M. le président. L'article 28 sexies a été supprimé par l'Assemblée nationale.
Mais je suis saisi de deux amendements qui tendent à le rétablir.
Ces deux amendements, présentés par M. Millaud, peuvent faire l'objet d'une décision commune.
L'amendement n° 2 tend à rétablir l'article 28 sexies dans la rédaction suivante :
« Tout voyageur se rendant en Polynésie française doit justifier de la possession d'un titre de transport lui permettant de poursuivre son voyage ou de revenir au point d'embarquement. A défaut, il doit justifier de l'existence de moyens suffisants pour la couverture de la dépense.
« En ce qui concerne les personnes salariées, la justification est remplacée par l'engagement de l'employeur d'assurer cette dépense. »
L'amendement n° 3 vise à rétablir cet article dans la rédaction suivante :
« I. - L'Etat prendra en charge le titre de transport permettant le rapatriement de tout voyageur s'étant rendu en Polynésie française sans pouvoir assurer son retour.
« II. - La perte de ressources résultant du I ci-dessus est compensée, à due concurrence, par une majoration du tarif des droits de consommation sur les tabacs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. Millaud, pour défendre ces deux amendements.
M. Daniel Millaud. Tout à l'heure, dans la discussion générale, j'ai exprimé le souhait que nous ne fassions pas trop de philosophie et que nous gardions les pieds sur terre.
Lors de la première lecture de ce projet de loi, le Sénat, dans sa sagesse, avait adopté un amendement dont l'objet était le même que celui de l'amendement n° 2, même si sa rédaction était quelque peu différente. Il est vrai que nous étions alors un peu plus nombreux dans cet hémicycle qu'aujourd'hui ! Mais il s'agit là d'un autre débat !
L'Assemblée nationale, pour des raisons qui m'étonnent - l'indivisibilité de la République a sans doute été un argument prépondérant - a supprimé l'article 28 sexies .
Je tiens à vous rappeler, mes chers collègues, que, pour se rendre en Nouvelle-Calédonie comme à Wallis-et-Futuna, il est nécessaire de posséder un billet aller-retour, cette obligation ne s'appliquant, bien entendu, pas aux personnes originaires du territoire ou propriétaires sur le territoire.
Cette disposition me paraît absolument normale. Au nom de l'indivisibilité de la République, il aurait cependant été opportun, me semble-t-il - mais je ne pense pas que mon collègue représentant la Nouvelle-Calédonie serait d'accord - que le Gouvernement demande également l'annulation de cette obligation !
Je crois au contraire, mes chers collègues, qu'il faut maintenir cette obligation et accepter celle que je propose. Cette dernière ne met pas en cause l'unité de la République et n'a donc rien d'anticonstitutionnel.
Mais si le Parlement ne revient pas sur sa décision, nous aurons alors des problèmes avec la Cour de justice des Communautés européennes.
En effet, au nom de la non-discrimination, n'importe quel ressortissant de l'Union européenne pourra venir en Polynésie française sans être obligé de posséder un billet de retour. Mes chers collègues, je vous laisse à penser les problèmes qui pourront alors surgir, notamment sur le plan de l'emploi : déjà, de nombreuses personnes originaires de mon territoire se plaignent du fait que des emplois d'accès facile sont tenus maintenant par des personnes en provenance de métropole.
Par conséquent, je demande avec insistance au Sénat d'adopter l'amendement n° 2.
Quant à l'amendement n° 3, il s'agit, bien entendu, d'un texte de repli.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 2 et 3.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur l'amendement n° 2. Je dois d'ailleurs indiquer que, si le Sénat a certes adopté un amendement similaire lors de la première lecture, ce vote est néanmoins intervenu contre l'avis de la commission des lois, laquelle a été suivie par l'Assemblée nationale.
Il est donc normal que, en deuxième lecture, la commission des lois reprenne les arguments qu'elle avait déjà avancés.
Je comprends les implications locales et les difficultés que pourrait entraîner la non-adoption de la disposition préconisée par M. Millaud. Mais cette mesure vise ni plus ni moins la liberté constitutionnelle d'aller et venir. Je tiens d'ailleurs à dire à M. Millaud que le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 20 décembre 1995, a déclaré illégal le décret du 27 avril 1939, qui réglementait l'admission et le séjour sur le territoire de la Polynésie française dans des conditions qu'il a jugées non conformes à la Constitution. C'est un fait, et on ne peut pas ne pas considérer que la liberté d'aller et venir est mise en cause dès lors qu'une personne qui va en Polynésie française ne justifie pas du titre de transport susceptible d'assurer son retour vers le lieu d'où elle vient. On n'admettrait pas une telle disposition sur le territoire de la métropole, et on ne peut donc pas l'admettre davantage dans un territoire ou dans un département d'outre-mer.
M. Daniel Millaud. Et la Nouvelle-Calédonie ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Le cas de la Nouvelle-Calédonie ne se pose pas aujourd'hui. Nous parlons actuellement de la Polynésie française, mais il est vraisemblable que, si des dispositions de même nature existaient en Nouvelle-Calédonie, elles pourraient très bien être un jour censurées, comme l'a été le décret du 27 avril 1939. Par conséquent, n'évoquons pas aujourd'hui ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie, et considérons le problème propre à la Polynésie française.
J'ai dit, lors de l'examen de ce texte en première lecture, que j'étais convaincu qu'il s'agissait d'une atteinte à la liberté constitutionnelle d'aller et venir. La commission des lois maintient ce point de vue. C'est pourquoi elle demande au Sénat de repousser l'amendement n° 2.
L'amendement n° 3 est un amendement de repli pour le cas où l'amendement n° 2 ne serait pas adopté. J'imagine que la mesure qu'il prévoit se heurte aux dispositions de l'article 40 de la Constitution, puisqu'il met à la charge de l'Etat les frais éventuels de rapatriement d'un voyageur qui refuserait de quitter la Polynésie française. Je ne sais d'ailleurs pas dans quelle mesure on pourrait obliger l'intéressé à accepter le billet payé par l'Etat et à monter dans l'avion : nous en revenons, finalement, au problème constitutionnel de la liberté d'aller et venir.
M. le président. La commission invoque-t-elle l'article 40, monsieur le rapporteur, ou se contente-t-elle de l'évoquer ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Je ne l'invoque pas, monsieur le président : je n'ai fait que céder à un vieux réflexe de sénateur en l'évoquant.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 2 et 3 ?
M. Jean-Jacques de Peretti, ministre délégué. Monsieur Millaud, vous savez que le Gouvernement, contre l'avis de la commission, avait abondé dans votre sens lors de la précédent lecture de ce projet de loi.
Le Gouvernement comprend parfaitement vos préoccupations : il n'existe pas, en Polynésie française, de direction de l'action sanitaire et sociale susceptible de prendre en charge les immigrants sans ressources, et la possession d'un billet de retour constituerait, en quelque sorte, une garantie pour les personnes mal informées qui se retrouveraient en situation pécuniairement et moralement difficile à plus de 18 000 kilomètres de la métropole.
Cependant, après nouvelle concertation avec votre commission, après consultations juridiques, après nouvel examen à l'Assemblée nationale, je rejoins l'analyse juridique qui avait été faite initialement par votre commission quant au risque très sérieux d'inconstitutionnalité de la mesure que vous proposez.
Le Gouvernement ne peut, dès lors, donner un avis favorable à l'amendement n° 2.
Vous avez évoqué le problème de la Nouvelle-Calédonie. Pour la Polynésie française, si mes souvenirs sont exacts, le décret date de 1939...
M. Daniel Millaud. C'est exact !
M. Jean-Jacques de Peretti, ministre délégué. ... alors qu'il date de 1937 pour la Nouvelle-Calédonie. Mais il y a actuellement une affaire pendante devant le tribunal administratif à ce propos et, sans préjuger, bien sûr, les conclusions de la juridiction administrative, je pense que les conclusions seront les mêmes que pour la Polynésie.
Les réflexions en cours sur le foncier, sur le droit d'établissement et sur bien d'autres sujets que vous connaissez bien et qui sont très importants sur le territoire de la Polynésie française - ils ont notamment été au coeur de la dernière campagne électorale - devront donc être approfondies de manière à essayer d'apporter à nos compatriotes polynésiens des réponses qui ne soient pas anticonstitutionnelles.
Quant à l'amendement n° 3, j'ai cru comprendre que M. le rapporteur évoquait à son sujet l'article 40 de la Constitution. Il est bien évident que l'adoption de cet amendement représenterait pour le budget de l'Etat une dépense qui, dans la circonstance actuelle, poserait un problème assez sérieux.
M. Daniel Millaud. L'amendement est gagé !
M. Jean-Jacques de Peretti, ministre délégué. Oui, vous proposez, comme toujours, de taxer le tabac. Or, vous le savez, la Dordogne est le premier département tabacole de France. Et je ne voudrais pas, à l'occasion de l'adoption de ce texte, me faire désigner du doigt par mes compatriotes périgourdins. Donc, sans invoquer dans l'immédiat l'article 40, je pose quand même la question.
J'ajoute, monsieur le sénateur, que je me suis livré à une petite enquête sur le prix du billet d'avion. Savez-vous que, aujourd'hui, avec les tour-opérateurs, dans 90 p. 100 des cas, le coût d'un aller simple est plus élevé que celui d'un aller-retour effectué à des dates fixes ? Dans ces conditions, plus aucun citoyen, surtout lorsqu'il est démuni de ressources, n'achète un simple aller.
Je sais bien que cette argumentation ne convaincra pas M. Millaud, mais je souhaitais cependant lui apporter cette précision.
Le Gouvernement est donc défavorable aux amendements n°s 2 et 3.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2.
M. Daniel Millaud. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Millaud.
M. Daniel Millaud. Je veux rappeler au Sénat et au Gouvernement - le représentant du Gouvernement qui est parmi nous ce matin connaît bien le problème - que, aux termes du traité de Rome, dans sa quatrième partie, et de la décision d'association de 1991, il ne peut y avoir aucune discrimination quant à l'établissement des ressortissants de la Communauté dans mon territoire.
Je ne sais pas pourquoi on veut sacrifier la Polynésie ! Elle a eu la bombe, elle a les cancers et tout ce qui s'ensuit, et vous voudriez aujourd'hui, mes chers collègues, que tous les Européens en quête d'aventure puissent se rendre dans mon territoire sans obligation de retour ?
J'en arrive à penser que ce n'est désormais plus au Parlement qu'il appartient de décider de ce genre de mesures et je me demande si mon assemblée territoriale ne devra pas exiger le billet de retour pour les personnes qui débarqueront chez nous.
Je regrette que la commission des lois n'ait pas demandé son avis à la Cour européenne de justice, car les pays et territoires d'outre-mer ont bien souvent été oubliés dans l'application du traité de Rome, et la Constitution n'a pas été respectée.
Par ailleurs, si mon amendement n° 2 n'est pas adopté, je maintiendrai, bien entendu, mon amendement n° 3, et je pense qu'à ce moment-là, dans sa sagesse et son humanité, le Sénat l'adoptera.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Je voudrais redire à M. Millaud qu'il s'agit non pas d'un problème lié à la liberté d'établissement, mais d'une question qui concerne les allées et venues des voyageurs. Saisir la Cour européenne de justice pour lui demander son avis n'était pas nécessaire sur le sujet qui nous occupe aujourd'hui.
C'est une raison supplémentaire qui vient à l'appui de notre demande de rejet de ces amendements.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. Daniel Millaud. Vous avez les remerciements de M. Oscar Temaru, leader des indépendantistes !
Articles 28 septies et 28 octies