INFORMATION ET CONSULTATION
DES SALARIÉS

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 411, 1995-1996), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'information et à la consultation des salariés dans les entreprises et les groupes d'entreprises de dimension communautaire, ainsi qu'au développement de la négociation collective. [Rapport n° 510, 1995-1996.]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué pour l'emploi. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que nous examinons a pour objet de transposer la directive communautaire du 22 septembre 1994 sur les comités d'entreprise européens. Un second texte lui a été joint, qui concerne le dévelopement de la négociation collective.
Sur chacun de ces textes, j'essaierai d'être brève, d'autant que nos débats ont été parfaitement préparés par l'excellent rapport de M. Souvet, que je remercie, ainsi que par les auditions auxquelles a procédé la commission.
En ce qui concerne d'abord le premier texte, les dispositions relatives à l'information et à la consultation des salariés dans les entreprises et les groupes d'entreprises de dimension communautaire marquent incontestablement une importante étape dans la construction de l'Europe sociale.
En effet, la directive du 22 septembre 1994 sur laquelle il se fonde illustre les progrès de la construction de l'Europe sociale dans le domaine du droit du travail.
En premier lieu, cette directive est remarquable par sa portée : elle est la première à consacrer un droit nouveau, d'essence communautaire, pour les salariés des groupes européens. Alors que nombre de décisions sont désormais prises à l'échelle européenne, le dialogue social demeure enserré dans des réglementations nationales et dans un cadre qui est, chacun le reconnaît, trop étroit.
Ce droit nouveau contribuera au renforcement de la cohésion sociale dans les groupes européens. Il enrichira le dialogue social, en offrant aux partenaires sociaux l'occasion d'approcher des pratiques et des cultures différentes.
La directive est aussi novatrice par ses conditions d'élaboration : elle est le fruit d'un dialogue entre les partenaires sociaux européens et les institutions communautaires.
Elle, l'est, enfin, par son objet : les obligations qu'elle instaure, les procédures ou institutions qu'elle encourage revêtent un caractère intrinsèquement transnational. Les salariés des groupes européens pourront désormais recevoir une information et dialoguer, à l'échelle européenne, sur tout ce qui concerne la vie, les activités et les perspectives d'évolution de leur groupe.
Il s'agit aussi d'ouvrir un espace de dialogue sur les opérations de restructuration ou de délocalisation à l'échelle européenne, dont l'opinion publique s'émeut à juste titre.
En second lieu, cette directive, je veux le souligner, respecte le principe de subsidiarité.
Elle laisse avant tout les partenaires sociaux libres de choisir la formule qui leur convient soit un comité d'entreprise européen, les négociateurs étant entièrement libres de déterminer sa composition, ses modalités de fonctionnement et ses attributions ; soit une procédure d'information des salariés du groupe, les partenaires sociaux restant maîtres de définir le contenu de cette procédure. Ce n'est qu'en cas d'échec des négociations que sont prévues un certain nombre de règles dites « subsidiaires ».
La directive laisse également une large place aux règles nationales, car chaque Etat européen a son histoire sociale, son architecture syndicale, son dispositif en matière de relations du travail et son approche des changements socio-économiques. Ainsi, les modalités de désignation des représentants des salariés seront déterminées par chacun des Etats. De même, les règles de protection des représentants des salariés seront celles qui s'appliquent dans leur propre pays.
Enfin, la directive préserve les accords existants : tout accord collectif déjà conclu au nom de l'ensemble des salariés européens du groupe et destiné à permettre leur information et leur consultation continuera de s'appliquer, sans préjudice des nouvelles dispositions. Il faut rappeler que les groupes français ont été parmi les premiers à se doter de tels accords. L'année 1996 a d'ailleurs connu une accélération des négociations, liée à la discussion de ce texte.
Le projet de loi reprend les principes essentiels de la directive. M. Souvet a eu raison de le souligner dans son rapport.
Sa préparation a d'ailleurs fait l'objet d'une concertation approfondie. Dès lors, la rédaction qui est soumise au Parlement est équilibrée, et elle devrait recevoir un large assentiment parmi les partenaires sociaux. Ce projet de loi répond à la fois à une attente des organisations syndicales et à un besoin ressenti par de nombreux groupes français, comme l'ont démontré les auditions auxquelles a procédé la commission.
La mise en oeuvre de ce dispositif reposera sur la liberté conventionnelle.
Les groupes français de dimension communautaire qui ont anticipé sur la directive pourront donc conserver leur propre structure ou procédure d'information européenne.
Pour les autres, la direction du groupe, installée en France, devra négocier avec les représentants de ses salariés européens pour choisir le dispositif d'information : comité européen ou procédure d'information et de dialogue.
Le projet de loi permet enfin d'aménager, voire de supprimer, le comité de groupe français dans les groupes qui ont créé un comité ou institué une procédure d'information européenne. Ces aménagements, destinés à éviter le cumul des instances d'information, devront bien entendu faire l'objet d'un accord des partenaires sociaux au sein du comité de groupe.
En ce qui concerne le principe de subsidiarité, dans toute la mesure où la directive renvoie aux droits nationaux, le projet de loi s'inspire très largement des solutions traditionnelles du droit du travail français. Ainsi en va-t-il de la notion de groupe, de la désignation des représentants des salariés par les organisations syndicales, selon des règles respectant la pluralité syndicale française, ou encore de leur protection, identique à celle des représentants du personnel.
Je voudrais, pour conclure sur les dispositions relatives aux comités d'entreprise européens, évoquer la question de la date de transposition.
Les dix-sept Etats concernés ont pris le parti de retenir une date commune de transposition. Ce choix répondait au caractère intrinsèquement transnational des dispositions en cause. La date avait été fixée au 22 septembre 1996.
Ce pari audacieux et sans précédent ne pourra être tenu à la lettre : seuls trois Etats ont transposé la directive dans le délai fixé. Néanmoins, douze autres Etats, dont la France, sont sur le point de remplir leurs obligations avant la fin de l'année. Il conviendra simplement, comme la commission va vous le proposer, de fixer l'entrée en vigueur à la date de publication de la loi. La France sera ainsi parmi les premiers Etats à transposer la directive.
En définitive - et c'est un point important - avec la directive sur le congé parental et celle qui régit les règles de détachement des salariés, adoptée la semaine dernière, la directive du 22 septembre 1994, que la France a fermement encouragée, concourt à l'édification de l'Europe sociale. Elle participe ainsi du modèle social européen auquel, avec M. le Président de la République, nous sommes particulièrement attachés.
Cette approche concrète et réaliste de la construction européenne est sans nul doute de nature à développer une véritable conscience européenne chez nos concitoyens.
M. Jean-Luc Mélenchon. Cela m'étonnerait !
Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué pour l'emploi. Les dispositions relatives au développement de la négociation collective, qui ont pris la forme d'un article 6 ajouté à ce premier projet de loi, ne sont pas moins importantes. Elles visent à permettre la mise en oeuvre de l'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995, relatif aux négociations collectives.
Cet accord fait suite à plusieurs années de réflexion des partenaires sociaux pour développer la politique contractuelle et renforcer leur contribution à la définition du cadre normatif des relations sociales.
Il se caractérise par le constat réaliste et courageux qu'il dresse des difficultés rencontrées par la négociation collective dans les petites et moyennes entreprises. Il est important par le caractère équilibré des dispositifs expérimentaux qui ont été imaginés pour résoudre ces difficultés.
Concrètement, les partenaires sociaux entendent assigner des fonctions étendues à la négociation de branche et susciter le développement de la négociation dans l'entreprise.
Ils ont invité les négociateurs de branches à aborder conjointement trois thèmes. Il s'agit, d'abord, de la reconnaissance du rôle et de la place des interlocuteurs syndicaux et patronaux. Il s'agit, ensuite, du renforcement de la représentation du personnel, notamment dans les petites et moyennes entreprises. Il s'agit, enfin, de la mise en oeuvre de mécanismes permettant l'accès à la négociation des salariés dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux.
La disposition qui vous est proposée a pour objet de permettre la mise en oeuvre des deux séries de dispositions expérimentales issues de cet accord.
Il s'agit tout d'abord de permettre aux branches professionnelles de fixer les conditions dans lesquelles des accords collectifs pourront être négociés et conclus dans les entreprises dépourvues de délégué syndical.
L'impossibilité de conclure un accord en l'absence de délégué syndical laisse aujourd'hui hors du champ de la négociation collective une proportion considérable d'entreprises et de salariés.
Comme vous le savez, une décision récente de la Cour de cassation a certes permis à des organisations syndicales de mandater des salariés non syndiqués pour une négociation déterminée. Mais cette possibilité est très largement méconnue. Fondée sur les principes généraux du code civil, elle n'est par ailleurs nullement encadrée, qu'il s'agisse de dispositifs de validation ou d'opposition, de protection des salariés ou de conditions d'exercice de leur mandat.
Sans remettre en cause cette jurisprudence innovante, l'accord interprofessionnel a eu pour objet d'inviter les partenaires sociaux à l'encadrer par des accords de branche.
Deux voies seront ainsi ouvertes aux partenaires sociaux des branches. La première est la négociation par des élus du personnel. Les accords d'entreprise ainsi conclus entreront en vigueur après validation par une commission paritaire de branche. La seconde voie est la négociation par des salariés mandatés à cet effet par des organisations syndicales. Ces salariés seront protégés contre le licenciement.
Le second champ d'expérimentation concerne le renforcement de la représentation collective dans les PME, en tenant compte des caractéristiques de ces entreprises.
Les partenaires sociaux n'ont pas arrêté, à l'échelon interprofessionnel, la nature exacte des initiatives qui pourront être prises. Dès lors, le Gouvernement n'a pas cru possible d'ouvrir, sans l'encadrer, une faculté de dérogation aux règles légales de la représentation collective. C'est pourquoi un mécanisme de validation a posteriori vous est proposé.
J'insiste sur le fait que ces dispositifs revêtiront bien un caractère expérimental.
Chaque année, les innovations intervenues dans le domaine de la représentation collective du personnel feront l'objet d'un rapport du Gouvernement au Parlement, qui s'appuiera sur les bilans réguliers assuré par les signataires de l'accord du 31 octobre 1995. Le cas échéant, un projet de loi sera déposé en vue de permettre à ces dispositifs nouveaux d'entrer en vigueur.
A l'automne 1998, à partir d'un bilan de l'accord interprofessionnel établi par les partenaires sociaux et après consultation de l'ensemble des organisations professionnelles et syndicales représentatives sur le plan interprofessionnel, le Gouvernement remettra au Parlement un rapport de synthèse accompagné, le cas échéant, de propositions pour adapter le code du travail.
Les auditions qui ont été effectuées par la commission des affaires sociales du Sénat ont bien montré que ces dispositions font essentiellement l'objet de deux critiques différentes.
Certaines personnes y voient une atteinte au monopole syndical de négociation.
Il est certes apporté une dérogation aux dispositions en vigueur sur la négociation collective. Mais je veux insister sur le fait que l'accord interprofessionnel consacre le rôle des organisations représentatives et leur donne plusieurs garanties essentielles.
Il en va ainsi du caractère expérimental et limité dans le temps des dispositifs de négociation.
Surtout, ces mécanismes réservent un rôle central aux organisations syndicales. En effet, ils doivent impérativement être décidés par accords de branche. Par ailleurs, dans le cadre de ces accords de branche, les accords conclus dans l'entreprise avec les élus du personnel ne pourront entrer en vigueur avant validation par des commissions paritaires.
Hormis les élus du personnel, aucun salarié ne pourra valablement négocier sans avoir été expressément et préalablement mandaté à cet effet par une organisation syndicale.
Enfin, la majorité des organisations syndicales de la branche pourront faire opposition aux accords de branche qu'elles n'auront pas signés.
Le projet de loi que nous examinons reprend ces garanties et les complète. Tout d'abord, il précise que les accords de branche ne peuvent être négociés et conclus qu'en présence de l'ensemble des organisations syndicales représentatives de la branche. Bien entendu, celles-ci siégeront également toutes dans les commissions paritaires de validation. Ensuite, il pose que les solutions nouvelles imaginées pour développer la représentation collective du personnel devront être validées a posteriori par la loi. Enfin, il prévoit que tous les rapports que le Gouvernement présentera au Parlement seront établis après avis de l'ensemble des organisations représentatives sur le plan national.
D'autres personnes s'inquiètent de l'application de ces mécanismes expérimentaux dans les plus petites entreprises.
Je tiens à préciser, comme M. Jacques Barrot l'a fait à l'Assemblée nationale et aura peut-être l'occasion de le faire dans cet hémicycle, que nous considérons que ces mécanismes ont bien vocation à s'appliquer aux entreprises d'une certaine taille. Le mandatement d'un salarié par une organisation syndicale, en vue de signer un accord, n'a guère d'utilité au sein d'une collectivité de travail composée de quelques personnes.
L'accord du 31 octobre 1995 dispose lui-même que, dans les branches composées d'entreprises artisanales, la négociation de branche doit avoir un rôle quasiment exclusif. Les accords de branche devront ainsi préciser le seuil d'application de ces dispositifs. Ce point important devait être souligné.
Ce texte contribuera donc à la nécessaire modernisation du droit du travail.
Le développement de la négociation collective est un impératif majeur dans un univers de plus en plus interdépendant, marqué par l'accélération du progrès technique et l'exacerbation de la concurrence. Aujourd'hui, les entreprises doivent adapter sans cesse leur organisation, assouplir les rapports hiérarchiques, impliquer leurs salariés.
A travers les accords relatifs à l'aménagement du temps de travail et grâce à la loi du 11 juin 1996, un nombre croissant de branches et d'entreprises se sont engagées de manière déterminée dans cette voie.
L'ambitieuse et indispensable réforme de la formation professionnelle viendra compléter ces efforts, car les partenaires sociaux doivent, à tous les niveaux, mobiliser l'épargne-temps et utiliser la négociation sur l'aménagement du temps de travail pour concrétiser le concept de formation tout au long de la vie. Organisation du travail, évolution des tâches et formation sont intimement liées.
Cette approche expérimentale et pragmatique répond au souci de M. le Président de la République de libérer les initiatives locales, au service de la croissance et de la modernisation de la société, souci que vous partagez les uns et les autres.
M. Jean-Luc Mélenchon. La langue de bois !
Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué pour l'emploi. Je suis convaincue que la transposition dans la loi de l'initiative des partenaires sociaux incitera les négociateurs des branches à lui donner corps.
En définitive, ce projet de loi vise à développer ce à quoi nous devons être tous attachés, à savoir le dialogue social à deux échelons auxquels il est encore trop souvent absent : au niveau européen pour l'un, dans l'entreprise pour l'autre.
Il constitue ainsi une étape importante dans la modernisation des instruments du dialogue social. Il témoigne aussi de l'esprit de responsabilité des partenaires sociaux au plus haut niveau. J'espère ainsi que, ensemble, nous pourrons faire progresser notre droit du travail. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Comme Mme le ministre vient de le rappeler, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui regroupe deux projets de loi distincts, joints par les hasards du calendrier, et pourtant très proches dans leur inspiration, dans leurs objectifs et dans les mécanismes mis en oeuvre. Je vous prie de m'excuser si mon intervention est un peu longue, monsieur le président, mais il me paraît utile, au-delà de la présentation technique des deux textes, d'expliquer en détail les raisons pour lesquelles la commission des affaires sociales n'a pas souhaité proposer des modifications de fond. Cela me permettra d'être plus concis lorsque je donnerai l'avis de la commission sur les amendements et les motions.
Le premier projet de loi vise à transposer la directive européenne du 22 septembre 1994. Celle-ci concerne l'institution d'un comité d'entreprise européen ou d'une procédure dans les entreprises et les groupes d'entreprises de dimension communautaire, en vue d'informer et de consulter les travailleurs. Il s'agit des articles 1er à 5.
Le second projet de loi, inséré sous forme de lettre rectificative, vise à jeter les bases législatives nécessaires à la mise en oeuvre des mécanismes expérimentaux prévus par l'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995 relatif à la politique contractuelle. Il s'agit notamment de permettre aux entreprises dépourvues de délégués syndicaux de négocier des accords d'entreprise. Il s'agit de l'article 6.
Le lien qui existe entre les deux textes, c'est l'importance du rôle confié aux partenaires sociaux et à la négociation collective ; c'est aussi la volonté de développer le dialogue social. En effet, si celui-ci existe au sein des moyennes et des grandes entreprises, il est absent ou embryonnaire, à quelques exceptions près, aux deux extrémités de la chaîne des entreprises : dans les petites entreprise, faute de délégués syndicaux ou de représentants du personnel, et dans les entreprises transnationales.
Dans l'un et l'autre cas, le fait syndical reste au centre du dispositif. Les syndicats et les organisations professionnelles sont en effet les seules instances représentatives susceptibles de préserver une certaine cohérence, une certaine homogénéité du droit social, du droit du travail parce qu'elles sont à la fois locales et nationales, et parce qu'elles sont permanentes.
En ces temps de doute, où nombreux sont ceux qui craignent une fracture sociale,...
M. Emmanuel Hamel. A juste titre, hélas !
M. Guy Fischer. C'est bien vrai !
M. Louis Souvet, rapporteur. ... il est essentiel de continuer à pouvoir dialoguer à tous les échelons du monde des entreprises.
Il est vrai que cette recherche d'un dialogue n'est pas sans risque : tous nos interlocuteurs syndicaux et patronaux, ou presque, y compris les signataires de l'accord du 31 octobre 1995 sur la négociation collective, l'ont reconnu.
Mais les nouvelles conditions économiques, le développement technologique accéléré, le poids sans cesse grandissant du chômage, le déséquilibre qui se crée entre les revenus d'activité et la charge de la protection sociale, la concurrence, la recherche des marchés, l'adaptation aux fluctuations de ces marchés font que nous vivons sans doute une époque de transition, une époque douloureuse parce qu'elle bouscule nos certitudes et nos acquis. Pour nous adapter, il nous faut changer nos mentalités, entamer une réforme - je n'ose pas dire « une révolution » - non seulement culturelle, mais aussi sociale. Rien, semble-t-il, ne sera plus comme avant. L'économie est mondiale ; jamais les échanges de tous ordres n'ont été aussi intenses, jamais les cultures, les sociétés et les individus n'ont pu autant dialoguer et s'influencer.
C'est tout cela qu'il faut prendre en compte en essayant de préserver l'essentiel des acquis sociaux, la solidarité, une protection sociale de bon niveau et surtout l'emploi.
Le constat est banal, ressassé, mais encore faut-il en tenir compte.
Or, l'entreprise, parce qu'elle crée la richesse dont chacun va pouvoir ensuite bénéficier, est au centre, au coeur de ces changements. C'est là qu'un dialogue social novateur doit s'instaurer pour permettre à l'entreprise de s'adapter plutôt que de subir et, finalement, d'être balayée.
Les textes que nous étudions aujourd'hui doivent nous y aider. Au plan européen, ils constituent l'embryon du droit social européen, ils posent la première pierre d'un droit spécifique, alors que, jusqu'à présent, les textes se contentaient d'harmoniser les droits existants. Au sein des petites entreprises, ils donnent la possibilité d'introduire dans ces dernières cette dose de dynamisme social qui leur permettra d'utiliser les instruments nouveaux du droit du travail pour répondre aux nouveaux défis économiques.
Certains ont parlé de pari, tant il paraît hasardeux de chercher à nouer le dialogue dans les petites entreprises. Mais de la réussite de ce dialogue dépend le sort de beaucoup d'entreprises, de nombreux emplois, et cela contribuera sans doute aussi au retour de la croissance et de la confiance.
Faisons donc confiance aux partenaires sociaux pour qu'ils tiennent ce pari, mes chers collègues. Ils ont fait preuve de courage et de détermination ; laissons-les conduire jusqu'au bout leur action, à laquelle ils ont donné un caractère expérimental, sans perturber, sans modifier les mécanismes qu'ils ont mis en place.
M. Jean-Luc Mélenchon. Des minoritaires !
M. Louis Souvet, rapporteur. Je reconnais que, pour le législateur, ces modes d'élaboration de la norme juridique ont quelque chose de frustrant.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Oui !
M. Louis Souvet, rapporteur. La marge de liberté qui lui reste est bien sûr des plus réduites, non seulement sur le fond, mais également dans la forme : une modification sur le fond serait contraire au texte européen - je rappelle qu'il s'impose - ou à la volonté des partenaires sociaux, et les modifications de forme, en s'éloignant du texte original, risqueraient d'être interprétées comme des divergences de fond ou de jeter le trouble dans la compréhension du texte. Mais la construction de l'Europe ainsi que le développement du dialogue social sont évidemment à ce prix.
Il nous faut donc aborder ces textes avec toute l'humilité nécessaire. Il n'en reste pas moins que, surtout dans le domaine européen, cet extrême respect du texte original conduit à incorporer dans le droit français des expressions, parfois même un « jargon », qui ne facilitent pas la tâche de ceux qui ont à le mettre en oeuvre ou à l'interpréter. Il faudra encore quelque temps avant que le « téléscopage » de nos traditions et de nos expressions juridiques se fondent dans un langage commun et familier.
Cela me ramène au projet de loi, à ces deux textes d'origine différente, de nature différente, mais finalement complémentaires.
J'évoquerai d'abord le projet de loi de transposition de la directive du 22 septembre 1994.
Cette directive est l'aboutissement d'une série de démarches qui, pour la plupart, n'ont pas été menées à leur terme, visant à instaurer un minimum de dialogue social au sein des sociétés multinationales. Les procédures envisagées s'étaient alors heurtées d'abord aux réticences britanniques pourquoi le cacher ? - puis à la diversité des systèmes européens de représentation des salariés. Néanmoins, l'évolution des textes communautaires fondateurs, notamment la signature du traité de Maastricht, qui encourage désormais le développement de l'Europe sociale, ainsi que les contraintes de l'internationalisation de l'économie ont changé les données du problème et ouvert la voie à un embryon de droit social européen spécifique.
Les Etats et les institutions européennes n'étaient en outre pas les seuls à vouloir instaurer des procédures d'information des salariés d'entreprises multinationales. Certaines entreprises elles-mêmes, dès le début des années quatre-vingt, d'abord en France, puis en Allemagne, on ressenti le besoin de mettre en place des procédures ou des instances afin de favoriser une certaine cohérence de leurs politiques locales, de tenter de développer, au-delà des frontières, une « culture d'entreprise » et, surtout, de préparer les esprits aux mutations ou aux décisions en diffusant l'information économique ou les orientations de gestion. En France, au 15 septembre 1996, trente-quatre groupes ou entreprises avaient conclu un accord prévoyant une information et une consultation transnationale des travailleurs : cela représente plus du quart des entreprises françaises concernées par l'accord, dont le nombre est estimé à cent trente.
En Allemagne, trente-huit accords avaient été signés au 20 juin, contre huit en Suède, en Belgique et en Italie. Par ailleurs, quinze groupes britanniques, six groupes américains et cinq groupes japonais ont signé des accords concernant leurs implantations en Europe.
Au total, 1 152 entreprises dans vingt-cinq pays d'Europe seront concernées par ce texte adopté par dix-sept pays d'Europe, c'est-à-dire l'Union européenne à l'exception de la Grande-Bretagne, ainsi que l'Islande, le Liechtenstein et la Norvège pour le reste de l'Espace économique européen.
Il faut noter que des entreprises n'appartentant pas aux dix-sept pays cités peuvent être concernées pour les entreprises ou les établissements situés dans les pays signataires.
Sont concernés par la directive - je résume ! - les entreprises et les groupes d'entreprises de dimension communautaire occupant au moins 1 000 travailleurs dans les Etats membres et au moins 150 salariés par Etat dans au moins deux Etats membres différents.
L'objet de la directive est, comme l'indique son titre, information et consultation des travailleurs sur la base d'un échange de vues, et l'établissement d'un dialogue par l'intermédiaire de leurs représentants.
Pour y parvenir, le texte laisse une grande liberté aux partenaires sociaux, qui peuvent choisir entre un comité d'entreprise européen ou une procédure d'information et de consultation. Il leur appartient également de déterminer les conditions de mise en place et de fonctionnement de ces procédures ou instances. Ils peuvent aussi refuser délibérément de s'engager dans cette voie.
Toutefois, la directive prévoit que, en cas de refus du chef d'entreprise ou si aucune décision n'a été prise dans le cadre des négociations dans un délai de trois ans, un comité d'entreprise européen devra être créé.
Par ailleurs, la directive laisse à chaque pays le soin de déterminer les conditions et les modalités de la transposition, qui peut être légale, conventionnelle ou mixte, en renvoyant le plus souvent aux règles et aux usages nationaux.
Les partenaires sociaux, après être intervenus en amont, lors de l'élaboration de la directive, interviendront également en aval, pour en déterminer les conditions d'application.
La négociation avec la direction centrale de l'entreprise ou de l'entreprise qui exerce le contrôle sur le groupe est confiée à un groupe spécial de négociation. Celui-ci est composé de trois membres au minimum et de dix-sept au plus. Chaque Etat signataire détermine le mode d'élection ou de désignation des représentants devant être élus ou désignés sur son territoire.
L'initiative de l'ouverture des négociations appartient à la direction centrale, qui, en cas de réticence, peut être contrainte à cette procédure par une demande écrite d'au moins cent salariés ou de leurs représentants relevant d'au moins deux entreprises ou établissements situés dans au moins deux Etats membres différents.
Pour l'aider dans ses travaux, le groupe spécial de négociation peut décider de se faire assister d'experts de son choix. Je précise que la directive laisse à chaque Etat le soin de régler les problèmes matériels : ce sera donc les accords et la législation des comités d'entreprise ou du groupe qui s'appliqueront en France.
Le groupe spécial de négociation peut aussi décider, par au moins deux tiers des voix, de ne pas ouvrir de négociation ou d'annuler les négociations en cours. Cette décision n'entraîne pas l'obligation de mettre en place le comité d'entreprise européen prévu par la loi en l'absence d'accord : la décision conventionnelle est respectée.
Pour déterminer le contenu de l'accord, les parties disposent d'une grande liberté. Il est cependant précisé que l'accord doit notamment déterminer les entreprises concernées, la composition du comité, la répartition des sièges ou encore la durée des réunions, ainsi que les ressources financières et matérielles à allouer au comité d'entreprise européen. En cas de choix d'une procédure d'information et de consultation, l'accord précise les conditions de réunion des représentants des travailleurs.
Par ailleurs, la directive détermine les conditions de création d'un comité d'entreprise européen en l'absence d'accord ; elle en fixe la composition et le rythme des réunions. Elle détermine également les conditions d'institution d'un comité restreint et les modalités d'information de ce dernier, en cas de circonstances exceptionnelles affectant « considérablement » - voilà qui, juridiquement, est peu précis - les intérêts des travailleurs, notamment en cas de délocalisation, de fermeture d'entreprise ou d'établissement, ou de licenciement collectif.
La directive prévoit également que les législations nationales règlent la question de la confidentialité des informations communiquées ou celle de la protection des représentants des travailleurs.
Deux principes ont guidé le Gouvernement dans la rédaction du projet de loi, ainsi que Mme le ministre nous l'a rappelé tout à l'heure : rester fidèle à l'esprit de la directive en privilégiant, bien sûr, l'accord des partenaires sociaux chaque fois que c'était possible et reprendre, autant que faire se pouvait, les solutions traditionnelles du droit du travail en matière de représentation des salariés et d'instance représentative.
On retrouve donc, dans la structure du projet de loi, les grands axes de la directive, dont les dispositions sont insérées dans un nouveau chapitre créé dans le code du travail par l'article 3.
En outre, les articles 1er et 2, relatifs aux comités de groupe, visent à harmoniser les définitions de l'entreprise dominante. Quant à l'article 4, il édicte des dispositions pénales pour sanctionner d'éventuelles entraves. Enfin, l'article 5 tend à exonérer des obligations du texte les entreprises qui auraient mis en place une instance ou une procédure en vue de l'information et de la consultation des salariés à l'échelon européen avant la date fixée par la directive pour l'entrée en vigueur du texte.
L'Assemblée nationale, en juin dernier, n'a pas modifié cette partie du texte sur le fond, se contentant d'adopter deux amendements rédactionnels.
La commission des affaires sociales ne vous proposera pas davantage, mes chers collègues, de modifier le texte sur le fond. Elle vous suggérera seulement d'adopter deux amendements rédactionnels, ainsi que deux autres amendements en vue de tenir compte du dépassement, lors de l'adoption définitive du projet de loi, de la date d'application de la directive, fixée au 22 septembre 1996, ce qui pose un problème de rétroactivité de la loi pénale.
Avant de conclure sur ce point, madame le ministre, je vous poserai, au nom de la commission des affaires sociales, deux ou trois questions susceptibles de donner éventuellement un peu de corps à ces dispositifs juridiques très abstraits. Vous avez d'ailleurs, dans votre intervention liminaire, partiellement répondu à mes interrogations.
Ainsi, avez-vous pu faire une estimation des coûts de mise en place et de fonctionnement du comité d'entreprise européen ? Je ne vous cacherai pas que quelques entreprises se sont manifestées auprès de moi pour exprimer une certaine inquiétude, notamment en ce qui concerne les frais d'expertise. C'est là, je l'admets, une question récurrente, jamais vraiment résolue, car toute solution rigide finirait par bloquer le processus. Mais, là aussi, avez-vous fait quelques estimations, et pensez-vous, d'après vos informations, que les partenaires sociaux puissent s'entendre sur une limitation de ces frais d'expertise ? Enfin - ce sera le dernier point - avez-vous pu réaliser quelques simulations sur la prise en compte de la diversité syndicale au sein du groupe spécial de négociation et du comité d'entreprise européen ? Cela fait partie de mes soucis.
J'en arrive à l'article 6, qui résulte de la lettre rectificative adoptée par le conseil des ministres du 13 mai 1996. Il vise à prendre les dispositions législatives nécessaires à l'application des orientations définies en matière de négociation collective d'entreprise par l'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995 sur la politique contractuelle. Les mécanismes retenus par les partenaires sociaux se situent en effet, bien qu'avec d'infinies précautions, en marge de la loi qui confie le monopole de la négociation aux délégués syndicaux. Il fallait donc que la loi elle-même reprenne ces nouveaux modes de négociation.
Il s'agit, je l'ai dit, de relancer le dialogue social dans les petites entreprises ne disposant pas de représentation syndicale.
Mme Michelle Demessine. Comme s'il y avait un dialogue !
M. Louis Souvet, rapporteur. Cette absence de dialogue les empêche en effet de s'adapter aux nouvelles données économiques et aux aspirations des salariés.
La loi quinquennale du 20 décembre 1993, en fusionnant certaines instances représentatives du personnel afin d'alléger les contraintes pesant sur les entreprises et les salariés, ou encore la proposition de loi de notre collègue M. Philippe Marini, relative à la négociation collective et instituant un contrat collectif d'entreprise, ont déjà abordé ce sujet.
Cette fois, cependant, l'initiative vient des partenaires sociaux eux-mêmes. L'accord propose de relancer le dialogue social sur la base de trois thèmes de négociation.
Le premier consiste en la reconnaissance réciproque des interlocuteurs syndicaux et patronaux, notamment par la formulation de garanties sur le déroulement de carrière des salariés exerçant des responsabilités syndicales. C'est bien le moins !
Le deuxième est la recherche des conditions d'une amélioration de la représentation du personnel dans les entreprises pour tenter de pallier les carences en ce domaine : je rappelle que 30 % des établissements de plus de dix salariés n'ont pas de délégués du personnel et que près de 20 % des établissements de plus de cinquante salariés n'ont pas de comité d'entreprise aux termes de cette législation.
Enfin, le troisième thème de négociation concerne le développement de la négociation collective dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux, ce qui concerne plus de 50 % des salariés. Pour ces derniers, deux dispositifs sont proposés : soit une négociation menée par des représentants élus du personnel, les délégués du personnel ou les membres élus du comité d'entreprise, soit une négociation menée par des salariés mandatés par une ou plusieurs organisations syndicales.
Toutefois, les négociations portant sur les deux derniers thèmes sont étroitement encadrées : les dispositifs resteront expérimentaux ; ils seront limités dans le temps et, surtout, l'expérimentation devra être autorisée par un accord de branche ; les thèmes de négociation pourront être prédéterminés ; enfin, les accords ainsi négociés devront être validés au sein d'une commission paritaire de branche. Un droit d'opposition est, en outre, insitué au niveau de la branche pour les organisations non signataires, si elles sont majoritaires.
Cette ouverture du dialogue social au sein des petites entreprises, attendue depuis longtemps, repose donc sur une articulation, une interaction entre négociation syndicale de branche et négociation d'entreprise. Ainsi, loin d'ouvrir une brèche dans le monopole syndical, ce texte l'étend en lui proposant un nouveau champ d'intervention.
Par ailleurs, une évaluation de ces dispositifs sera faite par les partenaires sociaux eux-mêmes. Cela est normal et souhaitable, car il n'existe pas de véritable culture de négociation au sein des petites entreprises ; un temps d'adaptation, d'apprentissage, sera sans doute nécessaire pour que ce dialogue social soit positif et porteur d'avenir.
Le projet de loi reprend intégralement le contenu de l'accord. Il prévoit, en outre, une information régulière du Parlement sur les négociations relatives à l'amélioration de la représentation du personnel, dans la mesure où celles-ci pourraient nécessiter une intervention législative ultérieure.
J'évoquerai, avant de conclure, une question de procédure qui a été posée à l'Assemblée nationale : nos collègues députés ont observé que le projet de loi autorisait des dérogations au code du travail, mais sans préciser les dispositions dérogatoires, se contentant de renvoyer à l'accord.
Il a semblé à l'Assemblée nationale qu'il s'agissait là d'une atteinte aux pouvoirs du législateur, celui-ci abdiquant une partie de ses compétences au profit des partenaires sociaux. Nos collègues ont donc préféré incorporer à la loi les dispositifs dérogatoires. Cette initiative évite un débat sur la constitutionnalité de ce qui pourrait s'apparenter à une délégation du pouvoir législatif.
Sous cette réserve, l'Assemblée nationale n'a pas modifié les termes de l'accord des partenaires sociaux.
La commission des affaires sociales du Sénat, tout aussi respectueuse de cet accord et soucieuse de ne pas perturber l'expérience courageuse dont la mise en oeuvre est souhaitée, vous propose également de l'approuver sans aucune modification.
Mais elle souhaiterait, madame le ministre, attirer votre attention sur quelques points particuliers. Il s'agit, en fait, de veiller à la bonne articulation de la négociation d'entreprise et de la négociation de branche afin d'éviter que les deux logiques de négociation n'en viennent à se heurter quand l'objectif des auteurs du projet de loi est qu'elles se complètent aussi harmonieusement que possible.
A ce titre, il nous semble que quelques points doivent faire l'objet d'une attention particulière non seulement des partenaires sociaux eux-mêmes mais aussi du Gouvernement et du législateur, notamment s'agissant de la façon dont les branches du secteur de l'artisanat mettront - ou ne mettront pas - en oeuvre les nouveaux modes de négociation. Nous avons pu constater au cours de nos auditions l'extrême sensibilité de ce secteur à ce qu'il considère comme une contrainte nouvelle et il ne faudrait pas que se créent de nouvelles sources de tension.
Ensuite, cette observation a conduit la commission à s'interroger sur le droit d'opposition et sur la composition de la commission paritaire de branche chargée de donner un avis sur les négociations d'entreprise. Nous avons observé que le mode de comptage des voix au sein de la branche - une voix par organisation - pouvait conduire à imposer un accord à une organisation majoritaire en termes de représentativité. C'est, certes, la pratique habituelle, mais elle suscite, parce que le champ est nouveau, quelques inquiétudes.
Certains se sont également inquiétés, par ailleurs, de la composition de la commission paritaire chargée d'agréer les accords d'entreprise. Pouvez-vous nous assurer, madame le ministre, qu'elle sera bien représentative de la branche ?
Enfin, les partenaires sociaux ont écarté le recours à la procédure d'extension des accords qui aurait permis un certain contrôle de l'Etat et qui aurait eu pour conséquence de rendre applicable l'accord de branche à l'ensemble des entreprises du secteur concerné alors que, dans le schéma actuel, seules les entreprises adhérant aux organisations patronales signataires de l'accord de branche le seront. Là encore, le suivi des accords semble important car ils peuvent concerner le champ d'application sensible des accords dérogatoires, riches de potentialités mais aussi difficiles à mettre en oeuvre dans le cadre d'accords équilibrés.
Tout cela me conduit à formuler deux dernières observations : la première pour faire écho à une certaine inquiétude de l'inspection du travail, qui se demande si elle aura les moyens de suivre le développement de ce nouveau droit conventionnel - si les accords se multipliaient - et la seconde pour vous demander, madame le ministre, dans quelle mesure les nouveaux négociateurs, patrons et salariés non syndiqués, pourraient être initiés, sinon formés à la négociation collective. Cela serait certainement utile car les textes sont souvent difficiles à comprendre et à traduire dans la pratique. Il ne faudrait pas que les accords conduisent à des dispositifs impraticables ou totalement déséquilibrés qui ruineraient l'expérience et le dialogue social.
Au terme de cette présentation, mes chers collègues, la commission des affaires sociales vous invite, sous réserve des quelques amendements qu'elle vous proposera, à adopter le présent projet de loi qui, dans ses deux composantes, ouvre de nouvelles perspectives de dialogue social, favorables à tous les acteurs économiques comme à la société tout entière. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 58 minutes ;
Groupe socialiste : 49 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 22 minutes.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est présenté a deux objets bien distincts : d'une part, transposer une directive européenne ; d'autre part, consigner dans la loi l'accord interprofessionnel national du 31 octobre 1995. Il s'agit dans les deux cas d'un progrès, notamment en ce qui concerne les entreprises de taille communautaire, dans la mesure où l'on prend mieux en compte la réalité des groupes de sociétés qui, déjà familière aux praticiens du droit du travail, l'est moins à ceux du droit des sociétés. C'est en tout cas un sujet de réflexion sur lequel d'autres travaux seront certainement menés.
Pour ce qui est de la rénovation de certaines modalités de la négociation collective, je voudrais tout d'abord souscrire aux principes généraux qui ont été évoqués par M. le rapporteur : rénover le dialogue social, changer les mentalités à cet effet et faire confiance aux partenaires sociaux. Il s'agit évidemment là de nécessités criantes dans l'état actuel de nos entreprises et de notre économie. Il importe, à cet égard, de prendre appui sur ce qui existe. Je pense en particulier aux structures de négociation qui existent dans les branches d'activité, à la représentation des salariés telle qu'elle est organisée par nos lois et telle qu'elle est prise en charge par les organisations syndicales de salariés et du patronat.
Permettez-moi, madame le ministre, de tirer profit de cette intervention pour mettre l'accent sur une perspective un peu plus large, perspective à laquelle 30 % de mes collègues des différents groupes de la majorité sénatoriale ont bien voulu souscrire en déposant avec moi une proposition de loi en novembre 1995, afin d'instituer un contrat collectif d'entreprise.
Il est bien évident que cette proposition est beaucoup plus large que le dispositif que vous nous proposez cet après-midi. Je crois cependant qu'elle s'inscrit dans la même logique que celle qui a été adoptée le 31 octobre 1995 au plan national par les partenaires sociaux.
Pour mes collègues et moi-même, il est chaque jour plus évident que la vitalité économique et le progrès social doivent se concilier au plus près de l'entreprise. Pour nous, c'est dans le cadre d'un dialogue social organisé avec de bons interlocuteurs que l'on doit rechercher une plus grande compétitivité économique, la satisfaction des aspirations des salariés et la défense de l'emploi.
Toutefois, chaque entreprise se trouve dans une situation spécifique. Il faut donc savoir s'adapter à son environnement économique et social, légitimer, en quelque sorte, les acteurs du dialogue social et leur conférer un espace suffisant de liberté contractuelle. Il est incontestable qu'il apparaît, à partir de notre actuel droit du travail, une hiérarchie des sources de droit largement préjudiciable à l'autonomie des acteurs.
Comment résoudre cette contradiction ? Comment libérer l'initiative des acteurs au sein de l'entreprise sans porter atteinte au fait syndical ni déresponsabiliser les organisations qui ont pour vocation de prendre en charge au niveau des branches l'élaboration de la négociation collective ?
Afin d'ouvrir de nouveaux espaces de liberté à la négociation collective, nous nous sommes situés, en déposant notre proposition de loi - même si cela paraîtra peut-être un peu paradoxal à certains - dans la perspective que traçaient déjà les lois Auroux de 1982, qui avaient introduit dans le droit du travail un principe de subsidiarité de la norme légale au profit de l'accord d'entreprise, assorti d'un droit d'opposition destiné à valider la légitimité des signataires à un accord.
Nous avons envisagé d'élargir ce principe à l'ensemble des conditions de travail, d'emploi et de rémunération, en respectant, bien entendu, ce que j'appellerai le socle social, c'est-à-dire toutes les dispositions d'ordre public qui portent, notamment, sur la représentation des salariés, les droits de la défense, les attributions des institutions sociales et représentatives du personnel, le salaire minimum interprofessionnel de croissance, etc.
Nous nous sommes donc interrogés sur l'opportunité d'une globalisation de la négociation au sein d'une entreprise, d'une responsabilisation des acteurs pour qu'ils puissent proposer des objectifs tant en matière salariale qu'en matière de conditions de travail, de préparation de la retraite ou sur tout sujet qualitatif qui conditionne le climat social dans l'entreprise.
Bien entendu, notre propos ne consistait pas à nier, bien au contraire, la légitimité des acteurs sociaux et syndicaux, qui ont reçu du code du travail des responsabilités essentielles en la matière. C'est pourquoi nous avons imaginé une articulation avec les négociations de branche, les partenaires sociaux de la branche ouvrant, en quelque sorte, aux acteurs d'entreprise la possibilité de négocier un contrat collectif.
Dans notre esprit, c'est donc au seul niveau de la branche que doivent être précisées les dispositions conventionnelles ou légales - autres que celles qui relèvent de l'ordre public et que j'évoquais précédemment - devant conserver un caractère impératif au vu de la situation particulière de la branche ; c'est au seul niveau de la branche que doivent être définies les conditions de forme de la négociation pour en garantir la légitimité ; c'est au seul niveau de la branche que doivent être organisées les procédures de règlement des litiges pour l'interprétation de ces futurs contrats d'entreprise ; enfin, c'est au seul niveau de la branche que doit être mis en place un observatoire des pratiques pour pouvoir tirer les conclusions de ces différentes expériences.
Le point de passage obligé - que l'on ne s'y méprenne pas ! - doit demeurer l'accord collectif de branche, qui doit lui-même demeurer soumis à la commission nationale de la négociation collective, où siègent tous les syndicats représentatifs sur le plan national. Un double verrou est donc mis en place : le verrou national et le verrou de la branche.
Mais, une fois qu'un espace de liberté aurait été ainsi défini, et dans ces formes-là, pour les acteurs dans l'entreprise, il a semblé aux auteurs de la proposition de loi qu'il fallait permettre cette globalisation de la négociation dans l'entreprise.
C'est là une procédure innovante mais respectueuse des droits des institutions représentatives du personnel, une procédure mettant en présence des représentants des salariés qui peuvent être, selon le cas, des délégués syndicaux et des membres élus du comité d'entreprise, des délégués syndicaux seuls ou encore, s'il n'y a pas de délégués syndicaux - c'est le cas, on le sait, dans nombre d'entreprises - des membres élus du comité d'entreprise, mais à la condition - là encore, c'est un verrou - que celui-ci ait été habilité, au moment de son élection, à passer un tel contrat collectif d'entreprise.
En ce qui concerne la ratification de cet accord, nous avons ajouté que deux formules pouvaient être envisagées : soit l'entreprise a des délégués syndicaux, et la ratification de l'accord s'effectue selon les formes habituelles ; soit l'entreprise n'a pas de délégués syndicaux, et il faut trouver une base et une légitimité au contrat, la seule procédure concevable, dans ce seul cas bien précis, nous semblant alors devoir être le référendum d'entreprise.
Madame le ministre, j'ignore quel sera le devenir de cette proposition, mais mes trente collègues et moi-même pensons qu'il est véritablement urgent d'ouvrir des voies nouvelles, de globaliser les négociations sur des sujets tels que les salaires, la durée du travail, l'aménagement du temps de travail, les conditions de travail, la formation, l'emploi, la prévoyance.
Nous avons constaté que dans toute une série de domaines, en l'absence, aujourd'hui, de ce processus de globalisation, il est des sujets qui ne peuvent pas être correctement traités. Permettez-moi d'en donner quelques exemples en terminant mon propos.
S'agissant de la négociation salariale, nous savons qu'aujourd'hui les salariés et l'employeur qui seraient d'accord pour négocier un accord salarial pluriannuel, sur trois ans, par exemple, ne peuvent pas le faire, car le code du travail impose la négociation annuelle. Pourquoi exclure des objectifs pluriannuels en matière de négociation salariale si un équilibre intervient avec d'autres dispositions de nature qualitative portant, par exemple, sur les qualifications ou sur différents éléments conditionnant le climat social dans l'entreprise ?
Je peux également prendre l'exemple de la prime d'ancienneté. Faut-il établir une prime d'ancienneté ou lui préférer la mise en place de formations qualifiantes sanctionnées par des diplômes ? C'est là un autre espace de négociation susceptible d'avoir une portée plus ou moins réelle selon l'entreprise.
Autre exemple, certaines conventions collectives interdisent la mise à la retraite entre soixante et soixante-cinq ans, même si le salarié a acquis tous ses droits. Pourquoi ne pas donner à l'entreprise la possibilité de mettre en retraite un salarié muni de tous ses droits et se trouvant dans cette tranche d'âge en contrepartie de l'embauche de jeunes salariés ? Pourquoi ne pas globaliser cette approche avec d'autres enjeux de nature salariale ou de nature qualitative ?
Je crois d'ailleurs avoir lu dans la presse que, tout récemment, une entreprise du secteur des loisirs dont le président est M. Edmond Maire a pratiqué une négociation de ce type. Peut-être M. Maire a-t-il innové en utilisant les possibilités juridiques que lui ouvrait le code du travail ?
M. Emmanuel Hamel. Dans ce cas, il a eu raison !
M. Philippe Marini. J'évoquerai encore la régulation du télétravail, par exemple. Le code du travail, dans son schéma traditionnel, n'est pas adapté à un tel phénomène, qui peut pourtant prendre de l'ampleur et éventuellement favoriser la création d'emplois. Mais il faut, bien sûr, que des garanties soient établies au bénéfice des salariés, ce qui implique des modalités d'organisation différentes. Le contrat collectif d'entreprise pourrait permettre d'englober cet aspect parmi d'autres.
Je pourrais parler également, bien entendu, du temps de travail, de la semaine de trente-cinq heures et de l'instauration de rythmes de travail plus réduits moyennant des contreparties salariales et toutes sortes d'autres choses susceptibles d'être traitées en négociation.
Tout cela, madame le ministre, n'a que vertu d'exemple, notre démarche ayant pour objet de valoriser les responsabilités des partenaires sociaux dans l'entreprise.
La loi dite « loi Robien » de l'été dernier a déjà permis de libérer nombre d'initiatives et elle est intéressante pour l'avenir. Mais il faut aller encore plus loin, et cela suppose que, dans le respect des droits sociaux, dans le respect des institutions représentatives du personnel, l'on puisse mieux s'adapter au terrain et donner plus de responsabilités aux acteurs sociaux dans l'entreprise.
Madame le ministre, voilà le sens de la démarche que mes collègues et moi-même avons esquissée. Certes, l'objet du texte d'aujourd'hui est beaucoup plus restreint, plus modeste, mais, si je me suis permis - veuillez me le pardonner - de tracer ces perspectives, c'est parce que je crois qu'elles ne sont pas complètement étrangères à notre débat de cet après-midi.
Bien sûr, je voterai le projet de loi, avec l'ensemble des collègues de mon groupe ; mais nous sommes nombreux, je crois, à le faire en espérant que, après cette avancée, d'autres suivront et que nous aurons ainsi pour notre pays des espérances solides de créations d'emplois grâce à la mise en oeuvre de toutes les initiatives nécessaires au niveau des entreprises, et ce, bien sûr, sur le plan local, car c'est bien à partir de la réalité de l'entreprise et dans le respect de tous les droits que j'ai énumérés longuement que peuvent se faire jour des formules innovantes, des formules susceptibles, j'en suis convaincu, d'être réellement créatrices d'emplois. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd'hui affiche l'ambition de renforcer le dialogue social au sein des entreprises, ce dont a priori on ne devrait que se féliciter.
Ses auteurs entendent, tout d'abord, adapter les structures de représentation au sein de l'entreprise à l'internationalisation de l'activité économique. Ils disent également avoir la prétention de remédier à un mal endémique de notre vie sociale, à savoir la sous-représentation syndicale dans les entreprises, singulièrement dans les PME.
On espère ainsi revaloriser la politique contractuelle dans les relations du travail.
Ce qui est frappant, c'est l'extranéité des dispositions que nous sommes censés examiner. Signe des temps, me direz-vous, vous nous proposez la transcription d'une directive communautaire, laborieusement négociée, puis celle d'une partie d'un accord interprofessionnel qui, lors de sa négociation, n'a pas fait, tant s'en faut, l'unanimité.
Même si l'on admet que la construction de notre droit social procède d'une démarche quelque peu particulière, avouez qu'on peut tout de même s'étonner que l'on nous demande de ne rien modifier aux textes qu'on nous présente ! Serions-nous en passe, madame le ministre, mes chers collègues, de devenir des législateurs virtuels ?
M. Emmanuel Hamel. Hélas !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. La directive communautaire a été adoptée voilà deux ans et l'accord interprofessionnel sur la politique contractuelle a été conclu il y a un an. En demandant l'urgence sur son projet de loi, le Gouvernement nous fait une étonnante démonstration de la relativité du temps !
Si l'on peut considérer que les dispositions issues de la directive s'inscrivent dans une démarche que la France avait largement anticipée, et qu'elles ne devraient donc pas révolutionner notre réglementation sur ce point, en revanche, l'article 6 sur les accords d'entreprises va provoquer des bouleversements sur des questions aussi fondamentales que celles des détenteurs du pouvoir de négociation au sein de l'entreprise, de la nature même de cette négociation, voire du devenir de notre droit social et de ses principes fondateurs.
Abordons, tout d'abord, la question de la consultation des salariés dans les entreprises de dimension communautaire.
A l'Assemblée nationale, Mme Catala, dans son rapport d'information, nous a relaté les nombreuses péripéties qu'a connues cette directive relative à l'information et à la consultation des salariés. Elle fut ralentie du fait des disparités de réglementation entre les Etats membres, mais en raison également de la mauvaise volonté de certains de nos partenaires. La charte des droits sociaux, adoptée en 1988 sous la présidence française grâce à la pugnacité du président Mitterrand, énonçait solennellement le droit d'information et de consultation des salariés. La loi « Auroux » du 28 octobre 1982 avait déjà reconnu l'utilité des comités de groupe.
C'est également à partir des années quatre-vingt que des entreprises françaises de dimension internationale ont mis en place des procédures de consultation de leurs salariés travaillant dans des pays différents.
La directive communautaire, que l'on estime être la première concrétisation du protocole social annexé au traité de Maastricht, crée donc un nouveau droit au profit de certains travailleurs européens. En effet, ceux qui travaillent dans des entreprises de plus de 1 000 salariés et ayant des établissements dans au moins deux Etats jouiront d'un droit à être informés de l'état de santé de leur groupe, de leur stratégie. J'insiste sur le mot « informés », car nous verrons que la notion de dialogue n'est que très relative.
Ces nouvelles dispositions organisent la création d'un groupe spécial de négociation habilité à mettre en place le dispositif de consultation. Il est créé sur l'initiative du chef d'entreprise ou de l'entreprise dominante ou, à défaut, à la demande de cent salariés. Il est également prévu une formule « clef en main » en cas d'échec des négociations.
C'est à ce groupe que revient la responsabilité de choisir entre les formules de dialogue social suivantes : une procédure assez souple - et floue - d'information et de consultation, afin de ménager les Etats qui ne connaissent pas de structures spécifiques ; une institutionnalisation de cette consultation au travers d'un comité d'entreprise européen.
Du côté des salariés, les représentants au groupe spécial de négociation sont désignés par les organisations syndicales au prorata des résultats obtenus lors des dernières élections professionnelles et en proportion des effectifs dans chaque pays.
Ce groupe spécial devra définir les modalités de rencontre, la composition, la périodicité et le financement.
La préoccupation majeure est de savoir sur quoi porteront ces discussions. Et force est de constater que le texte communautaire se réfère à une version minimaliste de la consultation, celle-ci étant conçue comme « l'organisation d'un échange de vues et l'établissement d'un dialogue ».
M. Jean-Luc Mélenchon. Bavardage !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Bien que les attributions du comité d'entreprise européen dépendent du résultat des discussions organisées au sein du groupe spécial de négociation, nous pouvons déduire du nouvel article L. 439-15 du code du travail que la réunion annuelle permettra d'aborder notamment la situation économique et financière de l'entreprise, l'évolution de ses activités, la situation de l'emploi, les changements dans l'organisation, les transferts de production, les fusions, la fermeture d'entreprise, les licenciements.
Nous sommes donc loin de la vision française tendant à faire de cette procédure l'occasion pour les représentants des salariés de formuler un avis motivé sur la base d'informations préalablement reçues.
Il est regrettable que l'objectif étant d'aboutir à un texte consensuel, nous ayons été conduits à définir un cadre peu contraignant. On aurait souhaité que la France se montre plus déterminée et exige un dispositif plus ambitieux au service des salariés, même s'il est fait ici application du principe de double subsidiarité : d'abord, à l'égard d'accords déjà conclus et, ensuite, à l'égard des négociations entre partenaires qui se dérouleront en application de ce nouveau dispositif.
En prenant connaissance des expériences déjà engagées dans les entreprises françaises qui ont anticipé sur la démarche européenne, on constate que les services des ressources humaines insistent tout d'abord sur le rôle pédagogique de ces instances en matière économique - sensibilisation des représentants des salariés au contexte de l'entreprise - et évoquent ensuite l'intérêt de créer, au-delà des diversités nationales, une culture d'entreprise commune.
Il convient donc d'être vigilant, afin que le comité d'entreprise européen ne devienne pas un outil au seul service de l'employeur.
M. Jean-Luc Mélenchon. Très bien !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Le projet de loi prévoit parallèlement la suppression des comités de groupe au motif que ces structures feraient double emploi.
Dès lors, par qui seront assumées les compétences gérées aujourd'hui par le comité de groupe et qui, demain, ne seraient pas reprises par le comité d'entreprise européen ? C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste a déposé un amendement supprimant la modification introduite à l'article L. 439-24 du code du travail et prévoyant la disparition du comité de groupe.
Le groupe socialiste se félicite de voir reconnu ce droit nouveau car les salariés de près de 300 entreprises françaises vont pouvoir en bénéficier.
Cette reconnaissance intervient à un moment où les chefs d'entreprise décident de délocalisations, de fusions, de restructurations sans que les salariés travaillant sur un autre territoire bénéficient de la plus élémentaire information sur le devenir de leur entreprise.
Souhaitons que ces nouvelles procédures améliorent la qualité du dialogue et de la consultation, notion soigneusement éludée dans la directive. Nous attendions, sur ce point, plus d'exigence de la part de la représentation française, qui n'a pas joué un rôle d'aiguillon dans ce domaine comme l'attestent certaines interventions du ministre du travail et des affaires sociales devant la délégation pour l'Union européenne à l'Assemblée nationale.
L'article 6 du projet de loi est la transcription législative de dispositions de l'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995, signé parallèlement à l'accord relatif à l'aménagement et la réduction du temps de travail, mais signé partiellement, puisque deux grandes centrales syndicales et une union patronale en ont récusé les termes.
Je note à cet égard que tous les signataires représentant les salariés ont admis, lors des auditions organisées par la commission des affaires sociales, être conscients d'avoir pris un risque important en signant cet accord.
Monsieur le rapporteur, vous avez vous-même reconnu que vous aviez été déstabilisé par les arguments forts avancés notamment par les inspecteurs du travail qui vous faisaient part de leurs craintes. En effet, qui peut mieux évaluer, avec pertinence et justesse, les effets pervers prévisibles de tels accords ?
Les signataires ont souhaité poser les grands principes de ce qu'ils estiment être de nature à relancer la politique contractuelle dans l'entreprise. Ils ont donc envisagé que, à titre expérimental, pour trois ans, dans les entreprises privées de délégué syndical, chaque branche choisira une formule alternative de négociations qui seront menées par une nouvelle catégorie de négociateurs. Ce dispositif dérogeant au droit commun, il est donc demandé au Parlement d'intervenir comme une chambre docile d'enregistrement.
Par ailleurs, chaque branche fixera les thèmes pouvant êtrer négociés par le biais de ces accords d'entreprise et le seuil d'effectifs en deçà duquel s'appliquera cette expérimentation. Elle devra également définir les modalités de protection du ou des salariés habilités à négocier.
Analysons l'objectif annoncé de la relance de la politique contractuelle.
Cette dernière a connu un plein essor au cours des années soixante-dix grâce à la négociation collective organisée dans les branches professionnelles. Comme le souligne l'accord du 31 octobre, « elle était un facteur de progrès social et d'égalité entre les salariés... tout en évitant les distorsions de concurrence entre les entreprises ».
Depuis quelques années, un courant de pensées ayant ses adeptes chez certains partenaires sociaux revendique le transfert d'une majeure partie de la négociation collective au niveau de l'entreprise. La lecture du projet du mouvement patronal « Entreprise et progrès » sur les contrats collectifs d'entreprise est très claire sur ce point et nous révèle le fondement même de cette stratégie.
Pour réaliser celle-ci, force est de constater que se posent aux partenaires un certain nombre de difficultés au premier rang desquelles figure la faiblesse de la représentation syndicale, notamment dans les petites et moyennes entreprises. M. le rapporteur l'a souligné tout à l'heure.
Il a également cité des chiffres éloquents : 30 % des établissements de plus de dix salariés n'ont pas de délégués du personnel et 20 % des établissements n'ont pas de comité d'entreprise.
M. Jean-Luc Mélenchon. A quoi cela tient-il ?
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. On identifie bien un certain nombre de raisons de cette désaffection. Il s'agit de la nature de notre syndicalisme, de la crise qui fragilise les salariés, de l'extension à tous du bénéfice des accords signés, des réticences - le mot est faible - des employeurs à voir se développer des sections syndicales. En tout cas, mes chers collègues de la majorité, ce ne sont pas les dispositions que vous avez adoptées lors de l'examen de la loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle qui ont contribué à améliorer cet état de fait.
M. Jean-Luc Mélenchon. Très juste !
M. Guy Fischer. Au contraire !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Le cadre légal de la représentation collective en France a été édifié autour de principes que l'on qualifie d'ordre public tant ils sont fondamentaux, à savoir la représentation des salariés au travers de syndicats, laquelle a été affirmée au lendemain de la Libération dans la Constitution de 1946, et le monopole des syndicats pour la signature d'accords collectifs de travail, qui est prévu aux articles L. 132-2, L. 132-19, L. 132-20 et L. 411-17 du code du travail et dans la convention n° 98 de l'Organisation internationale du travail.
Mes chers collègues, je sais que ces notions apparaissent dépassées aux yeux de certains ; elles fondent pourtant l'exercice de la démocratie et de la citoyenneté dans le monde du travail...
M. Jean-Luc Mélenchon. Exactement !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. ... et donc dans la société si l'on veut bien considérer la place qu'occupe le travail dans la vie des hommes. Vouloir les contourner pose de réels problèmes de légalité, voire de constitutionnalité.
C'est dans le respect de ces principes qu'ont été signés des accords aussi célèbres et bénéfiques que celui qui est relatif à la mensualisation ou les accords de Grenelle.
Aujourd'hui, en 1996, la défense de ces principes n'est pas un combat d'arrière-garde : la question de la représentativité est au coeur de la négociation et fonde la légitimité des résultats de celle-ci.
M. Jean-Luc Mélenchon. Exactement !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Les négociations menées avec des coordinations, bien que n'étant pas à l'ordre du jour de nos discussions d'aujourd'hui, sont exemplaires et très révélatrices sur cette question.
On a déjà admis, pour compenser le manque de délégués syndicaux, que des élus du personnel pouvaient être désignés au second tour sans avoir une étiquette syndicale. Aujourd'hui, on nous demande de légaliser une pratique qu'avait déjà tolérée, il est vrai, la chambre sociale de la Cour de cassation, à savoir la possibilité pour un salarié, quel qu'il soit, d'être « intronisé » - si vous me permettez d'employer ce terme - comme négociateur officiel.
L'accord interprofessionnel prévoit une alternative. Chaque branche devra choisir entre la désignation de salariés mandatés expressément par une ou plusieurs organisations syndicales pour une négociation préalablement définie dans le cadre de la branche, ou la reconnaissance de l'élu du personnel comme négociateur de l'accord d'entreprise sur des thèmes ouverts par l'accord de branche sans intervention d'une organisation syndicale.
Tout d'abord, ce dispositif n'encouragera en rien l'implantation des syndicats dans les PME, on les maintiendra à l'extérieur de l'entreprise, prenant acte simplement de leur inexistence en son sein. Bien au contraire, il ne pourra que contrecarrer leur implantation !
Je doute que cette évolution chagrine les organisations des employeurs. N'ont-elles pas prôné depuis quelques temps ce type de solution et ne voient-elles pas aboutir une de leurs revendications ?
De plus, traiter de politique contractuelle dans le monde du travail nous conduit inéluctablement à redouter des rapports, par essence inégaux, entre les contractants. Ce risque d'inégalité était largement atténué grâce à la représentation syndicale.
En effet, que penser d'un accord signé par un salarié propulsé sur le terrain aride des négociations, fragilisé par son isolement, confronté fréquemment à un chantage à l'emploi à l'occasion des négociations, vivant au quotidien une proximité délicate avec son interlocuteur et employeur, devant procéder à des estimations et des évaluations qui peuvent se révéler d'une technicité et d'une complexité redoutables ? Je pense tout particulièrement aux négociations sur l'aménagement et la réduction du temps de travail où il convient de prendre en compte une multiplicité de données : les contraintes économiques certes, mais aussi la vie de famille, l'évolution des salaires...
Comment, dans ces conditions, ne pas s'étonner qu'aucune disposition n'ait été prévue pour assurer la formation de ces salariés ? Comment ne pas percevoir les sérieuses difficultés de tels négociateurs pour aborder les discussions avec la capacité réelle de faire prévaloir l'intérêt collectif, et ce en toute indépendance ?
Ceux qui, dans le patronat français, semblent avoir inspiré pour partie ces propositions le reconnaissent eux-mêmes d'ailleurs puisqu'ils affirment : « Les délégués du personnel sont souvent isolés et n'ont ès qualités aucune expérience de la négociation... » ou encore : « Un délégué du personnel ou un mandataire élu pour l'occasion » - et vous savez bien que ce sera le cas très souvent - « n'a pas, en tant que tel, d'expérience de la négociation. Par conséquent, il n'y a pas de garantie d'équilibre et d'authenticité de la négociation ».
Le risque est grand que nous assistions au développement de syndicats maison plus ou moins corporatistes et que nous allions vers toujours plus de flexibilité, notamment dans les PME et les PMI dont les salariés sont déjà victimes de grandes inégalités. Demain, celles-ci ne pourront que s'accentuer puisque la loi et la convention collective de branche disparaîtront au profit d'accords d'entreprise négociés dans de telles conditions.
Certes, les négociateurs de l'accord interprofessionnel ont envisagé des garanties afin de réintroduire les organisations syndicales dans le processus, reconnaissant par là même la fragilité d'accords ainsi conclus.
Dans le cas d'un élu du personnel habilité à négocier, une commission paritaire composée des organisations représentatives est chargée de valider, ou non, l'accord d'entreprise ainsi négocié. Je suis malheureusement sceptique quant à la réalité d'un tel contrôle a posteriori . Quelle sera la nature de ce contrôle ?
De plus, quelles seront les références à opposer à un accord d'entreprise ? Le paragraphe II de l'article 6 ne laisse aucun doute sur l'inexistence d'un contrôle de la direction départementale du travail.
En revanche, si la branche a choisi la formule du salarié mandaté, ce contrôle a posteriori de la commission paritaire n'intervient plus. Peut-être a-t-on estimé qu'une intervention en amont des organisations syndicales dispensait de la vérification du respect des normes essentielles en vigueur dans la branche concernée.
Je m'étonne également du peu de garanties prévues pour la protection du salarié appelé à négocier. Il est en effet simplement fait référence à l'accord de branche « qui devra prévoir cette protection ». Cela signifie que d'un corps de métier à l'autre, pour une fonction identique, la protection pourra être différente.
Sur un aspect aussi délicat et important de la négociation collective, pourquoi ne pas avoir prévu un régime unique qui, a minima, devrait être l'autorisation administrative de licenciement ? Il y a là une rupture du principe de l'égalité devant la loi.
Vous avez souhaité confier à un salarié « ordinaire », et cet adjectif n'a rien de péjoratif, des responsabilités identiques à celles d'un délégué syndical. Alors allez jusqu'au bout de votre logique en lui garantissant une protection identique à celle du salarié protégé, prévue à l'article L. 412-18 du code du travail, qui impose l'autorisation administrative préalable en cas de licenciement.
Pour conclure, si l'on veut faire une lecture globale de cet article et l'inscrire dans la perspective d'une démarche déjà largement engagée, souhaitée par le patronat, validée par le Gouvernement, on obtient l'équation suivante : d'abord, côté salarié, des négociateurs fragiles et souvent démunis ; ensuite, une absence réelle de contrôle en aval et, enfin, la possibilité de multiplier des accords d'entreprise dérogatoires.
J'ai commencé mon propos en me demandant si nous n'étions pas en train de devenir des législateurs virtuels tant nous étions étrangers à l'élaboration du contenu de cette loi.
Nous pouvons poursuivre cette interrogation si nous analysons les revendications de certains quant au processus d'élaboration du droit social. Selon eux, il s'agit ni plus ni moins de redéfinir la hiérarchie des sources du droit afin de faire prévaloir la norme élaborée au sein de l'entreprise.
Madame le ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le problème de la sous-représentation syndicale réelle et grave méritait mieux que cette lettre rectificative introduite sous la forme d'un article 6 dans ce projet de loi ; il méritait mieux que ce passage en force. Il aurait été intéressant et nécessaire d'engager un débat large, ouvert, qui aurait abouti à des propositions constructives permettant de négocier dans des conditions équilibrées.
Certaines suggestions ont été émises, notamment celle d'une territorialisation des négociations de branche afin de les rapprocher de l'entreprise - et c'est nécessaire - tout en garantissant la formation des négociateurs ainsi que la représentativité des délégués syndicaux appelés à négocier. Cette formule, parmi d'autres, aurait par ailleurs l'avantage de renforcer les organisations syndicales.
Mais, monsieur le ministre, vous n'avez pas voulu organiser ce débat et nous le regrettons. Nous ne pouvons souscrire à votre projet de loi ; le groupe socialiste votera donc contre. (Applaudisssements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec le texte dont nous discutons aujourd'hui, le Gouvernement fait une nouvelle fois la preuve de son imagination ainsi que de sa persévérance à faire passer, coûte que coûte, des projets de déréglementation des relations de travail.
C'était déjà le cas avec la loi quiquennale en matière non seulement de possibilité d'aménagement du temps de travail, qu'elle élargissait, mais aussi de dérogation et de représentation des salariés.
C'était encore le cas de l'expérimentation puis de l'adoption des dispositions sur le chèque emploi-service et les emplois de proximité.
Voilà que le Gouvernement propose de franchir une nouvelle étape avec ce texte de loi.
Comme l'a indiqué M. le rapporteur, ce projet de loi rassemble en réalité deux textes qui étaient à l'origine distincts.
M. Louis Souvet, rapporteur. J'avais précisé qu'ils avaient un but commun !
M. Guy Fischer. Il s'agit, d'une part, de la transposition législative d'une directive européenne relative aux comités de groupe et aux comités d'entreprise européens, directive qui répond à des souhaits émis de longue date par les syndicats.
Il s'agit, d'autre part, d'un texte validant l'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995 relatif à la politique contractuelle, accord qui, je le rappelle, n'a été signé ni par la CGT ni par FO, organisations qui, à elles deux, représentent plus de 50 % des suffrages aux élections prud'homales. Cela mérite d'être souligné.
L'article 6 du projet de loi a donc été adjoint, je serais tenté de dire à la sauvette, quelque temps avant la discussion à l'Assemblée nationale, au mois de juin dernier.
L'urgence déclarée sur le projet de loi n'est admissible que sur le texte relatif au comité de groupe européen compte tenu du délai de deux ans imposé pour transcrire la directive du 22 septembre 1994.
J'ai déjà eu l'occasion, par ailleurs, de dénoncer avec mon groupe ce subterfuge législatif consistant à associer deux textes de nature et de portée différentes, inspiré par la volonté de tenir les salariés à l'écart des discussions d'un texte qui est non seulement à mes yeux, mais aux yeux de nombreux syndicalistes ou de grands spécialistes du droit du travail, une atteinte aux droits des travailleurs et de la représentation syndicale dans l'entreprise.
En ce qui concerne le texte sur les comités européens d'entreprise, si l'adoption de la directive constitue à mon sens un progrès, je regrette que le Gouvernement ait transcrit, en quelque sorte a minima, les droits ouverts aux salariés.
Je regrette, par exemple, la disparition d'un comité de groupe français en cas de création d'un comité d'entreprise européen, alors que la configuration d'un groupe européen n'est pas forcément la même que celle d'un groupe français.
Je déplore également que ce texte introduise ce qui me semble une innovation pour le moins regrettable dans le code du travail, à savoir le fait de fixer des maxima légaux. Je pense, par exemple, au nombre de représentants des salariés au sein du comité européen d'entreprise. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce point lors de l'examen des amendements.
Le code du travail doit, selon nous, rester le socle minimal commun à partir duquel les partenaires sociaux bâtissent l'édifice conventionnel chargé d'améliorer, vers le progrès, les droits des salariés.
Notre groupe proposera plusieurs amendements ciblés, destinés à revenir sur les insuffisances du texte.
Nous détaillerons notre position sur les comités d'entreprises européens dans la discussion des articles et des amendements. Je concentrerai mon intervention sur l'article 6 du projet de loi. Cet article, M. le rapporteur nous l'a indiqué, vise essentiellement, sous couvert d'expérimentation, à permettre la signature d'accords d'entreprises là où il n'y a pas de représentation syndicale.
En effet, notre droit prévoit que les conventions et accords sont conclus exclusivement entre les employeurs et les organisations syndicales représentatives.
J'avoue que je ne comprends pas le désarroi du patronat quand il se plaint, après une décennie de répression antisyndicale féroce, de l'absence d'interlocuteurs représentatifs des salariés pour négocier. J'ai effectué des recherches. Permettez-moi, monsieur le ministre, chers collègues, de vous rappeler que, dans les années quatre-vingt, le nombre de délégués syndicaux licenciés chaque année a quasiment explosé. En 1993, les demandes d'autorisation de licenciement les concernant ont été de 20 000 !
Face au désert syndical que cette répression a provoqué, notamment dans les PME, le projet de loi a pour objet, dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux, d'autoriser les employeurs à négocier et à conclure avec les élus du personnel des accords, y compris des accords comportant des dispositions dérogatoires aux règles d'ordre public existantes.
Cette possibilité d'accord est même élargie à de simples salariés mandatés en cas d'absence de représentation du personnel.
Rappelons au passage, puisqu'il semble que cela ne soit pas clair pour tout le monde ici, que l'accord du 31 octobre 1995 et le projet de loi ne fixent pas de seuil, puisque une entreprise de plus de 50 salariés sans délégué syndical peut utiliser les dispositions de l'accord !
Notre rapporteur rappelle à juste titre que 30 % des établissements de plus de 10 salariés n'ont pas de délégué du personnel et que plus de 20 % des établissement de 50 salariés n'ont pas de comité d'entreprise. Il aurait dû rappeler également que 75 % des salariés protégés licenciés sont aujourd'hui des représentants du personnel non syndiqués.
M. Louis Souvet, rapporteur. Il fallait bien que je vous laisse dire quelque chose, monsieur Fischer ?
M. Guy Fischer. Telle est la réalité !
En fait, sous prétexte de « renforcer le dialogue social », il s'agit uniquement de favoriser la signature d'accords dérogatoires au droit du travail en matière d'aménagement du temps de travail et des salaires. Il faut entendre par accords dérogatoires des accords défavorables salariés.
En effet, il est faux de faire croire qu'il est impossible de négocier des accords en l'absence de délégué syndical. Rien ne l'empêche, à la condition impérative que cet accord respecte l'un des principes fondamentaux de notre droit du travail, à savoir « qu'un accord collectif ne peut contenir que des dispositions plus favorables, ou des avantages non prévus, que les dispositions légales ou réglementaires ».
Parlons clair ! Cet accord n'est rien d'autre qu'une machine de guerre contre le droit du travail. Il s'agit d'entamer une réduction négociée, entreprise par entreprise, des avantages acquis par les salariés.
Il s'agit, pour le patronat, de désarmer les salariés en supprimant ce qui les unit, en particulier les conventions collectives et le code du travail.
Mais, nous dit-on, ce texte n'a qu'un caractère expérimental, et comment parler de « casse du code du travail » alors que celui-ci n'est pas touché ?
L'expérience nous prouve que le caractère expérimental n'a rien à voir avec un « essai pour voir ». C'est en réalité la mise en place d'un processus durable dont on cherche à minimiser la portée immédiate et dont le plein effet ne sera sensible que plus tard.
Lors de son audition devant la commission des affaires sociales sur le projet de loi, le représentant du CNPF n'a-t-il pas déclaré que l'article 6 du projet de loi allait être précurseur des modifications des rapports sociaux dans les cinq ou dix ans à venir, et que la volonté affirmée était bien d'aller vers un éclatement durable de la norme juridique pour parvenir à plus de flexibilité ?
Rappelons-nous la loi quinquennale sur l'emploi ; les possibilités de déroger au code du travail en matière d'aménagement du travail ne bénéficieraient-elles pas d'un garde-fou, le monopole syndical de négociation ? Et bien voilà que l'on nous propose de détruire cette protection !
Le nouveau « droit d'opposition » inventé par le texte - c'est l'article 6 - n'offre aucune garantie puisque l'opposition ne sera prise en considération que si les organisations opposantes sont majoritaires en nombre ; si un seul syndicat représentant plus de 50 % des voix des salariés s'oppose à l'accord, celui-ci pourra être validé. Ainsi un syndicat représentant 5 % des voix aux élections professionnelles aura autant de poids qu'un syndicat représentant par exemple 50 %. On réinvente le scrutin censitaire.
La procédure d'opposition prévue à l'article L. 133-11 ne sera pas applicable aux accords passés selon les dipositions de l'article 6, et la commission nationale de la négociation collective sera court-circuitée. Elle sera, comme le Parlement d'ailleurs, consultée a posteriori et invitée à avaliser cette « expérimentation » prévue jusqu'en 2001.
L'inspection du travail sera dans l'incapacité d'assurer le contrôle des accords et les conseils de prud'hommes seront engorgés.
En outre, les possibilités de déroger seraient maintenant déterminées par les négociations de branche ; tout peut donc être ménacé : la durée du travail, puis la représentation syndicale et, pourquoi pas, c'est dans l'air du temps, l'hygiène et la sécurité !
On pourra, selon l'expression des inspecteurs du travail, « faire signer n'importe quoi par n'importe qui ».
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est grave !
M. Guy Fischer. Dans un domaine aussi complexe que celui de l'aménagement du temps de travail, on va, de l'avis même de spécialistes, demander à des salariés sans formation spécifique et qui ne bénéficient pas de l'expérience et du soutien d'une organisation syndicale de négocier - je devrais dire de ratifier - un projet d'organisation du travail élaboré, le plus souvent, par l'employeur, ou plutôt par certains cabinets spécialisés. Ce qui est en jeu n'est pas négligeable, puisqu'il s'agit des rythmes de travail des salariés, de leurs congés et de leurs salaires par le biais des heures supplémentaires.
Mais, plus grave encore, les salariés chargés de négocier ne bénéficieraient pas obligatoirement des protections accordées aux délégués syndicaux ; ils risquent donc d'être soumis à toutes les pressions de la part de l'employeur.
En outre, selon le projet de loi tel qu'il est rédigé actuellement, rien n'empêche qu'un salarié mandaté ou un élu d'un certaine catégorie, un cadre du troisième collège, puisse signer un accord concernant uniquement d'autres catégories, celle des ouvriers par exemple !
Comment peut-on imaginer sérieusement que les employeurs dont l'entreprise ne compte pas de section syndicale se priveront de choisir de bons interlocuteurs parmi les élus non syndiqués ou parmi des salariés qui seront mandatés par des syndicats compréhensifs ?
Monsieur le ministre, de quelle négociation s'agit-il quand l'initiative est réservée au seul employeur tandis que les salariés négocient au moment, dans les termes et avec les personnes choisis par celui-ci ?
Avec l'article 6 du projet de loi, il s'agit purement et simplement de modifier l'objet même de la négociation collective, qui sera non plus un droit reconnu aux salariés pour améliorer leurs conditions d'emploi et leurs garanties sociales, mais un instrument au service du patronat pour imposer aux salariés les plus faibles, les plus menacés dans leur emploi, de nouvelles flexibilités, diminuant les avantages contenus dans les anciennes conventions collectives ou de branche.
Machine de guerre contre les acquis des salariés, le texte l'est aussi contre la représentation syndicale.
En effet, aujourd'hui, quel peut être l'intérêt de l'employeur de tolérer au sein de l'entreprise une section syndicale, si ce n'est celui de négocier un accord ?
S'il peut négocier avec un délégué du personnel, il n'a plus besoin de syndicat.
Au contraire, il y a risque d'opposition à l'accord. Ce n'est pas le diaboliser que de dire qu'il a un intérêt objectif à « casser » la section syndicale dans les entreprises de moins de cinquante salariés.
Le groupe communiste républicain et citoyen ne peut donc qu'être opposé à un tel texte.
Je note d'ailleurs avec intérêt que le rapporteur de la commission des affaires sociales, notre collègue M. Souvet, se montre lui-même très critique à l'égard de l'article 6 du projet de loi. Certes, tout est dit en nuances, mais il craint, selon ses propres mots, des « dérapages ». Il relève que « l'inspection du travail n'aura pas les moyens de contrôler tous les accords ». Il redoute que « les précautions prises par les partenaires sociaux ne soient insuffisantes »,...
M. Louis Souvet, rapporteur. Je n'ai pas dit cela, monsieur Fischer.
M. Guy Fischer. ... que les commissions paritaires risquent de n'être pas réellement représentatives.
M. Emmanuel Hamel. Nous avons noté ses craintes !
M. Guy Fischer. Sur ce point, nous regrettons que les principales observations de M. le rapporteur, pourtant fort intéressantes, comme je viens de l'indiquer, et révélatrices de la nécessité de ce texte, n'aient pas été inclues dans le rapport.
Par ailleurs, « faute de certitude », M. le rapporteur ne présente pas d'amendement. Curieuse extension du principe du « bénéfice du doute » à une oeuvre législative !
Le doute doit conduire au contraire à repousser ce texte.
D'ailleurs, en droit du travail, le doute bénéficie toujours aux salariés ; de ce droit aussi vous voudriez les priver ?
Si le CNPF et le Gouvernement se soucient vraiment de la présence syndicale dans les PME, pourquoi ne nous propose-t-on pas plutôt l'abaissement des seuils pour la désignation des délégués syndicaux par les organisations syndicales représentatives ? Au contraire, ces seuils ont été relevés dans la loi quinquennale !
Pour notre part, nous avons des propositions à formuler afin d'améliorer la représentation collective des salariés.
Nous proposons pour tous les salariés, dans toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, le droit à une heure d'information syndicale. Nous proposons également que, dans les entreprises où il n'existe pas de section syndicale, un représentant syndical mandaté expressément puisse réunir et consulter les salariés pour les informer de leurs droits et recueillir leurs revendications.
Nous proposons encore que soit abaissé le seuil de désignation d'un délégué syndical à dix salariés.
S'agissant du droit d'opposition aux accords, le système actuel n'en prévoit la possibilité que si l'opposition provient d'organisations syndicales ayant recueilli plus de 50 % des inscrits aux élections professionnelles. Tel qu'il existe, ce droit d'opposition est donc pratiquement inopérant.
Je vous le demande, mes chers collègues, combien de députés auraient été élus s'il leur avait fallu, pour ce faire, recueillir les suffrages de plus de 50 % des inscrits ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Très bien !
M. Guy Fischer. Nous proposons donc, pour notre part, que soient pris en compte les suffrages exprimés et que les organisations syndicales représentant plus de 50 % des voix aux élections professionnelles ou prud'homales puissent valablement s'opposer aux conclusions d'un accord qu'elles rejettent.
Naguère, le Président de la République parlait de fracture sociale. Aujourd'hui, le ministre du travail parle de « desserrer la ceinture de sécurité » en matière de protection sociale !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Je n'ai jamais dit cela !
M. Guy Fischer. Mais si, vous l'avez dit, monsieur le ministre. J'ai sous les yeux les articles de presse qui le prouvent.
Mais cette ceinture est déjà bien lâche, monsieur le ministre. C'est à coups de systèmes dérogatoires, de déréglementations ou de flexibilité que des millions de personnes ont déjà été précarisées, appauvries, exclues ou épuisées par le travail !
En juin 1936, les travailleurs obtenaient les quarante heures, les congés payés et les conventions collectives. Le soixantième anniversaire de cette victoire sera-t-il fêté par la remise en cause du droit de la négociation collective ?
Pour sa part, le groupe communiste républicain et citoyen ne peut l'accepter. Nous demandons donc le retrait de l'article 6. A défaut, nous voterons contre le texte qui nous est proposé. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier tous les orateurs qui sont intervenus et, tout d'abord, M. Souvet, qui a salué l'esprit de responsabilité des partenaires sociaux.
En effet, nous allons légiférer à partir d'un accord interprofessionnel.
Cela prouve la volonté des partenaires sociaux de s'adapter au monde d'aujourd'hui et d'expérimenter des voies nouvelles.
Monsieur Souvet, vous avez posé une question sur le coût de fonctionnement du dispositif. Je peux citer l'exemple de Renault, où ce coût s'élève à 300 000 francs par an pour un comité de trente et un membres où l'on pratique sept langues ; c'est un coût raisonnable.
Vous vous êtes également inquiété du respect de la diversité syndicale. Je peux vous rassurer : le mode de répartition des sièges est conçu de telle sorte que les confédérations syndicales représentatives sur le plan national puissent être toutes représentées.
Quant au coût de l'expertise - un seul expert est obligatoire - il est à négocier dans l'accord. Il me semble difficile de le plafonner dans la loi.
S'agissant du deuxième texte inséré dans le projet de loi, une réflexion doit être engagée - ce qui a été fait à l'Assemblée nationale - sur les rapports entre la loi et les accords collectifs, sur l'articulation entre la vie conventionnelle et la législation. Mme Dieulangard, elle aussi, a évoqué cette question. Aujourd'hui, les partenaires sociaux signataires d'un accord interprofessionnel de l'importance de celui du 31 octobre 1995 confèrent une telle valeur d'engagement à cet accord qu'ils ont du mal à accepter que sa légalisation s'accompagne de modifications.
Cependant, le législateur peut, légitimement, de son côté, s'interroger sur son rôle dans cette procédure. Il s'agit là, monsieur Fourcade, d'un point très important sur lequel, avec l'aide du Sénat, nous devrons progresser.
En ce qui concerne l'artisanat, monsieur Souvet, aux termes de l'accord du 31 octobre 1995, la priorité sera donnée à la négociation de branche.
Par ailleurs, monsieur le sénateur, toutes les organisations syndicales seront représentées au sein des commissions de validation, chacune d'entre elles engageant tous les salariés. Je pense que la signature d'un grand nombre d'accords sera une preuve de succès, et nos services pourront en assurer le suivi.
M. Louis Souvet, rapporteur. Et la formation des négociateurs ?
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. En effet, c'est un point essentiel. Il faudra considérer le problème dans le cadre des accords de branche en y apportant tout le soin nécessaire.
Je voudrais également remercier M. Marini et lui donner acte de la qualité de sa réflexion. L'intervention qu'il a faite pour présenter sa proposition en témoigne.
Votre réflexion, monsieur le sénateur, procède d'une étude approfondie de l'évolution de l'activité conventionnelle de notre pays.
Votre objectif - c'est également le mien - est la valorisation de la négociation collective, dont vous voulez favoriser le développement. Vous dressez un constat, étayé des limitations et des points de faiblesse de la négociation collective et vous montrez la nécessité de lui permettre de se saisir des problèmes concrets dans l'entreprise, sans pour autant négliger le rôle de la branche.
Votre constat rejoint le diagnostic qui a conduit les partenaires sociaux à débattre en 1995 de l'organisation de la négociation collective et qui a finalement permis de parvenir à l'accord transposé dans le projet de loi qui vous est aujourd'hui soumis.
Monsieur Marini, je dis cela non pas simplement pour rendre hommage à votre travail, dont chacun, ici et ailleurs, connaît la qualité, mais parce que j'adhère très largement à votre démarche.
Toutefois, l'objet du débat d'aujourd'hui est circonscrit à la transposition législative de cet accord national interprofessionnel qui pose le problème que je viens d'évoquer, à savoir celui de l'articulation des accords interprofessionnels et des législations qui transposent ceux-ci.
Il revient à la représentation nationale de donner ou non à cet accord la suite qui convient, dans le respect du caractère expérimental de la démarche. Si le Sénat se prononce favorablement, comme le Gouvernement le souhaite, par le biais de ce dispositif expérimental, qui est prévu sur trois ans, une année étant écoulée, nous pourrons de façon concomitante explorer plus avant les voies que vous avez suggérées. J'en prends, pour ma part, l'engagement, et je profiterai de tous les entretiens que j'aurai avec les représentants des organisations représentatives pour avancer dans cette voie.
Je note d'ailleurs, monsieur Marini, que l'aménagement et la réduction du temps de travail conduisent de nombreuses entreprises à s'engager en quelque sorte dans cette direction par un accord très large dans le monde salarié.
J'entends bien que certaines opportunités ne doivent pas être négligées.
Non, madame Dieulangard, nous n'avons rien bousculé. N'oubliez pas que, d'une part, une date commune est fixée pour la transposition de la directive et que, d'autre part, l'accord interprofessionnel limite l'expérimentation à trois ans ; or une année s'est déjà écoulée depuis que cet accord a été conclu. Il était donc du devoir du ministre du travail de vous soumettre maintenant ces dispositions.
Je vous rappelle par ailleurs, madame le sénateur, que la fusion du comité européen et du comité de groupe suppose l'accord préalable de ce dernier.
Vous avez indiqué que certains inspecteurs du travail, voire tous, étaient défavorables à ce dispositif. Mais ce qui importe, c'est que ce soient les partenaires sociaux qui l'aient négocié.
M. Jean-Luc Mélenchon. Quelques partenaires sociaux !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Pardonnez-moi, mais nous avons un droit du travail et, que je sache, nous devons respecter ce qui est effectivement signé. Si nous attendions une signature de tous les partenaires, je le crains, la France n'avancerait guère !
Quoi qu'il en soit, les signataires ont prévu, vous le savez bien, un certain nombre de protections : il faut un mandat donné aux salariés, puis une validation par la commission de branche.
Quant à prétendre qu'il existe une contradiction avec la convention de l'OIT, je vous rappelle que celle-ci prescrit de prendre des mesures appropriées aux conditions nationales pour promouvoir la négociation collective. C'est bien ce que nous faisons, madame Dieulangard.
Je répète, à l'intention cette fois de M. Fischer, que ce texte n'est pas présenté à la sauvette, je viens d'en apporter la démonstration, et qu'il ne peut y avoir, en cas de fusion, disparition du comité de groupe sans l'accord de celui-ci.
Par ailleurs, la progression des licenciements est moins forte que vous ne le dites et elle s'explique par la multiplication, qu'on ne peut que regretter, des licenciements économiques ; ceux-ci représentent en effet l'immense majorité des licenciements. Il ne s'agit pas spécialement de licenciements de salariés protégés.
Vous évoquez, monsieur Fischer, une réduction des avantages acquis au sein de l'entreprise. Mais il faut savoir laisser aux acteurs sociaux le soin d'étudier ensemble ce qu'il convient d'adapter. S'agissant, par exemple, du temps de travail, s'il existe de nombreux accords d'entreprise qui répondent aux aspirations des salariés, c'est précisément grâce à cette dynamique de la négociation sociale.
Je suis toujours étonné d'entendre contester le principe selon lequel chaque syndicat représente tous les salariés. Ce principe fait partie des traditions de notre droit du travail.
Il faut admettre que ces accords interprofessionnels,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Mais partiels !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. ... même s'ils n'ont pas été signés par toutes les organisations, correspondent bien à la lettre et à l'esprit de notre droit du travail.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite que la sérénité préside à la discussion de ce texte visant à transposer dans notre droit une directive européenne qui va permettre à tous les groupes européens de faire bénéficier leurs salariés d'une meilleure information. Il s'agit tout de même là d'un progrès important ! Et c'est un progrès auquel notre pays n'est certes pas étranger puisque mon prédécesseur a joué un rôle personnel de poids dans la préparation de cette directive.
Par ailleurs, le Parlement est invité à transcrire dans la loi un accord interprofessionnel qui a été conçu pour activer le dialogue social et pour permettre que soient conclus des accords nouveaux dans les entreprises françaises.
Réjouissons-nous de l'enrichissement qu'apportera ce renouveau du dialogue social.
Il ne s'agit, pour l'heure, que d'une expérimentation. Mais il me semble que, dans notre pays, on n'accorde pas une place suffisante à l'expérimentation. Le Sénat s'honorera en permettant ainsi à toutes ces expériences de fleurir.
Avec les partenaires sociaux, nous pourrons ensuite, après les avoir évaluées, envisager la manière de faire évoluer notre dynamique sociale. En effet, dans les temps difficiles que nous connaissons, il importe que nous sachions impulser une dynamique sociale forte, afin que les salariés gardent confiance dans l'avenir. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Monsieur le ministre, je fais partie de ceux qui considèrent que le dispositif de l'article 6, que vous avez ajouté à la transposition de la directive européenne, est un pas en avant très important.
C'est en effet la première fois que l'on aborde de front, au niveau des partenaires sociaux, le problème de la discussion dans les petites entreprises. Il m'apparaît particulièrement significatif que la confédération générale des petites et moyennes entreprises, la CGPME, ait accepté de cosigner cet accord. Cela marque une évolution considérable dans les esprits : souvenez-vous, mes chers collègues, de tout ce qui a entouré, à l'époque, le débat sur les lois Auroux.
Certes, les partenaires sociaux qui ont signé l'accord interprofessionnel ont pris beaucoup de précautions - à tel point que certains de nos collègues souhaiteraient que l'on en prît moins, afin d'aller un peu plus vite - mais c'est selon moi à une révolution culturelle que nous assistons. C'est pourquoi, d'ailleurs, comme le rapporteur l'a indiqué dans son excellent rapport, la commission a donné un avis favorable sur ce texte.
Cela dit, monsieur le ministre, vous avez soulevé deux questions sur lesquelles je voudrais revenir brièvement.
Vous avez évoqué, en réponse à M. Marini, le problème du contrat collectif et celui d'un assouplissement plus important du contrat de travail.
Dans la situation que nous connaissons, M. Marini a raison, il faut essayer de donner à la discussion à l'intérieur de l'entreprise un poids un peu plus important, de manière à faciliter l'adaptation des conditions de travail et de rémunération à l'évolution de notre société, prenant en compte la mondialisation de l'économie et la concurrence internationale très rude qui en résulte pour nos entreprises.
J'aurai, demain, l'occasion d'indiquer à M. Carle que la transposition de cet accord professionnel n'est pas l'occasion de modifier plus fondamentalement notre code du travail ; j'approuve donc également M. Marini sur ce point. Mais je dois lui préciser, à lui qui a autrefois appartenu à la commission des affaires sociales, que nous y pensons et que nous sommes prêts à étudier de plus près ses propositions.
Par ailleurs, monsieur le ministre, vous avez posé le problème, tout à fait réel, du rôle respectif des partenaires sociaux et du législateur dans l'évolution du droit du travail.
Un certain nombre de vos prédécesseurs, en nous proposant la ratification d'accords interprofessionnels, n'avaient pas pu résister à la tentation de les modifier sur certains points susceptibles de bouleverser telle ou telle mythologie ou tel ou tel credo de l'époque.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. C'est inadmissible de dire cela !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Vous, monsieur le ministre, vous nous présentez un accord interprofessionnel tel qu'il a été signé, et je vous en félicite.
Il me paraît en effet préférable, pour bien organiser les rapports entre les partenaires sociaux et le Parlement, s'agissant d'une expérimentation comportant un certain nombre de verrous, que le Parlement se contente, dans un premier stade, d'apporter son aval à cet accord interprofessionnel, à charge pour lui, dans deux ou trois ans, d'en tirer les conclusions. Il pourra alors transformer cet accord interprofessionnel expérimental, qui marque un progrès dans le sens de l'assouplissement et d'une amélioration de la négociation interne à l'entreprise, en un corps de doctrine et en un dispositif législatif plus solide, envisageant les différentes hypothèses et organisant la discussion sur le plan interprofessionnel, dans le cadre d'accords de branche et d'accords d'entreprise.
Alors que la période actuelle est dominée par le terrible problème du chômage, par la grande question de la réduction du temps de travail, par cet enjeu fondamental que constitue la nécessaire réforme des formations, formations initiales et formations complémentaires, le Parlement se trouve en présence d'un accord interprofessionnel signé par cinq partenaires, trois organisations syndicales de salariés et deux organisations patronales, qui ouvre la voie à une innovation considérable. Dès lors, il serait attentatoire à l'évolution que traduit ce texte, il serait même criminel de poser des verrous supplémentaires, d'ajouter des précautions ou de vouloir se référer à tel ou tel élément.
M. Jean-Luc Mélenchon. Nous vous citerons le moment venu !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Lorsqu'il apparaîtra, à travers l'expérimentation, que le système fonctionne et qu'il donne un certain nombre de résultats, il nous appartiendra d'élaborer un cadre législatif plus large et plus solide.
Dans une société en proie au doute et à bien des interrogations sur le rôle respectif des partenaires sociaux et du Parlement, cette attitude me paraît sage. Il nous est toujours possible de corriger ce qui est excessif ou ce qui peut donner lieu à dérive.
Je vous demande, mes chers collègues, de faire confiance aux partenaires sociaux en la matière. Nous nous heurtons à trop de difficultés, à trop de rigidités, nos problèmes de chômage et de formation sont trop graves pour que nous puissions nous permettre d'agir autrement. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Monsieur le président, je souhaite que la séance soit suspendue pendant dix minutes afin que la commission puisse se réunir et examiner les deux motions de procédure qui ont été déposées. Nous pourrions ainsi les discuter dès ce soir, ce qui nous permettrait, si elles ne sont pas adoptées, d'examiner demain avec tout le sérieux qui convient les nombreux amendements que ce texte semble avoir inspirés.
M. le président. Le Sénat va, bien sûr, accéder à la demande de la commission.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à dix-neuf heures cinq.)