François BROTTES Député de l'Isère, membre de la CSSPPT

Je remercie le vice-président Larcher d'avoir invité à ce colloque des élus de tous bords politiques. Pourtant, en écoutant les interventions des différents participants, je me suis rendu compte qu'au fond, le marché n avait théoriquement pas besoin d'élus : si un régulateur suffisamment efficace est mis en place, il devrait se gérer de lui-même.

Je pense au contraire qu'il est du devoir des politiques de corriger lorsque nécessaire certaines carences du marché. A ce propos, Gérard Delfau et Pierre Hérisson ont déjà évoqué une grande partie des points dont je voulais parler. Toutefois, à mes yeux, un constat s'impose en France : les missions d'intérêt général existent tant en matière de service postal que de service financier. D'autre part, La Poste a un rôle à jouer en matière de développement puisqu'elle peut donner au niveau local un signe de vie économique et de dynamisme. Cela peut encourager d'autres acteurs à prendre des initiatives. La cohésion sociale a besoin de ces missions d'intérêt général pour s'accomplir.

L'importance du service public

Les missions de service public se caractérisent par les principes suivants : desserte de l'ensemble du territoire, péréquation des tarifs et égalité d'accès à des services de qualité. Sur ces points, nous sommes tous d'accord. Mais il faut être précis sur les priorités à définir : beaucoup estiment qu'il faut penser avant tout au consommateur final ou au citoyen auquel il faut apporter une qualité de plus en plus grande à un prix de plus en plus bas grâce à la concurrence.

Mais il existe deux conceptions très différentes à ce niveau. Certains pensent que l'ouverture des marchés et la mise en concurrence suffiront à régler tous les problèmes. D'autres, au contraire, comme Monsieur Pierret et moi se font l'écho de la position française en affirmant que le périmètre du service universel et celui du domaine réservé à notre opérateur public doivent être larges pour garantir l'accès de tous au service proposé. Cela se différencie assez nettement de la position de la majorité des pays européens.

Nous savons pourtant que l'intérêt du marché est d'exploiter les secteurs à forte rentabilité. Il s'agit donc de préférence de zones denses où les clients sont nombreux et où un minimum de coûts sont nécessaires à l'entreprise pour aller à la rencontre de ses clients. Or le recensement nous indique que la perte démographique de certaines portions de notre territoire se poursuit. Il est donc urgent de réagir face à ces phénomènes pour éviter de se trouver confronté à une concentration urbaine excessive qui est génératrice de nombreuses difficultés sociales. Nous ne pouvons pas abandonner la desserte postale des zones faiblement peuplées, ainsi que le rappelle régulièrement Gérard Delfau.

D'autre part, les plus libéraux d'entre nous qui protestent contre l'accroissement de la dépense publique sont souvent les premiers à demander une augmentation des aides et des incitations de l'État ou des collectivités locales pour compenser les carences du marché. On l'a vu récemment lors du débat sur l'intervention des collectivités locales en matière de télécommunications.

Le financement de ce service public

En ce qui concerne le financement du service public, on peut entrevoir plusieurs types de solutions possibles. Toutes sont conditionnées par la mise en oeuvre d'une parfaite transparence des comptes qui est indispensable pour éviter un flou qui nuirait à la crédibilité de l'opérateur public. Il faut d'ailleurs prendre garde à ne pas trop valoriser la mission de service universel de La Poste afin d'éviter qu'il ne soit perçu par les autres opérateurs comme un atout en terme d'image qui ne justifierait pas le versement d'une compensation financière de leur part.

J'ai donc identifié quatre solutions de financement :


• On met en place un système de régulation du marché qui permettra notamment l'émancipation des acteurs entrants. Mais cela n'assurera pas la mission de cohésion sociale de l'opérateur historique. Il faudra donc instaurer également un système de compensation en prélevant sur l'ensemble des acteurs du marché une ressource alimentant le fonds qui servira à La Poste à financer ses missions de service public. C'est le système qui a été retenu dans le cas des télécommunications. C'est probablement la meilleure solution puisque le service universel coûte plusieurs milliards de francs par an à La Poste et n'est guère rentable. Le problème est que la tendance du régulateur sur ce type de marché est de renégocier sans cesse la définition du service universel qu'il juge trop large et trop cher. C'est ce qui se passe pour les Télécoms et cela ne me paraît pas forcément souhaitable.


• On laisse à l'opérateur historique un important service réservé tout en lui donnant la possibilité de se diversifier sur d'autres métiers et d'étendre son influence internationale afin de lui offrir une garantie de revenus permettant la péréquation. Mais la majorité des pays européens considèrent cela comme une attitude de prédation par rapport aux nouveaux entrants du marché.


• On demande à l'État de compenser en lieu et place des acteurs du marché l'exercice de cette mission d'intérêt général. Ce n'est pas interdit par la Commission Européenne et, dans les faits, cela est déjà pratiqué à travers la mise à disposition de locaux, de l'aide à la diffusion de la presse, d'exonération de différentes taxes... Mais, dans ce cas, la fiscalité s'alourdit et les habitants sont obligés de contribuer alors que les acteurs du marché ont toute latitude de réaliser des bénéfices.


• On organise de matière volontariste un système orienté vers les coûts qui met en oeuvre au cas par cas une organisation des moyens en fonction des besoins locaux. C'est l'idée des maisons de service public qui pourront être des groupements d'intérêt public comportant au moins un partenaire public en leur sein et qui rempliront des missions d'intérêt général auprès des populations dans les domaines de l'emploi, des télécoms, des services municipaux, de l'énergie, de La Poste... On pourra alors faire intervenir un financement public tout en encourageant une poly-activité et une pluri-compétence. Les professionnels en charge de ces maisons devront en effet connaître différents types de secteurs d'activité afin de limiter les coûts d'exploitation tout en assurant une présence du service public sur l'ensemble du territoire. C'est un chantier entièrement nouveau qui devra surmonter un certain nombre de rigidités et de corporatisme. Je considère néanmoins qu'il s'agit d'une vraie chance de maintenir sur notre territoire des missions d'intérêt général efficaces. Je sais que certains acteurs du marché ne seront guère enthousiastes vis à vis de cette idée qui entraînera un mélange des flux financiers entre fonds publics et fonds privés.

Je pense qu'il faut savoir panacher ces solutions pour que le citoyen usager reste au centre des préoccupations des pouvoirs publics.

Pour conclure, je rappellerai que ce débat n'est pas franco-français et que partout en Europe, le mieux disant en matière de cohésion sociale doit avoir la même considération que le mieux disant en matière de résultats financiers. Je pense également que les "intégristes du marché" ont tort d'exclure du champ de leurs réflexions les publics et les territoires défavorisés. Même dans la logique du profit, la cohésion et le progrès sociaux sont des facteurs de développement durable du marché. La finalité qui nous rassemble tous est la satisfaction du client, à condition toutefois que personne ne soit exclu et que cette satisfaction soit au service du mieux vivre et du mieux être de tous.

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