ÉTATS GÉNÉRAUX DE L'UNIVERSITÉ
Suite du débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président.
Nous reprenons le débat consécutif à une déclaration du Gouvernement sur les
états généraux de l'université.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Lachenaud.
M. Jean-Philippe Lachenaud.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos
pourrait se placer sous le titre : « L'étudiant dans la cité. » A cette phase
essentielle du débat sur les états généraux de l'université, qui ont été lancés
à Cergy-Pontoise, le 21 octobre 1995, le Parlement est très heureusement
associé, notamment, aujourd'hui, le Sénat.
Je vais m'efforcer d'apporter une libre contribution à ce débat, en
m'attachant à des réflexions sur le statut de l'étudiant, que j'articulerai
autour de trois points. Ainsi, après avoir tenté un diagnostic de la situation
des étudiants dans la société française, je traiterai successivement de la
légitimité d'une aide nationale et des orientations possibles pour une
réforme.
Le diagnostic sur la situation des étudiants en France et dans la société
française a, je crois, ceci de caractéristique qu'il fait l'objet d'un très
large accord, un consensus même. Chacun s'accorde ainsi à reconnaître la
démocratisation de notre enseignement supérieur, le nombre des étudiants ayant
été multiplié par dix depuis dix ans, pour atteindre un effectif de 2 200 000
étudiants, soit 40 p. 100 à 50 p. 100 d'une classe d'âge. Cela dit, ces
derniers temps, on note une tendance à la stabilisation des effectifs après une
période de très rapide croissance.
S'il y a démocratisation, il y a aussi inégalité des chances. Cette inégalité
est, certes, fonction du choix des filières, comme cela a été souligné par
nombre d'orateurs avant moi ; mais elle est due aussi à des difficultés d'ordre
familial, économique, social et géographique, qui peuvent, sans en être la
cause principale, expliquer des taux d'échec pouvant atteindre parfois 60 p.
100 dans le premier cycle.
On n'a sans doute pas assez souligné jusqu'ici l'importance de l'effort
national fait en faveur des étudiants. Cet effort est estimé, à la fois pour
l'Etat et pour les collectivités locales, à plus de 23 milliards de francs
chaque année, à comparer au budget de l'enseignement supérieur, qui atteint une
quarantaine de milliards de francs.
Tout le monde le reconnaît, avec 70 p. 100 d'aides directes et 30 p. 100
d'aides indirectes, le système est complexe et manque de transparence. Il est
donc important de le réformer.
Mais, plus grave encore, il est inéquitable.
Cette inéquité résulte d'un certain nombre de facteurs que je rappellerai très
brièvement, car ils sont dans tous les esprits. Il s'agit du système actuel des
bourses, de l'avantage « progressif » de la demi-part fiscale et du bénéfice de
l'allocation de logement à caractère social, l'ALS, égal pour toutes les
familles.
Comme vous l'avez rappelé dans votre propos introductif, monsieur le ministre,
il n'est pas exagéré de dire qu'aujourd'hui les classes moyennes sont
défavorisées par le système d'aide aux étudiants. C'est ainsi que, selon une
étude publiée par le journal
l'Etudiant,
l'avantage fiscal peut aller de
2 000 francs à 33 000 francs pour un foyer.
Toujours dans ce diagnostic, j'insisterai maintenant sur une autre source de
difficultés, que je vois dans l'intégration inégale des étudiants dans la cité.
Il faudrait procéder à une enquête approfondie - un hebdomadaire l'avait
entamée - sur la situation réelle des étudiants à Paris, en province, dans un
grand pôle universitaire ou dans une ville moyenne, comparée à la situation des
étudiants inscrits dans des universités nouvelles, à Cergy-Pontoise, par
exemple. Il faudrait se pencher sur les inégalités en matière de restauration,
de résidence universitaire, ainsi que sur les grandes difficultés ressenties en
matière de transports, élément trop méconnu, alors que la carte orange
représente souvent pour un étudiant un coût supérieur à celui de son
inscription. De même, il faudrait s'intéresser aux inégalités dans l'accès aux
bibliothèques universitaires, voire aux équipements sportifs et culturels.
Oui ! il y a un problème tout à la fois d'efficacité et d'équité en ce qui
concerne l'aide nationale aux étudiants.
Si ce diagnostic recueille l'accord général, en revanche - et c'est le
deuxième point de mon propos - la légitimité de l'aide nationale aux étudiants
pose problème et fait débat.
Monsieur le ministre, en introduisant le débat, vous avez vous-même annoncé
qu'il n'était pas question de mettre en place pour les étudiants un « statut »
de haute protection et d'uniformité juridique, qui serait comme un cadre
administratif ou fonctionnarisé. Nous nous inscrivons donc dans la perspective
de donner plus de chances aux étudiants. Je pose cependant la question : est-il
légitime que la collectivité nationale les privilégie par rapport à d'autres
catégories de jeunes, qui ont parfois des difficultés bien plus grandes qu'eux
? Et cet effort est d'importance puisqu'il atteindra sans doute 24 milliards de
francs cette année.
Pourquoi, comment et à quelles conditions une aide aux étudiants est-elle
légitime à l'échelon national ? Les objectifs qui doivent être poursuivis sont
multiples.
Il s'agit bien évidemment d'accroître et d'égaliser les chances des étudiants.
C'est là le premier point. Il s'agit aussi d'améliorer l'efficacité de
l'appareil de formation, d'éviter notamment les redoublements, trop nombreux et
excessifs, qui détériorent le rendement de l'appareil de formation. Il s'agit
enfin d'équilibrer l'aménagement du territoire pour que chacun, à travers toute
la France, ait ses chances d'accéder à une formation.
C'est donc bien, ainsi que le demandait Michel Rocard tout à l'heure, investir
pour l'avenir que d'aider les étudiants à l'échelon national en leur consacrant
un important effort.
Cela étant, la réforme est nécessaire. Selon quels principes devrait-elle être
conduite ?
Tout d'abord, l'équité.
L'équité ? Quel débat difficile ! Sans reprendre les analyses d'Alain Minc,
sans revenir sur les difficultés d'une société qui, au nom de la justice
sociale, prend souvent des mesures allant précisément contre l'équité, nous
devons tout de même nous interroger.
Deux conceptions de l'équité et de l'aide aux étudiants s'affrontent. Il y a
ceux qui estiment que l'on doit faire un effort vis-à-vis de l'étudiant en tant
qu'individu entièrement autonome, complètement détaché de sa famille.
Personnellement, ce n'est pas mon choix. L'autre option est, il est vrai,
discutée, mais c'est la mienne : j'estime que l'on doit considérer les revenus
et les capacités de travail de l'étudiant ainsi que ses possibilités
d'évolution en essayant d'apprécier sa relation avec sa famille.
Voilà pour l'équité.
Il est un deuxième problème difficile à résoudre, celui de la globalisation.
Face à un système aussi peu transparent, aussi peu clair et si inéquitable, la
tentation est grande de globaliser l'aide, de fusionner en une allocation
unique à la fois l'élément bourses et l'élément aide au logement.
C'est là une méthode un peu irréaliste qui, si elle devait être retenue,
aboutirait sans doute à faire capoter la réforme.
Je ne pense pas qu'il faille tout globaliser et tout unifier. En effet,
l'allocation - c'est là un autre principe que je voudrais défendre - doit être
différenciée. Certains prônent une différenciation radicale, réservant
l'allocation aux deuxième et troisième cycles, à l'exclusion du premier cycle.
C'est tout à fait excessif, d'autant que l'on connaît les difficultés du
premier cycle ! En revanche, l'idée de différencier en distinguant les trois
cycles me paraît un principe intéressant.
Autre thème et autre principe à débattre : donner une deuxième chance. C'est
là un point difficile. Certains considèrent que le mieux est d'instaurer une
aide et de la systématiser lorsqu'il y a redoublement. C'est la thèse de
l'UNEF-ID. Il s'agit d'une thèse dangereuse. Autant l'année joker est
intéressante, autant l'idée de donner une deuxième chance est valable, autant
il faut, évidemment, veiller à l'effort, à l'assiduité, à la participation et
aux résultats des étudiants dans leurs cycles universitaires.
Donc, il faut clarifier, simplifier, mais non de manière abusive ou
irréaliste.
Je ne préconise donc pas le choix d'un « statut étudiant », au sens propre. En
effet, ce serait injuste par rapport à d'autres catégories de jeunes. Ce serait
sclérosant, à l'imitation un peu d'un statut de fonctionnaire. Ce serait
coûteux pour la collectivité. Ce serait, par certains côtés, démobilisant.
L'étudiant citoyen a des devoirs, il faudra le dire aussi lors du débat sur le
statut de l'étudiant, et son premier devoir est d'étudier.
J'ajouterai que l'idée de statut, un peu comme un statut octroyé, est
contraire à un autre des objectifs que l'on doit chercher à atteindre dans la
réforme de la participation des étudiants notamment à la gestion des oeuvres
universitaires et à la gestion des fonds ainsi qu'à la vie des universités.
Cela me conduit au dernier chapitre de mon propos, qui veut tracer quelques
réflexions et orientations pour une réforme.
Certes, le document des états généraux que vous avez diffusé au mois de juin,
monsieur le ministre, et qui est très intéressant, pose l'ensemble des
problèmes du statut de l'étudiant mais aucun choix - et c'est tout à fait
normal à ce stade - n'est effectué. Avant de définir quelques orientations,
j'ai relu quelques programmes d'action.
Tout d'abord, dans son document, l'UNEF-ID propose une allocation d'études
individualisée, l'AEI. Il s'agit d'une aide sociale directe garantissant
l'autonomie de l'étudiant. C'est une aide modulée, globale, avec un guichet
unique, l'Etat s'engageant fortement sur le plan de l'aide aux étudiants, mais
aussi sur le plan des résidences universitaires et sur celui de la
restauration. Par ailleurs, la garantie des soins est assurée par les
mutuelles.
La revue
l'Etudiant
a remis au Président de la République, en mars
1995, un projet spécifique sur le statut de l'étudiant et l'a ensuite diffusé
dans une publication spécifique. L'objectif fixé est que tout étudiant dispose
de revenus s'élevant à 30 000 francs par an. La revue
l'Etudiant
estime
que c'est l'objectif qu'il faut atteindre. Son projet vise à combiner la
réforme fiscale, la revalorisation des bourses, les « chèques-job » - une idée
très intéressante - et l'extension d'un système de prêts à intérêts déductibles
lorsque l'étudiant exercera son activité professionnelle.
Quant à la MNEF, ses propositions ne sont pas sans intérêt, qu'il s'agisse de
la gestion de la couverture santé et de la prévention, ou de sa thèse sur le
logement. Elle estime que l'effort pour le logement des étudiants - l'ALS,
l'APL, les avantages fiscaux de la loi Méhaignerie et les prêts - représente
8,7 milliards de francs, mais rapporte aux collectivités locales et à l'Etat
11,4 milliards de francs. Elle pense donc qu'il faut poursuivre dans cette
voie, elle ne fait pas de propositions de réforme si ce n'est de développer
l'investissement privé en résidences universitaires ou en logements loués aux
étudiants. En effet, vous le savez sans doute, 143 000 étudiants sont logés en
résidence universitaire et 1,3 million résident en dehors de leur famille. Cela
montre bien que la solution du logement universitaire doit être diversifiée.
Par ailleurs, la MNEF propose de développer - c'est une expérience très
intéressante qui est menée à Niort, à Biarritz et dans quatre ou cinq
universités - avec le soutien du CROUS, les chèques-déjeuner, qui donnent la
liberté et évitent de faire des investissements considérables en matière de
restauration collective.
Au vu de ces réflexions et de ces documents, compte tenu de la vie quotidienne
des étudiants et de la manière dont je les vois s'intégrer dans l'université
nouvelle de Cergy-Pontoise, je tracerai quelques orientations.
La première, c'est le choix du guichet social unique. Il s'agit, monsieur le
ministre, d'un choix difficile. Ce sera, je crois, un gage d'efficacité et de
transparence.
Les autres orientations sont les suivantes : choix de l'aide globale
différenciée, choix de la réforme fiscale en profondeur, choix de la
combinaison des modes de financement, enfin, choix de la démocratie et de la
participation.
Nous souhaiterions que, au cours des prochains mois, soient étudiés, de
manière approfondie, plusieurs points.
Il s'agit, d'abord, de la révision du système des bourses, qui concerne
aujourd'hui 407 000 étudiants, avec une moyenne de 15 000 francs. Il s'agit,
ensuite, de la suppression de la demi-part étudiant au-delà d'un certain seuil
ou son plafonnement à 5 000 francs par exemple. Il s'agit, en outre, de
l'évaluation globale des bourses avec l'ALS, qui devrait d'ailleurs disparaître
pour certaines catégories de familles ; en disant cela, je ne cède pas à la
facilité, je ne cherche pas la popularité, mais c'est la conclusion à laquelle
on aboutit quand on examine le problème globalement.
Il convient également d'étudier le développement du parc des résidences
universitaires, des logements, du chèque-déjeuner et du chèque-job. Il faut
aussi étudier l'extension et l'amélioration du dispositif de prêts.
Des propositions assez intéressantes ont été formulées, qui portaient sur les
prêts étudiant. On compte aujourd'hui à peu près 40 000 prêts étudiant en
France, ce qui représente un chiffre très faible et qui pourrait très
vraisemblablement être multiplié par quatre ou cinq. Il faudrait pouvoir
travailler sur la durée de ces prêts et sur le différé de leur remboursement à
partir de la fin des études, ainsi que sur la déductibilité des intérêts. Il y
a là, selon moi, des pistes intéressantes.
Monsieur le ministre, vous en êtes convaincu et vous l'avez dit dans votre
propos liminaire : la réforme est indispensable. Le Président de la République
l'a annoncée, vous l'avez inscrite parmi les objectifs majeurs des états
généraux et vous avez bien défini la méthode à suivre : la réforme doit être
concertée, progressive - il conviendra de prévoir des étapes, car ce n'est pas
en une année que l'ensemble de ce que l'on appelle le statut de l'étudiant sera
mis en place - globale, elle intégrera la dimension fiscale, faute de quoi rien
ne sera possible - et le budget devra être maîtrisé.
Voilà un point difficile, mais il s'agit d'une exigence absolue, pour vous et
pour la collectivité nationale. La revue
l'Etudiant
affirme : « Cette
réforme-là ne coûte rien, elle redistribue. » Elle affirme sans le démontrer !
A nous d'essayer d'apporter la preuve que l'on peut rendre le statut de
l'étudiant plus juste et plus efficace. Je sais que vous mènerez cette réforme
en respectant l'idéal républicain qui est le nôtre, celui de l'égalité des
chances, car il faut rétablir des rapports stables et confiants entre la nation
et les étudiants.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Saunier.
M. Claude Saunier.
Monsieur le ministre, nous parvenons quasiment au terme d'un débat qui a été
tout de même d'une grande densité et - reconnaissons-le - d'une réelle
qualité.
Vous avez pu observer - mais de notre part, cela ne vous a pas surpris - que
les parlementaires de l'opposition ont apporté à ce débat beaucoup de sérieux
et ont fait preuve d'un esprit constructif. Il est vrai que depuis un certain
nombre de semaines, à un titre ou à un autre, nous avons examiné les dix
dossiers sur les dix questions, votre préambule, avec beaucoup d'attention.
Nous avons pris connaissance avec une grande satisfaction des références
républicaines, auxquelles l'orateur qui m'a précédé a fait allusion, même si,
par ailleurs, s'agissant de la méthode - et les travées de cette assemblée en
témoignent, hélas ! - les états sont peut-être un peu moins généraux que vous
auriez pu le souhaiter et que nous l'aurions nous-mêmes souhaité.
Notre autre sujet de satisfaction est d'avoir assisté, au cours de ce débat,
de ces semaines, de ces échanges que vous avez eus, de ces auditions, à un
rapprochement des points de vue. En effet, d'une certaine façon, notre
République y a gagné. Allons-nous nous orienter vers une approche plus
rationnelle, plus raisonnable, moins passionnelle de ce qui a pendant longtemps
divisé la France ? On peut l'espérer. En tout cas, à travers les intentions,
les approches un peu théoriques pour le moment, les choses semblent avancer de
façon positive... sauf que nous n'avons pas encore atteint le coeur du sujet,
je veux parler des finances. Mais vous me rétorquerez, monsieur le ministre,
que telle n'était pas la question. Pourtant, vous le savez, les élus nationaux
et les élus locaux ne sont jamais insensibles à ce type de question.
Sur la méthode, vous avez expliqué ce matin, que Cronos ne devait pas dévorer
ses enfants. Cela m'a rappelé quelques cours de sixième ; c'est sympathique.
Mais notre expérience, en particulier d'élus locaux, nous amène à considérer
qu'il faut... oserai-je dire « donner du temps au temps ». Eh oui, il faut
donner du temps au temps, en tout cas donner le temps aux esprits de
s'approprier certaines évolutions.
Mais, d'un autre côté, la dilution excessive risque d'« effilocher » les
volontés. Or, dans cette affaire, comme dans les autres, il faut de la volonté
pour passer des intentions à l'action.
Le dernier élément de satisfaction très générale est constitué par notre
échange sur la voie référendaire.
Cela ne vous surprendra pas, monsieur Camoin, vos propos nous ont comblés de
satisfaction. Bien entendu, nous resterons extrêmement vigilants, car plus nous
avançons dans le débat, plus nous nous rendons compte qu'il s'agit d'un sujet
extrêmement complexe et plus nous mesurons que la simple réponse par un oui ou
par un non à une réforme de cette ampleur n'a pas de véritable signification,
sauf si c'est en effet la sanction d'une longue démarche qui permet de
rapprocher les points de vue. Nous verrons comment les choses se dérouleront.
En tout cas, nous serons extrêmement vigilants.
J'organiserai mon propos autour de deux ou trois axes de réflexion. Je serai
aussi bref que possible car beaucoup de choses ont été dites.
Sur l'enjeu de l'enseignement supérieur, le débat a permis d'évoluer. Il est
aujourd'hui très clair, parce que cela apparaît dans la société et maintenant
dans notre assemblée, que l'enseignement supérieur constitue l'un des enjeux
majeurs du troisième millénaire. C'est comme cela que les choses sont vécues,
c'est la réalité. C'est comme cela que les parlementaires que nous sommes le
mesurent.
Il s'agit d'un enjeu économique à l'heure de la mondialisation. Il s'agit
également d'un enjeu social déterminant dans une société à vocation
démocratique comme la nôtre. On se rend compte de ce que représente le passage
en quelques années de un million d'étudiants à 2,2 millions, et bientôt 2,5
millions ou davantage.
Il s'agit aussi d'un enjeu géographique. C'est une énorme question. Tout le
monde le pense, le dit et le constate : là où est l'intelligence, il y a les
emplois. Or l'intelligence continue à se concentrer sur un certain nombre de
lieux privilégiés. C'est un paradoxe à l'heure où les nouvelles technologies
d'information et de communication permettent la répartition du savoir sur
l'ensemble du territoire. C'est une des questions que je souhaiterais
aborder.
Je serai concis en ce qui concerne la situation de l'enseignement supérieur.
Bien entendu, nous avons les uns et les autres notre histoire, notre point de
vue, notre perception des choses. Il y a encore, ici ou là, quelques formules
sans doute un peu malthusiennes, un peu frileuses, un peu timorées.
Mais revenons à l'essentiel. La lucidité consiste à mesurer que notre nation a
en effet besoin d'un enseignement supérieur rénové, modernisé, adapté, ouvert
sur la vie. La justice conduit à constater que notre pays a su se doter d'un
enseignement supérieur qui, à l'extérieur, est souvent considéré avec quelque
envie. Il ne ressemble pas à un champ de ruines, comme on pourrait le dire un
peu trop rapidement. Il a su, comme je le rappelais, passer de un million à
plus de deux millions d'étudiants en quelques années, ce qui constitue une
véritable révolution ; cette dernière, loin de conduire à l'explosion du
système, s'est opérée finalement dans des conditions acceptables, et ce grâce
aux réformes antérieures : la loi Savary, la politique des contrats avec
l'université, la volonté de l'Etat - je le dis devant Michel Rocard - de mettre
à la disposition des universités, en particulier, des moyens financiers
qu'elles n'avaient jamais eus auparavant, sans oublier l'engagement des
collectivités locales, qui, vous le savez, ont été fortement sollicitées par
différents gouvernements - le maire que je suis aurait un peu tendance à dire «
hélas ! ».
Telle est la situation actuelle : malgré un bilan qui n'est pas si mauvais que
cela, se fait jour une nécessité de réformes.
L'aspect positif de l'échange que nous avons eu est, à mes yeux, le constat
d'une volonté collective de nous engager dans un enseignement supérieur fondé
sur une démarche de réussite non seulement individuelle, pour chacun des
jeunes, mais aussi collective, pour la nation tout entière.
J'aborderai simplement trois des dix questions que vous avez rappelées,
monsieur le ministre.
S'agissant tout d'abord de la transmission du savoir et de l'orientation, ce
matin, notre collègue M. Carrère a fait part d'un certain nombre de
propositions qui, semble-t-il, ont retenu votre attention.
Nous n'échapperons pas, à mon avis, à la rénovation des premiers cycles. Je ne
reviendrai pas sur le taux d'échec, si ce n'est tout de même pour en souligner
les coûts, en termes non seulement financiers, mais aussi humains : les jeunes
se retrouvent, au seuil de la vie, avec un sentiment d'échec.
Je ferai donc, à cet égard, une proposition très précise : la simplification
des premiers cycles.
Pour parvenir à ce résultat, il importe tout d'abord de réduire le nombre des
DEUG, lesquels devront être moins calés sur la multiplicité des disciplines
universitaires que sur les grandes sensibilités, les grandes orientations
scientifique, littéraire et juridique.
Par ailleurs, des passerelles entre les filières devront être créées.
Enfin, il faudra probablement instituer un cycle d'observation permettant aux
enfants de mesurer qu'ils passent d'un mode de transmission des informations et
du savoir sous contrôle, sous haute surveillance - le lycée - à un autre mode
pédagogique fondé sur l'autonomie - l'université. Faut-il parler de la
renaissance de la propédeutique ? Pourquoi pas ! En tout cas, on voit bien
qu'il y a là une articulation difficile à assumer.
Quant à l'orientation, on a souvent évoqué ici, sur toutes les travées, la
nécessité d'une orientation précoce. Sans doute ! Mais n'oublions jamais que
les jeunes sont des êtres en formation dont la personnalité se dessine et
auxquels nous devons reconnaître la possibilité de choisir et de changer
d'avis. Il faut donc aborder cette question avec beaucoup de prudence.
J'en viens à la voie technologique, dont je ne dirai qu'un mot : en ce
domaine, l'enseignement supérieur n'a fait, depuis maintenant vingt ou trente
ans, que du bricolage ! A chaque fois que se posait un problème, un sigle était
inventé ! Lequel d'entre nous est capable d'identifier derrière ces sigles la
réalité des formations dispensées ?
Il va donc falloir simplifier et rendre cohérent tout cela. Telle est, à vous
écouter, votre intention, monsieur le ministre.
Cette simplification est d'autant plus nécessaire que nous assistons à une
irruption massive de la dimension scientifique et technologique dans notre vie
quotidienne, sociale et professionnelle. C'est d'ailleurs bien la vocation
fondamentale de l'enseignement supérieur, au titre aussi bien de sa mission de
formation professionnelle que de sa mission culturelle, que d'embrasser le
champ scientifique et technologique beaucoup plus fortement qu'il ne le fait
aujourd'hui.
Mon dernier propos portera sur l'aménagement du territoire. Nous avons eu
l'occasion d'échanger nos points de vue sur ce sujet, monsieur le ministre.
Vous savez quelles sont nos préoccupations. Je ne veux pas voir un signe
particulier dans le fait que l'aménagement du territoire figure en dixième
position dans votre liste de dix questions ! J'espère simplement qu'il ne
s'agit pas, de votre part, d'un manque d'attention à ce dossier, qui me paraît
essentiel.
Des débats sur l'aménagement du territoire ayant déjà eu lieu voilà quelques
mois dans cette enceinte, je tiens à lever quelques ambiguïtés, pour le cas où
ce serait nécessaire.
Je rappellerai donc que la mission de base de l'enseignement supérieur, en
particulier de l'université, est, comme vous l'avez indiqué, monsieur le
ministre, la création, la conservation et la transmission du savoir, et non pas
une préoccupation d'aménagement du territoire.
Cela dit, la répartition de la matière grise sur le territoire national a des
conséquences tout à fait importantes sur les plans économique et
démographique.
L'inégalité que nous constatons est tout à fait paradoxale à l'heure des
nouvelles technologies, alors que la transmission des informations est possible
instantanément sur n'importe quel point du territoire.
Faut-il pour autant préconiser une sorte de pulvérisation de la structure
universitaire ? Telle n'est ni l'avis personnel du maire d'une ville moyenne
que je suis ni la position de la fédération des villes moyennes.
La multiplication d'universités départementales aurait à mon avis pour risque
majeur la création de sites universitaires de second rang pour des jeunes
défavorisés dans des régions marginalisées.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Claude Saunier.
Ce serait un alibi, une fausse réponse apportée à une véritable question !
Au contraire, dans les villes moyennes, nous devons imaginer la constitution
de plates-formes intégrant la diversité des composantes de l'enseignement
supérieur de ces villes. Ces plates-formes doivent travailler en réseau
fortement charpenté avec d'autres sites, et, en particulier, être fortement
articulées avec les grandes universités régionales qui, seules, sont à même
d'assurer la qualité de la recherche, la sûreté scientifique et les
perspectives d'ouverture liées à la réflexion et au travail universitaire.
Mais, au-delà de leur fonction naturelle de sites de premier cycle, ces
plates-formes situées dans des villes moyennes doivent se voir reconnaître la
possibilité, lorsqu'elles ont des centres de recherche, de se positionner sur
des créneaux d'excellence. Je ne vois pas pourquoi la présence de plusieurs
dizaines de milliers d'étudiants serait nécessaire pour autoriser un centre
d'enseignement supérieur à participer à l'innovation, à la recherche et à
l'invention. Encore une fois, je crois qu'il y a là quelque chose à
inventer.
Une redéfinition du positionnement des villes moyennes dans le dispositif
universitaire permettrait, à mon avis, d'avancer dans trois domaines.
Tout d'abord, la souplesse des petites structures et leur proximité du terrain
permettraient de procéder à des expériences concluantes sur l'utilisation des
nouvelles technologies. En effet, les équipes pédagogiques des villes moyennes
sont peut-être mieux à même que celles des grandes cathédrales universitaires
de s'adapter, d'évoluer et de s'emparer des nouvelles technologies. Mais ce
n'est pas dans cette assemblée où siègent nos éminents collègues que sont MM.
Sérusclat et Laffitte qu'il est nécessaire de plaider ardemment en faveur des
nouvelles technologies !
Par ailleurs, si, pour des raisons démographiques, les besoins en formation
initale plafonneront dans les prochaines années, en revanche, les besoins en
formation continue, en formation permanente - Michel Rocard en a parlé tout à
l'heure - exploseront véritablement. L'université, l'enseignement supérieur
doivent répondre à ce besoin social, j'allais dire « investir ce marché ».
Enfin, le fait de disposer de centres de recherche sur le terrain, dans les
villes moyennes, peut aussi constituer un élément d'amélioration du transfert
des technologies en direction des petites et moyennes entreprises et des
petites et moyennes industries.
Monsieur le ministre, comme vous pouvez le constater, nous avons procédé à un
examen tout à fait attentif, vigilant et positif de votre travail, et nous
avons fait preuve d'un esprit constructif. Mais je dois à la vérité de dire que
nous jugerons naturellement le Gouvernement à ses actes, en particulier lorsque
le ministre de l'enseignement supérieur que vous êtes passera au stade des
propositions concrètes.
Nous serons notamment extrêmement attentifs au contenu financier de vos
propositions, y compris en matière de partenariat avec les collectivités
locales. Ainsi, le maire d'une ville moyenne que je suis se demande combien
paient les contribuables de cette ville pour un étudiant accueilli par rapport
aux contribuables des grandes métropoles, sans parler de la région parisienne.
Est-il normal, est-il légitime d'imposer aux contribuables des villes moyennes
un engagement financier pour développer une mission qui doit être d'abord celle
de l'Etat ?
Nous serons donc extrêmement attentifs, monsieur le ministre, aux conditions
du partenariat entre l'Etat et les villes auquel vous faites souvent allusion.
J'affirme notre attachement à la nécessaire solidarité nationale incarnée par
l'Etat.
Monsieur le ministre, vous avez de bonnes intentions. Si ces dernières sont
nécessaires, elles ne suffisent néanmoins pas à transformer une société. Il
faudra donc, au-delà des intentions, de la volonté et des actes.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Clouet.
M. Jean Clouet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout ayant
été dit, et même à plusieurs reprises, je me bornerai à aborder un point
particulier non dénué d'importance.
Monsieur le ministre, il y a deux catégories de ministres de l'éducation
nationale : ...
M. Emmanuel Hamel.
Les bons et les mauvais !
(Rires.)
M. Jean Clouet.
... ceux qui partent avant que le toit ne leur soit tombé sur la tête et ceux
qui en prennent le risque ! Vous figurez parmi ces derniers. Ce ne sont pas les
moins courageux...
M. Emmanuel Hamel.
Il est parmi les bons !
M. Jean Clouet.
... même si, sans doute, ce ne sont pas nécessairement les plus réalistes.
(M. le ministre rit.)
Les uns gèrent avec prudence, les autres
ambitionnent de réformer.
« Vaste programme », eût dit le général de Gaulle, lorsque l'on connaît
l'immense conservatisme des différentes composantes du monde enseignant.
(Exclamations sur les travées socialistes)
: conservatisme de
résignation pour les uns, conservatisme de corporatisme pour les autres, même
et surtout s'il est fréquemment dissimulé derrière un nuage de revendications
très souvent contradictoires.
Dans ce monde où j'ai moi-même enseigné dans les trois ordres,...
M. Jean-Louis Carrère.
Ce n'est pas étonnant !
M. Jean Clouet.
... ce qui m'en a donné une certaine connaissance, et où le meilleur -
vraiment le meilleur - côtoie le pire - vraiment le pire - c'est de
l'enseignement supérieur qu'il s'agit aujourd'hui.
Deux millions d'étudiants - ou présumés tels - constituent sa population :
près de 80 p. 100 de chaque classe d'âge y affluent.
Qualité contre quantité, c'est l'éternel débat, sauf, précisément, dans
l'enseignement supérieur où il est entendu, acquis, proclamé que les deux
concepts ne font qu'un. Il convient donc de ne pas les séparer car, alors, on
tomberait dans cette abomination dont on ose à peine prononcer le nom de peur
de révulser les pharisiens pointilleux, toujours prêts à déchirer leur
tunique.
M. Michel Rocard.
Oh la la !
M. Jean Clouet.
Je ne le prononcerai donc pas.
M. Henri de Raincourt.
C'est dommage !
M. Jean-Louis Carrère.
On l'a entendu !
M. Jean Clouet.
Il n'a cours que dans le monde sportif, les prix littéraires ou au festival de
Cannes.
D'ailleurs, dans l'état actuel du droit, et même si l'on acceptait de
prononcer ce mot et de s'inspirer de son contenu, on s'en trouverait empêché
par le seul fait que le baccalauréat est un grade universitaire, le premier
d'entre eux, et que, dès lors, un bachelier n'a pas à entrer dans l'université
: en tant que tel, il s'y trouve.
M. François Bayrou,
ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche.
Tout à fait !
M. Jean Clouet.
Il s'y trouve, dans le premier cycle de l'enseignement supérieur, que chacun
s'accorde à considérer comme une quasi-catastrophe pédagogique, où les
malheureux professeurs se débattent avec une foule de jeunes, dont beaucoup
sont malheureusement incapables d'accéder au niveau de l'enseignement que l'on
tente de leur dispenser.
De même qu'en quittant le primaire de très nombreux enfants ne sont pas au
niveau du secondaire - c'est une remarque que personne ne conteste - de même,
en quittant le secondaire, de très nombreux élèves ne sont pas au niveau du
supérieur.
M. Jean-Louis Carrère.
Et en quittant le Sénat ?
(Sourires.)
M. Jean Clouet.
Devant cette situation, chacun y va de ses suggestions, toujours généreuses,
souvent utopiques, jamais adoptées.
Permettez-moi, monsieur le ministre, d'entrer dans ce concert, même si je suis
persuadé de n'être pas entendu.
L'historien que vous êtes m'autorisera à m'inspirer de la formule quelque peu
rebattue de Guillaume d'Orange.
Tout le problème tourne autour du baccalauréat, puisqu'il est la clef de
l'enseignement supérieur. Dès lors, une rectification de frontière, me paraît
s'imposer. Elle peut être réalisée selon l'une ou l'autre des deux formules
suivantes.
La première solution consisterait à prolonger de deux années la durée des
études secondaires et à décaler d'autant la date de passage du baccalauréat.
Pendant ces deux années, les lycéens pourraient acquérir, grâce à une pédagogie
mieux adaptée que celle du premier cycle, les connaissances nécessaires et
entrer ainsi à l'université mieux aptes à entamer leurs études, qui
mériteraient alors vraiment le qualificatif de « supérieures ».
La seconde solution serait de faire passer le baccalauréat non plus à la fin
des études secondaires, mais à l'issue de l'actuel premier cycle : ce n'est
qu'à ce moment que, devenu alors bachelier, on entrerait véritablement dans
l'enseignement supérieur, la fin des études secondaires pouvant être
sanctionnée par la délivrance d'un diplôme approprié.
J'aurais tendance à préférer la première formule, car il me paraît évident que
ce qui manque aux actuels étudiants du premier cycle pourrait mieux leur être
apporté par une pédagogie de type secondaire que par une pédagogie de type
supérieur.
Mais tout cela importe peu, monsieur le ministre, car, comme vous le savez à
vos dépens, en matière d'enseignement, penser tout haut c'est déjà prendre un
risque. Mettons que j'aie pensé tout bas.
(Rires et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants,
du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Henri de Raincourt.
Il a le sens de la formule !
M. François Bayrou.
ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Emmanuel Hamel.
Il va penser tout haut !
M. François Bayrou,
ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche.
Monsieur Clouet, en essayant de répondre aux différents
orateurs, je m'efforcerai de ménager la solidité de la coupole du Sénat, afin
de ne pas la voir tout de suite tomber sur ma tête, même si je connais la
nature du risque auquel est nécessairement exposé un ministre de l'éducation
nationale.
(Sourires.)
Tout d'abord, je tiens à souligner la qualité - je ne suis pas le premier
à le faire - le ton et la sérénité du débat que nous avons eu aujourd'hui et
qui me semble, en effet, marquer une évolution profonde, que nous étions
nombreux à attendre.
Peut-être notera-t-on que, au milieu de la dernière décennie du siècle, les
esprits ont suffisamment mûri pour que des problèmes, hier entièrement livrés à
la passion, puissent aujourd'hui être examinés avec davantage de sérénité, de
solidarité nationale et sans doute aussi de générosité. Cela ne sera pas le
moindre des mérites de ceux qui, depuis longtemps, se battent pour que la
priorité à l'enseignement supérieur soit reconnue par la nation de manière plus
unanime.
Je reprendrai très brièvement les principaux points évoqués par les orateurs
qui se sont succédé à la tribune. Ils me pardonneront de ne pas pouvoir leur
répondre dans le détail en raison de l'heure.
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles, a
fait allusion au double paradoxe français.
Le premier paradoxe concerne l'invocation de la participation des étudiants au
moment des crises et la très grande difficulté qu'il y a à leur faire prendre
leur part des réflexions sur l'évolution de l'enseignement supérieur lorsqu'on
est hors des crises.
Il n'est pas le seul orateur à avoir observé que, en effet, l'un des maux que
notre pays connaît en matière d'enseignement supérieur, c'est l'incapacité à
traiter les problèmes à froid, de manière dépassionnée, la quasi-obligation où
l'on se trouve de ne les affronter qu'à chaud, en période de crise.
C'est de ce cercle vicieux que les états généraux ont voulu sortir, et je
donne volontiers acte à tous ceux qui ont noté - je fais notamment allusion à
M. Saunier - que nous aurions tous souhaité que les états fussent plus généraux
qu'ils ne l'ont été en réalité.
Pour ma part, je considère que c'est un premier pas. J'ai dit à l'Assemblée
nationale - et je le répète devant le Sénat - que si la démarche d'association
des acteurs de toute nature, qu'il s'agisse des acteurs de terrain - étudiants,
personnels, universitaires - ou des acteurs nationaux que vous êtes, devait
s'arrêter aux alentours du 15 juin, lorsque je m'efforcerai de tirer les
conclusions de ces états généraux et de proposer des principes, ce serait, me
semble-t-il, un grave échec.
Voilà des décennies que l'on constate l'incapacité où nous sommes d'organiser
une véritable participation à l'université, une vraie vie citoyenne,
intellectuelle, culturelle, démocratique. Désormais, c'est l'un de nos premiers
objectifs. Il ne pourra être atteint que par la poursuite du mouvement que nous
avons engagé, que par la certitude qu'acquerront peu à peu les étudiants que ce
qu'ils disent est important. Je voudrais noter, en effet, que lorsque les
étudiants arbitrent contre leur participation à ce genre de discussions et en
faveur des autres aspects de leur vie universitaire ou personnelle, ils n'ont
pas foncièrement tort.
Jusqu'à maintenant, à quoi ont servi leurs paroles, leur réflexion et leur
engagement ? En raison de ce syndrome français d'incapacité à traiter les
problèmes autrement qu'à chaud leur engagement n'a servi à rien !
Ils participaitent à des « amphis » passionnés, enfumés et sympathiques, dans
lesquels ils se forgeaient des souvenirs. Mais, la plupart du temps, leur
réflexion et leurs paroles étaient oubliées dès que les quinze jours
nécessaires pour amortir l'effet d'une crise avaient passée.
Il dépend de nous - mais c'est une oeuvre très complexe et de très longue
haleine - de prendre au sérieux ce qu'ils ont à dire, c'est-à-dire de
construire les institutions de la réforme continue que j'appelle de mes voeux
et que j'ai placée au premier rang de mes objectifs. Celle-ci devra montrer à
chacun des acteurs, par exemple à l'étudiant de première année qui commencera
son itinéraire universitaire, que, en effet, sa voix peut être entendue dans le
cadre de l'organisation de notre enseignement supérieur.
C'est très difficile, mais je suis persuadé qu'il s'agit d'un enjeu
essentiel.
Le second paradoxe, monsieur Gouteyron, porte, en effet, sur les places
respectivces du secteur sélectif et du secteur ouvert dans notre université.
Je reviens sur l'incapacité où nous sommes - de nombreux orateurs sont en
effet intervenus sur ce point, soit pour s'en féliciter, soit pour le regretter
; M. Clouet a menacé de voir en nous des pharisiens déchirant leur tunique dès
l'instant que le mot « interdit » serait prononcé - je reviens, dis-je, sur
l'incapacité où nous sommes de parler sereinement d'un problème qui concerne
pourtant la vie quotidienne des étudiants de notre pays.
Je m'attarderai quelque instants sur cette question de la sélection interdite,
de la sélection taboue.
Monsieur Clouet, vous avez raison, la sélection existe ! Elle existe non
seulement dans la vie sportive, culturelle, médiatique ou politique - nous
sommes nombreux à en savoir quelque chose !
(Sourires.)
- mais également à l'université.
Un grand nombre d'étudiants - entre 30 et 40 p. 100 - font le choix serein,
médité, volontaire d'une filière sélective. Ils s'inscrivent dans une filière
où ils savent qu'ils auront des concours à passer. Ils postulent à une
inscription où leur dossier sera examiné : BTS, IUT, classes préparatoires aux
grandes écoles, grandes écoles, facultés de médecine... dans ces cinq domaines,
la sélection existe !
Les autres étudiants, qui auraient pu être inscrits dans le secteur ouvert, le
sont en réalité dans un secteur où la sélection est féroce : plus de 60 p. 100
d'échecs dans certains cycles et moins de 20 p. 100 de réussites à l'issue des
deux années dites « normales ».
Par conséquent, la sélection existe, et elle est féroce !
Mais la question de la sélection ne se limite pas à ce constat. Elle recouvre
deux interrogations. Premièrement, la sélection actuelle est-elle juste ?
Deuxièmement, faut-il la renforcer encore en choisissant le principe de
l'exclusion d'un certain nombre d'étudiants avant même qu'ils puissent tenter
leur chance ?
Mme Hélène Luc.
Non !
M. François Bayrou,
ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche.
Telles sont les deux questions qui se posent et auxquelles
j'ai répondu non.
La sélection actuelle n'est pas juste ! Comme M. Maman l'a dit, me
semble-t-il, avec beaucoup de justesse, naturellement, l'échec touche toujours
les mêmes, c'est-à-dire ceux dont la formation dans l'enseignement secondaire
n'a pas eu la solidité que l'on aurait souhaitée, soit par manque d'attention
familiale, soit par manque de conseil, ceux pour qui la jungle n'a pas été
défrichée par la connaissance subtile qu'ont les familles les plus avantagées
de ce qu'est une véritable formation universitaire. Ils n'ont pas été guidés
comme ils auraient dû l'être ni pour leur orientation ni pour leur travail.
Bien entendu, ce n'est pas la seule raison et, tout à l'heure, en réponse à un
orateur, je dirai ce que je pense de l'effort.
La sélection actuelle n'est pas juste ! Faut-il la renforcer en interdisant à
un grand nombre des jeunes de tenter leur chance ? Ma réponse est « non ». Je
considère qu'il n'y a pas de plus grande injustice, lorsqu'un jeune a satisfait
aux épreuves du baccalauréat, que de lui interdire de tenter sa chance
ensuite.
Permettez-moi de vous rappeler que, parmi ceux qui sont reçus au
baccalauréat, un très grand nombre, sinon la majorité, sont les premiers à
avoir réussi cet examen dans leur famille ! Nous l'oublions parce que nous
vivons dans des milieux où les diplômes pleuvent, mais la vérité est que, pour
beaucoup, la réussite au baccalauréat se traduit par une promotion et par une
émotion profonde. Qui aura le front, dans ces conditions, de regarder ces
jeunes dans les yeux en leur interdisant de tenter leur chance ? Surtout pas
moi !
Notre expérience commune, aux uns et aux autres, celles dont nous avons
connaissance dans notre entourage, montrent bien que ce n'est pas à dix-sept
ans que se photographient les succès ultérieurs. Beaucoup d'entre nous ont mûri
après cet âge-là, beaucoup d'entre nous ont eu des scolarités secondaires
cahotiques alors que, au contraire, tel qui paraissait promis au plus brillant
avenir s'est révélé, en réalité, en panne lorsqu'il s'est agi d'entamer des
études supérieures.
Je considère que, outre une injustice sociale, il y a une injustice culturelle
à refuser à un jeune de tenter sa chance. La question de la sélection, pour
moi, doit donc être tranchée de la manière suivante : étant donné ce qui
constitue la tradition française, étant donné ce qu'est l'intimité entre l'idée
d'école et l'idée de République, on n'a pas le droit d'interdire à un jeune de
tenter sa chance. Qui plus est, on n'a pas le droit de l'abandonner sans aide
dans la jungle impitoyable que représente, pour beaucoup d'entre eux, notamment
les moins favorisés socialement et culturellement, le premier cycle de notre
enseignement supérieur.
La réforme des premiers cycles et celle de l'orientation sont très étroitement
liées et il est d'enjeu national que nous arrivions à nous retrouver autour
d'une architecture qui puisse satisfaire à la fois deux exigences : permettre
raisonnablement à chacun de tenter sa chance et offrir les garanties de justice
indispensables pour faire en sorte que la sélection, inévitable s'agissant
d'études et de formation supérieures, soit considérée comme indiscutable par
tous ceux qui, précisément, auront tenté leur chance.
Voilà pourquoi je pense que la question de la sélection, que certains
considèrent comme taboue, est en réalité, si l'on appronfondit la réflexion,
une question vide, l'une de ces questions qui déchirent au lieu de
rassembler.
M. Gouteyron, enfin, a insisté sur l'insertion professionnelle, en posant une
question très simple : quel doit être le degré d'initiative des universités
dans le travail sur l'insertion professionnelle ? Je crois qu'il y a là un axe
tout à fait intéressant pour la rénovation en profondeur des modes de gestion
de notre université.
M. Camoin a insisté sur le caractère pénalisant de l'incapacité où nous sommes
de changer notre université. Il a relevé - nous devons également y réfléchir -
que la dépense pour l'université, en France, est nettement inférieure à celle
qui est pratiquée partout ailleurs.
Qu'il me permette de dire, pour être tout à fait exact, que la France a fait,
pour son enseignement élémentaire, des choix de dépenses publiques qui n'ont
été faits nulle part ailleurs non plus. La France est ainsi le seul pays au
monde à avoir une école maternelle...
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. François Bayrou,
ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche.
... et je crois que nous avons le droit d'en être fiers.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. François Bayrou,
ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche.
Je ne partage pas le jugement sommaire porté ici ou là - je
l'ai entendu dans une autre assemblée - selon lequel il suffirait, pour faire
quelques économies, de supprimer quelques années d'école maternelle, en
considérant que les enfants ne s'en porteraient pas plus mal.
M. Gérard Delfau.
Ce sont des illettrés qui s'expriment ainsi !
Mme Hélène Luc.
Il faut la développer, au contraire !
M. François Bayrou,
ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche.
Soyons honnêtes : la plupart des enfants de milieux favorisés
ne s'en tireraient pas si mal, mais, s'il est un point sur lequel les études
sont unanimes, c'est que l'école maternelle est un atout pour les enfants des
milieux socialement et culturellement les moins favorisés de la nation, et il
est juste de les défendre. Nous devons donc prendre cette dépense en compte
dans l'effort national pour l'éducation.
Certes, dans les temps difficiles que nous allons connaître, nous pouvons
imaginer la réorientation d'un certain nombre de moyens, à condition qu'aucun
enfant n'en souffre. Et il n'y aura pas là quadrature du cercle !
Je sais bien que l'expression « déshabiller Pierre pour habiller Paul » est un
des lieux communs de la rhétorique parlementaire en matière d'éducation...
M. Jean-Louis Carrère.
Pas seulement en matière d'éducation !
M. François Bayrou.
ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche.
... mais, depuis trois ans et demi maintenant que j'assume la
charge de ministre de l'éducation, en commençant par le primaire et le
secondaire et en poursuivant par l'enseignement supérieur, ma conviction est
qu'il existe des marges et que certains moyens pourraient être utilisés de
manière plus utile et plus efficace.
Toutefois, cette conviction s'accompagne d'une autre : la réorientation de ces
moyens ne peut se faire que dans le temps. Croire que, d'un claquement de
doigts, nous pourrions brutalement amputer des emplois, fermer des classes,
supprimer des écoles pour nourrir tel autre secteur de notre éducation
nationale qui en aurait besoin, c'est une vue de l'esprit.
Ce n'est pas au Sénat, où les représentants de tous les groupes m'ont
régulièrement interpellé sur telle fermeture de classe dans telle école
primaire de notre pays - fermeture considérée toujours comme abusive et
excessive, et je vois des sourires entendus sur toutes les travées - ...
M. Claude Estier.
Oui, sur toutes les travées !
M. François Bayrou,
ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche.
... que j'aurai besoin d'insister sur la très grande attention
que nous devons apporter au maillage du territoire national par l'éducation
nationale.
M. Emmanuel Hamel.
Maintenez le maillage !
M. François Bayrou.
ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche.
Des marges existent, mais il faut beaucoup de soin, de
vigilance et de travail en profondeur pour les dégager et les réutiliser. Elle
peuvent, en tout cas, nous ouvrir des voies positives.
M. Camoin a également parlé de la simplification des DEUG. Ce sujet a
d'ailleurs été évoqué par beaucoup d'entre vous et j'y répondrai peut-être plus
longuement tout à l'heure.
M. Camoin est le seul, en tout cas, à avoir abordé la question des professeurs
agrégés dans l'enseignement supérieur. Ces PRAG - vous connaissez tous ce sigle
- assument une charge d'enseignement dans notre enseignement supérieur, mais
ils sont régulièrement montrés du doigt et on leur fait des procès totalement
injustes.
Je ne peux pas dire, à cette tribune, que ceux qui réussissent le concours de
l'agrégation sont moins bons que les autres, je ne serais pas crédible.
M. Henri de Raincourt.
Ah non !
M. François Bayrou,
ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche.
En tout cas, je n'aurai pas ce masochisme-là.
Il existe cependant une interrogation légitime au sein de la communauté
universitaire à propos de la possibilité, pour ces enseignants, de conduire des
recherches s'ils le souhaitent. Nous aurons à traiter de cette question. En
effet, si je considère que, pour l'instant, la situation n'est pas
satisfaisante, la simple idée que l'on va transférer des professeurs du
secondaire vers le supérieur pour écluser la charge de travail qui règne ici ou
là - M. Rocard parlait de Bercy, mais je ne vise personne - me semble toutefois
de nature à déséquilibrer la réalité universitaire.
Ce n'est pas pour autant que nous devons négliger la contribution, à mon avis
exceptionnelle, que beaucoup de jeunes agrégés brillants peuvent apporter à
l'enseignement supérieur dans les matières littéraires, dans les domaines de
gestion et peut-être aussi - je sais bien que ce n'est pas habituel d'y faire
référence depuis quelques années - dans les matières scientifiques.
Je suis persuadé qu'un chemin peut être trouvé pour concilier ces deux
exigences. Je m'efforcerai de le trouver, et de le définir.
M. Carle a parlé de la triple réponse - économique, sociale et en termes
d'aménagement du territoire - que nous devions apporter. Il a surtout focalisé
son intervention sur l'orientation, qui est en effet l'un des très grands
sujets qui sont posés, nous l'avons vu tout au long de cette journée.
Il a émis une idée que je trouve juste : il faut essayer d'élargir le champ
des intervenants, de ceux qui sont susceptibles d'apporter une information aux
lycéens pendant toute la période - et elle doit être longue -, où leur
orientation, leurs choix se préparent. Que ce soit en direction des retraités,
d'un côté, ou des étudiants, de l'autre, je suis persuadé que nous avons
beaucoup à faire.
A ce sujet, je dirai tout à l'heure à M. Rocard à quel point j'ai été
intéressé par ce qu'il a dit à cette tribune, notamment concernant le temps.
Cela me permettra d'ajouter une dimension à la réflexion de M. Carle : je crois
profondément que nous devons travailler sur la solidarité entre générations.
Autant il faut poser la question du meilleur équilibre, de la meilleure
harmonie à trouver dans nos vies personnelles compte tenu des données nouvelles
avec lesquelles nous ne pourrons pas ne pas vivre, autant je crois nécessaire
de la poser en termes de solidarité et de chaleur humaine. L'une des menaces du
monde vers lequel nous nous dirigeons, c'est l'anonymat qui pèse de plus en
plus lourd sur les épaules, notamment des plus fragiles. L'idée que l'on puisse
faire de l'ingénierie sociale, pour reprendre une expression chère à certains
d'entre vous, autour de principes de générosité un peu idéalistes - je le
reconnais volontiers, mais, après tout, pourquoi sommes-nous là ? -
c'est-à-dire l'idée que nous puissions modeler l'architecture de nos
institutions pour favoriser cette solidarité-là me paraît tout à fait
intéressante.
Elle n'est pas seulement un voeu pieux, je crois que les moyens pratiques
existent pour nous orienter vers cet échange de générosités-là. Après tout,
nous pouvons imaginer qu'il y a là un des axes de cette nouvelle orientation
que nous cherchons ensemble !
Je veux enfin, monsieur Carle, vous dire à quel point je suis d'accord avec
vous sur le fait qu'il n'y a pas de solution unique à construire. L'idée
napoléonienne selon laquelle c'est à Paris, rue de Grenelle, que doit se
décider l'ensemble des dispositions qui vont régir, sur le terrain,
l'université ou l'éducation nationale, est heureusement obsolète... en tout cas
pour moi.
C'est la raison pour laquelle nous avons grand intérêt à favoriser la
politique des contrats, c'est-à-dire à reconnaître la capacité d'initiative,
d'inventivité, d'innovation, d'imagination, de création des acteurs de terrain.
C'est en effet la seule qui, me semble-t-il, peut répondre de manière fine aux
problèmes fins qui se posent sur le terrain et qui ne sont pas tous
identiques.
M. Jean-Louis Lorrain a posé des questions tout à fait fondamentales, et il ne
s'étonnera pas que je sois en accord profond avec lui, notamment sur
l'aménagement du territoire, sujet sur lequel je voudrais m'arrêter un instant.
Je répondrai ainsi également à M. Claude Saunier, qui a abordé ce point dans
son intervention.
Chacun sait bien qu'il y a en la matière deux attentes, qui peuvent paraître
contradictoires. Elles ont d'ailleurs été exprimées chacune en leur temps par
le Sénat.
Il s'agit, en premier lieu, d'une attente traditionnelle dans une assemblée
pour laquelle l'aménagement du territoire est particulièrement cher :
l'université doit être un service public de proximité et vivifier le territoire
national, tout en répondant à une demande sociale.
Beaucoup d'entre vous ont exprimé cette attente, et M. Lorrain en particulier.
Certains jeunes auraient ainsi plus de chances si le service public
universitaire était plus proche d'eux. En outre, la charge financière de leurs
études serait naturellement moins lourde pour leurs parents.
Cette première exigence est corroborée, je le souligne, par une observation
qui ressort de l'évaluation des universités effectuée par le ministère, à
savoir que le taux de réussite est plus important dans les universités de
proximité que dans les très grands centres universitaires. Cet élément n'est
pas sans intérêt.
Il s'agit donc là d'une attente forte - et ce n'est pas l'élu pyrénéen que je
suis qui pourrait dire le contraire - corroborée par les évaluations menées par
le ministère.
En second lieu, certains disent, à juste titre, que l'université c'est la
recherche et que, sans structures de recherche de dimension suffisante, il ne
s'agit plus d'université. A en croire les grandes universités, ce que l'on
installe dans vos chefs-lieux de canton, ce ne sont pas des universités !
Je crois, mesdames, messieurs les sénateurs, que les deux sont vrais.
M. René-Pierre Signé.
Ce n'est pas dans les chefs-lieux de canton, mais dans les chefs-lieux de
département !
M. François Bayrou,
ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche.
Elles disent « chefs-lieux de canton » de manière ironique et
péjorative !
Les deux sont vrais. Je ne veux citer à l'appui de cette thèse que le débat
que vous avez eu vous-mêmes sur la proposition faite l'année dernière par M.
Jean François-Poncet d'universités expérimentales qui permettrait de construire
ces universités de proximité dont il rêve à juste titre.
J'ajoute que les deux systèmes sont conciliables par le biais du réseau, non
encore systématisé, ni organisé pour l'instant, excepté dans quelques
universités par nature multipolaires.
Je crois qu'il est possible de réaliser des appareils de recherche et
d'enseignement de taille suffisante décentralisés, surtout à l'ère des
technologies de l'information, où les données peuvent circuler sans aucune
limite.
Nous avons à inventer cette université du troisième type, notamment pour la
France provinciale, qui en a, je le crois, le plus urgent besoin.
Ainsi seront vidées un certain nombre de querelles stupides - nous en
connaissons, y compris dans le département des Pyrénées-Atlantiques - qui
visent à la scission, à la « scissiparité » perpétuelle des universités pour
affirmer la dignité universitaire de telle région ou de telle ville. Ces
querelles et ces méthodes sont d'un autre temps ; je les crois absurdes.
L'université en réseau peut répondre à un certain nombre des demandes que nous
avons constatées, je voulais le dire à M. Lorrain.
M. Renar a listé un certain nombre d'attentes, et je ne m'inscrirai pas en
faux contre celles-ci.
Dans un monde idéal, un monde où le compte en banque serait abondamment
crédité, je serais infiniment, sincèrement heureux, monsieur Renar, d'adopter
la démarche que vous avez proposée. Je ne crois pas, pour autant, que tous les
problèmes seraient résolus...
Mme Hélène Luc.
Ça aiderait !
M. François Bayrou,
ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche.
... mais, sans aucun doute, un certain nombre des attentes des
étudiants, des universitaires, des personnels seraient satisfaites.
Nous sommes cependant bien obligés de vivre dans le temps qui est le nôtre,
avec les contraintes qui s'imposent à nous comme elles se sont imposées au fil
du temps à tous les gouvernements, y compris à ceux que vous avez soutenus.
Il faut naturellement conserver cette orientation républicaine que vous avez
défendue à la tribune, et dont je vous donne volontiers acte. Mais il importe
aussi de savoir que cela ne pourra se faire qu'au prix d'effort prolongé dans
le temps. Pour ma part, je m'efforcerai d'aller dans ce sens.
Monsieur Carrère, j'ai déjà répondu à l'essentiel de votre intervention.
M. René-Pierre Signé.
Excellente !
M. François Bayrou,
ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche.
En effet, quelques-unes des idées que vous avez émises à cette
tribune me paraissent intéressantes, et vous avez pu constater que, reprises
par les uns ou par les autres, elles ont fait progresser l'accord que nous
recherchons.
Je vous remercie d'avoir noté que l'identification des problèmes est juste. Je
n'ai pas une volonté irénique à tout prix, car je sais que nous serons en
désaccord sur un certain nombre de points. Quoi de plus légitime ? Mais quoi de
plus heureux aussi de voir les différentes composantes d'une nation être
capables de se rencontrer pour désigner du doigt les causes des problèmes dont
elle souffre et, peut-être, d'en dessiner ensemble les futures solutions ?
Il est donc normal et légitime que je qualifie d'intéressante l'intervention
de M. Carrère, ce qui n'a pas été toujours le cas dans cet hémicycle et à cette
tribune...
MM. René-Pierre Signé et Robert Castaing.
On a tous le souvenir !
(Sourires.)
M. Jean-Louis Carrère.
Eh oui !
M. François Bayrou,
ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche.
Oui, on a le droit d'avoir des souvenirs !
(Nouveaux sourires.)
M. Ivan Renar.
Il se souvient des bagarres dans la cour de récréation !
M. François Bayrou,
ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche.
M. Lesein a noté qu'en effet nous avions vécu dans un temps où
le diplôme était synonyme d'embauche et que là réside la vraie révolution
culturelle que nous sommes en train de vivre. Il a noté que cela changeait
considérablement les données de l'université que de découvrir un monde,
notamment pour les étudiants, dans lequel il n'existe plus d'automaticité entre
l'acquisition du diplôme et la situation protégée qui lui était hier liée.
Devant cette découverte, nous devons nous poser la question de savoir si, pour
protéger le lien indissoluble diplôme-statut, diplôme-fonction de cadre, comme
un certain nombre d'intervenants l'ont noté, nous devons interdire à un certain
nombre de jeunes d'acquérir des diplômes, ou au contraire conduire avec eux le
mouvement d'éducation pour que, outre leur droit à l'obtention du diplôme, ils
puissent construire leur parcours professionnel.
Sans doute cette double démarche doit-elle se substituer aujourd'hui à la
démarche unique qui prévalait hier, où il suffisait d'acquérir un diplôme pour
trouver un emploi. Aujourd'hui, certes ceux qui le souhaitent peuvent obtenir
un diplôme, mais il faut qu'en plus ils choisissent une orientation
professionnelle et accomplissent un parcours qualifiant pour réussir d'abord
leur entrée dans la vie professionnelle et, plus tard, leur carrière
professionnelle.
Il est vrai, j'y reviendrai, que l'université comme lieu de formation continue
joue alors un rôle majeur.
Vous ne pouvez pas non plus dire que seuls auront droit à un parcours
professionnel ceux qui seront restés le plus longtemps possible à l'université.
Il convient, c'est un grand enjeu - et j'y reviendrai également parce qu'un
orateur s'y est intéressé - de favoriser autant que possible la mobilité qui
permet la sortie de l'université, même précoce, puis le retour à
l'université.
M. Lesein a posé une question sur laquelle je voudrais m'intéresser à cette
tribune, c'est la question de l'année universitaire.
Nous avons en effet des équipements extrêmement coûteux qui ne sont utilisés
que cinq mois et demi par an pour les cours, le reste de l'année étant voué aux
examens ou aux congés universitaires.
Il y a là une piste d'amélioration de la productivité de nos dépenses
éducatives en matière d'enseignement supérieur. Mais, ne nous y trompons pas,
c'est très difficile, très compliqué. Cela est pourtant essentiel, et je
m'efforcerai de proposer, d'ici à quelques semaines, des réponses.
J'ai noté, monsieur Lesein, votre observation sur les premiers cycles d'études
médicales aux Antilles et en Guyane : je regarderai de près ce que cette
demande de formation recouvre de besoins réels.
Je remercie M. Maman pour les propos chaleureux qu'il a eu à l'égard de la
méthode suivie. Il a lui aussi noté le paradoxe de la sélection et il a insisté
pour que les parents soient associés au travail d'orientation.
Vous avez raison, monsieur Maman. Traditionnellement, en effet, les parents
n'étaient pas reconnus comme ayant leur mot à dire à l'université. On
considérait que le rôle des parents, notamment des associations de parents
d'élèves, s'arrêtait lorsque le baccalauréat était obtenu.
Monsieur Maman, vous avez raison parce que la société change et il n'y a pas
de raison d'exclure des acteurs qui, en réalité, sont majeurs de la réflexion
sur l'avenir de notre université et du travail d'orientation mené auprès des
jeunes lorsqu'ils fréquentent encore le lycée.
Tout reste à inventer dans ce domaine. A cet égard, vous savez que j'ai fait
distribuer, pour la première fois cette année, une brochure à tous les élèves
de terminale leur permettant d'apprécier le choix qu'ils devront faire à
l'université, notamment en leur indiquant leurs chances de succès.
Nous avons obtenu des résultats satisfaisants, maintenant que nous commençons
à disposer de statistiques, pour toutes les formations, à l'exception de l'une
d'entre elles, l'éducation physique et sportive, pour laquelle, je le signalais
ce matin, la demande est pléthorique : les candidats se comptent par dizaines
de milliers. Cela nous obligera à arrêter les procédures ou du moins à mener un
travail d'orientation spécifique.
Il y a là un phénomène profond, auquel n'est pas étrangère la place croissante
qu'occupe le sport dans la société française. Il n'est pas étonnant, quand les
événements sportifs recueillent les plus grandes audiences audiovisuelles, que
de nombreaux jeunes demandent à s'engager dans cette voie. Ces deux faits sont
liés. Il faudra donc que nous y réfléchissions longuement.
Mais la vérité que nous devons à ces jeunes oblige à dire que, pour l'instant,
la société française, notamment l'éducation nationale, n'offre pas le dixième
des débouchés qui permettraient de satisfaire la vocation sincère qui est la
leur. Nous sommes contraints, sauf à les trahir et à être irresponsables
vis-à-vis d'eux, d'harmoniser dans la mesure du possible l'offre de débouchés
et la demande de diplômes que nous constatons.
Nous ne pouvons pas construire les centaines de stades, de gymnases
universitaires qui conviendraient pour, d'un seul coup, demain, répondre aux
demandes de dizaines de milliers d'étudiants. C'est là, me semble-t-il, un
signal de l'évolution des sociétés dans lesquelles nous allons vivre.
Raison de plus, monsieur Rocard, pour poser les questions que vous avez
soulevées à cette tribune ! Cependant, nous ne pouvons pas, aujourd'hui, sur ce
sujet, apporter les réponses, et il est, bien entendu, très important, monsieur
Maman, de réfléchir au rôle des parents dans cette affaire.
J'ai noté vos remarques sur la formation professionnelle. Je les crois très
justes. Il s'agit de faire évoluer positivement le système tout en lui
conservant son âme.
La réflexion qui a été la vôtre sur ce point vaut également pour notre
université.
Nous vivons dans un monde qui est constamment fasciné par l'herbe qui se
trouve dans le pré du voisin. On nous propose en exemples les universités
allemandes, britanniques, américaines, japonaises, sans discerner la multitude
de débats qui, dans chacun de ces pays, met en cause les systèmes de formation
qu'ils ont choisis. L'Allemagne, par exemple, considère aujourd'hui - j'en
parlais avec le chancelier Kohl voilà à peine quarante-huit heures - que son
système de formation supérieure est devenu insupportable non pas seulement pour
les budgets publics mais pour la société allemande, parce que l'âge moyen de
sortie des étudiants est de vingt-neuf ans !
A cet égard, M. Gélard a signalé à très juste titre qu'en Allemagne la
certification n'avait lieu qu'au terme des études et que le taux d'échec y est
le même qu'en France. Naturellement, la société allemande considère que ce taux
est trop élevé. Le chancelier Kohl était fondé à me dire qu'après tout les
Français et les Anglais n'étaient pas moins bien formés que les Allemands, même
s'ils restaient moins longtemps à l'université que ces derniers.
Cependant, les Français sont portés, par un esprit de fascination pour l'autre
qui caractérise souvent notre société, à regarder toujours ailleurs, sans avoir
conscience des problèmes qui s'y posent, et, partant, à adopter les systèmes
des autres.
Pour ma part, je vous dis ma conviction : ce que nous construirons, c'est
l'université française et non pas l'université allemande, britannique,
américaine, japonaise ou autre. Nous construirons l'université française, avec
sa tradition intellectuelle, avec ses principes d'organisation. Nous ne
transplanterons pas chez nous des universités étrangères, tant la nature d'un
système éducatif est profondément liée à l'identité nationale.
Je crois donc que ce n'est pas ailleurs qu'il faut chercher l'âme de notre
université. Nous avons une âme profondément enracinée, il est juste de le dire
et de le rappeler.
Enfin, j'ai été très frappé, parce que c'est aussi ma conviction, par la
référence aux amicales d'anciens étudiants. C'est en effet une des faiblesses
françaises que l'absence d'identitié de nos universités. Dans notre pays, il
est difficile de rendre les étudiants fierts de l'établissement dans lequel ils
ont fait leurs études, si ce n'est pour les très grandes écoles.
Si l'université de Bordeaux, où j'ai fait mes études, suscitait la même fierté
que l'Ecole polytechnique - après tout, pourquoi pas ? - il me semble que, pour
ses étudiants, les choses iraient mieux. En effet, monsieur Maman, le pont
entre les générations jouerait dès lors un rôle beaucoup plus important.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes tout à fait au
coeur du débat que nous avons eu au commencement : construire, au travers de
l'institution universitaire, un peu de la société dont nous rêvons, celle où
l'on se tient la main, plutôt que celle qui favorise l'anonymat, qui enfonce
les plus faibles.
Monsieur Gélard, je signale votre très intéressante intervention à propos de
la certification. Si vous n'êtes pas le seul à avoir évoqué cette question,
vous êtes celui qui a le mieux posé le problème, puisque vous vous êtes référé
au changement nécessaire de l'évolution des carrières.
En effet, notre incapacité à tenir compte de l'engagement pédagogique et
administratif des universitaires est l'une des grandes faiblesses de notre
système.
Les carrières de certains se sont achevées parce qu'ils avaient été obligés de
devenir doyen ou président d'université. Pendant cette période, ils n'avaient
pas publié, ils n'ont donc pas pu réunir les critères de recherche leur
permettant de postuler à d'autres postes.
Un système qui pénalise ceux qui le portent sur leurs épaules est voué à
l'échec à court terme !
Dans de telles conditions, il n'est pas étonnant que des personnalités
éminentes ne soient pas animées par la vocation d'assurer des responsabilités
dans l'université. Voilà une question à laquelle nous aurons à apporter une
réponse.
Monsieur le sénateur, vous me permettrez de ne pas répondre à tous les points
très intéressants que vous avez abordés, mais je tenais à insister sur
celui-là.
Monsieur Falco, j'ai déjà répondu d'une certaine manière à votre intervention
en parlant des universités de proximité. Vous avez cité l'exemple du
département du Var.
En ce qui concerne le partenariat entre l'université et les collectivités
locales, il est destiné, non seulement à servir l'université, mais aussi à
proposer aux universités de participer de manière citoyenne à la lutte contre
l'échec scolaire, par exemple, ou à la préparation de l'entrée dans la vie
active.
Je suis persuadé qu'il y a là une piste tout a fait intéressante, qui est
également suivie ailleurs, même si elle n'est absolument pas généralisée. Elle
me paraît de nature à changer le climat et à créer ces liens de reconnaissance
que j'évoquais à l'instant. Je trouve donc très riches les propositions que
vous avez faites sur ce sujet, monsieur le sénateur.
Monsieur Rocard, monsieur le Premier ministre, tout le monde a perçu - sur
toutes les travées - la richesse de votre intervention. Je n'en relèverai
cependant qu'un ou deux points !
Tout d'abord, j'ai trouvé très intéressante et originale votre idée d'accoler
une fondation à chaque université. Cela reviendrait à renforcer l'autonomie
universitaire sans porter atteinte ni aux principes républicains, ni au rôle de
l'Etat, ce que je trouve juste et profond.
En effet, on « bricole » sur ce sujet depuis très longtemps et vous savez que
gravitent autour des universités une forêt d'associations qui sont « limites de
la loi de 1901 », et qui permettent en fait aux universités françaises de
contourner des règles comptables - vous avez fait allusion aux plans comptables
- trop strictes et profondément pénalisantes.
Votre idée, que je n'avais jamais entendue, constitue une piste tout à fait
intéressante pour tenter d'ouvrir de nouvelles voies. En revanche, je résiste
quelque peu à propos du premier cycle en trois ans. Je note, d'ailleurs, que
votre proposition n'est pas exactement la même que celle de M. Carrère.
Vous avez commencé votre intervention en annonçant l'unité profonde du groupe
socialiste sur les propositions de M. Carrère. Puis vous avez présenté une
proposition radicalement différente de la sienne, même si, on le voit bien,
l'inspiration est la même.
Un premier cycle en trois ans, je vous l'accorde, est le mode de certification
habituel en Europe. Je crois d'ailleurs que M. Gélard l'a noté lui aussi. Mais
un tel dispositif aurait pour conséquence d'allonger les études pour un fruit
que je n'aperçois pas.
Vous savez à ce propos combien l'un de mes prédécesseurs, M. Jospin, et son
conseiller spécial en matière d'enseignement supérieur, M. Allègre, ont résisté
de toutes leurs forces au « cylindrage » des études technologiques - BTS, IUT -
puisqu'ils ont créé une chicane entre l'IUT et l'IUP qui obligeait l'étudiant
ayant été admis en deuxième année d'IUT à reprendre ses études un an plus bas
pour entrer dans un IUP. C'était une manière d'éviter que le « cylindrage » ait
lieu.
Je résiste donc à cet allongement mécanique de la durée des études, même si je
reconnais l'impératif d'orientation que vous avez ainsi mis en valeur.
Enfin, monsieur Rocard, vous avez mis l'accent sur le temps dans la vie.
Voilà l'un des sujets essentiels et extrêmement complexes dont nous aurons à
traiter dans les décennies qui viennent.
Vous avez de même relevé qu'au cours de certaines périodes de l'histoire de
l'humanité le travail n'était pas considéré comme un lien social et qu'il était
même rejeté en tant que tel.
Vous avez cité l'exemple d'Athènes à fort juste titre. Voilà seulement 250
ans, en France, on dérogeait si l'on travaillait, on était en rupture avec son
milieu social si l'on travaillait.
Pourtant, en deux siècles, le travail est devenu le lien social par
excellence. Et, aujourd'hui - c'est un paradoxe des temps que nous vivons ! -
le travail est le seul lien social reconnu par la société et par les cellules
élémentaires qui la composent.
Réfléchir à cette évolution est une tâche immense.
Quoi qu'il en soit, j'ai été tout à fait intéressé par vos remarques. Mais
vous mesurez bien, monsieur le sénateur ce que cela représente comme changement
dans les systèmes de valeurs de la société dans laquelle nous vivons.
M. Michel Rocard.
Oh oui !
M. François Bayrou
, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche.
Notre société décide ainsi de mettre la valeur et la
reconnaissance dans autre chose que le matériel.
Elle décide d'accomplir enfin la mission humaniste qu'elle invoque
verbalement, mais qu'elle réalise peu dans son organisation.
Elle décide que l'être humain a vocation à la création, à la rencontre, à la
compréhension des autres et du monde.
Comme, dans le même temps, la mondialisation de l'économie et l'autonomisation
de la sphère financière font que, d'une seconde à l'autre, des milliards de
dollars arbitrent contre ces valeurs-là ou, en tout cas, oeuvrent dans le
désintérêt le plus complet de ces valeurs, nous sommes confrontés à un conflit
non de société mais de civilisation. C'est précisément sur ce point que vous
avez mis le doigt.
Je suis persuadé que notre débat d'aujourd'hui sur l'université porte
exactement sur ce sujet. Telle est la question qui nous est posée par la
tentative de définition de l'université française de demain.
Je voulais enfin vous remercier, monsieur le Premier ministre, d'avoir assisté
d'un bout à l'autre au débat que nous avons eu sur ce sujet tellement
important.
M. Joly est intervenu principalement pour me demander des informations sur
Belfort, à propos de la certification. Je veux lui donner des nouvelles assez
rassurantes.
En effet, la mission scientifique et technique avait émis un avis défavorable,
comme il l'a laissé entendre, mais nous avons examiné de près l'impératif
d'aménagement du territoire à l'égard de cette région. J'ai donc proposé qu'un
avis favorable soit donné à la reconnaissance de la formation que vous avez
défendue à cette tribune, monsieur le sénateur.
J'ai pris cette décision voilà quelques semaines, et non à l'issue de votre
intervention, mais je suis heureux de vous rassurer sur ce point.
M. Lachenaud est intervenu de manière tout à fait argumentée sur le statut, la
place de l'étudiant dans la cité et les exigences qui s'imposaient à nous en
matière de nouvelles définitions des aides.
Il a tout à fait raison sur un point : une telle réforme ne peut pas être
brutale et simpliste.
Il n'est pas facile de sortir d'un système à interventions multiples et
inéquitables, à canaux administratifs divers, pour passer d'un seul coup à un
système unique qui serait réputé équitable. Cela ne pourrait qu'engendrer des
problèmes.
Il n'en demeure pas moins, monsieur le sénateur, vous avez tout à fait raison
de le dire, que, désormais, nous ne pouvons plus laisser cette question sans
réponse. Nous ne pouvons plus, maintenant que les débats l'ont établi,
maintenant que ce qui se chuchotait est sur la place publique, avoir un système
qui aide préférentiellement les plus pauvres et les plus riches mais pas ceux
qui sont entre les deux. Il faudra trouver une solution.
Comme vous, je l'ai dit à la tribune, je ne crois pas à l'égalité de
traitement pour tous. Il me semble qu'il est injuste de traiter également les
pauvres et les riches.
Bien entendu, la revendication d'autonomie des jeunes est une revendication
légitime. Et il est vrai aussi qu'un certain nombre d'entre eux ne sont pas
forcément aidés sous prétexte qu'ils appartiennent à un milieu favorisé. Mais
des dispositifs nous permettront d'aller dans le sens que vous avez signalé.
En tout cas, je voulais vous remercier pour la richesse des remarques que vous
avez faites sur ce sujet, qu'il s'agisse du guichet social unique, de l'aide
globale différenciée... la réforme fiscale étant naturellement au coeur de
cette réflexion.
J'en viens à l'intervention de M. Saunier, à laquelle j'ai fait plusieurs fois
allusion.
J'ai noté également dans vos propos, monsieur Saunier, une tension entre deux
impératifs contraires. Ne croyez pas que ce soit une obsession centriste qui me
les fait remarquer à cette tribune ! Bien des domaines de la société jouent sur
ce registre.
Vous avez dit, à très juste titre, qu'il ne fallait pas que le débat s'arrête
là. Mais vous avez ajouté : « Attention à une dilution excessive du débat ! ».
C'est bien pour cette raison que j'ai tenu à conclure ces états généraux avant
la fin de l'année universitaire. En effet, ma conviction était - les temps
médiatiques étant ce qu'ils sont - que si l'on avait recommencé l'année
prochaine, on aurait donné l'impression que le Gouvernement voulait noyer le
poisson, ce qui évidemment n'est pas notre objectif.
Je suis très heureux que vous ayez noté, monsieur Saunier, que l'université
n'était pas le champ de ruines que beaucoup dénonçaient. Je crois que c'est la
multiplication des crises qui donne cette impression de champ de ruines ; c'est
la succession des messages lancés sur la difficulté de vivre à l'université qui
impose ce genre d'images noires. Vous avez tout à fait raison de dire qu'après
tout l'université a relevé le défi du nombre et y a apporté une réponse sans se
dévaloriser, sans trahir la mission qui était la sienne.
Elle rencontre des difficultés, mais elle a su absorber le choc de la
démocratisation ou de la « massification », comme certains disent en utilisant
un mot horrible que je ne reprends pas à mon compte. La révolution du nombre a
été maîtrisée, et il est juste de mettre cela au crédit des universités.
Vous avez raison de dire que cette réforme est nécessaire pour que
l'université retrouve la réputation qui n'aurait jamais dû cesser d'être la
sienne et que les efforts de très nombreux universitaires méritent.
Vous avez à votre tour évoqué - vous n'êtes pas le seul - la réduction du
nombre des DEUG, M. Gélard a également émis une réserve sur ce point. Là
encore, il nous faudra concilier les contraires, arbitrer entre ceux qui
dénoncent les DEUG trop spécialisés, lesquels conduisent les étudiants dans des
impasses sans leur donner les armes nécessaires à la construction d'une
véritable personnalité, à l'acquisition d'une véritable culture générale, et
ceux qui redoutent les formations passe-partout, qui obligeraient à allonger
d'autant les études ultérieures pour retrouver un bon niveau de formation
spécialisée. Une conciliation peut sans doute être trouvée parce que je crois à
la justesse des deux attentes, auxquelles je m'efforcerai de répondre.
Mon dernier mot s'adressera à M. Clouet, que je remercie de son intervention,
qui fut comme toujours franche et talentueuse, ironique et subtile, pour lui
dire que je suis en désaccord avec lui sur un point. Ce désaccord porte sur
l'image si souvent véhiculée d'un monde enseignant réactionnaire, conservateur,
incapable de mouvement. Les organisations syndicales qui représentent le monde
enseignant, qu'on charge généralement de tous les maux, sont traitées à peu
près de la même manière. Ce que je vais vous dire pourrait naturellement être
considéré comme une
captatio benevolentiae.
Ce n'est pas le cas ; Je
vous livre ma pensée après avoir effectivement écrit les propos que vous
m'attribuez. Il est vrai que j'ai autrefois écrit sur les organisations
syndicales des pages souriantes mais un peu sévères, du même ordre que celles
que vous évoquez.
Je vous dirai sincèrement que, quels qu'aient été les conflits passés, les
organisations syndicales que j'ai rencontrées dans le monde de l'éducation
nationale ont constamment entendu l'appel au changement et à un meilleur
service des valeurs républicaines que je leur lançais.
Je n'ai pas trouvé la puissance réactionnaire à laquelle je m'attendais, au
contraire : j'ai constamment rencontré - cela paraît difficile à croire ! -
...
M. Jean-Louis Carrère.
Il nous joue un peu de violon !
M. François Bayrou,
ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche.
Non, monsieur Carrère ! Ne démolissez pas vos amis !
Mme Hélène Luc.
Il aurait du mal !
M. Jean-Louis Carrère.
Je ne les démolis pas, je parle de violon !
M. François Bayrou,
ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche.
... j'ai constamment rencontré, disais-je, parmi les
responsables d'organisations des femmes et des hommes très positifs et
profondément avertis de ce qui se passe sur le terrain.
On ne gère pas un corps de 1 200 000 personnes sans organisations
intermédiaires. Ceux qui croient qu'on pourrait y parvenir s'engagent dans une
impasse. Il faut trouver une façon de faire vivre et travailler ensemble
organisations syndicales et responsables gouvernementaux. Les enseignants
nourrissent profondément cet espoir. Ils constatent les mêmes problèmes que
nous et en souffrent plus que nous. Ce sont eux qui sont au premier rang
lorsque des difficultés surgissent dans les « amphis » ou lorsqu'ils n'arrivent
pas à faire passer leur message de formation. Ce sont eux qui sont en première
ligne et qui, d'une certaine manière, sont les premières victimes.
Si les esprits ont tant évolué au cours de ces derniers mois, n'est-ce pas en
raison d'une pression venant de la base qui se serait exercée pour éviter que
les problèmes de l'université française ne soient encore éludés ?
Voilà une raison de plus pour choisir comme mot d'ordre de faire confiance au
terrain. C'est une telle attitude qui assurera le succès de la réforme à
laquelle nous avons, je crois, utilement travaillé aujourd'hui. Et, en cet
instant, permettez-moi, monsieur le président, d'exprimer au Sénat ma gratitude
pour sa contribution.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le n°
399 et distribuée.
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