AUDITIONS DU 10 NOVEMBRE 1999
1. PROFESSEUR CLAUDE SUREAU, MEMBRE DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE
On peut réfléchir sur l'avenir de la thérapie cellulaire, qui est en évolution très rapide, à partir de trois points de vue.
- Il est d'ores et déjà des cas où l'utilisation des cellules ne soulève aucun problème juridique ou éthique. Ainsi en va-t-il pour les greffes de peau à partir de kératinocytes prélevés sur le patient, mis en culture et réimplantés pour le traitement des brûlures. La question se pose des délais dans lesquels une telle méthode pourra être appliquée à d'autres lignées cellulaires.
- Une perspective très novatrice vient d'être révélée par la découverte, récemment publiée, de la capacité des cellules nerveuses de se transformer en cellules souches hématopoïétiques lorsqu'elles sont soumises à certaines conditions. Si l'exploitation d'une telle plasticité s'avère possible, elle rendra caduque toute réflexion sur l'utilité des cellules embryonnaires et du clonage thérapeutique.
- Ne faut-il pas, dans l'attente, qui peut être longue, de cette ressource thérapeutique, considérer comme une solution intermédiaire et temporaire l'utilisation de cellules embryonnaires et de cellules clonées ou, plus précisément, résultant d'un transfert nucléaire ? Si ces lignées de cellules sont développées à l'étranger, on risque de se trouver soumis à une pression de l'opinion publique tendant à les acheter pour les utiliser en France. Est-on en droit de perdre du temps ? C'est sur ces considérations que s'est fondé l'avis n° 53 du Comité consultatif national d'éthique pour recommander l'utilisation de cellules extraites de la masse interne d'un embryon de quelques jours.
Faut-il sacrifier le concept de l'embryon, personne humaine réelle dès la fécondation, à un intérêt thérapeutique immédiat ? Il y a là un conflit d'intérêts entre un concept transcendant et une préoccupation « utilitariste ».
Ce point est directement lié à la définition du statut de l'embryon et du foetus. A titre personnel, le professeur SUREAU juge quelque peu dérisoire une situation fondée sur une analyse juridique issue du droit romain, aux termes de laquelle il n'existe que des personnes et des choses alors que cette classification est objectivement battue en brèche depuis des années, notamment par le CCNE qui qualifie l'embryon de personne humaine « potentielle ». La chambre criminelle de la Cour de cassation elle-même a jugé que dans le cas d'un accident foetal, involontaire mais fautif, la destruction d'un foetus de cinq mois n'est pas constitutive d'un homicide.
Le professeur SUREAU estime qu'il y a, jusqu'à la naissance, une élaboration progressive de la personne humaine et qu'on ne peut confondre dans la même définition un embryon de quatre cellules, un embryon extra-utérin, un embryon de six semaines éventuellement soumis à une IVG et un foetus de quatre mois qui fera l'objet d'un avortement thérapeutique à la suite d'un diagnostic de mongolisme. C'est la raison pour laquelle l'Académie de médecine a esquissé la notion de statut médical de l'embryon et du foetus qui peut autoriser des décisions au cas par cas.
Le clonage par transfert nucléaire permettra peut-être d'échapper à ce dilemme car l'être résultant de cette opération n'est pas au sens propre un embryon. Il peut certes se développer pour donner un individu mais, si l'on suit cette ligne de pensée, toute cellule somatique est un embryon potentiel. On peut par ailleurs souligner que le diagnostic préimplantatoire est un clonage par séparation blastomérique, à visée diagnostique et éventuellement reproductive pour le clone conservé.
Il est possible d'utiliser des produits d'IVG pour certaines expériences thérapeutiques comme c'est actuellement le cas dans le domaine neurologique mais l'utilisation thérapeutique des cellules embryonnaires imposera nécessairement le recours à des embryons sains.
La recherche sur les cellules pluripotentes obtenues par prélèvement embryonnaire ou par transfert de noyau est déjà très avancée aux Etats-Unis et risque de prendre le pas sur l'étude des possibilités offertes par les changements de lignées cellulaires même si cette seconde voie a pour avantage de contourner les problèmes philosophiques liés à l'utilisation de l'embryon. Mais si les cellules embryonnaires sont, dans les vingt ans qui viennent, couramment utilisées à des fins thérapeutiques, il n'est pas exclu que cela modifie, dans la mentalité collective, le contenu donné au concept d'embryon. Une évolution comparable s'est produite, au cours des trente dernières années, à propos de la grossesse extra-utérine que personne aujourd'hui n'envisagerait de laisser se développer au motif qu'elle peut éventuellement aboutir à la naissance d'un enfant vivant.
L'un des objectifs qui fondent le développement de la recherche sur les gamètes et l'embryon est de renforcer la sécurité et l'efficacité de la fécondation in vitro en évitant, en particulier, les grossesses multiples et leurs conséquences en termes de prématurité. La voie la plus efficace serait de parvenir à congeler les ovocytes, ce qui rendrait inutile la congélation embryonnaire. Cependant, un ovocyte décongelé ne pourra être utilisé pour une FIVETE que si l'on a pu préalablement s'assurer de l'innocuité de cette méthode de conservation. Ceci implique donc que des embryons soient créés à cette fin, sans but procréatif, ce qu'interdit la Convention d'Oviedo. C'est l'une des raisons qui ont conduit les Britanniques à ne pas la signer.
Il est permis de penser que le recours au clonage thérapeutique permettra un jour d'obtenir des cellules pluripotentes sans passer par un embryon mais ceci implique, là encore, une phase de recherche utilisant l'embryon en dehors de tout projet procréatif. D'autre part, le transfert de noyau nécessite un don d'ovocyte à des fins de pure recherche, ce qui ne va pas sans problème. La question se posera de l'utilisation d'ovocytes de femmes décédées accidentellement, question à laquelle la HFEA britannique a donné une réponse négative dans le cadre de la FIV.
La solution pourrait être, comme certaines expériences américaines le laissent entrevoir, d'utiliser des ovocytes de vache comme réceptacle du noyau humain. Resterait à déterminer l'influence du cytoplasme d'origine animale dans le développement de ces cellules.
Une autre solution pourrait consister à recourir à des ovocytes foetaux, compte tenu des progrès déjà effectués en matière de maturation in vitro des ovocytes.
Le professeur SUREAU souligne en conclusion la nécessité de soumettre tout programme de recherche :
- à l'autorisation préalable d'une commission renforcée sur le modèle de la HFEA britannique .
- à une surveillance de la mise en oeuvre ;
- à un suivi ultérieur, tant médical que scientifique.
2. DOCTEUR FRANÇOIS PATTOU, CENTRE HOSPITALIER RÉGIONAL UNIVERSITAIRE DE LILLE
Praticien hospitalo-universitaire au CHRU de Lille et à l'Université de Lille II, le docteur PATTOU dirige un laboratoire dont le thème principal de recherche est le traitement du diabète par la thérapie cellulaire, sous forme de greffe allogénique d'îlots de Langerhans, cellules sécrétrices de l'insuline. Un programme d'expérimentation clinique a été mis en oeuvre depuis deux ans.
Les îlots de Langerhans sont des cellules provenant du pancréas dont elles représentent 2 % de la masse totale. L'organe est prélevé sur des donneurs en état de mort cérébrale puis préparé afin d'en extraire les cellules destinées à être greffées.
Les patients candidats à cette thérapie sont des diabétiques soumis à un traitement immunosuppresseur parce qu'ils attendent une transplantation rénale ou en ont déjà bénéficié.
Les perspectives qui s'ouvrent à l'heure actuelle aux chercheurs sont bien identifiées grâce, notamment, à l'action de l'Association américaine des diabétiques qui finance cette recherche à une hauteur équivalente à celle des NIH, le but affiché étant de guérir le diabète dans les dix ans à venir. Les plus grands groupes de recherche américains s'intéressant au diabète, assurés d'un financement récurrent, se sont lancés dans cette bataille qui était jusqu'ici l'oeuvre d'équipes plus restreintes.
Deux objectifs ont été définis.
- Le premier est de parvenir à se passer de l'immunosuppression afin de pouvoir proposer cette technique à tous les diabétiques. Avec des cellules qui présentent la particularité d'être disponibles quelques jours, voire quelques semaines avant d'être greffées - ce qui n'est pas le cas des organes - de nombreuses solutions théoriques sont possibles et quatre voies au moins ont été expérimentées avec succès chez l'animal (action sur le thymus, tolérisation du receveur, transfection des cellules par des gènes protecteurs, protection physique par une membrane semi-perméable). Elles restent encore à démontrer chez le gros animal.
- Le second est de développer une source alternative de cellules insulino-sécrétrices, quasiment illimitée et éventuellement accessible à un projet industriel.
• La xénogreffe, solution théorique initialement avancée, a subi, pour ce qui concerne les îlots de Langerhans, un sérieux coup d'arrêt en raison de problèmes infectieux qui, dans le cas du diabète, maladie létale, revêtent une particulière gravité.
• La source principale est celle qu'offre l'embryologie à partir des cellules souches. Le pancréas, contrairement à ce que l'on a longtemps cru, n'est pas un organe de la sphère neurologique mais un organe d'origine endothéliale. Des cellules souches endothéliales ont été caractérisées chez le rongeur adulte et, plus récemment, chez l'homme. On peut sous certaines conditions, pathologiques chez l'homme, expérimentales chez l'animal, réinduire leur différenciation. Des cellules souches canalaires pancréatiques peuvent ainsi conduire à la création de cellules endocrines pancréatiques.
Ceci ouvre la porte à deux voies principales :
- la néoformation in vitro, à base de cellules souches adultes, de lignées continues qui se développent de façon illimitée, ce qui n'est pas le cas des cellules primitives pancréatiques qui se dédifférencient immédiatement si l'on tente de les faire se multiplier. Ces lignées pourraient être, soit allogéniques, soit autologues. Cette solution paraît réalisable dans les dix années qui viennent ;
- les lignées continues de génie génétique qui posent cependant, sur le plan scientifique, un problème conceptuel important : si l'on peut très facilement faire sécréter de l'insuline à une cellule musculaire, on ne possède pas actuellement les outils permettant de réguler cette sécrétion.
Le docteur PATTOU met en évidence deux types de problèmes posés par la loi de 1994 en ce qui concerne le prélèvement des cellules et l'utilisation qui en est faite.
S'agissant du prélèvement, la règle du consentement présumé applicable à l'utilisation scientifique ou thérapeutique ne soulevait, avant 1994, aucune difficulté. La distinction opérée par la loi de 1994 entre prélèvement scientifique et thérapeutique n'a pu être mise en oeuvre immédiatement faute de textes d'application. A titre temporaire, il a été recouru localement au comité d'éthique.
En l'état actuel des textes, la mise en oeuvre de la greffe de cellules pancréatiques n'est possible que lorsqu'il y a, sur la liste nationale de l'EFG, un receveur lillois compatible avec le donneur envisagé.
En revanche, les activités de développement (procédure d'isolement d'îlots) et de recherche ne sont pas prévues par la loi et ont donc dû être interrompues. Si la loi permet en théorie les prélèvements à but scientifique, elle ne les autorise pas du tout en pratique : l'obligation faite de s'assurer de l'identité du donneur en cas de prélèvement scientifique aboutissait à une interruption des prélèvements. Une solution tacite a été mise en place avec l'EFG afin d'assimiler les prélèvements scientifiques - par ailleurs très encadrés - à des prélèvements thérapeutiques afin de lever cet obstacle.
Il conviendrait donc de séparer nettement les phases de prélèvement et d'utilisation. Une fois le prélèvement réalisé, les cellules devraient être « dépersonnalisées » et détachées de leur origine.
En conclusion, le docteur PATTOU souligne le problème posé par les produits « ancillaires », utilisés pour la préparation des cellules en laboratoire, qui ne sont pas destinés à agir chez le malade mais s'y retrouvent à l'état de trace. D'autre part, la notion de lot pose, dans le cas des cellules primaires humaines, un problème de définition, le lot étant dans ce cas constitué par le donneur lui-même. Aussi conviendrait-il de prévoir les adaptations nécessaires pour que l'évaluation du produit thérapeutique n'aboutisse pas à sa destruction.