C. Le colloque de Lisbonne sur le maintien de la paix et de la sécurité en Afrique (15 septembre 1998)
Ont
participé à ce colloque au titre de la Délégation
française : MM. Jacques BAUMEL (RPR), Raymond FORNI (S) et Georges
LEMOINE (S) pour l'Assemblée nationale ; Mme Josette DURRIEU (S),
Présidente de la Délégation, MM. Pierre JEAMBRUN (RDSE) et
Jean-François LE GRAND (RPR) pour le Sénat.
Organisé par la Délégation portugaise et par la commission
politique, le colloque a rassemblé plus de 200 participants.
M. Antonio de ALMEIDA SANTOS, Président de l'Assemblée de la
République portugaise, a ouvert le colloque en faisant l'éloge
des valeurs de l'Afrique (pratiques sociales, langues, religions) : il a
insisté sur les effets négatifs de la colonisation et sur les
considérations à prendre en compte pour organiser
dorénavant une juste coopération sur des bases
d'intérêt mutuel et de réciprocité.
M. Luis Maria de PUIG, Président de l'Assemblée de l'UEO, a mis
en exergue la responsabilité de l'Europe dans les déchirements de
l'Afrique : cette responsabilité oblige à venir en aide
à ce continent d'abord par la recherche d'une stabilisation ; la
responsabilité morale de l'Europe se double d'un intérêt
propre car en aidant l'Afrique, l'Europe s'aide elle-même. Le
Président a conclu son propos sur le rôle de l'UE dans la mise en
oeuvre d'une nouvelle politique africaine, sans exclure toutefois la
possibilité pour l'UEO de prendre des initiatives d'urgence autonomes
(situations d'évacuation de ressortissants européens) et en
suggérant que l'UEO puisse mettre à la disposition de
l'Organisation de l'Unité africaine (OUA) ou de certains pays une
assistance technique et, si nécessaire, leur offrir l'aide de son Centre
satellitaire.
• La première séance ouverte par M. Alberto MARTINS,
Président de la Délégation portugaise, a été
consacrée "
aux facteurs qui menacent la paix et la
sécurité en Afrique
". M. Frank ASBECK,
Directeur-adjoint du Centre satellitaire de Torrejon, a présenté
les activités de cette institution de l'UEO en mettant l'accent sur la
supervision satellitaire des zones de crises afin de préparer la prise
de décisions et éventuellement, la planification des
interventions de type Petersberg de l'UEO : en quatre ans, le Centre a
produit près de 100 rapports ou dossiers concernant 14 missions dans des
zones d'Afrique centrale.
MM. Dahuku PERE, Président de l'Assemblée nationale du Togo et
Daniel ANTONIO, Secrétaire général
délégué de l'OUA, ont ensuite prononcé des
allocutions mentionnant notamment le rôle de l'OUA engagée dans un
processus de renforcement de ses capacités de prévention des
crises : en 1995, le Conseil des Ministres de l'OUA a décidé
que chaque Etat membre devait prévoir et entraîner un contingent
spécial en vue d'opérations de maintien de la paix. Le Canada,
les Etats-Unis et l'UE ont d'ailleurs décidé de contribuer
à la mise en place d'un centre de gestion des conflits et d'un
système d'alerte rapide de l'OUA. M. Antonio a en outre souligné
l'importance des relations de l'OUA avec d'autres organisations
sous-régionales africaines (CEDEAO, SACD et IGAD).
MM. Erik DERYKE, Ministre des Affaires étrangères de Belgique,
Bernard MIYET, Secrétaire général-adjoint des
Nations-Unies pour les opérations de maintien de la paix, et
l'Ambassadeur Marshall Mc CALLIE du Département d'Etat ont exposé
leurs points de vue notamment sur le thème de "
l'ONU et les
organisations régionales face au défi de la gestion des crises
africaines
".
Le représentant de l'ONU a constaté que, sur les 32
opérations de maintien de la paix menées par les Nations-Unies au
cours des huit dernières années, 16 concernaient l'Afrique et que
l'UEO pouvait fournir des soutiens précieux aux efforts de l'ONU. M. Mc
CALLIE a rappelé, en sa qualité de coordonnateur de l'ACRI
(
African Crisis Response
Initiative
), que cette initiative
américaine ouvrait depuis 1996 un partenariat aux pays africains afin de
remplacer leurs capacités dans des situations de crises humanitaires ou
de maintien de la paix. Il a souligné les progrès de la
coordination des opérations de formation et d'entraînement depuis
l'Accord signé à cet effet entre la France, les Etats-Unis et le
Royaume-Uni.
Enfin, l'ACRI restant circonscrite à la formation, aucune structure de
commandement n'est prévue : c'est aux Africains qu'il revient de
déterminer les modalités idoines et de choisir
éventuellement les organisations internationales avec lesquelles ils
entendent agir sur le terrain.
• Sous la présidence de M. Jacques BAUMEL, Président de la
commission politique de l'Assemblée de l'UEO, la deuxième
séance a porté sur "
la contribution de l'Europe au
maintien de la paix et de la sécurité
".
M. Maurizio MELANI, coordonnateur pour l'Afrique au Ministère italien
des Affaires étrangères, a souligné l'existence de
nouveaux types de défi (pouvoirs occultes en dehors des Etats, flux
financiers incontrôlés, dissémination de matériels
de guerre, etc.) en précisant l'intention de l'UE de mener une approche
globale par la combinaison d'instruments politiques et économiques,
d'information et d'alerte précoce, tout en coopérant avec l'OUA
et les organisations sous-régionales.
Puis, l'Amiral Claude BORGIS, représentant le Ministère
français de la défense, a décrit le programme Recamp
(Renforcement des Capacités africaines de Maintien de la Paix) qui,
défini par la France, s'articule sur trois principes : un mandat
des Nations-Unies, la désignation d'un Etat africain à titre de
" Nation-cadre " et la contribution de pays donateurs ; il
s'agit ainsi d'une logique multilatérale sous l'égide des
Nations-Unies qui succède à une logique bilatérale et un
exercice majeur de type " Recamp " est prévu tous les deux ans
dans chaque grande zone du continent.
Au cours du débat, M. Jacques BAUMEL, député (RPR), s'est
interrogé sur la volonté américaine d'intervenir en
Afrique en reconstituant une sorte de "
nébuleuse
anglophone
" à l'est, autour de l'Ouganda.
M. Georges LEMOINE, député (S), a posé une question sur
l'influence en Afrique des missions chrétiennes depuis le XIXème
siècle, alors qu'à présent d'autres influences de nature
religieuse semblent les concurrencer, en concluant son propos sur les enjeux
entre politique et prosélytisme religieux. A ce sujet, M. Dahuku PERE,
Président de l'Assemblée nationale du Togo, lui a répondu
qu'à titre personnel et en tant que chrétien, il lui paraissait
que les religions chrétiennes n'ont pas fait suffisamment comprendre aux
Africains que c'est le monde actuel qu'il convenait de changer : comme les
autres modèles ont échoué, il revient aux valeurs
chrétiennes d'appuyer les vrais changements qui s'imposent.
• Au cours de la troisième séance, présidée
par le Président de PUIG, M. José CUTILEIRO, Secrétaire
général de l'UEO, a retracé les différentes
étapes des travaux de l'UEO ayant concerné l'Afrique au cours des
dernières années. Il a rappelé la demande officielle du
Conseil de l'UE, en vertu de l'article J4.2 du Traité de l'Union
européenne, d'examiner en urgence la manière dont l'UEO aurait pu
contribuer à une action commune dans la région des Grands Lacs,
en mentionnant cependant l'absence d'accord sur un éventuel
déploiement européen. Il a toutefois précisé que
des leçons avaient été tirées de ce blocage pour
toute demande à venir de l'UE.
En conclusion au colloque, le Président de PUIG a
particulièrement insisté sur la nécessité de mettre
en place une politique européenne cohérente pour l'Afrique.
ANNEXES
• Bureaux de l'Assemblée de l'UEO et de ses commissions
• Principales résolutions adoptées par l'Assemblée de
l'UEO.
Document 1620 1
er
décembre 1998
La
coopération entre l'Europe et la Russie dans le domaine de la
sécurité
nucléaire, civile et militaire
______
RAPPORT
1
présenté au nom de la Commission technique et
aérospatiale
2
par Mme Durrieu, rapporteur
______
TABLE DES MATIÈRES
PROJET
DE RECOMMANDATION
sur la coopération avec la Russie dans le domaine de la
sécurité nucléaire, civile et militaire
EXPOSÉ DES MOTIFS
présenté par Mme Durrieu, rapporteur
I. Introduction
II. La sécurité nucléaire en Russie L'état
actuel en matière civile et les risques potentiels
A. L'état du nucléaire civil en Russie
B. Les risques engendrés par l'exploitation du nucléaire civil
III. La sécurité nucléaire en matière militaire
A. Evaluation des armements nucléaires russes et de la mise en oeuvre
des accords de désarmement
(a)
Les accords internationaux
(b)
Les traités bilatéraux entre les Etats-Unis et
l'ex-URSS
(c)
Les traités multilatéraux : la
non-prolifération
B. Les risques induits par l'arsenal militaire russe
IV. Voies et moyens d'une coopération souhaitable
A. Observations recueillies au cours de la mission en Russie
B. La coopération avec la Russie
V. Conclusions
ANNEXES
I. Glossaire
II. Centrales nucléaires de conception soviétique en Europe
III. Infrastructure des armes nucléaires de la Russie
________
1
Adopté par la commission à l'unanimité.
2
Membres de la commission
: M.
Marshall
(président) ; MM.
Lenzer,
Atkinson
(vice-présidents) ;
Mme
Aguiar,
M.
Arnau
Navarro
, Mme Blunck
,
MM. Cherribi,
Cunliffe
,
Diana
,
Mme Durrieu
, MM.
Etherington,
Feldmann, Hunault, MM. López
Henares,
Lorenzi
, Luís
,
Martelli (remplaçant :
Turini),
Nothomb,
Olivo
,
Polydoras, Probst,
Ramírez Pery (remplaçant :
Gonzalez-Laxe
), Sandrier,
Staes,
Theis
, Valk, Valleix, Mme Zissi.
N.B.
Les noms des participants au vote sont indiqués en italique.
Projet de recommandation
sur la coopération entre l'Europe et la Russie dans le domaine de la
sécurité
nucléaire, civile et militaire
L'Assemblée,
(i)
Rappelant sa Recommandation n° 630 sur les relations de l'UEO avec la
Russie ;
(ii) Soulignant, s'il en était besoin, le caractère
spécifique du risque nucléaire : risque vital, risque
transfrontalier, risque à très long terme ;
(iii) Considérant que la remise aux normes de sûreté et
l'amélioration de la sécurité nucléaire, tant sur
les sites militaires que pour l'exploitation des centrales
énergétiques, s'impose comme domaine privilégié de
coopération avec la Russie, tant par l'urgence que par l'importance des
besoins techniques et financiers ;
(iv) Soulignant qu'il n'est pas question de nier les légitimes
préoccupations de défense de la Fédération de
Russie, non plus que les besoins énergétiques qui justifient la
poursuite de recherches et de programmes d'équipement utilisant le
potentiel nucléaire ;
(v) Considérant cependant que la coopération ne peut suivre les
mêmes processus selon qu'il s'agit de gestion des armes
nucléaires, de déclassement d'éléments comme les
sous-marins comportant la réutilisation éventuelle du combustible
à des fins civiles ou qu'il s'agit du fonctionnement des centrales
énergétiques et de la gestion des déchets ;
(vi) Considérant que la coopération doit se donner pour but
l'amélioration de la sécurité nucléaire au sens le
plus complet, y compris la lutte contre les risques de trafics et de
dissémination des technologies, mais doit aussi viser la valorisation
réciproque des acquis technologiques et des potentiels de recherche dans
un domaine-clef comme l'énergie ;
(vii) Rappelant que de nombreuses actions de coopération,
bilatérales ou multilatérales, ont déjà
été lancées tant dans le domaine militaire que dans le
domaine civil, expériences qui permettent de faire un premier bilan et
de proposer de nouvelles perspectives ;
(viii) Observant que, de la mission effectuée en Russie en juin 1998
comme de tous les entretiens menés, il ressort que la coopération
doit tenir compte d'une réalité contrastée :
- la volonté de transparence existe partout, évidemment plus
affirmée dans le domaine de l'exploitation civile de l'énergie
que dans le domaine militaire, mais cette volonté de parvenir au respect
des normes internationales est patente ;
- cependant, la "culture de sécurité" est encore très
insuffisante et marquée par un retard dans les mécanismes de la
responsabilité civile ;
- malgré la volonté de rattrapage, la lenteur des
procédures législatives et même les blocages laissent
persister des risques nucléaires reconnus par tous, ces
difficultés obligeant à différer la mise en oeuvre de
certaines actions de coopération ;
- enfin, les lenteurs législatives n'expliquent peut-être pas
à elles seules les difficultés du rattrapage ; la
volonté d'accomplir dans leur intégralité les engagements
pris, notamment en contrepartie de financements, doit être
réaffirmée afin que la mise aux normes AIEA, par exemple, soit
l'objectif réel. La pratique d'autorisation annuelle provisoire ne doit
pas être un nouveau mode de fonctionnement. Le programme achevé,
l'objectif doit être l'obtention d'une licence de fonctionnement,
RECOMMANDE AU CONSEIL
1. D'inscrire la sûreté et la sécurité
nucléaires parmi les sujets d'intérêt commun sur lesquels
la Recommandation n° 630, adoptée par l'Assemblée le 19 mai
1998, invite le Conseil et les autorités russes à se consulter en
vue d'une coopération concrète ;
2. D'engager des consultations avec la partie russe en vue de
débloquer le processus de ratification des conventions internationales
pertinentes, ainsi que l'adoption de la législation nationale qui
donnera le socle juridique nécessaire ;
3. D'encourager les 28 pays de l'UEO à se consulter sur ces questions
et à coopérer davantage avec la Russie dans le domaine de la
lutte contre la pollution nucléaire et de la protection de
l'environnement ;
Dans le domaine de l'exploitation énergétique
civile :
4. D'inviter la partie russe à mettre pleinement en oeuvre son
objectif d'engagement de mise aux normes AIEA des centrales, conclue par
l'attribution de licences, et d'écarter le recours à des
autorisations provisoires ;
5. De favoriser la formation des responsables et des chercheurs, et
particulièrement de jeunes scientifiques, afin de mettre l'accent,
notamment, sur la culture de sécurité à laquelle aspirent
d'ailleurs les partenaires russes ;
6. De développer les contrôles de la mise en oeuvre des
programmes engagés en coopération, ces contrôles devant
pouvoir vérifier à la fois la réalisation des objectifs
fixés et la juste utilisation des financements attribués ;
7. D'étudier la possibilité d'inclure la gestion simulée
d'un accident nucléaire dans les exercices organisés par
l'UEO ;
Dans le domaine militaire :
8. De donner la priorité, dans les consultations sur les sujets
d'intérêt commun, aux problèmes liés aux sous-marins
à propulsion nucléaire, sachant que les techniques de
récupération et de confinement des propulseurs sont
maîtrisées mais que leur mise en oeuvre se heurte à deux
obstacles : la ratification des Conventions de Vienne et de Londres, pour
la partie russe, ainsi que l'importance des crédits à
mobiliser ;
9. D'encourager la coopération déjà engagée entre
la France, la République fédérale d'Allemagne et la
Russie, selon l'objectif de l'Accord AIDA-MOX, pour la transformation des
matières nucléaires militaires rendues disponibles par les
Traités START ;
10. De soutenir une action pour renforcer les moyens mis à la
disposition du Centre international pour la science et la technologie
créé à Moscou afin que les experts en surnombre qui
travaillent dans le domaine militaire puissent être
réorientés et intégrés à la
communauté scientifique russe, de façon à limiter les
risques de dissémination des technologies.
Exposé des motifs
(présenté par Mme Durrieu, rapporteur)
I.
Introduction
1.
L'Assemblée de l'UEO a manifesté son intérêt pour la
coopération avec la Russie en adoptant à l'unanimité, le
28 avril 1998, le rapport de M. Miguel Angel Martínez sur la
Recommandation n° 630 sur les relations avec la Russie.
2. Cette recommandation invite le Conseil des ministres de l'UEO à
"fixer avec les autorités russes les sujets d'intérêt
commun sur lesquels il conviendrait de se consulter, et les domaines dans
lesquels pourrait s'exercer une coopération concrète".
3. Le présent rapport porte sur la sécurité
nucléaire, tant sous l'aspect civil que sous l'aspect militaire, domaine
qui devrait s'imposer parmi les sujets de consultation mutuelle entre la Russie
et l'UEO en vue de dégager les objectifs et les moyens d'une
coopération mutuellement avantageuse.
4. C'est une évidence que de rappeler que la Russie a été
et est une grande puissance nucléaire, à la fois dans le domaine
civil et dans le domaine militaire.
5. Maîtrisant depuis longtemps les techniques de l'emploi de la force
nucléaire, la Russie, ou plutôt l'URSS, y a eu massivement recours
aussi bien pour produire de l'énergie que pour se doter des armes
jugées nécessaires dans la compétition avec les Etats-Unis
et les autres puissances occidentales au cours de la "guerre froide".
6. L'accident de Tchernobyl a brutalement mis en lumière la
dangerosité de certaines installations d'exploitation de
l'énergie nucléaire selon les techniques mises en oeuvre aussi
bien en Russie que dans les Etats issus du démembrement de l'URSS
après 1985.
7. A son tour, la désagrégation de l'URSS a fait craindre une
dangereuse prolifération du nucléaire militaire par fuite des
cerveaux et/ou trafic de matériaux, voire d'armes.
8. La chute du "mur de Berlin" et la dissolution du Pacte de Varsovie ont mis
un terme à la confrontation entre deux systèmes antagonistes dans
ce que l'on a appelé la "guerre froide", rendant sans objet, au moins en
apparence, la course aux armements nucléaires. Plusieurs traités
internationaux sont venus consacrer des engagements réciproques de
désarmement dont l'inégale mise en oeuvre laisse cependant
subsister un énorme arsenal, et un danger de même dimension.
9. Or, les difficultés économiques actuelles de la Russie et les
incertitudes qui subsistent dans la transition démocratique augmentent
les risques inhérents à l'emploi de matières
nucléaires et les menaces portant sur la sécurité au sens
large : accidents, vols et trafics, attentats, prolifération par
transferts de connaissances et/ou émigration des détenteurs de
ces connaissances.
10. Compte tenu des spécificités du risque nucléaire,
risque vital, risque transfrontalier, voire planétaire et risque
à très long terme, la coopération internationale s'impose
évidemment dès lors qu'existe une situation d'urgence et que la
Russie ne peut y faire face à elle seule.
11. Pour autant, il ne s'agit nullement de nier les immenses besoins
énergétiques de ce grand pays, non plus que ses légitimes
aspirations à assurer sa propre défense. Une coopération
entre la Russie et l'Europe est donc souhaitable, au profit de tout le
continent eurasiatique, tant pour améliorer la sécurité
des installations civiles que pour empêcher toute prolifération
des armes nucléaires.
12. L'objet du présent rapport est donc d'évaluer les conditions
et les objectifs de la coopération nécessaire.
13. Avant de préciser quelles formes pourrait prendre cette
coopération, on rappellera l'état actuel de l'exploitation de
l'énergie nucléaire civile, les techniques, la carte des
installations, le degré d'efficacité de la distribution
d'énergie, les programmes de développement élaborés
par les autorités russes, ainsi que les risques que ce bilan nous semble
encore comporter.
14. La première difficulté rencontrée dans cet
état des lieux tient aux divergences d'appréciation sur la
dangerosité des techniques et systèmes mis en oeuvre dans les
centrales de production d'énergie nucléaire en Russie (sans
parler de celles qui fonctionnent dans les pays rassemblés
naguère dans l'URSS).
15. Ces centrales se répartissent en deux grandes
catégories : les centrales à réacteurs du groupe
VVER, à eau pressurisée, et les réacteurs dits RBMK,
à modérateur graphite. Les meilleurs experts semblent
divisés sur l'évaluation des risques de cette dernière
technique qui est mise en oeuvre par exemple à Tchernobyl, en Ukraine,
et à Koursk. Certains estiment que l'accident de 1986 a
été causé par un malheureux concours d'erreurs humaines et
de défauts de maintenance, qui ne pourrait plus se reproduire
aujourd'hui en raison des mesures prises dans les centrales de ce type.
16. En revanche, d'autres experts ont un doute sérieux sur la
portée de simples mesures correctrices, estimant que c'est la conception
même de ces réacteurs qui présente un vice structurel et
qu'ils ne pourront pas répondre aux normes de sûreté
minimum en vigueur en Europe occidentale.
17. Ce bilan doit également mentionner l'important retard en Russie en
matière d'efficacité énergétique,
c'est-à-dire le rapport entre, d'une part, la production des
installations et, d'autre part, la quantité d'énergie et de
chaleur mise à la disposition des consommateurs.
18. Enfin, outre le bilan en termes de sûreté technique et
d'efficacité économique, on décrira les risques en termes
de sécurité au sens le plus large, à savoir les risques de
détournement illicite de techniques et/ou de matières
nucléaires et de menaces terroristes.
19. S'agissant des usages militaires du nucléaire, on
récapitulera les engagements internationaux souscrits par la Russie et
leur degré de mise en oeuvre. On évoquera le problème
spécifique des sous-marins à propulsion nucléaire. A
partir de ces observations, on tentera de cerner les risques persistant
à la fois en termes de sûreté et en termes de
prolifération.
20. En effet, toute perspective de coopération doit s'articuler avec les
accords internationaux déjà conclus ou en cours de
négociation, sachant d'une part que la partie Russe tient
essentiellement au parallélisme de ses engagements (et de leur
application) avec ceux des Etats-Unis en matière de désarmement
afin de poursuivre un dialogue de "grandes puissances". D'autre part, la
transparence s'arrête, dans ce domaine, là où commence la
protection des intérêts de défense.
21. A mesure de la divulgation d'informations plus complètes sur le
complexe nucléaire de la Russie, on a pris conscience des incidences de
la démilitarisation nucléaire. La réduction du nombre des
missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) et des missiles balistiques
lancés de sous-marins (SLBM) était une opération
coûteuse et de longue haleine. Il devenait évident que la
situation économique de la Russie ne permettrait pas au gouvernement
russe d'aborder le problème de la démilitarisation
nucléaire de la même manière qu'aux Etats-Unis.
22. Les sous-marins nucléaires et leurs réacteurs posent, quant
à eux, avec une très grande urgence, un problème
spécifique, celui de leur récupération après
immersion, le risque de contamination provenant essentiellement du
système de propulsion des sous-marins sabordés, ou simplement
amarrés et laissés à l'abandon. Le
démantèlement de ces systèmes, outre la
récupération (et donc le risque de contamination du milieu marin)
et le transfert à terre, pose ensuite des problèmes semblables au
démantèlement des brise-glaces à propulsion
nucléaire, très voisins de ceux du démantèlement de
réacteurs civils : transport des matériaux radioactifs, stockage,
retraitement, élimination.
23. Quant au risque de détournement à des fins illicites, c'est
dans le domaine militaire qu'il est le plus grave. Des groupes terroristes ou
des Etats potentiellement belliqueux cherchent à acquérir des
armes et des technologies. Le risque est doublé par la surabondance des
armes nucléaires existant en Russie, les difficultés
économiques affectant le complexe militaro-industriel et la
montée récente de menaces internes.
24. Enfin, à partir de cette évaluation de l'existant et des
risques, et en rappelant les enseignements tirés de la mission conduite
en juin 1998, on recherchera les réponses que pourrait apporter une
coopération renforcée entre l'Europe occidentale et la Russie en
matière de sécurité nucléaire.
La mission conduite en juin 1998
25. En effet, les constatations que votre rapporteur à pu faire lors
d'une mission à Moscou et Saint-Pétersbourg en juin 1998
permettent de dégager les éléments à prendre en
compte dans la perspective d'une coopération entre l'Europe et la Russie
en matière de sécurité nucléaire :
26. La volonté de transparence
existe et elle est
affirmée. Il convient tout d'abord de signaler, s'agissant de
coopération dans un domaine aussi sensible que celui de la
sûreté nucléaire, qu'il doit exister une volonté de
transparence de la part de tous les interlocuteurs. Votre rapporteur a pu
constater de façon générale cette volonté de
transparence tout au long de cette visite, notamment chez ses interlocuteurs,
qu'ils soient militaires, scientifiques ou techniciens.
27. En effet, leur langage franc et ouvert a contribué pour une
très grande part au bon déroulement de cette visite. Il importe
que cette franchise reste intacte durant tout le cours de la coopération
et qu'elle imprègne également le discours politique qui nous a
paru plus obscur et imprécis.
28. La culture de sécurité
est encore nettement
insuffisante. Elle souffre d'un décalage évident entre
l'état des mentalités en Russie et dans le monde occidental,
notamment en Europe.
29.
L'état du droit en Russie
et la lenteur des
procédures législatives qui, malgré la volonté de
rattrapage, sont aussi un réel problème, reconnu et posé.
Nos interlocuteurs sollicitent la bienveillance et une certaine
compréhension.
30. La loi fédérale sur l'utilisation de l'énergie
nucléaire date d'octobre 1995 et certains textes relatifs au domaine
nucléaire militaire sont encore en deuxième lecture à la
Douma.
31. A côté des lenteurs législatives, il est à noter
aussi
le systématisme de la non-ratification des "engagements"
du
Président de la Fédération de Russie par la Douma.
32. C'est un "blocage politique" répétitif. On peut l'expliquer
par l'opposition pure et simple des deux institutions. Il ne faudrait pas que
ce soit l'occasion d'engagements faciles, parce que non suivis d'effets, voire
que la partie russe en joue comme d'une contrepartie ou même comme d'un
élément de pression dans des négociations diplomatiques.
33. En accédant à la démocratie et aux
bénéfices de concours financiers internationaux, la Russie doit
jouer le jeu de son côté et accomplir l'intégralité
des engagements pris.
Les coopérations en cours
34. De nombreux programmes de coopération existent déjà,
multilatéraux ou bilatéraux, dans le domaine civil ou dans celui
de la reconversion d'une partie des personnels du complexe militaro-industriel
dont il importe d'évaluer l'impact et les éventuelles lacunes.
35. La coopération ne peut être valablement promue que si les
choix techniques et les besoins financiers sont correctement
évalués. Il ne s'agit pas d'encourager au versement de
subventions incontrôlées ni même à
l'amélioration de procédés intrinsèquement peu
sûrs.
36. L'orientation de la coopération doit également se fixer des
échéances : s'agit-il de parer à l'urgence
ou
d'aider à la "remise à niveau durable", notamment de l'appareil
de production énergétique dont la Russie ne peut se passer ?
37. La recherche de l'efficacité énergétique où se
manifestent de graves retards par rapport aux pays occidentaux doit
également s'inscrire dans la rénovation du nucléaire civil.
38. La promotion d'une coopération avec la Russie en matière de
sûreté et de sécurité nucléaires met en jeu
les liens inextricables entre les problèmes techniques et
économiques, d'une part, et entre les problèmes
économiques et politiques, d'autre part.
39. En effet, à supposer établi un consensus satisfaisant sur les
choix techniques et sur l'orientation de la coopération à offrir
à la Russie, la mise en oeuvre des décisions qui en
résulteraient exige des conditions politiques qui ne sont pas l'aspect
le moins ardu de la réussite de cette coopération.
40. Quelle que soit la volonté de transparence et quelle que soit
également l'urgence, la coopération ne peut réussir que si
les financements parviennent à destination et sont réellement
employés à la mise aux normes internationales. Les
contrôles devraient être correctement effectués aussi bien
sur les sites que sur les routes qu'empruntent les différents trafics.
41. La sécurité nucléaire en Russie apparaît comme
un révélateur de toutes les difficultés de la mutation que
subit ce grand pays. Face à des risques immenses, il n'existe pas de
solution viable sans remise en ordre économique ni restauration de
l'ordre public.
42. Enfin, la coopération doit favoriser le respect des engagements pris
tant en ce qui concerne la mise en oeuvre de la sûreté des
centrales civiles qu'en matière de désarmement.
43. La sécurité nucléaire et la lutte contre tout risque
de prolifération doit évidemment intégrer la prise en
compte et la promotion du potentiel de recherche encore brillant des savants
atomistes russes.
44. La coopération prendra tout son sens si les échanges
scientifiques participent à un objectif commun au service d'un
progrès maîtrisable par l'humanité.
II. La sécurité nucléaire en Russie
L'état actuel en matière civile
et les risques potentiels
45. La
présentation d'un rapport devant l'Assemblée de l'UEO portant sur
les aspects non seulement militaires, mais également civils de la
sécurité nucléaire en Russie se justifie par la
connexité qui caractérise ces deux aspects de l'usage de la force
atomique.
46. En effet, les matières et technologies mises en oeuvre dans
l'exploitation énergétique civile sont susceptibles de
détournement à des fins militaires. De même que le
retraitement du plutonium des armes nucléaires en permet le
réemploi à des fins civiles. Les personnels pouvant
évidemment être reconvertis de fonctions dans le complexe
militaro-industriel vers des tâches civiles.
47. Enfin, la gravité de tout accident nucléaire, qui
surviendrait dans une installation de production énergétique,
exigerait une réponse des autorités politiques. Elles devraient
très vraisemblablement recourir, à côté des
dispositifs de protection civile, à la mobilisation de moyens militaires
qui, dans l'urgence, seraient à même de faire respecter des
prescriptions de masse : évacuation et interdiction de circulation en
particulier.
48. Si la gestion de la sécurité nucléaire civile
comporte bien des liens avec les aspects militaires, pour la clarté de
l'exposé, on les traitera séparément en évoquant
successivement, pour chacun de ces domaines, l'état actuel des
installations, du traitement des matières nucléaires et des
contrôles, ainsi que les organisations compétentes avant
d'évaluer les risques spécifiques de chaque mode d'utilisation de
la force nucléaire.
A. L'état du nucléaire civil en Russie
Les installations de production d'énergie et de chaleur
49. La récapitulation des centrales de conception soviétique
installées sur le territoire de l'ancienne URSS fait apparaître
que deux technologies ont été développées par les
Russes
1(
*
)
:
- les RBMK, la filière de Tchernobyl (réacteurs à tubes
de force, bouillants, à modérateur graphite sans enceinte de
confinement), construits uniquement en Russie, en Ukraine et en Lituanie :
12 unités de 1000 MW
2 unités de 1500 MW déclassées à 1000 MW
___
Total
: 14 unités dont 1 fonctionne encore sur le site de
Tchernobyl
- les VVER (réacteurs à eau sous pression de technologie
analogue à la filière française), exportés dans
beaucoup de pays dépendant autrefois de l'URSS Ukraine, Arménie,
Hongrie, République tchèque, Slovaquie et Bulgarie :
25 unités de 440 MW
20 unités de 1 500 MW déclassées à 1000 MW
(avec enceinte de confinement)
___
Total
: 45 unités dont 1 fonctionne encore sur le site de
Tchernobyl
Au total : près de 60 réacteurs représentant environ 45
000 MW et se répartissant ainsi :
1/3 de RBMK |
|
1/3 en Russie |
|
et |
|
2/3 de VVER |
|
2/3 hors de Russie |
|
|
|
50. La
part du nucléaire dans le bilan électrique des pays (chiffres de
1996) est importante :
- Russie (ouest de l'Oural) : 25 %
(région de St-Pétersbourg : plus de 50 %)
- Ukraine : 43 %
- Lituanie : 83 % (centrale d'Ignalina de type RBMK, c'est-à-dire
semblable à celle de Tchernobyl)
- Hongrie : 40 %
- Rép. tchèque : 20 %
- Slovaquie : 44 %
- Bulgarie : 42 %
51. Ce nucléaire est relativement jeune : à peine plus de 20 ans
pour les plus anciennes unités, les deux tiers des unités ayant
moins de 10 ans de fonctionnement en moyenne. C'est donc une
réalité économique d'aujourd'hui mais aussi de demain.
52. Neuf centrales nucléaires sont actuellement en service en Russie,
représentant un total de 29 réacteurs qui assurent
11,4 % de la production d'électricité du pays (25 %
à l'ouest de l'Oural). Un certain nombre de spécialistes
considèrent ces réacteurs comme peu sûrs, compte tenu
notamment de l'état actuel de l'économie russe. Le danger est
dû en partie à des problèmes techniques, qui sont peu
à peu réglés grâce aux crédits fournis dans
le cadre des programmes TACIS (programme d'aide financière de l'Union
européenne) et Nunn-Lugar (programme d'aide américain). En 1997,
on recensait 347 projets de coopération internationale dans le domaine
civil, représentant une somme totale de 362,2 millions de dollars.
53. La Russie utilise deux grands types de réacteurs
nucléaires : les réacteurs à eau pressurisée
dits VVER et les réacteurs à tubes de force bouillants et
modérés au graphite dits RBMK. C'est sur ce dernier type de
réacteur que s'est produit l'accident de Tchernobyl en 1986.
54. Le RBMK, dont il existe 12 unités de 1 000 MW et 2
unités de 1 500 MW déclassées à
1 000 MW, en Russie, Ukraine et Lituanie, est un réacteur
refroidi à l'eau et modéré au graphite, construit de
manière à permettre l'échange des éléments
combustibles pendant que le réacteur est en fonctionnement. La version
civile du RBMK a de nombreux points communs avec les réacteurs
militaires qui ont servi à la production du plutonium utilisé
pour les armements. On distingue trois tailles de réacteurs RBMK. Le
plus grand se trouve à Ignalina en Lituanie et le plus petit - c'est un
prototype - à Obninsk près de Moscou. Ce type de réacteur
est considéré par les spécialistes comme le plus dangereux
car il est dépourvu d'enceinte de confinement permettant d'éviter
les fuites radioactives en cas d'accident et en raison des risques d'incendie
inhérents au modérateur graphite.
55. Le VVER, dont 25 unités de 440 MW et 20 unités de 1 000
MW (avec enceinte de confinement), ont été exportées en
Ukraine, Arménie, Hongrie, République tchèque, Slovaquie
et Bulgarie, est un réacteur à eau pressurisée dont il
existe trois générations différentes. La première
génération, qui est la moins sûre (VVER 440-230), a
été mise au point dans les années 1960, la seconde (VVER
440/213) dans les années 1980 et la troisième (VVER 1000)
à la fin des années 1980. Il est important de noter que, si aucun
de ces réacteurs ne répond totalement aux normes de
sécurité actuellement en vigueur dans le monde occidental, de
gros efforts ont été faits, grâce à des aides
financières occidentales, pour moderniser ces installations. Les VVER de
première génération présentent, à l'instar
du RBMK, le défaut d'être dépourvus d'enceinte de
confinement. Une quatrième génération de VVER
(VVER 640) est étudiée en coopération avec Siemens.
56. Si les RBMK et les VVER constituent l'ossature du complexe
nucléaire civil de la Russie, celle-ci possède également
deux surrégénérateurs rapides qui sont en service.
D'autres types de réacteurs sont utilisés par les instituts de
recherche, à bord des sous-marins et des brise-glaces, ainsi que pour la
production de matières nucléaires destinées à la
fabrication d'armements.
57. Le tableau suivant récapitule le Programme fédéral de
développement de l'énergie nucléaire civile :
l'exploitation des réacteurs des centrales nucléaires est
prévue dans le programme de développement de
l'électronucléaire jusqu'en 2010. Il a fait l'objet d'une
présentation par le Minatom à la huitième
Conférence de la Société nucléaire russe en
septembre 1997. Il a été signé par le Premier ministre
Russe, alors M. Kirienko, en septembre 1998.
Programme fédéral de développement de
l'énergie nucléaire
Les points (
)
indiquent la période de fonctionnement
prévue initialement ;
les tirets (---) signalent la prolongation de la durée de vie des
centrales.
Centrales nucléaires |
Numéro de tranche |
Puissance électrique en MW |
Années de début et de fin d'exploitation |
Bilan en GW |
|||||||||
|
|
|
1998-2000 |
2001-2005 |
2006-2010 |
|
|||||||
I - Centrales nucléaires |
|||||||||||||
I.1. Achèvement des constructions commencées et mises en attente |
|||||||||||||
|
1 |
1000 |
|
|
|
|
|||||||
Kalinine (VVER-1000) |
2 |
1000 |
|
|
|
+ 1,0 |
|||||||
|
3 |
1000 |
|
|
|
|
|||||||
|
1 |
1000 |
|
|
- - - - - - - - |
|
|||||||
|
2 |
1000 |
|
|
- - - - - - - |
|
|||||||
Koursk (RBMK-1000) |
3 |
1000 |
|
|
|
+ 1,0 |
|||||||
|
4 |
1000 |
|
|
|
|
|||||||
|
5 |
1000 |
|
|
|
|
|||||||
Rostov |
1 |
1000 |
|
|
|
+ 2,0 |
|||||||
(VVER -1000) |
2 |
1000 |
|
|
|
|
|||||||
Beloyarsk (BN-600) |
3 |
600 |
|
|
|
|
|||||||
Beloyarsk-2 (BN-800) |
4 |
800 |
|
|
|
|
|||||||
Oural du Sud (BN-800) |
1 |
800 |
|
|
|
+ 0,8 |
|||||||
I.2. - Construction des têtes de série des centrales de nouvelle génération |
|||||||||||||
Sosnovy Bor (VVER-1000) |
1 |
640 |
|
|
|
|
|||||||
Novovoronej 2 |
6 |
1000 |
|
|
|
+ 2,0 |
|||||||
(VVER -1000) |
7 |
1000 |
|
|
|
|
|||||||
I.3. - Construction des centrales de nouvelle génération |
|
|
|
|
|
|
|||||||
|
5 |
640 |
|
|
|
+ 0,64 |
|||||||
Kola 2 (VVER -1000) |
6 |
640 |
|
|
|
+ 0,64 (3) |
|||||||
|
7 |
640 |
|
|
|
|
|||||||
Koursk-2 (1) |
6 |
1000 |
|
|
|
+ 1,0 (3) |
|||||||
Smolensk-2 (1) |
4 |
1000 |
|
|
|
|
|||||||
|
5 |
1000 |
|
|
|
+ 1,0 |
|||||||
Leningrad-2 (1) (2) |
6 |
1000-1500 |
|
|
|
|
|||||||
|
7 |
1000-1500 |
|
|
|
|
(1)
Le type de réacteur sera défini d'après les
résultats des avant-projets.
(2) La mise en service dépend des résultats des avant-projets.
(3) Mise en service selon l'hypothèse maximale.
Centrales nucléaires |
Numéro de tranche |
Puissance électrique en MW |
Années de début et de fin d'exploitation |
Bilan
|
|
||||||||||
|
|
|
1998-2000 |
2001-2005 |
2006-2010 |
|
|||||||||
I.4. Centrales existantes |
|
|
|
|
|
|
|||||||||
Balakovo |
1 |
1000 |
|
|
|
|
|||||||||
(VVER-1000) |
2 |
1000 |
|
|
|
|
|||||||||
|
3 |
1000 |
|
|
|
|
|||||||||
|
4 |
1000 |
|
|
|
|
|||||||||
I.4. Centrales existantes |
|
|
|
|
|
|
|||||||||
Smolensk |
1 |
1000 |
|
|
|
|
|||||||||
(RBMK-1000) |
2 |
1000 |
|
|
|
|
|||||||||
|
3 |
1000 |
|
|
|
|
|||||||||
Kola |
1 |
440 |
|
--- |
----------- |
|
|||||||||
(VVER-440) |
2 |
440 |
|
- |
----------- |
-0,88 |
|||||||||
|
3 |
440 |
|
|
|
|
|||||||||
|
4 |
440 |
|
|
|
|
|||||||||
Novovoronej |
3 |
440 |
|
-------- |
- |
|
|||||||||
(VVER-440) |
4 |
440 |
|
---- |
--- |
-0,88 |
|||||||||
(VVER-1000) |
5 |
1000 |
|
|
|
* |
|||||||||
Leningrad |
1 |
1000 |
|
--- |
------- |
*- 1,0 |
|||||||||
(RBMK-1000) |
2 |
1000 |
|
|
--------------------------------- |
|
|||||||||
|
3 |
1000 |
|
|
|
|
|||||||||
|
4 |
1000 |
|
|
|
|
|||||||||
II. Centrales calogènes et mixtes |
|||||||||||||||
Voronej (calogène) |
1 |
500 (therm) |
|
|
|
+ 1,0 |
|||||||||
|
2 |
500 (therm) |
|
|
|
|
|||||||||
Tomak (calogène) |
1 |
500 (therm) |
|
|
|
|
|||||||||
|
2 |
500 (therm) |
|
|
|
|
|||||||||
Pévek (KLT-40) Okroug autonome de Tchoutaki ** |
1 |
70 |
|
|
|
++0,07 |
|||||||||
Primorski kraî ("Volnolom") ou KLT-40) |
|
70 |
|
|
|
++0,07 (3) |
|||||||||
Bilibino |
1 |
12 |
|
|
|
|
|||||||||
(EGP-6) |
2 |
12 |
|
|
|
|
|||||||||
(calogène mixte) |
3 |
12 |
|
|
|
|
|||||||||
|
4 |
12 |
|
|
|
-0,048 |
(3)
Mise en service selon l'hypothèse maximale
* N.D.T. : Graphique corrigé pour mise en conformité avec le
bilan
** N.D.T. : Okroug = partie d'une région
58. La Russie prévoit de construire 20 réacteurs de conceptions
diverses, principalement du type VVER 640 de la quatrième
génération d'ici 2010. Néanmoins, le Minatom n'a obtenu
une autorisation de l'Etat que pour la construction de huit installations. A
l'heure actuelle, il y a trois installations nucléaires en construction,
mais les projets ont été gelés en raison des restrictions
budgétaires et des protestations du public. Il est important de noter
que la Russie compte toujours prolonger jusqu'en 2005, voire 2010, la
durée de vie de nombre de ses centrales nucléaires construites
après les années 1971-1975, comme le montre le tableau ci-dessus.
Les institutions responsables du nucléaire
59. Jusqu'en 1992, ce qui était alors le ministère des moyennes
industries était à la fois l'organisation exploitante et
l'organisme responsable de la surveillance et de mesures de contrôle des
matières nucléaires. Ce ministère est désormais le
ministère de l'énergie atomique (Minatom), lequel, selon ses
propres estimations, a compétence sur plus de 98 % des
matières nucléaires traitées et gérées en
Russie.
60. L'année 1992 a vu la création du Gosatomnadzor (GAN),
"Comité d'Etat pour la surveillance de la sûreté
nucléaire et radiologique" qui, seul contrepoids au puissant Minatom,
héritait de la responsabilité de mettre en oeuvre la
comptabilité et le contrôle des matières
nucléaires
2(
*
)
.
61. Le GAN dépend directement du Président de la
République et non du gouvernement, ce qui, d'après les
autorités russes, est la preuve de son indépendance
vis-à-vis du gouvernement et en particulier du Minatom. En
théorie, le GAN a la possibilité de vérifier dans les
installations qu'il surveille les dispositions régissant la possession
et la comptabilité des matières nucléaires, des produits
dérivés et des armes nucléaires afin d'obtenir les
explications et la documentation nécessaires sur toute question qui se
poserait.
62. Le GAN est également habilité à obtenir des hauts
fonctionnaires et d'autres représentants des ministères,
institutions et organismes responsables, organes des autorités
exécutives, entreprises, organisations et unités militaires, les
informations nécessaires sur les dispositions régissant la
comptabilité et le contrôle des matières nucléaires
dans les installations sous surveillance, afin de suspendre ou de mettre fin
à l'autorisation d'effectuer une activité licite dans le cas
d'infraction à la législation sur l'utilisation des
matières nucléaires ou aux conditions d'exploitation
stipulées dans les autorisations.
63. Dans la pratique, le GAN doit continuellement lutter pour obtenir la
reconnaissance de ses droits de contrôle. D'une part, il se heurte
à la multiplicité des installations à inspecter (en 1994,
il a contrôlé 7 897 sites présentant un danger
nucléaire et radioactif) ; d'autre part, il doit affronter le
Minatom et les instances de pouvoir du secteur de la défense. Ainsi, en
1993, le Minatom a empêché l'accès des inspecteurs du GAN
aux installations de Krasnoïarsk-65 et à l'usine Maïak
située à Tomsk-7.
64. En 1995, un décret présidentiel retirait des attributions du
GAN l'accès aux installations militaires. Selon des sources du GAN,
l'Agence est désormais responsable d'environ 50 % des
matières nucléaires en Russie, le reste étant
contrôlé par le Minatom et les autorités de la
défense.
65. Le Centre d'études scientifiques et techniques pour la
sûreté nucléaire et radiologique (SEC NRS) apporte au GAN
son concours scientifique et technique en ce qui concerne la
réglementation applicable en matière de sûreté
nucléaire et radiologique aux installations nucléaires. Cet
organisme remplit les tâches suivantes :
- participation à l'élaboration de normes et de
règlements afin d'assurer la sûreté nucléaire et
radiologique ;
- organisation et mise en oeuvre des évaluations de la
sûreté pour les installations nucléaires ;
- conception et exécution de recherches pour valider les principes et
les critères régissant la sûreté nucléaire et
radiologique en vue de fixer des normes et d'évaluer la
sûreté.
66. En outre, le SEC NRS dispense une formation au personnel, met en place des
stages, des séminaires et des conférences, élabore des
bases de données et prépare la publication des différents
éléments d'information et de documentation selon les
autorisations du GAN.
67. Le Rosenergoatom est rattaché au Minatom dont il dépend.
C'est le Centre d'Etat russe pour la production d'énergie
électrique et thermique dans les centrales nucléaires, autrement
dit l'exploitant nucléaire.
68. Quant aux instituts qui s'occupent de nucléaire, ils sont
extrêmement nombreux en Russie et nous nous bornerons à citer ceux
dont nous avons visité les installations et dont les responsables ont
été nos interlocuteurs. Il s'agit du Centre de recherche russe,
l'Institut Kurchatov de Moscou, et de l'Institut du radium V.G. Khlopin de
Saint-Pétersbourg.
69. L'Institut Kurchatov dépend administrativement du ministère
de la science et financièrement du ministère des finances. Il
emploie au total 8 500 personnes, y compris 3 048 chercheurs et
2 562 ingénieurs et techniciens. Parmi eux se trouvent 13 membres
de l'Académie des sciences de Russie, 900 docteurs ès sciences et
candidats à ce titre ; 50 de ces savants ont obtenu le prix
Lénine, 165 des prix d'Etat, 17 ont reçu une médaille d'or
et le grand prix de l'Académie des sciences.
70. A l'heure actuelle, l'Institut oriente ses activités vers la
recherche d'une solution d'ensemble aux problèmes posés par la
production d'énergie, dans le respect de la sécurité et de
l'environnement à partir de réacteurs à fission et
à fusion ; il se consacre également à la recherche et
au développement en physique fondamentale dans ces domaines et dans des
domaines connexes.
71. Actuellement, l'un des principaux objectifs de l'Institut Kurchatov
consiste à maîtriser les dangers résultant des rayonnements
et, plus concrètement, à veiller à ce que le
démantèlement des têtes nucléaires des missiles et
des sous-marins nucléaires ne porte pas atteinte à
l'environnement.
72. L'Institut du radium V.G. Khlopin, situé à
Saint-Pétersbourg, entreprend des recherches en physique
nucléaire, radiochimie, géochimie et écologie,
essentiellement liées au problème de l'industrie
nucléaire, de la radioécologie et de la production
d'isotopes ; cet organisme occupe dans ces domaines une place de premier
plan en Russie et dans le monde. Le personnel de l'Institut compte un millier
de chercheurs, ingénieurs et techniciens. On trouve parmi eux un membre
correspondant de l'Académie, 12 professeurs, 26 docteurs ès
sciences, 175 titulaires d'un doctorat d'Etat et 14 lauréats d'Etat en
science et technologie.
73. L'Institut participe activement à de nombreux programmes
fédéraux ainsi qu'à divers projets internationaux de
physique nucléaire, radiochimie, radioécologie et
radiogéochimie. Selon son directeur, M. Rimski-Korsakov (descendant
direct du compositeur du même nom), l'Institut Khlopin se consacre
à tous les problèmes liés aux rayonnements
nucléaires, qu'il s'agisse de la centrale de Saint-Pétersbourg,
du traitement du combustible nucléaire, de la fabrication du plutonium,
d'autres travaux associés à la défense ou de la
surveillance de la construction du Centre de Krasnoïarsk.
74. Depuis l'accident de Tchernobyl, les responsables de l'Institut sont en
outre experts en sûreté nucléaire.
75. Au terme de cette présentation des installations nucléaires
civiles, on constate que l'exploitation énergétique de source
nucléaire a un poids massif en Russie et que le programme adopté
en septembre 1998 confirme son rôle prépondérant à
l'avenir.
76. On constate également que les organismes de recherche et de
contrôle, même si leur autorité est inégale, sont
nombreux et rassemblent un personnel hautement qualifié, ce que votre
rapporteur a pu vérifier au cours de la mission conduite à Moscou
et Saint-Pétersbourg en juin 1998.
77. Néanmoins, de nombreux éléments de
préoccupation subsistent, dont l'énoncé, même non
exhaustif, justifie un renforcement de la coopération entre l'Europe
occidentale et la Russie.
B. Les risques engendrés par l'exploitation du nucléaire civil
78. Le
recours massif à l'énergie nucléaire en Russie
s'accompagne en effet d'une sûreté technique encore insuffisante,
d'une efficacité notablement en retard sur les performances
occidentales, enfin d'une sécurité au sens large (vols de
matériaux, trafics de technologies et menaces terroristes internes ou
externes) par trop incertaines, risques aggravés par les
difficultés économiques et la désorganisation
administrative et sociale dont souffre la Russie actuellement.
L'insuffisante sûreté des centrales de production
énergétique russes
79. L'accident de Tchernobyl en 1986 est dans toutes les mémoires et la
poursuite de l'exploitation de centrales, dites RBMK, du même type,
comporte des risques, d'ailleurs difficiles à évaluer, les avis
des experts divergeant à ce sujet.
80. Certes, le "risque zéro" n'existe pas plus dans ce domaine que dans
aucun autre de l'activité humaine. En témoigne l'adaptation
constante des technologies, des normes et des contrôles en Europe
occidentale même.
Des incidents en diminution
81. L'effondrement de l'Union soviétique et les revers
économiques qui s'en sont suivis ont eu une incidence directe sur
l'industrie nucléaire civile de la Russie. Les consommateurs
d'électricité, de l'industrie lourde aux bases militaires en
passant par les particuliers, ne peuvent pas toujours payer leurs notes
d'électricité. Ceci a pour effet d'empêcher l'achat des
pièces de rechange nécessaires pour la maintenance des centrales
nucléaires et de retarder le versement des salaires. En ce qui concerne
la maintenance, seul 1 trillion de roubles (environ 200 millions de
dollars) a été versé sur les dix trillions
nécessaires, selon le journal
Nezavisimaya Gazeta
(20 novembre 1997). La situation est particulièrement critique
dans les centrales nucléaires de Bilibino, Koursk,
Saint-Pétersbourg et Novovoronej. Dans ces conditions, il n'est pas rare
que des employés ne soient pas payés pendant trois mois. Ces
retards ont une incidence directe et considérable sur la motivation du
personnel des centrales : des cas de négligence et de vol ont
été signalés. A la centrale de Leningradskaia, en 1996,
des employés, exaspérés par les retards dans le versement
de leur salaire, ont entrepris une grève de la faim.
82. La démotivation liée aux difficultés
socio-économiques accentue le risque d'accident nucléaire sur ces
sites civils. Selon les informations fournies récemment par
l'autorité russe de surveillance de la sûreté
nucléaire et radiologique (Gosatomnadzor ou GAN), 11 incidents ont
été signalés dans les centrales nucléaires russes
au cours du mois de janvier 1997. Par comparaison avec les statistiques des
années précédentes, le nombre d'incidents recensés
semble diminuer. Ainsi, tandis que l'on signalait 126 incidents en 1994, leur
nombre est tombé à 99 en 1995. La réduction des cas
d'incidents signalés est partiellement due à la fermeture de
certains réacteurs pour modernisation et maintenance. Selon le GAN,
30 % des mesures prévues pour améliorer la
sûreté des réacteurs avaient été mises en
oeuvre à la fin de 1996.
La centrale nucléaire de Saint-Pétersbourg, à Sosnovy
Bor
83. La visite à la centrale de Saint-Pétersbourg,
équipée de réacteurs du type de ceux de Tchernobyl ou du
type Sosnovy Bor comme on les appelle là-bas, en fait des RBMK,
c'est-à-dire des réacteurs à modérateur graphite,
nous a montré que la catastrophe de Tchernobyl avait provoqué un
changement radical des normes, des méthodes et des moyens permettant
d'atteindre des niveaux de sécurité proches de ceux en vigueur en
Occident. A partir de 1994, un programme d'amélioration des normes de
sécurité a été mis au point à
Saint-Pétersbourg ainsi que dans d'autres centrales du même type,
telles que celles de Smolensk, de Koursk et d'Ignalina. Ce programme, qui a
été achevé en 1997, rend désormais impossible un
accident semblable à celui survenu à Tchernobyl.
84. Lors de l'élaboration des programmes de sécurité, il
faut opérer un choix de principe entre l'arrêt des centrales pour
y introduire de nouveaux moyens et mesures de sécurité et la
réalisation de ces opérations dans les centrales en marche. En
l'occurrence, il a été décidé de les maintenir en
service dans le souci de sauvegarder l'économie et la production russes
(la centrale de Saint-Pétersbourg produit 40 % de l'énergie
consommée dans la région et 70 % de l'énergie
consommée à Saint-Pétersbourg même). Des travaux
importants ont été effectués dans les unités 1 et
2, les plus anciennes de cette centrale, pour un montant de 600 millions de
dollars. La plus grande partie des composants techniques ont été
remplacés. Le coût de la tranche de travaux restant à
exécuter est de 700 millions de dollars, montant couvert par les
recettes propres de la centrale et par la coopération bi- ou
multilatérale avec la Finlande, les Etats-Unis, le Royaume-Uni,
l'Allemagne, le Danemark et le Japon, les accords avec la BERD et la Commission
européenne à travers le programme TACIS, dont le total atteint 40
millions de dollars.
85. Il faut signaler l'opposition qui existe entre ceux qui estiment que les
réacteurs de type RBMK souffrent d'un défaut structurel
d'instabilité, qu'il faut par conséquent les arrêter et les
remplacer, et les personnes, dont le Directeur adjoint de la centrale de
Saint-Pétersbourg, M. Alexandre A. Kostine, qui affirment que la
conception du réacteur est excellente et qu'en tout état de
cause, ses défauts éventuels peuvent être corrigés.
Quelle décision peut-on et doit-on prendre, face à des avis
techniques si divergents ?
86. Selon les responsables de la centrale visitée, les statistiques font
ressortir que le nombre de facteurs susceptibles d'avoir une influence
négative sur la sécurité est en diminution. D'autres
problèmes se posent, tels que celui du combustible irradié. Il
faut stocker ce combustible sur place, puisque la Russie ne dispose pas des
moyens de le traiter. (La solution technique, d'après M. Kostine,
est le "stockage à sec" du combustible usé qu'il faut ensuite
conserver en sécurité. On pense pouvoir le faire dans des
conteneurs spéciaux dont la fabrication prototype vient de s'achever et
qui permettront d'entreposer le combustible irradié sans risques.)
87. En ce qui concerne l'avenir de la centrale, ses responsables sont
pessimistes, compte tenu de la perception négative du nucléaire
dans l'opinion publique. Par exemple, la région de Krasnoïarsk
refuse de recevoir le combustible irradié tandis que d'autres
régions n'autorisent pas la traversée de leur territoire pour son
transport.
88. Il faut aussi tenir compte du fait qu'en principe, les unités
obsolètes doivent être arrêtées, ce qui devrait avoir
lieu en l'an 2003. Le problème de la prolongation du fonctionnement de
ces unités est d'ordre pratique. D'après les responsables, le
matériel qui parvient à la centrale est fabriqué
expressément pour elle. Cette solution permet de prolonger la vie des
unités de 10 à 15 ans. Outre la prolongation des unités,
on prévoit de construire dans l'enceinte de la centrale de nouvelles
unités de production d'énergie qui, sans être identiques
aux précédentes, seraient du même type. Cela reviendrait en
somme, selon M. Kostine, à équiper un chariot d'un moteur de
Mercedes. Ce système permettrait de fabriquer des isotopes à des
fins médicales ainsi que d'autres composants utilisés par les
ordinateurs et dans d'autres secteurs.
89. En dernier lieu, le Directeur adjoint de la centrale de
Saint-Pétersbourg s'est déclaré opposé au projet
européen de réacteur pressurisé (EPR) car il constitue
pour lui l'extrême opposé du réacteur de type RMBK ;
si ce dernier risque d'exploser par surchauffe, l'EPR peut également
exploser par excès de refroidissement. L'avis de cette personne est la
seule opinion négative que votre rapporteur ait recueillie au sujet de
l'EPR auprès des scientifiques et des techniciens à qui a
été posée cette question en Russie.
Le problème des déchets
90. Les déchets radioactifs produits par l'industrie nucléaire
sont également un sujet de préoccupation. Les sites de stockage
de déchets nucléaires et d'éléments combustibles
usés ont pour la plupart atteint les limites de leurs capacités.
Ils souffrent également de problèmes de maintenance. Le
combustible irradié produit par les réacteurs VVER et RBMK est
stocké temporairement en piscine en attendant d'être
acheminé vers l'usine de retraitement RT-1 de Maïak ou le centre de
stockage de Zheleznogorsk en Sibérie. Il n'y a, en fait, pas de stockage
centralisé des déchets radioactifs. Aucun combustible
irradié produit par les RBMK n'a été expédié
dans des centres de retraitement depuis trois ans. Comme nous l'avons
indiqué plus haut, les déchets restent stockés dans les
centrales. Globalement, les installations de stockage sur site des effluents
radioactifs liquides sont pleines à 60-90 % et les installations de
stockage de déchets solides à 70-99 % .
91. Une partie du combustible nucléaire irradié est
retraité à l'usine de Maïak. Il est transporté en
train depuis les usines militaires et civiles jusqu'aux différents
centres de retraitement. Malheureusement, en raison de problèmes
budgétaires, les crédits prévus n'ont pas
été distribués, ce qui a provoqué des retards et
des difficultés de stockage. Le combustible irradié est
actuellement stocké sur les sites où il est produit ainsi que
dans les trois installations de retraitement situées en Sibérie,
à Maïak, Seversk, (Tomsk-7) et Zheleznogorsk (Krasnoïarsk-26).
Selon Vladimir Goman, Président de la Commission de la Douma sur la
Russie du Nord, le retraitement de l'ensemble du combustible irradié
(civil et militaire) accumulé en Russie devrait coûter au moins
100 milliards de dollars.
92. Des informations contradictoires ont été diffusées en
ce qui concerne la construction d'une nouvelle installation à Novaya
Zemlya pour faire face au problème critique du stockage du combustible
irradié produit par les réacteurs RBMK. Nuclear Engineering
International affirme que le Minatom envisage de construire cet
établissement à Novaya Zemlya, ce que dément Vladimir
Mankine, chercheur de haut niveau à l'Institut russe d'études et
de conception des techniques de production (VINIPI promtechnoligii). On sait
toutefois que le VINIPI a entrepris de réaliser une étude de
faisabilité sur ce projet depuis 1991. Mais l'achèvement de cette
étude est retardé faute de moyens financiers. Si l'étude
était achevée et que le Minatom décidait de construire
l'usine, le combustible irradié produit par les réacteurs RBMK
pourrait être expédié à Novaya Zemlya dans cinq ans
environ.
Le retard dans la recherche de l'efficacité
énergétique
93. A supposer établis les choix techniques et garantie la
sûreté des installations de production d'énergie de source
nucléaire, la coopération entre l'Europe occidentale et la Russie
devrait viser à améliorer l'efficacité de la distribution
de l'énergie produite qui souffre actuellement de gaspillages
considérables.
94. Ainsi, un récent rapport de M. Söran Lekberg (Suède,
Socialiste) au nom de la Commission de la science et de la technologie de
l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (doc. 8168 du 9 juillet
1998) à propos de la "Coopération en matière
d'énergie dans la région de la mer Baltique" indiquait que :
"Le rendement énergétique et l'intensité
énergétique (quantité d'énergie consommée
par rapport au PIB) sont des facteurs de disparité entre les anciens
pays communistes et les autres pays de la région de la mer Baltique.
Dans les anciens pays communistes, le rendement énergétique est
très faible alors que l'intensité énergétique est
élevée. Comparée à la moyenne de l'Union
européenne, l'intensité énergétique en Pologne et
en Lettonie est environ trois fois plus élevée, et près de
cinq fois plus élevée en Estonie et en Lituanie. Les principales
causes de ces taux élevés sont l'importance accordée
à l'industrie lourde, le mauvais état de l'ensemble des
infrastructures énergétiques (y compris les réseaux de
chauffage urbain largement utilisés) ainsi que les insuffisances de la
production dans les économies centralisées.
Plus de la moitié des logements résidentiels d'Estonie, de
Lettonie, de Lituanie et de Pologne sont reliés à des
réseaux de chauffage urbain. En Russie, la plupart des villes ont aussi
un réseau de chauffage urbain. D'un point de vue
énergétique, le réseau de chauffage urbain dans ces pays
présente une série d'inconvénients, dont le plus important
est que les usagers ne connaissent pas leur consommation car aucun compteur ne
mesure l'énergie fournie à chaque appartement ou maison. En
outre, l'isolation des murs et des fenêtres est insuffisante, d'où
une consommation de chaleur au mètre carré dans les
réseaux de chauffage urbain plus de deux fois supérieure à
celle des pays scandinaves."
95. L'amélioration de l'efficacité énergétique au
niveau de la production et de la distribution comme le développement
d'une politique d'économies d'énergie constituent des gisements
considérables de lutte contre les gaspillages, en amont, de
matières nucléaires employées dans des centrales encore
trop peu performantes. Les économies ainsi induites contribueraient
évidemment à la diminution des risques inhérents à
l'exploitation de l'énergie nucléaire.
Les risques de vols et de trafics de matières nucléaires en
provenance d'installations civiles et les tentations de transferts illicites de
technologies
96. En raison de l'insuffisance marquée des méthodes de
comptabilité des stocks et des flux des matières
nucléaires employées dans l'exploitation des centrales comme
à l'occasion du transport et du stockage, il est difficile
d'évaluer précisément l'incidence des vols et trafics.
97. Il est possible que leur portée soit parfois surestimée,
à la fois en raison des insuffisances de la comptabilité
matière évoquée ci-dessus et de la tendance de certains
médias à exagérer l'importance quantitative de
détournements, graves en eux-mêmes, et très redoutés
par l'opinion publique.
98. Ainsi, à l'occasion de l'inauguration, le 4 novembre dernier, du
Centre russe de méthodologie et de formation (RTMC) destiné
à former précisément des personnels à la
comptabilité matière, on a pu indiquer qu'une recrudescence de
cas de trafics illicites a été observée dans les
premières années qui ont suivi la saisie en août 1984 de la
"valise de Munich" contenant 363 grammes de plutonium pur à plus de 87 %
et du lithium. Selon l'Agence internationale de l'énergie atomique
(AIEA), une quinzaine de cas impliquant des matières nucléaires
ont été enregistrés entre septembre 1997 et septembre
1998, et une vingtaine d'autres impliquant des sources radioactives (227 cas
confirmés de trafic depuis 1993, et 106 pour lesquels la
réalité du trafic n'a pu être établie).
99. Par "sources radioactives", il faut entendre surtout du césium, du
cobalt et de l'iridium employés dans l'industrie, en médecine et
dans les instituts de recherche.
100. Ces sources radioactives sont très répandues et assez mal
contrôlées (y compris en Europe occidentale et aux Etats-Unis
même, où quelque 30 000 sources ou appareils radioactifs
seraient
"perdus ou non répertoriés". Les responsables
d'Interpol ne croient guère à des détournements à
des fins terroristes, ni au chantage à la contamination, par
exemple : "elles sont très dangereuses à manipuler et leurs
effets, durables et peu maîtrisables, menaceraient les criminels autant
que leurs victimes". (Cf.
Le Monde
19 septembre 1998, compte rendu du
Congrès organisé sous l'égide de l'AIEA à Dijon).
101. Si ces trafics semblent s'être ralentis au vu des prises "vraies"
(certains s'inscrivaient dans des opérations de police pour
" infiltrer " les réseaux de contrebande mafieuse les plus
dangereux), ils n'en sont pas moins préoccupants et justifient
l'extension des procédures de comptabilité matière et donc
de formation des personnels des établissements hospitaliers, des usines
et des instituts de recherche qui gèrent des sources radioactives.
102. On observera enfin que la situation actuelle dans le pays accroît le
danger de vol de matières nucléaires. La sécurité
des sites nucléaires civils était conçue au temps de la
guerre froide pour parer à tout type d'attaque extérieure par des
groupes hostiles. Cependant, le système de sécurité n'a
pas été conçu pour parer aux menaces internes. Le filtrage
des accès, les contrôles effectués par le KGB et l'absence
de marché intérieur des matières nucléaires
dissuadaient les employés de tenter de voler des matières
nucléaires. Depuis l'effondrement de l'Union soviétique, ce
système de sécurité n'a pas été mis à
jour de manière à tenir compte du nouvel environnement et des
nouvelles menaces qui en résultent.
III. La sécurité nucléaire en matière militaire
103.
Comme en matière d'exploitation civile de la force atomique, il convient
de faire un bilan avant d'évaluer les risques que comporte la situation
actuelle du complexe militaire russe.
104. L'exercice est évidemment plus difficile, s'agissant d'un domaine
qui touche aux intérêts essentiels de la Russie et doublement
sensible en raison du secret qui s'attache aux technologies mises en oeuvre
comme de la difficile adaptation de l'appareil de défense d'un pays dont
l'empire, et le pacte militaire qui le cimentait, se sont récemment
désagrégés.
105. Le bilan de l'appareil militaire nucléaire de la Russie doit
nécessairement s'inscrire dans le cadre des traités
internationaux en matière de désarmement, dont il convient
d'analyser les procédures de ratification et les retards d'application
qu'elles peuvent entraîner.
106. Ce bilan doit également comporter un développement
spécifiquement consacré au problème des sous-marins
à propulsion nucléaire.
107. Il convient également de rappeler le coût des engagements
pris.
108. On évoquera les problèmes de sécurité, au sens
large, transport et stockage, utilisation après retraitement ou
"destruction" des matières issues du démantèlement d'armes
nucléaires ; et enfin, les risques de détournement de
matériaux et/ou d'armes comme de transferts illicites de technologies
à des fins militaires.
A. Evaluation des armements nucléaires russes et de la mise en oeuvre des accords de désarmement 2( * )
109. Si
l'inventaire des sites d'exploitation civile du nucléaire en Russie est
établi, précisant les techniques employées, la puissance
de production et même les projections de démantèlement ou
de prorogation, il est évident que cet inventaire ne peut avoir le
même caractère de précision dans le domaine militaire.
110. Sans doute les experts américains, dans la mesure où ils
sont les partenaires privilégiés des Russes dans les accords de
désarmement bilatéraux, ont-ils accès à certaines
informations. Il est douteux cependant que les sites russes les plus
opérationnels leur soient ouverts. On reprendra donc les principales
données figurant dans ces accords, avant d'en évaluer la
portée réelle.
(a) Les accords internationaux
111. Le nombre des acteurs du club militaire nucléaire, malgré l'admission de fait de deux nouveaux arrivants - l'Inde et le Pakistan - demeure aujourd'hui limité. Toutefois, au sein de ce groupe, l'importance des arsenaux détenus par les Etats-Unis et la Russie a conduit ces deux Etats à négocier bilatéralement des accords de diminution et de limitation de leurs forces nucléaires, tout en étant partie prenante au processus multilatéral de désarmement nucléaire.
(b) Les traités bilatéraux entre les Etats-Unis et l'ex-URSS
Les Accords START
112. Les accords START I et START II (
Strategic arms réduction
talks
: négociations sur la réduction des armements
stratégiques) ont été respectivement signés le 31
juillet 1991 par les Etats-Unis et l'URSS et le 3 janvier 1993 par les
Etats-Unis et la Fédération de Russie. Ils ont pour objectif de
limiter, par une réduction drastique de leurs arsenaux
nucléaires, le nombre de vecteurs (missiles balistiques et
aéronefs) et de têtes nucléaires des deux grandes
puissances militaires. Ces deux traités sont le résultat de
longues et difficiles négociations, entamées par l'URSS et les
Etats-Unis au printemps 1982.
113. Ratifié par le Sénat américain le
1
er
octobre 1992 et par le Soviet suprême russe le 5
novembre 1992, le Traité START I établit un calendrier de sept
ans pour une réduction d'un tiers des arsenaux nucléaires
stratégiques américains et soviétiques. Toutes les
Républiques de l'ex-Union soviétique qui détenaient des
armes nucléaires sur leur territoire (Russie, Biélorussie,
Ukraine et Kazakhstan) ont ratifié le Traité START I qui est
officiellement entré en vigueur le 5 décembre 1994. Par le
Protocole de Lisbonne du 23 mai 1992, elles se sont engagées à
assumer les obligations découlant du traité. La Russie
étant reconnue comme gestionnaire du désarmement nucléaire
de l'ex-URSS, l'ensemble des têtes nucléaires stratégiques
entrant dans le champ d'application du traité a été
transféré fin 1996 sur le territoire de la
Fédération de Russie.
114. En dépit des difficultés d'ordre technologique, le
processus de réduction des armements nucléaires
stratégiques est pour le moment respecté. Il convient ici de
noter que le démantèlement des armes d'origine soviétique
est largement facilité par les programmes d'aide au désarmement
nucléaire soutenus par les pays occidentaux. Les Etats-Unis, au titre du
programme "Nunn-Lugar", participent pour une part essentielle à l'effort
occidental. Le Japon, le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne, le Canada, la
Suède et l'Italie, dans une moindre mesure, joignent leurs moyens pour
rendre effective la réduction des arsenaux stockés sur le
territoire de la Fédération de Russie. Il convient de rappeler
ici que la participation étrangère aux opérations de
démantèlement effectuées par les ingénieurs et
techniciens russes est, pour l'instant, exclusivement cantonnée à
l'aspect financier du programme.
115. Le tableau ci-après permet de constater que la diminution des
arsenaux nucléaires américains et russes, si elle est
effective,
s'accompagne néanmoins d'un profond
réaménagement qualitatif, notamment en ce qui concerne les
capacités des composantes maritimes. En effet, si le rapport nombre de
têtes/vecteurs sol-sol ne diminue guère (de 4,29 en 1990 contre
3,35 en 1999 pour la Russie et de 2,4 contre 2,5 pour les Etats-Unis), le
même rapport pour les composantes maritimes et aéroportées
est, lui, en augmentation.
116. Le nombre moyen de têtes nucléaires sur les missiles mer-sol
russes passera de 3 à 4, alors que celui des Américains restera
stable à 8. Par contre, pour chacune des deux parties au traité,
les ratios armes aéroportées/bombardiers sont quasiment
multipliés par deux. Toutefois, il convient de noter ici que le nombre
de bombardiers stratégiques ex-soviétiques a d'ores et
déjà enregistré une forte diminution, alors que le parc
américain enregistre, pour sa part, une progression, due
vraisemblablement à la volonté américaine de ne pas
gêner son industrie aéronautique en interrompant des programmes en
phase de fabrication.
Accords START I
ICBM
(missiles sol-sol)
ex-URSS/Russie 1 539 811 939
Etats-Unis 1 000 701 550
Têtes sur
ICBM
ex-URSS/Russie 6 612 4 144 3 153
Etats-Unis 2 450 2 451 1 400
SLBM
(missiles sol-sol)
ex-URSS/Russie 940 648 432
Etats-Unis 672 464 424
Têtes sur SLBM
ex-URSS/Russie 2 804 2 480 1
744
Etats-Unis 5 760 3 776 3 456
Bombardiers nucléaires
ex-URSS/Russie 162 118 100
Etats-Unis 258 317 209
Armes aéroportées
ex-URSS/Russie 855 916 1 552
Etats-Unis 2 353 1 755 3 700
Totaux
Nombre de vecteurs
stratégiques
Ex-URSS/Russie 2 641 1
577
1 471
Etats-Unis 1 930 1 482 989
Nombre de têtes
Ex-URSS/Russie 10 271
7 540
6 449
Etats-Unis 63 7 982 8 556
Sources: * L'année stratégique
*
*Agence
américaine
de
contrôle
des armements et du désarmement
117. La signature, par la Fédération de Russie et les
Etats-Unis, le 3 janvier 1993, du Traité START II engage les deux Etats
à poursuivre l'effort en faveur d'une limitation des armements
nucléaires en divisant globalement par le coefficient 2 les plafonds
prévus dans le premier accord.
118. La mise en oeuvre de l'accord START II devrait comprendre deux phases
successives dont les échéances ont été
reculées lors du sommet russo-américain d'Helsinki en mars 1997.
Compte tenu du report intervenu dans l'entrée en vigueur du
traité, la première de celles-ci devrait s'achever en 2004, avec
un plafond total de têtes déployées par chaque pays
fixé à 4 250 et la seconde, en 2007, avec les plafonds
suivants : 3 000 pour la Russie et 3 500 pour les Etats-Unis.
119. D'un point de vue qualitatif, le Traité START II vise
principalement à limiter le nombre de missiles sol-sol balistiques
intercontinentaux multitêtes détenus par chacune des deux grandes
puissances. En ce sens, il apparaît comme un complément
indispensable du Traité START I. Force est en effet de constater que ces
missiles constituent un segment important des arsenaux russes et
américains et que, compte tenu de leurs capacités, ils sont
perçus comme particulièrement déstabilisants en temps de
crise, la moindre activité affectant leur environnement pouvant donner
lieu à une interprétation alarmante.
120. Le Sénat américain a approuvé la ratification du
Traité START II dès le 26 janvier 1996. A ce jour, la Douma russe
ne semble toujours pas disposée à ratifier cet accord. Il semble
en effet que le Parlement russe utilise la ratification comme une arme
diplomatique. L'absence de ratification ne peut se prolonger trop longuement
sans faire peser une hypothèque, pour des raisons de délais, sur
la mise en oeuvre des clauses du traité.
121. Enfin, il convient de signaler qu'à l'occasion du sommet
d'Helsinki de 1997, les Etats-Unis et la Russie se sont engagés à
entreprendre de nouvelles négociations ayant pour objectif une nouvelle
réduction des têtes nucléaires déployées sur
des vecteurs stratégiques et l'instauration de mesures de transparence
concernant tant les inventaires de têtes que leur destruction. Le
début de telles négociations constituerait un pas important sur
la voie du désarmement.
Le Traité ABM
122. Le Traité ABM, signé entre les Etats-Unis et l'Union
Soviétique en 1972, a été conclu dans un souci de
stabilisation des rapports de force dans l'esprit des négociateurs, des
systèmes de protection contre les missiles stratégiques
balistiques trop efficaces ou en nombre trop élevé auraient eu
pour effet de rendre encore plus sophistiqués les missiles et leurs
charges utiles, et donc d'accélérer la course aux armements. Pour
ces raisons, le nombre d'intercepteurs autorisés par le traité a
été volontairement limité à 100 missiles, ceux-ci
devant être regroupés sur un seul site dont la localisation doit
être notifiée à l'autre partie. Les performances des
intercepteurs avaient volontairement été écartées
des négociations initiales afin de maintenir l'essence du traité
malgré les progrès technologiques. La pérennité de
ce traité demeure un élément fondamental de la
stabilité stratégique.
123. Les formulations imprécises du traité concernant la
définition des systèmes ABM devaient conduire les deux parties
à créer rapidement une Commission consultative permanente pour
tenter de s'accorder sur une interprétation commune de la notion de
système de défense contre les missiles balistiques
stratégiques. Jusqu'en 1995, les négociations ont essentiellement
porté sur des caractéristiques techniques (vitesse du corps de
rentrée, vitesse des intercepteurs). La volonté des Etats-Unis de
développer des défenses antimissiles, notamment pour faire face
à la prolifération des missiles balistiques, posait le
problème de la frontière entre un système défensif
capable d'intercepter des missiles balistiques stratégiques
(intercontinentaux) faisant l'objet du traité et un système ayant
pour objectif l'interception de missiles balistiques de théâtre
(courte et moyenne portée).
124. En l'état actuel des négociations, les deux parties se sont
d'ores et déjà accordées pour interdire le
déploiement de tout système antimissile dans l'espace, notamment
la mise en oeuvre de systèmes fondés sur "des principes physiques
nouveaux" (lasers) basés dans l'espace. Par ailleurs, les Russes ont
obtenu une renonciation des Américains à tester des
systèmes antimissiles de haute vélocité avant le mois
d'avril 1999, et Washington a obtenu de Moscou la faculté de poursuivre
le développement de l'ensemble des programmes antimissiles
américains.
(c) Les traités multilatéraux : la non-prolifération 3( * )
125. La
lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, au
premier rang desquelles figure l'arme atomique, constitue l'une des
priorités de la communauté internationale. Le formidable pouvoir
dévastateur et destructeur de l'atome, révélé par
les bombardements américains d'Hiroshima et de Nagasaki les 6 et 9
août 1945, devait conduire un groupe d'ingénieurs et de
techniciens américains à proposer l'institution d'un
contrôle international sur les matières nucléaires et leur
utilisation. Plus connu sous la dénomination de "rapport Franck", cette
contribution datant de 1945 constitue les prémices de la lutte contre la
prolifération qui, passant par le "plan Baruch" de 1946 et le plan
"Atoms for peace" de 1953, devait déboucher sur la conclusion du
Traité de non-prolifération (TNP) et le Traité
d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE), ainsi que
sur un ensemble de traités tendant à instituer des zones exemptes
d'armes nucléaires.
Le Traité de non-prolifération nucléaire
126. Le Traité de non-prolifération (TNP), élaboré
en 1968 et conclu pour une période initiale de 25 années, est
entré en vigueur en juin 1970. Il a été prorogé
pour une durée indéterminée le 1
er
juin 1995
à New York. Le TNP a largement contribué à asseoir les
bases du régime de non-prolifération nucléaire par le
biais d'un contrôle intégral des activités
nucléaires. Celui-ci est placé sous la surveillance de l'Agence
internationale de l'énergie atomique (AIEA), dont le siège est
à Vienne (Autriche). Depuis sa signature, le champ d'application du
régime de non-prolifération a été
complété par différentes directives portant restriction
aux exportations. En effet, les pays détenteurs de technologies
nucléaires se sont accordés pour limiter et contrôler les
matériaux et matériels susceptibles de favoriser la
prolifération nucléaire.
127. Base juridique incontestable de tout effort de lutte contre la
prolifération nucléaire, le TNP limite à cinq le nombre
des pays détenteurs de l'arme nucléaire. Par pays officiellement
détenteurs de l'arme nucléaire, il convient d'entendre les Etats
ayant procédé à une explosion nucléaire avant le
1
er
janvier 1968 (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni et
Union soviétique, qui a transféré à la Russie son
arsenal nucléaire).
128. Le TNP se décline en trois objectifs :
(i)
la limitation de la diffusion des armes nucléaires. Les
Etats signataires détenteurs d'armes nucléaires s'engagent
à ne pas transférer d'armes nucléaires ou autres
dispositifs nucléaires explosifs aux Etats non dotés de ce type
d'armement. De même, ils s'engagent à n'accepter de telles armes
d'aucun autre pays ;
(ii)
la promotion de la coopération nucléaire pacifique
assortie d'un contrôle du cycle des matières fissiles. Le
traité engage les Etats signataires à coopérer pour lutter
contre la prolifération nucléaire et à faciliter
l'application des garanties de l'AIEA aux activités nucléaires
pacifiques.
Le processus de contrôle des obligations souscrites transfère,
sous une forme contractuelle, à un organisme international l'AIEA les
opérations d'inspection.
Le système de garanties mis en place par l'AIEA, dans le cadre de ce
contrôle, prévoit un mécanisme de sanction en cas de
violation des règles édictées. Celui-ci consiste en une
alerte de la communauté internationale par le biais d'une information
à l'ensemble des pays membres et à la saisine du Conseil de
sécurité des Nations unies.
Il convient de rappeler que les inspections conduites par l'AIEA ont lieu
régulièrement sur près de mille installations
nucléaires, réparties dans plus de cinquante pays. Celles-ci
portent non seulement sur les réacteurs nucléaires, mais
également sur les installations d'enrichissement et de retraitement de
combustible, sur les sites de stockage des déchets, ainsi que sur toute
autre installation ayant un lien direct avec la fabrication et l'utilisation de
matières nucléaires ;
(iii)
le souhait à long terme d'un désarmement,
notamment nucléaire. Ce dernier objectif a été une
nouvelle fois rappelé, lors de la Conférence de 1995 des Etats
parties au traité chargée d'examiner la question de sa
prorogation : "Le désarmement nucléaire est
considérablement facilité par la détente internationale et
le renforcement de la confiance entre les Etats qui ont résulté
de la guerre froide. Les engagements pris aux termes du Traité de
non-prolifération des armes nucléaires en matière de
désarmement nucléaire doivent donc être résolument
remplis. A cet égard, les Etats dotés d'armes nucléaires
réaffirment... qu'ils sont résolus à poursuivre de bonne
foi des négociations sur des mesures efficaces relatives au
désarmement nucléaire."
129. Lors de la réunion de la Conférence de 1995 chargée
d'examiner l'opportunité de proroger les dispositions du TNP, les Etats
parties ont accompagné la prorogation de trois décisions
complémentaires au Traité. La première énonce et
réaffirme certains principes et objectifs concernant la
non-prolifération et le désarmement nucléaire. La
deuxième a trait au renforcement du processus d'examen ; elle
prévoit la tenue d'une conférence de suivi tous les cinq ans,
précédée de réunions préparatoires devant se
tenir les trois années précédant cette conférence
d'examen (les Etats membres ont tenu du 7 au 18 avril 1997 à New York
leur première réunion préparatoire à la
conférence d'examen de l'an 2000). La troisième décision
concerne la mise sous contrôle de l'AIEA de toutes les installations
nucléaires qui ne le sont pas encore.
130. A l'occasion de la première réunion préparatoire, les
cinq puissances nucléaires reconnues ont fait une déclaration
liminaire commune qui a permis de souligner les avancées faites par
chacun d'eux au titre de la réduction de leurs arsenaux
nucléaires.
Le Traité d'interdiction complète des essais
nucléaires (TICE)
131. Le Traité d'interdiction complète des essais
nucléaires (en anglais, Comprehensive test ban treaty CTBT) constitue
un élément important du dispositif international de lutte contre
la prolifération nucléaire. Adopté par l'Assemblée
générale des Nations unies le 10 septembre 1996, il est le
fruit de longues négociations qui se sont déroulées de
janvier 1994 à juillet 1996 à Genève, au sein d'un
Comité ad hoc composé de 61 pays de la Conférence du
désarmement suite à une initiative de l'Inde.
132. Par ses objectifs, il s'inscrit dans le prolongement du premier
traité concernant la limitation des essais nucléaires, conclu le
5 août 1963 entre les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Union
soviétique qui interdisait les essais nucléaires dans
l'atmosphère, dans l'espace extra-atmosphérique et sous l'eau.
Bien que n'impliquant que trois Etats, ce traité a été, de
fait, appliqué par des Etats qui n'en étaient pas signataires. Le
TICE constitue également une extension de l'accord
américano-soviétique du 3 juillet 1974 qui limitait la puissance
des essais souterrains à une charge maximale de 150 kilotonnes.
133. En proscrivant le recours aux essais nucléaires en vraie grandeur,
il interdit à d'éventuels pays candidats d'accéder
à un armement nucléaire technologiquement crédible. En
effet, s'il demeure possible de parvenir à la réalisation
d'armements nucléaires rustiques et peu perfectionnés sans un
minimum d'expérimentation, l'accès à une capacité
nucléaire militaire so-phistiquée suppose de pouvoir soit
recourir à la pratique d'essais, soit bénéficier d'une
aide extérieure.
134. En excluant également les essais de faible énergie, quelle
que que soit l'intensité de cette dernière, il arrête de
fait la course aux performances des armes nucléaires, contraignant ainsi
fortement, en pratique, le développement d'armes nouvelles par les pays
disposant déjà d'une technologie nucléaire militaire.
135. Par les restrictions qu'il apporte à l'accès aux
technologies nucléaires militaires, le TICE constitue à
l'évidence un réel complément au Traité de
non-prolifération nucléaire. L'interdiction des essais
nucléaires qu'il prévoit est assortie d'un système de
surveillance international reposant sur un dispositif de vérification
apte à détecter et à interpréter à distance
tout événement susceptible de constituer une explosion
nucléaire kilotonnique.
136. Pour entrer en vigueur, le traité doit être ratifié
par quarante-quatre Etats, membres de la Conférence du
Désarmement, possédant des capacités nucléaires de
recherche ou de production d'énergie, ce qui inclut, sans les
désigner, les cinq puissances nucléaires et les trois Etats du
seuil (Inde, Israël, Pakistan). Cette condition n'ayant pas
été atteinte dans les deux années suivant l'ouverture
à la signature du traité (huit des quarante-quatre pays requis
l'ayant ratifié), il sera fait application de la clause figurant
à l'article XIV du traité prévoyant la tenue d'une
Conférence des Etats ayant déjà ratifié, afin
d'étudier les moyens de parvenir à une entrée en vigueur
du traité. Cette conférence devrait se tenir à l'automne
1999. On notera que ni les Etats-Unis, ni la Russie ne figurent parmi les
signataires de cette convention.
Le contrôle des matières fissiles
137. L'Assemblée générale de l'ONU a adopté,
à l'unanimité, en décembre 1993, la Résolution
48/75L recommandant aux Etats membres de négocier un traité
d'interdiction universelle et de vérification de la production des
matières fissiles pour la fabrication d'armes nucléaires ou
d'autres dispositifs nucléaires explosifs (négociations
"
cut-off
"). Cette négociation a constitué l'un des
engagements pris lors de la prorogation du Traité de
non-prolifération nucléaire en mai 1995.
138. Les clauses du traité pourraient s'articuler autour des principes
suivants la fabrication des matières fissiles pour des usages civils
devra rester autorisée mais elle sera soumise à
vérification selon un système d'échanges d'informations et
un régime d'inspection dont les modalités seront à
définir.
139. En 1995, il avait été possible de trouver un accord à
la Conférence du désarmement de Genève sur le mandat de
négociation, le Pakistan renonçant à sa demande initiale
d'inclure formellement la question des stocks de matières fissiles. Cet
accord n'a pas été entériné par la
Conférence du désarmement, notamment pour des questions de
procédure et le mandat n'a pas été renouvelé en
1996. La négociation d'un traité multilatéral interdisant
la production de matières fissiles pour les armes nucléaires peut
commencer puisque la Conférence du désarmement réunie
à Genève est parvenue le 11 août 1998 à un
consensus établissant un comité ad hoc qui devra négocier
"un traité non discriminatoire, multilatéral, international et
effectivement vérifiable bannissant la production de matière
fissiles pour les armes nucléaires ou pour tout autre dispositif
d'explosion nucléaire". Nul doute cependant que la route sera longue
jusqu'à la conclusion de cette négociation, puis la ratification
du traité final, et enfin sa mise en oeuvre contrôlée.
Les déclarations conjointes russo-américaines du 2
septembre 1998
140. On ajoutera à la récapitulation de ces accords
internationaux déjà signés ou en cours de
négociation auxquels la Russie est partie, la toute récente
déclaration conjointe russo-américaine rendue publique à
l'occasion de la visite en Russie du Président William Clinton, le 2
septembre 1998
4(
*
)
.
141. Ouvert à la signature le 24 septembre 1996, le TICE a
été signé, le jour même, par 72 Etats dont la France
et les quatre autres puissances nucléaires. Bien qu'à ce jour,
149 pays aient adhéré au traité, 16 seulement l'ont
ratifié, au nombre desquels figurent la France et le Royaume-Uni. Les
Etats-Unis ont, pour ce qui les concerne, entamé la procédure de
ratification.
142. On citera les passages concernant la "Déclaration conjointe sur
les principes régissant la gestion et l'utilisation du plutonium
désigné comme n'étant plus nécessaire à des
fins de défense" :
"Le Président des Etats-Unis et le Président de la
Fédération de Russie affirment l'intention de chaque pays de
retirer progressivement environ 50 tonnes de plutonium de leurs programmes
d'armement nucléaire et de le convertir afin qu'il ne puisse plus
être utilisé dans des armes nucléaires. Ils reconnaissent
que les réductions d'armements à venir vont accroître la
quantité de ce plutonium et que les mesures destinées à en
gérer et à en réduire les stocks constituent un
élément essentiel d'une action irréversible de
réduction des armements et sont nécessaires pour faire en sorte
que ces matières ne présentent pas de risque de
prolifération.
En qualité de mesure essentielle pour parvenir à cet objectif,
les Etats-Unis et la Russie sont convenus, lors de la réunion de leur
Commission mixte de juillet 1998, d'une coopération scientifique et
technique en matière de gestion du plutonium retiré des
programmes nucléaires militaires. Nous avons établi d'un commun
accord les principes qui régiront la coopération entre nos
gouvernements en vue de réaliser les objectifs énoncés
dans la présente déclaration. Notre action actuelle se fonde sur
les résultats du sommet de Moscou de 1996 sur la sûreté et
la sécurité nucléaires et des sommets du G8 de 1997 et
1998.
Nous sommes convenus des principes ci-après :
- Les Etats-Unis et la Russie convertiront chacun progressivement environ
50 tonnes de plutonium retiré des programmes nucléaires
militaires en formes de plutonium inutilisables pour des armes
nucléaires. Nous reconnaissons qu'un stockage provisoire sera requis
pour ces matières.
- Les deux gouvernements coopéreront pour parvenir à cet
objectif grâce à la consommation de combustible à base de
plutonium dans les réacteurs nucléaires existants (ou dans ceux
qui pourront être mis en service au cours de cette coopération) ou
grâce à l'immobilisation de plutonium sous forme vitrifiée
ou céramique en mélange avec des déchets à haut
degré de radioactivité.
- Les Etats-Unis et la Russie espèrent que cette action globale de
gestion et d'utilisation du plutonium s'inscrira dans un large cadre
multilatéral et appellent de leurs voeux une coopération et une
coordination étroites avec d'autres pays, notamment ceux du G8. Ils se
proposent par ailleurs d'encourager le partenariat avec l'industrie
privée.
- En coopération avec d'autres, les Etats-Unis et la Russie mettront en
place et exploiteront, dès que cela sera possible en pratique et
conformément à un calendrier qui sera négocié entre
les deux gouvernements, une première série d'installations
industrielles de conversion du plutonium en combustible destiné aux
réacteurs existants susmentionnés.
- Les modalités des programmes de coopération en matière
de gestion et d'utilisation du plutonium seront définies d'un commun
accord par les participants à ces programmes.
- Dans le cadre de cette action de gestion et d'utilisation du plutonium, les
Etats-Unis et la Russie chercheront à mettre au point des
méthodes et des technologies acceptables pour des mesures de
transparence, y compris des mesures internationales appropriées de
vérification et des normes rigoureuses de protection physique, de
contrôle et de comptabilisation pour la gestion du plutonium.
- Nous reconnaissons également qu'il sera nécessaire de convenir
d'arrangements financiers appropriés pour mener à bien cette
action.
Les deux Parties mettront au point des stratégies de gestion et
d'utilisation du plutonium en tenant compte de l'accord de juillet 1998, ainsi
qu'un accord bilatéral fondé sur les principes
énoncés par la présente déclaration. Elles
entreprendront promptement la négociation de cet accord bilatéral
en vue de sa conclusion d'ici la fin de l'année en cours."
143. D'autres paragraphes traitent de la lutte contre la prolifération
nucléaire sous l'intitulé : "Déclaration conjointe sur les
menaces communes contre la sécurité au seuil du XXI
e
siècle" et affirment :
"Nous sommes conscients du fait que le danger le plus grave et le plus
pressant provient de la prolifération des armes nucléaires,
biologiques, chimiques et autres armes de destruction massive, de leurs
technologies de production et de leurs vecteurs. Considérant
l'interdépendance croissante du monde moderne, ces menaces
acquièrent un caractère transnational et planétaire et
n'affectent pas uniquement la sécurité nationale des Etats-Unis
et de la Fédération de Russie mais également la
stabilité internationale. Nous réaffirmons la
détermination des Etats-Unis et de la Russie à coopérer
activement et étroitement, entre eux comme avec tous les autres pays
intéressés, pour prévenir et réduire cette menace
en adoptant de nouvelles mesures, en recherchant de nouvelles formes de
coopération et en renforçant les normes internationales
généralement admises.
Admettant qu'il convient de faire davantage, nous avons adopté
aujourd'hui un ensemble de mesures afin de renforcer non seulement notre propre
sécurité mais également celle du monde. Nous exprimons
notre ferme attachement à l'intensification des négociations en
vue de mener promptement à bien la rédaction du protocole
à la Convention sur les armes biologiques. Nous nous engageons
actuellement dans une coopération nouvelle et importante en vue de
réduire les risques de fausse alerte portant sur des attaques par
missiles. Nous avons également établi d'un commun accord les
principes qui régiront notre coopération en matière de
gestion et d'utilisation du plutonium provenant des programmes d'armement
nucléaire afin qu'il ne puisse plus jamais être utilisé
pour des armes nucléaires.
Leurs engagements communs ont fait des Etats-Unis et de la Russie des
partenaires dans la définition des fondements d'un régime
international de non-prolifération, notamment le Traité de
non-prolifération des armes nucléaires, les garanties de l'AIEA,
la Convention sur les armes biologiques et toxiques et le Traité
d'interdiction généralisée des essais nucléaires.
La Russie et les Etats-Unis réaffirment leur attachement à
l'objectif d'une adhésion de tous les pays au Traité de
non-prolifération des armes nucléaires sous sa forme actuelle non
modifiée. Ils sont également attachés aux directives
renforcées du Groupe des fournisseurs nucléaires. En leur
qualité de participants à la Conférence du
désarmement, ils ont conjointement acquis le succès de la
négociation de la Convention sur les armes chimiques et du Traité
d'interdiction généralisée des essais nucléaires,
et appellent tous les pays à adhérer à ces traités.
Guidés par ces obligations, ils ont adopté d'importantes mesures
pratiques pour réduire la menace nucléaire dans le monde et pour
contrôler les transferts de technologies sensibles. Ils demeurent
profondément préoccupés par les essais nucléaires
en Asie du Sud-Est et réaffirment leurs engagements de coordination
étroite du soutien à l'ensemble des mesures
énoncées par le communiqué conjoint du P-5, tel
qu'approuvé par le G8 et par le Conseil de sécurité des
Nations unies.
Le Traité START et les initiatives prises par les Présidents
des deux pays en 1991-1992 en matière de réduction des armements
nucléaires aideront à parvenir à l'objectif final du
désarmement nucléaire et à développer la
sécurité internationale. Nous avons éliminé
ensemble plus de 1 700 bombardiers lourds et lanceurs de missiles, dont
plus de 700 silos de lancement, 45 sous-marins capables de lancer des missiles
nucléaires, et désactivé ou éliminé plus de
18 000 ogives nucléaires stratégiques ou tactiques.
Réaffirmant notre attachement au respect rigoureux des obligations qui
découlent pour nous des Traités START I et ABM, nous sommes
résolus à coopérer afin d'assurer l'entrée en
vigueur du Traité START II. Dès la ratification de ce
traité par la Russie, les Etats-Unis et la Russie engageront des
négociations en vue de réduire les niveaux d'armement dans le
cadre d'un Traité START III.
A la suite des larges réductions de leurs forces nucléaires,
les Etats-Unis et la Russie disposent de stocks importants de matières
nucléaires qui ne sont plus nécessaires à des fins de
défense. Ils demeurent attachés à l'idée d'assurer
à ces stocks et aux autres stocks de matières fissiles
utilisables pour l'armement un maximum de sécurité, et
réaffirment l'importance que revêt l'application de l'accord de
coopération scientifique et technique conclu en juillet 1998 entre le
Vice-Président des Etats-Unis et le Premier ministre de la
Fédération de Russie en matière de gestion du plutonium
retiré des programmes nucléaires militaires.
Nous réaffirmons notre engagement de continuer à
coopérer en matière de contrôle des exportations,
élément essentiel de la non-prolifération. Nos
gouvernements ont mis en place dernièrement un mécanisme
complémentaire de coopération dans le domaine des exportations de
technologies sensibles. A cette fin, nous sommes convenus, au cours de notre
rencontre de ce jour, d'instituer des groupes d'experts sur les questions
nucléaires, les technologies et celles des missiles, les questions de
conformité interne, les contrôles des transferts d'armes
classiques, ainsi que l'application des normes juridiques, les questions
douanières et les licences, afin de renforcer la coopération et
de mettre en oeuvre des programmes spécifiques d'assistance et de
coopération bilatérales. Ces groupes seront constitués
dans le courant du mois à venir et entreprendront leurs activités
pratiques sans retard. Il a également été mis en place un
canal protégé de communication entre les hauts responsables des
deux pays qui permettra de procéder rapidement et confidentiellement
à des échanges d'informations sur les questions de
non-prolifération...."
L'arsenal des armes nucléaires tactiques
144. Le déploiement des armes nucléaires tactiques est
réparti entre les armes suivantes : l'armée de terre, la
marine, la défense aérienne et l'armée de l'air. Ces
armements sont également un sujet de préoccupation. On n'en
connaît pas le nombre exact, mais d'après les estimations des
experts, il serait compris entre 15 000 et 20 000 unités,
4 000 d'entre elles étant véritablement
déployées. A la différence des ogives stratégiques,
qui ont largement mobilisé l'attention des gouvernements et des
médias, les ogives tactiques ont été dangereusement
négligées. Plusieurs raisons expliquent ce relatif
désintérêt : leur portée étant
limitée au champ de bataille, ces ogives ne constituent pas vraiment une
menace directe pour les autres gouvernements en temps de paix ; le
démantèlement des ICBM et des SLBM étant
déjà onéreux, si l'on y ajoute celui des armes
nucléaires tactiques, cela renchérit les coûts, ce que
l'économie russe aurait du mal à supporter.
145. Ce qui inquiète à propos des armes nucléaires
tactiques, c'est que la gestion de leur sécurité ne répond
pas aux normes occidentales et est relativement peu fiable. Leur nombre
important, leur dispersion sur de nombreux sites et leur petite taille
augmentent les risques de prolifération et de fuite. Comme sur de
nombreux autres sites nucléaires autour de la Russie, la
sécurité des installations d'armes nucléaires tactiques
repose davantage sur les hommes que sur les systèmes de protection et de
surveillance électroniques. De même, elles se focalisent sur les
attaques terroristes extérieures, ignorant donc les menaces ou les vols
qui pourraient venir de l'intérieur. Le vol est facilité par la
taille des armes nucléaires tactiques qui, à la différence
des ICBM stratégiques, sont relativement petites, qu'il s'agisse des
grenades, des mines ou des obus d'artillerie. Les missiles de croisière,
par exemple, sont dotés de verrouillages mécaniques, mais avec
les instruments appropriés, du temps et quelques connaissances, il
paraît possible de faire sauter ces verrous. Seules les armes
nucléaires stratégiques sont pourvues du PAL, système qui
met l'arme hors service si quelqu'un pénètre dans un site
nucléaire. Malheureusement, les armes tactiques n'en sont pas
équipées.
146. Lorsque la Russie a rapatrié ses armes nucléaires tactiques
après l'effondrement de l'URSS, elle s'est trouvée
confrontée au même problème de stockage que pour ses forces
stratégiques. Avant l'effondrement de l'URSS, le Minatom et le
ministère de la défense avaient 90 sites de stockage d'armes
nucléaires. Malheureusement, environ la moitié étaient
situés hors du territoire de la Russie ; les sites restants, en
Russie, tout comme d'autres sites de stockage civils, sont saturés, pour
ne pas dire surexploités, ce qui rend leur sécurité
très douteuse.
147. Les fonctionnaires russes ne cessent de démentir le fait que des
ogives nucléaires sont portées manquantes. Le point de vue des
gouvernements des Etats-Unis et de l'Occident est ambigu à cet
égard. Malheureusement, en raison du manque de transparence et du peu de
fiabilité des systèmes de comptabilité, il n'est
guère possible de confirmer ou d'infirmer les dires du gouvernement
russe. Tandis que la communauté internationale considère avec
pessimisme les déclarations russes, il semble qu'il y ait
désaccord entre les fonctionnaires russes eux-mêmes. En 1995, le
Général Masline, Chef des forces stratégiques du Bureau
central, a confirmé qu'un inventaire des ogives était
effectué deux fois par an. Durant cet inventaire, les ogives sont
descellées et inspectées pièce par pièce.
Malheureusement, selon un fonctionnaire du Minatom, cette opération n'a
pour objet que de vérifier les équipements électroniques
à l'intérieur de l'ogive, non de s'assurer que les composants
nucléaires sont toujours présents. Ainsi, un vol commis de
l'intérieur par un initié peut passer inaperçu pendant
longtemps
5(
*
)
.
Le problème spécifique des sous-marins nucléaires
148. Le problème de la flotte russe de sous-marins est certainement le
plus grave et le plus urgent, qu'il s'agisse des bâtiments de la flotte
du Nord dont le quartier général est à Severomorsk et dont
les bases principales, situées à Mourmansk et au large de la
presqu'île de Kola, présentent un fort risque de contamination des
eaux et donc, à plus ou moins long terme, un risque qui pourrait
atteindre la Suède et la Finlande, et les Etats baltes ; ou qu'il
s'agisse de la flotte du Pacifique, dont le quartier général est
à Vladivostok, avec les mêmes risques de contamination, mais,
cette fois, de la mer du Japon.
149. Les sous-marins présentent un double risque nucléaire : du
fait de leur propulseur utilisant la force atomique (le problème est le
même pour les brise-glaces mis hors service). Le défi est alors le
démontage de ces propulseurs et de tous les éléments
contaminés, le transfert à terre de ces pièces, leur
transport, leur stockage et enfin leur traitement.
150. Le second risque tient évidemment au démantèlement
des armes nucléaires dont certains sont porteurs.
151. En raison de la gravité même de ces risques, le
problème sera traité dans la deuxième partie de ce
chapitre.
B. Les risques induits par
l'arsenal militaire russe
152.
S'il n'est pas question de contester à ce grand pays le souhait
légitime d'assurer sa défense dans un monde instable, on ne
saurait nier que l'importance de l'arsenal encore détenu pose de
difficiles problèmes techniques et, plus encore, financiers pour
l'exécution du désarmement, ces problèmes revêtant
un caractère de dangerosité immédiate, s'agissant des
sous-marins ; au surplus, ces engagements ne sont pas dépourvus
d'ambiguïté ; enfin, la détention d'un pareil arsenal
comporte d'immenses risques internes, mais aussi un danger multiforme de
prolifération.
Difficultés techniques et coût du
démantèlement
153. A supposer même tous les blocages politiques et administratifs
levés, resteraient les difficultés techniques que
représentent le démantèlement d'armes aussi nombreuses, et
surtout le coût de ces opérations.
154. Un "état des lieux" des accords de désarmement
bilatéraux entre les Etats-Unis et la Russie, ou multilatéraux,
la prise en compte des risques spécifiques de la flotte de sous-marins
nucléaires, ainsi que l'évaluation des stocks d'armes
nucléaires tactiques, laissent apparaître un triple risque :
- d'une part, la mise en oeuvre des engagements souscrits exige des efforts
techniques et financiers à la mesure de l'arsenal à
démanteler, et peu en accord avec la situation actuelle en Russie ;
- d'autre part, la portée réelle des engagements de la Russie
dans le cadre des accords de désarmement est suspendue à
l'accomplissement de procédures de ratification qui se heurtent à
des difficultés qui ne sont peut-être pas toutes involontaires.
Cette portée est encore relativisée par la poursuite probable de
recherches et l'élaboration de nouvelles armes, le
démantèlement portant sur des armes anciennes ;
- enfin, les menaces terroristes internes comme externes, les risques de
trafics de matières nucléaires et/ou d'armes comme de transferts
illicites de technologies militaires sont particulièrement
préoccupants compte tenu de l'état de certaines installations,
d'inégalités de recrutement des hommes, et du "marché",
dans un monde instable, pour les armes et le savoir-faire nucléaires.
155. L'ère nouvelle qui a succédé à la guerre
froide a été perçue comme la fin de la menace d'une guerre
nucléaire entre les superpuissances. Cependant, l'éclatement de
l'Union soviétique a mis en évidence un certain nombre de
problèmes nouveaux, notamment dans le domaine du nucléaire
militaire. A mesure de la divulgation d'informations plus complètes sur
le complexe nucléaire de la Russie, on a pris conscience des incidences
de la démilitarisation nucléaire. La réduction du nombre
des missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) et des missiles balistiques
lancés de sous-marins (SLBM) était une opération
coûteuse et de longue haleine. Il devenait évident que la
situation économique de la Russie ne permettrait pas au gouvernement
russe d'aborder le problème de la démilitarisation
nucléaire de la même manière qu'aux Etats-Unis. Les
crédits disponibles pour la gestion des sites nucléaires civils
et militaires étaient et sont toujours largement insuffisants.
156. Les Traités START visant à la réduction des forces
nucléaires militaires en Russie ont un objectif respectable. Mais compte
tenu de la situation économique actuelle dans ce pays, ils pourraient
accroître les difficultés de la Russie dans le domaine
nucléaire. Le démantèlement des armes nucléaires
est long et coûteux. Les stocks d'armes nucléaires russes ont
atteint leur maximum en 1986 avec 45 000 ogives et, d'après
les chiffres de 1996, leur nombre se situerait entre 25 000 et
30 000 : on estime à l'heure actuelle que la Russie
détruit de 2 000 à 3 000 armes nucléaires
par an. Comme le souligne Graham Allison dans
Avoiding Nuclear Anarchy,
"[...] entre 1993 et 2003, la Russie démantèlera de 15 000
à 20 000 armes supplémentaires et en regroupera 12 000
autres, ce qui lui laissera un stock opérationnel de 3 000 armes
stratégiques et de 4 000 armes tactiques, plus une réserve
de 4 000 armes, en supposant qu'il n'y ait pas de nouvelle production".
157. Le coût du démantèlement des armes nucléaires
et des lanceurs prévu par les Traités START est
stupéfiant. Comme il a déjà été dit, la
destruction d'une arme nucléaire ne s'arrête pas au
démantèlement. Le stockage et le retraitement des matières
fissiles et autres composants résiduels sont un sujet de
préoccupation. Des militaires russes estiment le coût de la mise
en oeuvre des Traités START entre 90 et 95 milliards de roubles
(soit environ 6 milliards de dollars d'après des estimations de
1992)
6(
*
)
Victor Mikhailov, qui
dirige le Minatom, a déclaré que le démantèlement
d'une seule ogive nucléaire coûtait 100 000 dollars. Si
l'on tient compte du fait que la Russie en démantèle entre
2 000 et 3 000 par an, le coût du démantèlement
des armes nucléaires se situe aux alentours de 200 à 300 millions
de dollars par an. Ces chiffres ne portent toutefois que sur les ogives. On
estimerait le coût du démantèlement d'un sous-marin
nucléaire à environ 5 milliards de roubles. Entre 1989 et
2000, la Russie devrait mettre au rebut plus de 160 sous-marins
nucléaires.
158. Si les armes nucléaires russes représentent un danger,
celui-ci ne provient pas des sites eux-mêmes, mais du
démantèlement et de la maintenance. Les armes nucléaires
soviétiques n'ont pas été conçues pour avoir un
cycle de vie limité, ce qui signifie qu'environ 10 % des armes
déployées sont constamment déplacées par voie
ferroviaire ou routière aux fins de maintenance ou de
démantèlement. Leur transport s'effectue bien entendu dans des
conteneurs spéciaux sous escorte de forces de sécurité
d'élite. Les armes nucléaires et leurs composants sont sous le
contrôle et la responsabilité du ministère de la
défense jusqu'à leur arrivée sur les sites de maintenance,
où elles passent sous le contrôle du Minatom.
159. Une fois que les armes nucléaires ont atteint les sites de
démantèlement et de maintenance, le Minatom peut soit stocker les
composants de matières fissiles, soit les rediriger vers leur site
d'assemblage initial pour la poursuite du démantèlement. Le
processus de démantèlement lié à la destruction
d'armes nucléaires engendre toute une gamme de matières et
composants fissiles qui peuvent être soit détruits, soit
recyclés. L'uranium hautement enrichi est la matière fissile la
plus fréquemment recyclée car il peut être
transformé en uranium faiblement enrichi. L'uranium faiblement enrichi
est alors utilisé par les réacteurs civils. L'uranium hautement
enrichi peut également être utilisé, comme le plutonium,
pour de nouvelles armes nucléaires. Ou bien l'uranium hautement enrichi
et le plutonium peuvent être rendus impropres à l'usage militaire,
ce qui nécessite un autre traitement. Les armes nucléaires
contiennent de l'uranium hautement enrichi ou du plutonium, et parfois
même les deux. Ces deux éléments constituent encore un
grand danger tant que leur enrichissement n'a pas été
diminué, ce qui permettrait alors de les utiliser comme combustible
civil.
160. Dans le cadre des Traités START, la Russie, après les
Etats-Unis, a déclaré qu'elle possédait 50 tonnes de
plutonium de qualité militaire dont elle n'avait plus besoin pour sa
défense. Cette quantité figure d'ailleurs à nouveau dans
la Déclaration conjointe américano-russe du 2 septembre 1998. Il
y a deux manières de traiter le plutonium : la première
consiste à le transformer en Mox, oxyde mixte, la seconde est la
vitrification. Le plutonium transformé en Mox peut ensuite être
utilisé dans les réacteurs à eau légère aux
Etats-Unis et en Russie ou dans les réacteurs Candu à eau lourde
au Canada
7(
*
)
. Après
vitrification, les déchets sont stockés en vue d'être
éliminés à long terme. L'inconvénient de la
vitrification est qu'elle nécessite un bâtiment spécial
pour le stockage, ce que n'ont pas les Russes et dont ils auraient probablement
du mal à financer le coût élevé. Le Mox et la
vitrification seront probablement utilisés par les Etats-Unis pour
traiter le plutonium issu du démantèlement de leurs armes. La
Russie a choisi la même voie. Les Etats-Unis et la Russie avancent au
même pas.
161. Une partie du problème concernant le plutonium de qualité
militaire est que la Russie le considère toujours comme une ressource
négociable. Tout comme la marine avec ses sous-marins, le Minatom
considère que son plutonium a une certaine valeur car il a investi pour
le produire. La destruction du plutonium n'est donc pas une option ayant la
faveur du gouvernement russe, qui préfère le convertir en
combustible pour les réacteurs nucléaires. Actuellement, il est
prévu d'utiliser le Mox issu du plutonium militaire dans les
réacteurs existants.
L'ampleur du problème des sous-marins
162. En raison naguère de l'absence de prise en considération
des risques environnementaux et maintenant du manque de crédits et, par
conséquent, de l'insuffisance de la maintenance, la flotte est dans un
état de délabrement notable. Selon diverses sources militaires,
presque la moitié des sous-marins diesel et nucléaires est hors
d'état de prendre la mer. Certains bâtiments en seraient au point
de rouiller à quai alors que les réacteurs nucléaires sont
toujours à bord. Un certain nombre de programmes, tant bilatéraux
que multilatéraux, ont été lancés par divers pays
scandinaves afin de faire face aux menaces que font peser les bâtiments
et sous-marins nucléaires russes.
163. Sur les 154 sous-marins nucléaires de la marine russe mis hors
service, seuls 31 ont été envoyés à la casse. Sur
les 123 restants, 19 seulement ont été vidés de leur
combustible, ce qui signifie que 104 sous-marins ont toujours leur charge
nucléaire, ce qui ne serait pas inquiétant si la marine russe
disposait des installations et de l'argent nécessaires pour les
maintenir à flot. Les sous-marins russes se répartissent en gros
entre la flotte du Pacifique et la flotte du Nord. A l'heure actuelle, sur les
92 sous-marins qui ont été retirés du service dans la
flotte du Nord, 27 seulement n'ont plus leurs barres de combustible. Les
réacteurs nucléaires de la marine sont stockés dans la
baie de Saida, dans la presqu'île de Kola, et à Severodvinsk. Sur
les 62 sous-marins de la flotte du Pacifique mis hors service, 23 seulement ont
fait l'objet d'un déchargement du combustible. Les réacteurs sont
stockés dans la baie de Chazma. Le combustible nucléaire
retiré des sous-marins est ensuite théoriquement
expédié à Maïak pour y être retraité.
164. Il y a encore quelques années, les réacteurs des
sous-marins mis hors service étaient simplement jetés à la
mer, ce qui représentait un très grave danger pour
l'environnement. Du combustible radioactif a été
déchargé en mer pour la dernière fois en 1993.
Pressée par la communauté internationale de mettre fin à
de telles pratiques, la Russie a décidé d'avoir recours à
un procédé plus propre et plus sûr pour la mise hors
service des sous-marins nucléaires. Malheureusement, les
difficultés économiques ont conduit à une querelle entre
la marine et d'autres institutions à propos de la mise au rebut. La
marine conteste depuis 1995 la procédure établie, qui consiste
à se défaire, au profit de l'industrie, de bâtiments
désarmés sans contrepartie financière : la marine
cherche à tirer des revenus de la mise au rebut des sous-marins. Ce
problème est étroitement lié à toute une
série d'autres problèmes, à savoir qu'il ne sera possible
d'obtenir un profit de la mise au rebut des sous-marins nucléaires que
si le processus de démantèlement s'intensifie et si son
coût diminue. Cette nouvelle série de problèmes met en
lumière la situation générale des infrastructures qui
gèrent le combustible et les composants radioactifs de la flotte
nucléaire. L'ensemble du mécanisme (c'est-à-dire le
démantèlement, le stockage, le transport et le retraitement du
combustible irradié) est au point mort.
165. L'acheminement du combustible irradié des chantiers navals vers
Maïak pour le retraitement entre dans le cadre de ce
problème : le coût du transport augmente (la marine doit
payer 2 millions de dollars pour chaque transport ferroviaire) et ces
services sont irréguliers. En 1997, le seul train spécial qui
transportait du combustible irradié à Maïak a
été retiré du service pour réparation pendant plus
de six mois et il n'a effectué qu'un seul transport. Le rythme du
retraitement à Maïak s'est ralenti en raison essentiellement de la
décision prise par le Gosatomnadzor (GAN) de suspendre l'autorisation
accordée à l'entreprise de retraiter le combustible
irradié. Ce qui est encore plus inquiétant, c'est que d'ici
à l'an 2000, la marine aura accumulé plus de 105 000
assemblages de combustible irradié. La rareté des transports
ferroviaires vers Maïak, liée au manque de fonds, a conduit la
marine à stocker le combustible irradié dans des installations
obsolètes et inadaptées.
166. Une fois de plus, le manque de moyens financiers a constitué un
facteur important de l'effondrement du système : en 1996, sur un
budget total de 100 millions de dollars, seuls 16 millions ont
été affectés à la mise hors service des sous-marins
et, plus grave encore, une grande partie de cet argent a servi à payer
les arriérés de salaires des employés des chantiers
navals.
167. Le stockage du carburant et du combustible irradié de la marine
russe est également un sujet constant de préoccupation. A la
différence des sites d'armes nucléaires, les installations de
stockage de combustible de la marine sont connues pour leur niveau de
sécurité insuffisant. Un nombre alarmant de vols de combustible
nucléaire y a été commis. Selon David Potter, Directeur du
Centre d'études sur la non-prolifération à l'Institut
d'études internationales de Monterey, et Oleg Boukharine, du Centre
d'études sur l'énergie et l'environnement à
l'Université de Princeton, un certain nombre de dispositifs simples,
tels que des caméras de surveillance, ont été
proposés pour accroître la sécurité dans ces
installations, mais la marine a décidé d'y renoncer en raison de
leur coût. La mise en place de "garanties relatives au combustible naval
russe est également compromise par la confusion qui règne entre
les différentes instances compétentes pour les systèmes de
protection, de contrôle et de comptabilité des matières.
Six organes gouvernementaux au moins le Minatom, la marine, le Comité
d'Etat pour l'industrie de défense (Goskomoboronprom), le
ministère des transports, le Bureau fédéral du
contre-espionnage (FSK) et le Gosatomnadzor ont exercé à un
moment ou à un autre une responsabilité dans le transport, le
stockage et la protection du combustible naval non encore utilisé ".
168. Incontestablement, la réponse au problème de la
récupération des matériaux nucléaires
immergés et des propulseurs encore en place dans des bâtiments
abandonnés ou entreposés sur un brise-glace amarré non
loin des zones habitées doit être la priorité de toute
coopération avec la Russie.
169. Les responsables rencontrés au cours de la mission en sont
d'ailleurs tous convenus, y compris des responsables militaires.
170. L'entrevue organisée avec le Contre-Amiral Nicolaï Yourassov,
Inspecteur en chef de l'inspection de la surveillance d'Etat dans le domaine
nucléaire au ministère de la défense, mérite
d'être traitée à part. La mission du Contre-Amiral consiste
à contrôler les matières nucléaires depuis la
conception jusqu'à l'utilisation des armes ou des installations
nucléaires. Le Contre-Amiral Yourassov nous a informés que, dans
le contexte de la réduction des armements nucléaires, de
très nombreux sous-marins ont été retirés du
service à une époque où les capacités industrielles
n'étaient pas prêtes à faire face à la situation.
Sur un total d'environ 150 sous-marins retirés du service, une centaine
contiennent encore leur combustible nucléaire, non pas à la suite
de problèmes techniques, mais à son avis pour des raisons
exclusivement financières.
171. Actuellement, il existe des accords bilatéraux avec la
Norvège et les Etats-Unis et des accords trilatéraux entre la
Russie, la Norvège et les Etats-Unis. Les accords passés avec la
Norvège concernent l'achat de wagons spéciaux pour le transport
du combustible nucléaire jusqu'à l'Oural ainsi qu'une dizaine de
projets différents qui, du côté russe, font intervenir le
ministère de la défense, celui de l'économie et le Minatom.
172. Les accords liant la Russie et les Etats-Unis (Institut de
l'énergie et Département de la défense) portent sur une
série de programmes dont certains sont en cours et vont de la
construction de dépôts pour le stockage des matières
nucléaires à Severomorsk, dans la péninsule de Kola, non
loin de Moursmansk, au financement du démantèlement des
sous-marins nucléaires situés dans la région du Pacifique,
près de Vladivostok.
173. Il n'est pas nouveau d'affirmer que le problème posé par le
démantèlement des sous-marins nucléaires, notamment par
leur transport et leur stockage dans des conditions acceptables, constitue une
bombe à retardement aux effets imprévisibles sur l'ensemble de la
planète et en particulier sur notre continent. Les délais
nécessaires pour résoudre ce problème sont
écoulés, et le Contre-Amiral Yourassov, interrogé sur les
échéances dont nous disposons pour y faire face, a répondu
qu'il aurait fallu le traiter hier.
174. Aussi votre rapporteur manquerait-il au devoir d'équité en
n'appelant pas les autorités russes à examiner avec
clémence le cas du Colonel Nikitine qui n'a fait que déclarer un
peu plus tôt ce que tous reconnaissent aujourd'hui, afin de ne pas
illustrer la maxime de Chamfort qui veut qu'on mette en prison ceux qui sonnent
le tocsin tandis qu'on laisse courir ceux qui ont allumé l'incendie.
175. Enfin, s'agissant des sous-marins nucléaires, alors même que
tous s'accordent à dire qu'il est déjà bien tard pour
limiter les risques de contamination du milieu marin, on ne peut que regretter
que la non-ratification par la Douma des Conventions de Vienne sur la
responsabilité civile et de Londres sur l'immersion des matières
nucléaires bloque la mise en oeuvre des programmes de coopération.
176. En effet, les technologies existent qui permettraient le transfert
à terre de matériaux puis leur retraitement afin de les
transformer en combustible civil, des financements également.
177. Elément des jeux de pouvoir entre l'exécutif et le
législatif et/ou lenteur des procédures encore mal
maîtrisées, quoi qu'il en soit, la ratification des Conventions de
Vienne et de Londres est une tâche urgente puisque, encore une fois, tous
les responsables russes rencontrés lors de la mission ont indiqué
que " pour parer au risque représenté par les sous-marins
nucléaires, c'est hier qu'il aurait fallu agir ! "
La portée relative des engagements de désarmement souscrits
par la Russie dans le cadre des Traités START I et START II ainsi
que les autres accords internationaux
8(
*
)
178. On peut se demander où en sont aujourd'hui, en effet, du point de
vue de leurs effets pratiques, les deux traités START I et START II.
179. Il est vrai qu'en apparence, le Traité START I a abouti
momentanément à une diminution effective des arsenaux
nucléaires américains et russes. Dans la réalité,
cette diminution quantitative s'accompagne d'un profond
réaménagement qualitatif des performances destructrices. Ceci
apparaît très clairement si l'on fait le rapport du nombre de
têtes nucléaires sur les divers systèmes d'emport.
180. Ces rapports ont évolué de la façon suivante entre
1990 et 1998 :
- pour les vecteurs sol-sol, Russie 4,9--> 3,3 5 ; Etats-Unis -> 2,5 ;
- pour les composants maritimes, Russie 3 --> 4 ; Etats-Unis stable
à 8 ;
- pour les bombardiers, les rapports sont quasiment multipliés par
deux. De surcroît, le nombre de bombardiers stratégiques
lui-même a enregistré une progression en raison du souci
américain de maintenir le niveau de plan de charge de l'industrie
aéronautique au cours de la crise récente.
181. Quant au Traité START II signé en janvier 1993, deux
échéances successives avaient été prévues
pour marquer les franchissements de seuils à la baisse. Ces
échéances ont été repoussées lors du sommet
russo-américain d'Helsinki de mars 1997. Désormais, il est
prévu que la première phase de baisse des armements ne
s'achèvera qu'en 2004, la seconde en 2007. D'ici là, il peut se
passer bien des choses.
182. Mais il y a plus : la non-ratification du traité par la Douma
russe, laquelle affiche clairement sa volonté de ne pas ratifier. En
fait, cette attitude constitue sans doute un élément de pression
dans d'autres négociations diplomatiques.
183. On pourrait considérer que cette partie de bras de fer se
résoudra à terme rapproché. Mais, d'ores et
déjà, le retard pris hypothèque, pour de simples raisons
de délais en amont, la réalisation des clauses du traité
aux échéances ci-dessus, après prorogations. A
l'évidence, les échéances ne seront pas tenues.
184. Le Traité antimissiles balistiques, dit Traité ABM, conclu
entre les Etats-Unis et l'Union soviétique en 1972, partait d'une
remarquable constatation de bon sens. Dans l'éternelle
compétition entre l'épée et le bouclier, on
décidait d'interrompre le perfectionnement du bouclier. En limitant les
progrès dans la protection antimissile, on évitait la course
visant à rendre toujours plus sophistiqués et performants les
missiles eux-mêmes et leurs charges utiles. Qu'en a-t-il
été ?
185. En fait, les recherches se sont poursuivies sur les lasers de
neutralisation et sur les antimissiles de haute vélocité. Tant et
si bien que "les hautes parties contractantes" en ont été
réduites à un troc intervenu récemment et bien
dérisoire : les Américains ont renoncé à tester la
haute vélocité avant le mois d'avril 1999, obtenant de Moscou en
contrepartie la faculté de poursuivre les études et
développements sur tous les autres aspects de leur programme
antimissile. On connaît, à cet égard, les échecs
répétés (au nombre de sept successifs dont quatre en
conditions réelles d'interception) enregistrés par Lockheed
Martin sur son missile d'interception.
186. De fait, l'on sait que les Américains veulent se doter à
court terme d'un système antimissile de théâtre
d'opération et la presse a déjà fait état de leurs
expérimentations sur les lasers de neutralisation.
187. Mais il y a plus. Un projet de sanctuarisation du territoire national
américain par système antimissile global a été
récemment présenté au Congrès par les
Républicains. Faute de la majorité des deux tiers il manquait
une seule voix sur les soixante nécessaires le projet a
été repoussé.
188. Cependant, les récentes élections au Congrès des
Etats-Unis ne semblent pas devoir faciliter l'adoption prochaine de ce projet.
189. Le risque est, pour l'Europe, non protégée, de redevenir
à terme le champ de bataille avancé en cas de conflagration
grave. Tel est, dans ses grandes lignes, l'état actuel du Traité
ABM.
190. Le TNP, Traité de non-prolifération, a connu un sort
identique. Base juridique incontestable de tout effort de lutte contre la
prolifération nucléaire, le TNP portait cependant en germe son
propre système autodestructeur. Pour endiguer la prolifération,
il prétendait limiter à cinq le nombre de pays diplomatiquement
et militairement autorisés à détenir l'arme
nucléaire.
191. Dès sa signature, il apparaissait comme un trompe-l'oeil. D'abord
en raison de son caractère ségrégatif, ensuite, parce que,
de notoriété publique, un sixième Etat, Israël,
était implicitement autorisé à posséder des
têtes nucléaires et des vecteurs d'emport et donc à
déroger au principe qui venait d'être établi.
192. Les essais indiens et pakistanais sont venus rompre les digues ainsi
mises en place et désormais, de proche en proche, les facteurs de
souveraineté, d'indépendance et de fierté nationale, de
parade aux tentations hégémoniques, de réponse aux
antagonismes ancestraux, d'intégrisme religieux enfin, risquent bien de
modifier la donne stratégique nucléaire mondiale.
193. Certes, ses essais ayant été réalisés, l'Inde
fait connaître aujourd'hui qu'elle entend adhérer au TICE avant
septembre 1999. Le Pakistan déclare, lui, qu'il "examine activement avec
prudence et circonspection" la question de la signature du TICE. L'Iran quant
à lui reste muet.
194. Tel est l'état de l'action diplomatique internationale qui peine
désespérément à la poursuite d'objectifs qu'elle ne
parvient pas à atteindre. La prolifération des armes
nucléaires, sans doute atténuée par cette action
diplomatique, se poursuit inexorablement.
195. Les développements ci-dessus mettent en lumière les menaces
potentielles que le nucléaire militaire continue à faire peser
sur le monde. Ils montrent également la prudence et la lenteur
calculée avec laquelle Russes, Américains et Chinois se
hâtent de désarmer.
196. Si les ambiguïtés dans l'application des engagements
souscrits, par la partie russe notamment, en matière de
désarmement laissent donc subsister les risques inhérents
à la détention de milliers d'armes nucléaires, ces risques
sont redoublés par des menaces internes comme par les tentatives de vol
et de trafic de matières, d'armes et/ou de technologies militaires et
enfin les tentations de débauchage des détenteurs de ces
technologies au profit de groupes terroristes ou d'Etats en
belligérance.
Les menaces internes
197. Il est commun de souligner la vulnérabilité des
installations civiles à partir de l'accident de Tchernobyl, tandis que
les sites militaires seraient réputés beaucoup plus sûrs.
198. Outre que les informations sur d'éventuels accidents sont
certainement mieux protégées dans le domaine militaire, des
incidents d'origine humaine sont venus récemment fragiliser la
réputation de sécurité interne de la gestion des armements
nucléaires russes.
199. Il semble, en fait, que plusieurs incidents graves, avec prises d'otages,
se soient produits en 1998, y compris à bord d'un sous-marin d'attaque
emportant des armes nucléaires.
200. Le déclenchement de ces incidents graves a été
attribué à des problèmes humains, en relation avec
l'origine des soldats incriminés, qui auraient pris fait et cause pour
les communautés ethniques dont ils étaient issus.
201. A l'évidence, les dissensions actuelles entre les composantes de la
Fédération de Russie doivent être prises en compte pour le
recrutement de postes sensibles et psychologiquement éprouvants comme
dans les sous-marins.
202. Mais le risque le plus grave demeure la menace de prolifération.
Les mesures de contrôle
203. Il est difficile d'évaluer l'état actuel des installations
nucléaires militaires car il s'agit d'une question sensible liée
à la sécurité nationale. La taille même du complexe
nucléaire militaire de la Russie pose un problème de
sécurité évident, notamment en ce qui concerne la
protection contre le vol. Ces installations demeurent néanmoins plus
sûres que les centrales nucléaires et les instituts de recherche
civils. La responsabilité de la sécurité des armes
nucléaires russes en déploiement incombe au douzième
Bureau principal de l'état-major général russe.
204. Il ressort d'une récente visite effectuée par le
Général Eugene Habiger, Chef du commandement stratégique
des Etats-Unis, que les mesures de sécurité concernant les armes
nucléaires de la Russie sont satisfaisantes. Le Général a
souligné, lors d'une séance d'information au ministère de
la défense, que la Russie avait un système de contrôle
associant trois personnes contre deux aux Etats-Unis pour
gérer l'accès à un bunker abritant une arme
nucléaire et qu'il fallait également un ordre écrit
signé par le Colonel responsable de l'Unité technique
spéciale. Tandis que les Etats-Unis s'appuient davantage sur les
techniques de pointe pour renforcer la sécurité sur ces sites, la
Russie utilise pleinement ses ressources humaines excédentaires en
postant un nombre impressionnant de gardes autour du complexe. Ce
système semble fonctionner parfaitement pour les Russes. Le personnel en
poste sur ces bases est soumis régulièrement à un examen
médical et psychologique. Si une personne est jugée inapte, elle
est éloignée de son poste jusqu'à son
rétablissement. Cette procédure vise à réduire la
probabilité de tir accidentel ou de vol d'armes nucléaires.
205. En ce qui concerne la responsabilité des armes nucléaires,
les mécanismes existants sont très rigoureux et efficaces. "Au
niveau de la division, il existe une section appelée sixième
Bureau [...] qui regroupe trois ou quatre officiers dont l'unique fonction est
de s'assurer qu'ils savent où se trouve chaque arme nucléaire de
cette division. Pour les fusées, il y a une organisation similaire.
[...] Chaque fois que les forces russes responsables des fusées
déplacent une arme, que ce soit sur une distance de
30 mètres, pour aller d'un abri vers une installation de
maintenance, ou sur une distance de 40 à 60 km, pour aller d'un champ de
missiles vers la base principale, il faut au moins l'approbation d'un officier
deux étoiles de la division des fusées."
206. Le Général Valynkine, Commandant du douzième Bureau
de l'état-major général, a assuré le
Général Habiger que la sécurité sur les sites
d'armes nucléaires était satisfaisante, même si des
améliorations continuent d'y être apportées. Pendant sa
visite, le Général américain a assisté à une
simulation d'attaque terroriste et à l'intervention de forces
spécialisées dans la lutte contre ce type d'incident. Un certain
nombre de véhicules blindés et d'hélicoptères ont
été utilisés et tous les soldats impliqués ont fait
preuve de rapidité et d'un professionnalisme extrême. Selon le
Général Habiger, le risque de vol d'armes nucléaires ou
d'attaque terroriste est très faible en raison de la rigueur des mesures
de sécurité appliquées sur ces sites. Le
Général a néanmoins fait remarquer que "le plus gros
problème que rencontrent les Russes est [...] la grave pénurie de
sites de stockage (pour les armes nucléaires et les lanceurs). Lorsque
[les Russes] ont rapatrié les forces de missiles de l'Ukraine, de la
Biélorussie et du Kazakhstan [...], ils n'avaient pas l'argent
nécessaire pour construire ces sites de stockage. Les Russes ont
rapatrié les bombardiers de Modzok et les ont entreposés à
Engels. Et il leur faut des installations".
207. Le Général Habiger a fondé son opinion sur les
observations faites pendant ses visites d'installations nucléaires
russes, tout en soulignant qu'il n'avait visité qu'un nombre
limité de sites. Il a déclaré qu'il voulait croire que les
installations qu'il avait visitées étaient représentatives
des autres sites d'armes nucléaires. Sachant à quel point la
Russie compte sur les armes nucléaires, le Général s'est
autorisé un certain optimisme concernant la sécurité de
ces sites, car si l'armée d'active a été
considérablement réduite, ainsi que son budget, les forces
nucléaires ont été relativement peu touchées.
Les risques liés au bogue informatique du changement de
millénaire
208. De nombreux gestionnaires des techniques de l'information mettent en
garde contre les conséquences liées au problème du bogue
de l'an 2000. Celles-ci sont particulièrement bien analysées dans
le rapport présenté par M. Atkinson (Royaume-Uni) au nom de la
Commission technique et aérospatiale de l'Assemblée de l'UEO
(Document 1622 du 5 novembre 1998).
209. Il semble en effet que les systèmes informatiques (sauf les plus
récents) ne sauront pas reconnaître le changement de siècle
et ne fonctionneront donc pas correctement, ce qui pourrait engendrer la
confusion et le chaos généralisés.
210. Les experts de la défense employés par les divers
gouvernements font savoir que nombre de systèmes informatiques
liés à la défense, de systèmes de
télécommunications par satellites, de systèmes logistiques
et d'armements souffrent de graves déficiences et peuvent
connaître des défaillances au changement de millénaire.
211. La situation est très préoccupante en Russie, en raison
notamment de la précarité de ses ressources financières.
Il lui sera vraisemblablement difficile d'accorder à ce problème
toute l'attention nécessaire afin de le traiter d'une manière
efficace.
212. De plus, les compétences requises sont rares et le deviendront
encore plus à mesure que la demande augmentera, et elles se vendront de
plus en plus cher lorsque les gouvernements prendront conscience du
problème et de l'urgence d'agir. Le ministère de l'énergie
atomique russe (Minatom), quant à lui, a déclaré qu'il
attendrait l'an 2000 pour remédier à toute panne d'ordinateur due
au changement de millénaire, ignorant ainsi de manière
très préoccupante les avis donnés par les autres pays du
G8 réunis à Birmingham en mai 1998, et pour qui de telles pannes
pourraient entraîner une fusion nucléaire.
La prolifération et le terrorisme nucléaires
213. Périodiquement, la presse se fait l'écho de l'arrestation
de trafiquants de matières nucléaires, de la saisie de
matériaux radioactifs (sans toujours établir d'ailleurs de
distinction entre les usages civils et militaires des matières saisies)
et de déclarations de terroristes affirmant détenir des armes
nucléaires. Bien qu'une part de fantasme alimente
généralement ce type d'informations mais après tout, la
dissuasion nucléaire ne repose-t-elle pas sur l'impact psychologique de
la menace force est de constater que la circulation des
éléments radioactifs civils, les trafics de matières, la
dissémination d'armes et de technologies militaires dans un monde
instable posent sérieusement la question des activités duales
liées au nucléaire.
Les liens entre l'atome civil et militaire
214. Le dilemme central posé par l'énergie nucléaire
tient au fait que les mêmes installations peuvent être
utilisées pour produire de l'énergie électrique ou pour
fabriquer des matières fissiles utilisables dans les armes. La
distinction entre les deux réside principalement dans la configuration
et le fonctionnement des installations.
215. Trois types d'installations, produisant cinq types de matériaux
nucléaires, sont identifiables : les réacteurs, qu'ils
soient de recherche, de production ou de puissance, les installations de
retraitement du combustible irradié, les installations d'enrichissement.
Les matières nucléaires produites dans ces installations sont :
le plutonium 239, l'uranium 235, le tritium, le lithium 6 et le
deutérium.
216. Tous les réacteurs nucléaires peuvent être
utilisés pour produire du plutonium 239 utilisable dans des armes
nucléaires, de même qu'ils peuvent également produire du
tritium. Ce dernier est obtenu soit par irradiation d'aiguilles de lithium 6
dans un réacteur, soit par extraction de l'eau lourde utilisée
comme modérateur dans certains types de réacteurs.
217. Les réacteurs de recherche, principalement ceux d'une puissance
supérieure à 10 MWe, fonctionnant généralement
à l'uranium hautement enrichi, directement utilisable dans une arme s'il
n'a pas été irradié, et capables de produire du plutonium,
doivent être considérés comme proliférants.
218. Certains types de réacteurs de puissance construits dans les
années 1960 par la Grande-Bretagne, l'ex-Union soviétique et le
Canada pouvaient facilement être utilisés pour produire du
plutonium de qualité militaire. Pour y parvenir, il suffit simplement de
faire varier la durée de séjour du combustible dans le
réacteur.
219. Il convient de signaler que les réacteurs à eau
légère ne sont pratiquement pas utilisables pour la production de
plutonium. Les manoeuvres qu'une telle production nécessiterait seraient
de nature à altérer le réacteur et la
sécurité de son environnement, ce qui accroîtrait, dans des
proportions considérables, un coût de production
déjà élevé.
220. Les installations de retraitement reposent sur des technologies chimiques.
Dans ces installations, le combustible irradié est traité pour
séparer l'uranium du plutonium et des actinides formés. De telles
installations sont utilisables pour isoler du plutonium de qualité
militaire.
221. S'agissant de l'enrichissement de l'uranium, six méthodes existent
pour fabriquer du combustible nucléaire : la diffusion gazeuse, la
séparation aérodynamique, la centrifugation, le
procédé chimique, le procédé laser et le
procédé électromagnétique. Chacune de ces
méthodes présente à la fois des inconvénients et
des avantages. Le stade le plus difficile est de passer de l'uranium naturel
à 0,7 % d'uranium 235 à l'uranium enrichi à 20 %. Le
passage ultérieur à un uranium hautement enrichi, utilisable pour
les armes, requiert beaucoup moins d'énergie et peut se faire dans une
installation annexe ne demandant pas un déploiement important de moyens
techniques.
222. Même si l'accès au nucléaire militaire est largement
conditionné par la détention des matières fissiles
nécessaires, il convient de signaler que le fait pour un pays d'en
disposer ne lui permet pas d'envisager de passer rapidement au stade de la
fabrication d'engins nucléaires. En effet, bien d'autres technologies
sont nécessaires pour développer une arme nucléaire. Ces
technologies nucléaires sont, pour l'essentiel, des technologies
à usage théoriquement civil, mais elles peuvent être
détournées à des fins militaires ; elles sont
généralement désignées sous la terminologie de
"technologies à double usage" ou "technologies duales".
223. Parmi ces "technologies à double usage", on recense tout à
la fois des technologies simples et des technologies très
sophistiquées dont la possession peut aider un pays "proliférant"
à accélérer le développement de son programme
nucléaire militaire. Figurent notamment au nombre de ces
dernières les super-ordinateurs, les composants électroniques et
les pompes à vide, dont l'utilisation est a priori
civile.
224. Devant l'impossibilité de contrôler les milliers
d'éléments qui entrent dans la fabrication d'une arme
nucléaire et dont la plupart sont "à double usage" (civil et
militaire), il est apparu nécessaire de ne faire porter le
contrôle que sur les biens et les technologies réellement
"critiques", ceux sans lesquels une filière technologique ne peut pas
fonctionner. Les processus de contrôle ont été mis en place
par le Club de Londres, organisation sur laquelle votre rapporteur reviendra
plus en détail dans la suite de son rapport.
225. La plupart des données scientifiques et techniques
nécessaires à la fabrication d'une bombe peuvent être
puisées dans la "littérature ouverte". Sur le plan scientifique,
de nombreuses informations n'ont toutefois pas été
déclassifiées les architectures internes des armes à
fission exaltée, la compressibilité dynamique du plutonium. C'est
dans la partie de la détonique qui traite de la mise au point des
implosoirs que subsistent les verrous technologiques les plus nets. Il est
notamment difficile de détenir la maîtrise technologique
nécessaire à la réalisation de bonnes lentilles pour les
conformateurs d'onde de détonation, de même qu'il est
malaisé d'obtenir une implosion de qualité sans laquelle une arme
de seconde génération ne serait pas utilisable.
226. Parallèlement à ces verrous technologiques, la production et
la vente limitées de certaines matières présentant des
"qualités nucléaires militaires", telles que le plutonium ou le
béryllium, constituent un frein effectif à la
prolifération. Toutefois, comme le montre l'exemple de l'Irak, un pays
affichant une forte détermination et capable de mobiliser des moyens
financiers importants sur un projet militaire peut, à partir de
technologies d'enrichissement datant des années 1940, produire de
façon inquiétante des matières susceptibles d'intervenir
dans la fabrication d'armes nucléaires rustiques.
La dissémination des technologies et l'émigration des
détenteurs de ces technologies
227. Le développement des connaissances scientifiques, celui de
l'information et des moyens de communication (les internautes ne connaissent
pas les frontières et s'affranchissent des réglementations)
favorisent objectivement la dissémination des technologies et demain
peut-être des matières nucléaires sur l'ensemble de la
planète. A titre d'exemple, il convient de rappeler qu'il y a une
vingtaine d'années, le déclassement par les Etats-Unis
d'informations se rapportant aux technologies thermonucléaires et leur
publication dans des revues accessibles à tout public ont permis
à d'autres pays d'accélérer sensiblement leur
maîtrise de ce type d'armement. C'est notamment à partir
d'informations parues dans la littérature ouverte que l'ex-URSS est
parvenue dans un temps record à développer son arsenal
thermonucléaire.
Les transferts technologiques
228. Les programmes civils de coopération nucléaire conduits par
les Etats nucléaires avec d'autres Etats désireux officiellement
de diversifier leurs approvisionnements énergétiques constituent
une autre source possible de prolifération. Le risque est en effet grand
de voir les experts nucléaires de ces pays transférer des
technologies et du savoir-faire vers des pays proliférateurs, dans la
mesure où les connaissances requises pour utiliser l'atome à des
fins pacifiques présentent un important "tronc commun" avec celles qui
permettent les études préalables, la mise au point et la
fabrication d'armes nucléaires.
229. Suite à une initiative américaine, une réflexion a
été conduite dans le cadre du Comité Zangger sur la
nécessité de mettre sur pied un régime tendant à
limiter les transferts de matériel et de technologie relative à
l'utilisation des matières nucléaires à des fins
militaires. L'extension des exportations d'équipements nucléaires
civils au début des années 1970 et la prise de conscience par la
communauté internationale du problème de la prolifération
après l'explosion nucléaire indienne de 1974 ont conduit les sept
principaux fournisseurs nucléaires d'alors à se regrouper pour
former le Club de Londres.
230. Les travaux du Club de Londres ont eu pour principal objet
d'élaborer des règles d'harmonisation de leurs politiques
d'exportation "d'articles nucléaires" à des fins pacifiques vers
les Etats non dotés d'armes nucléaires. Ils ont établi en
1978 un code de bonne conduite plus connu sous le nom de "directives de
Londres".
231. Ces directives établissent les principes de base que les pays
exportateurs s'engagent à respecter pour l'exportation de biens
nucléaires sensibles. Le premier de ces principes reprend les
critères définis par le Comité Zangger (assurance formelle
d'un usage pacifique, garanties AIEA, garanties sur le retransfert), qui
s'appliquent aux biens eux-mêmes ainsi qu'aux technologies. Le second
précise que la protection physique de ces biens contre les actes de
sabotage, le terrorisme ou le vol doit faire l'objet d'accords clairement
définis entre les deux gouvernements. De plus, les Etats fournisseurs se
réservent le droit de restreindre les transferts d'équipements et
de matières sensibles (plutonium, uranium enrichi), d'installations
d'enrichissement d'uranium, de retraitement de combustible nucléaire ou
de production d'eau lourde, exerçant ainsi une tutelle sur les
marchés internationaux et les matériels considérés
comme susceptibles de favoriser la prolifération.
232. A côté de ces grands principes, les directives de Londres
préconisent aux fournisseurs une autolimitation des transferts de
technologies et de matières sensibles. Les matières prises en
compte sont définies dans deux annexes publiées pour la
première fois par l'AIEA en février 1978, plusieurs fois mises
à jour depuis. La première annexe énumère les
produits et matériels considérés comme les
éléments de base du nucléaire (matières fissiles,
réacteurs, etc.), la seconde définit des critères communs
aux pays exportateurs pour les transferts de technologies relatifs aux
installations ainsi que les principaux composants.
233. Par ailleurs, les membres du Club de Londres, dont le nombre
s'élève aujourd'hui à 35 Etats, parmi lesquels figurent
actuellement tous les pays signataires du TNP, à l'exception de la
Chine, se tiennent mutuellement informés des programmes qu'ils
mènent en coopération. Ces échanges d'informations
constituent le complément indispensable aux règles
édictées pour les matériaux et matériels. Ils
permettent ainsi à tous les pays exportateurs d'identifier les pays
souhaitant acquérir des technologies nucléaires et, en fonction
des matériaux ou matériels recherchés, les intentions de
ces pays.
234. Le Club de Londres a élaboré en avril 1992, à
Varsovie, de nouvelles règles plus contraignantes concernant les
matériels à double usage, civil et militaire.
235. De plus, à l'occasion de la réunion plénière
de Lucerne (Suisse) en 1993, il a adopté le principe du contrôle
intégral comme norme commune s'appliquant à la fourniture de
biens nucléaires à un Etat non doté d'armes
nucléaires. Il est désormais exigé, préalablement
à la signature d'un contrat avec un Etat non nucléaire, la mise
sous contrôle de l'Agence internationale de l'énergie atomique non
seulement des matières et équipements nucléaires
transférés, mais aussi de la totalité des installations
existantes.
236. Votre rapporteur, malgré la réalité de la
dissémination, considère que les armements contribuent
très sûrement à renforcer la sécurité
internationale. Il estime que la France se doit de tout mettre en oeuvre
diplomatiquement pour faire en sorte que les pays disposant de fait de
capacités nucléaires militaires rejoignent au plus tôt le
Club de Londres et subordonnent leurs activités exportatrices
nucléaires au respect des directives contraignantes qu'il a
adoptées.
L'expatriation des "cerveaux"
237. Au début des années 1990, on pouvait estimer, Asie non
comprise, à près de 150 000 l'effectif des personnels
du nucléaire militaire soviétique. Selon une étude de la
CIA, environ 100 000 militaires et civils soviétiques
travaillaient directement pour le secteur des armes nucléaires dans
l'ex-URSS ; parmi ceux-ci, 2 000 auraient eu une connaissance approfondie de la
conception des armes, et 3 000 à 5 000 auraient travaillé
à la production du plutonium ou à l'enrichissement de l'uranium.
238. L'effondrement de l'empire soviétique, puis la crise
économique, politique et sociale qui secoue les Etats membres de la
Communauté des Etats indépendants ont entraîné une
remise en cause profonde du complexe militaro-industriel qui constituait l'un
des fondements de la puissance soviétique. Le manque
d'équipements et le déficit de financement des instituts,
universités et centres de recherche de ces pays ont eu bien souvent pour
effet le délitement des équipes et la démotivation des
chercheurs. Nombreux sont ceux qui ont pu être tentés ou peuvent
encore l'être d'émigrer vers des pays proliférateurs pour
exercer leurs talents dans des pays plus favorables et y négocier leurs
compétences.
239. Selon une interview confiée à l'agence Tass en juillet 1992
par V. Medvedev, membre du Présidium de l'Académie des sciences
de Russie, "trois types de fuite de cerveaux de la communauté
scientifique russe étaient à craindre : le départ
vers un pays étranger, leur transfert interne par changement de
profession, enfin leur intégration aux activités de nouvelles
sociétés issues du complexe militaro-industriel". Si un nombre
restreint de scientifiques sélectionnés ont, semble-t-il,
trouvé une situation au sein de ces sociétés, la majeure
partie exerce une profession dans des établissements aux moyens
réduits, lorsqu'ils n'ont pas été simplement
licenciés, constituant ainsi un vivier de candidats à l'exil.
240. C'est tout naturellement vers les pays industrialisés de l'Occident
que se sont en majorité tournés les scientifiques de haut niveau,
séduits alors par les fastes nouveaux qu'ils escomptaient y trouver, les
Etats-Unis ayant pour leur part constitué un pôle d'attraction
important.
241. Toutefois, il paraît fort probable qu'un certain nombre de ces
candidats au départ ait été attiré par les offres
aussi alléchantes que discrètes de pays cherchant à
accéder au rang de puissance nucléaire. Il convient de remarquer
qu'en toute logique, le nombre de ces "mercenaires scientifiques" doit
être relativement limité dans la mesure où ni la
sécurité du chercheur (et a fortiori
de sa famille), ni le
retour en fin de contrat ne seraient véritablement assurés
après une collaboration à des programmes clandestins, par
définition très secrets. Cependant, il est vraisemblable qu'un
tropisme idéologique a pu également pousser certains
scientifiques vers des pays de l'ancien camp communiste, ou qui en
étaient proches, avec lesquels ils auraient pu conserver des liens
tissés auparavant (Cuba, Corée du Nord, Syrie, Irak, Inde, etc.).
La contrebande de matières et le terrorisme nucléaire
242. La ville de Dijon a accueilli, au mois de septembre dernier, un colloque
international
9(
*
)
réunissant les représentants de 83 pays, organisé
conjointement par l'AIEA, Interpol et l'Organisation mondiale des douanes, sur
le thème de la délinquance nucléaire et le contrôle
des substances radioactives, traduisant ainsi les préoccupations des
acteurs internationaux.
243. A cette occasion, M. Hans-Friedrich Meyer, porte-parole de l'Agence
internationale de l'énergie atomique, précisait que "depuis 1993,
l'Agence avait comptabilisé 227 cas confirmés de trafic, et 103
autres cas pour lesquels la réalité du trafic n'avait pas pu
être établie". Parallèlement, Mme Jytte Edkahl,
spécialiste de ce secteur à Interpol, constatait "une baisse
très nette des saisies, après une pointe en 1994-1995". Elle
notait, par ailleurs, que "les saisies de matières fissiles ont
été rarissimes et qu'il s'agissait toujours de très
petites quantités", relativisant ainsi l'importance de la contrebande de
substances pouvant alimenter la prolifération des armes
nucléaires.
244. Depuis l'éclatement de l'ancienne Union soviétique et les
informations alarmantes diffusées sur l'état de son arsenal
nucléaire et les incertitudes planant sur l'efficacité de son
contrôle par les autorités russes, la contrebande de
matières fissiles ou d'engins nucléaires constitue un réel
motif d'inquiétude. Il est pour le moins exact qu'en dépit des
assurances prodiguées par de hauts responsables russes, le risque existe
que le marché noir et les éléments du crime
organisé ne permettent la dissémination de composants
nucléaires.
245. Il convient toutefois de noter que seulement quatre cas de contrebande de
matières susceptibles de servir à la fabrication d'armes
nucléaires ont été répertoriés ces
dernières années : 363 grammes de plutonium 239 concentré
à plus de 87 % saisis, le 10 août 1994, à Munich ; 6
grammes de plutonium 239 pur à 99,8 % découverts, à la
même époque, dans un garage de Tengen (Bade-Wurtemberg) ; 2,73 kg
d'uranium enrichi à 87,7 % trouvés le 14 décembre
1994, à Prague, dans le coffre d'une voiture, par des policiers
tchèques ; et 38 grammes d'uranium hautement enrichi saisis le 27
février en Italie.
246. Bien qu'importantes, les saisies répertoriées paraissent
toutefois limitées dans leurs conséquences
prolifératrices, lorsque l'on sait que la fabrication d'une bombe exige
des quantités très supérieures à celles saisies
(entre 4 et 6 kg de plutonium ou un peu plus de 20 kg d'uranium hautement
enrichi), des matériaux et des pièces mécaniques et
électroniques sophistiquées, de sérieuses
compétences techniques, ainsi que d'importants moyens financiers.
247. Quatre éléments apparaissent cependant de nature à
alimenter les risques de terrorisme nucléaire :
- l'incertitude qui pèse sur le devenir et la sécurité
des armes nucléaires tactiques déployées sur l'ensemble du
territoire de l'ancienne URSS ; à cet égard, on ne peut
négliger les déclarations rapportées le 12 octobre dernier
par le quotidien
Al-Hayat,
selon lesquelles M. Oussama Ben Laden,
milliardaire d'origine saoudienne soutenant les Talibans afghans, se serait
procuré des armes nucléaires dans d'anciennes républiques
soviétiques ;
- les risques de soustraction de matières radioactives par des groupes
mafieux à partir des installations nucléaires de l'ancienne URSS,
qu'elles soient civiles ou militaires ;
- l'augmentation des stocks de plutonium issu des installations de retraitement
;
- la prolifération nucléaire qui multiplie le nombre de sites
potentiels pour l'"approvisionnement" des terroristes ou pour la conduite
d'actions déstabilisatrices du type attentat.
248. En tout état de cause, le terme de "terrorisme nucléaire"
paraît susceptible de répondre à trois scénarios
différents :
(i)
des actions terroristes conduites contre des installations
nucléaires civiles ou militaires, incluant les dépôts
d'armes nucléaires, les véhicules de transport, les composants
nucléaires et les matériels associés. Compte tenu du
nombre d'installations existantes, la probabilité d'occurrence est loin
d'être nulle.
Il convient cependant de distinguer les menaces d'action, par exemple contre
les centrales nucléaires, d'un groupe terroriste dont le but serait
avant tout de retirer un avantage politique de son chantage en exerçant
une pression psychologique sur les populations, du passage à l'acte qui
requerrait la mise en oeuvre de moyens considérables passant
difficilement inaperçus. Le détournement de déchets
radioactifs, par exemple issus de milieux hospitaliers ou universitaires, est
un des risques les plus vraisemblables. Ce risque doit être pris en
compte, mais relativisé compte tenu de la quantité de produits
radioactifs concernés et du danger qu'ils représentent.
(ii)
La menace d'emploi d'engins nucléaires ou de
matières radioactives dans le but de causer des dommages
considérables au pays visé, cette seconde possibilité
pouvant être une suite logique du premier scénario. En
dépit de sa popularité en termes de fiction, la menace d'emploi
d'une arme nucléaire dérobée ou d'un engin rudimentaire
"bricolé" par un groupe de terroristes ne s'est heureusement jamais
transformée en réalité. La prolifération
nucléaire, en augmentant les sites d'action possibles et le nombre de
groupes de terroristes, engendre néanmoins une multiplication des
risques.
L'hypothèse de l'assistance matérielle d'"Etats terroristes"
à des groupes terroristes n'est pas à exclure, mais il convient
ici de préciser que la complicité d'un pays tiers, si elle
était avérée, conduirait le pays victime à
considérer que l'Etat complice est en quelque sorte l'auteur de
l'agression, ce qui l'exposerait à de réelles sanctions ;
(iii)
l'action de groupes nationaux ou transnationaux opposés
au développement du nucléaire civil, à la détention
d'armes nucléaires ou au stockage de déchets hautement
radioactifs. Dans ce cas précis, les "terroristes" auraient comme
objectifs de démontrer l'insuffisance du dispositif de
sécurité de l'installation et de sûreté
nucléaire plutôt que de se livrer à des actes criminels
mettant en jeu la vie des populations. Ce dernier scénario paraît
de loin le plus probable. Ses conséquences sont essentiellement
politiques et la sécurité des populations ne serait pas
menacée. On ne peut cependant pas totalement exclure un quelconque
dérapage ou un accident technique, toujours possible.
L'état de la prolifération nucléaire
10(
*
)
249. La lutte contre la prolifération des armes nucléaires est
aujourd'hui une préoccupation constante de la communauté
internationale, ce qui a permis, au cours des dernières années,
de remporter d'incontestables succès en ce domaine. Le nombre de pays
détenteurs de fait de l'arme nucléaire a régressé,
l'Afrique du Sud ayant renoncé et entrepris le
démantèlement de son arsenal nucléaire en 1991. Par
ailleurs, un grand nombre de pays ont adhéré au Traité de
non-prolifération nucléaire (TNP). Celui-ci est devenu quasi
universel puisque seuls Cuba, l'Inde, Israël et le Pakistan n'y ont pas
adhéré. Ce résultat a été acquis grâce
à une vigilance constante en matière de non-prolifération
et au prix de pressions et d'interventions fortes sur des pays comme la
Corée du Nord et l'Irak, pour lesquels de nombreux indices permettaient
de conclure qu'ils conduisaient des programmes d'armement nucléaire.
250. Il est communément convenu de distinguer deux grandes
catégories de pays "proliférateurs" :
- les Etats dits "du seuil" sont ceux que les experts estiment être sur
la voie de l'acquisition d'une capacité d'accès à l'arme
nucléaire. En font partie la Corée du Nord, l'Iran, l'Irak, le
Brésil, l'Argentine, la Syrie, la Libye et l'Algérie ;
- les pays nucléaires "de fait", soit parce qu'ils ont ou qu'ils ont eu,
soit qu'ils laissent entendre plus ou moins explicitement qu'ils ont ou qu'ils
avaient la capacité de construire des armes nucléaires, soit
parce qu'ils ont procédé à des expérimentations
nucléaires militaires (Afrique du Sud, Israël, Inde et Pakistan).
251. Les régions où les risques de prolifération
demeurent sont le Moyen-Orient et le pourtour de la Méditerranée,
le sous-continent indien et l'Asie du Sud-Est. Par contre, la
prolifération nucléaire est à tout le moins en nette
régression, voire définitivement stoppée dans d'autres
régions : Amérique latine et Asie du sud.
Les liens entre prolifération nucléaire et
prolifération balistique
252. Les rédacteurs du Livre blanc considéraient que "le missile
balistique constitue une menace particulièrement redoutée, non
pas en lui-même, mais parce qu'il procure aux armes de destruction
massive le maximum d'effets militaires, stratégiques et psychologiques".
253. Les missiles peuvent en effet servir de vecteurs à toutes sortes
d'armes, classiques ou de destruction massive. Les pays qui les
acquièrent, et particulièrement ceux situés dans des zones
de fortes tensions, peuvent avoir l'intention de les utiliser comme vecteurs
d'armes de destruction massive, et en particulier d'armes nucléaires, ou
donner à penser à leurs voisins qu'ils l'envisagent. De fait, si
un Etat ayant une capacité nucléaire et possédant des
missiles décidait de se doter d'armes nucléaires, il aurait
à sa disposition des vecteurs plus dangereux que l'avion, car
très difficiles à intercepter. En outre, la plupart des missiles
acquis jusqu'ici par les pays en développement sont connus pour
être relativement imprécis, ainsi que l'a montré l'emploi
de missiles Scud par l'Irak dans la guerre du Golfe. Leur efficacité
militaire serait considérablement accrue s'ils étaient
équipés d'armes de destruction massive, voire chargés de
déchets radioactifs, plutôt que d'armes classiques conçues
pour détruire des objectifs précis.
254. Le régime de non-prolifération serait donc renforcé
si les limitations existantes touchant les transferts de matières et
d'équipements nucléaires étaient complétées
par des limitations applicables aux transferts des systèmes d'armes
mixtes, c'est-à-dire pouvant servir de vecteurs pour des armes
classiques ou nucléaires. Cette recommandation a été
partiellement mise en pratique en avril 1987 lorsque les gouvernements de sept
pays Canada, Etats-Unis, France, Italie, Japon, Allemagne et
Royaume-Uni ont établi un régime de contrôle des
technologies relatives aux missiles (MTCR) en adoptant des directives
identiques pour les transferts "sensibles" se rapportant aux missiles. Ces
règles, qui ne s'appliquaient à l'origine qu'aux transferts
d'équipement et de technologie susceptibles "d'apporter une
contribution" aux systèmes de missiles capables d'emporter une charge
nucléaire, ont été modifiées en juillet 1992 pour
s'appliquer aussi aux missiles pouvant emporter des armes biologiques et
chimiques, quelle que soit leur portée ou la charge utile qu'ils
pourraient transporter.
255. Le contrôle de la diffusion des technologies "sensibles" touchant
les missiles passe par l'adhésion de tous les Etats producteurs de
missiles au MTCR. Votre rapporteur considère qu'il conviendrait de
renforcer les règles du MTCR en donnant force obligatoire aux
limitations et en créant un organisme international chargé de
vérifier le respect des règles qu'il édicte.
Jusqu'à présent, cette vérification est assurée
unilatéralement par les parties, essentiellement par les Etats-Unis qui
se limitent à la menace de sanctions commerciales vis-à-vis des
sociétés contrevenantes.
256. Il est, par ailleurs, intéressant de noter que la totalité
des pays nucléaires "de fait" ou "du seuil" ont développé
parallèlement à leur programme d'armements nucléaires des
programmes de missiles balistiques.
IV. Voies et moyens d'une coopération
souhaitable
257.
Une fois prise la mesure des risques encourus tant par la population russe que
par tout le continent, et par les générations futures, il est
évident qu'une coopération internationale s'impose, dès
lors que la Russie n'est pas, au moins économiquement, en mesure de
régler à elle seule des problèmes immenses, et pour
certains d'entre eux, de la plus grande urgence.
258. Mais avant d'indiquer quelles pourraient être les orientations de la
coopération entre l'Europe et la Russie en matière de
sécurité nucléaire, votre rapporteur souhaite retracer les
observations faites au cours d'une mission approfondie, la prise en compte du
contexte russe étant la clef d'investissements et de partenariats
fructueux.
A. Observations recueillies au cours de la mission en Russie
Une volonté de transparence affirmée
259. Cependant, il faut noter que les actions en partenariat dans le domaine
nucléaire militaire sont menées exclusivement avec les
Etats-Unis. Ils ont seuls accès à certaines informations et
certains sites. Les Russes sont, d'ailleurs, assez fiers de cette action
conjointe avec les Américains.
260. Dans le domaine civil, un partenariat privilégié s'est
établi avec la France (EDF et Framatome), l'Allemagne (Siemens), le
Royaume-Uni, la Norvège et les autres Etats scandinaves, le Japon et
naturellement l'Union européenne : Euratom 92, AIEA, CCR et dans le
cadre des programmes TACIS (Formation) et PHARE (Centrale de Koursk).
261. Mais ce partenariat porte essentiellement sur des projets ponctuels et
bien identifiés. Exemple : le projet AIDA-MOX avec la France en
1993-1996, puis tripartite avec l'Allemagne en 1998 pour l'utilisation du
plutonium issu du démantèlement des armes nucléaires pour
les besoins de l'électronucléaire civil.
262. Cette volonté de transparence, d'action et de coopération
devrait progressivement conduire la Russie à un respect plus patent des
normes internationales.
Une culture de sécurité insuffisante
263. On relève un décalage évident entre la "culture de
sécurité" telle qu'elle est comprise et pratiquée en
Occident et telle qu'elle se manifeste en Russie. Même si l'on doit
reconnaître l'existence, du côté russe, d'une volonté
de se rapprocher des normes et règles acceptées et
appliquées à l'Ouest, un fossé sépare les deux
mentalités et, en d'autres termes, les deux parties ne jouent pas sur le
même registre.
264. Ainsi, pour citer des exemples éloquents, on répare la
station MIR au-delà des règles de sécurité qui
prévaudraient partout ailleurs ; ou encore on admet qu'il soit
possible de conduire un véhicule en Russie en étant
dépourvu d'assurance-accident.
265. Le sentiment de responsabilité individuelle et la prise en
considération d'une responsabilité collective vis-à-vis de
l'environnement, comme du sort des générations futures, sont
encore balbutiants, même si l'accident de Tchernobyl a constitué
un sévère apprentissage.
266. On ne peut pas comprendre l'attitude des Russes face à la
sûreté nucléaire et aux risques si on ne comprend pas que
leur notion de responsabilité, d'assurance, de santé et de vies
humaines, enfin d'environnement n'est pas la même et qu'il appartient aux
Russes de franchir le fossé qui les sépare de nous le plus
rapidement et le plus efficacement possible.
267. Le Dr. B. Gordon, Directeur du Centre d'études scientifiques et
techniques pour la sûreté nucléaire du Gosatomnadzor, l'a
dit de manière particulièrement claire en déclarant, pour
résumer la conception qu'une civilisation peut avoir de l'homme, que
plus le niveau de civilisation est élevé, plus la valeur de la
vie est forte.
Des procédures législatives et réglementaires encore
très lentes
268. Dans le domaine législatif, la situation est la suivante. D'une
part, la Douma a approuvé en octobre 1995 la loi fédérale
sur l'utilisation de l'énergie nucléaire qui couvre le secteur
nucléaire civil. Sur la base de cette loi, le Gosatomnadzor a
adopté d'autres réglementations, compte tenu de son
expérience propre et de l'expérience internationale. Ces
initiatives représentent un progrès évident par rapport
à la situation antérieure caractérisée par
l'absence de véritable cadre juridique.
269. D'autre part, le projet de loi sur l'utilisation et l'exploitation des
armes nucléaires est en cours de discussion à la Douma et le vide
juridique en la matière est donc encore considérable. De
même, la Douma n'a pas encore ratifié le Traité START II
ni, ce qui nous semble particulièrement préoccupant, son
adhésion à la Convention de Vienne relative à la
responsabilité civile en matière de dommages nucléaires,
conformément aux décisions prises par le gouvernement de la
Fédération en 1997, ni la Convention de Londres interdisant
l'immersion de matières nucléaires. Il faut espérer que
cette législation sera adoptée par la Douma dans un délai
raisonnable et qu'elle commencera à être appliquée, ce qui
n'est pas le cas actuellement.
270. Les autorités du ministère de l'énergie atomique
(Minatom) de la Fédération de Russie ont admis leur
inquiétude face au frein mis par les parlementaires aux initiatives
gouvernementales et elles ont également fait savoir que l'absence de
législation sur le nucléaire militaire posait des
problèmes lorsqu'il s'agissait de passer des accords avec d'autres pays.
Certains accords internationaux avec d'autres pays (récemment avec la
Norvège et prochainement avec l'Allemagne) reprennent d'ailleurs les
dispositions de la Convention de Vienne.
271. En ce qui concerne cette dernière, les parlementaires russes
s'interrogent sur les raisons pour lesquelles les Etats-Unis n'y ont pas
adhéré et ils questionnent également le Minatom au sujet
des obligations financières que comporte l'adhésion à
cette convention. Enfin, les Conventions de Vienne et de Londres devront
attendre encore quelque temps pour être ratifiées par la Douma.
272. Au vu de cette situation, on peut considérer en premier lieu qu'il
existe un vide législatif relatif, en second lieu que le processus
législatif progresse plus lentement qu'il ne serait souhaitable et
nécessaire et, enfin, que l'absence de ratification de certains textes
par la Douma soulève des problèmes.
273. A ce propos, il convient de signaler que l'absence de ratification des
Conventions de Vienne et de Londres applicables au stockage du combustible des
sous-marins nucléaires entrave la mise en route du projet de
dénucléarisation des brise-glaces. En effet, ces navires sont
à quai dans l'attente de l'extraction de leur combustible alors que les
machines nécessaires sont prêtes (l'étude de
faisabilité a été réalisée dans le cadre du
programme TACIS) et les crédits (Union européenne, France et
Norvège) disponibles ; néanmoins, il est impossible d'aller
de l'avant puisque le défaut de ratification de la Convention de Vienne
empêche d'entamer l'opération.
Le respect encore inégal des engagements pris
274. Le respect des engagements souscrits est un principe fondamental dans les
relations internationales, condition de la confiance mutuelle. Les accords
passés doivent être respectés et la Russie doit honorer ses
engagements. Ainsi restent en instance devant la Douma la ratification des
Conventions de Vienne sur la responsabilité civile et de Londres sur
l'interdiction de l'immersion des matières nucléaires, le
Traité START II.
275. Quelques exemples permettront d'éclairer une situation qui tend
à se répéter et qui ne contribue en rien à
instaurer la confiance nécessaire à tout le processus de
coopération. Ainsi, tandis que le Président de la
Fédération de Russie s'engage publiquement à
adhérer aux Conventions de Vienne, la Douma laisse passer le temps sans
procéder à la ratification.
276. Ces difficultés obligent à différer la mise en oeuvre
de certaines actions de coopération pourtant urgentes comme la
récupération des propulseurs des sous-marins nucléaires
hors service. Ces retards se manifestent encore à propos du retrait.
277. Le cas s'est également produit à propos du retrait de la
Transnistrie de la 14ème Armée, le Président ayant
souscrit à un engagement que la Douma n'a pas ratifié.
278. Ambigus dans le domaine de la politique internationale, les engagements le
seraient-ils aussi dans le domaine de la sûreté
nucléaire ? On citera l'exemple de la centrale de Koursk qui fait
l'objet d'un programme de modernisation et de rénovation
étalé sur trois ans (1996-1998) et doté d'un budget de 180
millions de dollars. Au bout de deux ans et demi, 70 % du programme a
été réalisé et, sans que celui-ci soit
terminé, la centrale a reçu une autorisation provisoire de remise
en route, avec tous les risques que cela comporte.
279. La méthode suivie consiste à accorder des autorisations
annuelles sans jamais parvenir à une licence définitive et sans
que le programme de mise aux normes de sûreté AIEA, pourtant
désigné comme l'objectif à atteindre lors du financement,
soit achevé.
280. A la fin du programme, les autorités russes doivent lancer un audit
international pour vérifier que les engagements, en ce qui concerne le
programme d'action et l'intervention de la BERD, ont été
respectés. L'octroi d'une autorisation annuelle renouvelable nous
amène à soupçonner le Minatom de vouloir retarder le
processus de vérification en ne donnant pas l'autorisation
définitive de fin de programme.
281. Au cours de la période 1991-1994, tous financements confondus,
Etats-Unis, Union européenne plus France, Allemagne, Royaume-Uni,
Norvège et Japon, plus de 500 millions de dollars ont été
versés, dont 7 % ont été apportés par le
Minatom. Il importe dès lors de vérifier l'utilisation de ces
fonds ainsi que la gestion et la réalisation des programmes ;
autrement dit, l'aide occidentale est nécessaire, mais il est
indispensable de rester vigilant.
282. Respecter l'intégralité des engagements pris (dans
l'exécution d'un programme de restructuration d'une centrale
nucléaire par exemple) en contrepartie d'un financement consenti par la
communauté internationale (l'Union européenne le plus souvent)
est aussi un problème à poser avec fermeté.
283. C'est peut-être un autre système qui se met en place et qui
peut devenir un mode de "fonctionnement provisoire" à risque
réduit, mais qui ne respecte pas les normes AIEA.
284. L'objectif doit être l'achèvement du programme dans le cadre
du calendrier établi, avec audit international, et l'obtention d'une
licence de fonctionnement.
B. La coopération avec la Russie
Quelques réflexions
285. En ce qui concerne la coopération avec la Russie, le premier
élément à retenir est son caractère d'urgence. On
notera ensuite qu'elle est souhaitée par nos partenaires russes. En
outre, il est clair qu'une coordination et une meilleure organisation des
formes de coopération actuellement en vigueur s'imposent.
286. En effet, le problème n'est pas traité dans sa
globalité et la coopération à long terme n'est pas
organisée. Tout semble indiquer que les Russes sont avant tout
favorables aux programmes à court terme centrés sur des projets
limités et urgents de mise à niveau et de modernisation et qu'ils
sont plutôt réfractaires aux projets d'ensemble à long
terme.
287. Cela suppose une démarche méthodique :
- définir un programme répondant aux normes AIEA,
- établir un calendrier et en phaser le déroulement,
- fixer les règles d'exécution et de contrôle de ce
programme,
- subordonner le redémarrage de toute installation à un audit
international et à la délivrance d'une licence,
- entreprendre la formation des personnels nécessaires à tous les
niveaux,
- lier le versement des tranches de financement à l'exécution
constatée des engagements pris.
288. Il s'agit donc tout d'abord de mieux organiser et de mieux gérer
l'ensemble du problème sur le long terme et il convient en outre
d'établir un calendrier pour les différentes phases. La formation
est essentielle, en particulier en vue de créer une "culture de
sécurité". Il importe, simultanément à la mise en
oeuvre des programmes de financement, de poursuivre les contrôles
à chaque stade de réalisation.
L'état de la coopération civile
289. Nombreuses sont les instances internationales qui s'occupent de
sûreté nucléaire et de contamination radioactive et l'on
citera, parmi elles, l'Agence internationale de l'énergie atomique
(AIEA), la Coordination de l'aide du G24 en matière de
sûreté nucléaire (NUSAC) composée de pays membres de
l'OCDE ; le Compte pour la sûreté nucléaire (CSN)
géré par la Banque européenne de reconstruction et de
développement (BERD) ; le Groupe de contact d'experts (CEG)
créé par l'AIEA pour les projets concernant les déchets
radioactifs en Russie.
290. Il faut également ajouter à cette liste, qui ne
prétend pas être exhaustive, le Conseil des Etats baltes, le
Conseil nordique, le Conseil des ministres des pays nordiques, la
Stratégie de protection du milieu arctique (AEPS) et la
Coopération de la mer de Barents. On citera en outre la
coopération entre la Commission européenne et la Russie et,
naturellement, la coopération bi- ou multilatérale entre une
série de pays et la Russie, dont la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne,
les pays nordiques, les Etats-Unis et le Japon.
291. D'après le rapport final sur la sécurité et la
sûreté nucléaires à l'Est, les systèmes de
comptabilité et de contrôle des matières nucléaires
que la Commission européenne et les pays occidentaux en
général souhaitent mettre en place dans les pays de l'ex-Union
soviétique, notamment en Russie, sont ceux qui sont déjà
communément acceptés par les autorités et par l'industrie.
Cela revient en pratique à accepter le système prévu par
le Contrôle de sécurité de l'Euratom et par le
système de garanties de l'AIEA.
Euratom
292. Le Contrôle de sécurité de l'Euratom repose sur le
Traité de l'Euratom de 1957. L'Euratom est chargé de
vérifier que les matières nucléaires ne sont pas
destinées à des fins différentes de celles pour lesquelles
elles ont été prévues. Le Contrôle de l'Euratom sert
de modèle aux systèmes à mettre en oeuvre en Russie. En
vertu du système de contrôle de l'Euratom, les exploitants des
installations nucléaires ont l'obligation de faire connaître les
caractéristiques techniques de base de leurs installations et leurs
activités prévues, et de disposer d'un système de
comptabilisation pour toutes leurs matières nucléaires. Les
rapports comptables sont basés sur les stocks physiques de six
catégories de matériel : uranium appauvri, uranium
naturel, thorium, uranium enrichi à 20 %, uranium enrichi à
plus de 20 % et plutonium. L'Union soviétique n'avait mis en oeuvre
aucun système de comptabilité et de contrôle des
matières nucléaires, que ce soit au niveau des installations ou
à celui de l'Etat. La coopération entre l'Euratom et la Russie a
débuté en 1992 pour être officialisée en 1993. Un
accord de partenariat a été signé entre l'Union
européenne et la Russie le 26 juin 1994.
293. M. J.P. Contzen, Directeur du Centre commun de recherche de la Commission
européenne (CCR), a fixé les principales étapes de l'aide
: instauration d'un cadre législatif ad hoc, création d'une
Autorité indépendante de vérification au niveau de l'Etat
et mise en place d'une infrastructure technique en vue de l'application
pratique.
294. Par définition, le CCR concentre ses activités sur l'aide
en matière d'infrastructure technique et de formation. Les domaines qui
font actuellement l'objet d'une coopération technique avec la Russie
sont notamment :
- l'enseignement, la formation et la mise au point de méthodes pour la
comptabilisation des matières nucléaires et leur
contrôle ;
- l'assistance technique pour la mise en oeuvre de ces méthodes ;
- la protection physique.
295. Le Contrôle de sécurité de l'Euratom dirige
actuellement les activités de l'Union européenne en
matière d'aide à la CEI dans le domaine des garanties
nucléaires. Il a défini ainsi ses objectifs
généraux :
- contribuer à l'amélioration du système de
comptabilité et de contrôle dans les républiques de la CEI
pour les amener aux normes pratiquées dans d'autres pays telles que,
par exemple, celles de la Communauté européenne ayant des
programmes nucléaires importants ;
- veiller à ce que ces systèmes soient conformes aux garanties
de l'AIEA ;
- contribuer par conséquent à la lutte contre la
prolifération de matières nucléaires et à la
réduction au minimum des dangers que représentent pour le public
les matières "vagabondes".
Le réacteur européen à eau pressurisée
EPR
296. L'évolution du marché mondial des centrales
nucléaires a conduit Framatome et Siemens à créer en 1989,
à parité égale, une filiale commune baptisée
Nuclear Power International (NIP). L'objectif initial était de
commercialiser et de fournir sur le marché international les
réacteurs à eau sous pression développés chez les
deux constructeurs.
297. Cette alliance commerciale a fait place à une coopération
industrielle, lorsque, en 1991, les deux constructeurs ont décidé
de concevoir en commun et en collaboration avec EDF et les électriciens
allemands un nouveau réacteur destiné à remplacer les
modèles actuels.
298. Ce projet commun dénommé European Pressurized Water Reactor
(EPR) est conçu en vue d'améliorer d'une part la
sûreté (notamment par une division par dix des risques de fusion
du coeur et par une atténuation des conséquences à
l'extérieur du site en cas d'accident grave) et d'autre part les
performances techniques (par une augmentation de la disponibilité et de
la durée de vie, ainsi qu'une optimisation de l'utilisation du
combustible nucléaire).
299. La phase d'avant-projet détaillé a représenté
750 millions de francs sur deux ans, les études étant
financées à égalité par la partie française
et la partie allemande. Une coopération avec la Russie pour
l'expérimentation de ce projet est envisagée. En effet, le
Secrétaire d'Etat à l'industrie français, M. Christian
Pierret, a été chargé de mener les négociations
avec les partenaires allemands et les autorités russes pour
intégrer la Russie à la fois en qualité de partenaire
à part entière du projet et de pays où pourrait être
construit un EPR. Cette perspective pourrait rencontrer cependant de nombreuses
difficultés d'ordre financier.
300. Par ailleurs, l'avenir de la coopération entre Framatome et Siemens
sur le projet EPR dépend essentiellement de la volonté du
partenaire allemand de maintenir les efforts engagés. Les
récentes élections en Allemagne ayant porté au
gouvernement une coalition social-démocrate-verts, l'annonce a
été faite d'un renoncement progressif à l'exploitation de
centrales énergétiques nucléaires.
301. L'orientation interne ainsi proclamée n'aurait toutefois pas de
répercussions sur les coopérations externes et la firme Siemens,
engagée dans le projet, maintiendrait sa participation.
Le projet de réacteur thermonucléaire expérimental
international ITER
302. La Russie participe aux travaux de recherche de ce projet international
dont la poursuite est actuellement en cours de négociation.
303. Un accord de coopération entre la Communauté
européenne de l'énergie atomique (CEEA), le gouvernement du
Japon, le gouvernement de la Fédération de Russie et le
gouvernement des Etats-Unis d'Amérique vise à la mise au point
d'un projet détaillé (EDA) de réacteur
thermonucléaire expérimental international (ITER). Le premier
accord, qui a été conclu le 21 juillet 1992 pour une
période de six ans, est venu à expiration le 21 juillet 1998.
304. Eu égard aux progrès accomplis dans la réalisation
des objectifs de l'accord ITER EDA et afin de créer le cadre qui permet
d'entreprendre d'autres activités communes, la prolongation de trois ans
de la durée de cet accord a été récemment
décidée.
305. Il convient de noter que la prorogation de trois ans qui est en cours
d'adoption s'inscrit dans le droit fil de l'accord politique auquel le Conseil
des ministres de l'Union européenne est parvenu le 12 février
1998 au sujet du V
e
programme-cadre Euratom pour l'action clé
consacrée à la fusion thermonucléaire
contrôlée.
Les apports financiers
306. De nombreuses institutions concourent par des crédits ou des dons
à la rénovation de l'appareil nucléaire civil de la Russie.
307. La Banque européenne pour la reconstruction et le
développement
a ainsi institué un fonds spécial
dans ce but. Mais il faut observer que la Banque a été
conçue pour financer des investissements selon les règles
ordinaires du crédit. A l'évidence, des investissements à
très long terme et à peu près sans perspective de
rentabilité calculable, comme le sont les apports financiers
nécessaires à la rénovation des centrales et de l'appareil
de distribution d'énergie, et plus encore la récupération
des éléments nucléaires des sous-marins
désarmés, voire des éléments immergés
n'obéissent pas aux règles ordinaires du crédit.
308. D'ailleurs, en septembre 1998, la BERD a fait savoir que, pour la
première fois, elle devrait inscrire une perte, pour un montant de 150
millions d'écus, dans son bilan des neuf premiers mois de 1998 en raison
de la nécessité de prévoir une provision de 180 millions
d'écus pour parer aux pertes éventuelles du fait de ses
engagements en Russie (qui absorbent désormais 26 % des financements de
la BERD).
309.
Le programme TACIS (Technical Assistance to the Commonwealth of
Independent States) et le programme PHARE
réunissent outre la
Communauté européenne, plusieurs partenaires occidentaux (le "G
24") désormais les principaux bailleurs de fonds de la restructuration
économique dans les ex-pays soviétiques. Les crédits sont
alloués après sélection des actions et des partenaires par
appels d'offres.
310. Des sommes considérables ont été d'ores et
déjà consacrées à l'objectif de la
sécurité nucléaire, le budget alloué pour la
période 1990 à 1998 se montant à 780 millions
d'écus. Cependant, selon la Commission des Communautés, ce sont
quelque 100 à 200 millions d'écus qu'il faudrait dégager
pour adapter
chacune
des 50 centrales implantées dans l'ancienne
aire soviétique.
311. La Cour des comptes européenne a mis en doute l'efficacité
des sommes déjà investies, soulignant quelques dérives,
des "consultants" se réservant la gestion des crédits pour des
salaires allant jusqu'à 18 000 écus par mois ou encore une
étude payée 60 millions de dollars, outre des
phénomènes d'oligopoles propices à des arrangements
anticoncurrentiels.
312. La Commission a admis la lourdeur des procédures d'adjudication,
tandis que le Comité économique et social de la Communauté
(Avis sur TACIS-98/C 214/22 du 10 juillet 1998) recommande de "créer un
programme de sécurité nucléaire indépendant du
programme TACIS, afin de garantir la gestion la plus efficace possible d'une
activité revêtant une importance non négligeable et
exigeant des ressources considérables". Mieux identifié, ce
programme pourrait sans doute être géré à moindre
coût et de façon plus transparente.
Le Centre russe de méthodologie et de formation (RMTC)
313. En 1994, le Minatom a créé le Centre de méthodologie
et de formation en matière de protection nucléaire à
l'Institut de physique et d'énergie (IPPE) situé à
Obninsk, près de Moscou. Le CCR coopère avec l'IPPE dans le cadre
d'un projet TACIS en vue de mettre en place cinq stages de formation à
des techniques précises d'évaluation et de mesure
intéressant à la fois les exploitants des centrales et les
inspecteurs. Le CCR contribue également aux activités du Centre
international pour la science et la technologie de Moscou, dont nous
reparlerons plus loin.
314. Inauguré le 4 novembre 1998, le RMTC, ou
Russian Methodological
and Training Centre,
centre de formation complétant le premier et
également situé à Obninsk, à proximité de
Moscou, a pour but de former des centaines d'inspecteurs et d'opérateurs
russes aux nouvelles méthodes de contrôle et de
comptabilité des matières nucléaires, selon des
méthodes plus performantes et compatibles avec les normes
internationales.
315. Lancé à l'initiative de l'Union européenne, et plus
particulièrement de son Centre commun de recherche CCR, le projet RMTC
est à mettre au crédit de la première coopération
tripartite entre la Russie, les Etats-Unis et l'Europe, sa vocation
étant de promouvoir une culture de sûreté et de
sécurité dans le secteur du nucléaire.
316. Le RMTC sera aussi un lieu de contact entre opérateurs et
inspecteurs venus de toute la Russie ainsi que des nouveaux Etats
indépendants. Des discussions et des séminaires communs devraient
les amener à comprendre leurs obligations respectives et la
manière de s'y conformer dans l'état actuel de l'industrie
nucléaire russe.
317. Ce nouveau centre sera financé par le volet "Sécurité
nucléaire" du programme TACIS. L'infrastructure s'inspire du
modèle du laboratoire PERLA (
Performance Laboratory
) du CCR,
où sont formés des inspecteurs de l'Union européenne et
ceux de l'Agence internationale de l'énergie atomique AIEA de Vienne.
318. Dans un premier temps, le CCR et les autorités russes
définiront conjointement le contenu des activités du RMTC. Ce
centre apparaît comme une nouvelle action de coopération qui
complète l'action du CIST, en vue de former des agents aptes au
contrôle des normes de sécurité et au suivi des
quantités de matière nucléaire utilisées et/ou
rejetées (comptabilité matières), contrôle
actuellement déficient et pourtant essentiel à la
sécurité des installations comme à la prévention
des trafics éventuels.
La coopération dans le domaine militaire
319. Quelques programmes multilatéraux et bilatéraux ont
été lancés, avec notamment le Royaume-Uni, la France, les
Etats-Unis et le Japon, dans le domaine militaire, évidemment moins
ouvert aux partenariats.
320. Ils visent d'une part au retraitement du plutonium issu du
démantèlement des armes et à la reconversion d'une partie
des personnels de l'appareil militaro-industriel.
Le programme AIDA-MOX de retraitement du plutonium militaire en vue de
son usage comme combustible civil
321. Le 12 novembre 1992, les gouvernements de la République
française et de la Fédération de Russie ont signé
deux accords de coopération, l'un dans le domaine du
démantèlement, dans des conditions de sécurité, des
armes nucléaires en Russie, et l'autre dans le domaine de l'utilisation
à des fins civiles des matières nucléaires issues de ces
armes.
322. C'est dans le cadre de ces accords qu'a été conduit le
programme AIDA-MOX, destiné à étudier la
possibilité d'utiliser le plutonium issu du démantèlement
des armes comme combustible pour les réacteurs nucléaires.
323. Au terme de la période initiale de quatre ans, des études
ont permis d'établir l'intérêt et la faisabilité
technique de l'utilisation sous forme de combustible MOX, et dans certains
réacteurs nucléaires existant en Fédération de
Russie, du plutonium venant du démantèlement des armes
nucléaires russes.
324. Au cours du sommet de Moscou sur la sûreté et la
sécurité nucléaires des 19 et 20 avril 1996, les pays du
G7 et la Fédération de Russie ont décidé la tenue
d'une réunion internationale d'experts sur la gestion sûre et
efficace des matières fissiles militaires désignées par
les pays qui les détiennent comme n'étant plus nécessaires
aux besoins de défense. Cette réunion s'est tenue à Paris
du 28 au 31 octobre 1996, avec pour objectif la comparaison des diverses
solutions possibles pour la gestion du plutonium. Grâce aux
résultats obtenus dans le cadre du programme AIDA-MOX, et au soutien
apporté par l'Allemagne qui a mené des études comparables
et qui est arrivée à des conclusions similaires, cette
réunion a mis en évidence les nombreux avantages
présentés par l'option "recyclage en réacteurs" par
rapport aux autres solutions, et en particulier sa grande maturité
industrielle.
325. Aussi, ce sont désormais les gouvernements français,
allemand et russe qui ont lancé en commun les prochaines étapes
de la coopération, de manière à permettre dans les
meilleurs délais la mise en oeuvre effective d'une gestion sûre et
efficace du plutonium issu du démantèlement des armes
nucléaires russes.
Le Centre international pour la science et la technologie CIST
326. Le 14 avril 1997, Boris Eltsine a signé une loi
fédérale sur la reconversion du complexe militaro-industriel. En
vertu de cette loi, le Minatom réduit, depuis le début de 1998,
le nombre de centres de recherche et d'entreprises spécialisés
dans les matières militaires nucléaires. Cette réduction a
permis la rationalisation de la structure étatique de commandement
militaire qui, divisée en quatre sections en 1991, compte
désormais deux centres militaires d'études nucléaires
(auparavant au nombre de 30). Cette réduction doit se faire sans
dégraissage d'effectifs, par le biais de programmes de reconversion
civils. Mais la promesse de ne pas licencier de chercheurs dans le cadre du
programme de restructuration est loin d'être crédible,
principalement en raison du manque d'argent et du fait que la demande de
scientifiques est inférieure à l'offre.
327. Depuis l'effondrement de l'Union soviétique, la recherche
nucléaire est en pleine déroute. Les jeunes chercheurs fuient
désormais cette profession, autrefois des plus respectées, en
raison des bas salaires (un chercheur est payé en moyenne environ
100 dollars par mois), de l'absence d'équipements de pointe pour la
recherche et de l'accident de Tchernobyl. Les crédits affectés au
secteur scientifique baissent régulièrement depuis le
début des années 1980, ce qui entrave l'acquisition et la mise au
point d'équipements de pointe pour la recherche. En 1996, par exemple,
le secteur scientifique n'a reçu qu'environ 12 % des crédits
inscrits au budget et 23 % du total
11(
*
)
des chercheurs ont quitté la
profession.
328. Lorsque l'URSS s'est désagrégée, les restrictions
à l'émigration ont commencé à être
levées, incitant les chercheurs sans emploi à se tourner vers
l'étranger pour trouver un travail. L'attention s'est concentrée
sur les chercheurs ne pouvant pas se reconvertir dans le domaine civil, ce qui,
fort heureusement, ne représente qu'un faible pourcentage de chercheurs
russes. Selon une étude menée par le Minatom, 3 000
spécialistes de la recherche nucléaire ont des connaissances
utiles pour la mise au point des armes nucléaires. Il convient toutefois
de noter que ces chiffres ne prennent pas en compte les chercheurs dont le
travail est indirectement lié au développement de ces armes
(systèmes de lancement, combustibles, etc.). Mais il est rassurant de
savoir que cette petite communauté scientifique est étroitement
surveillée par les forces de sécurité.
329. Si l'ouverture des frontières a permis aux chercheurs russes de se
mettre en quête de travail à l'étranger, elle a permis
également à un certain nombre d'individus, représentant
des Etats ou des organisations, d'approcher plus facilement ces chercheurs. Des
pays tels que la Corée du Nord, la Libye, la Chine, l'Inde, le Pakistan,
l'Iran et l'Irak ont fait des démarches empressées auprès
des chercheurs nucléaires russes. On ne peut pas écarter
l'éventualité que certains instituts de recherche vendent des
connaissances nucléaires à ces pays sous couvert de transactions
commerciales officielles. De nombreux instituts de recherche en Russie sont
fortement tributaires des investissements étrangers. Il serait possible
qu'une société étrangère investisse dans ces
instituts pour servir de couverture à des gouvernements voulant obtenir
des connaissances scientifiques pour améliorer leur propre recherche.
Comme dans d'autres secteurs ayant trait au nucléaire, une grande partie
du budget alloué aux instituts de recherche sert à payer le
personnel dont les arriérés de salaires remontent parfois
à trois mois. Le fait qu'une grande partie du budget de la science serve
à payer les salaires signifie que la maintenance et l'investissement
concernant les équipements et les installations ont beaucoup
régressé. Dans certains instituts de recherche, les
équipements utilisés sont vieux de quinze ans.
330. Il est intéressant de noter que selon un certain nombre de
rapports, l'exode des cerveaux hors de la Russie serait cependant relativement
peu important. Il semble que l'émigration des chercheurs ayant des
connaissances dans le domaine des armes nucléaires se soit faite
principalement au niveau national. Un certain nombre de chercheurs ont
réorienté leurs connaissances vers le secteur civil, où
les revenus sont plus élevés. Comme il a déjà
été dit, ce sont ceux qui ne parviennent pas à se
reconvertir et demeurent sans emploi qui sont les plus dangereux. En outre, il
convient de suivre de près les chercheurs qui ont rejoint le secteur
privé, principalement parce qu'il est ainsi plus facile aux
gouvernements qui le souhaitent de s'approprier leurs connaissances pour faire
avancer leurs propres projets en matière d'armes nucléaires.
Compte tenu des difficultés économiques de la Russie, il n'est
pas impossible que ces chercheurs russes vendent leurs connaissances en
échange de devises fortes et d'un salaire stable. D'où
l'importance de financer des projets de reconversion qui puissent dissuader les
chercheurs de partager un savoir dangereux.
331. Certains programmes ont été lancés par la
communauté internationale afin d'endiguer une éventuelle fuite
des cerveaux de la Russie, le plus connu concernant le Centre international
pour la science et la technologie (CIST). L'accord portant création de
ce centre a été signé en novembre 1992 par la
Communauté européenne de l'énergie atomique (CEEA), les
Etats-Unis, le Japon et la Fédération de Russie. D'autres pays
tels que la Finlande et la Suède les ont rejoints en 1994. L'objectif
principal du CIST est de "donner aux chercheurs et aux ingénieurs
travaillant sur les armes, notamment ceux qui possèdent les
connaissances et le savoir-faire liés aux armes de destruction massive
ou aux systèmes de lancement de missiles, la possibilité de
réorienter leurs talents vers des activités pacifiques....".
332. Depuis 1994, le CIST a financé 540 projets qui ont employé
environ 21 300 scientifiques et ingénieurs (parmi lesquels 60 %
avaient une compétence reconnue liée aux armes de destruction
massive) provenant de plus de 280 instituts de recherche de la
Communauté des Etats indépendants (CEI). Les projets
présentés par le Minatom et obtenant un financement
représentent 67 % des projets financés par le CIST.
333. En dehors des quatre fondateurs du CIST (Union européenne,
Etats-Unis, Japon et Russie) et des pays qui, nous venons de le voir, ont
adhéré à l'accord ultérieurement, la
République de Corée, la Norvège, la Suède et la
Finlande (ces deux derniers pays participent déjà au CIST
à travers l'Union européenne), on retiendra également
l'Arménie, le Biélorussie, la Géorgie, le Kazakhstan et la
République de Kirghizie.
334. Au cours de l'année 1997 et de la première moitié de
1998, 29 organisations au total sont devenues partenaires du CIST, apportant
ainsi de nouvelles sources de financement : le Centre européen de
recherche nucléaire (CERN), l'Agence suisse pour le développement
et la coopération, l'Académie nationale des sciences des
Etats-Unis, Scientific Utilization Incorporated, Dow Chemical Company,
Framatome, 3M, le Département américain de l'énergie,
Rhône-Poulenc Industrialisation, Dupont de Nemours, Sandia National
Laboratories, General Atomics, Burlington Bio-Medical and Scientific Corp.,
Marubeni, Hitachi Chemical Co. Ltd., General Electric, Bayer AG,
Forschungs-Zentrum Karlsruhe, Mitsubishi Electric Corp., Lawrence Livermore
National Laboratory, Consortium for Plasma Science, l'Agence des projets de
recherche avancés, Batelle Memorial Institute, DESY, Daimler-Benz
Aerospace, Hitachi Ltd., Hitachi Cable Ltd. et Nippon Mektron Ltd.
335. Quant aux projets entrepris par le CIST, ils couvrent une vaste gamme de
domaines technologiques et scientifiques où, pour beaucoup d'entre eux,
se posent des problèmes considérables tels que la surveillance de
la radioactivité dans l'environnement, l'amélioration de la
sûreté des réacteurs nucléaires ou des
méthodes de gestion des déchets nucléaires, pour ne citer
que ceux qui concernent l'objet de ce rapport.
336. La coopération bilatérale entre les membres de l'Union
européenne et la Russie a consisté, dans un premier temps,
à organiser des séminaires et à échanger des
experts. Les projets concrets déjà entamés ont inclus
ultérieurement une coopération directe entre les usines de
retraitement du Royaume-Uni et de la Russie, une coopération entre les
centrales françaises et russes, une coopération entre la
Suède, la Finlande et l'Allemagne d'une part et l'Ukraine, le
Kazakhstan, les pays baltes d'autre part, notamment pour le
développement de systèmes locaux de comptabilité des
matières nucléaires, ainsi qu'une coopération entre la
Finlande et les autorités fédérales et régionales
russes en vue de surveiller les risques et de renforcer les contrôles aux
frontières.
Autres coopérations bilatérales dans le domaine
militaire
337. En ce qui concerne plus précisément le secteur
nucléaire militaire, selon les informations que possède votre
rapporteur, l'aide bilatérale des Etats membres de l'OTAN à la
Russie dans le cadre des accords SSD de démantèlement en toute
sécurité (Safe and Secure Dismantlement) s'établissait
comme suit, fin novembre 1997 :
- La France et la Russie ont signé les accords SSD
suivants : accord général ; accord sur
l'utilisation des matières nucléaires à des fins civiles
(proramme d'étude étalé sur quatre ans) ; accord
d'assistance en matière d'équipement de surveillance et de
protection radiologiques ; accord sur la sûreté du
démantèlement des têtes nucléaires ; accord
sur le transport en toute sécurité des armes
nucléaires ; accord sur la construction d'une installation de
stockage des composants hydrogénés ; accord sur une
étude conjointe concernant la reconversion du plutonium de
qualité militaire (également avec l'Allemagne).
- L'Allemagne et la Russie ont signé un accord général
d'assistance pour l'élimination des armes nucléaires chimiques de
la Fédération de Russie, un projet d'accord sur les
équipements d'intervention en cas d'accident nucléaire, un projet
d'accord sur la destruction des armes chimiques et un accord sur une
étude conjointe sur la reconversion du plutonium de qualité
militaire, auquel participe la France.
- L'Italie et la Russie ont signé un accord de coopération sur
l'élimination des armes nucléaires assujetties à
réduction dans la Fédération de Russie.
- Les Pays-Bas et la Russie ont signé un accord général et
ont étudié un avant-projet sur la décontamination du sol
des sites de stockage et de destruction de la lewisite et des sols avoisinants.
Il existe également trois projets de suivi sous réserve des
décisions politiques nécessaires.
- Le Royaume-Uni et la Russie se sont mis d'accord sur le principe d'une
assistance britannique et ont signé un mémorandum d'entente
prévoyant l'envoi de 20 véhicules de transport et de 250
super-conteneurs pour le transport et le stockage en sécurité des
armes nucléaires.
- Le Canada et la Russie sont convenus de coopérer à la
réglementation concernant le contrôle et la comptabilité
des matières et la reconversion dans le domaine de la défense.
- Les Etats-Unis et la Russie, outre un accord général, ont
signé des accords sur la livraison d'équipements d'intervention
d'urgence et la formation s'y rapportant ; des blindages de protection
(programme terminé : 2 520 livrés) ; des conteneurs de
stockage et de transport des matières/composants fissiles ;
l'amélioration de la sûreté des wagons russes servant au
transport d'armes nucléaires ; l'étude d'une installation de
stockage des matières fissiles provenant des armes
démantelées ; la destruction des armes chimiques ; le
démantèlement des armes stratégiques offensives ; des
équipements d'installation de stockage de matières
fissiles ; le contrôle et la comptabilité des matières
nucléaires ; la sûreté du transport des têtes
nucléaires ; l'amélioration de la sûreté de
stockage des têtes nucléaires et la reconversion en matière
de défense.
338. La totalité des fonds engagés dans les programmes d'aide
liée au démantèlement des armes de destruction massive en
Russie se décompose comme suit : France, 32 millions de
dollars, Allemagne, 30,1 millions de dollars, Italie, 10 milliards de lires,
Pays-Bas, 6 millions de dollars, Royaume-Uni, 63 millions de dollars et
Etats-Unis, 567,5 millions de dollars.
339. En ce qui concerne les autres programmes liés aux
précédents, les chiffres sont les
suivants : reconversion des industries de défense :
Etats-Unis, 48 millions de dollars et Canada, 750 000 de dollars
canadiens ; Centre international pour la science et la technologie de
Moscou : Union européenne, 29 millions de dollars, Etats-Unis, 45
millions de dollars, Japon, 17 millions de dollars ; sûreté
des réacteurs nucléaires-protection de l'environnement :
Canada, 10 millions de dollars canadiens, Allemagne, 40 millions de
dollars ; réinsertion/stages de recyclage des officiers :
Allemagne, 93 millions de dollars, Royaume-Uni, 3,3 millions de livres.
340. Deux comités de l'OTAN, le Comité scientifique et le
Comité sur les défis de la société moderne (CDSM)
étudient très activement les problèmes d'environnement,
particulièrement dans la mesure où ils affectent la
sécurité au sens large.
341. Le programme scientifique, selon le Dr. Deniz Beten, Directeur du
programme du CDSM de l'OTAN, comporte diverses activités dans le domaine
de la sécurité de l'environnement : le domaine
prioritaire n° 1, "Technologies du désarmement" et le domaine
prioritaire n° 2, "Sécurité liée à
l'environnement" ainsi que le programme "Science au service de la paix". Dans
le cadre du domaine prioritaire n° 1 sont étudiés les
problèmes scientifiques liés aux technologies du
désarmement, y compris la destruction des armes nucléaires,
biologiques et chimiques et la reconversion des industries de défense.
Le domaine prioritaire n° 2 a trait aux problèmes scientifiques
liés à l'environnement, y compris l'assainissement des sites
militaires contaminés, les problèmes d'environnement
régionaux et les catastrophes naturelles provoquées par l'homme.
Toute une série de mécanismes de coopération servent
à apporter une assistance dans ces domaines en favorisant les
échanges entre les milieux scientifiques qui avaient été
artificiellement séparés durant des décennies. Ces
échanges sont à double sens ; autrement dit, ils profitent
aux deux parties, mais ils n'entrent pas dans le cadre d'un programme
d'assistance.
Le programme Science au service de la paix Science for Peace (SfP)
342. Le programme "Science au service de la paix" (SfP) consiste à
aider les pays partenaires dans leur passage à l'économie de
marché et l'assainissement de leur environnement. Le SfP met en oeuvre
des projets en matière de science et de technologie appliquées
aux problèmes industriels et d'environnement. En ce qui concerne le
CDSM, plusieurs importantes études pilotes traitant des problèmes
d'environnement associés aux activités militaires ont
été menées dans le cadre de ce programme, selon M. Beten.
Une de ces études, co-pilotée par les Etats-Unis et le
Royaume-Uni, porte sur "le secteur de la défense face aux attentes en
matière d'environnement". Une autre importante étude pilote du
CDSM concerne les problèmes d'environnement transfrontaliers. Elle est
conduite par la Norvège et l'Allemagne avec la participation de sept
autres pays de l'OTAN et de 11 partenaires de la Coopération, y compris
la Fédération de Russie. La Finlande et le Japon les ont rejoints
plus tard en tant qu'observateurs. L'expérience japonaise menée
sur les sous-marins perdus et sur l'immersion de déchets
nucléaires dans la mer d'Okhotsk et la mer du Japon est
particulièrement intéressante.
343. Les résultats de la première phase de cette étude
montrent que le niveau de radioactivité relevé dans les
régions arctiques de la Russie est très faible. Cependant, il
existe un risque de fuite ultérieure qui nécessite une
surveillance et une évaluation. La deuxième partie de cette
étude sera centrée sur l'évaluation du risque
résultant de la mise hors service des sous-marins nucléaires
ainsi que sur la gestion et le stockage des combustibles irradiés et des
déchets radioactifs.
344. On considère à l'OTAN que tout ce qui concerne la
sûreté de l'environnement correspond aux compétences et aux
moyens de l'Organisation, comme l'expose le projet de nouveau concept
stratégique de l'Alliance (qui doit être soumis aux alliés
au sommet de Washington en avril 1999), où l'on affirme que "la
sécurité et la stabilité ont des aspects politiques,
économiques, sociaux et liés à l'environnement, ainsi
qu'une dimension de défense indispensable".
345. Il convient enfin d'ajouter que c'est dans le cadre des accords
bilatéraux de coopération franco-russes de novembre 1992, dont
l'un porte sur le démantèlement dans des conditions sûres
des armes nucléaires en Russie et l'autre sur l'utilisation à des
fins civiles des matières nucléaires issues de ces armes, qu'a
été mené le programme AIDA-MOX consistant à
étudier les possibilités d'utiliser le plutonium provenant du
démantèlement des armes nucléaires comme combustible pour
les réacteurs nucléaires civils. Ces études ont permis de
constater l'intérêt et la faisabilité technique de
l'exploitation de ce plutonium dans certains réacteurs nucléaires
existant dans la Fédération de Russie.
346. En avril 1996, les pays du G7 et la Russie sont convenus de tenir une
réunion internationale d'experts sur la gestion sûre et efficace
des matières fissiles nucléaires désignées par les
pays qui les détiennent comme n'étant plus nécessaires aux
besoins de défense. Cette réunion, qui s'est
déroulée à Paris en octobre 1996, avait pour objectif de
comparer les diverses solutions possibles pour l'exploitation du plutonium. Les
résultats obtenus par le programme AIDA-MOX ainsi que ceux auxquels est
parvenue l'Allemagne aboutissent à la même conclusion, à
savoir que l'option recyclage en réacteurs présente plus
d'avantages que toute autre solution et que, sous l'angle industriel, elle est
suffisamment au point. L'accord de coopération franco-russe
correspondant a été signé en septembre dernier.
Exercices communs UEO-Russie
347. Depuis l'extension des missions ouvertes à l'UEO lors du sommet de
Petersberg, la prévention des crises entre dans les tâches
auxquelles l'UEO peut participer.
348. En raison de leur caractère spécifique, tout accident
nucléaire, y compris s'il survenait dans une centrale civile, exigerait
la mobilisation de moyens militaires : information des populations et alerte
des pays voisins, édiction et contrôle de restrictions de
circulation et/ou transferts de population, distribution de médicaments,
maintien de l'ordre public.
349. Aussi, en raison de cette nécessaire mobilisation de moyens
militaires, les organes de l'UEO devraient étudier la possibilité
d'organiser, à partir d'un scénario de simulation d'accident
nucléaire, une réponse coordonnée entre les forces
terrestres russes et leurs homologues des Etats membres de l'UEO, y compris les
Etats bénéficiant du statut d'associés partenaires.
350. En effet, l'accident de Tchernobyl a mis en lumière, outre les
problèmes de sûreté des centrales, certaines lacunes dans
la gestion des conséquences de l'accident, lenteur de l'information
internationale et retard dans les réponses sanitaires :
évacuation des populations, interdiction de circulation, distribution de
comprimés iodés.
V. Conclusions
351.
C'est une évidence d'affirmer que le problème de la
sécurité nucléaire ne concerne pas exclusivement la
Russie, ni même les pays qui formaient l'ex-Union soviétique.
C'est un problème qui touche en premier lieu tous les pays dotés
d'installations nucléaires et/ou d'armes atomiques et en second lieu
l'ensemble de la communauté internationale, puisque les
répercussions d'un incident nucléaire seraient de nature à
affecter la planète tout entière.
352. Cela dit, il est clair que c'est dans les pays de l'ex-Union
soviétique, et plus particulièrement en Russie, que le
problème est aggravé par une série de facteurs
spécifiques, liés principalement à l'absence de culture de
sécurité et à l'état chaotique de l'économie
russe.
353. D'un autre côté, il serait injuste d'oublier le très
haut niveau de la recherche scientifique russe, en particulier de la
communauté scientifique nucléaire, qui possède une
expérience et un savoir-faire exceptionnels et, dans certains domaines,
uniques au monde.
354. La communauté internationale est consciente du problème, et
l'on ne compte plus les organisations internationales, les pays et les
entreprises qui coopèrent avec la Russie dans le domaine du
nucléaire tant civil que militaire. Cette multiplicité des
acteurs explique l'absence de coordination entre les différentes
initiatives que l'on peut observer, et on a, en outre, le sentiment que la
Russie ne reconnaît pas aux accords et aux engagements auxquels elle
souscrit un caractère vraiment contraignant.
355. Que la situation en Russie soit réellement préoccupante est
attesté par la décision prise par le G7 de consacrer une
réunion spéciale au thème de la sécurité des
centrales nucléaires de ce pays, réunion qui s'est tenue à
Moscou en avril 1996. La situation ne semble guère avoir
évolué depuis.
356. Mais c'est dans le domaine du nucléaire militaire que la situation
est véritablement critique. La péninsule de Kola, qui abrite les
bases navales de Severomorsk et de Mourmansk, est considérée par
beaucoup comme le lieu le plus dangereux de la planète, et il ne semble
pas que
les mesures adoptées jusqu'ici soient susceptibles de
réduire notablement ce risque.
357. Par ailleurs, le procès d'Alexandre Nikitine, ex-officier de
marine russe, qui se déroule en ce moment à Moscou, ne
contribuera pas à résoudre le problème et rappelle en
outre par trop les méthodes de l'ancien régime soviétique
qui ont, à l'évidence, du mal à disparaître.
358. Nous ne disons rien de nouveau en affirmant que la situation du
nucléaire civil et militaire en Russie constitue un risque pour la
sécurité mondiale et en particulier pour la
sécurité en Europe.
359. L'UEO est de ce fait appelée à jouer un rôle de
premier plan dans l'analyse du problème, la recherche de solutions et la
coordination de l'aide nécessaire pour le résoudre.
360. A diverses reprises, le Conseil de notre Organisation a invité
cette Assemblée à lui soumettre des suggestions et des
propositions concernant la Russie, dans le but d'améliorer, de stimuler
et de développer les liens entre ce grand pays et l'UEO. Or, c'est bien
là un domaine dans lequel doit exister un intérêt mutuel de
coopération. La sécurité en Europe est le domaine de
coopération le plus juste et le plus adapté dans le cadre de
toute relation entre l'UEO et la Russie.
361. Enfin, n'oublions pas les paroles prononcées par l'inspecteur
général du ministère de la défense chargé de
la surveillance nucléaire : cela aurait dû être fait
hier. Nous ajouterons seulement qu'il sera peut-être trop tard demain, et
que la seule attitude sensée est de nous mettre aujourd'hui au travail
ensemble pour déterminer la forme de coopération la plus
adaptée.
ANNEXE I
GLOSSAIRE
ABM
Missiles anti-balistiques
AEPS
Stratégie de protection du milieu arctique
AIDA
Programme d'aide au démantèlement des armes
nucléaires en Russie
AIEA
Agence internationale de l'énergie atomique
BERD
Banque européenne de reconstruction et de
développement
CCR
Centre commun de recherche Commission européenne
CDSM
Comité sur les défis de la société
moderne
CEEA
Communauté européenne de l'énergie atomique
CEG
Groupe de contact d'experts
CSN
Compte pour la sûreté nucléaire
EPR
Réacteur à eau pressurisée européen
GAN
Comité d'Etat pour la surveillance de la sûreté
nucléaire et radiologique
HEU
Uranium fortement enrichi
ICBMs
Missiles balistiques intercontinentaux
IPPE
Institut de physique et d'énergie
ISTC
Centre international pour la science et la technologie
LEU
Uranium faiblement enrichi
MINATOM
Ministère de l'énergie atomique
MIRVs
Vecteurs à têtes multiples indépendamment
guidables
MOX
Mélange d'oxydes d'uranium et de plutonium
MPC&A
Protection, contrôle et comptabilité des
matières
NUSAC
Coordination de l'aide en matière de sûreté
nucléaire
PALS
Système de sécurité mettant une arme
nucléaire stratégique hors service
RBMK
Réacteur à modérateur graphite
ROSENERGOATOM
Centre d'Etat russe pour la production d'énergie
électrique et thermique dans les centrales nucléaires
SEC NRS
Centre d'études scientifiques et techniques pour la
sûreté nucléaire et radiologique
SfP
Programme "Science au service de la paix"
SLBM
Missile balistique lancé de sous-marin
START
Traité sur la réduction des armes
stratégiques
TACIS
Assistance technique à la Communauté des Etats
indépendants
VVER
Réacteurs à eau pressurisée
ANNEXE II
Centrales nucléaires de conception soviétique en
Europe
ANNEXE III
Infrastructure des armes nucléaires de la Russie
LES TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION
FRANÇAISE A
L'ASSEMBLÉE
DE L'UNION DE L'EUROPE
OCCIDENTALE
44
ème
session ordinaire
(mai 1998 - décembre 1998)
Le présent rapport retrace l'activité des membres de la Délégation française, composée de 12 sénateurs (6 titulaires, 6 suppléants) et de 24 députés (12 titulaires, 12 suppléants) à l'Assemblée de l'Union de l'Europe Occidentale qui a consacré ses principaux débats à la configuration d'une Europe de la Défense, entre OTAN et Union européenne, ainsi qu'à l'adaptation opérationnelle de l'UEO pour répondre aux crises, notamment dans les Balkans.