CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 103, 1995-1996) modifiant le code de la propriété intellectuelle en application de l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce. [Rapport (n° 359, 1995-1996).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la propriété intellectuelle est devenue une composante importante du commerce international.
Même si le texte qui vous est soumis n'est qu'un ajustement à la marge de notre législation, destiné à la rendre conforme à l'accord international sur les droits de propriété intellectuelle, il relève d'une démarche dont la portée ne doit pas être négligée.
L'accord international sur les aspects des droits de propriété intellectuelle touchant au commerce, dit « accord ADPIC », qui a été signé le 15 avril 1994, comporte à la fois des normes minimales de protection et des règles de mise en oeuvre effective de sanctions commerciales applicables aux Etats qui ne respectent pas leurs obligations.
Ce résultat concret est générateur d'améliorations sensibles pour la protection internationale des entreprises françaises exportatrices. Il a été atteint grâce à l'insertion de l'accord ADPIC dans les accords de Marrakech : ainsi, tous les pays qui adhèrent aujourd'hui à l'OMC adhèrent en même temps à cet accord.
De ce fait, pour la première fois, des Etats qui s'étaient maintenus à l'écart de la discipline des conventions internationales classiques de propriété intellectuelle se trouvent désormais liés par l'obligation de respecter la propriété intellectuelle.
Cet acquis est d'autant plus important que le niveau de protection exigé est sans commune mesure avec celui qui découlait des conventions traditionnelles. Tous les droits de propriété intellectuelle sont couverts. Le niveau de protection rejoint souvent celui qui prévaut dans les Etats les plus avancés.
Certes, il existe encore des domaines insuffisamment couverts, comme ceux des appellations d'origine et des dessins et modèles, mais la conférence ministérielle de l'OMC qui aura lieu à la fin de l'année à Singapour devrait lancer un processus de renégociation propre à resserrer la discipline dans diverses matières.
Cet accord est donc porteur de plus de sécurité pour nos entreprises dont les droits sont trop souvent bafoués. Il va de soi que ses effets bénéfiques ne se feront sentir que progressivement, ne serait-ce que du fait de la période transitoire qui a été accordée aux pays en développement et aux pays les moins avancés.
Toutefois, cet accord permet d'ores et déjà à nos entreprises de s'ouvrir des marchés nouveaux, grâce à des garanties accrues de protection de leur patrimoine intellectuel. Ses dispositions constituent, en outre, un argument de poids lors des interventions bilatérales à l'appui des entreprises françaises victimes d'usurpations dans les pays sensibles.
L'OMC est entrée dans une phase active d'examen du respect par ses membres de leurs obligations. Le conseil des ADPIC procède à un examen critique des règles nationales applicables en toutes matières et de leur conformité avec les obligations que crée l'accord.
La phase de notification est désormais dépassée, notamment quant aux législations nationales relatives à la protection des droits de proprité intellectuelle. La France s'y est conformée et va procéder prochainement à la notification d'une réponse au questionnaire sur le dispositif de mise en oeuvre des droits de propriété intellectuelle. Cette enquête est destinée à vérifier l'existence et l'effectivité des procédures tendant à faire respecter les droits conférés : procédures admnistratives et judiciaires, notamment.
Dans cette perspective, il est impératif que le droit français soit irréprochable. Tel est aujourd'hui globalement le cas, d'autant que les dispositions qui nécessitent une retouche sont rarement mises en oeuvre judiciairement.
C'est pourquoi le projet de loi qui vous est soumis est bref et suscite peu de controverses. En outre, l'accord qui le justifie a déjà été ratifié, après autorisation du Parlement. Votre commission des lois, que l'on doit remercier de la précision de son analyse et de la pertinence de ses amendements, n'a d'ailleurs pas remis en cause l'économie de ce projet de loi.
Les principaux points abordés dans ce texte concernent le domaine des brevets ; deux dispositions seulement visent les marques et les indications géographiques.
Plusieurs dispositions visent à accorder aux ressortissants des pays membres de l'OMC le bénéfice du traitement national en France, comme c'est déjà le cas pour les ressortissants des pays membres de la convention de Paris.
Ainsi que l'a remarqué le rapporteur de votre commission, une modification ne s'impose pas pour les dessins et modèles ; la disposition figurant dans le code de la propriété intellectuelle est déjà suffisamment large.
Une disposition importante accorde expressément la protection du droit d'auteur aux bases de données en élargissant le critère d'accès à cette protection. Un projet de loi sera soumis par ailleurs au Parlement pour la transposition de la directive du Conseil de l'Union européenne sur cette matière.
Diverses propositions renforcent la protection des droits du titulaire d'un brevet contre l'octroi de licences non volontaires, que ce soit pour défaut d'exploitation ou dans un intérêt public, bien que les articles correspondants du code de la propriété intellectuelle donnent rarement lieu à des décisions judiciaires.
Parmi les modifications proposées, il faut noter, à l'article 4 du projet de loi, l'assimilation de l'importation des produits objets du brevet à l'exploitation de celui-ci. Cette modification découle d'une interprétation, unanimement retenue au sein des pays industrialisés ainsi que par la Commission européenne, de l'article 27-1 de l'accord, qui interdit la discrimination, en particulier quant à l'origine des produits, nationale ou d'importation. Le Gouvernement approuve d'ailleurs la limitation de ce bénéfice, proposée par la commission des lois, aux produits originaires d'un pays de l'OMC.
L'article 9 du projet de loi, dont la commission des lois a, fort justement souligné la portée, introduit dans notre droit interne une disposition essentielle de l'accord ADPIC. En effet, la preuve de la contrefaçon d'un brevet de procédé est souvent difficile à établir. Le renversement de la charge de la preuve renforcera donc la protection des brevetés contre l'importation des produits contrefaits ; cette disposition complète ainsi le dispositif mis en place par la loi du 5 février 1994.
L'importance de cette obligation internationale, qui pèse maintenant sur tous les pays de l'OMC, doit être notée.
Enfin, l'article 11 permettra de rejeter des demandes d'enregistrement de marques constituées par des indications d'origine de vins de pays tiers, les règlements communautaires l'imposant déjà pour les vins des pays de la Communauté européenne, dont la France.
L'ensemble des dispositions du projet de loi renforce notablement la protection du savoir-faire de nos entreprises et des Français en général. Ce texte permettra donc de défendre l'entreprise innovante et l'inventeur, encourageant leurs efforts de créativité.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement demande au Sénat de bien vouloir adopter ce projet de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

(M. Yves Guéna remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.) PRÉSIDENCE DE M. YVES GUÉNA
vice-président

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi, qui a été déposé en premier lieu sur le bureau du Sénat, tend à tirer les conséquences de la ratification par la France de l'acte final du cycle de l'Uruguay conclu à Marrakech le 15 avril 1994 quant à son annexe 1 C, qui vise l'accord sur les aspects des droits de la propriété intellectuelle touchant au commerce, communément dénommé « accord ADPIC ».
Le présent projet de loi a donc pour objet, selon un mécanisme législatif courant, d'adapter notre code de la propriété intellectuelle à un accord international.
La législation française en matière de propriété intellectuelle ayant toujours été très en avance - c'était un peu la législation pionnière parmi celles des grands pays d'Europe et d'Amérique - cette entreprise d'adaptation est relativement limitée.
Il s'agit d'abord, à l'évidence, d'étendre le bénéfice du traitement national aux ressortissants des Etats membres de l'OMC.
Par ailleurs, trois articles du projet de loi précisent le régime des licences non volontaires en confirmant utilement leur caractère non exclusif.
En outre, l'article 1er du projet, reprenant l'article 10 de l'accord ADPIC, inscrit dans la loi la protection des recueils de données au même titre que les recueils d'oeuvres et substitue, en ces domaines, un critère alternatif au critère cumulatif.
De plus, la protection des appellations d'origine géographique des vins et spiritueux à l'égard des pays tiers de la Communauté européenne se voit renforcée.
Enfin, et c'est peut-être la disposition la plus novatrice de ce texte - elle répond à une demande déjà ancienne - est donnée au tribunal la possibilité de renverser la charge de la preuve en matière de contrefaçon de brevet de procédé et d'en déduire une présomption dans deux hypothèses : lorsque le produit est nouveau ou lorsque la probabilité est grande que le produit identique a été obtenu par le procédé breveté.
La commission des lois vous proposera, d'une part, six amendements rédactionnels et, d'autre part, deux amendements au fond, qui semblent recueillir l'approbation du Gouvernement et sur lesquels je vais dès maintenant donner quelques explications.
Il s'agit, en premier lieu, de limiter aux seuls produits « fabriqués » dans un Etat membre de l'OMC l'assimilation de l'importation à l'exploitation. Faute de la précision apportée par le mot « fabriqués », un produit élaboré dans un pays n'appartenant pas à l'OMC, puis importé dans un pays membre de cette organisation et, enfin, réexporté en France aurait pu échapper aux règles de protection prévues. Cela aurait été courir le risque d'accepter comme exploitation sur notre territoire l'importation de toute une série de produits en provenance d'Asie ou d'ailleurs.
En second lieu, nous proposons de préciser, conformément à la lettre de l'accord ADPIC, que la restriction apportée au principe du renversement de la charge de la preuve en matière de contrefaçon des brevets de procédé serai limitée aux secrets de fabrication et de commerce.
La commission des lois considère qu'il convient ici de substituer à la notion de « secrets industriels », qui est large, celle de « secrets de fabrication », étant précisé que cette dernière reprend l'ancienne expression de « secret de fabrique », qui figure dans le code pénal depuis extrêmement longtemps. L'expression est juridiquement plus précise lorsque l'on emploie les mots « secrets de fabrication et de commerce ». Naturellement, les secrets de commerce recouvrent essentiellement le secret des prix de revient et de la comptabilité des entreprises.
Sous le bénéfice de ces modifications, la commission des lois est extrêmement favorable à ce texte et vous propose donc, mes chers collègues, de l'accepter. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Article 1er