ENTREPRISE NATIONALE FRANCE TÉLÉCOM
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet
de loi (n° 391, 1995-1996) relatif à l'entreprise nationale France Télécom.
[Rapport (n° 406, 1995-1996).]
Mme Hélène Luc.
Un lundi après-midi, alors qu'il n'y a presque personne dans l'hémicycle !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Il faut battre le rappel, messieurs !
M. le président.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. François Fillon,
ministre délégué à la poste, aux télécommunications et à l'espace.
Monsieur le président, je voudrais confirmer l'excellente qualité du serveur du
Sénat. Vous venez de nous dire qu'il allait s'enrichir du compte rendu intégral
des séances, ce qui en fera un instrument d'une très grande utilité.
Ainsi, nous allons inaugurer ce service, et je me félicite que ce soit avec un
débat relatif à l'avenir de l'opérateur national France Télécom.
Vous venez, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà quelques jours, de voter
la loi de réglementation des télécommunications. Nous avons fait le choix de
mettre fin au monopole des télécommunications en France et d'ouvrir ce secteur
à la concurrence au 1er janvier 1998.
Vous saviez que cette première étape serait, comme je vous l'avais promis,
suivie d'une seconde ; celle de la réforme du statut de France Télécom.
Nous y voici : c'est le nécessaire rendez-vous que France Télécom devait
prendre avec l'avenir. Si nous nous retrouvons aujourd'hui, c'est, en somme,
pour aller jusqu'au bout du choix que nous avons fait en adoptant la loi de
réglementation des télécommunications, pour tirer toutes les conséquences pour
notre opérateur national de l'ouverture à la concurrence ; réformer le statut
de France Télécom, c'est achever, dans les règles de l'art, l'édifice que nous
avons commencé de construire.
Il est de notre responsabilité d'apporter cette dernière pierre à l'édifice,
car c'est elle qui le fera tenir debout : il y va de l'avenir du service public
comme de la capacité de France Télécom à tirer parti de son nouvel
environnement, que nous avons dessiné avec la loi de réglementation des
télécommunications, de sa compétitivité et de son excellence futures.
Certains nous répondent que sa compétitivité et son excellence sont
aujourd'hui quotidiennement vérifiées par les Français et que, dès lors, il est
urgent de renoncer à tout changement.
Je suis le premier à partager leur premier constat : oui, nous avons le droit
d'être fiers de France Télécom, de ses ingénieurs et de ses agents, qui ont su
en faire, à force de talent, d'expertise et de sens de l'innovation, un fleuron
de notre industrie et le quatrième opérateur mondial.
Mme Hélène Luc.
Il fallait laisser le service public se développer !
M. François Fillon,
ministre délégué.
Oui, France Télécom se porte bien. Et c'est parce
qu'elle se porte bien qu'il faut, dès aujourd'hui, entreprendre les réformes
qui permettront à notre opérateur national de continuer de se porter bien au
début du xxie siècle.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Démagogie !
M. François Fillon,
ministre délégué.
Rester immobile au milieu du gué quand le torrent
gronde et enfle sans cesse en amont, en répétant ingénument « jusque-là tout va
bien » : voilà ce que prônent ceux qui voudraient que France Télécom se dirige
vers un nouvel espace économique et vers un nouveau siècle sans se déplacer,
sans évoluer !
M. Michel Charzat.
Allons, allons !
M. François Fillon,
ministre délégué.
Seulement voilà : si France Télécom ne va pas à eux, la
concurrence et la modernité technologique auront tôt fait d'aller à elle et de
la « rattraper ». La rencontre promet d'être beaucoup plus brutale que si notre
opérateur avait fait un pas en avant décidé et offensif. Que ceux qui n'ont pas
compris cela à propos d'Air France en un autre temps - ce qui a entraîné les
conséquences que l'on sait - se gardent de reproduire aujourd'hui les mêmes
erreurs !
France Télécom est désormais à la croisée des chemins,...
Mme Hélène Luc.
Continuez la casse !
M. François Fillon,
ministre délégué.
... et ce dont il est question, avec le projet de loi
qui vous est soumis aujourd'hui, c'est de choisir le bon chemin.
Le bon chemin, c'est celui qui permettra à France Télécom de mener une
politique d'alliances internationales solides et durables pour partir à la
conquête de nouveaux marchés dans un univers marqué par une concurrence rude,
concurrence à la hauteur de l'immense enjeu économique que représente, chaque
jour un peu plus, le marché des télécommunications.
Le bon chemin, c'est celui qui lui permettra de disposer de la même
réactivité, de la même autonomie et de la même souplesse de gestion que ses
vingt premiers concurrents mondiaux, tous dotés d'un statut à caractère
commercial.
C'est aussi celui qui lui permettra de se positionner en force sur les marchés
émergents du multimédia et des réseaux en ligne, secteur dont nous devons
pressentir l'extraordinaire développement dans les années à venir.
C'est encore celui qui lui permettra de continuer à créer des emplois, à
recruter et à former des jeunes.
C'est, enfin, celui qui lui permettra de continuer d'assurer un service public
de qualité pour tous les Français.
Ce chemin, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons le devoir de
comprendre qu'il passe par l'évolution du statut de France Télécom, un statut
qui lui permette de concrétiser les alliances internationales par des liens
capitalistiques, par des échanges de sièges d'administrateurs, un statut qui
lui permette d'être géré comme ses concurrents, un statut qui lui permette
d'avoir accès aux mêmes ressources pour financer son développement. Ce statut,
c'est celui d'une société anonyme.
Les conditions de monopole qui ont fondé la prospérité de notre opérateur
national, battues en brèche quotidiennement par les nouvelles technologies et
par la mondialisation des échanges, sont appelées à disparaître.
Ce n'est pas un repli frileux derrière une vaine « ligne Maginot » qui donnera
à France Télécom l'élan nécessaire pour partir à la conquête de nouveaux
marchés. Ce n'est pas le
statu quo
qui lui permettra d'assurer demain le
service public tel que nous le concevons, dans le respect de notre tradition
républicaine. Dans un monde ouvert, le refus de l'adaptation à la concurrence
signerait, au contraire, le déclin de France Télécom, comme celui du service
public, et serait destructeur d'emplois.
C'est pourquoi son statut administratif, conçu naguère dans un cadre protégé,
doit être revu. Telle est la condition pour que l'ouverture à la concurrence
soit, comme nous devons nous y attendre, une chance pour France Télécom, une
nouvelle frontière, synonyme de progrès et de croissance.
France Télécom est désormais confrontée à de multiples défis. Je sais qu'elle
a l'ambition de les relever. Il faut maintenant que nous lui donnions tous les
moyens de ses ambitions. Car ce défi, loin de concerner exclusivement France
Télécom, est bien un défi national. A travers France Télécom, c'est une « carte
maîtresse » que la France entend jouer.
Les enjeux, vous êtes très nombreux dans cet hémicycle à les avoir mesurés et
compris : je pense notamment à tous ceux qui ont pris le temps de lire
l'excellent rapport de Gérard Larcher, dont, vous le constaterez, nous nous
sommes très largement inspirés pour élaborer cette réforme.
Je tiens, en cet instant, à saluer la qualité et l'intelligence du travail
accompli par la commission des affaires économiques et à rendre hommage à votre
rapporteur, dont l'implication profonde et compétente dans ce dossier a été
unanimement appréciée.
Vous conviendrez, mesdames, messieurs les sénateurs, que la mise en oeuvre de
cette réforme par le Gouvernement ne prend personne, ni dans le principe ni
dans la forme, par surprise.
Mme Hélène Luc.
Oh ça !
M. François Fillon,
ministre délégué.
Nous avions depuis longtemps fixé des objectifs,
déterminé des principes et des échéances. Nous nous y sommes en tout point
tenus.
Il y a près d'un an, en août 1995, j'avais en effet exposé clairement les
grandes lignes du projet du Gouvernement s'agissant de l'avenir de France
Télécom, ainsi que la méthode que j'entendais suivre pour mener à bien ce
projet.
J'avais alors indiqué un objectif clair : donner à France Télécom les moyens,
notamment structurels, d'aborder dans de bonnes conditions l'ouverture à la
concurrence et la compétition internationale.
J'ai personnellement veillé, au cours du dernier trimestre de 1995, à ce
qu'elle ait, dans un premier temps, les moyens de ses ambitions internationales
: c'est à cette fin que, par toutes les voies appropriées, j'ai soutenu, à
Bruxelles, son alliance avec Deutsche Telecom et, à Washington, son alliance
avec Sprint. L'inauguration réusie de ces alliances stratégiques doit nous
conforter dans cette conviction : France Télécom saura, si nous la dotons d'un
statut propre à sceller durablement ces partenariats, renforcer sa position de
premier plan sur le marché mondial.
J'avais également jugé nécesaire que l'équipe dirigeante de France Télécom
adhère pleinement à la méthode que j'avais définie, afin que nous avancions
d'un même pas vers l'échéance que s'était fixée le Gouvernement.
Il restait, conformément aux objectifs que nous nous étions assignés, à doter
notre opérateur national de structures adaptées à la nouvelle donne
technologique et économique. C'est cette étape essentielle pour l'avenir de
France Télécom comme pour celui du service public des télécommunications que
nous abordons aujourd'hui avec ce projet de loi.
Si l'urgence et la nécessité d'une telle évolution ne faisaient d'emblée aucun
doute, ma conviction était que le Gouvernement devait procéder à cette réforme
pas à pas, avec un souci permanent de dialogue et de négociation. Il
s'agissait, en effet, de prendre le temps d'expliquer et de convaincre, plutôt
que de décréter prématurément une réforme mal comprise et mal acceptée.
Cette méthode nous a conduits, dans un premier temps, à fixer précisément le
paysage réglementaire des télécommunications, tel qu'il sera mis en place à
partir de 1998. Mon souci était d'éclairer l'ensemble des acteurs intéressés
sur les « règles du jeu » du monde qui sera demain le leur. Estimant que cette
clarification était une priorité, j'en avais fait un préalable au changement de
statut de France Télécom.
Chacun d'entre vous a encore en mémoire le texte qui vous a été soumis voilà
quelques jours et sait la place privilégiée qu'il accorde au service public et
à l'opérateur national qui sera chargé de sa mise en oeuvre.
Ce texte est le fruit, vous le savez, d'une très large concertation, qui a
permis à tous les acteurs concernés de faire entendre leur voix, aussi bien
lors de la consultation publique menée à bien au cours du dernier trimestre de
1995 que lors de l'élaboration du projet de loi, durant le premier trimestre de
1996.
C'est dans le même esprit que nous avons voulu engager la réforme du statut de
France Télécom. Le dialogue qui est instauré depuis plusieurs mois avec le
personnel de l'opérateur public et les partenaires sociaux répond à notre
souhait de les voir participer pleinement à cette démarche constructive. C'est
ensemble et pas à pas que nous avons entendu mener à bien une réforme
importante pour la nation, tout en restant fidèles à nos convictions.
Certes, toute réforme suscite malgré tout des peurs, des inquiétudes face à un
avenir qui pourrait devenir incertain. Rester à l'écoute des préoccupations du
personnel de France Télécom, s'efforcer de répondre à ses inquiétudes, telle a
été la volonté du Gouvernement. Notre objectif était en effet de rendre cet
avenir certain et, pour cela, de donner d'emblée au personnel des garanties
fortes, précises, qui répondent au plus près à ses attentes.
Ces garanties, le Premier ministre les a apportées solennellement au personnel
dès le 15 mars dernier.
A partir de là s'est engagé au sein de l'entreprise, directement entre les
agents et la direction, un dialogue qui a permis de vérifier l'attention et
l'intérêt du personnel pour cette évolution et pour les garanties apportées par
l'Etat.
Le dialogue a également pu s'engager entre le Gouvernement et certaines
organisations syndicales qui, même si elles étaient hostiles au principe, ont
considéré que les engagements du Gouvernement valaient la peine de discuter.
De tous ces échanges avec les acteurs intéressés, il est ressorti que ce que
redoutait le plus le personnel de France Télécom, c'était l'indécision.
C'est pourquoi ce dialogue s'est prolongé, à travers la large concertation,
formelle et informelle, que j'ai engagée sur l'avant-projet de loi, et les
garanties qu'il mettait noir sur blanc ont été soumises à nos interlocuteurs au
cours du mois de mai.
Vous constaterez aujourd'hui avec eux que le projet de loi ne laisse plus de
place à l'indécision : les garanties que le Gouvernement entend apporter au
personnel de France Télécom, comme à tous ceux que cette réforme inquiète, sont
en effet clairement et formellement inscrites dans le projet de loi qui vous
est soumis aujourd'hui.
Je voudrais revenir sur ces garanties en les explicitant.
La première d'entre elles concerne les missions de service public de
l'opérateur national : France Télécom restera l'opérateur public chargé
d'assurer un service public national des télécommunications de qualité pour
tous.
Le projet de loi de réglementation entoure ce rôle de toutes les garanties
nécessaires pour assurer sa pérennité, et le texte que je vous présente
aujourd'hui confirme, puisqu'il ne modifie pas sur ce point la loi de 1990, les
missions de l'opérateur.
La deuxième garantie est celle de la propriété directe et majoritaire du
capital de France Télécom par l'Etat.
Si la loi prévoit que France Télécom sera, à compter du 31 décembre 1996,
transformée en une entreprise nationale qui aura la forme d'une société
anonyme, celle-ci restera une entreprise publique, dont l'Etat détiendra plus
de la moitié du capital social. L'Etat conservera également une entière liberté
de choix pour nommer le président de France Télécom. Il s'agit donc,
contrairement à ce qui a été dit ici ou là, non de privatiser notre opérateur
public, mais bien d'en faire une véritable entreprise nationale.
L'ensemble du personnel, y compris les fonctionnaires, pourra, comme le
prévoit explicitement le présent projet de loi, devenir actionnaire de France
Télécom et partager ainsi les fruits de l'expansion de l'entreprise.
La troisième garantie est celle du statut des fonctionnaires.
Les agents de France Télécom qui sont fonctionnaires conserveront leur statut
de fonctionnaire de l'Etat ainsi que le bénéfice de tous les droits et
garanties associés, en particulier la garantie de l'emploi et des droits aux
pensions de retraite acquis ou à acquérir.
Non seulement l'Etat garantira le paiement des retraites, mais il continuera à
verser directement celles-ci.
L'évolution du statut de l'opérateur national est, rappelons-le, tout entière
mise au service d'un objectif : permettre à France Télécom de participer à la
concurrence dans les mêmes conditions que les autres acteurs du marché des
télécommunications.
Dans cette optique, il est apparu nécessaire que l'évolution du statut
s'accompagne de deux réformes : celle des conditions de recrutement et celle
des conditions de financement des charges sociales obligatoires.
S'agissant des conditions de recrutement, il convient que la future société
anonyme France Télécom puisse, à l'issue d'une période de transition, disposer
de la même souplesse de gestion que ses concurrents.
C'est pourquoi le projet de loi prévoit que France Télécom pourra continuer de
recruter par voie externe des agents fonctionnaires jusqu'au 1er janvier 2002.
Au-delà de cette période de transition, France Télécom pourra faire appel à des
fonctionnaires en position de détachement ou de disponibilité, comme toute
entreprise publique.
Sur ce point, il nous a paru souhaitable d'organiser une transition ; une
période de cinq ans, correspondant à la durée d'un contrat de plan, nous a
semblé constituer une solution raisonnable. Les modalités de cette transition,
notamment le niveau des recrutements, seront débattues lors de la négociation
sur l'emploi qui devra avoir lieu d'ici à la fin de l'année. A l'occasion des
premières négociations, le chiffre de 4 500 recrutements a été évoqué.
Par ailleurs, France Télécom pourra recruter librement du personnel employé
sous le régime des conventions collectives, sans être tenue au caractère
exceptionnel de cette possibilité, qui lui a été reconnue en 1990.
S'agissant des conditions de financement des retraites, le projet de loi vise
à maintenir le système de retraite des agents fonctionnaires de France Télécom,
tout en prévoyant que les charges sociales obligatoires supportées par
l'opérateur seront, à terme, comparables à celles que connaissent les autres
entreprises du secteur.
A cet égard, le niveau des charges de retraite est le principal élément à
prendre en considération. Or, vous le savez, les hypothèses portant sur
l'évolution du niveau de l'emploi comme sur celle de la pyramide des âges de
France Télécom montrent que le niveau de ces charges de retraite va connaître
une forte progression, au point de devenir asphyxiant, dans les années à venir.
Le remboursement intégral des charges de retraite par l'entreprise, qui est le
régime actuel, aurait ainsi constitué un handicap insurmontable pour celle-ci ;
les charges de retraite doivent, en effet, doubler en francs constants d'ici à
2020 !
Afin de placer France Télécom dans une situation équitable, en la soumettant
au même niveau global de cotisations sociales que ses concurrents, le projet de
loi prévoit un transfert des charges de retraite des agents fonctionnaires de
France Télécom au budget général de l'Etat.
Il s'agit naturellement d'une charge nouvelle et lourde pour l'Etat. C'est
pour en diminuer l'importance - et non pour se livrer à un quelconque « tour de
passe-passe budgétaire » - qu'il est prévu que France Télécom versera une
contribution exceptionnelle à l'État. Cette contribution ne compensera que
partiellement la charge incombant désormais à l'État. Son montant sera fixé en
1996 en loi de finances ; son versement pourra être fractionné.
Le montant de cette contribution a fait l'objet d'une polémique, certains
pensant qu'il ne serait dicté que par des contraintes budgétaires. Tel ne sera
pas le cas, car le Gouvernement a à la fois le souci et la volonté de réussir
l'ouverture du capital de France Télécom.
Pour déterminer le montant de cette soulte, des travaux ont été engagés avec
l'entreprise et le conseil des banquiers, étant entendu qu'il doit être
compatible avec les standards internationaux en matière de bilan des
entreprises du même secteur. Ces travaux ne sont pas achevés, mais je peux vous
indiquer, notamment pour répondre aux questions posées par le rapporteur, que,
selon les premières conclusions, cette contribution exceptionnelle ne dépassera
pas 40 milliards de francs, ce qui correspond à l'estimation basse, parmi
celles qui ont circulé. Ce sont donc bien les intérêts de l'entreprise qui
seront d'abord pris en compte dans cette affaire.
Ce montant correspond aux provisions pour retraites constituées par
l'entreprise et au surcoût pour l'Etat, sur dix ans, de la différence entre les
pensions versées et la cotisation libératoire perçue dorénavant.
La réforme du statut s'accompagnera d'une politique d'incitation au départ
volontaire des personnels en fin de carrière et, en compensation, d'une
sensible augmentation du rythme de recrutement, en particulier au profit des
jeunes.
Au terme d'une négociation menée au cours du mois de mai, le président de
France Télécom a proposé au Gouvernement un mécanime de congés de fin de
carrière, qui sera pris en charge par l'entreprise. Applicable pour une période
de dix ans et concernant une population de quelque 25 000 agents, il
permettrait à ceux qui feraient ce choix de se retirer dès l'âge de
cinquante-cinq ans, en disposant d'un salaire s'élevant à 70 p. 100 de leur
rémunération globale.
Ce dispositif doit avant tout se traduire par une progression du rythme de
recrutement, dont les jeunes seront les premiers bénéficiaires. Ainsi, 3 000
embauches seront effectuées chaque année par France Télécom sur une période de
dix ans, contre 1 500 à 2 000 par an en moyenne actuellement. Ce rythme plus
soutenu permettra un rééquilibrage très sensible de la pyramide des âges.
Le Gouvernement a donné son accord à ce dispositif. C'est pourquoi j'ai déposé
un amendement afin de permettre à l'entreprise de le mettre en oeuvre sans
délai.
Le projet de loi contribue également à mettre en place d'autres garanties
essentielles pour le personnel. Elles concernent l'expression des intérêts
collectifs, la négociation et la participation des salariés aux fruits de
l'expansion mais aussi la gestion des activités sociales. Afin d'assurer
l'expression collective des intérêts du personnel et un pluralisme qui
constitue pour les fonctionnaires de France Télécom une garantie essentielle,
tout en tenant compte de la proportion croissante de personnel employé sous le
régime des conventions collectives, le projet de loi institue un comité
paritaire.
Ce comité exercera les attributions confiées aux organismes paritaires de la
fonction publique, notamment en matière de recrutement et de statuts
particuliers. Il aura également des attributions d'ordre économique concernant
l'organisation, la gestion et le fonctionnement général de l'entreprise.
Il permettra ainsi aux agents fonctionnaires et aux agents non titulaires de
droit public ou relevant de la convention collective d'être représentés au
prorata de leurs effectifs respectifs au sein de l'entreprise.
En matière sociale, nous souhaitons que la conclusion d'accords collectifs,
notamment dans les domaines de l'emploi, de la formation, de l'organisation et
des conditions de travail, soit privilégiée.
A cette fin, des structures de concertation et de négociation seront établies,
après avis des organisations syndicales, tant à l'échelon national qu'à
l'échelon local.
Les discussions menées avec les partenaires sociaux, dans le cadre de la
préparation de ce projet de loi, ont montré l'intérêt qu'il y à engager sans
délai des négociations au sein de France Télécom en vue d'un accord sur
l'emploi qui permette de tirer les conséquences de cette réforme. C'est
pourquoi le Gouvernement a souhaité inscrire dans la loi le principe de
négociation d'un tel accord avant la création de l'entreprise nationale au 31
décembre 1996.
Cet accord devra notamment porter sur les départs anticipés en fin de
carrière, les conditions de recrutement des fonctionnaires jusqu'au 1er janvier
2002, la gestion des carrières et l'emploi des jeunes.
Le projet de loi prévoit, enfin, que l'ensemble des personnels de France
Télécom, y compris les fonctionnaires, pourront bénéficier de la participation
aux résultats de l'entreprise et des plans d'épargne d'entreprise.
Enfin, je voudrais faire le point sur la gestion des activités sociales qui
est un sujet sensible.
Les discussions avec les partenaires sociaux, vous vous en doutez, se
poursuivent. Il a paru souhaitable de mieux associer les personnels à la
gestion des activités sociales, qu'il s'agisse des activités de loisir et de
sport, de restauration, de culture, de prévoyance ou de solidarité.
Le groupement d'intérêt public créé en 1990 entre La Poste et France Télécom
pour gérer ces activités sociales doit être adapté pour tenir compte de
l'évolution des opérateurs et tirer les leçons de plus de cinq ans de
fonctionnement.
La concertation engagée sur ce sujet tant avec les employeurs qu'avec les
salariés a permis d'élaborer un nouveau mécanisme fondé sur trois principes.
Le premier tend à assurer une représentation forte des personnels dans
l'orientation et la gestion des activités sociales.
Le deuxième vise à respecter l'unité du monde associatif des postes et des
télécommunications en maintenant le groupement d'intérêt public pour les
activités associatives.
Enfin, le troisième a pour objet de créer un cadre de gestion des activités
sociales plus économique, propre à chaque opérateur. Ce dispositif fait
également l'objet d'un amendement du Gouvernement.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les grandes lignes de ce
projet de loi. J'espère vous avoir convaincus qu'à travers cette réforme
essentielle, l'Etat est bien décidé à miser sur France Télécom, carte maîtresse
de notre pays dans le jeu futur de la concurrence, et non à remettre en cause
ses missions et sa place actuelles.
Nous nous efforçons de donner un nouveau souffle à France Télécom en dotant
cette entreprise d'un statut qui lui permettra d'aborder le xxie siècle avec la
même capacité à innover et à assurer le service public que par le passé. Le
Gouvernement veut démontrer - et je suis sûr que vous partagerez ce souhait -
qu'il est possible de faire rimer modernité, concurrence et service public dans
le respect de nos traditions républicaines.
Cette réforme est l'une des plus importantes que le Gouvernement ait eu à
mener, et la conduire à bon port sera un motif de fierté pour tous ses
artisans,...
Mme Hélène Luc.
Cela dépend du point de vue où l'on se place !
M. François Fillon,
ministre délégué.
... de cette fierté que donne le sentiment d'avoir fait
le bon choix pour notre pays.
Il vous appartient maintenant, mesdames, messieurs les sénateurs, de partager
avec moi ce sentiment en adoptant ce projet de loi.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Larcher,
rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons aujourd'hui
à examiner un texte dont le dépôt a été officiellement envisagé pour la
première fois, voilà près de trois ans, par le gouvernement issu des élections
législatives de 1993.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Il est bon de le rappeler !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Mais, dès 1990, à l'occasion de l'examen de la loi relative à
l'organisation du service public de La Poste et des télécommunications,
plusieurs voix, dont la mienne, se sont élevées à cette tribune pour soutenir
que la transformation de France Télécom en établissement public constituait une
action législative inachevée et ne pouvait être qu'une forme temporaire
d'adaptation aux mutations extraordinairement rapides du monde des
télécommunications.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Pas du tout !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Peut-être les responsables de l'époque n'avaient-ils pas dit
toute la vérité !
D'ailleurs, s'agissant de la concurrence, la directive n° 90/387 du 28 juin
1990 prévoyait déjà la mise à l'étude d'une directive spécifique fixant les
conditions de fourniture d'un service ouvert pour le service de la téléphonie
vocale.
M. Jean-Luc Mélenchon.
La « mise à l'étude », mon cher collègue !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Le temps a donné raison au Sénat. De fait, le projet de loi
dont nous allons débattre a été longuement mûri et a fait l'objet, au sein de
la commission des affaires économiques et du Plan, de deux rapports
d'information. Le second en date,
L'Avenir de France Télécom : un défi
national,
édité au début du mois de mars dernier, ne doit pas faire oublier
celui qui est intitulé :
L'Avenir du secteur des télécommunications en
Europe,
publié le 30 novembre 1993.
Voilà deux ans et demi, ce rapport proclamait déjà que le changement de statut
de notre opérateur téléphonique présentait le caractère d'une urgence
stratégique. Il soulignait que l'actuelle structure juridique de France Télécom
présente trois inconvénients majeurs : premièrement, elle entrave
considérablement sa capacité à nouer des alliances internationales.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Ce n'est pas démontré !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Deuxièmement, elle s'isole dans un dialogue singulier avec
son autorité de tutelle.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Et alors ?
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Troisièmement, elle gêne sa pénétration sur certains marchés
étrangers.
MM. Jean-Luc Mélenchon et Michel Charzat.
Lesquels ?
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Ce même rapport concluait que cette réforme ne pouvait se
faire qu'à deux conditions : « Le capital de la société anonyme à créer devra
rester dans le secteur public et le maintien du statut de fonctionnaire des
actuels personnels devra être organisé par la loi. »
C'est vous dire aussi à quel point le présent projet de loi est devenu
aujourd'hui indispensable au succès de notre opérateur téléphonique et, par là
même, de l'ensemble de nos entreprises du secteur des télécommunications dans
le monde multimédia de demain.
La commission des affaires économiques l'affirmait voilà encore à peine trois
mois dans son rapport d'information. Elle ne peut donc que se réjouir que le
Gouvernement ait partagé sa préoccupation.
Le projet de loi constitue en effet à la fois le corollaire du mouvement
mondial d'ouverture à la concurrence des activités de télécommunications et,
quoi que puissent en penser certains, la garantie du maintien d'un service
public des télécommunications fort et consolidé.
Nous avons d'ores et déjà assuré les assises et la pérennité de ce service
public avec le projet de loi de réglementation des télécommunications, dont
nous avons achevé l'examen voilà quelques jours après y avoir apporté plus de
soixante amendements. Il nous reste à en conforter la viabilité économique, et
c'est l'objet du projet de loi dont nous abordons la discussion.
Le rapport d'information mettait d'ailleurs très nettement en évidence le lien
étroit existant entre la fin des monopoles publics partout en Europe et dans le
monde, la consolidation du service public des télécommunications dans notre
pays et la nécessaire évolution statutaire de France Télécom.
Je le répète dans cette enceinte de la façon la plus claire, si la France se
doit d'adapter le statut de l'entreprise publique de télécommunications, si le
Gouvernement le propose, si la majorité de la Haute Assemblée en affirme, je
n'en doute pas, la nécessité avec autant de force, ce n'est pas pour nuire à
France Télécom.
M. Jean-Luc Mélenchon.
On ne peut croire une chose pareille !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Bien au contraire ! C'est pour lui donner les moyens d'une
plus grande réactivité dans un monde en perpétuel changement.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Mais prouvez-le une bonne fois !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
En effet, le secteur des télécommunications est probablement
le champ de l'activité humaine qui aura connu les plus profonds bouleversements
au cours des dix dernières années.
Jusqu'en 1984, les télécommunications étaient partout cloisonnées en monopoles
ou en quasi-monopoles nationaux détenus soit par l'Etat, soit par un opérateur
privé assujetti à des obligations particulières, comme AT&T aux Etats-Unis.
Depuis, nombre de pays ont entamé une vaste évolution, sur tous les continent,
que ce soit en Amérique, en Asie ou en Europe.
Aux Etats-Unis, par exemple, ces changements ont été engagés dès 1984. Voilà
douze ans, le monopole du
Bell system
a été démantelé en huit entités et
la concurrence introduire à l'échelon international.
En Grande-Bretagne, c'est aussi en 1984 que le monopole de British Telecom,
devenu aujourd'hui BT, a commencé à être battu en brèche.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Par qui ?
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
L'an dernier, le statut de Deutsche Telekom a, lui aussi, été
modifié.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Par les libéraux, vos amis !
Mme Hélène Luc.
C'est votre logique, monsieur Larcher, mais ne dites pas que c'est bien pour
la France !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Je ne rappellerai pas le chemin parcouru au sein de la
Communauté européenne depuis qu'en 1984 la Commission de Bruxelles a décidé de
rédiger un Livre vert sur les télécommunications.
Comme nous l'avons souligné la semaine dernière, l'ensemble des gouvernements
français, quelle que soit leur sensibilité politique...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Non !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
... ont donc accompagné ce mouvement, initié dans le cadre de
l'Acte unique.
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Non, ce n'est pas acceptable ! C'est une mystification !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
L'environnement international des télécommunications est
désormais entré dans une phase de mutation accélérée, que cela plaise ou non à
M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Non, cela ne me plaît pas !
M. Jean Chérioux.
M. Mélenchon a la mémoire courte !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Au contraire !
M. le président.
Messieurs, je vous en prie !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Alors que les négociations sur la libéralisation du secteur
sont en cours au sein de l'Organisation mondiale du commerce, les alliances et
les partenariats internationaux se multiplient.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Vous capitulez par à-coups !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Parmi eux, on peut citer Concert, qui regroupe BT et
l'américain MCI, mais aussi Uniworld, associant AT&T et ses partenaires de
World Partners, le japonais KDD et Singapore Telecom, et les Européens
regroupés au sein d'Unisource, à savoir le suédois Télia, les opérateurs
historiques néerlandais, suisse et espagnol,...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Et alors ?
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
... sans parler des fusions et échanges de capitaux. Citons,
tout dernièrement encore, l'annonce d'un projet de regroupement entre Nynex et
Bell Atlantic, deux compagnies régionales américaines issues du démantèlement
d'AT&T...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Un monopole !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
... et qui, à elles deux, pèsent autant que France Télécom.
Voilà les réalités auxquelles nous devons nous frotter.
Rappelons aussi le rapprochement entamé entre France Télécom et Deutsche
Telekom au sein d'Atlas,...
M. Michel Charzat.
Et alors, ça marche ! Ce n'est pas mal !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
... leur association avec Sprint dans une filiale présente
sur tous les continents, ainsi que l'évolution statutaire décidée l'an dernier
par Deutsche Telekom.
MM. Michel Charzat et Jean-Luc Mélenchon.
Cela n'a rien à voir avec le statut !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Pour mieux s'insérer dans ce jeu désormais mondial, France
Télécom doit disposer d'un statut adapté qui lui permette de disposer d'un
capital propre et de nature à consolider, par des échanges et des prises de
participation, les accords déjà noués.
France Télécom a tous les atouts pour être un très grand opérateur mondial,
mais, pour réussir, l'entreprise a besoin que nous la dotions des armes
juridiques et du capital à même d'assurer sa réussite.
Figurant au quatrième rang des vingt premiers opérateurs mondiaux,...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Ce n'est pas parce que vous criez que cela démontre quoi que ce soit !
M. Michel Charzat.
C'est la même chose à EDF !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
... notre opérateur serait-il le seul à ne pas avoir la forme
d'une société commerciale ?
MM. Michel Charzat et Jean-Luc Mélenchon.
Et alors ? Pourquoi pas ?
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Des plus grands, comme NTT au Japon, AT&T aux Etats-Unis,
aux plus modestes, comme Télmex au Mexique, tous les opérateurs qui comptent
disposent, ou vont disposer de facultés dont est privée France Télécom, la
faculté de regrouper ses forces avec celles d'autres partenaires stratégiques
par des échanges de capitaux, d'abord, la faculté de faire appel aux marchés
financiers sans avoir recours à l'endettement, ensuite,...
M. Jean Chérioux.
Eh oui !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
... la faculté, enfin, de disposer, au sein de son conseil
d'administration, de voix capables de s'élever contre les comportements
hégémoniques, et parfois erratiques, de l'unique propriétaire, y compris pour
les investissements dans le domaine de l'assurance.
M. Jean-Luc Mélenchon.
On fera le bilan !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
De toutes ces nouvelles libertés, à même de favoriser son
développement et son autonomie, l'entreprise pourra bénéficier avec le statut
de société anonyme.
Pourtant, doter l'entreprise France Télécom d'un statut de droit privé ne
signifie nullement la privatiser !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Oh ! Enfin !
Mme Hélène Luc.
Appelez les choses par leur nom, monsieur le rapporteur !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Ce n'est pas que de la sémantique ! D'ores et déjà, la Haute
Assemblée vient d'adopter un texte de consolidation du service public qui
confie à France Télécom la fourniture du service universel sur tout le
territoire.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Vous savez bien que c'est tout le contraire !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Nous souhaitons que l'Etat reste le garant du devenir de
notre opérateur public. Le projet de loi le précise explicitement dans son
article 1er, qui dispose que l'Etat doit détenir directement plus de la moitié
du capital social.
La loi n'est d'ailleurs pas la seule à offrir une telle garantie, puisque le
neuvième alinéa du préambule de la constitution du 27 octobre 1946, cité par le
préambule de la constitution du 4 octobre 1958 et considéré par le Conseil
constitutionnel comme faisant partie intégrante du corps de règles que le
législateur se doit de respecter, dispose que « tout bien, toute entreprise,
dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national
ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ».
Venant de réaffirmer le rôle de France Télécom au sein du service public, il
est donc logique que nous posions aujourd'hui l'exigence du maintien de la
détention majoritaire de France Télécom par l'Etat.
Autre garantie de la pérennité de l'engagement de l'Etat : le maintien de
fonctionnaires au sein de l'opérateur public. Le Conseil d'Etat, dans son avis
du 18 novembre 1993, a posé comme condition que le capital de France Télécom
reste majoritairement détenu par l'Etat.
Que l'on n'aille donc pas affirmer qu'il s'agit aujourd'hui d'une loi de
privatisation ! Il ne s'agit ni plus ni moins que d'une loi de « sociétisation
», qui procède par modification de la loi du 2 juillet 1990 relative à
l'organisation du service public de La Poste et des télécommunications. En
définitive, nous donnons aujourd'hui à notre opérateur de télécommunications un
statut juridique similaire à celui dont, en 1937, le gouvernement d'alors avait
doté la SNCF.
Alors, de grâce, que l'on utilise les vrais mots et que l'on cesse d'affirmer
ce qui n'est pas !
Après de très nombreuses auditions et des discussions approfondies qui ont été
fondées sur un travail de longue haleine commencé au début du mois de novembre
1995, la commission des affaires économiques a, vous le savez, défendu depuis
le mois de mars dernier, à propos de l'évolution de France Télécom, des thèses
que consacre le présent projet de loi.
Le texte prévoit la création d'une entreprise nationale France Télécom,
majoritairement détenue par l'Etat, et le transfert de l'ensemble des biens,
droits et obligations de France Télécom, à l'exception de ceux qui sont liés à
l'enseignement supérieur des télécommunications, à cette entreprise avant le 31
décembre 1996.
Ce texte maintient - c'est important - la possibilité de conclusion d'un
contrat de plan entre France Télécom et l'Etat.
Il met en place un conseil d'administration de vingt et un membres répartis en
trois collèges de sept membres ; la composition actuelle du conseil sera
maintenue jusqu'au 1er janvier 2001.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Des figurants !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
La loi instaure au profit de l'Etat un droit d'opposition à
la cession ou à l'apport d'actifs pouvant faire obstacle à la bonne exécution
des missions de service public confiées à l'entreprise, afin de garantir la
bonne exécution et la continuité de ces missions.
En outre - c'est une disposition essentielle pour le personnel - le projet de
loi prévoit la garantie du maintien du statut de fonctionnaire ainsi que les
droits des contractuels et la possibilité de procéder à des recrutements
externes de fonctionnaires en position d'activité jusqu'au 1er janvier 2002.
L'Etat, tout comme la commission l'avait préconisé, prendra en charge les
pensions de retraite des agents fonctionnaires de France Télécom, en
contrepartie de quoi l'entreprise versera une contribution « employeur » à
caractère libératoire et une contribution exceptionnelle, sur laquelle je
reviendrai dans quelques instants.
S'agissant du dialogue social et de la participation, thèmes figurant au coeur
des travaux préalables de la commission, la loi institue une commission
paritaire de conciliation et définit six grands thèmes de négociation sociale :
le temps de travail, les conditions de recrutement des fonctionnaires, la
gestion des carrières des fonctionnaires et contractuels, les départs anticipés
du personnel, l'emploi des jeunes et l'évolution des métiers.
Enfin, l'article 8 du texte étend aux salariés de France Télécom le bénéfice
de la législation sur la participation et de l'actionnariat du personnel,
tandis que son article 9 ouvre 10 p. 100 du capital de France Télécom aux
salariés de l'entreprise.
Vous le voyez, mes chers collègues, le projet répond aux préoccupations
exprimées, en mars dernier, par la commission des affaires économiques, qu'il
s'agisse du dialogue social, du traitement équitable des charges de retraite,
du maintien du statut de fonctionnaire et de la détention majoritaire par
l'Etat.
Aussi la commission, fidèle à elle-même et à ses conclusions, ne vous
proposera-t-elle, mes chers collègues, que peu d'amendements.
Lors de l'examen du texte, elle a particulièrement concentré son attention sur
trois points.
Sa réflexion a porté, tout d'abord, sur la nécessité de doter France Télécom
d'un statut qui lui permette de gagner, sur le marché tant intérieur
qu'extérieur.
Le projet de loi prévoit que l'entreprise aura un capital détenu dans un
premier temps à 100 p. 100 par l'Etat. Dans le même sens, la loi prévoit le
rapprochement du niveau des charges sociales pesant sur France Télécom et sur
les autres entreprises du secteur. Ne faudra-t-il pas, d'ailleurs, que France
Télécom paie, à terme, sa taxe professionnelle non pas à l'Etat mais aux
collectivités locales, comme le rappelait jeudi dernier notre collègue M.
Pierre Hérisson ?
M. Josselin de Rohan.
Très bien !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Nous avons, sur ce sujet, entendu la réponse du Gouvernement.
Nous attendons le débat sur la fiscalité, notamment sur la taxe
professionnelle.
De même, la commission a souhaité la pérennité des futures alliances
capitalistiques et afficher une volonté de transparence à même de dissiper
toute rumeur néfaste sur les marchés. Elle vous proposera un amendement
garantissant les droits des actionnaires minoritaires et leur permettant de
siéger au conseil d'administration. Je l'ai déjà dit en commission, y aurait-il
meilleure garantie de la solidité de l'alliance entre France Télécom et
Deutsche Telekom, alliance qui peut être la colonne vertébrale de demain, que
de voir le président de Deutsche Telekom siéger au conseil d'administration de
France Télécom et le président de France Télécom siéger au conseil
d'administration de Deutsche Telekom,...
Mme Hélène Luc.
Ben voyons !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
... une fois que ces deux entreprises auront échangé une
portion de capital, voire avant ?
Mme Hélène Luc.
C'est cela, le respect de la souveraineté nationale ?
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Pour ma part, je le souhaite fortement et l'appelle de tous
mes voeux.
Le deuxième axe de réflexion de la commission a concerné le statut du
personnel et la nécessité d'un dialogue social renouvelé dans l'entreprise. La
commission se satisfait de voir figurer la mention des départs volontaires
anticipés et de l'emploi des jeunes au menu de cette négociation sociale. Elle
l'avait elle-même proposé,...
Mme Hélène Luc.
Ça oui ! Vous pouvez en parler de l'emploi des jeunes !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
... tant il lui était apparu que la pyramide des âges de
France Télécom était préoccupante. L'âge moyen y est, en effet, proche de 43
ans. Ainsi, 25 000 à 30 000 départs volontaires en préretraite à 55 ans et plus
sont possibles, compensés par autant d'embauches de jeunes. Ils marqueront le
retour à une pyramide des âges plus favorable et constitueront une forte action
pour l'emploi des jeunes.
Mme Hélène Luc.
Et, au départ, des suppressions d'emplois !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
En ce qui concerne les droits du personnel, la commission a
également souhaité que soient précisées, au cours de nos débats, les modalités
de gestion des oeuvres sociales communes à La Poste et à France Télécom, qui
sont actuellement regroupées au sein d'un groupement d'intérêt public.
Vous nous avez déjà un peu éclairés sur ce point, monsieur le ministre. Je
souhaite que l'unité du monde associatif puisse être respectée, en même temps
que seront mises en oeuvre les nécessaires adaptations des oeuvres sociales aux
réalités de gestion des deux entités.
S'agissant de l'actionnariat du personnel, la commission a tenu à vous
proposer, mes chers collègues, d'ajouter à la liste des points faisant l'objet
des négociations sociales les conditions d'attribution favorisées de la part de
capital proposée aux salariés. L'exemple allemand pourrait être médité. En
effet, chez notre voisin, les mises de fonds des salariés pour l'achat
d'actions de leur entreprise ont été abondées par l'entreprise elle-même et des
mécanismes de prêt ont été mis en place ainsi qu'une garantie sur la valeur du
titre.
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'est acheter les gens !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Enfin, la dernière préoccupation de la commission a trait à
l'importante question des retraites des agents fonctionnaires de France
Télécom.
Le système retenu par le Gouvernement correspond aux propositions que la
commission des affaires économiques avait formulées. C'est l'Etat qui financera
les retraites, ce qui correspond, sur toute la durée de son engagement, à une
charge de plus de 200 milliards de francs. En compensation, l'entreprise
versera une cotisation libératoire couvrant une part importante de cette
charge.
Les substantielles recettes que permettra la « sociétisation » compenseront,
dans les prochaines années, une forte partie du solde de cette dette à long
terme. L'engagement financier de l'Etat n'en demeure cependant pas moins très
significatif.
C'est pourquoi le versement d'une contribution exceptionnelle àla charge de
l'entreprise est envisagé dans le texte. Son montant sera fixé dans le projet
de loi de finances pour 1997. Selon moi, son paiement devrait être étalé sur
trois ans au minimum.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de me faire l'écho de l'inquiétude d'un
grand nombre de mes collègues et du personnel de l'entreprise à l'annonce par
la presse, voilà quelques semaines, de chiffres exorbitants. Laissez-moi
rappeler la nécessité de la poursuite du désendettement de l'entreprise, 120
milliards de francs de dettes ayant été laissés à sa charge en 1990, et du
respect de l'objectif fixé à cet égard par le contrat de plan en cours. A
l'issue de ce dernier, il était prévu une dette de 48,2 milliards de francs.
N'oublions pas non plus le montant considérable que représentent les anciennes
factures téléphoniques des ministères, qui n'ont pas été payées, la plupart
depuis trois ans.
N'allons pas ternir le bilan de notre entreprise nationale France Télécom et
diminuer sa valorisation boursière par l'exigence d'une contribution par trop
élevée !
Surtout, sachons éviter que des appétits budgétaires à court terme n'occultent
tout ce que France Télécom, entreprise nationale, pourra apporter aux finances
publiques dans l'avenir. Ces dernières années, n'oublions pas que, à chaque
exercice, ce sont environ 16 milliards de francs que France Télécom a apportés
à l'Etat sous forme d'impôts et de bénéfices.
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'est bien, non ?
Mme Hélène Luc.
Dès lors, pourquoi changer ?
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Prenons donc garde à ne pas tarir cette source de richesse au
nom d'une conception très restrictive de l'intérêt bien compris de l'Etat et de
la nation.
Ces priorités étant exprimées, la commission approuve pleinement les
orientations du texte, qu'elle avait, comme je l'ai déjà dit, appelées de ses
voeux, et tracées largement en mars dernier.
Le choix du texte est, en effet, un parti courageux : celui d'affronter
l'avenir et de s'y préparer. La commission ne peut que l'approuver, d'autant
que la France a la chance de disposer d'un atout essentiel, qui doit sortir
renforcé du vote du projet de loi qui nous est soumis.
Cet atout, c'est France Télécom et son personnel qui a forgé, tout au long de
trois décennies, une entreprise performante. C'est à lui que je m'adresserai en
lui disant qu'il ne doit pas avoir peur.
Mme Hélène Luc.
Vous ne l'avez pas rassuré !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Il se mobilise !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Il faut aujourd'hui, parce que la situation internationale a
changé, parce que la fin des monopoles est venue, qu'il ait confiance pour
franchir, comme au pont d'Arcole...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Quel passéiste ! Qu'est-ce que le pont d'Arcole vient faire là-dedans ?
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
... la rivière, ce qui nous permettra d'être parmi les
meilleurs mondiaux des télécommunications.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste
et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 57 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 42 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 35 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 22 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Billard.
M. Claude Billard.
Mes chers collègues, après avoir, la semaine dernière, fait adopter par la
majorité sénatoriale le projet de loi de réglementation des télécommunications,
qui met fin au monopole de France Télécom à partir du 1er janvier 1998, le
Gouvernement nous demande aujourd'hui, dans la foulée et dans l'urgence, de lui
donner les moyens juridiques de démanteler l'entreprise nationale France
Télécom.
Au motif que le statut actuel de France Télécom, qui est assimilable à celui
des établissements publics industriels et commerciaux, serait dépassé, l'exposé
des motifs de votre projet de loi, monsieur le ministre, laisse clairement
apparaître vos motivations. En effet, pour que France Télécom puisse « jouer un
rôle mondial », pour qu'elle puisse « affronter la compétition avec les mêmes
atouts que ses concurrents », vous prétendez qu'il faut permettre « la
conclusion d'alliances stratégiques durables » et ne pas priver France Télécom
de « la mobilité stratégique et financière dont disposent ses compétiteurs
».
On ne saurait mieux dire quelle est votre volonté : en choisissant le statut
de société anonyme, donc le statut de droit commun, il s'agit de transformer le
service public en une multinationale ordinaire, insérée dans la guerre
économique dévastatrice qui est menée à l'échelle planétaire et ouverte à la
pénétration des capitaux privés.
Vous justifiez donc, pour une large part, la nécessité de changer de statut
par la volonté de s'adapter à la concurrence.
La concurrence, avec ses vertus supposées, est un lieu commun de la pensée
unique. Elle vient récemment encore d'être magnifiée par le Président de la
République et par M. Kohl dans le communiqué final du sommet franco-allemand de
Dijon, où il est souligné que la concurrence « fait partie des intérêts de la
Communauté ».
Le développement de la concurrence ne serait pas en soi une mauvaise chose si
celle-ci avait pour objet d'améliorer un service rendu à l'usager et si la
collectivité nationale y trouvait son compte. Mais ce n'est pas le problème qui
se pose à France Télécom aujourd'hui : le téléphone fonctionne très bien en
France et l'opérateur public, quatrième opérateur mondial, est tout à fait
compétitif et efficace.
Encore une fois, cette argumentation sur les bienfaits de la concurrence est
une idée reçue, un dogme devant lequel il faudrait s'agenouiller.
L'un des lieux communs du discours ambiant sur la concurrence internationale
dans les télécommunications est que celle-ci serait la conséquence inéluctable
de la mondialisation de l'économie et des évolutions technologiques. Les grands
bénéficiaires en seraient les consommateurs, du fait des baisses de prix, les
salariés, par suite du développement de l'activité, et les entreprises, du fait
de l'accélération des innovations.
Mais la vérité est tout autre. Il n'y a aucun lien autre que théorique entre
accentuation de la concurrence et baisse des prix. Compte tenu des progrès
réalisés en informatique, de l'électronisation des centraux, de la
généralisation de la filière optique et des effets de « réseau », les coûts
techniques des opérateurs de télécommunications baissent de manière continue et
spectaculaire depuis une vingtaine d'années. La traduction en termes de tarifs
n'est, ensuite, pour l'essentiel, qu'une question d'arbitrage entre l'avidité
des actionnaires et la volonté d'investissement à long terme.
Concurrence ou non, les prix des services des télécommunications ont
globalement tendance à baisser. Enfin, la déréglementation à laquelle vous
tenez tant, monsieur le ministre, a pour effet de répartir différemment les
bénéfices des baisses tarifaires à l'avantage des gros utilisateurs au
détriment des usagers domestiques.
L'internationalisation de la concurrence ne peut donc modifier en profondeur
ce phénomène. Il y aura formation de quatre ou cinq gros conglomérats à
l'échelon international, qui, après quelques années, se partageront les marchés
et trouveront un accord pour éviter une guerre tarifaire. C'est ainsi que les
opérateurs longues distances aux Etats-Unis pratiquent depuis deux ans et en
choeur des augmentations de leurs tarifs interurbains.
Les salariés, pour leur part, n'ont pour l'instant constaté aucune
augmentation de leur revenu, ni une amélioration du marché de l'emploi. D'après
l'OCDE, le secteur des télécommunications perd environ 1 p. 100 de ses emplois
par an depuis dix ans.
En ce qui concerne l'innovation, France Télécom, jusqu'à présent exploitant
public chargé d'un service public, a su rester dans le peloton de tête des
opérateurs sur le plan technologique grâce, notamment, aux équipes du CNET, le
Centre national d'études des télécommunications. A tel point que M. Leon
Brittan, lorsqu'il était commissaire européen à la concurrence, ne cachait pas
que la bonne tenue de l'opérateur français était l'obstacle principal au
développement des idées libérales dans le secteur des services de
télécommunications.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Quel aveu !
M. Claude Billard.
Non, cet argument de la concurrence ne tient pas. Pas plus, d'ailleurs, que ne
tient celui de la nécessité de changer de statut pour pouvoir passer des
alliances. En quoi le statut actuel de France Télécom serait-il un handicap
pour une stratégie de partenariat international ?
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. Claude Billard.
Ce statut ne l'a pas empêché de devenir, par exemple, opérateur des
télécommunications mexicaines et argentines, et de réaliser une alliance en
bonne et due forme avec Deutsche Telekom et l'américain Sprint...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Exactement !
M. Claude Billard.
... dans le cadre de l'accord
Global One,
avec une prise de
participation de 10 p. 100 dans le capital de l'américain.
Non, ce n'est pas non plus le statut qui empêcherait la conclusion d'alliances
stratégiques.
La vérité, c'est que vous voulez tout simplement permettre à des capitaux
privés de pénétrer dans un secteur où il y a de l'argent, beaucoup d'argent, à
faire.
Les 39 p. 100 qui seraient mis sur le marché ou cédés de gré à gré le seraient
assurément aux partenaires de l'alliance Atlas regroupant France Télécom,
Deutsche Telekom et Sprint. Et l'on sait bien que Deutsche Telekom, en voie de
privatisation, souhaite depuis belle lurette le changement de statut de
l'opérateur français.
C'est à eux que vous voulez faire place au détriment de l'intérêt national. De
même pour Sprint qui, usant de l'alliance Atlas comme cheval de Troie, voit
d'un bon oeil la pénétration de capitaux américains dans le capital de
l'opérateur chargé des missions publiques et du service universel. Même s'ils
étaient pour quelques années minoritaires, il reste difficile de contester que
ces capitaux privés, étrangers, pèseront lourd dans les décisions de politique
nationale en matière de télécommunications.
Alors, quel bénéfice y aurait-il à un changement de statut et pour qui ?
S'agit-il de procéder comme de nombreux autres opérateurs de pays étrangers,
qui, hier encore, étaient dotés d'un statut d'organisme public ? Les résultats
en matière de tarifs, de qualité du service rendu et d'emploi devraient plutôt
vous inciter à la prudence !
S'agit-il de rendre la gestion de France Télécom plus autonome par rapport à
sa tutelle et plus efficace ? Cela reste à prouver.
S'agit-il d'attirer les investisseurs et de les associer au financement des
nouveaux réseaux ? Mais sur ce point, les experts en investissements privés
demeurent réservés tant que la question des dettes de France Télécom et celle
des pensions de retraite de ses agents ne sont pas tranchées.
A ce propos, le transfert de ces dettes à la charge du budget de l'Etat irait
à l'encontre de la réduction des déficits publics, qui est justement l'une des
obsessions du Gouvernement. Avancer dans la voie de la privatisation de l'un
des fleurons du patrimoine national se traduirait par un faible rapport pour
les finances publiques, ne serait-ce que parce que France Télécom sera tenu de
verser plusieurs milliards de francs à l'Etat pour le paiement des retraites
des fonctionnaires, ce qui va considérablement dégrader son bilan et, par
conséquent, son image auprès des acheteurs potentiels.
Nous pouvons nous interroger sur l'affirmation, à l'article 10 du projet de
loi, selon laquelle « le bilan de l'exploitant public au 1er janvier 1996
pourra prévoir l'imputation sur la situation nette des charges exceptionnelles
prévues par la présente loi ». Cette formulation quelque peu hermétique
n'indique-t-elle pas simplement que les dizaines de milliards de francs
remboursés par France Télécom à l'Etat pour le paiement des retraites serviront
de prétexte à l'abaissement du niveau de la future action, et donc au bradage
de l'entreprise publique ?
S'agit-il encore de permettre de se lancer dans la compétition internationale
? Cela se ferait au prix d'un recul sur le plan national, au détriment de
l'intérêt de la majorité des usagers, et ce n'est donc pas la mission d'un
service public.
Enfin, faut-il rappeler que l'argument de la possibilité de nouer des
participations croisées avec d'autres opérateurs est tout à fait contestable en
raison même des risques de tels accords, comme le prouvent d'innombrables
exemples, et encore tout récemment le comportement du partenaire actuellement
privilégié qu'est Deutsche Telekom, lequel est désormais très peu pressé.
En réalité, la transformation de France Télécom en société anonyme ne
servirait que des intérêts privés. Ce changement générerait immanquablement
pour l'exploitant un comportement et des contraintes en contradiction avec les
missions de service public.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Evidemment !
M. Claude Billard.
Vous voulez rassurer en prétendant que, avec 51 p. 100 du capital, l'Etat
restera maître du destin de l'entreprise. Vous savez pertinemment que, dès
l'instant où des capitaux privés entrent dans une entreprise de service public,
c'est la contrainte de la rentabilité financière qui s'impose sur tout,...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Evidemment !
M. Claude Billard.
... sur les choix d'investissements, sur les choix commerciaux et financiers,
sur les choix de gestion, sur les salaires, sur les conditions de travail, sur
l'emploi, sur les programmes de formation, sur la recherche.
Par ailleurs, la démonstration a été faite que la propriété de l'Etat ne
suffit pas à garantir la transformation du contenu de la gestion d'une
entreprise : il y faut le développement de la démocratie, des droits nouveaux
et accrus d'intervention des salariés, de nouveaux rapports des établissements
avec les organisations syndicales et les élus, notamment locaux et régionaux.
Le régime de droit commun des sociétés anonymes dans lequel vous voulez faire
entrer France Télécom est incompatible avec les besoins majeurs du service
public.
Cette maîtrise de l'Etat ne sera d'ailleurs que provisoire. En effet, dans
quelques années, comme nous l'avons vu tout récemment avec Renault, un artifice
juridique permettra la privatisation totale.
A la fin de 1990, le gouvernement de M. Rocard transformait Renault en société
anonyme ; en 1994, sous M. Balladur, c'était l'ouverture au privé du capital,
dont l'Etat détenait 52 p. 100 ; dix-huit mois plus tard, le gouvernement
actuel décidait de céder 6 p. 100 de ses parts. Le tour était joué !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Bien sûr !
M. Claude Billard.
Gageons que l'on utilisera alors les mêmes arguments pour indiquer que le
marché nécessite la privatisation de France Télécom et qu'il n'est plus
possible de conserver une société dans laquelle l'Etat est majoritaire.
Mme Hélène Luc.
Bien sûr !
M. Claude Billard.
Face à l'hostilité massive du personnel et des organisations syndicales au
changement de statut, corollaire de la déréglementation, vous tentez de
rassurer.
En soulignant, à l'article 5, que France Télécom pourra continuer à recruter
des fonctionnaires jusqu'au 1er janvier 2002, vous donnez la désagréable
impression d'essayer d'acheter la paix sociale.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Exactement !
M. Claude Billard.
Visiblement, cet article et ceux qui sont relatifs au maintien d'un contrôle
direct et majoritaire de l'Etat et du statut de fonctionnaire pour les agents
en poste sont autant d'éléments visant à désamorcer les craintes et l'hostilité
des personnels de l'opérateur vis-à-vis du changement de statut et de la
privatisation partielle.
Mais qui peut sérieusement penser que les actionnaires d'une société cotée en
Bourse accepteraient durablement que la majorité du personnel continue, par
exemple, à bénéficier de la garantie de l'emploi et d'un régime de retraite
plus favorable que celui qui est prévu par le code du travail ? Ils ne
manqueraient assurément pas d'expliquer qu'il s'agit là d'une insupportable
contrainte faussant les conditions de la concurrence.
Le fait que le projet de loi évoque la possibilité et non l'obligation de
poursuivre ces recrutements suscite légitimement l'inquiétude parmi les
agents.
On leur annonce des créations d'emplois, mais tout le monde sait que les
départs en préretraite seront loin d'être réellement compensés et que, par
ailleurs, ceux qui le seront ne le seront pas totalement par des postes de
fonctionnaires.
Les jeunes arrivants seraient ainsi moins bien rémunérés, ils bénéficieraient
de moins de droits et d'une protection sociale moins efficace que les
fonctionnaires effectuant des tâches similaires ou identiques. Vous espérez
ainsi, manifestement, diviser les salariés de France Télécom entre eux en
organisant l'injustice sociale au sein de l'entreprise.
Ce n'est certainement pas un bon calcul. La réaction des traminots de
Marseille à l'existence, au sein d'une même entreprise, d'un double statut en
est l'illustration.
Mme Hélène Luc.
Absolument !
M. Claude Billard.
Le changement de statut de France Télécom, l'ouverture de son capital au
secteur privé auront également des conséquences néfastes pour l'entreprise et
pour ses personnels du fait du mode de financement des retraites envisagé.
Il est en effet prévu que l'Etat reprenne à son compte le paiement des
pensions des agents. En contrepartie, l'entreprise devrait lui verser une somme
considérable sur plusieurs années. Force est de constater que, tel qu'il est
exposé, ce système flou et incertain ne comporte aucune garantie sur la durée
puisqu'il est lié à la santé financière de France Télécom et risque d'être très
vite déconnecté de la fonction publique pour se rapprocher du régime
général.
En outre, avec la déréglementation, la dette de France Télécom s'aggravant, on
peut avoir quelque inquiétude sur le plan social. En effet, la seule certitude
immédiate, c'est l'augmentation de la dette et des prélèvements : aux 90
milliards de francs de dette financière actuelle va maintenant s'ajouter une
soulte dont on vient de nous dire qu'elle pourrait s'élever à 40 milliards de
francs.
Voilà une situation que ne manqueraient pas d'exploiter les actionnaires
privés en exerçant de nouvelles pressions sur les emplois et les salaires !
Il est d'ores et déjà acquis que l'entreprise devra emprunter pour payer la
soulte correspondant au transfert à l'Etat d'une partie des charges de
retraite.
L'entreprise va donc s'endetter pour financer les retraites de ses agents ! On
est bien loin des objectifs ambitieux de désendettement fixé par l'Etat dans le
cadre du contrat de plan.
Ce système comporte de véritables effets pervers. Les versements de France
Télécom au budget risquent d'être utilisés non pas pour payer au fur et à
mesure les retraites des agents, mais pour régler les dépenses courantes de
l'Etat. Une contribution pouvant atteindre 40 milliards de francs pourrait
ainsi être détournée et on obligerait l'entreprise à s'endetter à hauteur de 30
milliards de francs, ce qui ne peut manquer de pénaliser lourdement son
fonctionnement.
Monsieur le ministre, vous vous apprêtez donc à démanteler le service public,
dont le seul tort est probablement d'avoir trop bien réussi, au point d'exciter
la convoitise des groupes privés et des marchés financiers internationaux. En
quarante ans, les PTT, puis France Télécom n'ont-ils pas assuré l'équipement
téléphonique du pays, développé de nouveaux services aux entreprises et aux
particuliers, permis de nombreuses réussites technologiques et industrielles
qui placent la France au premier rang des nations pour la téléphonie, garanti
la qualité des liens établis entre le service public, la recherche du CNET, le
Centre national d'études des télécommunications, et l'industrie ?
Enfin, France Télécom bénéficie aujourd'hui d'une situation financière saine
dégageant des excédents malgré les prélèvements effectués par l'Etat et la
charge importante de la dette en résorption.
Au-delà de l'opposition des personnels et des craintes de nombreux usagers, il
y a autour de cette question des télécommunications un véritable enjeu de
société. Les formidables atouts que recèle la révolution scientifique et
technologique seront-ils mis au service du droit à la communication et à
l'information pour tous ? L'accès aux outils modernes de liaison et de
formation favorisera-t-il, pour le plus grand nombre, l'aspiration à mieux
maîtriser son avenir et à intervenir sur les choix de société ? Bref,
sera-t-elle entendue, cette exigence de démocratie et d'intervention, comme
cela pourrait être considérablement facilité par les apports technologiques
nouveaux et les points d'appui nationaux que constituent le service et la
recherche publics ?
Les réponses à ces questions dépendent des orientations, véritables choix de
société, mises en oeuvre dans la période actuelle.
Je ne vous surprendrai pas en vous disant, monsieur le ministre, que nos
réponses sont à l'opposé des dispositions que vous préconisez.
Nous pensons que, dans la situation actuelle, pour répondre aux défis de notre
époque, il est nécessaire de confier l'ensemble des missions de service public
à un organisme public doté des moyens correspondants.
Les raisons sont diverses.
Elles tiennent tout d'abord au souci de la cohérence profonde de ces
missions.
Par ailleurs, si l'on considère que la mission essentielle est d'assurer
partout sur un territoire national l'accès aux services de télécommunications
pour tous, la mise en oeuvre d'un réseau unique d'infrastructures est la source
d'économie d'échelle. A l'inverse, la gestion de réseaux multiples construits
indépendamment les uns des autres, serait une source de gaspillage et de
difficultés sans fin pour les utilisateurs.
Ces raisons tiennent aussi à l'importance capitale de la maîtrise nationale et
publique des réseaux de communication d'intérêt général.
Il va de soi que cette exclusivité des missions de service public, ce monopole
de service public tant décrié par les défenseurs d'intérêts particuliers ne
signifie nullement qu'il faut placer toutes les activités de télécommunications
sous l'autorité du secteur public. Il existe déjà des fabricants, des
installateurs privés, des prestataires de services divers et des activités de
télécommunications internes aux entreprises. Loin de nuire au service public,
la plupart coopèrent utilement et efficacement avec lui. Il n'y a donc nulle
raison d'y revenir, ni même de dissuader de nouvelles activités dès lors
qu'elles ne sont pas incompatibles avec l'intérêt général.
Mais c'est une autre logique que vous avez choisie, celle du libéralisme à
tout crin, incité par le traité de Maastricht et dont le Président de la
République avait résumé la dimension en soulignant l'importance qu'il attachait
à la réforme du statut de France Télécom pour l'adaptation de notre appareil
productif aux conditions de la concurrence du xxie siècle.
L'ouverture à la concurrence, dans ces conditions, est génératrice de gâchis
et de réductions d'emplois. Avec la pénétration des capitaux privés dans
l'opérateur public, seuls les critères de la rentabilité financière deviennent
la règle et sont considérés comme le comble de la modernité. Le service public
est alors considéré comme un véritable carcan ; l'égalité de traitement des
usagers, l'aménagement harmonieux du territoire sont des archaïsmes.
Oui, nous pensons que, dans les télécommunications, il est possible de
répondre aux défis de notre époque avec un service public rénové. La
démocratisation interne de l'entreprise publique, le décloisonnement entre les
différentes catégories de personnels, un véritable droit d'intervention des
salariés, la mise en oeuvre de nouveaux rapports avec les usagers et les élus
pourraient constituer le socle de cette indispensable rénovation.
Avec le projet de loi qui nous est soumis, nous ne sommes vraiment pas dans le
même cadre, ni sur la même longueur d'onde.
M. François Fillon,
ministre délégué.
C'est clair !
M. Claude Billard.
En conséquence, compte tenu de ces observations, le groupe communiste
républicain et citoyen votera contre ce projet de loi.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
Le parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne peux
vous cacher que ce jour au cours duquel nous abordons la discussion de ce
projet de loi est un jour triste : il l'est pour moi, homme de gauche, pour
tous ceux qui siègent sur les travées de la gauche et, plus généralement, pour
tous ceux qui ont fait vivre jusqu'à ce jour le service de la poste et des
télécommunications et qui plaçaient dans leur métier quelque chose de cette
fierté qui ne s'explique pas et que, visiblement, à lire vos ratiocinations sur
la notion de service public, vous ne comprenez pas !
MM. Jean Chérioux et Josselin de Rohan.
On ne comprend jamais rien !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Il y avait grandeur et bonheur à l'idée de vouer sa vie professionnelle non au
moteur du profit, mais au service de la nation, de la grandeur de cette
dernière et de l'intérêt général.
Tel est mon sentiment profond, inspiré du fait que, dans ma famille aussi, on
a beaucoup servi la poste et les télécommunications, et que ce monde est
aujourd'hui en train de prendre fin.
Au diable vos habillages de circonstance pour garantir, contre toute raison et
contre la permanence de vos intuitions politiques et la philosophie dont vous
êtes porteurs, que ce texte ne marquerait pas la fin du service public. C'est
la fin du service public ! C'est une affaire de délai si, le moment venu, les
mesures qui s'imposent pour inverser la mécanique ne sont pas prises !
Vous avez dit, monsieur le ministre, que c'étaient un jour et un texte
historiques. Vous avez raison ! La propriété sociale des Français va être
spoliée alors que tant d'efforts, tant d'énergie, tant de dévouement et tant de
moyens financiers y ont été consacrés, qui ont permis de réaliser des exploits
en matière d'équipement, plaçant la France en tête des nations dans ce domaine,
et ce avec un service public et des fonctionnaires qui, paraît-il, ont tendance
à faire de la « mauvaise graisse » ! Eh bien, ceux-là étaient les meilleurs
d'Europe, voire, pour beaucoup, du monde !
Enfin, alors que beaucoup d'entre nous, au-delà même, peut-être, de la gauche,
se réclament d'une nation républicaine où l'Etat est stratège, l'Etat stratège
va perdre l'un de ses plus beaux outils d'intervention sur l'organisation du
pays, sur l'aménagement du territoire, sur les progrès des sciences et des
techniques.
Voilà la reculade qu'aucun habillage ne pourra masquer et qui, à mes yeux,
flétrit cette initiative !
M. Josselin de Rohan.
C'est l'apocalypse !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Quoi qu'il en soit, chacun d'entre nous, de son côté, doit en tirer la leçon.
Les salariés, les républicains sociaux paient aujourd'hui le prix de leur
défaite électorale. Puisqu'ils ont perdu et que vous avez gagné, vous avez
quasiment les mains libres.
Nous payons la difficulté du mouvement social à prolonger, au-delà des grèves
des mois de novembre et décembre derniers, une certaine capacité de
mobilisation. Oui - il faut l'avouer - il existe une certaine démoralisation,
et ce peut-être même en raison du prix qu'il a fallu payer pour la
participation à la grève de cet automne, prix que certains, dans les
télécommunications, continuent d'ailleurs à payer.
On ne peut le nier puisque le ministre lui-même, au cours d'un débat, en fait
un argument en faveur de sa thèse et nous dit que le fait qu'il n'y ait eu que
40 p. 100 de grévistes prouve l'accord du reste du personnel. Tenez-vous le
pour dit, travailleurs du service public des télécommunications : ceux qui ne
répondent pas à l'appel du syndicat, ceux qui ne font pas grève sont réputés
être d'accord avec leur ministre, de l'aveu même de ce dernier ! Je gage que la
leçon sera retenue !
Alors, pourquoi fait-on tout cela ? Les arguments du Gouvernement n'en sont
pas !
Le premier d'entre eux est que les autres pays feraient pareil. La belle
raison, quand on gouverne la France, que de regarder les autres nations et de
dire que l'on va faire pareil ! Où est passée l'exception française dont vous
vous réclamiez ? Que sont devenus à la fois les grands élans du Premier
ministre Alain Juppé, qui souhaitait même que le service public et sa défense
soient introduits dans la Constitution, et ses proclamations selon lesquelles
ce sujet allait être inscrit à l'ordre du jour de la conférence
intergouvernementale et qu'il veillerait à ce que ce principe soit repris ?
Les paroles du Premier ministre et ses engagements ne comptent pas pour
beaucoup dans la vie publique de notre pays, me direz-vous ! Mais cela a tout
de même été dit, et les uns et les autres nous pouvions penser que ce serait
sinon un engagement, du moins le signe d'une volonté, et que l'on en
retrouverait peut-être la trace lorsque le moment serait venu de discuter de
sujets comme celui qui nous occupe aujourd'hui. J'affirme qu'en faisant comme
les autres, on pousse à pis, propos dont je démontrerai tout à l'heure la
pertinence s'agissant du statut de France Télécom très précisément.
Le dépôt de ce projet de loi a-t-il pour cause des difficultés ? Non, il n'y
en a pas ! France Télécom est une entreprise de pointe, et il faut tout de même
un certain culot pour oser se réclamer précisément de la réussite de France
Télécom afin d'exiger immédiatement des remèdes aussi cruels qu'inutiles, comme
ceux que vous proposez d'apporter aujourd'hui. Même notre rapporteur, M. Gérard
Larcher, qui est un esprit fin et distingué que chacun ici apprécie
(C'est vrai ! sur les travées du RPR. - Sourires sur les travées
socialistes),...
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Je vous remercie, monsieur Mélenchon !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... consacre quatre pages de son rapport à masquer la réalité et à proposer
des changements de vocabulaire, sentant bien ce qu'il y a d'odieux dans le
vocabulaire ordinaire du libéralisme.
C'est pourquoi M. Larcher nous dit qu'il s'agit non pas de privatisation, mais
de « sociétisation »,...
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Eh oui !
M. Jean-Luc Mélenchon,
... qu'il s'agit non pas de déréglementation mais de la substitution de
certaines règles à d'autres,...
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Eh oui !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... comme on parle de la substitution de la loi de la jungle à celle des
milieux civilisés.
M. Josselin de Rohan.
Croyez-vous vraiment ce que vous dites, monsieur Mélenchon ?
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Non, il se croit ailleurs !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Il faut, enfin, pour terminer, que vous fassiez un parallèle entre la
catastrophe d'Air France et France Télécom,...
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Non, c'était M. le ministre !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... comme s'il était possible, dans l'industrie, d'établir une comparaison qui
reviendrait, en agriculture, à rapprocher le bétail et les céréales !
France Télécom, quatrième groupe mondial, on l'a dit, enregistre des
performances records, connaît une productivité remarquable et possède des
capacités d'innovation sans précédent. Ce n'est donc pas la difficulté qui
appelle l'intervention !
Est-ce alors parce que vous auriez découvert que l'Etat n'a pas sa place dans
les industries de la télécommunication ? Or, à quel moment décideriez-vous de
cela ? Justement au moment où la propriété sociale de la nation, qui seule a
permis de réaliser ces progrès extraordinaires, a en main l'un des principaux
leviers de la tranformation de notre civilisation, où les techniques de
communication vont occuper une place grandissante dans la vie privée, dans la
formation, dans la recherche, dans l'industrie. C'est à ce moment-là que vous
décidez qu'il faut que la nation y renonce et que la République s'abandonne à
cet être métaphysique, la main invisible du marché, qui, comme chacun l'a
constaté, est peut-être invisible quand elle s'avance vers nos poches, mais qui
correspond à des visages qui, eux, sont parfaitement visibles !
M. Josselin de Rohan.
Mais qu'avez-vous fait, vous, lorsque vous étiez au pouvoir ?
M. Jean Chérioux.
C'est vous qui avez préparé le terrain ! C'est un scandale !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Il est vrai que, derrière la main invisible, se dessinent les mêmes visages
traditionnels et bien connus : Bouygues, Alcatel, la Générale des Eaux et
autres sociétés, dont l'intérêt pris à la morale publique et à l'intérêt
général est évidemment bien connu !
M. Josselin de Rohan.
Vous préférez Tapie !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Vos raisons n'en sont pas !
Vous prétendez qu'une directive européenne vous obligerait...
M. François Fillon,
ministre délégué.
Je n'ai jamais dit cela !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Je ne l'ai jamais dit non plus ! Tout à l'heure, j'ai donné
lecture d'un rapport d'information !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Vous ne le prétendez plus ! Eh bien ! c'est parfait ! Si vous y renoncez, je
renonce à développer l'argumentation inverse !
Je voulais simplement vous faire remarquer que, par un de ces tours oratoires
dont vous êtes coutumier, cher rapporteur, vous n'avez trouvé d'autres
arguments à opposer à propos des directives européennes que de signaler le
moment où les gouvernements socialistes étaient au pouvoir et participaient
donc à ces discussions.
M. Josselin de Rohan.
Bien sûr !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Eh oui !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Vous aurez certainement remarqué que, dans la Communauté européenne, les
gouvernements socialistes représentent la minorité. Nous savons ce que nos amis
ont exprimé ! En revanche, nous savons aussi que, en 1993, c'est à l'unanimité,
c'est-à-dire avec l'approbation des représentants du gouvernement français, que
toutes les dispositions ont été prises, ...
M. François Fillon,
ministre délégué.
C'est exact !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... et cela, c'est vous, et personne d'autre qui l'avez décidé ! Alors,
assumez-le !
Ne venez pas nous citer la période où nous étions au Gouvernement pour cacher
ce que vous avez fait.
M. François Fillon,
ministre délégué.
Pourquoi l'oublier ?
Mme Hélène Luc.
Vous avez fait pire !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Dites que vous êtes d'accord avec ces dispositions parce que c'est votre
politique, mais ne prenez pas ces airs effarouchés pour nous dire : « C'est
l'Europe ! On n'y est pour rien ! » Vous y êtes pour quelque chose !
M. Jean Chérioux.
L'Europe de la concurrence, c'est vous !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Réservez votre souffle, mon cher collègue, je n'en suis qu'au début !
(Sourires).
M. Josselin de Rohan.
Ça, on le sait !
M. Jean Chérioux.
Je m'en réjouis !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Deuxième élément : les alliances.
Je crois que la démonstration a déjà été bien faite ici : le statut de 1990
était un point d'équilibre - ce que nous nommons, nous, un point d'équilibre -
et je me souviens que votre collègue du groupe du RPR à l'Assemblée nationale
qui prenait la parole contre la motion socialiste tendant à opposer la question
préalable s'était senti obligé de dire que les socialistes, et M. Quilès en
particulier, avaient vérouillé de nouveau le service public.
Mais la preuve est faite que ce statut permettait parfaitement des alliances
et que, grâce à lui, nous avons pu faire quelques percées tout à fait
spectaculaires et significatives sur bien des continents.
Quant aux mutations technologiques, il faut être du niveau de pensée dont j'ai
dit à l'heure qu'il relevait de la métaphysique - mais j'aurais meilleur temps
de dire qu'il est le fait de la pure sorcellerie - pour se figurer que, parce
qu'une entreprise est sous statut privé et que le joyeux gril de la loi du
profit y brûle sous toutes les fesses, on invente mieux et plus vite ! En
France, c'est l'inverse qui est prouvé, et vous ne pouvez démontrer le
contraire !
C'est le service public qui a permis de réaliser ces avancées techniques et
scientifiques, comme il a permis de mettre à la disposition de tous des moyens
incroyables et qui suscitent, à l'extérieur, l'admiration pour notre pays, pour
ses capacités inventives et productives, parce que le service public pense le
long terme et que l'intérêt privé en est incapable.
La concurrence ? Non ! Ce n'est pas une démonstration ! Vous assénez, vous
martelez, vous ne démontrez pas !
M. Jean Chérioux.
C'est ce que vous faites !
M. Jean-Luc Mélenchon.
D'ailleurs, les directives europoéennes ne portent pas d'appréciation sur la
nature de l'opérateur. C'est donc bien vous qui voulez ce changement !
Pour faire face à la concurrence, un opérateur public tel que France Télécom
est parfaitement de taille ! Il n'a besoin de rien de plus !
Je ne dis pas que, si vous aviez été plus prompts à la détente et moins
embarrassés de vos querelles, en 1993, vous n'auriez pas mieux réussi
l'alliance avec Deutsche Telekom au moment où elle était possible. Il ne faut
vous en prendre qu'à vous de ne pas avoir réussi cette alliance stratégique,
qui aurait déjà changé la nature des tractations qui s'opèrent aujourd'hui dans
le domaine des télécommunications : il y aurait eu un grand pôle public, un
grand pôle européen.
Quant à la création d'emplois, quelques autres avant moi ont dit la vérité :
vous ne démontrez rien ! Je ne citerai qu'un seul et unique exemple. Pourquoi
vous accabler, en effet, de la liste de toutes les sociétés qui, aussitôt
qu'elles ont été « privatisées », quand bien même vous mettriez des
guillements, ont immédiatement « dégraissé », parfois sans aucune espèce de
complexe ? Le président de Deutsche Telekom a dit : « Il faut qu'on licencie
pour être bien coté en bourse ». Lui au moins, il ne s'encombre pas de détails
!
L'exemple, c'est l'un de ceux qui vous reviennent tout le temps à la bouche,
puisque vous êtes non seulement des disciples mais également des admirateurs
zélés des talents des anglo-saxons, à qui vous trouvez en permanence toutes les
qualités, tandis que vous les déniez toutes à votre propre patrie !
(M. Chérioux proteste vivement.)
M. Josselin de Rohan.
Cela suffit !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Parfaitement ! C'est là une loi anglo-saxonne.
M. Josselin de Rohan.
Surveillez votre langage !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je n'avais pas l'attention de vous insulter, mes chers collègues.
M. Josselin de Rohan.
Vous n'avez pas le monopole du patriotisme, monsieur Mélenchon !
M. Jean Chérioux.
Loin de là !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je dis simplement que tous ces principes sont d'inspiration anglo-saxonne.
Comme mon temps de parole est limité, je ne suis pas en situation de vous en
faire la démonstration,...
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Ah !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... mais je vous promets de vous en régaler à mesure que les différents
projets de loi que vous défendrez viendront en discussion devant cette
assemblée.
Lorsque l'on met la loi du profit au-dessus de l'intérêt général, ou même que
l'on commet l'aberration de croire que l'intérêt général n'est que la somme des
intérêts particuliers ou qu'il résulte mieux de l'aliment du profit privé, on
est dans une philosophie anglo-saxonne, qui n'est pas la nôtre. Voilà ce que je
voulais dire !
En attendant, je m'en vais chercher un exemple sur vos terres d'élection, et
on ne me fera pas le grief d'évoquer les Etats-Unis, si souvent cités par notre
rapporteur, qui en a retiré des impressions qui l'ont tellement marqué qu'il ne
peut plus parler de rien sans les évoquer !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Il m'a tout de même lu... même incomplètement !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Ces fameuses
babies Bell
ont, pétarade-t-on de joie, créé 562 000
emplois ! On oublie de dire que, auparavant, 660 000 emplois ont été supprimés
par AT&T et que, foin de concurrence, après qu'on en eut beaucoup parlé,
aujourd'hui, ce sont de nouveaux monopoles qui se constituent.
Toutefois, il y a une différence : avant, c'était un monopole public et,
demain, ce sera un monopole privé ! Mais évidemment, pour vous, les monopoles
privés, c'est la sanction de la réussite et il ne faut surtout pas y toucher
!
Au total, c'est un mécanisme qui conduit inéluctablement à la privatisation
que vous avez prévu.
Le contexte que je viens d'évoquer, vous allez l'aggraver ! En effet, qui
pourrait résister maintenant, dans les discussions européennes, si même les
Français sont d'accord ? Alors, pourquoi ne pas aller encore plus loin ? Je
fais le pronostic que c'est ce qui se passera - j'en parlerai dans un
instant.
Le contexte, les glissements sémantiques... Mais, là, je ne le dis que par
courtoisie, car je doute, cher rapporteur, que qui que se soit se laisse
attraper à vos nouvelles définitions, qu'il s'agisse de « démonopolisation »,
comme vous l'indiquez au moment où vous vous apprêtez à créer des monopoles
privés, ou de « sociétisation » plutôt que de privatisation. Comme disait l'un
de mes illustres ancêtres politiques à cette tribune : « Les mots ne font peur
qu'aux enfants. »
M. Gérard Larché,
rapporteur.
Donc, à vous !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Au reste, l'article 10 du projet de loi traduit, avec un tranquille cynisme,
ce qui est la vérité : dès que France Télécom sera une société dans laquelle
l'Etat ne possédera plus la totalité des actions, elle pourra elle-même
réformer son statut ! Et voilà !
Par conséquent, pour peu que le contexte pousse à avancer davantage dans la
voie que je viens de décrire, le tout roulera inéluctablement.
Evidemment, vous prétendez que la Constitution, notamment le bloc de
constitutionnalité - il aura fallu aller chercher un peu loin, au neuvième
alinéa du préambule de la constitution de 1946 - serait une garantie. Les
dispositions prévues par cet alinéa concernent effectivement les monopoles de
fait et instituent le service public. Mais, dès lors que vous avez, dans la
discussion, découpé la conception de ce qu'est le service public en petites
tranches - service universel, service obligatoire, etc. - et que, dans les
conditions d'applications de cette loi, telle ou telle entreprise privée
pourrait prendre aussi à sa charge des tâches de service public, que
restera-t-il de l'obligation constitutionnelle qui donnerait, paraît-il, à
France Télécom un statut particulier, privilégié et protégé ? Rien du tout !
Au demeurant, telle que cette société est constituée et compte tenu de
l'incapacité où elle se trouvera de prendre toutes les participations croisées
auxquelles vous avez fait allusion il y a quelques instants, si elle veut
recapitaliser pour faire face aux enjeux que vous évoquez, comme elle sera
bloquée par la nécessité pour l'Etat d'être actionnaire à 51 p. 100, ou bien on
renoncera à ces 51 p. 100 ou bien on déportera sur des filiales les activités
centrales et porteuses de France Télécom. Tout le monde le comprend : le
mécanisme qui conduit à la privatisation est inscrit dans ce texte de loi avec
la force d'un rail qui guidera le convoi.
A présent, quand on regarde en détail, on doit d'abord examiner le moment où
la contradiction des projets se manifeste de la façon la plus éclatante.
De petites mesures en petites mesures suggérées dans le texte comme allant de
soi compte tenu du contexte, on voit qu'on pourrait presque, si l'on n'était
vigilant, se laisser aller à suivre une certaine logique de raisonnement. Mais
celle-ci bute sur un point bien précis : la question des retraites.
Quel arbitrage allez-vous rendre ? Voilà qui nous intéresse au plus haut
point, car, à la vérité, c'est un cercle vicieux.
Vous pouvez demander à l'opérateur de solder ce qu'il doit à la nation ; cela,
après tout, se conçoit. En effet, jusqu'à présent, ses bénéfices lui
permettaient de faire face à cette obligation, et on ne voit pas pourquoi il
incomberait à toute la collectivité de prendre en charge cette obligation de
retraite des travailleurs du service public de France Télécom. Eux-mêmes le
comprennent parfaitement, d'autant plus qu'ils vous soupçonnent - pas vous,
bien sûr, monsieur le ministre, mais vos successeurs - de revenir à la charge
pour parler de la « mauvaise graisse ». Et de se demander pourquoi, une fois de
plus, toute la nation, tous les contribuables devraient acquitter les
obligations prises envers les nantis, etc., etc. ! Ce discours, je ne l'invente
pas ; je l'ai déjà tellement entendu que je crois qu'il est d'évidence.
Par conséquent, si vous demandez beaucoup - ce qui correspond, au fond, à ce
qui est dû à la collectivité - vous écrasez l'entreprise, car elle se
trouverait alors avoir sur le dos une charge qui lui rendrait infiniment plus
difficile qu'aujourd'hui sa manière d'avancer dans le riche domaine de la
concurrence que vous avez décrit tout à l'heure. Donc, du point de vue de
l'intérêt de l'entreprise, on ne peut pas l'exiger.
Mais si vous ne demandez pas assez, on est en droit de vous dire que vous
privilégiez l'entreprise au détriment de l'ensemble des contribuables.
Quelle que soit votre décision, ce sera toujours ou trop haut ou trop bas, et
c'est bien ce qui fait le point d'ancrage de la contradiction dans laquelle
vous êtes.
J'en viens aux salariés.
La coexistence de deux statuts est un trompe-l'oeil. C'est mal connaître la
vie de l'entreprise nationale et du service de France Télécom que de croire
qu'on peut se trouver côte à côte, attelé aux mêmes tâches ou à des tâches
complémentaires, avec deux statuts, deux paies et deux conditions complètement
différents. C'est ne rien comprendre à la nature humaine, à ce qu'est un
collectif de travail !
On a dit tout à l'heure ce que cela a donné chez les traminots de Marseille.
Mais ce que nous avons connu n'est rien à côté de ce qui va venir ! En effet,
aujourd'hui, il y a déjà des contractuels. La loi de 1990 en limitait le nombre
à 3 p. 100 du total des effectifs ; mais, depuis un an, il n'y a plus de
limite. C'est donc, sans que l'on puisse faire aucun pronostic, une coexistence
permanente de deux statuts, de deux types de préoccupations et, j'ose le dire,
de deux types de pression. On en voit bien les conséquences sur la promotion et
sur la motivation, puisque vous l'évoquez.
Quant à l'encadrement, entre, d'un côté, un fonctionnaire qui parlerait par
hasard le langage de l'intérêt général, de l'aménagement du territoire, du
service public, des devoirs dus aux plus humbles de nos concitoyens et, de
l'autre côté, tel petit apprenti
golden boy
qui voudrait faire du zèle
et qui rappellerait les intérêts de l'opérateur privé et des actionnaires
privés dans l'entreprise, ne me soutenez pas qu'il y aura, comme on dit
aujourd'hui, photo entre les deux au moment des promotions !
Evidemment, dans ce mélange étrange du public et du privé, où, d'un côté,
l'Etat propose sa main-d'oeuvre et son personnel tandis que, de l'autre, les
partenaires privés font valoir leur droit à bénéfice, il est évident que la
dynamique essentielle, la loi la plus forte pèsera en faveur de ceux qui gèrent
les intérêts privés et exigent une logique qui est la leur, à savoir celle du
bénéfice et non celle de l'intérêt général.
Vous prétendez que des garanties existent quant au statut des fonctionnaires.
Bien naïfs ceux qui vous croiraient !
Vous vous fondez sur un arrêt du Conseil d'Etat du 18 novembre 1993. Passons
sur le fait que nous pourrions faire référence à un autre arrêt, qui,
naturellement, n'a pas été rendu public et qui concernait la société anonyme du
personnel de l'Imprimerie nationale, mais, dans l'arrêt que vous évoquez,
quatre conditions sont posées et il suffit qu'une seule d'entre elles ne soit
plus remplie pour qu'aussitôt la garantie que vous prétendez avoir apportée
tombe.
Alors, peut-elle tomber ? Mais oui, bien sûr ! Il suffit d'une nouvelle loi,
ou même d'une situation de fait. Ainsi, il suffirait que l'Etat cesse d'être
majoritaire. Or, tout y pousse ! Les exemples à l'étranger démontrent que tout
a toujours fini par la privatisation.
Permettez-moi d'évoquer aussi - après tout, cela a son poids relatif - les
déclarations de M. Bon lui-même. Certes, d'un homme qui proposait de privatiser
l'ANPE, un socialiste comme moi ne pense pas avoir grand-chose à attendre, mais
enfin, lui au moins est clair : il n'est pas pour que l'Etat possède 50 p. 100
des actions, et il le dit. Il dit aussi : « Quand on doit tourner la page, il
faut la tourner et, moi, je ne souhaite pas recruter de fonctionnaires. » Les
déclarations de M. Bon ont le mérite de la franchise !
Le ministre lui-même n'hésite pas à dire que l'on va recruter, peut-être, pour
la période de transition avant que France Télécom devienne une entreprise comme
les autres ! Mais, précisément, son statut n'en fait pas une entreprise comme
les autres. Cela signifie donc bien, de la façon la plus claire qui soit,
qu'une autre entreprise va bientôt voir le jour, issue de la dynamique même des
dispositions qui auront été prises aujourd'hui et que, je l'ai rappelé tout à
l'heure, l'article 10 de ce projet de loi rend parfaitement possible.
Mais à ces causes conjoncturelles s'ajoutent des causes structurelles.
Comment France Télécom pourra-t-elle relever les défis que vous lui assignez ?
Comment pourra-t-elle prendre pied sur les marchés, procéder aux innovations
dont vous nous avez parlé sans être dans la nécessité de procéder à des
recapitalisations épisodiques ? Elle devra le faire ! L'Etat suivra-t-il ? Non,
le pauvre ! D'ailleurs, selon vos maximes, l'Etat doit être le moins présent
possible, car il est en voie de paupérisation. Mais c'est grâce à votre
politique, tout le monde le sait
(M. le rapporteur rit.)
L'Etat va avoir sur le dos le règlement des retraites. C'est déjà
beaucoup ! Alors, que se passera-t-il ? Si l'Etat ne suit pas, comment
fera-t-on pour procéder à ces recapitalisations ? Evidemment, on créera des
filiales et, évidemment, des filiales sous statut privé, qui connaîtront
d'autres règles que celles que connaît le service public. C'est l'ouverture à
la filialisation systématique ou, pis - mais c'est lié, et je pense que chacun
le comprend compte tenu de l'enchaînement de mon raisonnement - la
filialisation d'un côté et, de l'autre, le cantonnement de France Télécom aux
missions de service universel.
Une autre condition évoquée par le Conseil d'Etat est qu'il faut que
l'entreprise soit soumise à des missions de service public.
Tout notre débat sur la loi de réglementation des télécommunications, tout ce
qui a été dit à l'Assemblée nationale comme au Sénat, a permis de voir, vous me
permettrez de vous le dire, que vous ne comprenez rien au service public. Vous
croyez peut-être avoir bien fait en en précisant les contours, mais, si service
universel, service obligatoire et missions d'intérêt général sont des
catégories distinctes, elles participent toutes au service public ! Et, comme
vous les avez dissociées, cela change la nature des interventions de ceux qui
pourront être réputés comme accomplissant des missions de service public.
Les missions de service universel telles qu'elles sont prévues par la loi
peuvent être prises en charge par le secteur privé. C'est ce que notre
rapporteur, M. Gérard Larcher, appelle la « démonopolisation ». Par conséquent,
ces opérateurs privés qui viendraient à prendre en charge des missions de
service universel pourraient, le moment venu, intervenir à leur tour et
présenter un recours devant Bruxelles en invoquant une distorsion de
concurrence puisqu'ils se verraient imposer des charges que les autres n'ont
pas sans se voir concéder les moyens correspondants.
M. François Fillon,
ministre délégué.
Vous n'avez pas lu la loi !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Si, je l'ai lue, et je sais très bien comment les choses se passeront.
Ceux-là pourront donc présenter des recours, mais nous serons alors dans un
autre environnement que celui que nous connaissons aujourd'hui et, puisque tous
les pays d'Europe auront été d'accord pour déréglementer et que tous auront
changé entre-temps le statut de leur société de télécommunications, ces
opérateurs privés seront fondés à demander que soit rétabli l'équilibre. Le
terrain politique aura en effet été préparé pour que l'on aille plus avant dans
la déréglementation, pour que l'on en vienne à leur donner raison, pour que
l'on reconnaisse qu'ils ont en charge des missions de service public.
Mais là n'est pas le point dont je veux discuter : il sera en effet démontré
a contrario
que France Télécom n'assumera pas ces missions, ou ne les
assumera pas totalement, ce qui viendra à mettre l'entreprise dans une
situation qui n'est plus celle que prévoit le neuvième alinéa du préambule de
la constitution de 1946, qui précise qu'est service public ce qui relève d'un
monopole de fait.
Telles sont les raisons qui, l'une après l'autre, montrent pourquoi cette
garantie prétendument fondée sur la Constitution n'en est pas une.
Au demeurant, qui peut croire que les actionnaires privés se contenteraient
d'une situation où ils apprendraient que le personnel - paramètre numéro un de
la flexibilité des comptes d'entreprises - serait composé d'une masse
incompressible de 100 000 fonctionnaires et qu'eux-mêmes, en définitive,
n'auraient, pour faire avancer leurs vues, que la capacité d'étendre ou de
réduire la proportion de leurs salariés relevant de contrats de droit privé ?
Personne ne peut le croire ! Bien évidemment, le moment venu, ils exerceront
les pressions voulues et exigeront - avec, il faut bien le dire, un certain bon
sens - de pouvoir retrouver leur liberté de manoeuvre.
Quant aux recrutements de fonctionnaires, vous avez parlé de « possibilité ».
Vous avez pris un engagement pour qu'il y ait négociation sur cette question.
Or, ce que fait une loi, une autre peut le défaire, et les travailleurs de
France Télécom sont bien placés pour le savoir : on leur a parlé, en 1990, d'un
point d'équilibre sur lequel portait la garantie effective du gouvernement
d'alors ; il leur suffit de constater que, six ans plus tard, ce qu'une loi a
fait, une autre va le défaire !
Bien naïf qui pourrait croire à de tels engagements. J'ai d'ailleurs indiqué
précédemment ce qu'en pense M. Bon lui-même, puisqu'il s'est exprimé sur ce
sujet : selon lui, il n'est pas utile de recruter davantage et, quand on tourne
la page, on doit la tourner pour de bon.
M. le rapporteur ne manque pas non plus de dire qu'il n'est surtout pas
nécessaire de recruter d'un coup pour solde de tout compte et que, au
contraire, il faut étaler dans le temps. Eh oui ! Mais les promesses étalées
sur un temps trop long sont comme la confiture sur la biscotte : au bout de la
lame, il ne reste pas grand-chose !
Enfin, s'agissant de la représentation du personnel, c'est tout de même bien
joué ! Vous avez le beurre et l'argent du beurre.
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Et nous, nous avons le petit-déjeuner complet !
(Sourires.)
M. Jean-Luc Mélenchon.
Voilà une entreprise qui compte 150 000 salariés ; certains fonctionnaires
vont partir du fait de la pyramide des âges ; le recrutement privé interviendra
pour 20, 30 ou 40 p. 100 des effectifs. Il s'agira donc d'une société anonyme
comptant plus de 100 000 travailleurs, mais il n'y aura pas de comité
d'entreprise, pas de droit d'alerte, pas de possibilité de se référer à un
expert-comptable, bref aucune des possibilités acquises de haute lutte par les
comités d'entreprise.
Oh ! j'imagine bien les raisons qui ont pu conduire à faire ce choix. Je les
imagine bien, mais les seules qui m'intéressent en cet instant sont celles qui
concernent l'avenir.
Votre commission paritaire n'a aucun des pouvoirs qui devraient être ceux du
personnel dans une entreprise de cette taille. Et ce n'est pas normal ! Qu'il
faille discuter, trouver des arrangements, soit. Mais il n'est pas acceptable
que, dans une entreprise, société anonyme, des travailleurs, au nom de je ne
sais quel accord ou quelle entente, aient moins de droits qu'ils n'en ont dans
toutes les autres entreprises en matière de représentation.
Alors, je ne dis pas qu'il faille forcément créer un comité d'entreprise, mais
il faut créer une structure qui donne aux salariés le pouvoir dont ils
bénéficient dans les autres grandes entreprises : alerter, s'exprimer, avoir
les droits de recours suspensif d'ores et déjà prévus par le code du travail et
qui ne se trouvent pas dans ce comité paritaire.
Je l'ai dit, vous avez le beurre et l'argent du beurre : non seulement la voie
est ouverte à la privatisation, au reniement de la propriété sociale, à la
réintroduction des intérêts privés dans un secteur dont on nous dit qu'il
représentera bientôt 10 p. 100 de la production du monde - c'est beaucoup ! -
mais, de plus, vous constituez un précédent qui permet d'enfoncer une brèche -
et quelle brèche ! - dans le statut des salariés de la fonction publique, et ce
dans un pays qui, jusqu'à présent, était la vitrine sociale, la référence, le
point d'appui pour les travailleurs du secteur privé.
Je pronostique que ce n'est pas la dernière fois, que cela va vous donner des
idées et que, bientôt, à cette tribune, on entendra évoquer le précédent de
France Télécom pour mettre la main ensuite sur La Poste, sur EDF, sur Gaz de
France et sur la SNCF, bref sur tout ce qui fait la carcasse du service public
de la nation républicaine. Vous l'aurez obtenu et, dans le même temps, vous
aurez obtenu que, dans l'une des plus grandes entreprises de notre pays, les
travailleurs aient moins de droits qu'ils n'en avaient auparavant.
Oui, j'ai dit qu'aujourd'hui était un jour triste. Peut-être avez-vous trouvé
que c'était beaucoup dire, et je le comprends. Je sais que vous êtes tout plein
d'optimisme dès lors que vous voyez régner la concurrence, et que vous pensez
que c'est un facteur d'accélération extraordinaire de notre histoire, un
facteur, ajoutez-vous, de diffusion du progrès.
Nous pensons le contraire et, jusqu'à présent, il n'existe pas une seule
preuve que nous ayons tort. C'est l'inverse : des grandes nations se vident de
l'intérieur, perdent tout lien social - on le voit en Angleterre et aux
Etats-Unis - défigurées qu'elles sont par la lèpre de la libéralisation.
Au contraire, la France républicaine, appuyée sur ses services publics,
plaçant l'intérêt général comme règle supérieure à toutes les autres, a de
grands atouts qu'elle peut proposer comme modèle. Mais vous avez renoncé à être
un modèle.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Trucy.
M. François Trucy.
Monsieur le ministre, l'alternance au pouvoir des partis politiques permet aux
électeurs de vérifier des vérités successives, et l'alternance à cette tribune
des orateurs vous permet de tester et de goûter les plaisirs opposés de la
critique et du soutien.
Au risque de vous décevoir, je serai le premier orateur à approuver cet
après-midi votre projet de loi, faisant ainsi preuve d'une cohérence parfaite
avec les propos qu'à tenus notre rapporteur, M. Gérard Larcher.
Le groupe des Républicains et Indépendants estime en effet que vous nous
présentez un bon projet de loi, qu'il contient ce qu'il faut pour que les
journées de travail que nous y consacrerons nous apportent toutes les
satisfactions que nous en attendons.
Si la loi de réglementation des télécommunications, encore toute fraîche à
notre mémoire, a fixé un nouveau cadre réglementaire propre à permettre
l'évolution du secteur français des télécommunications dans un environnement
mondialisé, le projet de loi relatif à l'entreprise nationale France Télécom
recherche les dispositions qui permettront à celle-ci de s'adapter à ces
nouvelles opportunités.
La méthode retenue conduit à une évolution sans « rupture brutale » - je ne
sais pas si l'expression est de vous, mais c'est en tout cas ainsi que nous le
sentons - par modification de certains articles des textes de juillet et
décembre 1990.
Rappelons, pour éviter tout malentendu supplémentaire, que les mesures
proposées ne concernent que France Télécom, qu'elles ne modifient pas le rôle
reconnu à la mutuelle générale ou au groupement d'intérêt public social, et que
la loi du 2 juillet 1990 est donc pleinement et totalement applicable à La
Poste.
Il s'agit là de rester aussi proche que possible du droit commun pour définir
le statut de la nouvelle entreprise nationale, mais en en reconnaissant les
spécificités. Aussi, vous l'avez écrit, c'est le droit applicable aux sociétés
anonymes qui réglera les nouvelles modalités du développement de l'entreprise.
Les spécificités de France Télécom doivent être reconnues et sauvegardées.
L'approche « qualité » est fondamentale.
La méthode de concertation retenue par le Gouvernement est différente de celle
qui a prévalu pour le projet de loi de réglementation des télécommunications,
sans compter la procédure d'urgence que vous avez dû déclarer - et nous
l'approuvons - pour ne pas retarder le débat parlementaire, dans l'intérêt même
de France Télécom.
Notre regret, peut-être, est de n'avoir pas pu fonder notre réflexion sur une
étude d'impact du projet de loi, dont le Premier ministre a rendu maintenant la
réalisation obligatoire. Aussi souhaiterions-nous qu'au moins partiellement ces
éléments d'information soient communiqués aux parlementaires, sans attendre le
débat budgétaire qui en précisera certaines données.
Je soulignerai, d'abord, dans quelles conditions l'entreprise peut affronter
le marché ; puis, j'évoquerai le statut du personnel ; viendra, enfin, la
question de la pérennité du service public.
Pourquoi, s'interrogent certains, vouloir transformer une entreprise qui gagne
? Aussi légitime soit-elle, cette question ne peut faire oublier les enjeux de
la compétition mondiale. Il est clair, en l'occurrence, que la volonté du
Gouvernement est de permettre à France Télécom non seulement de continuer à
gagner, mais aussi d'exercer son activité dans le nouveau cadre
réglementaire.
C'est pourquoi mes collègues du groupe des Républicains et Indépendants et
moi-même ne pouvons qu'approuver les dispositions du projet de loi. Attribuer
un capital social à l'entreprise, c'est la placer sous le même régime juridique
que les autres entreprises du secteur des télécommunications.
A cet égard, le choix du 31 décembre 1996 comme date de changement de statut
nous paraît raisonnable d'un point de vue comptable et financier. Cette
échéance ne saurait cependant être repoussée sans risques pour l'entreprise :
l'ouverture à la concurrence nécessite une organisation rapide ainsi qu'une
parfaite continuité du transfert de l'ensemble des biens, droits et obligations
de l'entreprise, hormis, nous le savons, ceux qui concernent l'enseignement
supérieur.
L'entreprise sera dotée d'un conseil d'administration dans lequel l'Etat
gardera la majorité des sièges, ce qui est logique et permettra d'assurer une
stabilité. Nous comprenons, par ailleurs, le choix qui a été fait de maintenir
les administrateurs en place.
Toutefois, monsieur le ministre, l'assemblée générale des actionnaires
n'interviendra-t-elle pas obligatoirement dans la nomination des
administrateurs du second collège dès la première ouverture du capital ?
Nous souhaiterions également que les actionnaires minoritaires et que les
actionnaires salariés soient le plus rapidement possible représentés au sein du
conseil d'administration.
La réussite d'une entreprise passe aussi par une plus grande souplesse en
matière de recrutement et par une meilleure adaptation de son personnel aux
différents métiers offerts - et Dieu sait si, dans cette activité, ceux-ci sont
variés et connaissent des évolutions !
D'où cette possibilité offerte par le texte de faire appel à des
fonctionnaires jusqu'au 1er janvier 2002, tout en ouvrant le recrutement de
contractuels : c'est une garantie de souplesse et de capacité d'adaptation. Les
recrutements possibles de fonctionnaires jusqu'en 2002 sont - c'est clair - la
preuve de la volonté du Gouvernement de rechercher le meilleur dialogue
possible avec les syndicats. De même, un accord sur l'emploi, propre à France
Télécom, permet de rajeunir progressivement la pyramide des âges des salariés.
Tout le monde est bien conscient de cette nécessité, surtout au sein de
l'entreprise elle-même.
Bien plus, la participation et l'actionnariat salarié permettent d'associer
plus étroitement les salariés à la vie et au développement de l'entreprise.
Mettre les charges sociales et fiscales obligatoires au même niveau que dans
les entreprises de droit commun, à l'exception des cotisations chômage, mettra
France Télécom à armes égales avec ses concurrents.
Le maintien en l'état du système de retraite menaçait gravement la
compétitivité de la firme. Dès lors, il est équitable que l'Etat trouve dans ce
projet de loi des contreparties substantielles, tant par le biais de la
fiscalité de droit commun que sous forme de dividendes puisqu'il assurera
jusqu'au bout, comme il s'y est engagé, tout le poids de la charge des
retraites.
Cependant, dans ce cas particulier, monsieur le ministre, en l'absence de
toute indication chiffrée dans le texte, pouvez-nous préciser quel sera le taux
de cotisations retraite retenu et la composition de l'assiette des
rémunérations à laquelle s'appliquera ce taux ?
Concernant l'établissement du bilan d'ouverture, plusieurs éléments restent à
prendre en compte : d'abord, le transfert à l'Etat des biens relatifs à
l'enseignement supérieur, ensuite, la révision de la valeur des actifs, en
particulier des actifs immobiliers, enfin, le provisionnement pour départs
anticipés volontaires à la retraite.
Il faut, monsieur le ministre - vous le savez et vous en êtes convaincu - que
le bilan d'ouverture soit sincère et réaliste. A défaut, la crédibilité et la
notation financière de France Télécom ne seront pas solides.
Quelle est votre volonté, monsieur le ministre, dans ce domaine important ? Le
débat doit nous permettre de vous entendre sur ce sujet.
Quel sera le montant de la contribution forfaitaire exceptionnelle unique,
encore appelée curieusement « soulte » ?
La question est difficile puisqu'il faut arbitrer entre le désir du ministère
des finances de favoriser l'équilibre de la loi de finances de 1996 et celui de
ne pas ponctionner par trop les actifs de France Télécom.
Il nous paraît tout à fait essentiel que la valeur de la soulte soit fixée à
un niveau raisonnable par le Gouvernement et par le Parlement pour préserver la
compétitivité de l'entreprise. Aussi le ratio des dettes par rapport aux fonds
propres ne devrait-il pas dépasser l'unité.
De plus, par souci d'équité, une évolution de l'affectation de la taxe
professionnelle peut-elle être envisagée ? Pourquoi, en effet, ne pas
l'attribuer aux collectivités locales - question facile mais réponse difficile
! - dont relèvent les établissements contributeurs ? Vous savez, monsieur le
ministre, le souci permanent du Sénat de veiller aux intérêts de ces
collectivités.
Nous avons pris acte de la volonté de dialogue du Gouvernement avec le
personnel en ouvrant un champ très large aux négociations. Ainsi, les
engagements de l'Etat sont maintenus et garantis en ce qui concerne le statut
des personnels.
La stabilité du statut de France Télécom est garantie puisque la pérennité de
la détention directe par l'Etat de plus de la moitié du capital est affirmée,
conformément d'ailleurs aux exigences du préambule de la Constitution
concernant l'activité de l'entreprise.
Sa mission d'opérateur public du service universel du téléphone est garantie
par la loi de régulation des télécommunications. Il n'y a donc pas
privatisation de l'entreprise, contrairement à ce qui est dit trop souvent, et
cela permettra l'application durable de l'avis du Conseil d'Etat relatif au
statut du personnel.
Les engagements du Gouvernement en matière de recrutement et de gestion des
personnels fonctionnaires sont respectés. La garantie des droits acquis en
matière de pension est totale, car c'est l'Etat qui finance les retraites.
D'ailleurs, le projet de loi tend à développer les possibilités de négociation
et de concertation dans l'entreprise. Il vise non seulement à maintenir le
niveau de représentation antérieur des personnels salariés au sein du conseil
d'administration, en renforçant les possibilités d'expression des intérêts du
personnel, mais aussi à valoriser la concertation au sein de l'entreprise aux
niveaux national et local et la politique contractuelle. Nous regretterons
toutefois l'absence d'indications s'agissant de la cohabitation des trois
catégories de personnel aux effectifs très inégaux que sont les fonctionnaires,
les contractuels de droit privé et les contractuels de droit public.
Comme je l'ai souligné la semaine dernière, la réforme du statut de France
Télécom se doit de garantir un service public du téléphone de qualité. Il nous
faut refuser tout amalgame entre entreprise publique, statut de fonctionnaire
et service public.
Pour le groupe des Républicains et Indépendants, la qualité de l'offre du
service public dépend, bien sûr, de la qualité du travail des hommes et des
femmes de l'entreprise mais aussi de la loi elle-même, du cahier des charges de
l'opérateur autorisé, après avis de la commission supérieure du service public
des postes et télécommunications, ainsi que de sa capacité à en supporter les
obligations. Enfin, l'observation des attentes des clients servira également de
contrôle.
Bien plus, la continuité du service public sera confortée par la limitation
prévue par le texte des droits de l'entreprise en matière de cession et
d'apports d'actifs.
En conclusion, la complémentarité des deux projets de loi relatifs aux
télécommunications permet de garantir l'exécution par France Télécom des
obligations de service public qui lui sont confiées aux termes de la loi de
réglementation. Aussi, nous soutenons l'adoption de cette nouvelle structure
juridique et capitalistique de l'exploitant public.
Le nouveau statut permettra à France Télécom d'affronter ses concurrents à
armes égales. En effet, la compétition mondiale rend aujourd'hui inévitable
l'élaboration de participations croisées et d'alliances stratégiques.
L'équilibre ainsi obtenu permet le maintien des droits acquis pour le personnel
et l'ouverture de droits nouveaux pour l'entreprise, tout en prenant en compte
les intérêts des contribuables et les moyens du service public.
Le groupe des Républicains et Indépendants souhaite donc que toutes les
dispositions financières soient retenues et, en particulier, que le montant de
la contribution forfaitaire exceptionnelle permette de présenter un bilan
d'ouverture du capital, gage de bonne santé future de la nouvelle entreprise
France Télécom.
Sur de telles bases, France Télécom pourra être le moteur essentiel d'une
compétition profitable à tous et à l'acteur de référence, fidèle à ses missions
de service public, dont la France et les Français ont besoin.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Trégouët.
M. René Trégouët.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le
Gouvernement peut avancer clairement, après des années d'incertitude, parce
qu'il a su distinguer les rôles et les responsabilités de chacun.
Le Gouvernement et le Parlement, la semaine dernière, ici même, ont créé une
autorité de régulation des télécommunications indépendante qui permet au
Gouvernement de ne pas perdre ses prérogatives régaliennes en matière de
service public.
Par ce texte, monsieur le ministre, sans ignorer que l'essentiel est dû aux
hommes qui travaillent dans l'entreprise, vous avez su tout à la fois séparer
ce qui relève de la négociation interne à l'entreprise ou de sa stratégie de
gestion de ce qui est de la responsabilité de l'Etat qui en a la tutelle, et
donner à l'entreprise les moyens de se battre à armes égales avec ses
concurrents, une liberté de manoeuvre, une souplesse nécessaire pour qu'elle
demeure un opérateur performant dans le secteur des télécommunications.
La première application de ce principe est la suivante : le Gouvernement a
décidé de ne pas retarder les adaptations concernant le statut dès qu'il a été
possible de prévoir un accord entre toutes les parties sur les règles du
jeu.
Comme il ne semble plus y avoir de divergences importantes, le Parlement peut
donc entamer aujourd'hui les adaptations nécessaires des textes législatifs.
Nous devrons, tout d'abord, modifier la loi du 2 juillet 1990 relative à
l'organisation du service public des postes et télécommunications et, en raison
d'un amendement voté par notre assemblée la semaine dernière, nous devrons
également modifier la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de
communication.
Nous nous engageons donc sur des textes existants, et il y aura non pas une
rupture brutale mais une réelle évolution vers le droit commun applicable aux
sociétés anonymes, tout en reconnaissant les spécificités de l'entreprise
France Télécom.
Il n'est cependant pas certain que le changement de statut ne sera pas
financièrement indolore pour France Télécom, même si nous partageons votre
conviction, monsieur le ministre, d'une accélération globale de ce secteur. Il
y aura, dans les prochains mois, un équilibre difficile à trouver, dont le
Parlement doit estimer les paramètres, les ratios entre la rigueur budgétaire,
la valorisation correcte de la société, le respect des indicateurs de bonne
gestion et, enfin, l'égalité de traitement des entreprises du secteur.
S'il reste, sur ces thèmes, beaucoup de questions à poser et à vous poser,
monsieur le ministre, c'est que le chapitre « Incidences financières » de
l'étude d'impact, longtemps attendu, est parfois - peut-être trop souvent -
insuffisant. Mais pouvait-on faire mieux dès à présent ?
Pour bien poser le problème, je voudrais rappeler quelle est la place de
France Télécom dans le monde.
En 1995, le marché mondial des télécommunications dépassait les quelque 600
milliards de dollars. C'est le chiffre d'affaires cumulé des cinquante premiers
opérateurs mondiaux. Si l'on ajoute les 400 milliards de dollars de l'industrie
informatique et les 430 milliards de dollars de l'industrie du logiciel - vous
savez que ces trois mondes vont être désormais étroitement liés - on arrive,
selon l'IDATE, à un chiffre global de 1 430 milliards de dollars pour
l'ensemble des technologies de l'information et de la communication, soit un
montant presque équivalent au PIB de la France.
En l'an 2000, ce chiffre d'affaires global des nouvelles technologies de
l'information et de la communication devrait dépasser les 2 000 milliards de
dollars et atteindre environ 6 p. 100 du produit mondial brut.
S'agissant des télécommunications, l'Amérique du Nord devance de peu l'Europe,
avec 34,5 p. 100 du marché ; l'Europe représente 32 p. 100 de ce marché
mondial, avec 161 milliards de dollars en 1994. Mais, en l'an 2000, sur un
marché mondial des télécommunications estimé à 710 milliards de dollars,
l'Europe devrait représenter 32,4 p. 100, c'est-à-dire quelque 230 milliards de
dollars, et l'Amérique du Nord 30,4 p. 100, c'està-dire seulement 216 milliards
de dollars.
A l'intérieur d'un marché européen de 230 milliards de dollars, l'Allemagne,
avec 56 milliards de dollars, représenterait 24 p. 100 du marché, suivie par la
Grande-Bretagne, avec 34 milliards de dollars et 14 p. 100 du marché, et la
France, avec 30 milliards de dollars et seulement 13 p. 100 du marché.
Les dix premiers opérateurs de télécommunications cumulaient, en 1994, un
chiffre d'affaires de 284 milliards de dollars. Cinq d'entre eux sont
américains - ils ont déjà été cités - et quatre sont européens. Chacun les
connaît, il s'agit de Deutsche Telekom, France Télécom, British Telecom et
Telecom Italia. Le premier des dix opérateurs est le géant japonais NTT, dont
le chiffre d'affaires - 72 milliards de dollars - représente le quart du budget
de la France.
L'explosion du marché des télécommunications, qui va croître de quelque 40 p.
100 d'ici à l'an 2000, passant de 500 milliards à 700 milliards de dollars, et
la déréglementation des télécommunications aux USA, après la loi du 2 février
1996 dont a parlé M. Larché, et en Europe suscitent des alliances stratégiques
mondiales non seulement dans le secteur des télécommunications mais également
dans les secteurs désormais connexes de l'informatique et de l'audiovisuel.
Je rappelle brièvement quelques grandes alliances qui ont été conclues ces
derniers mois, qu'il s'agisse de
Global One, Concert
ou
World
Partners.
Ces grands accords changeront fortement le paysage du monde des
télécommunications dans les prochaines années.
Voilà donc la position de France Télécom dans ce concert mondial. Comme l'a
fort bien dit M. le ministre tout à l'heure et comme l'a répété notre excellent
rapporteur, il faut donner toutes les chances à France Télécom de préserver sa
place dans cette difficile compétition.
Or, nous constatons que France Télécom - c'est important - avait une dette de
87,3 milliards de francs en 1995. Certes, celle-ci a été réduite de 9,5
milliards de francs lors du dernier exercice. Malgré tout, nous devons faire
très attention à l'endettement de France Télécom.
Il s'agit d'une entreprise capitalistique qui a un grand besoin de fonds
propres. Le poids de la dette est donc un handicap, et le désendettement doit
se poursuivre conformément à ce qui a été prévu dans le contrat de plan.
Il convient de réduire les frais financiers, qui s'élèvent actuellement à 5 p.
100. Ces frais sont certes inférieurs à ceux de Deutsche Telekom, mais la
structure de la dette des deux sociétés ne porte pas sur la même nature
d'actifs.
Il convient d'être très vigilants, d'autant que les frais financiers de
British Telecom sont nettement moindres, puisqu'ils n'atteignent que 2 p.
100.
Le ratio résultat net sur fonds propres pour notre opérateur national atteint
quelque 7 p. 100, soit un taux situé dans la moyenne des premières sociétés
françaises, ce qui devrait permettre notamment, toutes choses étant égales par
ailleurs, la constitution de réserves de participation.
Nous sommes encore en situation de monopole. Il ne faut donc pas fragiliser
France Télécom, qui est très performante. Elle doit le rester dans un contexte
qui sera encore plus difficile dans les années à venir.
Le projet de loi doit traduire des choix et des engagements forts de l'Etat et
donner des indications claires quant aux négociations qui ont été ouvertes.
Monsieur le ministre, vous avez su mener simultanément deux négociations
distinctes d'une part, entre votre ministère et l'ensemble des syndicats,
d'autre part - c'est tout à fait exemplaire - entre le responsable de
l'entreprise et les syndicats, selon une démarche nouvelle qui a reçu un fort
soutien du Premier ministre, qui a porté ses fruits et qui vous a permis de
prendre des engagements importants vis-à-vis du personnel.
Nous sommes donc conduits à inscrire deux types de dispositions dans le projet
de loi que nous examinons aujourd'hui.
Tout d'abord - c'est la base de votre engagement, monsieur le ministre - il
nous faut donner des garanties qui ne peuvent pas être remises en cause et qui
sont les plus assurées qui puissent être puisqu'elles sont données par l'Etat,
que ce soit en matière de statut ou de retraite, des garanties très claires et
qui confortent des droits acquis.
Ensuite, il s'agit de prendre des mesures totalement innovantes qui pourront
être le résultat d'une très large négociation quant à leurs modalités de mise
en oeuvre, mais qui seront seulement « listées ». Elles devront cependant
comporter une indication importante : le délai de bonne fin. A ce propos, notre
rapporteur et la commission des affaires économiques et du Plan ont décidé, dès
la semaine dernière, de compléter la liste.
Ces mesures totalement innovantes pourront également être précisées dans la
loi en raison de leur objet. Mais elles pourraient éventuellement être revues
après des expérimentations, par exemple en ce qui concerne l'expression
collective des intérêts du personnel.
L'évolution du rapport entre fonctionnaires et personnels sous contrat sera
lente. L'équilibre obtenu entre les organismes propres à la fonction publique
et ceux qui caractérisent une entreprise privée par la création d'un comité
paritaire paraît bon dans le contexte actuel.
Le Gouvernement saura - il faut l'espérer - écouter les propositions avant de
prendre le décret d'application, que ce soit à propos des attributions, des
modalités de fonctionnement ou de la composition du conseil
d'administration.
De même, si la loi ne remet pas juridiquement en cause les conventions
collectives de droit public ou privé de 1991 régissant le statut des personnels
contractuels, elle n'en interdit pas une relecture attentive au regard du
nouvel environnement de l'entreprise.
Enfin, la loi valorise la concertation et la politique contractuelle. Elle
maintient le niveau de représentation antérieur des personnels salariés au sein
du conseil d'administration, reconnaissant ainsi la spécificité de l'entreprise
en confortant les possibilités d'expression des intérêts collectifs du
personnel.
Le Gouvernement devrait donc gagner un difficile pari social.
Venons-en un instant à la cohérence avec la loi de réglementation des
télécommunications, qui fait de France Télécom l'opérateur public chargé du
service universel et des services obligatoires.
Tout d'abord, le projet de loi conforte la continuité de ses missions,
l'article 4 restreignant les droits de l'entreprise en matière de cession et
d'apports d'actifs. Par ailleurs, le projet de loi induit une adaptation du
cahier des charges et du contrat de plan afin de définir les obligations et les
moyens. Le cahier des charges devra être celui d'un opérateur supportant les
mêmes obligations, quelle que soit sa nature juridique, et la nature du contrat
de plan devra être redéfinie.
Enfin, le projet de loi transfère à l'Etat des missions d'intérêt général, à
savoir l'enseignement supérieur et la recherche publique. Le Sénat a déjà
débattu de ce point lors de la discussion de la loi de réglementation des
télécommunications.
J'en viens maintenant à l'interrogation fondamentale, selon moi : changer le
statut de l'entreprise - il suffit pour garantir sa bonne santé ?
Le projet de loi confère à France Télécom des atouts nouveaux.
Il est évident, sauf à faire de France Télécom une incompréhensible exception,
qu'il faut attribuer à l'entreprise un capital social et en prévoir
l'application à la date la plus rapprochée possible, soit au 1er janvier
1997.
Mais le projet de loi contient aussi des dérogations importantes aux règles de
gestion de la fonction publique, notamment en matière de départs anticipés -
nous aurions d'ailleurs souhaité l'adoption d'un amendement précisant : «
départs anticipés volontaires à la retraite » - départs qui donnent de la
souplesse à l'entreprise et lui permettent de mieux adapter le profil des
salariés aux métiers offerts et de recruter des jeunes.
L'accord sur l'emploi propre à France Télécom permettra aussi de mieux
organiser le temps de travail. C'est une large autonomie de gestion qui est
attribuée à France Télécom et qui doit favoriser, par la concertation interne,
son dynamisme et sa cohésion sociale.
Cependant, ces mesures, très positives dans leur esprit, ne doivent pas
entraîner d'effets fragilisant l'entreprise. France Télécom doit pouvoir
continuer à investir : d'abord, pour maintenir et développer la qualité du
service public ; pour offrir des services à la pointe du progrès au moindre
coût ; ensuite pour garder ses parts de marché et en conquérir ; enfin - il ne
faut pas l'oublier dans le contexte économique actuel - pour soutenir
l'activité de ses fournisseurs français. En effet, plus de 30 milliards de
francs de commandes potentielles dépendent de l'avenir de France Télécom.
C'est l'intérêt de l'Etat que d'avoir un opérateur fort.
Sa notation par les analystes financiers sera lourde de conséquences au moment
de convaincre les investisseurs de consolider les alliances par des
participations croisées, de pouvoir, le cas échéant, payer en actions des
accords croisés et de trouver des emprunts à bas taux.
Le budget de l'Etat trouvera des contreparties substantielles à ses charges
nouvelles, en tant qu'actionnaire, sous forme de dividendes, par la fiscalité
de droit commun et par les recettes attendues à l'occasion des cessions sur le
marché ou aux salariés de parts minoritaires du capital.
C'est l'intérêt de l'entreprise de développer l'actionnariat. En effet, la
présence d'actionnaires minoritaires lui donnera plus d'indépendance vis-à-vis
de l'Etat. Mais la mettra-t-elle totalement à l'abri d'éventuelles « ponctions
» imprévisibles, puisque l'Etat restera majoritaire ? Il faut tout de même
poser la question.
La pression du marché boursier sera un indicateur de gestion motivant,
permettant les comparaisons internationales.
Les actionnaires sont souvent des clients fidélisés.
Le personnel actionnaire se sent associé aux intérêts de son entreprise. La
loi utilise au maximum les possibilités offertes par la législation existante
en ce domaine, jusqu'à 10 p. 100 du capital.
S'ils peuvent s'organiser - il faut souhaiter que ce soit le cas, car,
actuellement, il existe quelque confusion sur ce terrain - les salariés
actionnaires pourraient être collectivement l'un des plus actifs actionnaires
minoritaires, étant probablement l'un des plus importants, collectivement
parlant.
Cela devrait être pris en compte lors de l'examen des statuts du conseil
d'administration, dans lequel ces salariés futurs actionnaires demandent dès à
présent que l'on envisage leur entrée privilégiée.
La commission des affaires économiques et du Plan du a pris l'initiative de
proposer de compléter l'article 7 par un amendement incluant, dans l'accord sur
l'emploi - ce titre semble mal choisi et mériterait peut-être une modification
de cohérence - un accord sur les conditions particulières accordées au
personnel pour l'attribution des actions qui lui seront proposées.
Bien qu'il existe un large éventail de possibilités pour encourager
l'actionnariat, il est peu probable que les salariés puissent souscrire jusqu'à
10 p. 100 du capital social. Il pourrait donc rester une marge pour accomplir
un geste significatif envers les retraités de France Télécom ne répondant pas
strictement aux exigences de la loi. Il est nécessaire de savoir si le
Gouvernement accepterait cette interprétation.
Pour atteindre ces objectifs, l'Etat doit valoriser l'entreprise en respectant
les règles du jeu à armes égales avec la concurrence : c'est ce que vous avez
dit, monsieur le ministre.
Pour respecter ces règles, il est prévu d'égaliser les charges fiscales et
sociales obligatoires de France Télécom avec celles qui s'appliquent aux
entreprises de droit commun opérant dans le secteur. Ainsi, France Télécom est
exemptée des cotisations chômage sur les salaires des fonctionnaires, en
contrepartie de l'obligation de garantir leur emploi.
Il subsiste également un autre problème que M. le rapporteur a rappelé tout à
l'heure et que M. le ministre a déjà évoqué en répondant, la semaine dernière,
à notre collègue M. Hérisson lors de l'examen d'un amendement à la loi de
réglementation des télécommunications. Il s'agit de l'affectation au budget de
l'Etat de la taxe professionnelle versée par France Télécom en vertu de
l'article 21-1 de la loi du 2 juillet 1990. Cela posera un problème au moment
de la transformation de France Télécom en société de droit commun.
Monsieur le ministre, vous vous êtes engagé à aborder cette question lors du
débat sur la réforme fiscale. Ne faudrait-il pas prendre acte de cet engagement
et l'inscrire dès maintenant dans le projet de loi ? Ce serait une bonne
décision pour nos collectivités.
Etant donné son poids sur la valorisation de l'entreprise et sur ses objectifs
en matière de lutte contre la concurrence, il faudra porter une attention
particulière à la rédaction du cahier des charges, défini par décret et qui
sera, à court terme au moins, unique. Il ne doit pas pour autant être différent
- comme cela a déjà été dit - de celui qui pourrait être imposé à un autre
opérateur du service universel.
Il faudra aussi traiter la question des départs anticipés, dont la mise en
place est à durée limitée, en considérant que France Télécom devrait pouvoir y
consacrer un montant équivalent aux actuelles provisions pour charges de
retraite, qui sont devenues sans objet.
Il faudra également traiter la question des retraites, de sorte que l'énorme
avantage donné par la loi tant au personnel qu'à France Télécom - en effet,
l'Etat garantit le paiement des pensions ainsi que le transfert de quelque 150
milliards de francs d'engagements bruts - ne soit pas fortement pénalisant pour
l'entreprise à court terme.
C'est le montant de la soulte exceptionnelle et unique qui devra sans doute
être fractionné. Il sera très discuté et pèsera très lourdement sur
l'endettement de France Télécom.
Monsieur le ministre, nous avons confiance dans la sagesse du Gouvernement
pour trouver un équilibre entre des enjeux divergents, comme il en a exprimé
l'intention dans l'étude d'impact. Le ministre de l'économie a déjà précisé à
l'Assemblée nationale qu'il appartiendra au Parlement de se prononcer,
finalement, lors de la présentation du projet de loi de finances pour 1997.
Il faut relever aussi, dans cette étude d'impact, la prise en compte, pour le
financement des pensions, de la recette budgétaire, comprise entre 70 milliards
et 100 milliards de francs, issue de la vente d'une partie du capital
social.
Nous arrivons à l'équation suivante : quelque 250 milliards de francs, qui
représentent la valeur actuarielle des pensions de retraite des fonctionnaires,
moins 100 milliards de francs de contribution libératoire versée dans le temps
par France Télécom, équivalent des charges sociales versées par les autres
entreprises, moins 70 milliards à 100 milliards de francs qui sont le montant
des ventes de parts sociales, égale la soulte.
Le résultat non écrit, sur lequel vous vous êtes prononcé, monsieur le
ministre, justifierait une soulte de quelque 50 milliards à 80 milliards de
francs - cela ne serait pas tolérable ! - alors que les provisions constituées
au 31 décembre 1996 par France Télécom sont estimées à quelque 22,5 milliards
de francs, compte non tenu du fait que ces provisions n'étaient pas déductibles
de l'impôt sur les sociétés durant les années de leur constitution. La valeur
de la contribution de France Télécom devrait donc être prise en compte pour
quelque 30 milliards de francs lors du transfert normal de ces provisions.
Il nous faut alors nous poser la question : est-ce le moment d'accroître
fortement l'endettement de cette entreprise dans le contexte international
auquel elle va être confrontée et, surtout, compte tenu du calendrier de mise
sur le marché d'autres grandes compagnies mondiales de télécommunications d'ici
à cette date ?
Il ne s'agit évidemment pas, quand nous parlons du versement d'une soulte,
même de 30 milliards de francs, d'une trésorerie disponible. Je rappelle
d'ailleurs que c'est sur cet article 5 que se sont abstenus les représentants
de la Cour des comptes lors du vote sur l'avant-projet de loi au Conseil
supérieur de la fonction publique.
Une bonne gestion imposerait de provisionner ces fonds. En février 1995, au
moment de la privatisation de la SEITA, le même problème s'était posé. La
contribution exceptionnelle de la SEITA alimente, depuis, un fonds géré par la
Caisse des dépôts et consignations.
Le bilan d'ouverture doit établir la valeur de l'entreprise sur des bases
saines dans le cadre d'une concurrence loyale. Il sera fortement marqué par
l'impact de cette soulte, qui ne devra être fixée qu'après une estimation
précise d'autres éléments de ce bilan d'ouverture.
Il est important, je crois, que nous nous arrêtions quelques instants sur
cette valorisation des actifs du bilan d'ouverture.
Il faut d'abord prendre en compte le transfert « gratuit » à l'Etat des biens
relatifs à l'enseignement supérieur estimés, dans l'étude d'impact, à 1,2
milliard de francs en valeur nette du patrimoine, ce qui conduit à
l'inscription de quelque 400 millions de francs de crédits de fonctionnement au
titre du projet de loi de finances pour 1997. Il convient de saluer cet
engagement, qui est important. Toutefois, il faut peut-être réserver notre
appréciation sur le montant et demander communication des résultats de
l'expertise en cours, qui a été confiée à l'inspection générale de La Poste et
des télécommunications, ainsi qu'à celle des finances, et sur laquelle,
monsieur le ministre, vous vous êtes d'ailleurs déjà fondé.
En ce qui concerne les personnels contractuels - je me tourne ici davantage
vers M. le rapporteur - qui ont été, par amendement du Sénat à l'article 16 du
projet de loi de réglementation des télécommunications, mis, pendant quatre
ans, à disposition de l'Etat - ce qui suppose habituellement un paiement des
salaires par France Télécom - une contradiction risque d'apparaître avec
l'article 1er, qui indique précisément que le transfert ne donne pas lieu à
versement de salaires. Il conviendra peut-être de prévoir le dépôt d'un
amendement au projet de loi de réglementation des télécommunications à
l'occasion de la réunion de la commission mixte paritaire.
Deuxième élément de la valorisation des actifs, la révision de la valeur de
ceux-ci, en particulier dans le domaine immobilier. Sur 230 milliards de
francs, la perte subie depuis 1990 pourrait être de 40 à 50 milliards de
francs. On peut se demander, comme la presse le fait déjà, où il convient
d'inscrire cette moins-value potentielle. Dans les comptes de 1996 ? Mais quel
serait alors, en cas d'explications insuffisantes, l'impact d'une image de
France Télécom en situation de perte ?
Troisième élément, le montant des provisions des engagements pour départs
volontaires anticipés à la retraite, entièrement à la charge de l'entreprise
nationale en vertu de la lettre de M. le Premier ministre au président de
France Télécom.
Pour que le bilan d'ouverture - je souhaite retenir votre attention un instant
sur ce point, monsieur le ministre - préserve la compétitivité de l'entreprise,
le montant de la soulte établi par le Parlement ne doit pas conduire à un ratio
dettes sur fonds propres supérieur à un. C'est l'engagement du respect de ce
ratio par le Gouvernement qui, aujourd'hui, nous rassurerait, car, à notre
avis, il est bien trop tôt pour évoquer un montant de la soulte en valeur
absolue, compte tenu des diverses inconnues que je viens de souligner.
En conclusion, je voudrais attirer votre attention, mes chers collègues, sur
d'éventuels risques de contradictions entre les deux lois en cours d'adoption,
conçues de manière à être complémentaires. La dernière adoptée l'emporterait.
Cependant, en cas d'ambiguïtés résultant de la transposition de dispositions de
droit communautaire, ce seraient probablement les dispositions du droit
communautaire dans la loi de réglementation des télécommunications qui
prévaudraient.
Enfin, je voudrais dire avec force qu'il est important de ne pas prendre le
risque de dénaturer cette bonne loi lors des arbitrages à venir dans un
contexte de lourde contrainte budgétaire.
Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui met en place une organisation
totalement innovante, qui doit donner confiance au personnel de France Télécom
en son propre avenir et dans la capacité de son entreprise à rester à un niveau
d'excellence.
Au nom du groupe du Rassemblement pour la République, qui partage cette
confiance en l'avenir, j'ai le plaisir de vous dire que nous vous apporterons,
monsieur le ministre, ainsi qu'au Gouvernement, notre total soutien.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet.
Vous avez dit tout à l'heure, monsieur le ministre, qu'il fallait choisir le
bon chemin. Effectivement, nous sommes à un croisement.
Hier, il y avait des croisements directs, les gens se rentraient souvent
dedans. Aujourd'hui, il y a des sens giratoires.
Monsieur le ministre, je crois que nous sommes précisément dans un sens
giratoire, ce qui permet de réfléchir, de ne pas prendre la mauvaise direction
et donc d'éviter l'accident.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Priorité à droite !
M. Jacques Machet.
Non ! à gauche, dans ce cas !
Nous ne devons pas perdre de vue que cette discussion s'inscrit dans une
réforme globale du secteur des télécommunications et, au-delà, d'une
modernisation des services publics.
Prolongement naturel de la loi de réglementation, qui ouvre le secteur à la
concurrence, ce projet de loi doit faire de France Télécom une entreprise
presque comme une autre, capable d'affronter un marché ouvert et en pleine
expansion.
L'exercice, avouons-le - cela a d'ailleurs été dit - est difficile. Pays à
forte culture de service public, la France n'a pas l'habitude de se séparer de
ses administrations, à plus forte raison lorsqu'elles sont efficaces.
Ainsi, je tiens à saluer, en cet instant, l'action du Gouvernement, sa
détermination, votre détermination, monsieur le ministre, votre courage, pour
transformer France Télécom en une société dotée d'un capital social. D'autres
auraient été tentés de remettre à plus tard, tant des résistances se sont
exprimées au cours des dernières années, plus encore des derniers mois et, il y
a peu, à cette même tribune.
Inutile de rappeler combien le changement de statut de France Télécom est un
dossier d'une extrême sensibilité sociale !
Si 1990 représente la fin des postes et télécommunications, c'est aussi l'acte
de naissance de France Télécom. Le projet de loi que vous nous soumettez,
monsieur le ministre, préfigure, quant à lui, l'émancipation de l'opérateur
national, une émancipation organisée et planifiée qu'il faut désormais faire
accepter totalement.
Depuis 1837, date à laquelle l'administration des télégraphes est érigée en
monopole, chaque réforme aura été dans le sens, d'abord d'une plus grande
autonomie, ensuite d'une plus grande libéralisation. De la constitution des PTT
à la création de deux établissements autonomes à caractère industriel et
commercial, La Poste et France Télécom ont cherché à suivre l'évolution du
marché.
Aujourd'hui, l'ouverture du secteur des télécommunications commande une
nouvelle évolution beaucoup plus profonde que par le passé.
Pourtant, grâce à la méthode que vous avez employée, monsieur le ministre,
cette évolution apparaît sans rupture brutale, ce que je disais au début. La
loi du 2 juillet 1990 demeure la base législative du secteur. La définition du
nouveau statut se fait dans le respect du droit commun, c'est-à-dire du droit
applicable aux sociétés anonymes.
Doter l'établissement public des mêmes armes que ses concurrents passe avant
tout par la constitution d'un capital social. Grâce à ce capital, l'entreprise
sera à même de trouver les partenaires à l'étranger et les financements
nécessaires à son expansion.
Cette perspective inquiète le personnel de l'entreprise, et c'est légitime.
Peur du changement - vous avez prononcé le mot, monsieur le ministre -, réflexe
de défense face à une situation incertaine, comparaison avec les exemples
étrangers sont autant d'attitudes qu'il nous faut, en votant ce texte, tâcher
de faire disparaître.
Les 40 000 licenciements chez AT&T lors de son démantèlement ont marqué
les esprits. Le cas qui nous intéresse est complètement différent. France
Télécom n'est pas dans la même situation que celle de son homologue américain
au moment de sa privatisation.
Depuis plusieurs années déjà, l'opérateur a fait l'apprentissage de
l'entreprise. Il a su diversifier ses services et ses tarifs, faire des efforts
de qualité sur l'ensemble de ses prestations.
Son bilan 1995 témoigne de sa bonne santé. Avec 9,2 milliards de francs de
résultats positifs, l'opérateur affiche des performances satisfaisantes et
légèrement supérieures à celles des autres monopoles européens. En revanche,
elles sont plutôt modestes au regard de celles des opérateurs évoluant dans un
environnement concurrentiel. Si la productivité de France Télécom est plus
élevée que celles des autres opérateurs européens en situation de monopole,
elle est quatre à cinq fois plus faible que celles des Américains.
Mais rien n'est immuable. En menant un travail important de réduction des
coûts, British Telecom et Deutsche Telekom pourraient être amenés à dépasser
France Télécom en termes de productivité du travail ou du capital. Voilà qui
plaide pour une modification du statut de l'opérateur national.
Parmi les vingt premiers opérateurs mondiaux, France Télécom est le seul - je
dis bien « le seul » - à ne pas être encore constitué sous forme de société
commerciale. De nombreux opérateurs ont été totalement privatisés, ou sont en
voie de l'être, comme Deutsche Telekom. Ce mouvement inquiète légitimement le
personnel de l'entreprise nationale.
Sur ce point, le Premier ministre a donné les garanties nécessaires.
N'affirmait-il pas, dès la mi-mars, que France Télécom resterait une entreprise
publique, sous forme de société détenue majoritairement par l'Etat, que les
agents, actuellement fonctionnaires, conserveraient leur statut ? Autant de
garanties aujourd'hui inscrites dans la loi. Et nous n'avons pas oublié la
volonté du Premier ministre d'inscrire dans la Constitution et dans le traité
de Rome la notion de service public.
Cette parade sera-t-elle utile du point de vue du droit interne et efficace
face au droit communautaire ?
Il nous faut préserver la cohésion sociale de l'entreprise, au nom de la
performance du service public.
Pour cela, il faudra résoudre le réel problème de la gestion de deux
catégories de personnels, fonctionnaires et contractuels, afin de garantir
l'équilibre interne de l'entreprise.
De la même façon, nous devrons veiller à ce que le problème des retraites soit
réglé dans de bonnes conditions. L'effort de désendettement de France Télécom
ne doit pas être freiné dans son élan par le versement anticipé à l'Etat d'une
trop forte contribution au titre des pensions. Dans votre intervention,
monsieur le ministre, vous venez de prendre des engagements à cet égard, avec
le soutien de M. le rapporteur.
D'autres questions demeurent en suspens : qu'en est-il du maintien de la
tutelle légale de l'Etat sur une entreprise de droit privé en situation de
concurrence ? Quel sera le rôle du contrat de plan dans le nouveau contexte
réglementaire et institutionnel ? Sera-t-il purement indicatif, monsieur le
ministre ?
France Télécom va devenir, au 31 décembre 1996, une entreprise de plein
exercice. Elle ne doit pas conserver un caractère hybride. Mon collègue M.
Pierre Hérisson avait attiré votre attention, la semaine dernière, sur le
caractère tout à fait anormal de l'affectation au budget de l'Etat, et non à
ceux des collectivités territoriales, des impôts locaux acquittés par France
Télécom. Avec le nouveau statut, cette situation injuste devra être réglée très
rapidement. Nous espérons que la réforme fiscale récemment annoncée impliquera
la prise de mesures que l'équité et la justice commandent.
Ne nous y trompons pas, le changement de statut n'est pas qu'une simple
adaptation technique ; c'est une réforme à caractère culturel dont nous ne
devons pas négliger les prolongements sociaux.
Un changement si profond appelle une volonté d'expliquer, et vous le faites,
monsieur Fillon, avec foi, avec conviction, avec psychologie.
Soucieux d'accompagner ce mouvement, le groupe de l'Union centriste vous
apportera son soutien, afin - comme vous l'avez affirmé - de choisir le bon
chemin en connaissant les engagements, les poteaux et les risques que cela nous
imposera à tous, qui que nous soyons.
Vendredi dernier, nous nous sommes rendus au Futuroscope, sur l'invitation de
M. le président du Sénat, qui nous y avait tous conviés. Quelle image, quelle
réussite ! Mais que de risques n'avez-vous pas pris, monsieur le président,
quand, voilà quelques années - vous aviez, vous, le projet dans la tête - vous
avez tout fait pour convaincre vos collègues !
Rien ne peut se faire sans une certaine foi, sans une forte volonté, n'est-ce
pas monsieur Jean François-Poncet, pour aménager le territoire.
En conclusion, je remercierai toutes celles et tous ceux du plus humble au
plus grand, qui ont permis ce rendez-vous pour préparer l'avenir de France
Télécom. A nous d'accompagner ce nouveau souffle qui va être ainsi lancé pour
la modernisation du service public.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Merci, monsieur Machet, de votre appréciation. Les hommes politiques sont
faits pour prendre des risques, et les sénateurs ne sont-ils pas, par
excellence, des hommes politiques ?
(Sourires.)
M. Jacques Machet.
C'est ce que je voulais dire !
M. le président.
La parole est à M. Charzat.
M. Michel Charzat.
Monsieur le ministre, j'ai lu avec attention le projet de loi que vous
présentez, au nom du Gouvernement, sur le statut de France Télécom.
Si l'on veut débattre sérieusement, il faut savoir si les avantages supposés
de cette réforme dépassent les effets néfastes de l'opération annoncée :
changer le statut, privatiser partiellement France Télécom est-ce utile pour
les usagers, pour le service public, pour notre pays ? Est-ce favorable à la
définition de nouveaux objectifs rendant l'avenir plus lisible et offrant à nos
concitoyens de nouvelles perspectives mobilisatrices ?
Chacun peut le constater, la France s'interroge, les français s'inquiètent,
l'économie stagne.
Pour sortir du marasme, beaucoup dépend de la confiance du pays. Or, tout
laisse à penser que le Gouvernement n'a pas compris l'inquiétude des
Français.
J'en veux pour preuve le recul de l'idée européenne depuis quelque temps, la
force du grand mouvement social de novembre et décembre 1995, la montée des
thèses et du vote d'extrême droite ; nos compatriotes, particulièrement les
plus démunis, envoient aux responsables politiques un message d'inquiétude et,
pour certains, d'angoisse.
C'est le résultat d'une évolution de la société qui renforce l'individualisme
et qui donne la primauté à l'argent et à la spéculation, au détriment du
travail et des valeurs de solidarité.
C'est vrai, certains phénomènes échappent aux gouvernants, comme la
mondialisation de l'économie, le développement considérable des communications
modernes, qui supprime les distances et permet de travailler avec n'importe qui
en n'importe quel point du globe en temps réel.
Mais d'autres phénomènes dépendent de nous, de vous en l'occurrence, puisque
vous représentez la majorité : la qualité des services publics, l'action de
déréglementation, la précarisation du travail, y compris dans le secteur
public, la détermination de règles du jeu et d'objectifs mobilisateurs, par
exemple.
Mesdames, messieurs de la majorité, en vous attaquant aujourd'hui à France
Télécom, demain peut-être à EDF-GDF ou à La Poste, vous contribuez à
déstabiliser la société française sur le plan économique et social et à
brouiller les repères.
L'enjeu de ce projet de loi n'est pas seulement le devenir de cette société
nationale, ce qui est déjà important ; il vaut également pour le pays tout
entier et pour le monde du travail, qui va subir les ondes de choc de vos
décisions. Il est un élément fort de l'essentiel national, pour parler comme
Michel Debré ; c'est un repère familier pour nos concitoyens ; c'est enfin, un
outil industriel majeur.
Vous me répondrez peut-être, monsieur le ministre, que l'opinion publique n'a
pas manifesté son désaccord avec la même force que pour le projet de réforme de
la protection sociale.
Mais, si tel est le cas, c'est parce que ce projet de loi apparaît sous son
côté technique et peut être ressenti - à tort - comme un problème catégoriel
par le citoyen.
Quant aux salariés de France Télécom, vous avez tenté de les apaiser avec
quelques mirages sociaux pour lesquels vous n'apportez aucune garantie
effective.
Malgré cela, ils étaient 45 p. 100 à faire grève, le 11 avril dernier, pour
refuser ce nouveau statut, et ce dans un contexte économique difficile pour de
nombreuses familles, et alors que les non-titulaires ne peuvent pas prendre le
risque de participer à ces mouvements.
J'en viens maintenant plus directement au contenu du projet de loi.
France Télécom est devenu, au fil du temps, un symbole de réussite pour la
nation : symbole de la réussite du service public, symbole de la haute
technologie française, symbole d'une qualité de travail des personnels,
symbole, enfin, de la capacité d'une entreprise nationale à relever les défis
de l'innovation et de la concurrence mondiale.
Aujourd'hui, vous voulez transformer la société en lui retirant son statut
d'exploitant public à caractère industriel et commercial pour en faire une
société anonyme, à compter du 1er décembre 1996. C'est la porte ouverte à la
privatisation d'ici à peu d'années.
Aussi, en choisissant de vous attaquer à ce fleuron de notre patrimoine
industriel public, vous prenez une lourde responsabilité.
Monsieur le ministre, vous avez tout d'abord retiré à la nation un patrimoine
d'une valeur considérable.
M. Philippe Marini.
C'est le contraire, on le valorise !
M. Michel Charzat.
France Télécom est le quatrième opérateur mondial des télécommunications.
C'est un service public qui fonctionne bien, qui est rentable et qui a dégagé
9,2 milliards de francs de bénéfices en 1995.
C'est un service public dont les usagers sont contents. Un songage a indiqué
un taux de satisfaction record de 92 p. 100 ! On ne peut guère faire mieux.
Monsieur le ministre, vous allez remettre en cause le principe fondamental de
l'égalité des usagers devant le service public. Demain, un abonné au téléphone
ne paiera pas le même prix de raccordement, d'abonnement ou de consommation
selon qu'il habitera une région plus ou moins dense, plus ou moins rurale.
M. François Fillon,
ministre délégué.
Vous n'avez pas lu le projet de loi !
M. Michel Charzat.
C'est déjà le cas en Grande-Bretagne, monsieur le ministre,...
M. François Fillon,
ministre délégué.
Ce ne sera pas le cas en France !
M. Michel Charzat.
... où, dans les mêmes conditions, un Londonien paie un tiers plus cher pour
appeler la petite ville de Boston, située à cent cinquante kilomètres de la
capitale, que pour appeler Birmingham, qui est à la même distance.
M. François Fillon,
ministre délégué.
Je le répète, ce ne sera pas le cas en France !
M. Michel Charzat.
Ainsi, une entreprise privée de télécommunications sans obligation de service
public pourrait offrir ses services sur des liaisons très fréquentées à faibles
tarifs, car les infrastructures seraient évidemment vite amorties. En revanche,
sur les lignes moins utilisées, les consommations seraient plus élevées, car
l'amortissement de l'investissement serait plus long.
Par ailleurs, comment allez-vous garantir une égalité d'accès aux services
avec le « saucissonnage » du service public en trois : un service universel,
des services obligatoires et des missions d'intérêt général ? Seuls les prix du
service universel seront surveillés par l'Etat, les autres services ayant des
tarifs libérés des contraintes du service public.
Monsieur le ministre, vous allez également précariser la situation des
salariés et des retraités.
M. Philippe Marini.
C'est une plaisanterie !
M. Michel Charzat.
Contrairement à vos affirmations, mon cher contradicteur, France Télécom
n'embauchera pas, en tout cas pas assez pour compenser les départs à la
retraite et les suppressions de postes. Le solde sera évidemment négatif. M. le
rapporteur n'indiquait-il pas des suppressions d'emplois, d'ici à l'an 2005, de
l'ordre de 30 000 ?
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Vous l'aviez vous-même prévu !
M. Michel Charzat.
En revanche, nous allons assister à une précarisation du travail, avec
l'embauche de nombreux contractuels de droit privé. La Poste, hélas ! a déjà
donné le mauvais exemple en la matière puisqu'un quart des membres de son
personnel ne sont pas ou ne sont plus titulaires.
Par ailleurs, les retraités de France Télécom ont de quoi « se faire du
mauvais sang » pour le devenir de leur retraite. La création de la nouvelle «
contribution forfaitaire exceptionnelle » permettant de provisionner les droits
acquis des actuels pensionnés sera versée au budget de l'Etat sans aucune
garantie quant à sa destination définitive. Par ailleurs, elle va obliger
France Télécom à inscrire à son bilan un passif de l'ordre de 50 milliards de
francs !
Monsieur le ministre, je constate également que la représentation du personnel
sera hors du droit commun.
D'abord, elle sera dérogatoire aux règles de représentation en vigueur dans le
secteur public comme dans le secteur privé. Vous créez, en quelque sorte, un
nouvel organe spécifique à cette entreprise et vous n'assurez même pas le
minimum que garantissent les dispositions du code du travail en matière
d'association des représentants du personnel sur les questions relatives à
l'organisation, à la gestion, à la marche générale de l'entreprise et aux
modifications de l'organisation économique et juridique.
Pour justifier vos projets, vous invoquez, monsieur le ministre, des
nécessités d'adaptation face à la construction européenne, au marché
mondial.
Bien sûr, vous brandissez l'alibi, j'allais dire l'épouvantail, de l'Europe et
de la construction européenne, qui cache certains choix que vous ne souhaitez
pas expliciter. D'ailleurs, je vous demande, monsieur le ministre, de bien
vouloir donner au Sénat les références des textes officiels de l'Union
européenne demandant ou suggérant la privatisation des services publics.
M. François Fillon,
ministre délégué.
Je dis le contraire depuis le début !
M. Michel Charzat.
Je vous souhaite bon courage, car il n'en existe pas, et vous le savez comme
moi. Ni le traité de Maastricht ni les directives européennes sur les
télécommunications ne demandent la privatisation de ce secteur.
M. François Fillon,
ministre délégué.
Je dis cela depuis des mois !
M. Michel Charzat.
Monsieur le ministre, vous savez comme moi que le statut actuel de France
Télécom nous permet d'être présents sur les marchés européen et mondial.
C'était précisément une des motivations de l'adoption du statut des
établissements publics à caractère industriel et commercial, les EPIC, statut
qui fut adopté en juillet 1990. Il s'agissait de donner à France Télécom les
moyens de son développement. D'ailleurs, et cela a été relevé par de nombreux
orateurs qui m'ont précédé, la société a, depuis 1990, conclu de nombreux
contrats à l'étranger.
Citons les prises de participations au Mexique ou en Argentine, l'entrée
conjointe dans le capital de Sprint aux Etats-Unis, la nouvelle alliance avec
Deutsche Telekom en Allemagne.
Peut-être s'agit-il, dans l'esprit du Gouvernement, de préparer une éventuelle
fusion avec un groupe européen. Si telle est l'intention, il faut l'exprimer
clairement et maintenant, avant les élections législatives. La démocratie
l'exige.
J'ajoute que toute grande réforme statutaire doit se faire dans le cadre d'une
politique à long terme. Quelle est votre politique industrielle, monsieur le
ministre, dans le cadre européen et mondial en matière de télécommunications
?
Avez-vous une stratégie ? « Avez-vous une vision ? Quels sont vos objectifs ?
Nous n'en savons rien. On va privatiser partiellement, on va changer un statut
: pour quoi faire ? Si on ne définit pas des objectifs, on risque de rendre
inopérants les moyens.
Mais peut-être n'êtes-vous animé que par la volonté de mettre sur le marché
des capitaux un service public rentable, tentant de vous procurer ainsi
quelques expédients budgétaires !
Je rappelle que, avec le statut actuel, issu de la réforme de juillet 1990,
France Télécom a pu concilier missions d'intérêt général et performances
économiques. Il s'agissait de refuser le faux antagonisme entre modernisation
et solidarité. Il s'agissait de refuser l'opposition fallacieuse entre logique
entrepreneuriale et service public.
Avec La Poste, France Télécom a obtenu une autonomie juridique et financière
qui l'a libérée de la tutelle, il est vrai parfois tatillonne, de l'Etat. De
nouveaux rapports ont été institués ; un contrat a été passé entre l'Etat et
chacun des deux établissements publics à caractère industriel et commercial.
Certes, il faut sans cesse réactualiser les termes du contrat pour s'adapter à
l'évolution de notre société. Mais faut-il pour autant renoncer à une politique
contractuelle et lui préférer les caprices du marché, la dictature du court
terme ?
Je remarque d'ailleurs que cette dictature du court terme est aujourd'hui
remise en cause, notamment aux Etats-Unis, par de nombreux acteurs économiques
qui considèrent que l'économie a besoin d'une certaine pérennité, que les choix
du marché sont souvent aveugles et conduisent à un certain nombre de décisions
à courte vue.
Monsieur le ministre, votre réforme de France Télécom est-elle seulement utile
pour les usagers et pour les salariés ?
Les usagers verront-ils les tarifs baisser ? Poser la question, c'est y
répondre. Comme vous le savez, l'Etat impose actuellement à France Télécom de
baisser ses tarifs en moyenne de 3 p. 100 par an par rapport aux prix à la
consommation, pour permettre aux usagers de bénéficier de la hausse, très
réelle, de la productivité du service public. Cela représente à peu près 4
milliards de francs par an, au bénéfice des usagers.
En revanche, si France Télécom est contrôlée ou, plus exactement, influencée
par des actionnaires privés, on imagine mal que ceux-ci puissent réduire
d'eux-mêmes leurs bénéfices. Au contraire, on peut craindre que la situation de
quasi-monopole qui sera la leur pendant quelque temps ne les conduise à
rechercher une gestion « dynamique » des tarifs.
Puisque les usagers ne gagneront rien sur les tarifs, auront-ils au moins
droit à une meilleure qualité de service ?
Mes chers collègues, vous le savez comme moi, le réseau français est l'un des
plus performants du monde. Il est le premier réseau numérisé. Il utilise une
technologie de pointe qui offre une grande fiabilité, une grande qualité de
service et qui autorise les services à la carte.
La France est en tête de tous les grands pays de l'OCDE pour la fiabilité dans
l'usage des réseaux téléphoniques. Comme je le rappelais tout à l'heure, la
satisfaction est réelle : 91 p. 100 de nos concitoyens portent une appréciation
positive sur les télécommunications.
Bien sûr, il faut maintenir l'effort. Or, en fragilisant l'entreprise, en
rendant plus difficile la définition d'objectifs mobilisateurs, monsieur le
ministre, vous allez vous heurter nécessairement à des obstacles, à des
réticences, à un certain nombre de lourdeurs, à des effets pervers, qui vont
nuire à la nécessaire adaptation du service public.
Si cette réforme n'est pas faite pour les usagers, peut-être est-elle destinée
au personnel de l'entreprise ?
Mais croyez-vous que cette privatisation rampante va créer une dynamique
positive dans les équipes ? Je crois, au contraire, que cette réforme va
susciter, et suscite déjà une profonde inquiétude chez les personnels, qu'elle
va casser la dynamique sociale existant dans ce grand service public depuis
quelques années. Elle va briser des rapports sociaux fondés sur le dialogue.
Il est de notoriété publique que, parmi les partisans du changement de statut,
on trouve de nombreux responsables favorables à l'abandon progressif du statut
de fonctionnaire. Cependant, tant que vous ne saurez pas « recaser » les 150
000 agents de France Télécom, vous ne pourrez descendre sous la barre des 51 p.
100, qui constitue le seuil légal de la maîtrise du capital et qui confère donc
le statut de service public. A moins que vous ne changiez, à l'avenir, le
statut de la fonction publique !
M. le président.
Monsieur Charzat, je suis obligé de vous signaler que vous avez épuisé le
temps de parole du groupe socialiste. Je vous accorde encore trois minutes.
M. Michel Charzat.
Merci, monsieur le président.
En revanche, ce seuil de 51 p. 100 freinera le développement de l'entreprise
en rendant difficile toute augmentation de capital, à moins que l'Etat ne joue
le rôle de l'actionnaire ambitieux et patient qu'il ne veut plus jouer par
ailleurs.
Vous condamnez donc France Télécom, en attendant une véritable privatisation,
à une stagnation, c'est-à-dire, en matière économique, à une forme de
régression.
D'ailleurs, compte tenu de l'importance du dossier, pourquoi ne pas avoir
organisé un grand débat avec le personnel de l'entreprise, comme celui qui fut
organisé en 1990 ? Pourquoi cette précipitation ? Jugez-en plutôt : le 29 mai,
le projet de loi est soumis au conseil des ministres ; une semaine plus tard,
il est examiné au Sénat, d'abord en commission, puis, la semaine suivante, en
séance publique. Bref, nous sommes confrontés à un véritable sprint, qui
souligne votre volonté de passer en force, sans véritable consensus.
Pourquoi, monsieur le ministre, ne pas avoir associé à votre choix le Conseil
économique et social ? Pourquoi ne pas avoir sollicité les avis du Haut Conseil
du secteur public ? Il se trouve que j'ai présidé cette instance pendant
plusieurs années. A l'époque, chaque fois que le Gouvernement voulait modifier
les conditions de gestion du secteur public, il en informait cet organisme
compétent. Bref, vous êtes passé en force, sachant que votre dossier présentait
de hauts risques politiques.
Monsieur le ministre, il ne faut pas jouer avec le service public. Le service
public exprime la solidarité et la cohésion de la nation.
La privatisation de France Télécom participerait d'une remise en cause des
fondements de notre société et d'une banalisation de cette exception française
dont a parlé excellemment mon collègue Jean-Luc Mélenchon.
Je constate que vous ne prenez pas le bon chemin. Sachez, monsieur le
ministre, que, dans d'autres circonstances, une nouvelle majorité saura
maintenir ou réintégrer France Télécom dans le service public,...
M. Philippe Marini.
La renationaliser ?
M. Michel Charzat.
... car nous ne considérons pas que le processus soit irréversible.
M. Philippe Marini.
Nous sommes heureux d'apprendre que vous allez renationaliser France Télécom
!
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Ils ont fait deux communiqués différents !
M. Michel Charzat.
Eh bien, monsieur Marini, les Français se prononcerons en toute clarté. Nous
leur proposerons le choix que vous leur refusez aujourd'hui, préférant adopter
une démarche à la fois subreptice et hâtive.
Mes chers collègues, gardons nos valeurs et nos atouts : les Français sont
attachés au service public et la France a besoin d'un grand secteur public,
moderne, performant et dynamique.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je crois que
je ne vous surprendrai pas en disant que je suis bien loin de souscrire aux
propos que je viens d'entendre.
Je trouve même que nos collègues de l'opposition ont la mémoire assez courte,
car ce que nous faisons aujourd'hui résulte de qu'ils ont fait en juillet
1990.
M. Michel Charzat.
Pas du tout !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Défendez vos idées, ne travestissez pas les nôtres !
M. Philippe Marini.
En 1990, on est passé d'une logique administrative à une logique
d'entreprise...
M. Michel Caldaguès.
Bien sûr !
M. Philippe Marini.
... et, aujourd'hui, on se borne à réaliser l'évolution nécessaire.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Ben voyons !
M. Philippe Marini.
Comme l'a très justement dit notre rapporteur dans son remarquable travail
publié voilà peu, il s'agit, non pas encore d'une réelle privatisation, mais
d'une « sociétisation ». Je ne sais pas si ce néologisme serait approuvé par
l'Académie française, mais au moins a-t-il le mérite de dire clairement ce
qu'il faut dire,...
M. Michel Charzat.
Il ne dit rien du tout !
M. Philippe Marini.
... à savoir la nécessité de sortir de la situation totalement originale dans
laquelle se trouve France Télécom.
Mes chers collègues, dans le document écrit qui a été diffusé par la
commission - Jacques Machet l'a rappelé lui aussi - figure un tableau
comparatif des statuts des vingt premiers opérateurs mondiaux dans le domaine
des télécommunications. La France ne peut pas avoir raison toute seule ! Car
nous sommes actuellement les seuls à avoir un opérateur qui demeure un
établissement public de l'Etat, un élément imbriqué dans le fonctionnement même
de l'Etat.
Ce qui est proposé dans ce projet de loi, c'est, je le répète, une évolution.
Nous tirons les enseignements du travail tout à fait remarquable effectué par
l'opérateur public France Télécom depuis 1990, sous la présidence de M. Marcel
Roulet et avec le statut d'opérateur public.
Si, monsieur le ministre, vous êtes aujourd'hui en mesure de nous proposer ce
texte, c'est parce qu'un certain nombre de préalables ont été levés.
D'abord, on a fait la clarté sur les comptes. On a désigné une commission qui
a évalué le patrimoine de France Télécom. En 1990, il n'y avait pas réellement
de bilan de France Télécom, et encore moins de bilan consolidé.
Il a fallu plusieurs années pour apprécier la valeur des actifs et pour
diffuser des comptes établis selon les principes généralement appliqués aux
entreprises du secteur concurrentiel. Ce fut un travail considérable.
Sur un autre plan, une remise en ordre tout aussi complexe a pu avoir lieu :
le reclassement complet des personnels. En effet, on a été en mesure de
reclasser l'ensemble des fonctions et des qualifications. Cela s'est fait dans
la négociation, par la concertation.
On est ainsi insensiblement passé d'une logique administrative, qui prévalait
avant 1990, à une logique d'entreprise, qui est la réalité aujourd'hui.
Une telle entreprise ne peut, à l'évidence, être immobile. Elle se jauge par
rapport à son environnement international et doit se préparer non seulement à
la compétition de 1998 mais aussi à des alliances et à des accords
internationaux.
Pour cela, il est indispensable de se présenter comme une entreprise
concurrentielle doit le faire habituellement, avec son bilan, son compte de
résultat, et en faisant la preuve de sa compétitivité.
Monsieur le ministre, l'évolution que vous nous proposez est attendue par
certains d'entre nous depuis quelque temps. Vous savez que le groupe du
Rassemblement pour la République vous apportera son total soutien dans la
transformation que vous entreprenez.
Je voudrais, maintenant, monsieur le ministre, insister sur un point
particulier.
Je suis très attaché à une gestion rationnelle de son patrimoine par l'Etat.
L'intérêt patrimonial de l'Etat est, dans l'opération que vous nous proposez,
un paramètre essentiel. Nous devons donc nous mettre en position de valoriser
au mieux les 49 p. 100 qui seront cédés.
Je suis tout à fait sensible, à cet égard, aux développements que René
Trégouët a consacrés à l'équilibre du bilan de l'entreprise. Il ne faudrait pas
que des considérations budgétaires immédiates, que je peux au demeurant
comprendre, viennent s'opposer à l'intérêt patrimonial réel de l'Etat, qui peut
porter sur des enjeux encore beaucoup plus importants.
Nous allons vraisemblablement assister à une opération qui prendra place sur
le marché international où interviennent des opérateurs de télécommunications
après celle que l'Allemagne va réaliser. Il faut donc que nous soyons
particulièrement convaincants pour bien mettre en valeur les actifs que nous
allons offrir aux souscripteurs.
De ce point de vue, il importe que les équilibres « bilanciels » de
l'entreprise puissent inspirer la plus grande confiance.
L'intérêt patrimonial de l'Etat commande, à l'évidence, la mutation que vous
nous proposez, car, même si l'on raisonne aujourd'hui sur des valeurs
extrêmement importantes - les plus élevées, sans doute, avec celles que
représente Electricité de France, au sein de l'actuel secteur public - il faut
avoir conscience que de telles valeurs sont sans doute beaucoup plus volatiles
qu'on ne pourrait le croire. En effet, tout dépend de l'approche du marché,
tout dépend de la compétition, tout dépend du succès avec lequel sera affronté
l'après-1998.
La décision que vous nous proposez, monsieur le ministre, est donc une
décision urgente, et je me réjouis que ce projet de loi soit soumis à notre
assemblée quelques jours après celui qui établit les règles du jeu du secteur
des télécommunications. Maintenant, nous savons dans quel cadre il est possible
de travailler.
L'Etat devait faire la clarté sur ses relations avec France Télécom, car, pour
inspirer confiance et pour inciter des partenaires à venir s'associer à cette
entreprise, encore faut-il qu'il y ait des distinctions bien tranchées entre
l'Etat et l'entreprise. C'est ce que vous faites en matière de gestion des
questions sociales, de statuts du personnel et de financement des retraites. Ce
préalable était indispensable, et je voudrais saluer l'effort qui est entrepris
pour aboutir à cette solution.
En conclusion, monsieur le ministre, j'ai la conviction que cette mutation est
de l'intérêt de l'entreprise elle-même. Or, l'intérêt de l'entreprise rejoint
celui de l'Etat, et ces deux intérêts conjugués rejoignent celui des salariés,
puisque ceux-ci bénéficieront de la mobilisation de cette entreprise, à la
veille de l'ouverture complète à la concurrence du secteur des
télécommunications au 1er janvier 1998.
Aussi, puisque j'entendais parler tout à l'heure de précarité, je voudrais
retourner cet argument et dire à ceux qui l'ont employé que l'entreprise
précarisée serait assurément celle qui refuserait d'évoluer et qui ne se
placerait pas dans les conditions, peut-être cruelles mais inéluctables, de la
compétition.
La meilleure façon, mes chers collègues, de compromettre l'emploi dans le
secteur public, notamment au sein de France Télécom, et le devenir des salariés
consiste à les enfermer dans un cadre que plus aucun pays ne connaît et qui,
par les contraintes qu'il comporte, empêche l'entreprise d'évoluer.
Cette entreprise, vous nous la proposez. Elle va se réaliser, je l'espère,
très rapidement et vous pouvez être assuré, je le répète, monsieur le ministre,
du soutien total du groupe du Rassemblement pour la République pour cette
nécessaire mutation.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Monsieur le ministre, la commission devant se réunir pour examiner les
amendements, je vous propose de renvoyer la suite de la discussion à la
prochaine séance.
M. François Fillon,
ministre délégué.
J'en suis d'accord.
6