N°
413
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 9 juin 1999
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur l' évolution de la dette publique (1980-1997) ,
Par M.
Philippe MARINI,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Alain Lambert, président ; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, vice-présidents ; Jacques-Richard Delong, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Philippe Marini, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Pelletier, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri Torre, René Trégouët.
Finances publiques. |
AVANT-PROPOS
Le
présent rapport d'information est consacré à la
présentation des conclusions d'une étude réalisée
par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie
à la demande de la commission des finances du Sénat portant sur
l'analyse rétrospective de la dette publique depuis 1980.
Elle renoue avec une heureuse tradition de collaboration entre les services
techniques du ministère et ceux mis à la disposition des membres
de la commission des finances. Elle démontre par là qu'une telle
collaboration est possible dès lors que les responsabilités de
chacun sont clairement identifiées. Elle invite à prolonger
à l'avenir ce mode de relations.
Elle démontre aussi que la transparence de l'exécutif
vis-à-vis du Parlement est utile à l'intérêt
général.
Les leçons tirées de cette étude par votre commission
n'engagent naturellement pas le ministère de l'économie, des
finances et de l'industrie.
Les commentaires ci-après mettent d'autre part l'accent sur
l'intérêt d'une approche patrimoniale des comptes de l'Etat. Il
est à souhaiter que les diverses commissions créées en ce
domaine débouchent enfin sur de véritables progrès
méthodologiques. En effet, l'analyse de la dette n'a de véritable
signification que par rapport à l'évolution des actifs qu'elle
finance. A cet égard, le principal enseignement de l'étude est
bien de démontrer que la spirale de l'endettement croissant s'est
accompagnée, depuis 1980, d'un appauvrissement très important du
patrimoine public..
Quelques précisions sur la méthodologie employée
La
notion de dette publique contenue dans le présent rapport est conforme
à la définition du critère du traité de Maastricht.
Elle recouvre donc
les engagements bruts des administrations publiques
à leur valeur faciale et sur la base d'un bilan consolidé
.
Plusieurs conséquences en découlent dont deux sont
importantes :
- les estimations ne prennent pas en compte les variations de la valeur de
marché des engagements, consécutives aux évolutions de
taux d'intérêt En période de baisse des taux
d'intérêt, ceci a pour effet de réduire le niveau apparent
de la dette
1(
*
)
;
- les engagements du secteur public ne sont pas comptabilisés,
même si pour certains d'entre eux ils apparaissent entièrement
équivalents à des éléments de dette publique. Sur
ce sujet, d'importantes évolutions sont en cours qui se traduiront par
une révision parfois très nette des niveaux de dette publique.
L'étude s'appuie sur une méthode expliquant la variation de
la dette à partir de 4 variables : le stock de dette initial, les
soldes primaires structurels, les soldes conjoncturels et le financement des
flux nets de créances
diminué des revenus financiers
procurés par les créances financières des administrations
publiques. Ces différentes notions doivent être sommairement
précisées.
On rappelle que le
solde primaire
est l'écart entre les recettes
et les dépenses, celles-ci étant diminuées des charges
d'intérêt. Un solde peut se décomposer en deux parties,
conjoncturelle ou structurelle. La partie
conjoncturelle
d'un solde est
celle qui résulte mécaniquement de l'évolution de
l'environnement économique, tandis que sa partie
structurelle
,
obtenue par différence, et censée refléter des choix de
politique des finances publiques constitue l'élément permanent du
solde à conjoncture donnée.
Cette distinction, qui est au centre de l'étude, est très
délicate à établir. Une grande diversité de
méthodes, toutes discutées dans les forums économiques
internationaux, s'offre à l'analyste. Les sujets de débat sont
nombreux mais ils portent principalement sur la référence
conjoncturelle à partir de laquelle estimer la partie conjoncturelle des
soldes -croissance tendancielle ou croissance potentielle
(1)
-
et sur les composantes des finances publiques que l'on peut estimer sensibles
aux variations de conjoncture. Sur ces points le parti pris
méthodologique de l'étude peut être jugé restrictif
puisqu'on s'y réfère à la croissance tendancielle et que
seules les recettes publiques sont considérées comme
dépendantes des variations conjoncturelles.
En ce qui concerne
les acquisitions de créances
, il s'agit
d'estimer l'impact de leur financement sur la dette publique brute. Il
convient, pour apprécier leur impact sur la dette, de diminuer les
acquisitions de créances des cessions de créances qui ont pu les
financer puisqu'alors la variation du patrimoine de l'Etat est nulle. Il est
plus contestable de les diminuer des produits attachés à la
détention d'actifs financiers par les administrations publiques. Ce
choix peut se recommander d'une certaine logique d'estimation de la valeur du
patrimoine public. Mais l'on aurait aussi bien pu traiter ces produits comme
des éléments courants du revenu des administrations publiques,
dénués d'une vocation naturelle à couvrir les charges
d'opérations patrimoniales. Cela aurait d'ailleurs été
conforme au traitement budgétaire de ces produits et à celui qui
leur est réservé en comptabilité nationale.
(1) La croissance tendancielle est la croissance
observée
sur
longue période. La croissance potentielle est la croissance qu'on aurait
constatée si les facteurs de production disponibles avaient
été pleinement employés sans susciter
d'inflation.
I. LA CROISSANCE DE L'ENDETTEMENT PUBLIC EST VENUE D'UNE POLITIQUE BUDGÉTAIRE TROP ACCOMMODANTE
A. L'ACCUMULATION DE LA DETTE PUBLIQUE...
1. La croissance de l'endettement public...
L'endettement public brut est passé de 21 à 58,1 points de produit intérieur brut (PIB) entre 1980 et 1997.
Ratio d'endettement des administrations publiques au sens de Maastricht
(En
points de PIB)
Sources : Banque de France et Direction de la
prévision
La dette
brute est passée de 589 milliards de francs en 1980 à
4.727 milliards de francs en 1997, soit une multiplication par plus de 8
et un accroissement annuel moyen de plus de 13 %. Sur la même
période, le PIB ne s'est, lui, élevé que de 6,4 %
l'an en moyenne.
La dette publique par actif occupé est ainsi passée de
27.084 francs en 1980 à 212.163 francs en 1997. Elle
représente désormais plus de 2 fois le revenu disponible
annuel par habitant.
2. ... a été essentiellement le fait de l'Etat...
L'accumulation de la dette publique a principalement été créée par l'Etat.
Endettement public
(en % du PIB) (1)
|
1980 |
1987 |
1991 |
1997 |
Etat |
22,3 |
32,6 |
33,8 |
55,8 |
Organismes divers d'administration centrale |
0,9 |
1,8 |
1,4 |
5,4 |
Administrations publiques locales |
9,8 |
9,9 |
9,5 |
10,2 |
Administrations de sécurité sociale |
4,7 |
2,9 |
3,5 |
7,2 |
Administrations publiques (comptabilité nationale, " base 80 ") |
37,6 |
47,2 |
48,2 |
78,5 |
Administrations publiques (au sens de Maastricht) |
21,0 |
33,8 |
35,6 |
58,1 |
( 1) La comptabilisation en comptabilité nationale et selon le traité de Maastricht fait apparaître deux écarts : la première est en valeur de marché et elle n'est pas consolidée.
Source : Banque de France
Responsable de 59 % du total de la dette en 1980, l'Etat
en
portait plus de 71 % en 1997.
Les collectivités locales, qui ont pourtant au cours de la
période dû assumer des transferts de compétences massifs
mal compensés, sont parvenues à contenir leur endettement
malgré l'importance des investissements publics qu'elles
assurent.
3. ... et a pesé sur ses marges de manoeuvre budgétaires
La structure de la dette publique s'est beaucoup modifiée au cours de la période.
Répartition de l'encours de dettes par catégorie
|
Répartition en % |
En points de PIB |
||||
|
1980 |
1990 |
1997 |
1980 |
1990 |
1997 |
Moyens de paiement et autres liquidités |
23,7 % |
14,2 % |
7,9 % |
8,9 |
6,7 |
6,2 |
Titres du marché monétaire |
7,9 % |
18,0 % |
20,6 % |
3,0 |
8,4 |
16,1 |
Obligations |
18,9 % |
29,5 % |
41,6 % |
7,1 |
13,8 |
32,7 |
Prêts à court terme |
26,0 % |
18,8 % |
15,8 % |
9,8 |
8,8 |
12,4 |
Crédits à moyen et long terme |
23,4 % |
19,4 % |
14,2 % |
8,8 |
9,1 |
11,1 |
Total |
100 % |
100 % |
100 % |
37,6 |
46,9 |
78,5 |
Source : Comptes nationaux, " base 80 "
La durée moyenne de la dette s'est allongée, les prêts
à court terme étant remplacés par un financement
obligataire.
Elle s'est renchérie, les moyens de paiement peu onéreux qui
représentaient un quart du financement en 1980 n'en couvrant plus que 8
% en 1997.
Cette modification de la structure de la dette publique est manifeste d'une
situation où l'Etat s'est trouvé de plus en plus soumis aux
contraintes d'un emprunteur quelconque.
Le poids des intérêts de la dette publique s'est ainsi
considérablement accru.
Poids
des intérêts versés dans le PIB
(Comptabilité
européenne utilisée lors de la notification du
1
er
mars 1999)
Les charges d'intérêt supportées par le budget de l'Etat qui absorbaient 5 % des recettes fiscales nettes en 1980 ont atteint 19,6 % des recettes fiscales en 1996. Un alourdissement considérable des contraintes budgétaires s'en est suivi.
La
dérive des charges de la dette a engendré un effet " boule
de neige " que seuls des excédents primaires auraient pu
contrecarrer. La progression spontanée des intérêts
entraîne en effet mécaniquement une augmentation des
déficits publics qui à son tour, est source d'endettement
supplémentaire à moins que le solde des autres opérations
budgétaires (recettes - dépenses hors intérêts) ne
vienne l'équilibrer.
Cet équilibrage suppose soit d'accroître les impôts, soit de
diminuer les dépenses.
On observera à ce stade que cette contrainte s'est
considérablement renforcée au tournant des années 90 mais
que, depuis 1997, elle s'atténue.
B. ... PROVIENDRAIT D'UNE POLITIQUE BUDGÉTAIRE DÉLIBÉRÉE
Cet aspect de l'étude contient des conclusions qui, d'une part, suscitent des questions et, d'autre part, sont affectées d'un parti pris de présentation qui conduit à sous-estimer certains enseignements forts des données rassemblées par l'étude.
1. Les conclusions de l'étude
a) La dérive de l'endettement aurait été provoquée par un recours délibéré au déficit budgétaire.
L'étude impute la responsabilité principale de
l'accumulation de la dette publique à des déficits primaires
structurels excessifs.
La contribution des quatre variables identifiées comme potentiellement
responsables de la hausse du niveau de la dette publique est
présentée de manière éloquente dans le tableau
ci-dessous.
Contributions à la progression du ratio d'endettement brut
(en points de PIB)
|
31/12/79 |
31/12/97 |
Dette initiale |
21,7 |
24,7 |
Déficits primaires structurels |
|
29,3 |
Déficits conjoncturels |
|
0,9 |
Coût net des créances dont : |
|
3,3 |
- flux nets de créances |
|
34,6 |
- revenus des actifs financiers |
|
- 31,2 |
Total |
21,7 |
58,1 |
Calculs DP
La
progression de l'endettement public dans le PIB n'aurait été que
de 7,1 points de PIB
2(
*
)
si les
soldes primaires structurels avaient été équilibrés.
Une conclusion implicite semble s'imposer : les contraintes de
l'environnement économique n'expliquent pas la croissance de
l'endettement public.
L'impact des déficits conjoncturels tel qu'il est présenté
est, en effet, sur l'ensemble de la période, quasi-inexistant puisqu'il
s'élève en tout et pour tout à 0,9 point de PIB.
Cette conclusion est de nature à susciter une question de fond.
Si l'environnement économique a été tel que ses effets sur
l'endettement public peuvent être jugés nuls, la
légitimité économique des déficits publics
établie, en théorie, par leurs effets supposés de relance
n'est-elle pas remise en cause à son tour ?
b) L'accumulation de l'endettement public n'aurait pas été régulière au cours de la période
Trois
phases sont en effet distinguées dans l'étude :
de 1980 à 1987, le ratio augmente en moyenne de 2 points de PIB
par an ;
entre 1987 et 1991, la progression de ce ratio est beaucoup plus
modérée et ne s'élève en moyenne qu'à
0,5 point de PIB par an ;
de 1991 à 1997, la progression du ratio d'endettement brut est
très dynamique : + 3 points de PIB par an en moyenne.
Enfin, une quatrième phase est annoncée correspondant aux
années 1998 et 1999, présentées comme devant rompre avec
cette dernière phase et qui enregistreraient une nette réduction
de la progression du ratio d'endettement (+ 0,6 point en 2 ans).
2. Commentaires et précisions : l'impact des politiques publiques et des circonstances économiques
Les analyses soutenues dans l'étude ici présentée appellent deux nuances importantes et un complément d'appréciation afin d'examiner plus justement les conditions dans lesquelles l'endettement public a pu autant déraper.
a) Un parti pris de méthode conduit à minimiser l'incidence des conditions économiques sur la formation des déficits publics et donc de l'endettement
Si
l'impact des déficits conjoncturels sur la dette publique est aussi
faible dans l'étude, c'est parce qu'y est soutenue l'idée selon
laquelle l'économie française aurait, au cours de la
période, connu une croissance moyenne conforme à sa vocation.
L'effet des conditions économiques sur les finances publiques est alors
nécessairement quasi-nulle, par construction.
Dans l'étude, les soldes conjoncturels varient selon les
périodes. Ils sont tantôt positifs, tantôt négatifs
en fonction des évolutions conjoncturelles. Mais comme les soldes
conjoncturels sont calculés sur la base de la
croissance tendancielle
de l'économie française, elle-même calculée
à partir de l'alternance des phases d'expansion et de ralentissement qui
y sont décrites, la quasi-absence d'un déficit conjoncturel au
total peut paraître tautologique.
Une autre référence aurait été possible pour
calculer l'impact des conditions économiques sur les déficits
publics. On aurait pu s'appuyer sur l'écart entre la croissance
observée et la croissance potentielle. Une telle méthode, sans
doute plus significative de l'impact de l'environnement économique sur
les finances publiques, aurait permis de révéler les contraintes
de leur gestion liées à la composante économique des
soldes publics.
Le graphique ci-dessous rend compte de l'évolution de l'écart
entre le rythme effectif de croissance et la croissance potentielle. Il donne
un aperçu du renforcement de cette contrainte après 1992.
(1)
L'écart de croissance devient défavorable après 1992.
Source : Rapport sur l'évolution de l'économie nationale et
des finances publiques.
b) L'étude apporte un sérieux tempérament à sa conclusion principale selon laquelle l'endettement public proviendrait principalement d'un recours délibéré aux déficits
La
responsabilité des déficits primaires excessifs dans
l'augmentation de l'endettement public est tempérée, mais pas
exonérée, par la prise en considération de l'impact du
niveau des taux d'intérêt sur la progression de la part de la
dette dans le PIB.
On rappelle que, au cours de la période sous revue, les taux
d'intérêt réels ont été constamment
supérieurs au taux de croissance réel à partir de 1981,
marquant ainsi une rupture par rapport aux années 70.
Cet
écart s'est considérablement creusé à partir de
1990 pour se réduire beaucoup depuis 1997.
Il a eu des effets importants sur le coût moyen de la dette.
Évolution des taux d'intérêts
réels et
du taux de croissance réelle.
Les deux
graphiques ci-dessus démontrent que le coût moyen de la dette suit
avec un certain retard l'évolution des taux d'intérêt.
Ainsi, la baisse des taux d'intérêt observée depuis 1995 ne
s'était pas encore entièrement traduite dans la réduction
du coût de la dette en 1997 mais devrait contribuer à
alléger significativement ce coût à l'avenir.
Ces graphiques démontrent aussi que le coût de la dette,
négatif en début de période du fait des nivaux d'inflation
alors atteints, s'est beaucoup accru sous la double influence de la
désinflation et de la hausse des taux d'intérêt nominaux.
Il a dépassé le taux de croissance à partir de 1983, ce
qui a accru les contraintes pesant sur la politique budgétaire.
L'effet " boule de neige " de la dette s'est amplifié,
augmentant le niveau des excédents primaires nécessaires pour
l'endiguer, alors même que les ressorts de la croissance qui auraient pu
favoriser ces excédents faisaient défaut
.
L'ampleur de la contrainte résultant de cette situation est
illustrée par une simulation montrant que, si le niveau des taux
d'intérêt avait été égal à celui du
taux de croissance, la dérive de l'endettement public aurait
été à peu près moitié moindre.
Décomposition du ratio d'endettement brut de 1997
(en points de PIB)
|
|
Poids pour des taux d'intérêt égaux au taux de croissance du PIB |
|
Dette initiale |
24,7 |
21,7 |
- 2,9 |
Déficits primaires structurels |
29,3 |
17,1 |
- 12,2 |
Déficits conjoncturels |
0,9 |
1,6 |
0,7 |
coût net des créances |
3,3 |
- 0,1 |
- 3,4 |
Total |
58,1 |
40,3 |
- 17,8 |
On doit
ajouter que l'impact de l'écart entre taux d'intérêt et
taux de croissance est concentré sur la fin de période. Entre
1991 et 1997, il atteint 14 points de PIB sur un total de
17,8 points, ce qui démontre assez l'ampleur des risques pris dans
la période antérieure.
Cette illustration ne doit cependant pas exonérer les déficits
publics de leur responsabilité dans l'augmentation de la dette publique
pour deux raisons principalement :
l'étude ne rend pas compte de l'effet qu'ont pu avoir les
déficits élevés sur la hausse des taux
d'intérêt. Or il est probable qu'un tel effet s'est produit.
compte tenu de l'environnement monétaire de la période, le
niveau de ces déficits se révèle inapproprié.
Plus généralement, la démonstration apportée par
l'étude est que le gonflement de la dette publique, comme celui de toute
dette d'ailleurs, expose le débiteur à un risque de taux
susceptible de le placer dans une situation critique.
c) L'étude permet d'identifier le rôle des orientations successives données à la politique des finances publiques
c1)
L'évolution des déficits publics
Le poids de la dette publique dans le PIB s'est accru de 12,8 points entre
1980 et 1987, puis de 1,8 point seulement entre 1987 et 1991 et, enfin, de
22,5 points entre 1991 et 1997.
Ces données comptables ne rendent cependant pas compte de
l'évolution des facteurs d'accroissement de la dette publique.
A partir du graphique ci-dessus il est possible de distinguer trois
périodes :
la première, de 1981 à 1986, où le solde conjoncturel est
proche de l'équilibre alors que le solde primaire structurel est
largement déficitaire ;
la deuxième, entre 1988 et 1991, où le solde conjoncturel
devient nettement excédentaire mais où le solde primaire
structurel est significativement déficitaire ;
la troisième enfin, à partir de 1993, où le solde
conjoncturel accuse de profonds déficits alors que les déficits
primaires structurels sont réduits et se transforment en
excédents à partir de 1996.
Cette périodisation est de nature à mieux identifier la
responsabilité dans la dérive de la dette publique des
décisions de politique budgétaire qui ont été
prises par chaque gouvernement.
Elle montre ainsi qu'un jugement global sur la responsabilité respective
de la conjoncture et des politiques budgétaires sur l'augmentation de la
dette publique peut être établi. A partir de 1993, les
déficits conjoncturels sont responsables du surcroît d'endettement
à peu près à parité avec les déficits
structurels, que les gouvernements en fonction à partir de cette date se
sont efforcés de réduire.
Il apparaît ainsi que, sans nécessité économique,
les marges de manoeuvre engendrées par la bonne conjoncture des
années 89 à 91 ont été dépensées au
lieu d'être employées à réduire l'endettement public
que les importants déficits délibérés du
début des années 80 et l'extension du secteur public avaient
suscité
3(
*
)
.
c2) Le rôle des politiques relatives au secteur public
A côté des déficits délibérés, il faut
aussi prendre en compte l'évolution des acquisitions nettes de
créances par l'Etat, c'est-à-dire l'évolution patrimoniale
du secteur public.
Flux nets de créances de l'Etat
(En points de PIB)
Le
financement de ces acquisitions a impliqué un endettement global de
34,6 points de PIB au cours de la période, soit la somme de
l'endettement qu'il a nécessité et des charges
d'intérêt associées.
Le graphique ci-dessus démontre que ce coût est imputable pour
l'essentiel au début des années 80.
Il a d'ailleurs entraîné des charges cumulatives puisque le
patrimoine financier des administrations publiques a un rendement net
négatif.
Le poids de l'interventionnisme public du début des années 80,
puis de la politique dite du " ni-ni ", sur la dette est, d'ailleurs,
minoré dans l'étude par une convention contestable.
On rappelle d'abord qu'affecter le produit des actifs publics à la
couverture des besoins de financement des acquisitions d'actifs constitue un
parti pris de méthode dont la justification est contestable.
Mais il faut surtout souligner que l'évaluation des produits des actifs
financiers publics opérée dans l'étude a pour effet de
réduire le coût en endettement supplémentaire des
acquisitions intervenues au cours de la période sous revue.
L'étude qui évalue ces produits à 31,2 points de PIB,
conclut que l'endettement brut causé par les acquisitions d'actifs
publics ne s'est élevé qu'à 3,3 points de PIB, soit
la différence entre la charge de ces achats et les revenus du patrimoine
public.
Il faut alors noter que, pour calculer les produits courants du patrimoine
public, sont cumulés les revenus du patrimoine constitué avant
1980 avec ceux des actifs qui ont été acquis depuis.
Ce choix renforce la critique de méthode mentionnée plus haut. Il
minore beaucoup la charge d'endettement supplémentaire engendrée
par le gonflement du secteur public.
Face à cette gestion contestable des finances publiques, un
changement de cap est intervenu à partir de 1994.
Il apparaît que, dès cette année, l'orientation de la
politique budgétaire a permis progressivement de contrecarrer l'effet
sur les finances publiques d'une conjoncture déprimée.
La réduction continue des déficits structurels primaires
s'étant prolongée, à partir de 1996 des excédents
structurels primaires compensent de plus en plus complètement les
déficits conjoncturels.
L'accroissement de la dette a ainsi pu être freiné alors que le
déficit de croissance atteignait son comble, comme dans l'ensemble des
pays européens, et alors que l'écart entre le coût moyen de
la dette et le taux de croissance provoquait une dérive spontanée
particulièrement rapide de la dette.
A ce sujet, il convient en effet de préciser que si les taux
d'intérêt et de croissance avaient été identiques
entre 1991 et 1997, la dette publique n'aurait augmenté que de
8,5 points entre ces dates.