LE RÔLE DES AUTORITÉS BRITANNIQUES DE RÉGULATION EN MATIÈRE DE THÉRAPIE CELLULAIRE ET DE CLONAGE, ET LA LIGNE ADOPTÉE PAR LES DIFFÉRENTS PAYS DE L'UNION EUROPÉENNE -

DOCTEUR ANNE MC LAREN - MEMBRE DE L'HFEA ET DU GROUPE EUROPÉEN D'ÉTHIQUE DES SCIENCES ET DES NOUVELLES TECHNOLOGIES

Il existe un grand nombre d'infections graves du foie, du sang, du coeur (l'arthrite, le diabète), qui pourraient être soignées par des greffes de cellules ou de tissus. Les cellules nécessaires pour réparer l'organe atteint sont de différents types : les cellules du sang, les cellules nerveuses, les cellules musculaires, etc. Les chirurgiens souhaiteraient disposer d'une source permanente de cellules et de tissus. Leur objectif est que la greffe ne provoque pas un rejet. Il existe deux stratégies actuellement pour répondre aux besoins : d'une part, la recherche sur les cellules souches, d'autre part, le développement des xénogreffes. Aujourd'hui, je vais vous parler de la recherche sur les cellules souches.

Qu'est-ce qu'une cellule souche ? Il s'agit d'une cellule capable de produire une autre cellule, qui lui ressemble et qui est capable de se différencier en types tissulaires. Les cellules souches sont très importantes dans l'organisme. Parfois, la cellule souche non seulement se renouvelle mais elle produit un autre type cellulaire. Dans la peau et la muqueuse intestinale, il existe des cellules souches qui se reproduisent en un seul type de cellules spécialisées. En revanche, les cellules multipotentes produisent différents types de cellules. Ainsi, dans la moelle osseuse, la cellule souche peut produire dix à quinze types différents de cellules du sang. Les cellules neurales produisent différents types de cellules de notre cerveau. Les cellules souches pluripotentes produisent plusieurs types de cellules. Le type le plus courant de cellule souche pluripotente sur lequel on a travaillé, sur la souris en particulier, est la cellule souche embryonnaire, la cellule ES. Une cellule souche pluripotente peut être produite à partir des cellules germinales primordiales, les ancêtres des ovocytes et des spermatozoïdes. Ces cellules s'appellent les cellules EG.

Je voudrais vous parler plus particulièrement des cellules ES. La « totipotence » est un terme difficile à utiliser. La meilleure définition est la suivante. La totipotence concerne une cellule qui est capable seule de produire un organisme adulte. Certains utilisent le terme dans la même acception que « pluripotence », pour des cellules qui sont capables de produire de nombreux types de cellules mais qui ne sont pas capables de produire un organisme entier.

Comment fabrique-t-on les cellules souches embryonnaires dans la recherche animale ? L'ovule fertilisé produit deux cellules, puis quatre cellules. Le stade des quarante cellules est le stade du blastocyste. A ce stade, les cellules extérieures constituent le placenta et les cellules intérieures produisent certaines parties du placenta et le foetus lui-même. Si les cellules intérieures sont cultivées avec des produits chimiques appropriées, une population de cellules se développe en se subdivisant indéfiniment, pour s'immortaliser en cellules uniques. De nombreuses recherches ont été effectuées pour inciter les cellules souches à produire des cellules sanguines, nerveuses ou musculaires. Des réussites ont été observées dans ce domaine.

Les cellules souches embryonnaires ont certaines propriétés. Elles sont dérivées d'embryons au stade blastocyste, prolifèrent indéfiniment in vitro, se différencient en de nombreux types de cellules in vitro. Si on les remet dans un embryon, elles colonisent tous les tissus. Mais elles ne peuvent pas seules constituer un embryon. Ce sont des cellules souches d'embryons. Ce ne sont pas des embryons.

Il y a deux ans, Jammy THOMSON, aux Etats-Unis, a fabriqué des cellules embryonnaires à partir d'un blastocyste humain. A la même époque, John GEARHART a fabriqué des cellules pluripotentes EG. Il a réussi à obtenir une lignée de cellules souches. Les blastocystes humains utilisés pour ce travail ont été donnés par un couple non fertile, qui suivait un traitement IVF et qui a fait don du blastocyste à des fins de recherche. Ce type d'expérimentation pose la question de la recherche sur l'embryon humain.

Dans mon pays, au Royaume-Uni, un long débat a eu lieu dans les années 80 sur le fait de savoir si la recherche sur l'embryon humain, même strictement réglementée, était ou non éthique. En 1990, notre Parlement a voté en faveur de l'autorisation d'une recherche réglementée sur l'embryon humain (234 voix favorables et 80 voix défavorables à la Chambre des Lords, 364 voix favorables et 193 voix défavorables à la Chambre des Communes). Suite à ce vote, l'Autorité d'embryologie humaine a été créée. Elle a l'autorisation de contrôler toutes les utilisations cliniques d'insémination, la conservation de gamètes et d'embryons, et également la recherche sur tous les embryons humains. Pour qu'un projet de recherche soit autorisé, il doit respecter certaines règles. Il faut qu'il soit scientifiquement valable et approuvé par le comité d'éthique local. Par ailleurs, l'embryon qui fait l'objet de recherche ne doit pas être cultivé in vitro plus de quatorze jours. Enfin, l'embryon ne doit pas être remis dans l'utérus. Les finalités d'un projet de recherche sur l'embryon humain sont précisées dans la loi de 1990. Un tel projet doit avoir pour but de faire progresser les traitements de l'infertilité, d'accroître les connaissances sur les causes des maladies congénitales et des fausses couches, de développer des techniques plus efficaces de contraception ou d'élaborer des méthodes de détection des anomalies géniques ou chromosomiques des embryons avant l'implantation. La fabrication de cellules souches embryonnaires à partir d'embryons humains est autorisée au Royaume-Uni pour ces motifs. Des autorisations de recherche ont donc été données pour produire de telles cellules, mais non pour développer la thérapeutique cellulaire ou tissulaire. L'avis de l'Autorité d'Embryologie et de Fertilisation Humaine (HFEA) et celui de la commission consultative auprès du gouvernement ont été d'ajouter une autre fin autorisée : le développement de méthodes de thérapie pour des tissus ou des organes endommagés.

Les types de thérapies cellulaires ou tissulaires dont j'ai parlé présentent un problème, celui du rejet du greffon. On peut actuellement contourner cette difficulté avec des médicaments immunosuppressifs. Ces médicaments sont de plus en plus efficaces. Ils comportent cependant un inconvénient : le patient devient plus vulnérable aux infections et aux cancers. Différents moyens pourraient être utilisés pour prévenir le rejet du greffon : la constitution d'une banque de cellules souches ES humaines, la manipulation génétique, l'induction de tolérance dans le patient ou la technologie de remplacement nucléaire du clonage.

Je voudrais dire quelques mots de l'utilisation du clonage à cette fin. Par clonage, j'entends la production d'organismes génétiquement identiques, qui partagent les mêmes ensembles de gènes nucléaires. Je parle des 50 000 à 100 000 cellules qui se trouvent dans le noyau. Il existe deux méthodes de clonage : le clonage par scission d'embryons et le clonage par remplacement du noyau cellulaire. Dans le deuxième cas, il s'agit de prendre l'ovule non fertilisé d'une brebis, d'en enlever les gènes et le noyau, et d'insérer dans l'ovule ainsi vidé un noyau emprunté à une cellule adulte d'une autre brebis. Cet embryon reconstruit est implanté dans l'utérus d'une mère porteuse. Ainsi est-on parvenu à la naissance de Dolly. Cette technique n'est pas très efficace. Elle a été utilisée pour des brebis et pour des bovins. Il existe également une souris clonée en France. Je crois que personne n'a encore pu faire de clonage sur les lapins ou les porcs. Le clonage par remplacement du noyau cellulaire n'est pas garanti de succès et produit parfois des anomalies. De ce fait, il y a un consensus en Europe pour que le clonage reproductif humain soit interdit. Un clonage non reproductif, en revanche, pour produire le blastocyste à partir duquel les cellules souches embryonnaires pourraient être cultivées, représente une technique acceptée au Royaume-Uni. Il s'agirait, à partir d'un patient frappé d'une des pathologies dont je vous ai parlé au début de mon exposé, de prélever une cellule somatique, dont le noyau serait transféré à un ovocyte d'un donneur femme. Le noyau serait retiré de l'ovocyte et les gènes du patient insérés. Une lignée de cellules souches pluripotentes serait ainsi obtenue. On pourrait imaginer, dans un avenir lointain, de produire des cellules de muscle cardiaque que l'on pourrait réinsérer, sans crainte de rejet, dans le coeur du patient atteint. Les cellules souches pluripotentes sont extrêmement précieuses.

Mais la fabrication d'embryons in vitro à des fins de recherche est interdite dans de nombreux pays. Il est possible d'utiliser des embryons donnés, formés in vitro, pour un traitement contre l'infertilité, mais il n'est pas autorisé de créer des embryons à des fins de recherche. Au Royaume-Uni, le Parlement a voté en 1990 l'autorisation de la création spéciale d'embryons à des fins de recherche, par 214 voix favorables et 80 voix défavorables à la Chambre des Lords, et par 246 voix favorables et 208 voix défavorables à la Chambre des Communes. En vertu de cette loi sur la fertilisation humaine et l'embryologie, une autorisation de recherche peut être accordée pour produire des embryons in vitro.

Je suis membre du Groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies de la Commission européenne. Le Groupe a déclaré que le clonage reproductif n'était pas acceptable sur le plan éthique mais il n'a pas exclu la possibilité d'un clonage non reproductif pour la thérapie tissulaire. Le Parlement européen a présenté un amendement au cinquième Programme cadre, qui interdirait le financement d'un projet de recherche sur l'embryon humain. Après étude de cet amendement, le Groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies a conclu que la situation de la recherche sur l'embryon humain et le statut de l'embryon humain dans les différents pays d'Europe présentaient un caractère extrêmement hétérogène. L'Allemagne, la Norvège, l'Irlande et l'Autriche interdisent toutes recherches sur l'embryon humain. D'autres pays, comme l'Italie, autorisent tous types de recherche. Au Royaume-Uni, la réglementation en matière de recherche sur l'embryon humain est très stricte. Le Groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies a donc déclaré qu'il serait peu démocratique que les pays européens qui autorisent la recherche sur l'embryon humain se heurtent au veto d'autres pays. Finalement, l'amendement proposé par le Parlement européen a été rejeté par le Conseil des Ministres.

Questions de la salle

Jacques MONTAGUT

Je vous remercie pour cet exposé très clair, qui va nous permettre de bien nous comprendre au cours de nos débats. La Commission HFEA, à laquelle vous siégez depuis sa création, a de par la loi de 1990 un cadre précis pour l'orientation des recherches sur l'embryon susceptibles d'être autorisées au Royaume-Uni. Vous n'avez pas aujourd'hui, du fait de ce cadre normatif, la possibilité d'entreprendre des recherches sur l'embryon humain à propos du clonage non reproductif.

Anne Mc LAREN

Ce n'est pas tout à fait exact. Nous ne pouvons pas entreprendre des recherches sur la thérapie cellulaire tissulaire.

Jacques MONTAGUT

Mais quelle est pour vous l'utilité que soit défini, dans un texte de loi, un cadre de recherche, et quelles sont vos possibilités d'adapter ce texte en fonction de l'évolution de la connaissance ? En France, nous avons la possibilité de réexaminer la loi cinq après son adoption. Au Royaume-Uni, est-ce au niveau de la Commission de l'HFEA que les propositions d'extension des programmes de recherche sur l'embryon sont examinées ?

Anne Mc LAREN

Le fait que la loi précise le cadre de recherche permet de rassurer la population, en montrant que les scientifiques et les médecins ne peuvent pas agir comme bon leur semble. Mais l'inconvénient d'une loi sur les autorisations de recherche réside souvent dans son manque de souplesse. Il est difficile de modifier la législation d'origine. Il existe dans le texte de loi une disposition qui permet au Secrétaire d'Etat d'adopter de nouveaux règlements, en les présentant aux deux chambres. Mais il ne s'agit pas d'une modification de la législation de base elle-même. L'HFEA peut apporter des changements dans le cadre établi mais sans aller au-delà de ce qu'autorise la loi.

Jacques MONTAGUT

Peut-on imaginer des possibilités de thérapies géniques germinales ? La modification génique de cellules ES sur un blastocyste sur lequel on aurait diagnostiqué une maladie est-elle envisageable ? Peut-on concevoir des perspectives de thérapie génique germinale, pour une médecine de l'embryon ?

Anne Mc LAREN

Les manipulations génétiques de l'embryon sont interdites par la loi de 1990. Par ailleurs, les manipulations génétiques de cellules souches ne seraient pas couvertes par la loi. Dans un avenir lointain, la thérapie génique germinale méritera sans doute une réflexion de l'HFEA.

Jean-François MATTEI, Député des Bouches-du-Rhône, Professeur de biologie à Marseille

Je voudrais saluer Madame Mc LAREN, avec qui je travaille dans une commission de l'OMS sur les sujets dont nous discutons aujourd'hui. J'aurais aimé qu'elle donne le point de vue de l'OMS. Au sujet de la grande Europe, je rappelle qu'il existe au Conseil de l'Europe un Comité directeur de bioéthique qui regroupe les 41 pays actuellement adhérents au Conseil de l'Europe, qui a donné lieu à la Convention d'Oviedo sur les droits de l'homme et la biomédecine, et qui travaille également sur un protocole additionnel concernant notamment l'embryon. A Strasbourg, le groupe de travail sur l'embryon n'avance pas. Ses membres éprouvent de grandes difficultés pour trouver un terrain d'entente, y compris sur les définitions les plus simples. En ce qui concerne la terminologie et la sémantique, vous avez vous-même, dans votre exposé, souligné la difficulté d'utilisation du terme « totipotence ». Le débat public est pollué par la confusion entre le clonage, qui a une vocation reproductive, et le lignage, c'est-à-dire la création de lignées cellulaires. Vous avez utilisé le terme « embryon » au sujet du vote à la Chambre des Lords et à la Chambre des Communes. Mais ne s'agit-il pas plutôt de « pré-embryon » ? Au Royaume-Uni, vous avez en effet introduit la distinction entre les périodes situées avant et après le quatorzième jour. N'y a-t-il pas là encore une confusion qui s'établit ? Vous avez défini l'embryon différemment que dans les autres pays.

Anne Mc LAREN

Il existe en effet une possibilité de confusion. Aujourd'hui, la technologie importante est celle des cellules souches, pour l'obtention de lignées cellulaires. Mais il serait dommage de fermer la porte à la possibilité, un jour, d'utiliser une technologie de clonage pour obtenir des lignées cellulaires qui ne seraient pas rejetées par le patient. Mais la technologie des cellules souches est la plus importante pour l'instant. Il est nécessaire de faire une distinction entre le pré-embryon et les autres stades. Nous utilisons le terme « embryon » pour le stade précoce, lorsque nous parlons de recherches sur l'embryon. Nous utilisons le terme « foetus » après le quatorzième jour. Je ne connais pas la déclaration officielle de l'OMS. Il me semble que notre Comité a conseillé de laisser la porte ouverte à l'utilisation de technologies pour la thérapie cellulaire et tissulaire. Je suis membre du groupe du Conseil de l'Europe qui travaille sur l'embryon. Je ne suis pas d'accord avec vous pour dire qu'il n'avance pas. Il avance simplement très lentement. Le protocole supplémentaire sur le clonage proposé par le Conseil de l'Europe est aujourd'hui signé et ratifié par certains pays. Ce texte interdit le clonage « d'êtres humains ». Le terme « êtres humains » sera interprété dans chaque pays conformément à la législation et aux coutumes de ce pays. En Allemagne, dès la fertilisation, on utilise le terme « être humain ». Ce n'est pas le cas au Royaume-Uni. Pour nous, un embryon de huit cellules ne constitue pas un être humain. Une tentative d'harmonisation des différentes conceptions européennes est nécessaire, mais elle prendra du temps.

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