M. le président. Mme Joëlle Dusseau attire l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur la situation particulièrement difficile que connaissent deux fillettes françaises à l'heure actuelle.
Nées d'une mère française et d'un père égyptien aujourd'hui divorcés, elles se trouvent actuellement séquestrées en Egypte.
En effet, en décembre 1993, au cours d'un droit de visite, le père les a emmenées illégalement en Egypte, alors que l'ordonnance de non-conciliation avait désigné la mère pour garder les enfants et interdit leur sortie du territoire français.
En février 1994, le juge aux affaires familiales en charge de la procédure de divorce attribuait l'autorité parentale à la mère seule, ordonnait la suppression du droit de visite paternel et interdisait la sortie des enfants du territoire national.
Après de nombreuses démarches, la Cour d'Alexandrie, en mars 1995, décidait l'exequatur de la décision française.
Malgré cela, les fillettes demeurent toujours en Egypte.
Elle souhaite connaître les mesures que compte prendre M. le ministre afin que cette affaire soit rapidement résolue. (N° 428.)
La parole est Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Monsieur le président, au risque de contrevenir aux usages de ces séances de questions orales sans débat, je me permettrai de faire observer à M. Marini, qui a évoqué les jeunes gens de quatorze à seize ans qui sont entrés dans la Résistance, qu'il y avait aussi des femmes dans la Résistance, comme l'affirmait le titre d'un livre célèbre, et que, parmi ces personnes ayant, dès le plus jeune âge, rejoint la lutte contre l'occupant, il devait se trouver aussi des jeunes filles.
J'aimerais que, dans ce long combat qu'il mène et qui, visiblement, lui tient à coeur, M. Marini n'oublie pas que la Résistance s'est aussi « conjuguée » au féminin.
Priant le Sénat de m'excuser d'avoir ainsi évoqué le sujet abordé par un de mes collègues, j'en viens à ma propre question, qui concerne le cas de deux petites filles de nationalité française, Sana et Sabrya, actuellement âgées de cinq et sept ans.
Nées en France d'une mère française et d'un père qui a obtenu la nationalité française par son mariage, ces petites filles ont été confiées, en octobre 1993, à la garde de leur mère à la suite de la séparation de leurs parents, l'ordonnance de non-conciliation interdisant, en outre, leur sortie du territoire national.
Or, le mois suivant, profitant de l'exercice de son droit de visite, le père a emmené illégalement ses deux fillettes de quatre et deux ans dans son pays d'origine, l'Egypte. Depuis, la maman de Sana et Sabrya n'a jamais revu ses filles.
Le tribunal des Sables-d'Olonne, dans le jugement de divorce, qui est intervenu après l'enlèvement des deux petites filles, a réitéré l'interdiction de sortie du territoire et supprimé le droit de visite pour le père.
Par exequatur, la justice égyptienne a reconnu les ordonnances prises par les magistrats français ; cette décision a d'ailleurs été confirmée en appel et, tout récemment, en cassation.
Ainsi, pour une fois, contrairement à ce qu'il en est dans bien d'autres affaires de ce genre, les justices des deux pays sont d'accord. Pourtant, la situation reste bloquée. Ni ces décisions successives et concordantes, ni les séjours en Egypte de la mère, qui n'a même pas pu, alors, voir ses enfants, ni l'intervention personnelle et officielle de M. de Charette n'y ont mis un terme.
La visite en Egypte du Président de la République française, en avril dernier, a certes permis de réaliser une avancée puisque le père a été arrêté. Mais, très vite, celui-ci a été libéré pour de prétendues raisons de santé.
Tous les intervenants sentent bien que, au-delà des décisions de la justice, il y a une mauvaise volonté évidente de la part de l'Egypte exécuter véritablement ses propres décisions judiciaires. La police ne coopère visiblement pas ; on dit que les enfants sont en Arabie, alors qu'on sait très bien où habite le père et qu'on n'a eu aucun mal à procéder à son arrestation. La justice n'avait même pas averti les avocats de la mère du pourvoi en cassation du père. Quant à la presse, elle prend fait et cause pour le père, présente la mère comme une « impure » qui a volé les biens du père et veut lui ravir ses enfants.
Monsieur le ministre, se présente aujourd'hui une double opportunité : d'une part, la décision de la Cour de cassation égyptienne, dont on vient d'avoir connaissance, va dans le même sens que tous les jugements précédents, qu'ils soient français ou égyptiens ; d'autre part, le Président de la République française va de nouveau se rendre en Egypte à la fin du mois. Il faut qu'il ramène Sana et Sabrya.
Sana va avoir sept ans. Or, d'après la loi islamique, c'est l'âge auquel le père a tout pouvoir sur ses enfants. Nous n'avons donc pas le droit de laisser pourrir la situation.
Au nom de la justice, bien sûr, qu'il faut faire respecter, au nom de l'humanité - on se doute dans quel état est la mère, privée de ses deux petites filles depuis maintenant trois ans -, au nom aussi de la crédibilité de notre pays, qui risque de sortir bafouée de cette triste affaire, je demande au Gouvernement de tout mettre en oeuvre pour que Sana et Sabrya retrouvent enfin leur mère sur le territoire de leur pays, de notre pays.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Pasquini, ministre délégué aux anciens combattants et victimes de guerre. Madame le sénateur, j'ai le grand honneur de vous répondre au nom de M. Hervé de Charette, qui est actuellement absent de France.
Devant une affaire aussi humainement douloureuse que celle-ci, je ne peux oublier que j'ai passé la plus grande partie de ma vie à exercer la profession d'avocat et à faire respecter les lois. Or les lois donnent raison à votre cause.
En effet, les différentes décisions de justice que vous évoquez indiquent que ces enfants sont confiés à la mère, le père étant même privé de son droit de visite pour s'être livré à une voie de fait.
C'est là, malheureusement, une mésaventure que connaissent de nombreuses femmes françaises qui ont eu l'occasion de s'unir par mariage à des Algériens, par exemple, auxquels elles ont offert, en plus, la possibilité d'obtenir la nationalité française, et c'est le genre d'affaire où le droit est brimé par le fait, sinon par la force.
Il reste que tout espoir n'est pas définitivement perdu.
Il convient de souligner que, en application de la convention franco-égyptienne, l'autorité judiciaire égyptienne soutient la position des magistrats français. C'est ainsi que, le 30 septembre dernier, la Cour de cassation égyptienne, saisie par le père d'un recours contre la décision d'exequatur des mesures prises en France, a rejeté la demande de sursis à exécution qu'il avait formulée. Donc, l'unanimité des justices française et égyptienne soutient la cause de la mère.
Vous affirmez, madame le sénateur, que les autorités égyptiennes savent où est le père. Il s'agit pour elles d'aller chercher les enfants et de les prendre.
Quoi qu'il en soit, M. de Charette me prie de vous dire que le Président de la République prendra en charge cette affaire lors de son prochain voyage en Egypte. Je n'ose vous dire qu'il ramènera les enfants comme vous le souhaitez, car cela n'entre pas, me semble-t-il, dans son rôle. Mais tout sera mis en oeuvre pour que tant la loi française que la loi égyptienne soient respectées et que ces deux enfants puissent revenir vivre auprès de leur mère, dans la paix.
M. Jacques Habert. Très bien !
Mme Joëlle Dusseau. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Monsieur le ministre, vous rappelez qu'existe une convention entre la France et l'Egypte, qui a été signée en 1982. On peut imaginer ce qu'il en est, en pareil cas, lorsqu'une telle convention n'a pas été passée entre la France et le pays en cause.
Au moins, dans le cas qui nous occupe, la justice égyptienne a été « tenue » par cette convention, elle a été « obligée » de prendre ces décisions.
Hélas ! on sent bien que, parallèlement, l'opinion publique égyptienne est hostile à la restitution des enfants à leur mère, et cette hostilité affecte même l'appareil judiciaire égyptien. Ainsi, chaque fois que le père a engagé une procédure supplémentaire, comme par hasard, les avocats de la mère n'en ont été informés qu'à la dernière minute, de telle sorte qu'il leur était matériellement impossible d'intervenir. Il y a donc manifestement, en Egypte, une volonté de bloquer la situation.
Or le père a indiqué très nettement qu'il ne rendrait pas les filles. Dans la mesure où l'aînée arrive à cet âge de sept ans où la loi islamique place l'enfant sous la dépendance du père, cela peut permettre au père de lancer une autre procédure.
C'est pourquoi je me permets de dire que le Président de la République doit ramener ces petites filles en France. Il va prendre en charge le dossier, dites-vous, monsieur le ministre. Il l'a déjà fait, et la famille lui en est très reconnaissante. C'est en effet à la suite de son intervention, lors de son dernier voyage en Egypte, que, pour la première fois, le père, soudain retrouvé, a été emprisonné, avant d'être relâché quelques jours après.
Je me permets donc d'insister pour que M. de Charette informe bien le Président de la République que, à côté du point positif que constitue la décision de la Cour de cassation égyptienne, subsiste une énorme inquiétude pour tous ceux qui suivent ce dossier, inquiétude qui justifie que l'on passe à la vitesse supérieure pour exiger le retour effectif de ces deux petites filles en France.

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