INFORMATION ET CONSULTATION
DES SALARIÉS
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 411, 1995-1996),
adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à
l'information et à la consultation des salariés dans les entreprises et les
groupes d'entreprises de dimension communautaire, ainsi qu'au développement de
la négociation collective. [Rapport n° 510, 1995-1996.]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Anne-Marie Couderc,
ministre délégué pour l'emploi.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, le projet de loi que nous examinons a pour objet de
transposer la directive communautaire du 22 septembre 1994 sur les comités
d'entreprise européens. Un second texte lui a été joint, qui concerne le
dévelopement de la négociation collective.
Sur chacun de ces textes, j'essaierai d'être brève, d'autant que nos débats
ont été parfaitement préparés par l'excellent rapport de M. Souvet, que je
remercie, ainsi que par les auditions auxquelles a procédé la commission.
En ce qui concerne d'abord le premier texte, les dispositions relatives à
l'information et à la consultation des salariés dans les entreprises et les
groupes d'entreprises de dimension communautaire marquent incontestablement une
importante étape dans la construction de l'Europe sociale.
En effet, la directive du 22 septembre 1994 sur laquelle il se fonde illustre
les progrès de la construction de l'Europe sociale dans le domaine du droit du
travail.
En premier lieu, cette directive est remarquable par sa portée : elle est la
première à consacrer un droit nouveau, d'essence communautaire, pour les
salariés des groupes européens. Alors que nombre de décisions sont désormais
prises à l'échelle européenne, le dialogue social demeure enserré dans des
réglementations nationales et dans un cadre qui est, chacun le reconnaît, trop
étroit.
Ce droit nouveau contribuera au renforcement de la cohésion sociale dans les
groupes européens. Il enrichira le dialogue social, en offrant aux partenaires
sociaux l'occasion d'approcher des pratiques et des cultures différentes.
La directive est aussi novatrice par ses conditions d'élaboration : elle est
le fruit d'un dialogue entre les partenaires sociaux européens et les
institutions communautaires.
Elle, l'est, enfin, par son objet : les obligations qu'elle instaure, les
procédures ou institutions qu'elle encourage revêtent un caractère
intrinsèquement transnational. Les salariés des groupes européens pourront
désormais recevoir une information et dialoguer, à l'échelle européenne, sur
tout ce qui concerne la vie, les activités et les perspectives d'évolution de
leur groupe.
Il s'agit aussi d'ouvrir un espace de dialogue sur les opérations de
restructuration ou de délocalisation à l'échelle européenne, dont l'opinion
publique s'émeut à juste titre.
En second lieu, cette directive, je veux le souligner, respecte le principe de
subsidiarité.
Elle laisse avant tout les partenaires sociaux libres de choisir la formule
qui leur convient soit un comité d'entreprise européen, les négociateurs étant
entièrement libres de déterminer sa composition, ses modalités de
fonctionnement et ses attributions ; soit une procédure d'information des
salariés du groupe, les partenaires sociaux restant maîtres de définir le
contenu de cette procédure. Ce n'est qu'en cas d'échec des négociations que
sont prévues un certain nombre de règles dites « subsidiaires ».
La directive laisse également une large place aux règles nationales, car
chaque Etat européen a son histoire sociale, son architecture syndicale, son
dispositif en matière de relations du travail et son approche des changements
socio-économiques. Ainsi, les modalités de désignation des représentants des
salariés seront déterminées par chacun des Etats. De même, les règles de
protection des représentants des salariés seront celles qui s'appliquent dans
leur propre pays.
Enfin, la directive préserve les accords existants : tout accord collectif
déjà conclu au nom de l'ensemble des salariés européens du groupe et destiné à
permettre leur information et leur consultation continuera de s'appliquer, sans
préjudice des nouvelles dispositions. Il faut rappeler que les groupes français
ont été parmi les premiers à se doter de tels accords. L'année 1996 a
d'ailleurs connu une accélération des négociations, liée à la discussion de ce
texte.
Le projet de loi reprend les principes essentiels de la directive. M. Souvet a
eu raison de le souligner dans son rapport.
Sa préparation a d'ailleurs fait l'objet d'une concertation approfondie. Dès
lors, la rédaction qui est soumise au Parlement est équilibrée, et elle devrait
recevoir un large assentiment parmi les partenaires sociaux. Ce projet de loi
répond à la fois à une attente des organisations syndicales et à un besoin
ressenti par de nombreux groupes français, comme l'ont démontré les auditions
auxquelles a procédé la commission.
La mise en oeuvre de ce dispositif reposera sur la liberté conventionnelle.
Les groupes français de dimension communautaire qui ont anticipé sur la
directive pourront donc conserver leur propre structure ou procédure
d'information européenne.
Pour les autres, la direction du groupe, installée en France, devra négocier
avec les représentants de ses salariés européens pour choisir le dispositif
d'information : comité européen ou procédure d'information et de dialogue.
Le projet de loi permet enfin d'aménager, voire de supprimer, le comité de
groupe français dans les groupes qui ont créé un comité ou institué une
procédure d'information européenne. Ces aménagements, destinés à éviter le
cumul des instances d'information, devront bien entendu faire l'objet d'un
accord des partenaires sociaux au sein du comité de groupe.
En ce qui concerne le principe de subsidiarité, dans toute la mesure où la
directive renvoie aux droits nationaux, le projet de loi s'inspire très
largement des solutions traditionnelles du droit du travail français. Ainsi en
va-t-il de la notion de groupe, de la désignation des représentants des
salariés par les organisations syndicales, selon des règles respectant la
pluralité syndicale française, ou encore de leur protection, identique à celle
des représentants du personnel.
Je voudrais, pour conclure sur les dispositions relatives aux comités
d'entreprise européens, évoquer la question de la date de transposition.
Les dix-sept Etats concernés ont pris le parti de retenir une date commune de
transposition. Ce choix répondait au caractère intrinsèquement transnational
des dispositions en cause. La date avait été fixée au 22 septembre 1996.
Ce pari audacieux et sans précédent ne pourra être tenu à la lettre : seuls
trois Etats ont transposé la directive dans le délai fixé. Néanmoins, douze
autres Etats, dont la France, sont sur le point de remplir leurs obligations
avant la fin de l'année. Il conviendra simplement, comme la commission va vous
le proposer, de fixer l'entrée en vigueur à la date de publication de la loi.
La France sera ainsi parmi les premiers Etats à transposer la directive.
En définitive - et c'est un point important - avec la directive sur le congé
parental et celle qui régit les règles de détachement des salariés, adoptée la
semaine dernière, la directive du 22 septembre 1994, que la France a fermement
encouragée, concourt à l'édification de l'Europe sociale. Elle participe ainsi
du modèle social européen auquel, avec M. le Président de la République, nous
sommes particulièrement attachés.
Cette approche concrète et réaliste de la construction européenne est sans nul
doute de nature à développer une véritable conscience européenne chez nos
concitoyens.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Cela m'étonnerait !
Mme Anne-Marie Couderc,
ministre délégué pour l'emploi.
Les dispositions relatives au
développement de la négociation collective, qui ont pris la forme d'un article
6 ajouté à ce premier projet de loi, ne sont pas moins importantes. Elles
visent à permettre la mise en oeuvre de l'accord national interprofessionnel du
31 octobre 1995, relatif aux négociations collectives.
Cet accord fait suite à plusieurs années de réflexion des partenaires sociaux
pour développer la politique contractuelle et renforcer leur contribution à la
définition du cadre normatif des relations sociales.
Il se caractérise par le constat réaliste et courageux qu'il dresse des
difficultés rencontrées par la négociation collective dans les petites et
moyennes entreprises. Il est important par le caractère équilibré des
dispositifs expérimentaux qui ont été imaginés pour résoudre ces
difficultés.
Concrètement, les partenaires sociaux entendent assigner des fonctions
étendues à la négociation de branche et susciter le développement de la
négociation dans l'entreprise.
Ils ont invité les négociateurs de branches à aborder conjointement trois
thèmes. Il s'agit, d'abord, de la reconnaissance du rôle et de la place des
interlocuteurs syndicaux et patronaux. Il s'agit, ensuite, du renforcement de
la représentation du personnel, notamment dans les petites et moyennes
entreprises. Il s'agit, enfin, de la mise en oeuvre de mécanismes permettant
l'accès à la négociation des salariés dans les entreprises dépourvues de
délégués syndicaux.
La disposition qui vous est proposée a pour objet de permettre la mise en
oeuvre des deux séries de dispositions expérimentales issues de cet accord.
Il s'agit tout d'abord de permettre aux branches professionnelles de fixer les
conditions dans lesquelles des accords collectifs pourront être négociés et
conclus dans les entreprises dépourvues de délégué syndical.
L'impossibilité de conclure un accord en l'absence de délégué syndical laisse
aujourd'hui hors du champ de la négociation collective une proportion
considérable d'entreprises et de salariés.
Comme vous le savez, une décision récente de la Cour de cassation a certes
permis à des organisations syndicales de mandater des salariés non syndiqués
pour une négociation déterminée. Mais cette possibilité est très largement
méconnue. Fondée sur les principes généraux du code civil, elle n'est par
ailleurs nullement encadrée, qu'il s'agisse de dispositifs de validation ou
d'opposition, de protection des salariés ou de conditions d'exercice de leur
mandat.
Sans remettre en cause cette jurisprudence innovante, l'accord
interprofessionnel a eu pour objet d'inviter les partenaires sociaux à
l'encadrer par des accords de branche.
Deux voies seront ainsi ouvertes aux partenaires sociaux des branches. La
première est la négociation par des élus du personnel. Les accords d'entreprise
ainsi conclus entreront en vigueur après validation par une commission
paritaire de branche. La seconde voie est la négociation par des salariés
mandatés à cet effet par des organisations syndicales. Ces salariés seront
protégés contre le licenciement.
Le second champ d'expérimentation concerne le renforcement de la
représentation collective dans les PME, en tenant compte des caractéristiques
de ces entreprises.
Les partenaires sociaux n'ont pas arrêté, à l'échelon interprofessionnel, la
nature exacte des initiatives qui pourront être prises. Dès lors, le
Gouvernement n'a pas cru possible d'ouvrir, sans l'encadrer, une faculté de
dérogation aux règles légales de la représentation collective. C'est pourquoi
un mécanisme de validation
a posteriori
vous est proposé.
J'insiste sur le fait que ces dispositifs revêtiront bien un caractère
expérimental.
Chaque année, les innovations intervenues dans le domaine de la représentation
collective du personnel feront l'objet d'un rapport du Gouvernement au
Parlement, qui s'appuiera sur les bilans réguliers assuré par les signataires
de l'accord du 31 octobre 1995. Le cas échéant, un projet de loi sera déposé en
vue de permettre à ces dispositifs nouveaux d'entrer en vigueur.
A l'automne 1998, à partir d'un bilan de l'accord interprofessionnel établi
par les partenaires sociaux et après consultation de l'ensemble des
organisations professionnelles et syndicales représentatives sur le plan
interprofessionnel, le Gouvernement remettra au Parlement un rapport de
synthèse accompagné, le cas échéant, de propositions pour adapter le code du
travail.
Les auditions qui ont été effectuées par la commission des affaires sociales
du Sénat ont bien montré que ces dispositions font essentiellement l'objet de
deux critiques différentes.
Certaines personnes y voient une atteinte au monopole syndical de
négociation.
Il est certes apporté une dérogation aux dispositions en vigueur sur la
négociation collective. Mais je veux insister sur le fait que l'accord
interprofessionnel consacre le rôle des organisations représentatives et leur
donne plusieurs garanties essentielles.
Il en va ainsi du caractère expérimental et limité dans le temps des
dispositifs de négociation.
Surtout, ces mécanismes réservent un rôle central aux organisations
syndicales. En effet, ils doivent impérativement être décidés par accords de
branche. Par ailleurs, dans le cadre de ces accords de branche, les accords
conclus dans l'entreprise avec les élus du personnel ne pourront entrer en
vigueur avant validation par des commissions paritaires.
Hormis les élus du personnel, aucun salarié ne pourra valablement négocier
sans avoir été expressément et préalablement mandaté à cet effet par une
organisation syndicale.
Enfin, la majorité des organisations syndicales de la branche pourront faire
opposition aux accords de branche qu'elles n'auront pas signés.
Le projet de loi que nous examinons reprend ces garanties et les complète.
Tout d'abord, il précise que les accords de branche ne peuvent être négociés et
conclus qu'en présence de l'ensemble des organisations syndicales
représentatives de la branche. Bien entendu, celles-ci siégeront également
toutes dans les commissions paritaires de validation. Ensuite, il pose que les
solutions nouvelles imaginées pour développer la représentation collective du
personnel devront être validées
a posteriori
par la loi. Enfin, il
prévoit que tous les rapports que le Gouvernement présentera au Parlement
seront établis après avis de l'ensemble des organisations représentatives sur
le plan national.
D'autres personnes s'inquiètent de l'application de ces mécanismes
expérimentaux dans les plus petites entreprises.
Je tiens à préciser, comme M. Jacques Barrot l'a fait à l'Assemblée nationale
et aura peut-être l'occasion de le faire dans cet hémicycle, que nous
considérons que ces mécanismes ont bien vocation à s'appliquer aux entreprises
d'une certaine taille. Le mandatement d'un salarié par une organisation
syndicale, en vue de signer un accord, n'a guère d'utilité au sein d'une
collectivité de travail composée de quelques personnes.
L'accord du 31 octobre 1995 dispose lui-même que, dans les branches composées
d'entreprises artisanales, la négociation de branche doit avoir un rôle
quasiment exclusif. Les accords de branche devront ainsi préciser le seuil
d'application de ces dispositifs. Ce point important devait être souligné.
Ce texte contribuera donc à la nécessaire modernisation du droit du
travail.
Le développement de la négociation collective est un impératif majeur dans un
univers de plus en plus interdépendant, marqué par l'accélération du progrès
technique et l'exacerbation de la concurrence. Aujourd'hui, les entreprises
doivent adapter sans cesse leur organisation, assouplir les rapports
hiérarchiques, impliquer leurs salariés.
A travers les accords relatifs à l'aménagement du temps de travail et grâce à
la loi du 11 juin 1996, un nombre croissant de branches et d'entreprises se
sont engagées de manière déterminée dans cette voie.
L'ambitieuse et indispensable réforme de la formation professionnelle viendra
compléter ces efforts, car les partenaires sociaux doivent, à tous les niveaux,
mobiliser l'épargne-temps et utiliser la négociation sur l'aménagement du temps
de travail pour concrétiser le concept de formation tout au long de la vie.
Organisation du travail, évolution des tâches et formation sont intimement
liées.
Cette approche expérimentale et pragmatique répond au souci de M. le Président
de la République de libérer les initiatives locales, au service de la
croissance et de la modernisation de la société, souci que vous partagez les
uns et les autres.
M. Jean-Luc Mélenchon.
La langue de bois !
Mme Anne-Marie Couderc,
ministre délégué pour l'emploi.
Je suis convaincue que la transposition
dans la loi de l'initiative des partenaires sociaux incitera les négociateurs
des branches à lui donner corps.
En définitive, ce projet de loi vise à développer ce à quoi nous devons être
tous attachés, à savoir le dialogue social à deux échelons auxquels il est
encore trop souvent absent : au niveau européen pour l'un, dans l'entreprise
pour l'autre.
Il constitue ainsi une étape importante dans la modernisation des instruments
du dialogue social. Il témoigne aussi de l'esprit de responsabilité des
partenaires sociaux au plus haut niveau. J'espère ainsi que, ensemble, nous
pourrons faire progresser notre droit du travail.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Comme Mme le ministre
vient de le rappeler, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui regroupe
deux projets de loi distincts, joints par les hasards du calendrier, et
pourtant très proches dans leur inspiration, dans leurs objectifs et dans les
mécanismes mis en oeuvre. Je vous prie de m'excuser si mon intervention est un
peu longue, monsieur le président, mais il me paraît utile, au-delà de la
présentation technique des deux textes, d'expliquer en détail les raisons pour
lesquelles la commission des affaires sociales n'a pas souhaité proposer des
modifications de fond. Cela me permettra d'être plus concis lorsque je donnerai
l'avis de la commission sur les amendements et les motions.
Le premier projet de loi vise à transposer la directive européenne du 22
septembre 1994. Celle-ci concerne l'institution d'un comité d'entreprise
européen ou d'une procédure dans les entreprises et les groupes d'entreprises
de dimension communautaire, en vue d'informer et de consulter les travailleurs.
Il s'agit des articles 1er à 5.
Le second projet de loi, inséré sous forme de lettre rectificative, vise à
jeter les bases législatives nécessaires à la mise en oeuvre des mécanismes
expérimentaux prévus par l'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995 relatif
à la politique contractuelle. Il s'agit notamment de permettre aux entreprises
dépourvues de délégués syndicaux de négocier des accords d'entreprise. Il
s'agit de l'article 6.
Le lien qui existe entre les deux textes, c'est l'importance du rôle confié
aux partenaires sociaux et à la négociation collective ; c'est aussi la volonté
de développer le dialogue social. En effet, si celui-ci existe au sein des
moyennes et des grandes entreprises, il est absent ou embryonnaire, à quelques
exceptions près, aux deux extrémités de la chaîne des entreprises : dans les
petites entreprise, faute de délégués syndicaux ou de représentants du
personnel, et dans les entreprises transnationales.
Dans l'un et l'autre cas, le fait syndical reste au centre du dispositif. Les
syndicats et les organisations professionnelles sont en effet les seules
instances représentatives susceptibles de préserver une certaine cohérence, une
certaine homogénéité du droit social, du droit du travail parce qu'elles sont à
la fois locales et nationales, et parce qu'elles sont permanentes.
En ces temps de doute, où nombreux sont ceux qui craignent une fracture
sociale,...
M. Emmanuel Hamel.
A juste titre, hélas !
M. Guy Fischer.
C'est bien vrai !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
... il est essentiel de continuer à pouvoir dialoguer à tous
les échelons du monde des entreprises.
Il est vrai que cette recherche d'un dialogue n'est pas sans risque : tous nos
interlocuteurs syndicaux et patronaux, ou presque, y compris les signataires de
l'accord du 31 octobre 1995 sur la négociation collective, l'ont reconnu.
Mais les nouvelles conditions économiques, le développement technologique
accéléré, le poids sans cesse grandissant du chômage, le déséquilibre qui se
crée entre les revenus d'activité et la charge de la protection sociale, la
concurrence, la recherche des marchés, l'adaptation aux fluctuations de ces
marchés font que nous vivons sans doute une époque de transition, une époque
douloureuse parce qu'elle bouscule nos certitudes et nos acquis. Pour nous
adapter, il nous faut changer nos mentalités, entamer une réforme - je n'ose
pas dire « une révolution » - non seulement culturelle, mais aussi sociale.
Rien, semble-t-il, ne sera plus comme avant. L'économie est mondiale ; jamais
les échanges de tous ordres n'ont été aussi intenses, jamais les cultures, les
sociétés et les individus n'ont pu autant dialoguer et s'influencer.
C'est tout cela qu'il faut prendre en compte en essayant de préserver
l'essentiel des acquis sociaux, la solidarité, une protection sociale de bon
niveau et surtout l'emploi.
Le constat est banal, ressassé, mais encore faut-il en tenir compte.
Or, l'entreprise, parce qu'elle crée la richesse dont chacun va pouvoir
ensuite bénéficier, est au centre, au coeur de ces changements. C'est là qu'un
dialogue social novateur doit s'instaurer pour permettre à l'entreprise de
s'adapter plutôt que de subir et, finalement, d'être balayée.
Les textes que nous étudions aujourd'hui doivent nous y aider. Au plan
européen, ils constituent l'embryon du droit social européen, ils posent la
première pierre d'un droit spécifique, alors que, jusqu'à présent, les textes
se contentaient d'harmoniser les droits existants. Au sein des petites
entreprises, ils donnent la possibilité d'introduire dans ces dernières cette
dose de dynamisme social qui leur permettra d'utiliser les instruments nouveaux
du droit du travail pour répondre aux nouveaux défis économiques.
Certains ont parlé de pari, tant il paraît hasardeux de chercher à nouer le
dialogue dans les petites entreprises. Mais de la réussite de ce dialogue
dépend le sort de beaucoup d'entreprises, de nombreux emplois, et cela
contribuera sans doute aussi au retour de la croissance et de la confiance.
Faisons donc confiance aux partenaires sociaux pour qu'ils tiennent ce pari,
mes chers collègues. Ils ont fait preuve de courage et de détermination ;
laissons-les conduire jusqu'au bout leur action, à laquelle ils ont donné un
caractère expérimental, sans perturber, sans modifier les mécanismes qu'ils ont
mis en place.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Des minoritaires !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Je reconnais que, pour le législateur, ces modes
d'élaboration de la norme juridique ont quelque chose de frustrant.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Oui !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
La marge de liberté qui lui reste est bien sûr des plus
réduites, non seulement sur le fond, mais également dans la forme : une
modification sur le fond serait contraire au texte européen - je rappelle qu'il
s'impose - ou à la volonté des partenaires sociaux, et les modifications de
forme, en s'éloignant du texte original, risqueraient d'être interprétées comme
des divergences de fond ou de jeter le trouble dans la compréhension du texte.
Mais la construction de l'Europe ainsi que le développement du dialogue social
sont évidemment à ce prix.
Il nous faut donc aborder ces textes avec toute l'humilité nécessaire. Il n'en
reste pas moins que, surtout dans le domaine européen, cet extrême respect du
texte original conduit à incorporer dans le droit français des expressions,
parfois même un « jargon », qui ne facilitent pas la tâche de ceux qui ont à le
mettre en oeuvre ou à l'interpréter. Il faudra encore quelque temps avant que
le « téléscopage » de nos traditions et de nos expressions juridiques se
fondent dans un langage commun et familier.
Cela me ramène au projet de loi, à ces deux textes d'origine différente, de
nature différente, mais finalement complémentaires.
J'évoquerai d'abord le projet de loi de transposition de la directive du 22
septembre 1994.
Cette directive est l'aboutissement d'une série de démarches qui, pour la
plupart, n'ont pas été menées à leur terme, visant à instaurer un minimum de
dialogue social au sein des sociétés multinationales. Les procédures envisagées
s'étaient alors heurtées d'abord aux réticences britanniques pourquoi le cacher
? - puis à la diversité des systèmes européens de représentation des salariés.
Néanmoins, l'évolution des textes communautaires fondateurs, notamment la
signature du traité de Maastricht, qui encourage désormais le développement de
l'Europe sociale, ainsi que les contraintes de l'internationalisation de
l'économie ont changé les données du problème et ouvert la voie à un embryon de
droit social européen spécifique.
Les Etats et les institutions européennes n'étaient en outre pas les seuls à
vouloir instaurer des procédures d'information des salariés d'entreprises
multinationales. Certaines entreprises elles-mêmes, dès le début des années
quatre-vingt, d'abord en France, puis en Allemagne, on ressenti le besoin de
mettre en place des procédures ou des instances afin de favoriser une certaine
cohérence de leurs politiques locales, de tenter de développer, au-delà des
frontières, une « culture d'entreprise » et, surtout, de préparer les esprits
aux mutations ou aux décisions en diffusant l'information économique ou les
orientations de gestion. En France, au 15 septembre 1996, trente-quatre groupes
ou entreprises avaient conclu un accord prévoyant une information et une
consultation transnationale des travailleurs : cela représente plus du quart
des entreprises françaises concernées par l'accord, dont le nombre est estimé à
cent trente.
En Allemagne, trente-huit accords avaient été signés au 20 juin, contre huit
en Suède, en Belgique et en Italie. Par ailleurs, quinze groupes britanniques,
six groupes américains et cinq groupes japonais ont signé des accords
concernant leurs implantations en Europe.
Au total, 1 152 entreprises dans vingt-cinq pays d'Europe seront concernées
par ce texte adopté par dix-sept pays d'Europe, c'est-à-dire l'Union européenne
à l'exception de la Grande-Bretagne, ainsi que l'Islande, le Liechtenstein et
la Norvège pour le reste de l'Espace économique européen.
Il faut noter que des entreprises n'appartentant pas aux dix-sept pays cités
peuvent être concernées pour les entreprises ou les établissements situés dans
les pays signataires.
Sont concernés par la directive - je résume ! - les entreprises et les groupes
d'entreprises de dimension communautaire occupant au moins 1 000 travailleurs
dans les Etats membres et au moins 150 salariés par Etat dans au moins deux
Etats membres différents.
L'objet de la directive est, comme l'indique son titre, information et
consultation des travailleurs sur la base d'un échange de vues, et
l'établissement d'un dialogue par l'intermédiaire de leurs représentants.
Pour y parvenir, le texte laisse une grande liberté aux partenaires sociaux,
qui peuvent choisir entre un comité d'entreprise européen ou une procédure
d'information et de consultation. Il leur appartient également de déterminer
les conditions de mise en place et de fonctionnement de ces procédures ou
instances. Ils peuvent aussi refuser délibérément de s'engager dans cette
voie.
Toutefois, la directive prévoit que, en cas de refus du chef d'entreprise ou
si aucune décision n'a été prise dans le cadre des négociations dans un délai
de trois ans, un comité d'entreprise européen devra être créé.
Par ailleurs, la directive laisse à chaque pays le soin de déterminer les
conditions et les modalités de la transposition, qui peut être légale,
conventionnelle ou mixte, en renvoyant le plus souvent aux règles et aux usages
nationaux.
Les partenaires sociaux, après être intervenus en amont, lors de l'élaboration
de la directive, interviendront également en aval, pour en déterminer les
conditions d'application.
La négociation avec la direction centrale de l'entreprise ou de l'entreprise
qui exerce le contrôle sur le groupe est confiée à un groupe spécial de
négociation. Celui-ci est composé de trois membres au minimum et de dix-sept au
plus. Chaque Etat signataire détermine le mode d'élection ou de désignation des
représentants devant être élus ou désignés sur son territoire.
L'initiative de l'ouverture des négociations appartient à la direction
centrale, qui, en cas de réticence, peut être contrainte à cette procédure par
une demande écrite d'au moins cent salariés ou de leurs représentants relevant
d'au moins deux entreprises ou établissements situés dans au moins deux Etats
membres différents.
Pour l'aider dans ses travaux, le groupe spécial de négociation peut décider
de se faire assister d'experts de son choix. Je précise que la directive laisse
à chaque Etat le soin de régler les problèmes matériels : ce sera donc les
accords et la législation des comités d'entreprise ou du groupe qui
s'appliqueront en France.
Le groupe spécial de négociation peut aussi décider, par au moins deux tiers
des voix, de ne pas ouvrir de négociation ou d'annuler les négociations en
cours. Cette décision n'entraîne pas l'obligation de mettre en place le comité
d'entreprise européen prévu par la loi en l'absence d'accord : la décision
conventionnelle est respectée.
Pour déterminer le contenu de l'accord, les parties disposent d'une grande
liberté. Il est cependant précisé que l'accord doit notamment déterminer les
entreprises concernées, la composition du comité, la répartition des sièges ou
encore la durée des réunions, ainsi que les ressources financières et
matérielles à allouer au comité d'entreprise européen. En cas de choix d'une
procédure d'information et de consultation, l'accord précise les conditions de
réunion des représentants des travailleurs.
Par ailleurs, la directive détermine les conditions de création d'un comité
d'entreprise européen en l'absence d'accord ; elle en fixe la composition et le
rythme des réunions. Elle détermine également les conditions d'institution d'un
comité restreint et les modalités d'information de ce dernier, en cas de
circonstances exceptionnelles affectant « considérablement » - voilà qui,
juridiquement, est peu précis - les intérêts des travailleurs, notamment en cas
de délocalisation, de fermeture d'entreprise ou d'établissement, ou de
licenciement collectif.
La directive prévoit également que les législations nationales règlent la
question de la confidentialité des informations communiquées ou celle de la
protection des représentants des travailleurs.
Deux principes ont guidé le Gouvernement dans la rédaction du projet de loi,
ainsi que Mme le ministre nous l'a rappelé tout à l'heure : rester fidèle à
l'esprit de la directive en privilégiant, bien sûr, l'accord des partenaires
sociaux chaque fois que c'était possible et reprendre, autant que faire se
pouvait, les solutions traditionnelles du droit du travail en matière de
représentation des salariés et d'instance représentative.
On retrouve donc, dans la structure du projet de loi, les grands axes de la
directive, dont les dispositions sont insérées dans un nouveau chapitre créé
dans le code du travail par l'article 3.
En outre, les articles 1er et 2, relatifs aux comités de groupe, visent à
harmoniser les définitions de l'entreprise dominante. Quant à l'article 4, il
édicte des dispositions pénales pour sanctionner d'éventuelles entraves. Enfin,
l'article 5 tend à exonérer des obligations du texte les entreprises qui
auraient mis en place une instance ou une procédure en vue de l'information et
de la consultation des salariés à l'échelon européen avant la date fixée par la
directive pour l'entrée en vigueur du texte.
L'Assemblée nationale, en juin dernier, n'a pas modifié cette partie du texte
sur le fond, se contentant d'adopter deux amendements rédactionnels.
La commission des affaires sociales ne vous proposera pas davantage, mes chers
collègues, de modifier le texte sur le fond. Elle vous suggérera seulement
d'adopter deux amendements rédactionnels, ainsi que deux autres amendements en
vue de tenir compte du dépassement, lors de l'adoption définitive du projet de
loi, de la date d'application de la directive, fixée au 22 septembre 1996, ce
qui pose un problème de rétroactivité de la loi pénale.
Avant de conclure sur ce point, madame le ministre, je vous poserai, au nom de
la commission des affaires sociales, deux ou trois questions susceptibles de
donner éventuellement un peu de corps à ces dispositifs juridiques très
abstraits. Vous avez d'ailleurs, dans votre intervention liminaire,
partiellement répondu à mes interrogations.
Ainsi, avez-vous pu faire une estimation des coûts de mise en place et de
fonctionnement du comité d'entreprise européen ? Je ne vous cacherai pas que
quelques entreprises se sont manifestées auprès de moi pour exprimer une
certaine inquiétude, notamment en ce qui concerne les frais d'expertise. C'est
là, je l'admets, une question récurrente, jamais vraiment résolue, car toute
solution rigide finirait par bloquer le processus. Mais, là aussi, avez-vous
fait quelques estimations, et pensez-vous, d'après vos informations, que les
partenaires sociaux puissent s'entendre sur une limitation de ces frais
d'expertise ? Enfin - ce sera le dernier point - avez-vous pu réaliser quelques
simulations sur la prise en compte de la diversité syndicale au sein du groupe
spécial de négociation et du comité d'entreprise européen ? Cela fait partie de
mes soucis.
J'en arrive à l'article 6, qui résulte de la lettre rectificative adoptée par
le conseil des ministres du 13 mai 1996. Il vise à prendre les dispositions
législatives nécessaires à l'application des orientations définies en matière
de négociation collective d'entreprise par l'accord national interprofessionnel
du 31 octobre 1995 sur la politique contractuelle. Les mécanismes retenus par
les partenaires sociaux se situent en effet, bien qu'avec d'infinies
précautions, en marge de la loi qui confie le monopole de la négociation aux
délégués syndicaux. Il fallait donc que la loi elle-même reprenne ces nouveaux
modes de négociation.
Il s'agit, je l'ai dit, de relancer le dialogue social dans les petites
entreprises ne disposant pas de représentation syndicale.
Mme Michelle Demessine.
Comme s'il y avait un dialogue !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Cette absence de dialogue les empêche en effet de s'adapter
aux nouvelles données économiques et aux aspirations des salariés.
La loi quinquennale du 20 décembre 1993, en fusionnant certaines instances
représentatives du personnel afin d'alléger les contraintes pesant sur les
entreprises et les salariés, ou encore la proposition de loi de notre collègue
M. Philippe Marini, relative à la négociation collective et instituant un
contrat collectif d'entreprise, ont déjà abordé ce sujet.
Cette fois, cependant, l'initiative vient des partenaires sociaux eux-mêmes.
L'accord propose de relancer le dialogue social sur la base de trois thèmes de
négociation.
Le premier consiste en la reconnaissance réciproque des interlocuteurs
syndicaux et patronaux, notamment par la formulation de garanties sur le
déroulement de carrière des salariés exerçant des responsabilités syndicales.
C'est bien le moins !
Le deuxième est la recherche des conditions d'une amélioration de la
représentation du personnel dans les entreprises pour tenter de pallier les
carences en ce domaine : je rappelle que 30 % des établissements de plus de dix
salariés n'ont pas de délégués du personnel et que près de 20 % des
établissements de plus de cinquante salariés n'ont pas de comité d'entreprise
aux termes de cette législation.
Enfin, le troisième thème de négociation concerne le développement de la
négociation collective dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux,
ce qui concerne plus de 50 % des salariés. Pour ces derniers, deux dispositifs
sont proposés : soit une négociation menée par des représentants élus du
personnel, les délégués du personnel ou les membres élus du comité
d'entreprise, soit une négociation menée par des salariés mandatés par une ou
plusieurs organisations syndicales.
Toutefois, les négociations portant sur les deux derniers thèmes sont
étroitement encadrées : les dispositifs resteront expérimentaux ; ils seront
limités dans le temps et, surtout, l'expérimentation devra être autorisée par
un accord de branche ; les thèmes de négociation pourront être prédéterminés ;
enfin, les accords ainsi négociés devront être validés au sein d'une commission
paritaire de branche. Un droit d'opposition est, en outre, insitué au niveau de
la branche pour les organisations non signataires, si elles sont
majoritaires.
Cette ouverture du dialogue social au sein des petites entreprises, attendue
depuis longtemps, repose donc sur une articulation, une interaction entre
négociation syndicale de branche et négociation d'entreprise. Ainsi, loin
d'ouvrir une brèche dans le monopole syndical, ce texte l'étend en lui
proposant un nouveau champ d'intervention.
Par ailleurs, une évaluation de ces dispositifs sera faite par les partenaires
sociaux eux-mêmes. Cela est normal et souhaitable, car il n'existe pas de
véritable culture de négociation au sein des petites entreprises ; un temps
d'adaptation, d'apprentissage, sera sans doute nécessaire pour que ce dialogue
social soit positif et porteur d'avenir.
Le projet de loi reprend intégralement le contenu de l'accord. Il prévoit, en
outre, une information régulière du Parlement sur les négociations relatives à
l'amélioration de la représentation du personnel, dans la mesure où celles-ci
pourraient nécessiter une intervention législative ultérieure.
J'évoquerai, avant de conclure, une question de procédure qui a été posée à
l'Assemblée nationale : nos collègues députés ont observé que le projet de loi
autorisait des dérogations au code du travail, mais sans préciser les
dispositions dérogatoires, se contentant de renvoyer à l'accord.
Il a semblé à l'Assemblée nationale qu'il s'agissait là d'une atteinte aux
pouvoirs du législateur, celui-ci abdiquant une partie de ses compétences au
profit des partenaires sociaux. Nos collègues ont donc préféré incorporer à la
loi les dispositifs dérogatoires. Cette initiative évite un débat sur la
constitutionnalité de ce qui pourrait s'apparenter à une délégation du pouvoir
législatif.
Sous cette réserve, l'Assemblée nationale n'a pas modifié les termes de
l'accord des partenaires sociaux.
La commission des affaires sociales du Sénat, tout aussi respectueuse de cet
accord et soucieuse de ne pas perturber l'expérience courageuse dont la mise en
oeuvre est souhaitée, vous propose également de l'approuver sans aucune
modification.
Mais elle souhaiterait, madame le ministre, attirer votre attention sur
quelques points particuliers. Il s'agit, en fait, de veiller à la bonne
articulation de la négociation d'entreprise et de la négociation de branche
afin d'éviter que les deux logiques de négociation n'en viennent à se heurter
quand l'objectif des auteurs du projet de loi est qu'elles se complètent aussi
harmonieusement que possible.
A ce titre, il nous semble que quelques points doivent faire l'objet d'une
attention particulière non seulement des partenaires sociaux eux-mêmes mais
aussi du Gouvernement et du législateur, notamment s'agissant de la façon dont
les branches du secteur de l'artisanat mettront - ou ne mettront pas - en
oeuvre les nouveaux modes de négociation. Nous avons pu constater au cours de
nos auditions l'extrême sensibilité de ce secteur à ce qu'il considère comme
une contrainte nouvelle et il ne faudrait pas que se créent de nouvelles
sources de tension.
Ensuite, cette observation a conduit la commission à s'interroger sur le droit
d'opposition et sur la composition de la commission paritaire de branche
chargée de donner un avis sur les négociations d'entreprise. Nous avons observé
que le mode de comptage des voix au sein de la branche - une voix par
organisation - pouvait conduire à imposer un accord à une organisation
majoritaire en termes de représentativité. C'est, certes, la pratique
habituelle, mais elle suscite, parce que le champ est nouveau, quelques
inquiétudes.
Certains se sont également inquiétés, par ailleurs, de la composition de la
commission paritaire chargée d'agréer les accords d'entreprise. Pouvez-vous
nous assurer, madame le ministre, qu'elle sera bien représentative de la
branche ?
Enfin, les partenaires sociaux ont écarté le recours à la procédure
d'extension des accords qui aurait permis un certain contrôle de l'Etat et qui
aurait eu pour conséquence de rendre applicable l'accord de branche à
l'ensemble des entreprises du secteur concerné alors que, dans le schéma
actuel, seules les entreprises adhérant aux organisations patronales
signataires de l'accord de branche le seront. Là encore, le suivi des accords
semble important car ils peuvent concerner le champ d'application sensible des
accords dérogatoires, riches de potentialités mais aussi difficiles à mettre en
oeuvre dans le cadre d'accords équilibrés.
Tout cela me conduit à formuler deux dernières observations : la première pour
faire écho à une certaine inquiétude de l'inspection du travail, qui se demande
si elle aura les moyens de suivre le développement de ce nouveau droit
conventionnel - si les accords se multipliaient - et la seconde pour vous
demander, madame le ministre, dans quelle mesure les nouveaux négociateurs,
patrons et salariés non syndiqués, pourraient être initiés, sinon formés à la
négociation collective. Cela serait certainement utile car les textes sont
souvent difficiles à comprendre et à traduire dans la pratique. Il ne faudrait
pas que les accords conduisent à des dispositifs impraticables ou totalement
déséquilibrés qui ruineraient l'expérience et le dialogue social.
Au terme de cette présentation, mes chers collègues, la commission des
affaires sociales vous invite, sous réserve des quelques amendements qu'elle
vous proposera, à adopter le présent projet de loi qui, dans ses deux
composantes, ouvre de nouvelles perspectives de dialogue social, favorables à
tous les acteurs économiques comme à la société tout entière.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants,
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 58 minutes ;
Groupe socialiste : 49 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 22 minutes.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi qui nous est présenté a deux objets bien distincts : d'une part, transposer
une directive européenne ; d'autre part, consigner dans la loi l'accord
interprofessionnel national du 31 octobre 1995. Il s'agit dans les deux cas
d'un progrès, notamment en ce qui concerne les entreprises de taille
communautaire, dans la mesure où l'on prend mieux en compte la réalité des
groupes de sociétés qui, déjà familière aux praticiens du droit du travail,
l'est moins à ceux du droit des sociétés. C'est en tout cas un sujet de
réflexion sur lequel d'autres travaux seront certainement menés.
Pour ce qui est de la rénovation de certaines modalités de la négociation
collective, je voudrais tout d'abord souscrire aux principes généraux qui ont
été évoqués par M. le rapporteur : rénover le dialogue social, changer les
mentalités à cet effet et faire confiance aux partenaires sociaux. Il s'agit
évidemment là de nécessités criantes dans l'état actuel de nos entreprises et
de notre économie. Il importe, à cet égard, de prendre appui sur ce qui existe.
Je pense en particulier aux structures de négociation qui existent dans les
branches d'activité, à la représentation des salariés telle qu'elle est
organisée par nos lois et telle qu'elle est prise en charge par les
organisations syndicales de salariés et du patronat.
Permettez-moi, madame le ministre, de tirer profit de cette intervention pour
mettre l'accent sur une perspective un peu plus large, perspective à laquelle
30 % de mes collègues des différents groupes de la majorité sénatoriale ont
bien voulu souscrire en déposant avec moi une proposition de loi en novembre
1995, afin d'instituer un contrat collectif d'entreprise.
Il est bien évident que cette proposition est beaucoup plus large que le
dispositif que vous nous proposez cet après-midi. Je crois cependant qu'elle
s'inscrit dans la même logique que celle qui a été adoptée le 31 octobre 1995
au plan national par les partenaires sociaux.
Pour mes collègues et moi-même, il est chaque jour plus évident que la
vitalité économique et le progrès social doivent se concilier au plus près de
l'entreprise. Pour nous, c'est dans le cadre d'un dialogue social organisé avec
de bons interlocuteurs que l'on doit rechercher une plus grande compétitivité
économique, la satisfaction des aspirations des salariés et la défense de
l'emploi.
Toutefois, chaque entreprise se trouve dans une situation spécifique. Il faut
donc savoir s'adapter à son environnement économique et social, légitimer, en
quelque sorte, les acteurs du dialogue social et leur conférer un espace
suffisant de liberté contractuelle. Il est incontestable qu'il apparaît, à
partir de notre actuel droit du travail, une hiérarchie des sources de droit
largement préjudiciable à l'autonomie des acteurs.
Comment résoudre cette contradiction ? Comment libérer l'initiative des
acteurs au sein de l'entreprise sans porter atteinte au fait syndical ni
déresponsabiliser les organisations qui ont pour vocation de prendre en charge
au niveau des branches l'élaboration de la négociation collective ?
Afin d'ouvrir de nouveaux espaces de liberté à la négociation collective, nous
nous sommes situés, en déposant notre proposition de loi - même si cela
paraîtra peut-être un peu paradoxal à certains - dans la perspective que
traçaient déjà les lois Auroux de 1982, qui avaient introduit dans le droit du
travail un principe de subsidiarité de la norme légale au profit de l'accord
d'entreprise, assorti d'un droit d'opposition destiné à valider la légitimité
des signataires à un accord.
Nous avons envisagé d'élargir ce principe à l'ensemble des conditions de
travail, d'emploi et de rémunération, en respectant, bien entendu, ce que
j'appellerai le socle social, c'est-à-dire toutes les dispositions d'ordre
public qui portent, notamment, sur la représentation des salariés, les droits
de la défense, les attributions des institutions sociales et représentatives du
personnel, le salaire minimum interprofessionnel de croissance, etc.
Nous nous sommes donc interrogés sur l'opportunité d'une globalisation de la
négociation au sein d'une entreprise, d'une responsabilisation des acteurs pour
qu'ils puissent proposer des objectifs tant en matière salariale qu'en matière
de conditions de travail, de préparation de la retraite ou sur tout sujet
qualitatif qui conditionne le climat social dans l'entreprise.
Bien entendu, notre propos ne consistait pas à nier, bien au contraire, la
légitimité des acteurs sociaux et syndicaux, qui ont reçu du code du travail
des responsabilités essentielles en la matière. C'est pourquoi nous avons
imaginé une articulation avec les négociations de branche, les partenaires
sociaux de la branche ouvrant, en quelque sorte, aux acteurs d'entreprise la
possibilité de négocier un contrat collectif.
Dans notre esprit, c'est donc au seul niveau de la branche que doivent être
précisées les dispositions conventionnelles ou légales - autres que celles qui
relèvent de l'ordre public et que j'évoquais précédemment - devant conserver un
caractère impératif au vu de la situation particulière de la branche ; c'est au
seul niveau de la branche que doivent être définies les conditions de forme de
la négociation pour en garantir la légitimité ; c'est au seul niveau de la
branche que doivent être organisées les procédures de règlement des litiges
pour l'interprétation de ces futurs contrats d'entreprise ; enfin, c'est au
seul niveau de la branche que doit être mis en place un observatoire des
pratiques pour pouvoir tirer les conclusions de ces différentes expériences.
Le point de passage obligé - que l'on ne s'y méprenne pas ! - doit demeurer
l'accord collectif de branche, qui doit lui-même demeurer soumis à la
commission nationale de la négociation collective, où siègent tous les
syndicats représentatifs sur le plan national. Un double verrou est donc mis en
place : le verrou national et le verrou de la branche.
Mais, une fois qu'un espace de liberté aurait été ainsi défini, et dans ces
formes-là, pour les acteurs dans l'entreprise, il a semblé aux auteurs de la
proposition de loi qu'il fallait permettre cette globalisation de la
négociation dans l'entreprise.
C'est là une procédure innovante mais respectueuse des droits des institutions
représentatives du personnel, une procédure mettant en présence des
représentants des salariés qui peuvent être, selon le cas, des délégués
syndicaux et des membres élus du comité d'entreprise, des délégués syndicaux
seuls ou encore, s'il n'y a pas de délégués syndicaux - c'est le cas, on le
sait, dans nombre d'entreprises - des membres élus du comité d'entreprise, mais
à la condition - là encore, c'est un verrou - que celui-ci ait été habilité, au
moment de son élection, à passer un tel contrat collectif d'entreprise.
En ce qui concerne la ratification de cet accord, nous avons ajouté que deux
formules pouvaient être envisagées : soit l'entreprise a des délégués
syndicaux, et la ratification de l'accord s'effectue selon les formes
habituelles ; soit l'entreprise n'a pas de délégués syndicaux, et il faut
trouver une base et une légitimité au contrat, la seule procédure concevable,
dans ce seul cas bien précis, nous semblant alors devoir être le référendum
d'entreprise.
Madame le ministre, j'ignore quel sera le devenir de cette proposition, mais
mes trente collègues et moi-même pensons qu'il est véritablement urgent
d'ouvrir des voies nouvelles, de globaliser les négociations sur des sujets
tels que les salaires, la durée du travail, l'aménagement du temps de travail,
les conditions de travail, la formation, l'emploi, la prévoyance.
Nous avons constaté que dans toute une série de domaines, en l'absence,
aujourd'hui, de ce processus de globalisation, il est des sujets qui ne peuvent
pas être correctement traités. Permettez-moi d'en donner quelques exemples en
terminant mon propos.
S'agissant de la négociation salariale, nous savons qu'aujourd'hui les
salariés et l'employeur qui seraient d'accord pour négocier un accord salarial
pluriannuel, sur trois ans, par exemple, ne peuvent pas le faire, car le code
du travail impose la négociation annuelle. Pourquoi exclure des objectifs
pluriannuels en matière de négociation salariale si un équilibre intervient
avec d'autres dispositions de nature qualitative portant, par exemple, sur les
qualifications ou sur différents éléments conditionnant le climat social dans
l'entreprise ?
Je peux également prendre l'exemple de la prime d'ancienneté. Faut-il établir
une prime d'ancienneté ou lui préférer la mise en place de formations
qualifiantes sanctionnées par des diplômes ? C'est là un autre espace de
négociation susceptible d'avoir une portée plus ou moins réelle selon
l'entreprise.
Autre exemple, certaines conventions collectives interdisent la mise à la
retraite entre soixante et soixante-cinq ans, même si le salarié a acquis tous
ses droits. Pourquoi ne pas donner à l'entreprise la possibilité de mettre en
retraite un salarié muni de tous ses droits et se trouvant dans cette tranche
d'âge en contrepartie de l'embauche de jeunes salariés ? Pourquoi ne pas
globaliser cette approche avec d'autres enjeux de nature salariale ou de nature
qualitative ?
Je crois d'ailleurs avoir lu dans la presse que, tout récemment, une
entreprise du secteur des loisirs dont le président est M. Edmond Maire a
pratiqué une négociation de ce type. Peut-être M. Maire a-t-il innové en
utilisant les possibilités juridiques que lui ouvrait le code du travail ?
M. Emmanuel Hamel.
Dans ce cas, il a eu raison !
M. Philippe Marini.
J'évoquerai encore la régulation du télétravail, par exemple. Le code du
travail, dans son schéma traditionnel, n'est pas adapté à un tel phénomène, qui
peut pourtant prendre de l'ampleur et éventuellement favoriser la création
d'emplois. Mais il faut, bien sûr, que des garanties soient établies au
bénéfice des salariés, ce qui implique des modalités d'organisation
différentes. Le contrat collectif d'entreprise pourrait permettre d'englober
cet aspect parmi d'autres.
Je pourrais parler également, bien entendu, du temps de travail, de la semaine
de trente-cinq heures et de l'instauration de rythmes de travail plus réduits
moyennant des contreparties salariales et toutes sortes d'autres choses
susceptibles d'être traitées en négociation.
Tout cela, madame le ministre, n'a que vertu d'exemple, notre démarche ayant
pour objet de valoriser les responsabilités des partenaires sociaux dans
l'entreprise.
La loi dite « loi Robien » de l'été dernier a déjà permis de libérer nombre
d'initiatives et elle est intéressante pour l'avenir. Mais il faut aller encore
plus loin, et cela suppose que, dans le respect des droits sociaux, dans le
respect des institutions représentatives du personnel, l'on puisse mieux
s'adapter au terrain et donner plus de responsabilités aux acteurs sociaux dans
l'entreprise.
Madame le ministre, voilà le sens de la démarche que mes collègues et moi-même
avons esquissée. Certes, l'objet du texte d'aujourd'hui est beaucoup plus
restreint, plus modeste, mais, si je me suis permis - veuillez me le pardonner
- de tracer ces perspectives, c'est parce que je crois qu'elles ne sont pas
complètement étrangères à notre débat de cet après-midi.
Bien sûr, je voterai le projet de loi, avec l'ensemble des collègues de mon
groupe ; mais nous sommes nombreux, je crois, à le faire en espérant que, après
cette avancée, d'autres suivront et que nous aurons ainsi pour notre pays des
espérances solides de créations d'emplois grâce à la mise en oeuvre de toutes
les initiatives nécessaires au niveau des entreprises, et ce, bien sûr, sur le
plan local, car c'est bien à partir de la réalité de l'entreprise et dans le
respect de tous les droits que j'ai énumérés longuement que peuvent se faire
jour des formules innovantes, des formules susceptibles, j'en suis convaincu,
d'être réellement créatrices d'emplois.
(Applaudissements sur les travées du
RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi dont nous sommes saisis aujourd'hui affiche l'ambition de renforcer le
dialogue social au sein des entreprises, ce dont
a priori
on ne devrait
que se féliciter.
Ses auteurs entendent, tout d'abord, adapter les structures de représentation
au sein de l'entreprise à l'internationalisation de l'activité économique. Ils
disent également avoir la prétention de remédier à un mal endémique de notre
vie sociale, à savoir la sous-représentation syndicale dans les entreprises,
singulièrement dans les PME.
On espère ainsi revaloriser la politique contractuelle dans les relations du
travail.
Ce qui est frappant, c'est l'extranéité des dispositions que nous sommes
censés examiner. Signe des temps, me direz-vous, vous nous proposez la
transcription d'une directive communautaire, laborieusement négociée, puis
celle d'une partie d'un accord interprofessionnel qui, lors de sa négociation,
n'a pas fait, tant s'en faut, l'unanimité.
Même si l'on admet que la construction de notre droit social procède d'une
démarche quelque peu particulière, avouez qu'on peut tout de même s'étonner que
l'on nous demande de ne rien modifier aux textes qu'on nous présente !
Serions-nous en passe, madame le ministre, mes chers collègues, de devenir des
législateurs virtuels ?
M. Emmanuel Hamel.
Hélas !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
La directive communautaire a été adoptée voilà deux ans et l'accord
interprofessionnel sur la politique contractuelle a été conclu il y a un an. En
demandant l'urgence sur son projet de loi, le Gouvernement nous fait une
étonnante démonstration de la relativité du temps !
Si l'on peut considérer que les dispositions issues de la directive
s'inscrivent dans une démarche que la France avait largement anticipée, et
qu'elles ne devraient donc pas révolutionner notre réglementation sur ce point,
en revanche, l'article 6 sur les accords d'entreprises va provoquer des
bouleversements sur des questions aussi fondamentales que celles des détenteurs
du pouvoir de négociation au sein de l'entreprise, de la nature même de cette
négociation, voire du devenir de notre droit social et de ses principes
fondateurs.
Abordons, tout d'abord, la question de la consultation des salariés dans les
entreprises de dimension communautaire.
A l'Assemblée nationale, Mme Catala, dans son rapport d'information, nous a
relaté les nombreuses péripéties qu'a connues cette directive relative à
l'information et à la consultation des salariés. Elle fut ralentie du fait des
disparités de réglementation entre les Etats membres, mais en raison également
de la mauvaise volonté de certains de nos partenaires. La charte des droits
sociaux, adoptée en 1988 sous la présidence française grâce à la pugnacité du
président Mitterrand, énonçait solennellement le droit d'information et de
consultation des salariés. La loi « Auroux » du 28 octobre 1982 avait déjà
reconnu l'utilité des comités de groupe.
C'est également à partir des années quatre-vingt que des entreprises
françaises de dimension internationale ont mis en place des procédures de
consultation de leurs salariés travaillant dans des pays différents.
La directive communautaire, que l'on estime être la première concrétisation du
protocole social annexé au traité de Maastricht, crée donc un nouveau droit au
profit de certains travailleurs européens. En effet, ceux qui travaillent dans
des entreprises de plus de 1 000 salariés et ayant des établissements dans au
moins deux Etats jouiront d'un droit à être informés de l'état de santé de leur
groupe, de leur stratégie. J'insiste sur le mot « informés », car nous verrons
que la notion de dialogue n'est que très relative.
Ces nouvelles dispositions organisent la création d'un groupe spécial de
négociation habilité à mettre en place le dispositif de consultation. Il est
créé sur l'initiative du chef d'entreprise ou de l'entreprise dominante ou, à
défaut, à la demande de cent salariés. Il est également prévu une formule «
clef en main » en cas d'échec des négociations.
C'est à ce groupe que revient la responsabilité de choisir entre les formules
de dialogue social suivantes : une procédure assez souple - et floue -
d'information et de consultation, afin de ménager les Etats qui ne connaissent
pas de structures spécifiques ; une institutionnalisation de cette consultation
au travers d'un comité d'entreprise européen.
Du côté des salariés, les représentants au groupe spécial de négociation sont
désignés par les organisations syndicales au prorata des résultats obtenus lors
des dernières élections professionnelles et en proportion des effectifs dans
chaque pays.
Ce groupe spécial devra définir les modalités de rencontre, la composition, la
périodicité et le financement.
La préoccupation majeure est de savoir sur quoi porteront ces discussions. Et
force est de constater que le texte communautaire se réfère à une version
minimaliste de la consultation, celle-ci étant conçue comme « l'organisation
d'un échange de vues et l'établissement d'un dialogue ».
M. Jean-Luc Mélenchon.
Bavardage !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Bien que les attributions du comité d'entreprise européen dépendent du
résultat des discussions organisées au sein du groupe spécial de négociation,
nous pouvons déduire du nouvel article L. 439-15 du code du travail que la
réunion annuelle permettra d'aborder notamment la situation économique et
financière de l'entreprise, l'évolution de ses activités, la situation de
l'emploi, les changements dans l'organisation, les transferts de production,
les fusions, la fermeture d'entreprise, les licenciements.
Nous sommes donc loin de la vision française tendant à faire de cette
procédure l'occasion pour les représentants des salariés de formuler un avis
motivé sur la base d'informations préalablement reçues.
Il est regrettable que l'objectif étant d'aboutir à un texte consensuel, nous
ayons été conduits à définir un cadre peu contraignant. On aurait souhaité que
la France se montre plus déterminée et exige un dispositif plus ambitieux au
service des salariés, même s'il est fait ici application du principe de double
subsidiarité : d'abord, à l'égard d'accords déjà conclus et, ensuite, à l'égard
des négociations entre partenaires qui se dérouleront en application de ce
nouveau dispositif.
En prenant connaissance des expériences déjà engagées dans les entreprises
françaises qui ont anticipé sur la démarche européenne, on constate que les
services des ressources humaines insistent tout d'abord sur le rôle pédagogique
de ces instances en matière économique - sensibilisation des représentants des
salariés au contexte de l'entreprise - et évoquent ensuite l'intérêt de créer,
au-delà des diversités nationales, une culture d'entreprise commune.
Il convient donc d'être vigilant, afin que le comité d'entreprise européen ne
devienne pas un outil au seul service de l'employeur.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Très bien !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Le projet de loi prévoit parallèlement la suppression des comités de groupe au
motif que ces structures feraient double emploi.
Dès lors, par qui seront assumées les compétences gérées aujourd'hui par le
comité de groupe et qui, demain, ne seraient pas reprises par le comité
d'entreprise européen ? C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste a
déposé un amendement supprimant la modification introduite à l'article L.
439-24 du code du travail et prévoyant la disparition du comité de groupe.
Le groupe socialiste se félicite de voir reconnu ce droit nouveau car les
salariés de près de 300 entreprises françaises vont pouvoir en bénéficier.
Cette reconnaissance intervient à un moment où les chefs d'entreprise décident
de délocalisations, de fusions, de restructurations sans que les salariés
travaillant sur un autre territoire bénéficient de la plus élémentaire
information sur le devenir de leur entreprise.
Souhaitons que ces nouvelles procédures améliorent la qualité du dialogue et
de la consultation, notion soigneusement éludée dans la directive. Nous
attendions, sur ce point, plus d'exigence de la part de la représentation
française, qui n'a pas joué un rôle d'aiguillon dans ce domaine comme
l'attestent certaines interventions du ministre du travail et des affaires
sociales devant la délégation pour l'Union européenne à l'Assemblée
nationale.
L'article 6 du projet de loi est la transcription législative de dispositions
de l'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995, signé parallèlement à
l'accord relatif à l'aménagement et la réduction du temps de travail, mais
signé partiellement, puisque deux grandes centrales syndicales et une union
patronale en ont récusé les termes.
Je note à cet égard que tous les signataires représentant les salariés ont
admis, lors des auditions organisées par la commission des affaires sociales,
être conscients d'avoir pris un risque important en signant cet accord.
Monsieur le rapporteur, vous avez vous-même reconnu que vous aviez été
déstabilisé par les arguments forts avancés notamment par les inspecteurs du
travail qui vous faisaient part de leurs craintes. En effet, qui peut mieux
évaluer, avec pertinence et justesse, les effets pervers prévisibles de tels
accords ?
Les signataires ont souhaité poser les grands principes de ce qu'ils estiment
être de nature à relancer la politique contractuelle dans l'entreprise. Ils ont
donc envisagé que, à titre expérimental, pour trois ans, dans les entreprises
privées de délégué syndical, chaque branche choisira une formule alternative de
négociations qui seront menées par une nouvelle catégorie de négociateurs. Ce
dispositif dérogeant au droit commun, il est donc demandé au Parlement
d'intervenir comme une chambre docile d'enregistrement.
Par ailleurs, chaque branche fixera les thèmes pouvant êtrer négociés par le
biais de ces accords d'entreprise et le seuil d'effectifs en deçà duquel
s'appliquera cette expérimentation. Elle devra également définir les modalités
de protection du ou des salariés habilités à négocier.
Analysons l'objectif annoncé de la relance de la politique contractuelle.
Cette dernière a connu un plein essor au cours des années soixante-dix grâce à
la négociation collective organisée dans les branches professionnelles. Comme
le souligne l'accord du 31 octobre, « elle était un facteur de progrès social
et d'égalité entre les salariés... tout en évitant les distorsions de
concurrence entre les entreprises ».
Depuis quelques années, un courant de pensées ayant ses adeptes chez certains
partenaires sociaux revendique le transfert d'une majeure partie de la
négociation collective au niveau de l'entreprise. La lecture du projet du
mouvement patronal « Entreprise et progrès » sur les contrats collectifs
d'entreprise est très claire sur ce point et nous révèle le fondement même de
cette stratégie.
Pour réaliser celle-ci, force est de constater que se posent aux partenaires
un certain nombre de difficultés au premier rang desquelles figure la faiblesse
de la représentation syndicale, notamment dans les petites et moyennes
entreprises. M. le rapporteur l'a souligné tout à l'heure.
Il a également cité des chiffres éloquents : 30 % des établissements de plus
de dix salariés n'ont pas de délégués du personnel et 20 % des établissements
n'ont pas de comité d'entreprise.
M. Jean-Luc Mélenchon.
A quoi cela tient-il ?
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
On identifie bien un certain nombre de raisons de cette désaffection. Il
s'agit de la nature de notre syndicalisme, de la crise qui fragilise les
salariés, de l'extension à tous du bénéfice des accords signés, des réticences
- le mot est faible - des employeurs à voir se développer des sections
syndicales. En tout cas, mes chers collègues de la majorité, ce ne sont pas les
dispositions que vous avez adoptées lors de l'examen de la loi quinquennale
relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle qui ont
contribué à améliorer cet état de fait.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Très juste !
M. Guy Fischer.
Au contraire !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Le cadre légal de la représentation collective en France a été édifié autour
de principes que l'on qualifie d'ordre public tant ils sont fondamentaux, à
savoir la représentation des salariés au travers de syndicats, laquelle a été
affirmée au lendemain de la Libération dans la Constitution de 1946, et le
monopole des syndicats pour la signature d'accords collectifs de travail, qui
est prévu aux articles L. 132-2, L. 132-19, L. 132-20 et L. 411-17 du code du
travail et dans la convention n° 98 de l'Organisation internationale du
travail.
Mes chers collègues, je sais que ces notions apparaissent dépassées aux yeux
de certains ; elles fondent pourtant l'exercice de la démocratie et de la
citoyenneté dans le monde du travail...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Exactement !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
... et donc dans la société si l'on veut bien considérer la place qu'occupe le
travail dans la vie des hommes. Vouloir les contourner pose de réels problèmes
de légalité, voire de constitutionnalité.
C'est dans le respect de ces principes qu'ont été signés des accords aussi
célèbres et bénéfiques que celui qui est relatif à la mensualisation ou les
accords de Grenelle.
Aujourd'hui, en 1996, la défense de ces principes n'est pas un combat
d'arrière-garde : la question de la représentativité est au coeur de la
négociation et fonde la légitimité des résultats de celle-ci.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Exactement !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Les négociations menées avec des coordinations, bien que n'étant pas à l'ordre
du jour de nos discussions d'aujourd'hui, sont exemplaires et très révélatrices
sur cette question.
On a déjà admis, pour compenser le manque de délégués syndicaux, que des élus
du personnel pouvaient être désignés au second tour sans avoir une étiquette
syndicale. Aujourd'hui, on nous demande de légaliser une pratique qu'avait déjà
tolérée, il est vrai, la chambre sociale de la Cour de cassation, à savoir la
possibilité pour un salarié, quel qu'il soit, d'être « intronisé » - si vous me
permettez d'employer ce terme - comme négociateur officiel.
L'accord interprofessionnel prévoit une alternative. Chaque branche devra
choisir entre la désignation de salariés mandatés expressément par une ou
plusieurs organisations syndicales pour une négociation préalablement définie
dans le cadre de la branche, ou la reconnaissance de l'élu du personnel comme
négociateur de l'accord d'entreprise sur des thèmes ouverts par l'accord de
branche sans intervention d'une organisation syndicale.
Tout d'abord, ce dispositif n'encouragera en rien l'implantation des syndicats
dans les PME, on les maintiendra à l'extérieur de l'entreprise, prenant acte
simplement de leur inexistence en son sein. Bien au contraire, il ne pourra que
contrecarrer leur implantation !
Je doute que cette évolution chagrine les organisations des employeurs.
N'ont-elles pas prôné depuis quelques temps ce type de solution et ne
voient-elles pas aboutir une de leurs revendications ?
De plus, traiter de politique contractuelle dans le monde du travail nous
conduit inéluctablement à redouter des rapports, par essence inégaux, entre les
contractants. Ce risque d'inégalité était largement atténué grâce à la
représentation syndicale.
En effet, que penser d'un accord signé par un salarié propulsé sur le terrain
aride des négociations, fragilisé par son isolement, confronté fréquemment à un
chantage à l'emploi à l'occasion des négociations, vivant au quotidien une
proximité délicate avec son interlocuteur et employeur, devant procéder à des
estimations et des évaluations qui peuvent se révéler d'une technicité et d'une
complexité redoutables ? Je pense tout particulièrement aux négociations sur
l'aménagement et la réduction du temps de travail où il convient de prendre en
compte une multiplicité de données : les contraintes économiques certes, mais
aussi la vie de famille, l'évolution des salaires...
Comment, dans ces conditions, ne pas s'étonner qu'aucune disposition n'ait été
prévue pour assurer la formation de ces salariés ? Comment ne pas percevoir les
sérieuses difficultés de tels négociateurs pour aborder les discussions avec la
capacité réelle de faire prévaloir l'intérêt collectif, et ce en toute
indépendance ?
Ceux qui, dans le patronat français, semblent avoir inspiré pour partie ces
propositions le reconnaissent eux-mêmes d'ailleurs puisqu'ils affirment : « Les
délégués du personnel sont souvent isolés et n'ont ès qualités aucune
expérience de la négociation... » ou encore : « Un délégué du personnel ou un
mandataire élu pour l'occasion » - et vous savez bien que ce sera le cas très
souvent - « n'a pas, en tant que tel, d'expérience de la négociation. Par
conséquent, il n'y a pas de garantie d'équilibre et d'authenticité de la
négociation ».
Le risque est grand que nous assistions au développement de syndicats maison
plus ou moins corporatistes et que nous allions vers toujours plus de
flexibilité, notamment dans les PME et les PMI dont les salariés sont déjà
victimes de grandes inégalités. Demain, celles-ci ne pourront que s'accentuer
puisque la loi et la convention collective de branche disparaîtront au profit
d'accords d'entreprise négociés dans de telles conditions.
Certes, les négociateurs de l'accord interprofessionnel ont envisagé des
garanties afin de réintroduire les organisations syndicales dans le processus,
reconnaissant par là même la fragilité d'accords ainsi conclus.
Dans le cas d'un élu du personnel habilité à négocier, une commission
paritaire composée des organisations représentatives est chargée de valider, ou
non, l'accord d'entreprise ainsi négocié. Je suis malheureusement sceptique
quant à la réalité d'un tel contrôle
a posteriori
. Quelle sera la nature
de ce contrôle ?
De plus, quelles seront les références à opposer à un accord d'entreprise ? Le
paragraphe II de l'article 6 ne laisse aucun doute sur l'inexistence d'un
contrôle de la direction départementale du travail.
En revanche, si la branche a choisi la formule du salarié mandaté, ce contrôle
a posteriori
de la commission paritaire n'intervient plus. Peut-être
a-t-on estimé qu'une intervention en amont des organisations syndicales
dispensait de la vérification du respect des normes essentielles en vigueur
dans la branche concernée.
Je m'étonne également du peu de garanties prévues pour la protection du
salarié appelé à négocier. Il est en effet simplement fait référence à l'accord
de branche « qui devra prévoir cette protection ». Cela signifie que d'un corps
de métier à l'autre, pour une fonction identique, la protection pourra être
différente.
Sur un aspect aussi délicat et important de la négociation collective,
pourquoi ne pas avoir prévu un régime unique qui,
a minima,
devrait être
l'autorisation administrative de licenciement ? Il y a là une rupture du
principe de l'égalité devant la loi.
Vous avez souhaité confier à un salarié « ordinaire », et cet adjectif n'a
rien de péjoratif, des responsabilités identiques à celles d'un délégué
syndical. Alors allez jusqu'au bout de votre logique en lui garantissant une
protection identique à celle du salarié protégé, prévue à l'article L. 412-18
du code du travail, qui impose l'autorisation administrative préalable en cas
de licenciement.
Pour conclure, si l'on veut faire une lecture globale de cet article et
l'inscrire dans la perspective d'une démarche déjà largement engagée, souhaitée
par le patronat, validée par le Gouvernement, on obtient l'équation suivante :
d'abord, côté salarié, des négociateurs fragiles et souvent démunis ; ensuite,
une absence réelle de contrôle en aval et, enfin, la possibilité de multiplier
des accords d'entreprise dérogatoires.
J'ai commencé mon propos en me demandant si nous n'étions pas en train de
devenir des législateurs virtuels tant nous étions étrangers à l'élaboration du
contenu de cette loi.
Nous pouvons poursuivre cette interrogation si nous analysons les
revendications de certains quant au processus d'élaboration du droit social.
Selon eux, il s'agit ni plus ni moins de redéfinir la hiérarchie des sources du
droit afin de faire prévaloir la norme élaborée au sein de l'entreprise.
Madame le ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le problème de
la sous-représentation syndicale réelle et grave méritait mieux que cette
lettre rectificative introduite sous la forme d'un article 6 dans ce projet de
loi ; il méritait mieux que ce passage en force. Il aurait été intéressant et
nécessaire d'engager un débat large, ouvert, qui aurait abouti à des
propositions constructives permettant de négocier dans des conditions
équilibrées.
Certaines suggestions ont été émises, notamment celle d'une territorialisation
des négociations de branche afin de les rapprocher de l'entreprise - et c'est
nécessaire - tout en garantissant la formation des négociateurs ainsi que la
représentativité des délégués syndicaux appelés à négocier. Cette formule,
parmi d'autres, aurait par ailleurs l'avantage de renforcer les organisations
syndicales.
Mais, monsieur le ministre, vous n'avez pas voulu organiser ce débat et nous
le regrettons. Nous ne pouvons souscrire à votre projet de loi ; le groupe
socialiste votera donc contre.
(Applaudisssements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec le
texte dont nous discutons aujourd'hui, le Gouvernement fait une nouvelle fois
la preuve de son imagination ainsi que de sa persévérance à faire passer, coûte
que coûte, des projets de déréglementation des relations de travail.
C'était déjà le cas avec la loi quiquennale en matière non seulement de
possibilité d'aménagement du temps de travail, qu'elle élargissait, mais aussi
de dérogation et de représentation des salariés.
C'était encore le cas de l'expérimentation puis de l'adoption des dispositions
sur le chèque emploi-service et les emplois de proximité.
Voilà que le Gouvernement propose de franchir une nouvelle étape avec ce texte
de loi.
Comme l'a indiqué M. le rapporteur, ce projet de loi rassemble en réalité deux
textes qui étaient à l'origine distincts.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
J'avais précisé qu'ils avaient un but commun !
M. Guy Fischer.
Il s'agit, d'une part, de la transposition législative d'une directive
européenne relative aux comités de groupe et aux comités d'entreprise
européens, directive qui répond à des souhaits émis de longue date par les
syndicats.
Il s'agit, d'autre part, d'un texte validant l'accord interprofessionnel du 31
octobre 1995 relatif à la politique contractuelle, accord qui, je le rappelle,
n'a été signé ni par la CGT ni par FO, organisations qui, à elles deux,
représentent plus de 50 % des suffrages aux élections prud'homales. Cela mérite
d'être souligné.
L'article 6 du projet de loi a donc été adjoint, je serais tenté de dire à la
sauvette, quelque temps avant la discussion à l'Assemblée nationale, au mois de
juin dernier.
L'urgence déclarée sur le projet de loi n'est admissible que sur le texte
relatif au comité de groupe européen compte tenu du délai de deux ans imposé
pour transcrire la directive du 22 septembre 1994.
J'ai déjà eu l'occasion, par ailleurs, de dénoncer avec mon groupe ce
subterfuge législatif consistant à associer deux textes de nature et de portée
différentes, inspiré par la volonté de tenir les salariés à l'écart des
discussions d'un texte qui est non seulement à mes yeux, mais aux yeux de
nombreux syndicalistes ou de grands spécialistes du droit du travail, une
atteinte aux droits des travailleurs et de la représentation syndicale dans
l'entreprise.
En ce qui concerne le texte sur les comités européens d'entreprise, si
l'adoption de la directive constitue à mon sens un progrès, je regrette que le
Gouvernement ait transcrit, en quelque sorte
a minima,
les droits
ouverts aux salariés.
Je regrette, par exemple, la disparition d'un comité de groupe français en cas
de création d'un comité d'entreprise européen, alors que la configuration d'un
groupe européen n'est pas forcément la même que celle d'un groupe français.
Je déplore également que ce texte introduise ce qui me semble une innovation
pour le moins regrettable dans le code du travail, à savoir le fait de fixer
des
maxima
légaux. Je pense, par exemple, au nombre de représentants des
salariés au sein du comité européen d'entreprise. Nous aurons l'occasion de
revenir sur ce point lors de l'examen des amendements.
Le code du travail doit, selon nous, rester le socle minimal commun à partir
duquel les partenaires sociaux bâtissent l'édifice conventionnel chargé
d'améliorer, vers le progrès, les droits des salariés.
Notre groupe proposera plusieurs amendements ciblés, destinés à revenir sur
les insuffisances du texte.
Nous détaillerons notre position sur les comités d'entreprises européens dans
la discussion des articles et des amendements. Je concentrerai mon intervention
sur l'article 6 du projet de loi. Cet article, M. le rapporteur nous l'a
indiqué, vise essentiellement, sous couvert d'expérimentation, à permettre la
signature d'accords d'entreprises là où il n'y a pas de représentation
syndicale.
En effet, notre droit prévoit que les conventions et accords sont conclus
exclusivement entre les employeurs et les organisations syndicales
représentatives.
J'avoue que je ne comprends pas le désarroi du patronat quand il se plaint,
après une décennie de répression antisyndicale féroce, de l'absence
d'interlocuteurs représentatifs des salariés pour négocier. J'ai effectué des
recherches. Permettez-moi, monsieur le ministre, chers collègues, de vous
rappeler que, dans les années quatre-vingt, le nombre de délégués syndicaux
licenciés chaque année a quasiment explosé. En 1993, les demandes
d'autorisation de licenciement les concernant ont été de 20 000 !
Face au désert syndical que cette répression a provoqué, notamment dans les
PME, le projet de loi a pour objet, dans les entreprises dépourvues de délégués
syndicaux, d'autoriser les employeurs à négocier et à conclure avec les élus du
personnel des accords, y compris des accords comportant des dispositions
dérogatoires aux règles d'ordre public existantes.
Cette possibilité d'accord est même élargie à de simples salariés mandatés en
cas d'absence de représentation du personnel.
Rappelons au passage, puisqu'il semble que cela ne soit pas clair pour tout le
monde ici, que l'accord du 31 octobre 1995 et le projet de loi ne fixent pas de
seuil, puisque une entreprise de plus de 50 salariés sans délégué syndical peut
utiliser les dispositions de l'accord !
Notre rapporteur rappelle à juste titre que 30 % des établissements de plus de
10 salariés n'ont pas de délégué du personnel et que plus de 20 % des
établissement de 50 salariés n'ont pas de comité d'entreprise. Il aurait dû
rappeler également que 75 % des salariés protégés licenciés sont aujourd'hui
des représentants du personnel non syndiqués.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Il fallait bien que je vous laisse dire quelque chose,
monsieur Fischer ?
M. Guy Fischer.
Telle est la réalité !
En fait, sous prétexte de « renforcer le dialogue social », il s'agit
uniquement de favoriser la signature d'accords dérogatoires au droit du travail
en matière d'aménagement du temps de travail et des salaires. Il faut entendre
par accords dérogatoires des accords défavorables salariés.
En effet, il est faux de faire croire qu'il est impossible de négocier des
accords en l'absence de délégué syndical. Rien ne l'empêche, à la condition
impérative que cet accord respecte l'un des principes fondamentaux de notre
droit du travail, à savoir « qu'un accord collectif ne peut contenir que des
dispositions plus favorables, ou des avantages non prévus, que les dispositions
légales ou réglementaires ».
Parlons clair ! Cet accord n'est rien d'autre qu'une machine de guerre contre
le droit du travail. Il s'agit d'entamer une réduction négociée, entreprise par
entreprise, des avantages acquis par les salariés.
Il s'agit, pour le patronat, de désarmer les salariés en supprimant ce qui les
unit, en particulier les conventions collectives et le code du travail.
Mais, nous dit-on, ce texte n'a qu'un caractère expérimental, et comment
parler de « casse du code du travail » alors que celui-ci n'est pas touché ?
L'expérience nous prouve que le caractère expérimental n'a rien à voir avec un
« essai pour voir ». C'est en réalité la mise en place d'un processus durable
dont on cherche à minimiser la portée immédiate et dont le plein effet ne sera
sensible que plus tard.
Lors de son audition devant la commission des affaires sociales sur le projet
de loi, le représentant du CNPF n'a-t-il pas déclaré que l'article 6 du projet
de loi allait être précurseur des modifications des rapports sociaux dans les
cinq ou dix ans à venir, et que la volonté affirmée était bien d'aller vers un
éclatement durable de la norme juridique pour parvenir à plus de flexibilité
?
Rappelons-nous la loi quinquennale sur l'emploi ; les possibilités de déroger
au code du travail en matière d'aménagement du travail ne bénéficieraient-elles
pas d'un garde-fou, le monopole syndical de négociation ? Et bien voilà que
l'on nous propose de détruire cette protection !
Le nouveau « droit d'opposition » inventé par le texte - c'est l'article 6 -
n'offre aucune garantie puisque l'opposition ne sera prise en considération que
si les organisations opposantes sont majoritaires en nombre ; si un seul
syndicat représentant plus de 50 % des voix des salariés s'oppose à l'accord,
celui-ci pourra être validé. Ainsi un syndicat représentant 5 % des voix aux
élections professionnelles aura autant de poids qu'un syndicat représentant par
exemple 50 %. On réinvente le scrutin censitaire.
La procédure d'opposition prévue à l'article L. 133-11 ne sera pas applicable
aux accords passés selon les dipositions de l'article 6, et la commission
nationale de la négociation collective sera court-circuitée. Elle sera, comme
le Parlement d'ailleurs, consultée
a posteriori
et invitée à avaliser
cette « expérimentation » prévue jusqu'en 2001.
L'inspection du travail sera dans l'incapacité d'assurer le contrôle des
accords et les conseils de prud'hommes seront engorgés.
En outre, les possibilités de déroger seraient maintenant déterminées par les
négociations de branche ; tout peut donc être ménacé : la durée du travail,
puis la représentation syndicale et, pourquoi pas, c'est dans l'air du temps,
l'hygiène et la sécurité !
On pourra, selon l'expression des inspecteurs du travail, « faire signer
n'importe quoi par n'importe qui ».
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'est grave !
M. Guy Fischer.
Dans un domaine aussi complexe que celui de l'aménagement du temps de travail,
on va, de l'avis même de spécialistes, demander à des salariés sans formation
spécifique et qui ne bénéficient pas de l'expérience et du soutien d'une
organisation syndicale de négocier - je devrais dire de ratifier - un projet
d'organisation du travail élaboré, le plus souvent, par l'employeur, ou plutôt
par certains cabinets spécialisés. Ce qui est en jeu n'est pas négligeable,
puisqu'il s'agit des rythmes de travail des salariés, de leurs congés et de
leurs salaires par le biais des heures supplémentaires.
Mais, plus grave encore, les salariés chargés de négocier ne bénéficieraient
pas obligatoirement des protections accordées aux délégués syndicaux ; ils
risquent donc d'être soumis à toutes les pressions de la part de
l'employeur.
En outre, selon le projet de loi tel qu'il est rédigé actuellement, rien
n'empêche qu'un salarié mandaté ou un élu d'un certaine catégorie, un cadre du
troisième collège, puisse signer un accord concernant uniquement d'autres
catégories, celle des ouvriers par exemple !
Comment peut-on imaginer sérieusement que les employeurs dont l'entreprise ne
compte pas de section syndicale se priveront de choisir de bons interlocuteurs
parmi les élus non syndiqués ou parmi des salariés qui seront mandatés par des
syndicats compréhensifs ?
Monsieur le ministre, de quelle négociation s'agit-il quand l'initiative est
réservée au seul employeur tandis que les salariés négocient au moment, dans
les termes et avec les personnes choisis par celui-ci ?
Avec l'article 6 du projet de loi, il s'agit purement et simplement de
modifier l'objet même de la négociation collective, qui sera non plus un droit
reconnu aux salariés pour améliorer leurs conditions d'emploi et leurs
garanties sociales, mais un instrument au service du patronat pour imposer aux
salariés les plus faibles, les plus menacés dans leur emploi, de nouvelles
flexibilités, diminuant les avantages contenus dans les anciennes conventions
collectives ou de branche.
Machine de guerre contre les acquis des salariés, le texte l'est aussi contre
la représentation syndicale.
En effet, aujourd'hui, quel peut être l'intérêt de l'employeur de tolérer au
sein de l'entreprise une section syndicale, si ce n'est celui de négocier un
accord ?
S'il peut négocier avec un délégué du personnel, il n'a plus besoin de
syndicat.
Au contraire, il y a risque d'opposition à l'accord. Ce n'est pas le
diaboliser que de dire qu'il a un intérêt objectif à « casser » la section
syndicale dans les entreprises de moins de cinquante salariés.
Le groupe communiste républicain et citoyen ne peut donc qu'être opposé à un
tel texte.
Je note d'ailleurs avec intérêt que le rapporteur de la commission des
affaires sociales, notre collègue M. Souvet, se montre lui-même très critique à
l'égard de l'article 6 du projet de loi. Certes, tout est dit en nuances, mais
il craint, selon ses propres mots, des « dérapages ». Il relève que «
l'inspection du travail n'aura pas les moyens de contrôler tous les accords ».
Il redoute que « les précautions prises par les partenaires sociaux ne soient
insuffisantes »,...
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Je n'ai pas dit cela, monsieur Fischer.
M. Guy Fischer.
... que les commissions paritaires risquent de n'être pas réellement
représentatives.
M. Emmanuel Hamel.
Nous avons noté ses craintes !
M. Guy Fischer.
Sur ce point, nous regrettons que les principales observations de M. le
rapporteur, pourtant fort intéressantes, comme je viens de l'indiquer, et
révélatrices de la nécessité de ce texte, n'aient pas été inclues dans le
rapport.
Par ailleurs, « faute de certitude », M. le rapporteur ne présente pas
d'amendement. Curieuse extension du principe du « bénéfice du doute » à une
oeuvre législative !
Le doute doit conduire au contraire à repousser ce texte.
D'ailleurs, en droit du travail, le doute bénéficie toujours aux salariés ; de
ce droit aussi vous voudriez les priver ?
Si le CNPF et le Gouvernement se soucient vraiment de la présence syndicale
dans les PME, pourquoi ne nous propose-t-on pas plutôt l'abaissement des seuils
pour la désignation des délégués syndicaux par les organisations syndicales
représentatives ? Au contraire, ces seuils ont été relevés dans la loi
quinquennale !
Pour notre part, nous avons des propositions à formuler afin d'améliorer la
représentation collective des salariés.
Nous proposons pour tous les salariés, dans toutes les entreprises, quelle que
soit leur taille, le droit à une heure d'information syndicale. Nous proposons
également que, dans les entreprises où il n'existe pas de section syndicale, un
représentant syndical mandaté expressément puisse réunir et consulter les
salariés pour les informer de leurs droits et recueillir leurs
revendications.
Nous proposons encore que soit abaissé le seuil de désignation d'un délégué
syndical à dix salariés.
S'agissant du droit d'opposition aux accords, le système actuel n'en prévoit
la possibilité que si l'opposition provient d'organisations syndicales ayant
recueilli plus de 50 % des inscrits aux élections professionnelles. Tel qu'il
existe, ce droit d'opposition est donc pratiquement inopérant.
Je vous le demande, mes chers collègues, combien de députés auraient été élus
s'il leur avait fallu, pour ce faire, recueillir les suffrages de plus de 50 %
des inscrits ?
M. Jean-Luc Mélenchon.
Très bien !
M. Guy Fischer.
Nous proposons donc, pour notre part, que soient pris en compte les suffrages
exprimés et que les organisations syndicales représentant plus de 50 % des voix
aux élections professionnelles ou prud'homales puissent valablement s'opposer
aux conclusions d'un accord qu'elles rejettent.
Naguère, le Président de la République parlait de fracture sociale.
Aujourd'hui, le ministre du travail parle de « desserrer la ceinture de
sécurité » en matière de protection sociale !
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Je n'ai jamais dit cela
!
M. Guy Fischer.
Mais si, vous l'avez dit, monsieur le ministre. J'ai sous les yeux les
articles de presse qui le prouvent.
Mais cette ceinture est déjà bien lâche, monsieur le ministre. C'est à coups
de systèmes dérogatoires, de déréglementations ou de flexibilité que des
millions de personnes ont déjà été précarisées, appauvries, exclues ou épuisées
par le travail !
En juin 1936, les travailleurs obtenaient les quarante heures, les congés
payés et les conventions collectives. Le soixantième anniversaire de cette
victoire sera-t-il fêté par la remise en cause du droit de la négociation
collective ?
Pour sa part, le groupe communiste républicain et citoyen ne peut l'accepter.
Nous demandons donc le retrait de l'article 6. A défaut, nous voterons contre
le texte qui nous est proposé.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier tous les orateurs qui
sont intervenus et, tout d'abord, M. Souvet, qui a salué l'esprit de
responsabilité des partenaires sociaux.
En effet, nous allons légiférer à partir d'un accord interprofessionnel.
Cela prouve la volonté des partenaires sociaux de s'adapter au monde
d'aujourd'hui et d'expérimenter des voies nouvelles.
Monsieur Souvet, vous avez posé une question sur le coût de fonctionnement du
dispositif. Je peux citer l'exemple de Renault, où ce coût s'élève à 300 000
francs par an pour un comité de trente et un membres où l'on pratique sept
langues ; c'est un coût raisonnable.
Vous vous êtes également inquiété du respect de la diversité syndicale. Je
peux vous rassurer : le mode de répartition des sièges est conçu de telle sorte
que les confédérations syndicales représentatives sur le plan national puissent
être toutes représentées.
Quant au coût de l'expertise - un seul expert est obligatoire - il est à
négocier dans l'accord. Il me semble difficile de le plafonner dans la loi.
S'agissant du deuxième texte inséré dans le projet de loi, une réflexion doit
être engagée - ce qui a été fait à l'Assemblée nationale - sur les rapports
entre la loi et les accords collectifs, sur l'articulation entre la vie
conventionnelle et la législation. Mme Dieulangard, elle aussi, a évoqué cette
question. Aujourd'hui, les partenaires sociaux signataires d'un accord
interprofessionnel de l'importance de celui du 31 octobre 1995 confèrent une
telle valeur d'engagement à cet accord qu'ils ont du mal à accepter que sa
légalisation s'accompagne de modifications.
Cependant, le législateur peut, légitimement, de son côté, s'interroger sur
son rôle dans cette procédure. Il s'agit là, monsieur Fourcade, d'un point très
important sur lequel, avec l'aide du Sénat, nous devrons progresser.
En ce qui concerne l'artisanat, monsieur Souvet, aux termes de l'accord du 31
octobre 1995, la priorité sera donnée à la négociation de branche.
Par ailleurs, monsieur le sénateur, toutes les organisations syndicales seront
représentées au sein des commissions de validation, chacune d'entre elles
engageant tous les salariés. Je pense que la signature d'un grand nombre
d'accords sera une preuve de succès, et nos services pourront en assurer le
suivi.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Et la formation des négociateurs ?
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
En effet, c'est un point
essentiel. Il faudra considérer le problème dans le cadre des accords de
branche en y apportant tout le soin nécessaire.
Je voudrais également remercier M. Marini et lui donner acte de la qualité de
sa réflexion. L'intervention qu'il a faite pour présenter sa proposition en
témoigne.
Votre réflexion, monsieur le sénateur, procède d'une étude approfondie de
l'évolution de l'activité conventionnelle de notre pays.
Votre objectif - c'est également le mien - est la valorisation de la
négociation collective, dont vous voulez favoriser le développement. Vous
dressez un constat, étayé des limitations et des points de faiblesse de la
négociation collective et vous montrez la nécessité de lui permettre de se
saisir des problèmes concrets dans l'entreprise, sans pour autant négliger le
rôle de la branche.
Votre constat rejoint le diagnostic qui a conduit les partenaires sociaux à
débattre en 1995 de l'organisation de la négociation collective et qui a
finalement permis de parvenir à l'accord transposé dans le projet de loi qui
vous est aujourd'hui soumis.
Monsieur Marini, je dis cela non pas simplement pour rendre hommage à votre
travail, dont chacun, ici et ailleurs, connaît la qualité, mais parce que
j'adhère très largement à votre démarche.
Toutefois, l'objet du débat d'aujourd'hui est circonscrit à la transposition
législative de cet accord national interprofessionnel qui pose le problème que
je viens d'évoquer, à savoir celui de l'articulation des accords
interprofessionnels et des législations qui transposent ceux-ci.
Il revient à la représentation nationale de donner ou non à cet accord la
suite qui convient, dans le respect du caractère expérimental de la démarche.
Si le Sénat se prononce favorablement, comme le Gouvernement le souhaite, par
le biais de ce dispositif expérimental, qui est prévu sur trois ans, une année
étant écoulée, nous pourrons de façon concomitante explorer plus avant les
voies que vous avez suggérées. J'en prends, pour ma part, l'engagement, et je
profiterai de tous les entretiens que j'aurai avec les représentants des
organisations représentatives pour avancer dans cette voie.
Je note d'ailleurs, monsieur Marini, que l'aménagement et la réduction du
temps de travail conduisent de nombreuses entreprises à s'engager en quelque
sorte dans cette direction par un accord très large dans le monde salarié.
J'entends bien que certaines opportunités ne doivent pas être négligées.
Non, madame Dieulangard, nous n'avons rien bousculé. N'oubliez pas que, d'une
part, une date commune est fixée pour la transposition de la directive et que,
d'autre part, l'accord interprofessionnel limite l'expérimentation à trois ans
; or une année s'est déjà écoulée depuis que cet accord a été conclu. Il était
donc du devoir du ministre du travail de vous soumettre maintenant ces
dispositions.
Je vous rappelle par ailleurs, madame le sénateur, que la fusion du comité
européen et du comité de groupe suppose l'accord préalable de ce dernier.
Vous avez indiqué que certains inspecteurs du travail, voire tous, étaient
défavorables à ce dispositif. Mais ce qui importe, c'est que ce soient les
partenaires sociaux qui l'aient négocié.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Quelques partenaires sociaux !
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Pardonnez-moi, mais nous
avons un droit du travail et, que je sache, nous devons respecter ce qui est
effectivement signé. Si nous attendions une signature de tous les partenaires,
je le crains, la France n'avancerait guère !
Quoi qu'il en soit, les signataires ont prévu, vous le savez bien, un certain
nombre de protections : il faut un mandat donné aux salariés, puis une
validation par la commission de branche.
Quant à prétendre qu'il existe une contradiction avec la convention de l'OIT,
je vous rappelle que celle-ci prescrit de prendre des mesures appropriées aux
conditions nationales pour promouvoir la négociation collective. C'est bien ce
que nous faisons, madame Dieulangard.
Je répète, à l'intention cette fois de M. Fischer, que ce texte n'est pas
présenté à la sauvette, je viens d'en apporter la démonstration, et qu'il ne
peut y avoir, en cas de fusion, disparition du comité de groupe sans l'accord
de celui-ci.
Par ailleurs, la progression des licenciements est moins forte que vous ne le
dites et elle s'explique par la multiplication, qu'on ne peut que regretter,
des licenciements économiques ; ceux-ci représentent en effet l'immense
majorité des licenciements. Il ne s'agit pas spécialement de licenciements de
salariés protégés.
Vous évoquez, monsieur Fischer, une réduction des avantages acquis au sein de
l'entreprise. Mais il faut savoir laisser aux acteurs sociaux le soin d'étudier
ensemble ce qu'il convient d'adapter. S'agissant, par exemple, du temps de
travail, s'il existe de nombreux accords d'entreprise qui répondent aux
aspirations des salariés, c'est précisément grâce à cette dynamique de la
négociation sociale.
Je suis toujours étonné d'entendre contester le principe selon lequel chaque
syndicat représente tous les salariés. Ce principe fait partie des traditions
de notre droit du travail.
Il faut admettre que ces accords interprofessionnels,...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Mais partiels !
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
... même s'ils n'ont pas
été signés par toutes les organisations, correspondent bien à la lettre et à
l'esprit de notre droit du travail.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite que la sérénité préside à la
discussion de ce texte visant à transposer dans notre droit une directive
européenne qui va permettre à tous les groupes européens de faire bénéficier
leurs salariés d'une meilleure information. Il s'agit tout de même là d'un
progrès important ! Et c'est un progrès auquel notre pays n'est certes pas
étranger puisque mon prédécesseur a joué un rôle personnel de poids dans la
préparation de cette directive.
Par ailleurs, le Parlement est invité à transcrire dans la loi un accord
interprofessionnel qui a été conçu pour activer le dialogue social et pour
permettre que soient conclus des accords nouveaux dans les entreprises
françaises.
Réjouissons-nous de l'enrichissement qu'apportera ce renouveau du dialogue
social.
Il ne s'agit, pour l'heure, que d'une expérimentation. Mais il me semble que,
dans notre pays, on n'accorde pas une place suffisante à l'expérimentation. Le
Sénat s'honorera en permettant ainsi à toutes ces expériences de fleurir.
Avec les partenaires sociaux, nous pourrons ensuite, après les avoir évaluées,
envisager la manière de faire évoluer notre dynamique sociale. En effet, dans
les temps difficiles que nous connaissons, il importe que nous sachions
impulser une dynamique sociale forte, afin que les salariés gardent confiance
dans l'avenir.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des
Républicains et Indépendants, du RPR, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Monsieur le ministre, je fais partie de ceux
qui considèrent que le dispositif de l'article 6, que vous avez ajouté à la
transposition de la directive européenne, est un pas en avant très
important.
C'est en effet la première fois que l'on aborde de front, au niveau des
partenaires sociaux, le problème de la discussion dans les petites entreprises.
Il m'apparaît particulièrement significatif que la confédération générale des
petites et moyennes entreprises, la CGPME, ait accepté de cosigner cet accord.
Cela marque une évolution considérable dans les esprits : souvenez-vous, mes
chers collègues, de tout ce qui a entouré, à l'époque, le débat sur les lois
Auroux.
Certes, les partenaires sociaux qui ont signé l'accord interprofessionnel ont
pris beaucoup de précautions - à tel point que certains de nos collègues
souhaiteraient que l'on en prît moins, afin d'aller un peu plus vite - mais
c'est selon moi à une révolution culturelle que nous assistons. C'est pourquoi,
d'ailleurs, comme le rapporteur l'a indiqué dans son excellent rapport, la
commission a donné un avis favorable sur ce texte.
Cela dit, monsieur le ministre, vous avez soulevé deux questions sur
lesquelles je voudrais revenir brièvement.
Vous avez évoqué, en réponse à M. Marini, le problème du contrat collectif et
celui d'un assouplissement plus important du contrat de travail.
Dans la situation que nous connaissons, M. Marini a raison, il faut essayer de
donner à la discussion à l'intérieur de l'entreprise un poids un peu plus
important, de manière à faciliter l'adaptation des conditions de travail et de
rémunération à l'évolution de notre société, prenant en compte la
mondialisation de l'économie et la concurrence internationale très rude qui en
résulte pour nos entreprises.
J'aurai, demain, l'occasion d'indiquer à M. Carle que la transposition de cet
accord professionnel n'est pas l'occasion de modifier plus fondamentalement
notre code du travail ; j'approuve donc également M. Marini sur ce point. Mais
je dois lui préciser, à lui qui a autrefois appartenu à la commission des
affaires sociales, que nous y pensons et que nous sommes prêts à étudier de
plus près ses propositions.
Par ailleurs, monsieur le ministre, vous avez posé le problème, tout à fait
réel, du rôle respectif des partenaires sociaux et du législateur dans
l'évolution du droit du travail.
Un certain nombre de vos prédécesseurs, en nous proposant la ratification
d'accords interprofessionnels, n'avaient pas pu résister à la tentation de les
modifier sur certains points susceptibles de bouleverser telle ou telle
mythologie ou tel ou tel credo de l'époque.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
C'est inadmissible de dire cela !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Vous, monsieur le ministre, vous nous
présentez un accord interprofessionnel tel qu'il a été signé, et je vous en
félicite.
Il me paraît en effet préférable, pour bien organiser les rapports entre les
partenaires sociaux et le Parlement, s'agissant d'une expérimentation
comportant un certain nombre de verrous, que le Parlement se contente, dans un
premier stade, d'apporter son aval à cet accord interprofessionnel, à charge
pour lui, dans deux ou trois ans, d'en tirer les conclusions. Il pourra alors
transformer cet accord interprofessionnel expérimental, qui marque un progrès
dans le sens de l'assouplissement et d'une amélioration de la négociation
interne à l'entreprise, en un corps de doctrine et en un dispositif législatif
plus solide, envisageant les différentes hypothèses et organisant la discussion
sur le plan interprofessionnel, dans le cadre d'accords de branche et d'accords
d'entreprise.
Alors que la période actuelle est dominée par le terrible problème du chômage,
par la grande question de la réduction du temps de travail, par cet enjeu
fondamental que constitue la nécessaire réforme des formations, formations
initiales et formations complémentaires, le Parlement se trouve en présence
d'un accord interprofessionnel signé par cinq partenaires, trois organisations
syndicales de salariés et deux organisations patronales, qui ouvre la voie à
une innovation considérable. Dès lors, il serait attentatoire à l'évolution que
traduit ce texte, il serait même criminel de poser des verrous supplémentaires,
d'ajouter des précautions ou de vouloir se référer à tel ou tel élément.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Nous vous citerons le moment venu !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Lorsqu'il apparaîtra, à travers
l'expérimentation, que le système fonctionne et qu'il donne un certain nombre
de résultats, il nous appartiendra d'élaborer un cadre législatif plus large et
plus solide.
Dans une société en proie au doute et à bien des interrogations sur le rôle
respectif des partenaires sociaux et du Parlement, cette attitude me paraît
sage. Il nous est toujours possible de corriger ce qui est excessif ou ce qui
peut donner lieu à dérive.
Je vous demande, mes chers collègues, de faire confiance aux partenaires
sociaux en la matière. Nous nous heurtons à trop de difficultés, à trop de
rigidités, nos problèmes de chômage et de formation sont trop graves pour que
nous puissions nous permettre d'agir autrement.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Monsieur le président, je souhaite que la
séance soit suspendue pendant dix minutes afin que la commission puisse se
réunir et examiner les deux motions de procédure qui ont été déposées. Nous
pourrions ainsi les discuter dès ce soir, ce qui nous permettrait, si elles ne
sont pas adoptées, d'examiner demain avec tout le sérieux qui convient les
nombreux amendements que ce texte semble avoir inspirés.
M. le président.
Le Sénat va, bien sûr, accéder à la demande de la commission.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à dix-neuf
heures cinq.)