B. LE RISQUE D'UN SAUPOUDRAGE DES CRÉDITS
La
Cour des Comptes
a proposé quatre
facteurs
explicatifs du
"
saupoudrage
" des crédits
contractualisés :
- "
le défaut de vrais plans régionaux
". Il
semble toutefois que ce manque ait été largement pallié
par la qualité des réflexions prospectives et stratégiques
conduites tant par l'Etat que par les Régions en amont de la
négociation des contrats de plan ;
- "
la décision prise par le CIAT de février 1993 de
moduler l'enveloppe globale des interventions de l'Etat en fonction du
potentiel de développement des régions, sur la base de leur
potentiel fiscal et de la situation de l'emploi...[qui] a conduit à
doter plus fortement certaines régions, dont les besoins en
équipement n'étaient pas forcément plus importants, ce qui
les a amenées à utiliser les crédits obtenus à des
opérations prioritaires
". Ce point sera discuté au
chapitre VI ;
- la volonté des administrations centrales de
"
sanctuariser
" leurs crédits au sein des contrats de
plan, c'est à dire de les inscrire dans les contrats de plan
"
aux seules fins de les protéger des régulations
budgétaires
". Il ressort des appréciations des
Régions que cette volonté n'est d'ailleurs pas propre aux
administrations centrales, mais s'observe surtout dans les
services
déconcentrés
de l'Etat, parce qu'ils ont encore moins
d'influence et d'informations sur les " coupes "
opérées par le ministère des Finances. Les administrations
déconcentrées les plus vulnérables sont ainsi
acculées dans une "
logique de protection de leurs
crédits budgétaires
", qui joue à l'inverse de
l'ambition d'une sélectivité des contrats ;
- enfin "
la volonté des responsables locaux, élus ou
non, de ne rien exclure du champ de la contractualisation. Ainsi, d'une part,
la plupart des exécutifs régionaux souhaitaient qu'aucun domaine
de leur compétence ne fût omis ; d'autre part, les
préfets de région ont pratiqué une certaine
autorégulation, veillant à n'écarter aucune action dont
l'exclusion aurait pu provoquer de fortes réactions locales et
anticipant sur ce que les ministères étaient en mesure
d'accepter, d'imposer ou de refuser
".
Ce dernier point est pour le moins
controversé
. Certes, les
exécutifs régionaux ont été soumis à de
fortes pressions de la part de certains acteurs économiques locaux,
comme les
chambres consulaires
, étroitement consultées et
dotées de moyens d'expertise propres, donc en mesure de
" pousser " certains programmes.
Néanmoins, plusieurs ministères, comme ceux de l'Agriculture ou
de l'Emploi et de la Solidarité, reconnaissent eux-mêmes que les
Conseils Régionaux ont été plus
sélectifs
que l'Etat. Par exemple, le ministère de l'Agriculture indique :
"
les préfets ont défini le champ de la
contractualisation de façon très large... [mais] les
thèmes de contractualisation ont résulté des
priorités régionales et c'est ainsi que certaines régions
n'ont pas contractualisé des actions de la filière forêt
alors même qu'elles disposaient d'une surface forestière non
négligeable
".
A l'inverse, le ministère du Tourisme se félicite dans ses
réponses à votre rapporteur de ce que "
seul le champ de
la promotion touristique a été exclu [des contrats]... Tous les
autres domaines ont pu être traités
".
Il semble ainsi que la " dilution " des contrats de plan trouve
plutôt son origine dans les difficultés d'organisation de l'Etat,
d'une part ; dans la dynamique intrinsèque de la procédure,
d'autre part.
En premier lieu, au delà du souhait des administrations de se
protéger des régulations budgétaires, certains
biais ou
dysfonctionnements de l'Etat
ont sans doute concouru à l'extension
du champ de la contractualisation et au saupoudrage des crédits
contractualisés :
- le souhait de certains ministères, dans un contexte de maîtrise
accrue des finances publiques, de bénéficier d'un "
effet
de levier
" pour leurs politiques, c'est à dire en fait d'en
transférer pour partie la charge sur les collectivités locales.
En effet, comme le reconnaît par une litote le ministère de
l'Equipement,
" les contrats de plan conduisent à intensifier
les efforts des partenaires dans les domaines les concernant
" ;
- la primauté accordée par certains ministères aux
procédures
sur les projets ;
- l'introduction dans les contrats de plan des Programmes
d'aménagement concertés du territoire (PACT) ruraux et des
Contrats de développement urbains (CDU), alors même que ces
procédures n'étaient pas toujours mûres ;
- le manque de cohérence des contrats de plan avec les autres outils de
programmation, comme les fonds structurels ;
- le hiatus entre la volonté de certains responsables locaux
"
d'élargir le champ de la contractualisation en passant d'une
logique d'équipement en infrastructures à une réflexion
plus globale en termes de problématiques
régionales
"
87(
*
)
, d'une part ; le manque de
coopération du côté de l'Etat entre les échelons de
conception des stratégies, de mise en oeuvre et de décision
budgétaire, d'autre part. Cela se traduit parfois par une superposition
d'actions mal
coordonnées
;
- "
l'insuffisance de cadrage préalable
"
88(
*
)
au niveau national dans certains
domaines : le ministère de l'Agriculture estime que "
sans
orientations préalables fortes de la part du Gouvernement, il
était inévitable que, localement, la logique de
contractualisation relève plus du guichet que du projet
" ;
- l'insuffisante
déconcentration budgétaire
de l'Etat, qui
rigidifie les enveloppes initiales, donc entraîne les contrats de plan
dans une logique de
guichets
fermés
et de crédits
"
qu'il faut consommer
" ;
- le sentiment de certaines administrations et de certaines Régions,
à la lumière de l'expérience des deuxièmes contrats
de plan, que les politiques non contractualisées n'obtenaient que
difficilement des crédits d'Etat par la suite. Cela les a
incitées à contractualiser le plus possible, afin,
paradoxalement, de retrouver des marges de manoeuvre.
Au-delà de ces facteurs imputables aux difficultés d'adaptation
de l'Etat à la démarche contractuelle, il semble aussi que la
procédure
de contrat de plan elle même pourrait dans
certains cas conduire à une dilution des priorités et à un
saupoudrage de crédits sur des objectifs flous :
- en "
enfermant le développement régional dans une
procédure contractuelle pluriannuelle où tout doit être
bouclé en même temps
", selon une Région ;
- en conduisant les cocontractants à inscrire au contrat en fin de
négociation des opérations insuffisamment
préparées ;
- en créant des
attentes
de la part des acteurs locaux, puis,
s'ils en ont la compétence technique, en les incitant à calibrer
leurs projets pour optimiser les cofinancements afférents ;
- en incitant l'Etat à étendre, contrat après contrat, le
champ de la contractualisation, pour
afficher
des montants en forte
progression d'un montant à l'autre.
Or, comme le souligne le ministère de la Défense
"
l'extension du champ de la contractualisation et le caractère
limité des crédits qui lui sont consacrés par l'Etat sont,
en se combinant, de nature à orienter l'exercice vers une logique de
guichet
".