M. le président. Je suis saisi d'une motion n° 18, présentée par Mme Luc et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, et tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi relatif à l'entreprise nationale France Télécom (urgence déclarée) (n° 391, 1995-1996). »
Je rappelle qu'en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Luc, auteur de la motion.
Mme Hélène Luc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a soixante ans, le Front populaire triomphait. Le peuple, enfin, intervenait sur le devant de la scène.
Il y a cinquante ans, la France se dotait d'une constitution précédée d'un préambule qui, faisant écho à la Déclaration des droits de l'homme de 1789, inscrivait au sommet des normes juridiques les idéaux de 1936 et de la Résistance.
Ainsi, les droits de la femme, la lutte contre le racisme, le droit syndical et le droit de grève, le droit à la santé, à l'éducation et à la culture, notamment, se trouvèrent solennellement établis.
Le préambule de la constitution de 1946 précise également que « tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir propriété de la collectivité. »
C'est ce qui fonde l'appartenance au secteur public d'entreprises telles qu'EDF-GDF, la SNCF ou encore - et cela nous intéresse tout particulièrement aujourd'hui - France Télécom.
Pourtant, monsieur le ministre, votre objectif est clair : vous souhaitez ouvrir en grand les vannes de la libre concurrence, au mépris de l'intérêt général, au mépris des droits des usagers et des salariés, au mépris du rôle que jouent de grandes entreprises comme France Télécom, qui font notre fierté, dans l'aménagement du territoire.
Ce texte, adopté le 29 mai en conseil des ministres et soumis dans la foulée au Parlement, en urgence qui plus est, constitue la suite logique du texte d'inspiration directement européenne que la majorité du Sénat a adopté sans sourciller voilà quatre jours et qui ouvre les télécommunications à la concurrence, suivant le strict credo libéral.
Cette suite logique, c'est l'amorce du processus de privatisation d'une entreprise, France Télécom, qui, par sa force même, dresse un obstacle trop important pour les grandes multinationales comme Bouygues.
Je tiens à affirmer d'emblée que c'est effectivement le processus de privatisation de France Télécom qui est ainsi engagé, car il ne faut pas leurrer les Français ; il faut appeler les choses par leur nom !
L'ouverture du capital aux intérêts privés, à hauteur de 49 p. 100, relève d'une grande hypocrisie. Quelles garanties apportez-vous, monsieur le ministre, pour que France Télécom ne connaisse pas, demain, le sort qui est aujourd'hui celui de Renault ? Renault aussi a connu, dans un premier temps, une ouverture de son capital dans une proportion minoritaire. Mais la logique libérale a prévalu, entraînant la privatisation de la grande entreprise automobile qui était devenue propriété de la nation à la Libération.
Dès le 18 mai, M. Alain Juppé avait indiqué au président-directeur général de France Télécom, dans une lettre de mission, que le Gouvernement avait « décidé la réforme du secteur des télécommunications pour s'adapter aux évolutions technologiques, économiques et juridiques ».
Ainsi, ce sont ces évolutions qui imposeraient de dessaisir la collectivité de ses biens ! Seul le secteur privé serait à même d'apporter la modernité ! C'est précisément ce que nous contestons.
Il s'agit d'une véritable insulte aux dizaines de milliers de salariés qui ont fait de France Télécom l'une des toutes premières entreprises mondiales sur le plan de l'initiative technologique et économique, comme l'a si bien expliqué mon ami Claude Billard.
France Télécom est une entreprise qui marche, une entreprise qui crée - il suffit de songer au travail du CNET - une entreprise qui a le souci de l'intérêt général.
A qui ferez-vous croire, monsieur le ministre, que l'intervention massive de Bouygues et consorts sur le marché des télécommunications respectera les missions de service public, le souci primordial de l'intérêt général ?
Il suffit de voir à quoi cela a abouti dans le domaine de l'audiovisuel : à un véritable massacre culturel, les chaînes de télévision se trouvant entraînées dans une spirale qui n'obéit qu'à une règle, la libre concurrence, et ne vise qu'un but, le profit financier.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ont une position claire. Ils refusent qu'un pan entier de notre économie, vital pour la nation et son peuple, soit soumis à la seule loi de l'argent.
Bouygues détruit la télévision. Il est du devoir du Parlement de l'empêcher, ainsi que les autres multinationales, notamment américaines, de nuire dans le domaine des télécommunications.
Nous nous opposons catégoriquement à la mise en cause par ce texte du principe de la nationalisation de France Télécom, posé par le préambule de la Constitution de 1946.
Ce principe est si fort que M. le rapporteur a dû se livrer, sur ce point, à un véritable tour de passe-passe intellectuel.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Merci, madame !
Mme Hélène Luc. Vous n'avez pas à me remercier, monsieur le rapporteur !
Après avoir rappelé, à la page 9 de votre rapport, les termes du neuvième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, que j'ai moi-même cité tout à l'heure, après avoir réaffirmé l'appartenance incontestable de ce préambule ou bloc de constitutionnalité qui domine aujourd'hui l'échelle des normes juridiques de notre pays, vous indiquez ensuite : « Or il est clair que, dans le cadre de la nouvelle réglementation des télécommunications, France Télécom aura, à la fois, le caractères d'un service public national, puisqu'elle sera seule à assurer le service public téléphonique, et, pour un temps indéterminé, d'un monopole de fait. »
Et vous concluez un peu plus loin : « Dans ces conditions, la fixation à 51 p. 100 de la part du capital de France Télécom conservée par l'Etat prémunit contre le risque de non-conformité de ces dispositions à valeur constitutionnelle. »
Cette dernière affirmation, monsieur le rapporteur, est totalement gratuite. Vous tentez, en martelant votre point de vue, d'éluder le fait que toute entreprise du type de France Télécom doit, selon le préambule de la Constitution de 1946, devenir la propriété de la collectivité. Votre tour de passe-passe est évident !
Ce que vous souhaiteriez voir inscrire dans le texte constitutionnel, c'est la notion de propriété partielle ou majoritaire de la collectivité.
Le neuvième alinéa du préambule autorise-t-il la cession de 49 p. 100 de la propriété collective d'un monopole de fait ou d'un service public national ? Cette question est, pour nous, fondamentale, et nous estimons que la commission des lois aurait dû être consultée sur ce point.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen estiment, quant à eux, que la propriété de la nation doit rester pleine et entière. Ce point de vue a une valeur au moins égale à l'interprétation audacieuse de M. le rapporteur, qui tente en fait de passer outre la notion de « services publics constitutionnels » instituée par le Conseil constitutionnel dans sa décision des 25 et 26 janvier 1986 relative à la loi d'habilitation en matière de privatisation.
Comme l'indiquaient les professeurs Louis Favoreu et Loïc Philip, qui commentaient cette décision, selon le Conseil constitutionnel, les services publics nationaux insusceptibles de privatisation sont uniquement ceux dont « la nécessité découle de principes ou de règles de valeur constitutionnelle ». Ils précisaient que, si l'activité considérée constitue « un monopole de fait, la privatisation est également exclue ».
Monsieur le rapporteur, le transfert de 49 p. 100 du capital d'une entreprise nationale peut-il être qualifié par d'autres termes que ceux de privatisation partielle ?
M. Gérard Larcher, rapporteur. Eh oui !
Mme Hélène Luc. Cessons de jouer sur les mots alors que le sort de dizaines de milliers de salariés et l'avenir des usagers sont en jeu et que l'indépendance nationale dans un secteur aussi sensible est en péril. Des auditeurs ont abordé ce sujet hier soir sur France Inter. J'ignore si vous les avez écoutés, mais, pour ma part, j'ai été très sensible à leur argumentation.
L'absence de dispositions garantissant l'indépendance sera le second grief que je soulèverai pour démontrer l'inconstitutionnalité de ce projet de loi, monsieur le ministre.
La décision des 25 et 26 juin 1986 indique en effet, dans son soixante et unième paragraphe, que l'indépendance nationale doit être préservée en matière de privatisation.
Le professeur Jean Rivero soulignait « qu'un dernier impératif, dont le caractère constitutionnel est si évident qu'il n'a pas besoin de s'appuyer sur un texte, s'impose aux rédacteurs de l'ordonnance : le respect de l'indépendance nationale qui exige des précautions contre la mainmise d'intérêts étrangers sur les entreprises dont dépend en partie le développement de l'économie française ».
Il faut rappeler, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, que c'est l'absence de mesures relatives à l'indépendance nationale qui avait motivé en 1986 le refus de signature de l'ordonnance de privatisation par le Président de la République, le gouvernement de M. Chirac devant rédiger et faire voter une nouvelle loi incluant, cette fois-ci, des dispositions protectrices.
Ce n'est pas parce que la privatisation demeurera partielle que les intérêts étrangers ne pourront pas mettre progressivement en cause l'indépendance nationale, dont de toute évidence le secteur des télécommunications constitue un élément important. Or, monsieur le ministre, aucune disposition dans votre projet de loi n'apporte de limite à l'intervention future des capitaux étrangers.
Nous estimons qu'un troisième motif de rejet pour non-conformité à la Constitution, et non des moindres, existe : il s'agit de la question de l'indemnisation.
La décision des 25 et 26 juin 1986, précitée, a établi sans ambiguïté qu'une privatisation devait être accompagnée d'une indemnisation « juste et préalable » du propriétaire, c'est-à-dire l'Etat.
Le Conseil constitutionnel a rappelé de manière détaillée et directive que toute loi de privatisation devait prévoir en son sein un mécanisme d'évaluation du prix du transfert du secteur public au secteur privé afin d'éviter toute cession en-dessous de la valeur réelle.
Nous constatons - et M. le rapporteur ne manquera pas de nous apporter des précisions sur ce point - que le présent projet de loi n'aborde que de manière indirecte cette question en évoquant un bilan d'ouverture du capital. Il s'agit sans contestation possible d'un troisième motif d'inconstitutionnalité de ce projet de loi.
Enfin, nous estimons - et ce sera le quatrième et dernier motif d'inconstitutionnalité - que la compétence conférée par l'article 10 à l'assemblée générale des futurs actionnaires pour poursuivre la privatisation est contraire à la Constitution et à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
La décision des 25 et 26 juin 1986 est sans ambiguïté puisqu'elle précise qu'il « appartient au législateur de poser des règles dont l'application incombera aux autorités et aux organes désignés par lui », à condition, comme le rappellent MM. Favoreu et Philip, de ne pas - je reprends les termes mêmes de cette décision - « attribuer aux seuls organes des entreprises concernées un pouvoir discrétionnaire d'appréciation soustrait à tout contrôle d'une étendue excessive ».
Toute disposition contraire devrait être invalidée.
Or, comme l'indique M. Larcher, la modification des statuts initiaux « interviendra conformément au droit des sociétés commerciales, c'est-à-dire par l'assemblée générale des actionnaires, dès lors que l'Etat ne détiendra plus la totalité du capital ».
Aussi, cette assemblée dépourvue de toute légitimité démocratique aura toute latitude pour privatiser totalement France Télécom, alors qu'il s'agit, selon M. le rapporteur lui-même, d'un service public national et d'un monopole de fait.
Outre son caractère inacceptable d'un point de vue économique et social, cette disposition est manifestement inconstitutionnelle.
Le temps me manque pour aborder la mise en cause des principes constitutionnels du droit des salariés à la représentation dans l'entreprise.
M. le président. Veuillez conclure, madame Luc.
Mme Hélène Luc. Je termine, monsieur le président.
La violation par ce projet de loi des principes du préambule de la constitution de 1946 nous conforte dans nos craintes que le Gouvernement et la majorité de droite ne s'embarrassent pas d'inutiles précautions pour brader l'un des fleurons de notre économie à la grande solderie de Maastricht.
Vous faites le choix d'une application implacable du traité de Maastricht alors que notre peuple n'accepte pas la destruction d'un élément fort de son identité, à savoir les services publics. Vous refusez d'écouter les centaines de milliers de salariés qui luttent pour défendre l'intérêt général. Ces choix, vous les faites au mépris des principes les plus élémentaires de la Constitution.
Nous appelons le Sénat à un véritable sursaut pour rappeler au Gouvernement ses responsabilités en adoptant cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. le président. Quelqu'un demande-t-il la parole contre ? Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard Larcher, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, déposée par les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est motivée par le fait que le projet de loi relatif à l'entreprise nationale France Télécom serait contraire aux principes établis par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Gérard Larcher, rapporteur. Rappelons, tout d'abord, la valeur des dispositions de ce préambule.
Le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946. »
Tranchant une controverse juridique qui datait de la IVe République, le Conseil constitutionnel a, dans sa décision du 16 juillet 1971, prise sur saisine du président Poher qui a conforté d'ailleurs la Haute Assemblée dans son rôle de défenseur des libertés publiques, reconnu pleine valeur constitutionnelle au préambule de la Constitution de 1958 et, par ricochet, à celui de 1946. Ce dernier est donc pleinement intégré au bloc de constitutionnalité que se doivent de respecter les lois.
L'accusation portée par les membres du groupe communiste républicain et citoyen est donc grave. Néanmoins, comme un examen attentif du texte et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel le montre, elle n'est pas fondée.
Que peut-on lire dans le préambule de la Constitution de 1946 ? Dans son neuvième alinéa, il dispose : « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. »
Mme Hélène Luc. Qu'est-ce que cela signifie ?
M. Gérard Larcher, rapporteur. Je rappelle d'ailleurs que l'entreprise Renault, citée par Mme Luc, n'est pas un service public.
Mme Hélène Luc. Je n'ai pas dit ça.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Le Conseil constitutionnel a, notamment dans sa décision n° 86-207 des 25 et 26 juin 1986, réaffirmé la valeur du neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946. Il a précisé que serait contraire à la Constitution le transfert du secteur public au secteur privé de certaines entreprises présentant les caractéristiques d'un service public national dont la nécessité découle de règles constitutionnelles. Mais, justement, il n'est pas question ici de transfert au secteur privé, en dépit de ce que certains laissent entendre.
France Télécom, après sa « sociétisation », fera partie intégrante du secteur public puisque l'article 1er du projet de loi prévoit que l'entreprise nationale France Télécom sera majoritairement détenue par l'Etat, ce qui est, aux yeux du Conseil constitutionnel, la définition même du secteur public. A écouter Mme Luc, avant 1983, la SNCF n'était pas non plus un service public.
Bien au contraire, les règles constitutionnelles que les membres du groupe communiste républicain et citoyen opposent à tort au projet de loi qui nous est présenté confortent ses dispositions et ne les contredisent pas. Le préambule de la Constitution de 1946 consolide et accompagne l'article 1er du projet de loi.
Mme Luc a également évoqué l'indépendance nationale.
Mme Hélène Luc. Il s'agit d'un sujet grave !
M. Gérard Larcher, rapporteur. Je la renvoie à l'article L. 33-1 du code des postes et télécommunications adopté dans l'article 1er du projet de loi de réglementation des télécommunications que nous avons examiné la semaine dernière et qui limite à 20 p. 100 les participations étrangères, sauf clause de réciprocité.
M. Robert Pagès. C'est 20 p. 100 de trop !
M. Gérard Larcher, rapporteur. S'agissant de la privatisation, Mme Luc manie, me semble-t-il, un concept anglo-saxon. Il ne s'agit pas là d'une loi de privatisation. En droit français, il y a privatisation lorsque des intérêts privés détiennent la majorité du capital.
M. Robert Pagès. C'est la première étape.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Voilà pourquoi la commission vous propose de repousser cette motion. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Hélène Luc. Nous en reparlerons !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon, ministre délégué. Mme Luc a raison, tous ses arguments sont valables. Mais ceux-ci s'appliquent à la privatisation de France Télécom, et tel n'est pas l'objet du présent projet de loi.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Absolument !
M. François Fillon, ministre délégué. Il ne faut pas jouer sur les mots. La privatisation, en droit français, consiste dans le transfert de la majorité du capital du secteur public au secteur privé.
Cela dit, le débat que nous venons d'avoir a une vertu : il étaye la démonstration que j'ai faite à plusieurs reprises de l'impossibilité, compte tenu de notre Constitution, de faire passer de 51 p. 100 à 49 p. 100 la part du capital de France Télécom détenue par l'Etat. Ce qui est possible pour Renault, qui n'est pas un service public, ne l'est pas d'un point de vue constitutionnel pour France Télécom.
Grâce au débat que nous avons eu sur cette motion, les salariés de France Télécom seront, une nouvelle fois, rassurés sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une privatisation et que le Gouvernement ne saurait, pour les raisons constitutionnelles que vous avez fort bien évoquées, madame Luc, faire évoluer la situation comme vous le craignez.
M. le président. Je vais mettre aux voix la motion n° 18.
Mme Hélène Luc. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, votre interprétation de la Constitution n'est évidemment pas la mienne, pas plus d'ailleurs que votre logique, et cette différence transparaît bien évidemment dans tous les arguments que vous avez cités.
Vous n'avez pas, selon moi, répondu avec toute la précision voulue à ma remarque essentielle concernant l'interprétation, audacieuse il est vrai, du préambule de la Constitution de 1946 qui est faite par le Gouvernement et par la majorité de la commission.
Les choses sont pourtant claires. France Télécom est « un service public constitutionnel » reconnu comme tel par le Conseil constitutionnel à l'occasion de plusieurs décisions importantes, notamment celle des 25 et 26 juin 1986 relative aux ordonnances de privatisation.
Or ces services publics constitutionnels que l'on détermine par leur caractère de service public national ou par leur position de monople de fait doivent précisément, selon le neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, devenir propriété de la collectivité.
En conséquence, ce projet de loi, qui tend à retirer 49 p. 100 de cette propriété, est, que vous le vouliez ou non, objectivement inconstitutionnel.
Cette démonstration est, à mon sens, d'autant plus évidente que, dans son article 10, ce projet de loi prévoit un mécanisme de privatisation totale.
Comment pouvez-vous affirmer, par ailleurs, que l'indépendance nationale est préservée, alors que les géants internationaux attendent avec impatience que l'important marché français soit livré à leurs appétits et qu'ils pourront, grâce à votre projet de loi, prendre progressivement le contrôle de France Télécom ?
Vous ne m'avez pas non plus répondu avec précision sur le mécanisme prévu à l'article 10 de votre projet de loi, qui permet la privatisation totale de France Télécom, et je comprends bien pourquoi.
Or il apparaît de manière incontestable que c'est l'assemblée des actionnaires qui pourra seule modifier le statut et élargir la privatisation.
Cet article est important, car il fait tomber le masque. Votre projet de loi d'ouverture du capital au privé se situe clairement dans une perspective de privatisation totale.
Nous n'acceptons pas ce processus qui, de plus, est marqué d'une forte anticonstitutionnalité que vous n'avez pu démentir. C'est pourquoi nous vous proposons, mes chers collègues, d'adopter notre motion par scrutin public. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Gérard Larcher, rapporteur. Nous l'avions demandé nous-mêmes !
M. Jean-Luc Mélenchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. J'expliquerai mon vote, et ce sera pour moi l'occasion, également, de relever les propos inacceptables que le ministre a tenus à mon égard. (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) Après avoir expliqué que la République n'appartenait à personne, ce dont je conviens sans aucune espèce de difficulté, fort heureusement, il a cru nécessaire d'ajouter qu'il était plus républicain que moi et, se laissant aller à l'inclinaison de ses propres turpitudes dans ces sortes de distinctions, il est arrivé jusqu'au point de suggérer que je sois ennemi de l'alternance et que, dans ce domaine, je sois également partisan du monopole.
Je le dis tranquillement, mais solennellement : je considère ces propos comme injurieux à l'égard d'un démocrate. (Rires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Quant au fond, son argumentation n'avait guère de valeur. Elle consistait à marteler des arguments qui, certes témoignaient d'un zèle idéologique extrêmement féroce, mais n'atteignaient pas jusqu'à notre raison. L'argument essentiel ? « Tous les autres en font autant » !
M. François Fillon, ministre délégué. Et ce n'est pas injurieux, cela ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Eh bien, voici la ligne du ministre : c'est France Caméléon ! (Sourires.) Nous savons que cette intéressante créature change de couleur suivant le milieu, et la légende rapporte qu'elle ne succombe qu'au rouge. Vous savez du moins, monsieur le ministre, de quel côté vous garder !
La privatisation, qui ne serait pas, dites-vous, à notre ordre du jour, est pourtant bel et bien tout entière contenue dans ce que vous proposez. Il faut toute l'ardeur et la cabriole sémantique de notre excellent rapporteur, M. Gérard Larcher,...
M. Gérard Larcher, rapporteur. Merci pour l'ardeur !
M. Jean-Luc Mélenchon. ... pour tâcher de démontrer le contraire. Vous ne reprenez que fort pauvrement la rigueur de ses raisonnements.
A qui ferez-vous croire, monsieur le ministre, qu'ouvrir le capital d'une société du service public aux entreprises privées n'est pas une privatisation ? En sommes-nous déjà au point où, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, vous nous expliquerez qu'il s'agit d'un acte de collectivisme, pour justifier vos entreprises ?
Enfin, la privatisation a deux visages. Le premier est celui d'un glissement progressif de la société France Télécom, puisque société il y aura, vers le domaine privé, nonobstant vos arguments ; j'en ai fait hier la démonstration.
Mais elle a également un autre visage, celui d'un ligotage de France Télécom jusqu'au point où les entreprises privées viendraient prendre le relais, se verraient ouvrir un espace qu'elles ne pouvaient occuper jusqu'à présent et même, d'après les dispositions prévues dans ce texte, viendraient à prendre elles-mêmes en charge des missions de service public telles que vous les avez décrites, dans le précédent projet de loi comme dans celui-ci. De la sorte que la privatisation ne serait pas stricto sensu la privatisation de France Télécom, encore que le dispositif n'en soit pas exclusif, mais pourrait être la privatisation par le fait que des missions de service public seraient intégralement assumées par des entreprises privées.
Je crois qu'il règne dans ce domaine une telle charge du doute et une si évidente volonté idéologique manifestée au cours des vingt dernières années par tous les gouvernements de droite successifs que l'on peut tranquillement voter la motion que nous propose le groupe communiste républicain et citoyen. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ? ...
Je mets aux voix la motion n° 18, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant l'une de la commission et l'autre du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 99:
Nombre de votants | 316 |
Nombre de suffrages exprimés | 316 |
Majorité absolue des suffrages | 159 |
Pour l'adoption | 93 |
Contre | 223 |
Mme Hélène Luc. C'est dommage !
Question préalable