M. le président. « Art 1er D. - Il est inséré, après l'article 10 de la même ordonnance, un article 10-1 ainsi rédigé :
« Art. 10-1. - Sont prohibées les offres de prix ou pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation, dès lors que ces offres ou pratiques ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'éliminer d'un marché ou d'empêcher d'accéder à un marché une entreprise ou l'un de ses produits.
« Les coûts de commercialisation comportent également et impérativement tous les frais résultant des obligations légales et réglementaires liées à la sécurité des produits.
« Ces dispositions ne sont pas applicables en cas de revente en l'état, à l'exception des enregistrements sonores reproduits sur supports matériels. »
Sur l'article la parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart. Avec cet article, nous abordons la difficulté clé de cette deuxième lecture ; qui tend à trouver un point d'équilibre : l'extension aux carburants de l'interdiction de revente à un prix abusivement bas.
Dans le projet initial, le Gouvernement avait introduit une incrimination, inconnue dans l'ordonnance de 1986, qui tendait à interdire la revente des produits transformés par le distributeur à un prix abusivement bas.
En première lecture, l'Assemblée nationale a adopté un amendement - l'amendement « Le Fur » - visant à étendre cette interdiction aux carburants lorsqu'il s'agit d'un produit revendu en l'état.
D'après le compte rendu analytique de l'Assemblée nationale, le Gouvernement s'est prononcé contre cet amendement et a fait supprimer cette disposition en deuxième lecture. Notre éminent rapporteur, M. Jean-Jacques Robert, nous propose de la réintroduire.
Je me permettrai de faire la synthèse des arguments avancés, puisque, finalement, ce que nous recherchons, c'est un terrain d'entente et un point d'équilibre.
Le Gouvernement est opposé à l'extension aux carburants de la notion de prix abusivement bas, parce qu'il pense que le dispositif proposé ne serait pas de nature à sauver les pompistes en milieu rural : d'une part, la mesure serait inefficace, parce que les marges de la grande distribution sont bénéficiaires sur l'essence ; d'autre part, son application serait difficile, dans la mesure où le conseil de la concurrence, dont relève cette nouvelle disposition, se montre très réservé, considérant que de tels contrôles tombent déjà sous le coup de la revente à perte, qui est de la compétence du juge pénal.
De surcroît, si nous entrons dans ce système, nous nous trouvons en totale contradiction avec l'ordonnance de 1986, ce qui serait défavorable aux consommateurs.
Pour ma part, je souhaite que l'on trouve une solution qui nous permette de sortir de cette situation.
Monsieur le ministre, à l'Assemblée nationale, vous avez dit qu'il était possible d'envisager d'intensifier et de redéployer les aides du fonds d'intervention pour la sauvegarde, la transmission et la restructuration des activités artisanales et commerciales, le FISAC, de développer la polyactivité des stations-service et de mieux intégrer les notions de sécurité et de service, par exemple en exigeant du personnel à la pompe.
Notre collègue M. Jean-Jacques Robert souhaiterait réintroduire la mesure proposée dans l'amendement « Le Fur ».
Aujourd'hui, le Gouvernement et la commission sont d'accord sur deux points, me semble-t-il : d'une part, la situation dramatique des petits pompistes provient du fait que leurs prix sont trop élevés par rapport à ceux des grandes surfaces, sans que pour autant celles-ci revendent l'essence à perte dans la plupart des cas ; d'autre part, dans le cadre de l'aménagement du territoire, un maillage adapté des stations-service doit impérativement être préservé ; au Sénat, nous y sommes très attachés.
Ma question sera simple, monsieur le ministre : quel engagement pouvez-vous prendre aujourd'hui devant le Sénat pour rapprocher nos positions et aider, de façon définitive, les stations-service en milieu rural ? Serait-il possible de mettre en place un système efficace qui pourrait éventuellement s'inspirer d'une forme de péréquation ? J'aimerais que vous apportiez une réponse à cette question, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. Souplet.
M. Michel Souplet. Tout d'abord, je voudrais rappeler l'exemple qu'a donné tout à l'heure M. Garcia, un peu sous forme de boutade ou d'anecdote. Il a dit que son garagiste allait faire le plein de son caddy dans les grandes surfaces. Je serais tenté de lui répondre ceci : ce brave garagiste qui éprouve des difficultés pour joindre les deux bouts procédera souvent à ses achats de première nécessité là où les produits sont les moins chers s'il peut ainsi réaliser quelques économies ; a contrario, s'il gagnait correctement sa vie, il effectuerait probablement ses achats de première nécessité chez les commerçants de sa commune.
Ensuite, je tiens à préciser que, en première lecture, les deux assemblées avaient voté un texte identique. Les députés comme les sénateurs étant représentatifs des intérêts des consommateurs et de l'ensemble de la population du territoire, il est curieux qu'ils aient voté le même texte !
Depuis, l'Assemblée nationale a légèrement changé d'avis et, à l'instant, mon ami Roland du Luart proposait de trouver un terrain d'entente. Je veux bien le rejoindre, mais à la condition que cela ne se traduise pas par une aumône pour ceux qui vendront de l'essence sur l'ensemble du territoire.
Dans quelle situation nous trouvons-nous ?
A la commission des affaires économiques, nous travaillons, depuis de nombreuses années, sur l'aménagement du territoire. Malgré les mesures que nous proposons, la désertification est de plus en plus grande et les petits commerces ferment.
J'ai été pendant longtemps président de coopérative et je sais combien il est difficile de discuter avec les représentants des grandes surfaces : c'est le pot de terre contre le pot de fer ! Face à un représentant de grande surface, le petit producteur n'a aucun pouvoir. Il doit passer sous les fourches caudines de celui qui prétend défendre les intérêts du consommateur, alors que, en fait, il défend son portefeuille et les sommes importantes qu'il pourra économiser pour reprendre la grande surface voisine ou pour étendre son pouvoir politique.
Vous avez parlé tout à l'heure, monsieur le ministre, des problèmes agricoles : il semble effectivement a priori que le texte que nous examinons les résolve, en tout cas en grande partie.
Toutefois, cette semaine, nous avons reçu des lettres des représentants des petits distributeurs de carburant - c'est normal - et des organismes de consommateurs. Ils ont posé une question qui m'effraie : que deviendront les super-bénéfices que les pétroliers dégageront, dans la mesure où les grandes surfaces vendront le carburant au même prix que les pompistes ? Cette question m'affole. La situation est complètement démentielle.
Si les pompistes obtenaient le carburant au même prix que les grandes surfaces, ils pourraient dégager un bénéfice qui leur permettrait de vivre. Or, actuellement, la plupart des pompistes paient le carburant plus cher qu'il n'est vendu dans les grandes surfaces. Voilà qui est absolument aberrant et anormal !
M. Yves Galland, ministre délégué. Tout à fait !
M. Michel Souplet. En tout état de cause, le pétrolier devrait livrer le pompiste au même prix que la grande surface : ce n'est pas parce qu'on achète 5 000 litres au lieu de 100 000 que l'on doit payer le carburant plus cher !
J'ai discuté avec les pétroliers lorsque j'ai défendu la filière du carburant agricole, et je les connais donc bien : ils ne sont pas faciles. Mais nous sommes ici pour faire en sorte, d'une part, que l'on maintienne des petits commerces sur l'ensemble du territoire, d'autre part, que l'on permette à des gens honnêtes de gagner leur vie normalement dans des conditions de concurrence loyales. Or, ce n'est pas en permettant à des grandes surfaces de réaliser des bénéfices phénoménaux qui leur donnent les moyens de reprendre n'importe quoi dans n'importe quelles conditions que l'on sauvera la vie rurale et qu'on favorisera l'aménagement harmonieux du territoire.
Il est donc impératif, à mes yeux, que nous maintenions le texte dans la rédaction que nous avions adoptée en première lecture et que nous le défendions jusqu'en commission mixte paritaire.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis. Je ne souhaite pas intervenir dans le débat qui s'instaure sur le prix de vente des carburants. En fait, je vous avais posé une question, monsieur le ministre, à laquelle vous n'avez pas répondu.
Les dispositions du projet de loi s'appliquent aux prix de vente pour les consommateurs. J'ai évoqué le problème du loueur d'ouvrages à l'occasion de l'examen de cet article ; j'avais même pensé déposer un amendement sur ce sujet. C'est d'ailleurs tout à fait dans l'esprit du rapport de mars 1996 de la mission parlementaire sur la réforme des marchés publics, laquelle proposait de rendre obligatoire la suppression des offres abusivement basses, qui est aujourd'hui facultative.
Je souhaite simplement obtenir une précision sur ce point, monsieur le ministre.
M. le président. Par amendement n° 5, M. Jean-Jacques Robert, au nom de la commission des affaires économiques, propose de rédiger ainsi le dernier alinéa du texte présenté par l'article 1er D pour l'article 10-1 de l'ordonnance précitée :
« Ces dispositions ne sont pas applicables en cas de revente en l'état, à l'exception de la vente de carburants au détail et des enregistrements sonores reproduits sur supports matériels. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Robert, rapporteur. Il s'agit là du point essentiel du débat.
Nous nous trouvons face à une situation clairement définie : monsieur le ministre, comme nous tous qui siégeons sur les travées de cette assemblée, vous cherchez - j'en suis intimement convaincu - le moyen de répondre à une injustice particulièrement flagrante.
En effet, les grandes surfaces pratiquent un prix de vente au détail du carburant qui donne satisfaction à nos concitoyens, mais qui est nettement plus bas que celui des distributeurs qui assurent le maillage de notre territoire hors du champ des grandes villes.
Cependant, personne parmi nous n'a pensé à une situation équivalente, celle des stations-service autoroutières, parce que l'on considère que l'autoroute appartient aux grands de ce monde : l'essence y coûte le même prix que chez le petit pompiste, voire plus cher, en raison des charges qui sont imposées par les sociétés d'autoroute.
On aboutit ainsi à un phénomène tout aussi injuste : certains gérants de stations-service autoroutières, malgré quelques compensations apportées par la tenue de magasins, sont autant pris à la gorge que le sont les 6 000 pompistes qui sont aujourd'hui l'objet de notre attention.
En attendant d'autres initiatives à l'Assemblée nationale, vous avez fait une proposition faisant intervenir le FISAC, monsieur le ministre : 1,3 milliard de francs seraient effectivement collecté et 600 millions de francs seraient conservés par le ministre des finances. Toutefois, les règles d'application du FISAC ne permettront pas, me semble-t-il - nous en avons discuté à la commission des affaires économiques, où nous connaissons très bien ce dispositif - d'apporter une réponse satisfaisante.
Comme nous sommes convaincus que cette mesure n'aurait été qu'un gadget, nous avons prolongé la discussion pour trouver une solution face à cette situation qui nous trouble et qui nous inquiète.
Chacun d'entre nous sait combien nous avons connu de désillusions lorsque nous avons présenté des projets d'aménagement du territoire qui n'aboutissaient pas, combien les promesses qui nous ont été faites n'ont pas été tenues. Or, nous sommes là au coeur de l'aménagement du territoire : lorsque nous roulons à Lyon, à Paris ou à Toulouse, nous n'avons pas d'inquiétude à avoir vis-à-vis de la gestion de notre carburant ; dès que nous sommes appelés dans des régions plus reculées de province, nous savons combien il est dangereux de parcourir fût-ce cinquante kilomètres la nuit si notre jauge d'essence vire au rouge. Et c'est bien la concurrence qui entraîne la disparition des pompes !
Il n'est pas possible d'exciper de la procédure de la revente à perte, dans la mesure où les carburants ne sont qu'exceptionnellement revendus à perte, et il n'y a absolument rien dans l'ordonnance de 1986 pour répondre aux conséquences des progrès de la distribution moderne, qui affectent des pans entiers de la petite distribution et qui frappent les travailleurs et les distributeurs de ce secteur d'activité.
Certes, grâce à vous, monsieur le ministre, nous allons avoir la procédure des prix abusivement bas. De quoi s'agit-il ? D'une formule qui permet d'examiner dans le détail les éléments constitutifs d'un prix. De la sorte, on va plus loin que la revente à perte ; en effet, si vous vendez en dessous du prix auquel vous avez acheté, vous êtes sanctionnable ; mais la vente ne se fait pas toujours à perte, et des éléments de toutes sortes entrent dans le prix du carburant dans les grandes surfaces, que nous ne connaissons pas.
Qui peut agir dans ce domaine ? C'est le conseil de la concurrence, qui va sanctionner les plaintes pour prix abusivement bas. D'un mot simple, pour que l'on me comprenne bien, il s'agit d'un contrôle fiscal approfondi, donnant lieu à la sanction du conseil national de la concurrence.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, j'ai du mal à vous suivre, comme j'ai d'ailleurs du mal à suivre les consommateurs - mais j'en parlerai tout à l'heure. En effet, malgré tous vos efforts, je n'arrive pas à être convaincu que les prix abusivement bas vont entraîner une hausse du prix des carburants. Le fait, en cas de prix abusivement bas, d'être sous la menace d'un contrôle ou d'une sanction n'est pas, à mon sens, de nature à entraîner une hausse des prix de l'essence.
Au demeurant, monsieur le ministre, la dernière augmentation de la TVA sur les carburants n'a pas entraîné, que je sache, un tollé tel que celui qu'a provoqué la mesure que nous souhaitons aujourd'hui pour assainir le marché !
Les consommateurs soutenant ce point de vue, je leur dédie donc, d'une part, la dernière hausse de la TVA, contre laquelle personne n'a bougé, et, d'autre part, l'instauration de ces contrôles, qui ne vont certainement pas générer une augmentation des prix à la distribution.
Enfin, pour remédier à la disparition quotidienne des pompes à essence hors des grandes villes, vous proposez une formule nouvelle. J'en ai entendu parler, mais je n'en connais pas le détail.
En l'état, je maintiens donc mon amendement, car je n'ai aucune raison de me raviser et de modifier la position qu'unanimement la commission des affaires économiques et du Plan m'a donné mission de défendre. Si, comme vous l'avez laissé entendre - non pas dans les médias, mais à la tribune - des éléments sérieux sont de nature à emporter notre conviction, vous pourrez compter sur ma bonne foi. Cependant, je ne m'engage pas en l'instant à retirer mon amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Yves Galland, ministre délégué. Je voudrais tout d'abord remercier M. le rapporteur de la qualité des propos qu'il vient de tenir. Il s'agit d'un sujet difficile, sur lequel nous nous ferons les uns et les autres, j'imagine, le crédit de penser que nous poursuivons exactement le même objectif.
Nous voulons élaborer des mesures efficaces pour l'aménagement de notre territoire et, en la circonstance, pour le maintien de stations-service et de pompistes dans nos zones rurales et semi-urbaines. En la matière, nous partons de loin et il est vrai que, depuis un certain nombre d'années, nous sommes passés de 40 000 à 20 000 pompistes.
Chacun a présenté son analyse de la situation, et je voudrais vous livrer, en ce qui me concerne, une réflexion préalable.
L'amendement sur les prix abusivement bas - je pense en particulier aux interventions de MM. Michel Souplet et Jean-Jacques Robert à ce sujet - est-il de nature à régler le problème ?
S'il le peut, c'est donc qu'il doit avoir une incidence sur les prix. Je m'interroge alors et je me tourne vers M. le rapporteur, qui a du mal à croire qu'une telle mesure peut entraîner une hausse du prix des carburants. Nous savons parfaitement, en effet, qu'il existe une marge de l'ordre de vingt centimes en moyenne sur le prix du carburant dans les grandes surfaces. Nous savons aussi que, partout où le carburant serait vendu à perte, factures à l'appui, les responsables seraient impitoyablement poursuivis, et la loi que nous sommes en train d'élaborer nous donnerait des moyens accélérés de le faire. Mais si, compte tenu de cette marge, la mesure devait n'avoir aucune incidence sur les prix à la pompe, elle serait alors totalement inefficace.
Sur ce point, j'ai une divergence d'interprétation avec M. Souplet au sujet de la lettre de l'association de consommateurs à laquelle il a fait référence. Les consommateurs font simplement l'analyse suivante : il est vendu, dans les grandes et moyennes surfaces, 17 millions de mètres cubes de pétrole. Si, contrairement à ce que nous pouvons penser, les prix abusivement bas avaient une incidence de l'ordre de 7 à 10 centimes en moyenne par litre sur les prix à la pompe, cela aurait une répercussion non pas sur le prix d'achat de la grande distribution - personne ne le pense - mais sur le prix de vente, qui subirait alors cette marge minimum imposée de 7 à 10 centimes. Cette marge supplémentaire, de l'ordre de 1 200 millions de francs à 1 700 millions de francs, profiterait donc, de ce fait - les consommateurs ont raison - à la grande distribution.
C'est pourquoi les consommateurs, dans une lettre que vous avez reçue et qui a été signée par pratiquement l'ensemble de leurs organisations, ont exprimé leurs préoccupations sur ce que pourrait être l'incidence d'une telle mesure sur les prix.
Il existe une association très représentative que vous connaissez tous, l'association Familles rurales. Je recevais, pour d'autres motifs, ses dirigeants hier. Elle est très engagée, inutile de vous le dire, dans tout ce qui a trait à l'aménagement du territoire en zone rurale, et je voudrais vous donner connaissance de certains de ses propos : « On ne peut être que favorable au soutien des activités commerciales en milieu rural, notamment au soutien des petits pompistes. Cependant, ce soutien ne peut pas résulter de la seule modification du droit de la concurrence, en particulier si cela se traduit par le renchérissement des prix des carburants dans la grande distribution supporté par l'ensemble des consommateurs. Le pompiste doit, dans la mesure où, d'une part, son activité sera soutenue et où, d'autre part, l'offre n'est pas satisfaite localement, développer d'autres services et d'autres activités pour mieux répondre aux besoins des familles, et ainsi rester attractif. »
Nous sommes là au coeur du débat qui nous occupe !
Je rappelle que Familles rurales représente 175 000 familles adhérentes et que, s'il est une association qui ne suscite aucune suspicion quant à la volonté commune de ses membres, c'est bien celle-là.
Vous connaissez les écarts de prix qui sont actuellement constatés ; les raisons en ont été excellement rappelées par M. le rapporteur ainsi que par différents intervenants. S'il est vrai que nos pompistes vendent plus chers que les grands distributeurs n'achètent,...
M. Michel Souplet. Il achètent plus cher !
M. Yves Galland ministre délégué. Oui, ils achètent plus cher, effectivement, pardonnez-moi. Mais nous n'avons, je pense, ni les uns ni les autres, l'espérance de pouvoir harmoniser les conditions dans lesquelles sont effectués les achats ! Ce serait une illusion, les pétroliers qui sont engagés dans cette affaire ne nous laisseraient pas faire et nous nous trouverions dans une situation unique au monde.
Cela étant, les propos de M. le rapporteur concernant les stations autoroutières sont parfaitement exacts. Il y a simplement une différence fondamentale qui nous préoccupe : les stations autoroutières connaissent des difficultés mais elles ont un gros débit, alors que nos stations de campagne subissent les mêmes difficultés avec un petit débit. Leurs difficultés ne sont pas exactement de même nature et elles appellent une analyse différente.
M. Jean-Jacques Robert, rapporteur. Cela doit nous inquiéter aussi !
M. Yves Galland, ministre délégué. Tout doit nous inquiéter !
J'ai pris l'engagement, au nom du Gouvernement, devant l'Assemblée nationale, de réfléchir et de rechercher des solutions efficaces, que j'ai qualifiées de positives et de constructives, avant l'examen du projet de loi de finances.
Pourquoi avant l'examen du projet de loi de finances ? Parce que, naturellement, seuls peuvent intervenir des mécanismes financiers, lesquels comme vous l'avez opportunément souligné, monsieur le rapporteur, ne doivent pas être réduits à des aumônes. Ce serait inconcevable : j'ai parfaitement conscience qu'il s'agit d'une profession où les conditions de la concurrence sont loyales, d'une profession qui ne demande pas l'aumône.
Mais ne nous leurrons pas : quoi qu'il en soit, ce dispositif aura des répercussions financières, dans un sens ou dans un autre.
Je suis d'accord avec vous, monsieur le rapporteur, pour considérer que le FISAC n'est pas une procédure adaptée et qu'elle ne saurait apporter une solution aux problèmes de fond. Il faut avoir conscience que cette perspective, qui ne doit cependant être ni négligée ni marginalisée, n'apportera pas la solution que nous souhaitons.
Comme vous et comme Familles rurales, je considère que le débat sur l'aménagement du territoire nous a valu quelques déceptions, tant le sujet est difficile.
Je suis convaincu que l'une des voies possibles est un encouragement à la pluriactivité.
Je retiens ce que vous avez dit, monsieur le rapporteur : j'aurais une proposition nouvelle à vous présenter ; vous seriez prêt à l'étudier, mais vous attendriez un engagement de ma part. Cela est tout à fait légitime.
Eh bien, je suis prêt à prendre un engagement ferme et très précis.
En analysant le sujet qui nous occupe, j'ai fait une découverte qui, je l'avoue, m'a surpris. La taxe sur les grandes surfaces, qui est acquittée par tous les magasins de plus de 400 mètres carrés, est assise sur la surface de vente. Or, actuellement, les surfaces consacrées à la vente de carburant ne sont pas comprises dans cette assiette.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis. Ah !
M. Yves Galland, ministre délégué. J'entends le rapporteur pour avis s'étonner de cette situation. Je dois vous dire que j'ai moi-même été très surpris, et vous faites probablement tous cette découverte avec moi.
Il est tout à fait anormal, alors que nous constatons une distorsion de concurrence qui met une profession en difficulté, que les aires consacrées à la distribution de carburants échappent à la taxe sur les grandes surfaces !
M. Roland du Luart. Incroyable !
M. Yves Galland, ministre délégué. Je vais vous donner des chiffres précis, car, si je prends des engagements précis, ce n'est pas pour que vous vous prononciez dans le vague : 3 800 stations-service qui dépendent d'hypermarchés, de supermarchés ou de commerces de plus de 400 mètres carrés sont concernées, puisque ce sont ceux-là qui paient la taxe sur les grandes surfaces. La moyenne d'une superficie de station-service est de quelque 120 à 150 mètres carrés. Ce sont donc plus de 500 000 mètres carrés de superficie commerciale qui sont exemptés de fait de la taxe sur les grandes surfaces. Sachant que le taux de la taxe est de 58 francs le mètre carré, cela représente un volume d'au moins 30 millions de francs.
Maintenant, je voudrais m'arrêter quelques instants sur l'autre partie du dispositif qui concerne les stations-service rurales. Comme je l'ai dit précédemment en réponse à M. le rapporteur, il me semble nécessaire de retenir des priorités, car les difficultés des 20 000 stations-service rurales sont de nature différente. En effet, certaines stations ont un volume faible d'activité, d'autres un volume en développement, d'autres encore une possibilité de pluriactivité. En tout cas, toutes sont un élément d'aménagement du territoire fondamental, surtout dans des zones qui sont en voie de désertification.
C'est pourquoi il me semble qu'il faudrait concentrer notre action sur les stations-service - mais je reste ouvert à toutes les propositions des professionnels intéressés comme des parlementaires compétents - qui ont un débit faible, de l'ordre de 500 à 600 mètres cubes par an.
Cette première réflexion m'amènerait à retenir 3 000 stations-service sur les 20 000. Il est possible, monsieur le rapporteur, qu'en retenant d'autres paramètres de fragilité, qui restent à définir, on prenne en considération 1 000 à 2 000 stations-service supplémentaires.
Je prends donc l'engagement suivant : étendre la taxe sur les grandes surfaces aux stations-service des grandes surfaces ; en confier la gestion au comité professionnel de la distribution du carburant selon des procédures que nous déterminerons ensemble ; sur la base des critères de compétitivité, procéder à une péréquation, pour reprendre le terme employé par M. du Luart tout à l'heure.
M. Roland du Luart. A ce moment-là, ce n'est pas une aumône !
M. Yves Galland, ministre délégué. Effectivement ! Il serait donc procédé à une péréquation entre ceux qui, aujourd'hui, jouissent de conditions d'exploitation exceptionnelles et ceux qui ont des difficultés.
Je prends là, véritablement, un premier engagement. Les choses évoluent donc rapidement puisque, voilà moins de quinze jours, devant l'Assemblée nationale, je n'avais pris qu'un engagement générique pour le prochain projet de la loi de finances ; aujourd'hui, je prends un engagement précis.
Ainsi, ceux qui sont à l'origine de ces distorsions de concurrence, les grandes surfaces, alimenteront un fonds dont les sommes seront ensuite réparties par péréquation.
Monsieur le rapporteur, j'espère avoir été complet sur l'ensemble de la réflexion philosophique qui nous anime et les moyens d'y répondre. Il s'agit de la première mesure concrète sur laquelle je prends un engagement ferme - la première - et tout notre débat montrera bien qu'elle sera positive. Elle ne lèsera pas les consommateurs ; elle ne frustera pas les pompistes des zones rurales.
Voilà ce que je vous propose. Sur la base de cet élément, je vous demanderai donc de bien vouloir accepter de retirer votre amendement, étant à votre disposition, naturellement, pour répondre instantément à toutes les questions complémentaires que vous voudriez me poser.
M. Jean-Jacques Robert, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Robert, rapporteur. Monsieur le ministre, mes collègues et moi-même ne doutons jamais de votre bonne foi quand vous prenez un engagement. D'ailleurs, nous avons déjà eu deux occasions de le vérifier depuis la première lecture devant le Sénat et la deuxième devant l'Assemblée nationale.
Votre proposition est certes intéressante, mais elle suscite cependant deux ou trois commentaires, qui sont également des interrogations.
Six à huit mille stations-service sont en grande difficulté et on va en retenir trois mille cinq cents. Que vont devenir les autres ?
Je ne savais pas que les aires de distribution de carburants des grandes surfaces n'étaient pas assujetties à la taxe sur les grandes surfaces. Les y soumettre relève de la simple équité, et je ne discuterai pas sur ce point.
Le montant des recettes que vous pouvez attendre de cette extension de taxe, selon vos calculs, serait de 30 millions de francs, soit quelque 10 000 francs par station-service retenue. Sera-ce suffisant pour éviter la disparition des petits distributeurs ? Les causes des difficultés subsisteront et ce ne sont pas ces 10 000 francs qui amélioreront les conditions de l'exploitation.
Quant au FISAC, vous savez comme moi qu'il est difficile d'y recourir. Mais l'appât est tout de même considérable : il y a 600 millions de francs qui dorment ! Peut-être pourrait-on envisager d'établir un programme pour doubler, par exemple, le produit de l'extension de la taxe, afin de réagir face à une situation nationale catastrophique qui émeut tout le monde et qui, passez-moi l'expression, nous prend aux tripes parce que nous connaissons ces petits distributeurs chez qui, quand nous quittons le Sénat, nous nous fournissons en essence le samedi, le dimanche et le lundi. Nous sommes donc en prise directe avec les problèmes de ces commerçants et on ne peut pas les abandonner : 30 millions de francs, cela paraît beaucoup, mais ce n'est pas suffisant.
En triplant ce chiffre, on arriverait à 90 ou 100 millions de francs. Les fonds existent, il n'y a pas à les trouver, et nous voudrions obtenir une garantie quant à l'utilisation de crédits dont vous disposez déjà.
L'ensemble de ces considérations, compte tenu de l'importance du sujet, me conduisent, monsieur le président, à demander une suspension de séance, avant de prendre une décision.
M. Yves Galland, ministre délégué. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yves Galland, ministre délégué. Je tiens à dire combien j'apprécie l'ouverture d'esprit de M. le rapporteur. Je comprends bien ses interrogations, et même je les partage.
Dans son intervention liminaire, M. le rapporteur a indiqué quels étaient ses doutes sur l'efficacité de la répression de la pratique des prix abusivement bas.
Il a toutefois bien voulu estimer que mon dispositif était bon dans son principe, bien que la somme, de son point de vue, soit insuffisante.
Il me disait également, tout à l'heure, qu'il n'était pas sûr qu'il aurait pu obtenir autant par le biais de son amendement, puisqu'il ne connaissait pas les répercussions de la mesure qu'il proposait. De toute façon, il n'y aurait pas eu de péréquation.
Je voudrais tout d'abord dire que, en ce qui concerne le nombre de stations-service, j'ai pris un engagement que je tiendrai. Le Gouvernement doit gérer cela avec les professionnels. On ne peut pas considérer que les problèmes soient homogènes pour les 20 000 stations qui actuellement existent, certainement pas ! Certaines stations sont plus fragiles que d'autres et connaissent des situations spécifiques, selon qu'elles sont implantées en zones rurales, en zones défavorisées ou en zones en voie de désertification, voire selon les débits. Bref, un certain nombre de paramètres sont à prendre en compte, et c'est avec les professionnels et vous-mêmes qu'ils le seront.
Vous avez indiqué ce que pourraient être l'orientation financière, la répartition et la péréquation par pompiste en vous posant la question de savoir si le seuil serait ou non suffisant. C'est malgré tout la première fois - il ne s'agit nullement d'une aumône, mais d'une juste répartition et péréquation - que se dessine une perspective financière dans cette direction.
Vous me demandez s'il ne serait pas possible d'augmenter la somme. C'est là que vous reprenez au bond le FISAC, en disant que ce dernier dispose d'une marge de manoeuvre qui pourrait précisément permettre cette augmentation.
Monsieur le rapporteur, on est crédible quand on prend les engagements que l'on est sûr de tenir. Le seul que je suis précisément certain de tenir dans le prochain projet de loi de finances est celui que j'ai pris.
Je m'engage - c'est un autre type d'engagement, et vous comprendrez pourquoi, connaissant mes responsabilités ministérielles, ainsi que les domaines de compétence de chaque membre du Gouvernement - à essayer de voir comment, puisque je vous ai parlé de 30 millions de francs minimum, nous pourrions abonder ce fonds.
M. le président. Monsieur le rapporteur, maintenez-vous votre demande de suspension de séance ?
M. Jean-Jacques Robert, rapporteur. Si vous le permettez, monsieur le président, je souhaite auparavant préciser ma pensée.
Je dis que le FISAC doit intervenir parce que l'argent existe qu'il est employé à d'autres fins que celles auxquelles il était destiné.
Ces fonds peuvent permettre la mise en place immédiate d'un programme. Il suffit que le Gouvernement s'y engage avec vous, comme il l'a fait dans d'autres domaines. C'est ce qui nécessite, d'ailleurs, cette suspension de séance.
Je souhaite que le Gouvernement prenne, devant la Haute Assemblée, l'engagement ferme que 60 millions ou 70 millions de francs seront pris sur le FISAC et accordés, dans le cadre de l'aménagement du territoire, aux pompistes en difficulté.
Cela étant dit, je maintiens ma demande de suspension de séance.
M. le président. Le Sénat va, bien entendu, accéder à votre demande, monsieur le rapporteur, afin de permettre à la commission de se réunir.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq.)