériorée un gouvernement pourrait en effet être
tenté de
brader
les quotas nationaux, sans pour autant mettre en
oeuvre les politiques nécessaires pour limiter les émissions.
Pour limiter ce phénomène, il conviendrait de partager entre
États vendeurs et États acheteurs le risque que les quotas
nationaux des pays vendeurs ne soient finalement pas respectés, par
exemple en engageant la responsabilité de l'Etat qui a acheté des
permis à un pays qui ne respecterait pas ses plafonds
d'émission
62(
*
)
. De cette manière
les acquéreurs seraient incités à faire preuve de prudence
et à être vigilants quant aux mesures adoptées par leurs
partenaires. À long terme, cette règle pourrait d'ailleurs
conduire à l'émergence d'agences de notation, comme pour les
emprunts internationaux, dont le classement pèseraient sur la valeur de
marché des permis offerts par les différents
États
63(
*
)
.
• Outre les difficultés liées aux mécanismes de
sanction, se posent également des problèmes de
mesure
: le protocole de Kyoto porte sur d'autres gaz que le
CO
2
(le méthane, le NO
2
, les CFC, les HFC et le
SF
6
), dont les émissions ne peuvent être
évaluées avec précision, ce qui paraît peu
compatible avec le principe de quotas, et surtout avec la faculté
d'échanger ces quotas.
Au total, la
crédibilité
du processus de Kyoto est pour
l'heure incertaine, ce qui n'incite guère les pays en
développement à s'y rallier.
3. Les difficultés pratiques soulevées par les mécanismes de flexibilité sont liées au principe même des quotas, et non pas aux instruments d'échange
On
impute parfois aux imperfections des
instruments
d'échange
(marchés de permis, application conjointe), les difficultés de
mesure, de contrôle ou de sanction.
En fait, ces difficultés ne proviennent pas des instruments
eux-mêmes, mais du choix d'une approche par des
quotas
:
c'est le respect des quotas lui-même qui est difficile à mesurer,
contrôler et sanctionner.
4. Le mécanisme de développement propre présente des risques spécifiques
Les
mécanismes de développement propre, et, dans une moindre mesure,
de mise en oeuvre conjointe, soulèvent des problèmes de
mesure
spécifiques. Ces mécanismes supposent en effet de
déterminer le montant des émissions évitées par un
projet précis par rapport à un scénario de
référence "
business as usual
". Or le niveau
d'émission du scénario de référence est soumis
à de grandes incertitudes : par exemple, qui sait si la cimenterie
concernée par un projet de développement propre n'aurait pas
été modernisée quoi qu'il advienne un ou deux ans plus
tard, parce que cette modernisation aurait été rentable ?
La
comptabilisation
des émissions évitées donnera
donc lieu à des calculs complexes, susceptibles d'accroître les
coûts de transaction et de créer une incertitude
préjudiciable au développement de ces mécanismes de
flexibilité. "
Si le scénario de référence
était trop laxiste, le mécanisme de développement propre
conduirait à créditer des réductions d'émissions
tout à fait fictives qui porteraient atteinte aux objectifs et à
la crédibilité du processus de Kyoto, si à l'inverse, la
référence était très rigoureuse, on pourrait en
venir à ne créditer que les réductions obtenues dans le
cadre de projets très onéreux et dépourvus de
viabilité économique, le mécanisme demeurant peu efficient
et marginal
"
64(
*
)
.
Lors du sommet de Buenos Aires, la France a par ailleurs souligné
plusieurs
risques
spécifiques liés au mécanisme de
développement propre
65(
*
)
(MDP) :
- le mécanisme pourrait s'avérer un
frein
à
l'adoption, à terme, d'objectifs quantifiés par les
pays en
développement
(bénéficiant déjà du
MDP sans contrepartie, les pays en développement n'ont plus
intérêt à souscrire des engagements précis) ;
- ce mécanisme pourrait paradoxalement les inciter à conserver
des politiques
inefficaces
et peu favorables à l'environnement,
dans le seul but de conserver un gisement de projets de réduction
à bas coût leur permettant d'attirer des financements en
provenance de pays du Nord
66(
*
)
;
- un afflux trop grand de crédits d'émission en provenance des
pays en développement pourrait parallèlement conduire les
pays
industrialisés
à s'affranchir de tout effort domestique
sérieux. La lutte contre l'effet de serre se traduirait alors par des
transferts financiers Nord/Sud à l'efficacité incertaine, sans
prise de conscience des enjeux liés au changement climatique dans les
pays industrialisés ;
- les transferts liés au mécanisme de développement propre
pourraient servir de
prétexte
à certains pays du Nord pour
réduire à due proportion leur aide au développement, ce
qui aurait un effet désastreux sur l'implication des pays en
développement dans la lutte contre le changement climatique ;
- enfin, le MDP requiert une bonne
administration
dans les pays du Sud
"
car ce que l'on vend, c'est finalement du
vent
"
(Olivier GODARD).
La mise en oeuvre du mécanisme de développement propre est
toutefois hautement
souhaitable
.
En effet, ce mécanisme favoriserait la
diffusion
de technologies
propres. Surtout, le MDP est le seul instrument prévu pour
infléchir efficacement les choix énergétiques des pays en
développement.
La mise en oeuvre du MDP pourrait en outre conduire à des
mesures
très
rapides
, puisque les réductions d'émissions
certifiées durant la période 2000-2007 pourront être
utilisées pour les obligations de la période 2008-2012.
Enfin, ce mécanisme est potentiellement source d'efficience collective
puisque les gisements de réduction d'émissions les moins
coûteux se trouvent aujourd'hui dans les pays en
développement : le MDP pourrait donc être fortement
gagnant-gagnant
.
Il est donc nécessaire d'encourager les
expériences
de
projets de développement propre, afin d'établir au plus tôt
une " banque " d'expériences facilitant la définition
de scénarios de référence, renforçant la confiance
des investisseurs dans le système et abaissant les coûts de
traitement des dossiers
67(
*
)
.
La
Banque mondiale
met ainsi sur pied un "
fonds prototype
carbone
", qui est destiné à tester les
mécanismes de mise en oeuvre conjointe et de développement
propre. Ce fonds sera ouvert aux pays intéressés, moyennant une
mise de fond initiale de 10 millions de dollars, ainsi qu'aux entreprises
internationales, moyennant un ticket d'entrée de 5 millions de
dollars. La Norvège, la Finlande, la Suède, la Suisse, les
Pays-Bas et un certain nombre d'entreprises ont d'ores et déjà
décidé d'y participer
68(
*
)
.
Il conviendrait d'inciter les
entreprises françaises
à
participer à ce type d'expérience afin de se bâtir une
expertise en matière de projets de développement propre. Cette
expertise leur permettrait en effet de participer à
l'
élaboration des règles
de calcul des réductions
d'émissions et leur faciliterait à long terme l'accès aux
marchés publics des pays en développement, qui intégreront
de plus en plus une composante liée au mécanisme de
développement propre.
La Commission européenne suggère par ailleurs d'accroître
l'efficacité et la rentabilité du mécanisme de
développement propre en instaurant la
négociabilité
des certificats issus des projets.
VI. LE DÉVELOPPEMENT DES ÉCHANGES DE PERMIS D'ÉMISSION SOULÈVE DES INQUIÉTUDES LÉGITIMES
1. Les marchés de permis pourraient constituer une désincitation à la maîtrise des émissions pour les pays industrialisés
Le
recours aux marchés de permis par les pays industrialisés
pourrait réduire leurs
incitations
à développer des
technologies propres, d'une part, à infléchir leurs choix publics
pour maîtriser les émissions de gaz à effet de serre,
d'autre part. Il pourrait en résulter des choix intertemporels
sous-optimaux : en édifiant aujourd'hui des infrastructures voraces
en énergie et en ralentissant les progrès d'efficacité
énergétique, on accroîtrait d'autant le
coût
futur
de maîtrise des émissions.
Le fait que les principaux pays industrialisés puissent pour partie
remplir leurs engagements sur la période 2008-2012 en achetant des
quotas
excessivement
généreux
alloués aux
pays en transition
est en outre de nature à renforcer cette
désincitation et à décrédibiliser le processus
international de lutte contre le changement climatique.
Le choix de l'année 1990 comme période de référence
est en effet très favorable aux pays en transition, en particulier
à
l'Ukraine
et à la
Russie
: cette
année correspond à un moment où ces pays consommaient et
gaspillaient beaucoup d'énergie. Depuis lors, leurs émissions de
CO
2
ont beaucoup baissé. Les objectifs qui leur ont
été accordés à Kyoto (0 % pour la Russie sur la
période 2008-2012 par rapport à 1990) sont donc très
laxistes
: même si la Russie et l'Ukraine ne prennent aucune
mesure pour limiter leurs émissions de gaz à effet de serre, il
est probable que ces pays disposeront de l'ordre de 100 millions de tonnes
de carbone de quotas excédentaires (soit l'équivalent des
émissions actuelles de la France).
Au total, la signature par ces pays du protocole de Kyoto a ainsi
été obtenue au prix d'un "
cadeau
" dont la
valeur pourrait atteindre 5 à 20 milliards de dollars par an
à partir de 2008
69(
*
)
.
Cet " Air chaud "
70(
*
)
réduit
la crédibilité du processus de Kyoto. Cependant, en permettant
aux pays de l'OCDE d'acheter des permis ne correspondant pas à des
réductions effectives des émissions, cela ne résulte pas
du principe des échanges, mais de l'inéquité de la
répartition initiale des quotas.
En effet, si on limitait les échanges et que la Russie et l'Ukraine ne
pouvaient vendre en 2008-2012 leurs quotas excédentaires, ces pays
pourraient en reporter le bénéfice sur les périodes
postérieures à 2012, c'est-à-dire réduire d'autant
leurs efforts ultérieurs de maîtrise des émissions. A long
terme, cela reviendrait au même pour la concentration de gaz à
effet de serre dans l'atmosphère.
2. La mise en place de marchés internationaux de permis d'émissions pourrait s'accompagner de conflits et de distorsions de concurrence
Compte
tenu des difficultés pratiques évoquées
précédemment, les marchés de permis d'émission
seront inévitablement
imparfaits
, ce qui pourrait occasionner des
conflits et des litiges de nature à favoriser les pays les plus
" forts " à l'échelle internationale. En particulier,
si le nombre de vendeurs ou d'acheteurs effectifs était réduit,
il est à craindre que les échanges de permis ne soient
utilisés comme " arme politique ".
Par ailleurs, certains États pourraient être tentés de
manipuler
l'
allocation
interne des permis négociables pour
donner un avantage à leurs entreprises nationales.
Les modalités d'allocation interne des permis peuvent en effet exercer
un impact sensible sur les
coûts de production
de certaines
unités industrielles, comme l'illustre l'exemple ci-dessous;
emprunté à Olivier GODARD
71(
*
)
.
MODALITÉS D'ALLOCATION DES PERMIS ET COÛTS DE PRODUCTION
On
considère deux unités sidérurgiques fictives soumises
à des régimes différents pour la même contrainte de
réduction des émissions (- 10 %) : la première
doit acheter ses permis aux enchères, la seconde reçoit ses
permis gratuitement.
|
||
|
||
|
Unité (A)
|
Unité (B)
|
Régime national : |
Permis négociables domestiques
Allocation initiale aux enchères
|
Permis
négociables
Allocation initiale gratuite
|
Surcoûts totaux |
L'entreprise doit acheter 500000 t de permis
|
L'entreprise doit baisser de 10 % ses émissions ou
acheter 50000 t de permis
|
Surcoûts/tonne d'acier (hypothèse de prix : 417 $/tonne d'acier) |
+ 8 % |
+ 0,8 % |
|
||
Le surcoût direct pour l'entreprise qui achète tous ses permis est donc de 7,2 % par rapport à sa concurrente. |
Olivier
GODARD souligne ainsi que "
la non harmonisation des règles
d'allocation initiale pour la mise en oeuvre de permis négociables
domestiques pourrait affecter les conditions de la concurrence entre firmes.
L'anticipation de cet impact pourrait conduire chaque pays à s'aligner
sur les règles les plus avantageuses pour les firmes émettrices,
c'est-à-dire l'allocation gratuite, alors que cette solution
présente deux
inconvénients
majeurs :
- elle favorise les entreprises en place contre les nouveaux
entrants ;
- elle prive l'État du produit de la vente des permis, au
détriment des secteurs moins polluants (un État qui donne
gratuitement des permis négociables aux entreprises polluantes ne peut
opérer de redéploiement global au profit des secteurs non
polluants, c'est-à-dire ne peut bénéficier de
double
dividende)
".
En outre, certains États pourraient être tentés de vendre
les permis aux entreprises en place, tout en les accordant gratuitement aux
nouvelles installations, ce qui constituerait une
subvention
déguisée
aux investissements étrangers.
Enfin, des distorsions de concurrence pourraient survenir si certains
États recourraient aux marchés de permis pour leurs entreprises,
tandis que d'autres préféraient instaurer une écotaxe,
comme l'illustre ce nouvel exemple d'Olivier GODARD.
72(
*
)
|
INSTRUMENTS NATIONAUX DE MAÎTRISE DES ÉMISSIONS ET COÛTS DE PRODUCTION
De
manière analogue à l'illustration précédente,
soient deux usines sidérurgiques situées l'une en France, l'autre
aux États-Unis, qui émettent chacune 500 000 tonnes de
carbone.
|
|
||||||||
|
|
France
|
États-Unis
|
|
||||||
|
|
Objectif uniforme : réduction de 10 % |
|
|||||||
|
Régime national : |
Taxe à 600 F/tC + compensation sous la forme de baisses de charges sur les bas salaires |
Permis
négociables
|
|
||||||
|
Coûts totaux : |
500000t x 600 FF = 300 MF |
50000 t x 70 $ = 3,5 M$ =21 MF |
|
||||||
|
Surcoûts/tonne d'acier (2500 FF) : |
300 F = + 12 % |
|
|
||||||
|
Au
total, il serait optimal que les
instruments nationaux
soient
coordonnés
à l'échelle internationale. Les
propositions présentées à cette fin par la France au
sommet de Kyoto se sont toutefois heurtées à une forte opposition
des Etats-Unis, comme de certains autres États de l'Union
européenne, qui souhaitaient que les modalités nationales de
maîtrise des émissions demeurent du ressort de leur
souveraineté
.
A défaut, il serait souhaitable que les
règles
d'assiette
des taxes ou
d'allocation
internes des permis pour les
pays qui recourraient à ces instruments soient
harmonisées
à l'échelle internationale, mais un accord à ce sujet
semble aujourd'hui encore hors de portée
73(
*
)
.
À tout le moins, une fraction minimale de permis négociables
devrait être mise aux
enchères
dans une procédure
ouverte aux opérateurs étrangers, afin que le système des
permis négociables soit "
ouvert et concurrentiel
".
Il est par ailleurs nécessaire d'adapter à l'échelle
européenne des règles d'allocations transparentes, non
discordantes et non discriminatoires, qui soient fondées sur ces
critères communs à tous les États de l'Union, comme l'y
invite la Commission européenne.
3. L'Union européenne souhaite donc limiter le rôle des mécanismes de flexibilité
Les
problèmes détaillés ci-dessus expliquent l'idée
avancée par certains chercheurs, et officiellement soutenue par la
France et l'Union européenne, de
limiter
la possibilité
pour les pays industrialisés de recourir aux mécanismes de
flexibilité, en particulier les échanges de permis.
Le Conseil européen du 6 octobre 1998 a ainsi
entériné à l'échelle de l'Union le principe de la
prépondérance " des politiques et mesures "
(c'est-à-dire des efforts nationaux) sur les instruments de
flexibilité.
L'Union propose plus précisément de
limiter
(" plafonner ") les échanges de permis à une
fraction
très réduite (de l'ordre de 5 %) des quotas
nationaux. Par exemple, la France ne pourrait acheter des permis ou
réaliser des projets de développement propre qu'à hauteur
de 5 millions de tonnes de carbone par an
74(
*
)
, soit environ un cinquième des efforts qui lui
sont demandés sur le protocole de Kyoto.
VII. LA FRANCE ET L'UNION EUROPÉENNE SERAIENT TOUTEFOIS LES PRINCIPAUX BÉNÉFICIAIRES DES ÉCHANGES DE PERMIS, ET NE POURRONT SANS DOUTE PAS RESPECTER LEURS ENGAGEMENTS DE KYOTO SANS ACHETER DES PERMIS
1. La France aura besoin d'acheter des permis pour respecter ses engagements de Kyoto
Il
n'existe que deux manières de réduire les émissions de
CO
2
:
- améliorer l'
efficacité énergétique
de
l'économie, c'est-à-dire le ratio PIB/consommation
d'énergie ;
- ou bien
substituer
des énergies pauvres en CO
2
à des énergies riches en CO
2
, c'est-à-dire
substituer des énergies renouvelables, de l'électricité
nucléaire et de l'électricité hydraulique, à des
énergies fossiles, ou bien substituer du gaz à du pétrole
et surtout à du charbon.
|
TENEUR
EN CARBONE DE DIFFÉRENTS COMBUSTIBLES FOSSILES :
|
|
|||||||
|
Combustibles et carburants de synthèse |
39,0 |
|
||||||
|
Charbon |
25,8 |
|
||||||
|
Pétrole |
20,0 |
|
||||||
|
Gaz naturel |
15,3 |
|
||||||
Source : AIE (1991). |
|||||||||
QUANTITÉS DE CARBONE ÉMISES EN FONCTION
|
|||||||||
Centrale classique au charbon |
964.0 |
||||||||
Centrale au fuel |
726.2 |
||||||||
Centrale au gaz |
484.0 |
||||||||
Réacteurs à eau bouillante (énergie nucléaire) |
7.8 |
||||||||
Vapeur géothermique |
56.8 |
||||||||
Grosses centrales hydro-électriques |
3.1 |
||||||||
Énergie éolienne |
7.4 |
||||||||
Énergie photovoltaïque |
5.4 |
||||||||
Bois (exploitation écologiquement rationnelle) |
-159.92 |
||||||||
1. Sont comptabilité les émissions liées à l'extraction des combustibles, à la construction des installations et au fonctionnement des équipements. |
|||||||||
2. L'exploitation viable de la biomasse peut se traduire par des émissions négatives de carbone du fait que les racines et diverses parties non récoltées demeurent sur place. Les émissions de carbone provenant des engrais, pesticides et combustibles fossiles employés au stade de la production sont pris en compte dans l'analyse (voir San Martin, 1989). |
|||||||||
Source : AIE (1991). |
Or les
marges de manoeuvre
de la France en terme de substitution sont
très
faibles
. En effet, l'essentiel de notre
électricité électrique est d'ores et déjà
d'origine nucléaire ou hydraulique, donc n'émet pas de
CO
2
, et la fermeture des dernières centrales
électriques au charbon pourrait soulever des problèmes
sociaux : ces centrales sont en effet souvent situées dans des
bassins d'emplois en difficulté
75(
*
)
.
En France, la maîtrise des émissions de gaz à effet de
serre reposera donc sur l'amélioration de l'efficacité
énergétique : les travaux de projection du Commissariat
général du Plan
76(
*
)
suggèrent ainsi qu'en l'absence d'achats de permis, et sous
l'hypothèse d'une croissance moyenne de 2,3 % par an d'ici 2010, la
France devait
améliorer son efficacité
énergétique
de 2,1 % par an sur la période
1997-2010 pour respecter ses engagements de Kyoto
77(
*
)
.
SCÉNARIO S3 : " ÉTAT PROTECTEUR DE
L'ENVIRONNEMENT " PERMETTANT À LA FRANCE DE RESPECTER
|
|||
Croissance du PIB |
+ 2,3 % / an |
||
Gains de substitution |
+ 0,2 % / an |
||
Gains d'efficacité énergétique |
+ 2,1 % / an |
||
Croissance des émissions de CO 2 |
0 % |
||
Source : Commissariat général du Plan, 1998. |
Or, selon les experts du ministère de l'Industrie auditionnés par votre rapporteur, il s'agit là d'un rythme de progrès de l'efficacité énergétique jamais atteint dans aucun pays sur longue période et une fois et demi plus rapide que celui réalisé après le premier choc pétrolier.
GAIN
ANNUEL D'EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE EN FRANCE DEPUIS 50 ANS
|
||
1946-1959 |
+ 1,2 % |
|