INSTITUTION D'UNE PRESTATION
SPÉCIFIQUE DÉPENDANCE

Suite de la discussion des conclusions
du rapport d'une commission

M. le président. Nous reprenons la discussion des conclusions du rapport de M. Alain Vasselle, sur la proposition de loi tendant, dans l'attente du vote de la loi instituant une prestation d'autonomie pour les personnes âgées dépendantes, à mieux répondre aux besoins des personnes âgées par l'institution d'une prestation spécifique dépendance.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après un très long périple dont notre excellent rapporteur vient de rappeler les étapes successives, nous sommes aujourd'hui amenés à débattre des réponses qui doivent être apportées aux problèmes posés par la dépendance des personnes âgées.
La dépendance des personnes âgées concerne plusieurs centaines de milliers de nos concitoyens, dont seuls 190 000 reçoivent actuellement l'allocation compensatrice par tierce personne ; on estime à environ 600 000 à 700 000 celles qui nécessitent une attention quotidienne, des soins, et parfois un hébergement. C'est donc un domaine fondamental, mes chers collègues, que nous abordons aujourd'hui.
Le débat important qui nous occupe aujourd'hui résulte d'un dialogue constant entre le Gouvernement et le Parlement. A cet égard, je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir prêté une oreille attentive à nos suggestions et d'avoir accepté de discuter avec nous de ce sujet. Ce dialogue me paraît d'ailleurs si important que, le Gouvernement s'étant emparé depuis quelques semaines de cette proposition de loi, personne ne sait plus, dans l'opinion publique, qui est réellement à l'origine de ce texte,...
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Oh !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. ... mais je trouve cela parfait : voilà qui montre bien que la collaboration entre le Gouvernement et le Parlement est une bonne chose !
Je voudrais tout d'abord remercier tous ceux qui ont participé à ce travail : les présidents de groupe, le président de la commission des finances, le président de la commission des lois, le président de l'assemblée permanente des présidents de conseils généraux, ainsi que MM. Henri de Raincourt, Michel Mercier, Jean Chérioux, Jacques Oudin et Paul Girod, de même que tous ceux qui nous ont aidés à jeter les bases de cette proposition de loi.
Notre excellent collègue M. Alain Vasselle ayant parfaitement précisé l'objet de la prestation, son champ d'application et ses modalités, je me bornerai à trois observations.
Première observation : pourquoi n'a-t-on pas créé une nouvelle prestation de sécurité sociale ? C'est en effet sur ce thème, paraît-il, que devraient défiler un certain nombre de personnes âgées et de retraités. Mais permettez-moi de vous dire, mes chers collègues, qu'après avoir beaucoup réfléchi depuis plusieurs années nous pensons que, d'une part, la création d'une nouvelle prestation de sécurité sociale n'était peut-être pas une heureuse initiative en ces temps de déficit de l'ensemble de nos régimes sociaux et que, d'autre part, le cadre juridique d'une telle prestation ne nous paraissait pas tout à fait opportun pour traiter le sujet qui nous réunit cet après-midi.
Aux associations et à leurs dirigeants qui ont quelque peu contesté notre proposition de loi, je veux répondre que le régime de sécurité sociale qu'il était envisagé de créer aurait évidemment servi des prestations en espèces. Or, si nous voulons prendre en charge, avec l'aide des départements et des régimes de sécurité sociale, la dépendance des personnes âgées, l'idée fondamentale qui nous guide est de servir des prestations en nature, de manière à pouvoir adapter la prestation à la situation de la personne et à ne pas créer des dépenses nouvelles.
La question est non pas de savoir si, au lieu et place d'une vraie prestation nouvelle, le Parlement propose une aumône, mais de savoir, dès lors que le principe de la création d'une nouvelle prestation de sécurité sociale est posé, à qui il appartient de gérer celle-ci.
Notre réponse est claire : nous proposons que les départements gèrent la prestation spécifique dépendance dès lors qu'ils étaient jusqu'alors chargés de la gestion de l'allocation compensatrice pour tierce personne.
Les caisses - et pas seulement les régimes nationaux, mais aussi les régimes agricoles ou les caisses complémentaires - continueront à servir les prestations qu'elles versent au titre de l'action sociale, et les uns et les autres s'associeront au mieux - j'aurai l'occasion d'y revenir - en vue de coordonner leurs efforts.
Les règles de gestion retenues découlant du choix du gestionnaire - et puisque celui-ci sera le département - nous avons beaucoup emprunté aux règles de l'action sociale, sauf, bien entendu, en ce qui concerne l'obligation alimentaire, mais je sais que nous aurons un débat sur ce point.
Cela étant dit j'en viens à ma deuxième observation : ce texte constitue-t-il un progrès ?
Certains parlent de prestations a minima - je l'ai lu dans la presse - tandis que d'autres pensent qu'il s'agit d'ersatz de prestations. En fait, cinq points me permettent de montrer que la proposition de loi dont nous débattons marque un progrès social.
En premier lieu, il n'était plus possible de continuer d'appliquer aux personnes âgées la législation de 1975 - que j'ai quelques raisons de bien connaître - concernant les personnes handicapées. C'est en effet par un détournement de sa vocation initiale que l'allocation compensatrice pour tierce personne a pu être versée aux personnes âgées dépendantes. Cette situation n'était pas sans inconvénient, car verser une prestation en espèces ne permettait pas de s'assurer de l'effectivité de l'aide et des conséquences de la prise en charge des personnes âgées dépendantes.
Il ne s'agit pas de dénoncer le versement indu de prestations, mais de regretter qu'en procédant ainsi il n'ait pas été possible, au-delà de l'appréciation de l'incapacité, de proposer aux personnes concernées un plan d'aide adapté à leur état.
De ce point de vue, le passage à une prestation en nature est déterminant, comme le sont le fait d'avoir confié à un gestionnaire local, proche des bénéficiaires, le soin d'apprécier cet état, ou encore le fait d'associer les maires, notamment en milieu rural, à l'appréciation de ces situations.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. En deuxième lieu, nous savons tous que le critère d'admission à l'allocation compensatrice pour tierce personne est le taux d'incapacité, apprécié au sens de l'aptitude à l'exercice d'une activité professionnelle. Vous avouerez, mes chers collègues, que c'est un curieux critère en la matière !
Nous proposons, au contraire - et c'est une innovation assez importante - avec le passage du paiement en espèces à la prestation en nature, de retenir un outil adapté à l'appréciation de la dépendance, à savoir la grille AGGIR, les personnes dépendantes étant classées en six catégories, des plus touchées à celles qui ne peuvent exécuter tous les actes de la vie quotidienne. Les modalités d'attribution de la prestation spécifique dépendance permettront donc de prendre en compte la réalité de la dépendance des personnes âgées.
La grille AGGIR a été testée dans douze départements ; elle fonctionne, et elle permet de doser l'aide en nature à ces différentes personnes.
En troisième lieu, s'agissant de la coordination entre les départements et les régimes de sécurité sociale, les expérimentations que nous avions suggérées au gouvernement de M. Balladur ont montré comment, moyennant une contribution financière faible des fonds d'action sociale des régimes d'assurance vieillesse, il a été possible d'améliorer grandement le service rendu aux personnes âgées. Il faut en effet savoir de quoi l'on parle en la matière ! Il s'agit d'un volume de financement un peu supérieur à 14 milliards de francs, dont 9 milliards de francs en provenance des départements et 5 milliards de francs en provenance des régimes d'assurance sociale. De leur meilleur redéploiement à l'intérieur des départements et des communes, les personnes âgées devraient retirer un meilleur profit.
En quatrième lieu, au cours de nos discussions avec le ministre du travail et des affaires sociales et avec le Premier ministre, nous avons souhaité que le Gouvernement fasse un geste pour venir au secours des départements et des régimes de sécurité sociale. Ce geste, qui figure dans le texte nonobstant l'article 40, bien connu ici, est l'accélération du financement des 14 000 lits de cure médicale et des 4 000 lits de soins infirmiers qui ont été autorisés et qui ne sont pas financés. Nous avons ainsi la garantie - puisque j'espère bien que tout le monde votera au moins cette partie du texte - qu'ils seront financés dans un délai de deux ans. Pour tous ceux qui attendent aujourd'hui leur hébergement, il s'agit là d'un réel espoir puisque nous pouvons résoudre leurs problèmes beaucoup plus vite.
Enfin, en cinquième lieu, le dernier facteur de progrès - et, à mes yeux ce n'est pas le moindre - est que nous rétablissons, avec ce texte, l'égalité de traitement des citoyens, quel que soit leur lieu de résidence. La loi de 1975 a, en effet, été détournée de son objet et elle a été, vous le savez bien, mes chers collègues, appliquée de manière disparate sur le territoire. Parce que les modalités d'appréciation de la dépendance étaient inadaptées, la réponse apportée était le plus souvent tout aussi inadaptée.
Demain, les droits des personnes âgées dépendantes seront égaux, ils seront appréciés selon une grille commune applicable sur l'ensemble du territoire. Les prestations en nature seront adaptées à la situation réelle de chacun et, grâce à cette proposition de loi, l'égalité sera rétablie sur tout le territoire.
Troisième et dernière observation : ce texte va, bien évidemment, s'inscrire dans la durée.
Chacun sait bien que ce sujet a suscité beaucoup d'hésitations. C'est avec M. Teulade que nous avions commencé à parler des problèmes des personnes âgées, et nous avons continué avec les différents gouvernements successifs.
Peut-être un jour pourrons-nous créer une prestation d'un niveau plus élevé que celui que nous retenons aujourd'hui, mais rien n'interdit aux gouvernements de demain ou d'après-demain de jouer sur le montant de la prestation ou de relever le seuil de ressources à partir duquel elle est accordée ! J'espère d'ailleurs que, lorsque nous aurons mis en place toutes les coordinations départementales, constaté l'état des besoins réels et adapté l'ensemble des mécanismes de prise en charge à la situation réelle des personnes âgées en fonction de la grille nationale, il sera possible de relever ces seuils et de satisfaire un plus grand nombre de nos concitoyens : aujourd'hui, 300 000 personnes âgées environ sont concernées ; dans les années à venir, quelques centaines de milliers de plus pourront ainsi être aidées.
Vu son caractère transistoire, ce texte prévoit d'ailleurs un rendez-vous ultérieur. Faudra-t-il que nous élaborions une nouvelle loi ou nous contenterons-nous de modifier les mécanismes réglementaires qui en permettront l'application ? Il est impossible de le dire aujourd'hui. Ce que je souhaite, c'est que nous ayons des rendez-vous permanents, monsieur le ministre, et que nous tentions de tirer de l'expérimentation grandeur nature, qui viendra après l'expérimentation qui a été menée dans douze départements, les conclusions nécessaires pour progresser et améliorer le dispositif.
Voilà les quelques réponses que je voulais apporter face aux inquiétudes qui se sont manifestées, à droite comme à gauche, du côté des associations de retraités ou d'un certain nombre d'associations d'aide et de soins à domicile.
Pour conclure mon propos, j'évoquerai deux points importants.
Le premier, c'est que le mécanisme de prise en charge prévu pour l'aide à domicile permettra de créer rapidement des emplois, notre excellent rapporteur l'a affirmé, M. Huguet l'a dit également en commission. A partir du moment où nous passons de la prestation en espèces à une prestation en nature et où nous attribuons des aides à domicile en fonction de la grille AGGIR et compte tenu de l'état de la personne, un emploi de services de proximité pourra être créé pour cinq à sept personnes prises en charge. Cela nous permettra donc, au cours des prochaines années, d'améliorer à la fois la situation de l'emploi et la prise en charge des personnes âgées. Il s'agit là d'un élément important de ce dispositif et il était urgent de l'adopter dans la situation actuelle du marché de l'emploi.
Second point, ce texte répond avant tout - vous l'avez noté dans le rapport de M. Vasselle - aux besoins des personnes les plus démunies et les plus dépendantes. Dans la conjoncture actuelle et compte tenu de la situation difficile que connaissent aussi bien les finances publiques que les finances locales, il était en effet opportun et juste de commencer à appliquer ce dispositif à ces personnes.
Cependant, nous avons tout de même essayé de prendre en compte la situation de ceux qui se trouvent un peu au-dessus des seuils de ressources que nous avons pour l'instant proposés ou un peu en dessous des états de dépendance de la grille AGGIR.
C'est la raison pour laquelle le rapporteur a écarté du champ d'appréciation des ressources prises en compte pour l'ouverture du droit à la nouvelle prestation les rentes viagères constituées à titre volontaire pour répondre au risque de dépendance. Cela permettra de dépasser largement les limites actuelles.
C'est pourquoi aussi un certain nombre de nos collègues ont, à ma demande, déposé un amendement tendant à inciter, à l'entrée, à la conclusion de tels contrats en exonérant de toutes charges fiscales les cotisations versées à ce titre.
Je compte, monsieur le ministre, sur un accueil favorable du Gouvernement pour compléter le dispositif avec ce double mécanisme d'exonération des rentes viagères et d'octroi d'une faveur fiscale pour les personnes qui souscrivent des contrats d'assurance volontaire.
Rapidement, le nombre des personnes âgées dépendantes dépassera les 300 000, chiffre dont nous partons aujourd'hui.
Voilà, mes chers collègues, les principaux problèmes posés par cette allocation.
Pour conclure, je remercie le Gouvernement de la compréhension dont il a fait preuve après cinq ans de discussions ininterrompues avec lui. Je remercie également tous nos collègues d'avoir bien voulu nous aider à mettre au point cette proposition de loi, qui, d'une part, respecte les contraintes économiques et financières auxquelles nous nous heurtons tous et, d'autre part, peut à la fois améliorer assez profondément la situation d'un grand nombre de personnes âgées dépendantes et faciliter assez rapidement la création d'un certain nombre d'emplois. Face à ce double enjeu, je laisse à ceux qui seraient tentés par un refus la responsabilité de leur attitude ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre du travail et des affaires sociales. Tout un programme ! (Sourires.)
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Monsieur le président, pour mener à bien un tel programme, je sais pouvoir compter sur la vigilance et l'aide du Sénat. La discussion de ce texte montre d'ailleurs, s'il en était besoin, l'excellente coopération qui peut s'établir entre une assemblée comme le Sénat et le Gouvernement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'emblée remercier votre assemblée et son président - il y a pris sa part, je le sais - de leur travail. En effet, il m'apparaît, sans vouloir exagérer, que nous inaugurons là une manière de légiférer beaucoup plus conforme à la société d'aujourd'hui.
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. En effet, pour faire évoluer notre société, pour progresser, il me paraît préférable de « coller » aux besoins, au vécu, aux réalités, plutôt que de construire de grandes architectures qui risquent de se trouver ensuite confrontées à une réalité qu'elles n'avaient pas suffisamment appréhendée initialement.
Ce travail marquera une étape importante dans l'appréhension d'un problème qui va se poser avec de plus en plus d'acuité à la société française.
Monsieur Vasselle, vous avez rappelé des statistiques qui nous laissent rêveurs : un enfant sur deux nés en 1996 devrait vivre jusqu'à cent ans !
La réflexion entamée depuis longtemps par votre assemblée a été rythmée par un certain nombre d'étapes, dont la moindre n'est pas le vote de l'article 38 de la loi n° 94-637 relative à la sécurité sociale, qui fut adopté sur votre initiative, monsieur Fourcade.
Ce texte a conduit à la mise en place, dans douze départements pilotes, d'expériences qui ont permis de valider une approche coordonnée de cette politique en faveur des personnes âgées dépendantes. Le Centre de recherches, d'études et de documentation sur la consommation, le CREDOC, vient de rendre un rapport qui confirme l'importance de la mobilisation de tous les acteurs autour du bénéficiaire d'une prestation en nature.
Je veux remercier ici tous ceux qui se sont engagés dans cette expérimentation, dont nous allons pouvoir utiliser les enseignements pour élaborer la nouvelle législation.
C'est vrai, l'état de nos comptes sociaux a contraint le Gouvernement à différer la mise en place de la prestation d'autonomie telle qu'elle avait été conçue initialement. Mais le texte que nous allons examiner reprend, sur de nombreux points, ce projet.
Cette convergence d'analyse n'est pas étonnante. Il est établi, je viens de le dire, qu'il faut coordonner les interventions autour de la personne âgée, dissocier la prise en charge de la dépendance du traitement du handicap et s'assurer de l'effectivité de l'aide accordée au bénéficiaire. C'est bien pourquoi la proposition de loi émanant du Sénat a reçu l'agrément du Premier ministre le 10 juillet dernier.
Par rapport au projet initial, on peut donc parler de différence de degré et non pas de nature, votre rapporteur l'a bien souligné.
M. Fourcade a rappelé les cinq raisons pour lesquelles ce texte constitue un réel progrès. Nous connaissons tous les défauts de l'ACTP lorsqu'elle est versée aux personnes âgées et nous savons tous d'expérience que les commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel, les COTOREP, n'étaient pas en mesure d'assurer un traitement rapide des dossiers, alors que, bien souvent, la gravité de la situation des demandeurs aurait justifié une réponse accélérée.
Nous allons sortir de ce système qui était un peu à bout de souffle. Dans la logique de la décentralisation, nous allons conférer au président du conseil général la responsabilité d'accorder la prestation. M. Vasselle a insisté sur ce point, et il a eu raison.
Certes, ce choix, qui fait confiance à nos départements, est critiqué par certains, qui redoutent d'éventuelles inégalités de traitement d'un département à l'autre. A cet égard, le recours à une grille nationale unique d'évaluation constitue une garantie, d'autant que le contentieux de l'attribution de la prestation permettra de dégager une jurisprudence.
Par ailleurs, le département ne sera pas seul. M. le rapporteur a fort justement rappelé que l'avis du maire sera demandé. C'est normal puisqu'il est concerné à travers le contingent d'aide sociale.
En cohérence avec le choix d'une approche coordonnée, les départements pourront d'ailleurs conclure des conventions avec un certain nombre d'organismes, afin d'organiser l'instruction et le suivi de la prestation spécifique dépendance.
Pour que ces conventions aient une certaine homogénéité, elles devront respecter un cadre général, une convention-cadre, même si, dans les détails, elles pourront avoir une certaine souplesse afin de mieux tenir compte des spécificités locales.
Au nombre des organismes qui sont appelés à passer ces conventions avec les départements, les caisses de retraite auront, bien sûr, une place et une responsabilité particulières.
M. Vasselle, dont le département est pilote, a insisté sur l'apport fondamental de cette coopération institutionnalisée. La collaboration de ces organismes, de ces caisses au processus d'instruction et de suivi de la nouvelle prestation permettra d'apporter aux personnes retraitées la réponse la mieux adaptée à leurs besoins : prestation spécifique pour les personnes dont la perte d'autonomie est la plus importante, aide ménagère pour les autres.
Qu'il s'agisse de l'aide ménagère ou d'autres formes d'aide aux personnes âgées dépendantes, l'instauration de cette nouvelle prestation conduira à une amélioration de leurs règles, de leurs modalités d'attribution et, donc, de la qualité au meilleur coût de la prise en charge des personnes âgées dépendantes.
Après les excellentes interventions de M. le rapporteur et de M. le président de la commission, je ne veux pas être trop long. A l'occasion de la discussion des articles et des amendements, je reviendrai plus précisément sur tel ou tel aspect de la proposition de loi.
Je tiens simplement à souligner deux points.
D'abord, la prestation spécifique dépendance a pour objet de venir en aide prioritairement aux grands dépendants et à leurs familles. C'est pourquoi, dans un premier temps, elle devrait être servie aux personnes classées - c'est la classification « iso-ressources » - dans les groupes I, II et III de la fameuse grille AGGIR. Ce sont les personnes dont le besoin d'aide est le plus important ; ce sont celles qui posent le plus de problèmes à ceux qui en ont la responsabilité. Les autres pourront être prises en charge par l'aide ménagère de leurs caisses de retraite. L'expérimentation a confirmé à quel point ces dernières étaient impliquées dans l'aide aux personnes âgées. Il y a donc une bonne répartition des responsabilités. Le second point sur lequel je veux apporter quelques précisions est la réforme de la tarification des établissements d'hébergement, annoncée par l'article 44 de la loi du 28 mai 1996, article inspiré par un amendement d'origine sénatoriale.
Comme l'a demandé M. Alain Vasselle, je souhaite en effet pouvoir vous communiquer très rapidement le rapport dont je suis dépositaire depuis peu. L'objectif poursuivi est de sortir du système actuel, qui fait apparaître la dépendance des personnes âgées comme un solde pris en charge par des prestations mal identifiées.
C'est pourquoi il est prévu que les établissements autorisés à accueillir des personnes dépendantes qui auront signé une convention tripartite verront leur tarification arrêtée, s'agissant des prestations remboursables par l'assurance maladie, par l'autorité compétente dans ce domaine, mais après avis du président du conseil général, et, concernant ce qui peut ressortir à la prestation spécifique dépendance, par le président du conseil général, après avis de l'autorité compétente pour l'assurance maladie.
Il s'agit d'une réforme doublement difficile à mettre en oeuvre, du fait de la multiplicité des établissements et du fait des enjeux financiers attachés à tout transfert de charges.
C'est vrai que le rapport conjoint de l'inspection générale des affaires sociales et de l'inspection des finances sur la tarification des établissements a un peu tardé à arriver. Il doit maintenant être affiné. Je le transmettrai dès que possible au Sénat.
Pour déterminer les contributions des différents financeurs, il est possible de partir d'une distinction claire entre tout ce qui relève du sanitaire et tout ce qui n'en relève pas. C'est l'option retenue par la mission conjointe. Elle a sa logique. Mais en demandant à la branche maladie de prendre en charge l'intégralité des soins relationnels et des soins de base, elle opère un transfert de charges dont j'ai demandé à mes services de mesurer les effets.
Vous le savez, la situation de la branche maladie ne permet pas de la solliciter significativement, tout au moins dans les deux ou trois années qui viennent. Pour autant, je veux le redire devant le Sénat, car j'ai bien entendu à la fois M. le rapporteur et M. le président Fourcade, je confirme la volonté de résorber sur un délai de deux ans, le stock des lits médicalisés autorisés mais non financés.
M. Charles Revet. Très bien !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Cela sera fait à partir du début de l'année prochaine, dans un calendrier qui tient compte, bien sûr, des contraintes de l'assurance maladie.
J'ai relevé aussi la sollicitation concernant les places de soins à domicile. Il ne m'appartient pas aujourd'hui de répondre devant le Sénat, mais j'ai pris bonne note. Je suis aussi attaché que vous à ce que la parole de l'Etat, qui a notifié ces autorisations par l'intermédiaire de ses préfets, soit suivie d'effets, par quelque espèces sonnantes et trébuchantes. (M. Jacques Oudin applaudit.) La prudence veut que je ne vous réponde pas aujourd'hui, monsieur le président Fourcade, mais je confirme que c'est là un grand souci pour moi. Je suis en train de faire chiffrer cet effort supplémentaire.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je voulais indiquer en prologue à ce débat.
L'esprit général de ce texte s'inscrit dans nos priorités en une formule simple : ne pas renoncer à améliorer la situation des personnes les plus en difficulté malgré les contraintes financières des temps d'aujourd'hui.
Ce texte permet également de faire coup double puisque ce sont quelque 50 000 créations d'emplois que nous pouvons attendre, d'ici à trois ans, de ces nouvelles dispositions.
Sans engager de dépenses supplémentaires importantes, mais en améliorant considérablement l'usage des crédits actuels par quelques dispositions juridiques aussi simples que nécessaires et par une meilleure coordination des acteurs en présence, nous allons franchir un pas très important et attendu de longue date.
Monsieur Fourcade, vous avez évoqué le problème des rentes viagères et celui des incitations fiscales pour les dispositifs complémentaires. Nous aurons l'occasion d'y revenir.
Pour les rentes viagères, cela me paraît très souhaitable. S'agissant des incitations fiscales, je dois, là aussi, faire preuve d'une certaine prudence, tout en reconnaissant que la question mérite d'être posée.
Je tiens à remercier vivement tous ceux qui ont pris une part très active à l'élaboration de ce texte. M. Vasselle a cité quelques-uns d'entre eux, notamment MM. Mercier, de Raincourt, Girod, Chérioux, Marini. J'ai conscience de ne pas épuiser ainsi la liste de tous ceux qui ont oeuvré pour que ce texte puisse venir en discussion devant votre assemblée.
Cette proposition de loi présente, je le répète, de grandes qualités. J'ai bien compris que, par-delà son adoption, il faudrait que nous ayons des « rendez-vous permanents », pour reprendre l'expression de M. Fourcade.
Il va de soi qu'un texte qui a été élaboré avec un souci de concertation manifeste devra être appliqué dans un grand esprit de dialogue. Je m'y engage, au nom du Gouvernement, avec la plus grande détermination.
En allant au-devant des besoins pressants de nombreuses familles qui sont aux prises avec cette difficulté majeure de la dépendance, nous pourrons, mesdames, messieurs les sénateurs, franchir une première étape, et je vous en remercie. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)


(M. Jean Faure remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

- groupe du Rassemblement pour la République : 57 minutes ;
- groupe socialiste : 49 minutes ;
- groupe de l'Union centriste : 42 minutes ;
- groupe des Républicains et Indépendants : 35 minutes ;
- groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 25 minutes ;
- groupe communiste républicain et citoyen : 22 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe : 10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés aujourd'hui à examiner un énième texte qui, théoriquement, aurait dû nous permettre de définir une politique de prise en charge de la dépendance des personnes âgées.
Les rapports se sont succédé. Tous ont confirmé l'évolution et les caractéristiques de ce véritable problème de société. Il n'est pas inutile de les rappeler, ne serait-ce que pour mettre en évidence l'inadéquation de la réponse qui nous est proposée avec ce texte à la nature et à l'ampleur de ce phénomène.
Je citerai tout d'abord quelques chiffres.
L'espérance de vie est passée de vingt à quarante ans en mille ans, et il n'a fallu qu'un siècle pour qu'elle passe de quarante à quatre-vingts ans. Notre rapporteur mentionnait tout à l'heure des prévisions démographiques impressionnantes, selon lesquelles un enfant qui naît aujourd'hui sur deux deviendra centenaire.
Il y a quelques années encore, lorsque l'on évoquait les personnes âgées, on les situait dans un troisième âge. Aujourd'hui, on fait la distinction entre le troisième et le quatrième âge.
Le problème de société lié à la dépendance des personnes âgées résulte du décalage entre le rythme d'accroissement de l'espérance moyenne de vie et le rythme de croissance de vie sans inacapacités.
L'enjeu est donc d'importance : il s'agit d'éviter que cet allongement d'espérance de vie pour chacun d'entre nous, qui constitue un véritable progrès, ne se transforme en des drames individuels et collectifs faute d'une prise en charge satisfaisante de ces incapacités.
En tant qu'élus et législateurs, nous devons définir et mettre en place les moyens de la prévention et de la prise en charge de la dépendance.
Il est urgent d'assumer cette responsabilité. En effet, nous connaissons tous déjà les trop nombreux drames humains qu'entraîne cette dépendance, les difficultés dans les familles et la peur qui s'installe chez de plus jeunes, qui sont angoissés par la perspective de leur propre vieillissement. Personne aujourd'hui ne peut se prétendre à l'abri du risque de devenir dépendant.
Et pourtant, « il est de ces réformes de société qui, attendues par une partie non négligeable de la population et unanimement souhaitées par le personnel politique, ne parviennent jamais à aboutir ». C'est ce que soulignait tout récemment un quotidien du soir à propos notamment de l'examen, l'année dernière, du texte présenté par Mme Codaccioni.
Malheureusement, il est bien évident que le texte que nous étudions ne fera que confirmer cette constatation.
Le titre de la proposition de loi est en lui-même un exercice de style : on envisage en effet la création d'une prestation spécifique dépendance afin de mieux répondre aux besoins des personnes âgées. Or nous verrons en quoi, mes chers collègues, le dispositif proposé ne peut justement pas répondre à cette ambition.
Mais, me direz-vous, ce dispositif n'est que transitoire, dans l'attente de l'instauration de la véritable prestation d'autonomie. Or nous n'avons aucune information sur le terme de cette période transitoire, sur les orientations de la future et véritable prestation d'autonomie, et encore moins sur le financement de celle-ci.
Plus étonnant encore, nous constatons depuis quelques semaines que le Premier ministre et le Président de la République promettent la mise en place, dès 1997, de la prestation d'autonomie. Monsieur le ministre, vous pourrez certainement nous éclairer sur ces déclarations, dont personne ne connaît l'exacte signification ni la véritable portée.
Cette prestation autonomie sera-t-elle une version révisée de ce que nous propose M. le rapporteur aujourd'hui et qui, reconnaissez-le, n'a pas grand-chose à voir avec les promesses faites par le candidat Chirac, ni même avec l'amorce de réforme engagée l'année dernière à cette même époque ?
Toute cette campagne ne traduit-elle pas plutôt la volonté de faire croire à nos concitoyens, au premier rang desquels les personnes âgées et leur famille, que la loi qui sera issue de nos débats permettra la réalisation d'une promesse électorale de mai 1995 ? Si tel était le cas, il y aurait, dans cette confusion sémantique volontairement entretenue, un véritable abus de confiance, une énorme tromperie, d'autant plus flagrante et scandaleuse que, sur ce dispositif, l'Etat n'envisage pas de dépenser un centime !
M. Guy Fischer. C'est exactement cela !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Comment peut-on imaginer un tel désengagement quand il s'agit d'assumer un tel risque pour un tel phénomène de société ?
Mais il est vrai que le mois de mars 1998 doit se préparer dès aujourd'hui, que le Gouvernement souhaite retrouver grâce aux yeux de ses électeurs et qu'il y a là un potentiel électoral énorme.
M. Alain Vasselle, rapporteur. C'est de la provocation !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Ne vous faites cependant pas d'illusions : les Français ne s'y trompent plus. Déjà, une première approche faite auprès des personnes concernées, qu'elles soient représentantes des personnes âgées, intervenants près de cette population, ou personnes âgées elles-mêmes, a révélé que ce texte suscite une réaction de rejet et une désapprobation générale.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Ce n'est pas vrai !
M. Henri de Raincourt. C'est absolument faux !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Si on lit attentivement à la fois le texte de la proposition de loi et le rapport, on note que vous annoncez, monsieur le rapporteur, votre volonté d'atteindre trois objectifs ; deux d'entre eux sont très clairement exprimés, le troisième étant quelque peu sous-entendu mais non moins explicite.
Vous prétendez, tout d'abord, améliorer la prise en charge de la dépendance, ensuite maîtriser des dépenses d'action sociale des conseils généraux et, enfin, créer des emplois.
Comme je le disais tout à l'heure, ce texte ne peut pas répondre à l'ambition annoncée d'améliorer la situation actuelle des personnes âgées dépendantes.
Avant tout, le nouveau dispositif va devoir fonctionner sans engagement financier supplémentaire.
Le plafond de ressources reste inchangé et le montant de la nouvelle prestation sera à peu près identique à l'actuelle ACTP.
En fait, le texte ne fait que reconfigurer, replâtrer, devrais-je dire, le principal instrument qui fonde l'action des conseils généraux pour la prise en charge du handicap, à savoir l'allocation compensatrice pour tierce personne.
Il est désormais prévu de différencier les catégories de personnes handicapées selon qu'elles auront plus ou moins de soixante ans. Tout d'abord, je remarque que l'on fait l'impasse sur la légitimité presque philosophique d'une telle différenciation du handicap, ignorant de ce fait la connotation discriminatoire de la dépendance des personnes âgées.
M. Alain Vasselle, rapporteur. C'est inexact ! Vous n'avez pas bien lu le texte, ma chère collègue !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Nous aurons l'occasion de l'étudier article par article, monsieur le rapporteur.
Par ailleurs, dans le contexte actuel de volonté de maîtrise des dépenses de santé, l'absence de définition extrêmement précise de la dépendance, ainsi que des facteurs environnementaux à prendre en compte, risque de provoquer un désengagement de l'assurance maladie vers la prestation spécifique dépendance.
Ce risque sera particulièrement important en ce qui concerne les prescriptions de soins à domicile. Au lieu de deux prestations complémentaires aujourd'hui fréquemment versées - soins et dépendance - nous risquons d'avoir une substitution d'une allocation d'aide sociale à une prestation de sécurité sociale, l'une pouvant faire l'objet d'une récupération, l'autre non.
En outre, le texte prévoit de supprimer le cumul de l'aide à domicile et de la prestation spécifique dépendance. Cette disposition intervient de façon restrictive par rapport à l'actuelle ACTP. La modicité de la part résiduelle de l'heure d'aide ménagère qui incombe à la personne âgée permet de financer un nombre d'heures de travail à domicile plus important que l'actuelle ACTP.
L'ensemble des acteurs auprès des personnes âgées connaissent bien la valeur préventive de leurs interventions. On ne peut pas ne pas noter, à ce stade de cette proposition de loi, que la prévention est la grande oubliée. Mais il est vrai que le titre même du texte ne fait plus référence à l'autonomie des personnes âgées, l'autonomie ne pouvant valablement s'envisager que si des mesures de prévention interviennent de façon régulière et quasi permamente, ce qui suppose des moyens.
J'ajoute que le bénéfice de la prestation spécifique dépendance se situe dans le champ de l'aide sociale. S'il n'est pas prévu de récupérer sur les obligés alimentaires, en revanche, la récupération sur succession se fera avec plus d'amplitude et d'effectivité que pour l'ACTP. Désormais, la récupération se fera à l'égard de tout légataire. On ne peut ignorer l'impact dissuasif d'une telle mesure. Mais peut-être est-ce l'objectif !
La proposition de loi renvoie à un décret la fixation d'un seuil en deçà duquel le recours sur succession ne s'exercera pas. Face à cette imprécision, devons-nous conclure que les règles générales en la matière ne s'appliqueront pas ? Et si tel était le cas, pouvez-vous nous donner une indication sur le seuil ?
A ce propos, je m'interroge sur la cohérence entre cette mesure attestant la volonté, pour les conseils généraux, de mettre à contribution le patrimoine de la personne âgée et la proposition de neutraliser les rentes viagères « dépendance » dans le calcul des ressources.
Il est vrai que, dans ce domaine précis, le Gouvernement a plutôt tendance à encourager, voire à privilégier, la prévoyance individuelle - à chacun selon ses moyens ! - au détriment d'une solidarité organisée et structurée.
Le projet en gestation sur l'épargne-retraite en est une autre illustration. Il s'agit donc bien d'une démarche générale.
Enfin, comment ne pas évoquer, au titre des carences, des lacunes de cette proposition de loi, la complexité et les inégalités qui résulteront de la multiplicité des formules qui seront en vigueur sur le territoire national ?
D'une part, l'actuelle ACTP continuera d'être servie aux actuels bénéficiaires qui désireront la garder ; d'autre part, la nouvelle prestation spécifique dépendance s'appliquera à tous les nouveaux entrants dans le dispositif d'aide à la dépendance.
Pourtant, la prestation expérimentale dépendance offrira toujours un régime plus favorable à ses bénéficiaires dans les douze départements qui ont mené l'expérimentation. Doit-on déduire de la rédaction de l'article 21 que les nouveaux entrants, dans ces départements, se verront proposer la seule prestation spécifique, dépendance ? Rien ne le signale dans le texte. J'attendrai votre réponse sur ce point, monsieur le rapporteur.
Comment ne pas éprouver un sentiment d'injustice en imaginant les implications concrètes d'un tel texte ? Comment, même, ne pas penser à un certain « bricolage », tant ce texte nous paraît inachevé ?
Quant à l'objectif, moins avoué, de maîtrise des dépenses des conseils généraux, c'est sans doute celui sur lequel le texte nous donne le plus de garanties.
En effet, la récupération effective sur succession pour l'ensemble des légataires vient en atténuation des dépenses engagées, du fait des recettes qu'elle suscitera mais aussi, et peut-être surtout, par l'effet dissuasif qu'induit une telle mesure.
De plus, les auteurs de la proposition de loi, conscients des dysfonctionnements de la COTOREP, prévoient de confier l'évaluation du niveau de dépendance à une équipe médicosociale qu'il revient au président du conseil général de nommer.
Sur ce point, toutes les personnes concernées à un titre ou à un autre que nous avons pu interroger ont estimé qu'il était risqué de confier au financeur la responsabilité de l'évaluation. Comment ne pas craindre, en effet, qu'en période de difficulté pour le conseil général ou de montée en charge du dispositif des consignes restrictives ne soient envoyées par l'employeur, c'est-à-dire le conseil général, aux salariés composant la commission médicosociale ?
Au demeurant, cette recherche pour juguler les dépenses d'aide sociale des départements est tout à fait compréhensible. En effet, comment ne pas percevoir le sous-dimensionnement de cette collectivité territoriale face à une responsabilité qui ne peut que s'accroître compte tenu de l'inflation inéluctable de la charge qu'elle représente ?
C'est une des raisons - ce n'est certes pas la plus fondamentale - pour lesquelles on peut s'interroger sur l'opportunité de maintenir cette compétence dans le champ de l'aide sociale assumée par les conseils généraux.
Le sujet n'est pas facile. N'oublions pas qu'en raison de la spécificité de la dépendance, au croisement du social et du médicosocial, la fidélité aux conceptions héritées du Conseil national de la Résistance aurait pu nous amener à inscrire la prise en charge de ce risque dans le champ de la sécurité sociale. Le texte hybride de Mme Codaccioni ouvrait des pistes dans cette direction, pistes sur lesquelles le Conseil économique et social, à une très grande majorité, avait émis un avis favorable.
Il est regrettable qu'au nom des très réelles difficultés qu'engendrent actuellement les déficits des comptes sociaux vous ayez renoncé à une telle approche, qui faisait appel à la solidarité nationale, au moins partiellement, au travers d'une participation du fonds de solidarité vieillesse.
Enfin, le troisième objectif de cette proposition de loi est la création d'emplois de proximité.
Sur ce point, il est délicat de procéder à des évaluations précises. On évoque les chiffres d'un emploi créé pour trois à six personnes âgées concernées par cette mesure.
C'est un aspect qui nous tient particulièrement à coeur puisque l'exploitation de ce gisement d'emplois de haute « valeur sociale ajoutée », si vous me permettez cette expression, sera fonction de leur solvabilisation.
Dans cette perspective, nous ne pouvons donc que saluer la disposition édictant que la PSD sera versée en nature et non plus en espèces. Cela permettra d'éviter les dérives de thésaurisation qu'autorisait le versement en espèces de l'ACTP.
Lorsqu'il est fait état d'une projection à l'échelon national des répercussions de cette mesure sur l'emploi, on cite - notamment vous, monsieur le ministre - le chiffre de 50 000 emplois créés. Je crains qu'on ne fasse ici preuve d'un peu trop d'optimisme, d'autant que le texte dont nous sommes saisis exclut les ménages à revenus moyens du champ d'intervention de la PSD.
Je crois également que, s'il est important de s'attacher au nombre d'emplois créés, il est tout aussi primordial de s'interroger sur le type d'emplois dont le développement sera ainsi encouragé.
De toute évidence, ce créneau sera principalement occupé par des femmes, qui sont plus particulièrement touchées par le chômage.
Malheureusement, il ne s'agira que d'emplois peu qualifiés. Or, dans votre système, rien ne vient corriger les effets pervers d'une contractualisation de gré à gré entre l'employeur et son salarié. Si la personne âgée ne fait pas appel à une association agréée, elle ne disposera pas de la garantie du minimum de formation que l'on exige des personnels employés par des structures spécialisées.
De même, la personne aidante devra se contenter d'un statut pour le moins précaire, tel que la formation la plus élémentaire - sur les gestes à faire ou à ne pas faire lorsque l'on déplace une personne handidapée, par exemple - ne lui sera pas dispensée.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Nous allons trouver une solution.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Tant mieux !
Cette orientation vient à l'encontre des efforts menés par les associations et les établissements autour de l'amélioration et de la valorisation de ce métier ; elle se situe, en revanche, dans la continuité d'une précarisation accrue autour de « petits boulots ».
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste, très sensible aux attentes considérables et justifiées de nos concitoyens, conscient de l'importance de ce véritable problème de société que pose le vieillissement de la population, responsable et conséquent dans son approche et ses propositions, soumettra à votre approbation un certain nombre d'amendements, afin de rendre acceptable un texte qui, s'il était voté en l'état, signifierait, dans la plupart des cas de dépendance, une régression par rapport à ce qui existe aujourd'hui.
Sans prétendre à la perfection, il faudrait, certes, pour cela, un autre « positionnement » que l'aide sociale.
Le texte modifié par nos amendements améliorerait pourtant de façon significative la prise en charge des personnes âgées dépendantes.
Nos amendements porteront principalement : sur le niveau de ressources des bénéficiaires, afin d'intégrer les revenus moyens ; sur l'apport du FSV aux conseils généraux, afin que ceux-ci puissent assumer les nouveaux entrants ;...
M. Alain Vasselle. Il n'a plus de sous, le FSV !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. ... sur la suppression de la récupération sur succession, afin de gommer les différences de traitement au sein de notre collectivité nationale, alors qu'il s'agit d'un même public, placé dans des situations de dépendance identiques.
Enfin, pour mieux assurer aux personnes âgées un service de qualité et aux salariés intervenants des garanties quant à leur statut, nous vous proposerons, comme M. le rapporteur l'avait fait l'année dernière, de mettre sur un pied d'égalité les emplois assurés dans le cadre d'un service structuré autour d'associations, par exemple, et les emplois de gré à gré.
Si nos amendements n'étaient pas adoptés, et malgré les avancées incontestables que représentent, par exemple, la prestation versée en nature et non plus en espèces, ainsi que la définition du principe de la réforme de la tarification, le groupe socialiste serait amené à voter contre cette réforme en trompe-l'oeil. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat est aujourd'hui réuni une fois de plus pour débattre des moyens à mettre en oeuvre en vue de pallier la perte d'autonomie des personnes âgées.
Jusqu'à présent, la plupart des discussions parlementaires ayant eu lieu sur ce sujet se sont heurtées au mur de l'argent et des considérations financières. La seule chose qui soit ressortie des travaux parlementaires, c'est, à l'initiative du Sénat, la mise en oeuvre d'une prestation expérimentale de dépendance dans douze départements. Cette expérimentation, même si elle est intéressante par bien des aspects, ne semble pas pouvoir être généralisée à l'ensemble du pays.
Il serait d'ailleurs intéressant qu'une évaluation complète de cette expérimentation puisse être rendue publique.
En tous cas, aujourd'hui, on ne peut se contenter d'une nouvelle expérimentation qui maintiendrait les inégalités existantes : l'établissement d'une prestation destinée à pallier la dépendance des personnes âgées devient de plus en plus urgente du fait de l'accroissement du nombre des personnes âgées concernées.
C'est un problème auquel nous sommes confrontés du fait, bien sûr, de l'allongement de l'espérance de vie depuis un siècle : de vingt-huit ans pour les hommes et de trente-cinq-ans pour les femmes. Il s'agit là d'une mutation historique à l'échelle de l'humanité.
Je parlais d'urgence ; le mot n'est pas trop fort quand on sait qu'une étude réalisée en 1994 par la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés révélait déjà que 700 000 personnes âgées connaissaient des problèmes de dépendance.
C'est aussi une question de responsabilité des élus devant l'avenir puisque les études statistiques annoncent que le nombre de personnes âgées dépendantes pourrait doubler dans les vingt-cinq prochaines années.
L'exigence d'une vraie prise en charge de la dépendance ne se mesure certes pas à l'aune des quelques chiffres que je viens de citer ; elle découle avant tout du désarroi, voire du désespoir des personnes dépendantes, de leurs proches et de leur famille face à la perte d'autonomie elle-même mais aussi comme aux multiples démarches administratives qu'il faut accomplir pour bénéficier des dispositifs existant dans notre pays et dont chacun ne peut que constater le caractère complexe et très incomplet.
Cette situation est d'autant plus douloureuse que plusieurs conseils généraux - et parmi ceux-ci l'on en trouve qui sont présidés par des signataires de la présente proposition de loi - ne respectent pas certaines de leurs obligations en la matière.
Tout cela ne peut plus durer. Ce qui doit être d'abord pris en considération, avant toute approche économique du problème, c'est l'intérêt des personnes âgées. Si la santé a un coût, il convient de considérer qu'elle n'a pas de prix.
C'est, je le rappelle, à la Libération que des hommes et des femmes courageux ont construit un système performant de sécurité sociale dans un pays ruiné par la guerre.
Il serait inhumain de continuer à dire aujourd'hui qu'on ne peut rien faire à cause des objectifs de maîtrise des dépenses publiques et de santé qu'implique la réalisation des critères de convergence économique prévus par le traité de Maastricht.
Les personnes âgées, leurs familles, leurs proches, leurs syndicats et associations ne peuvent plus, désormais, se contenter des bonnes paroles électorales. Ils leur faut du concret. Ils ne peuvent plus attendre.
En ce domaine, les promesses encore récentes de M. Chirac, lorsqu'il était candidat à la présidence de la République, semblaient annoncer une solution : « Le temps est venu de mettre en oeuvre rapidement, dans le cadre d'une politique en faveur des personnes âgées, une allocation de dépendance. La dépendance des personnes âgées est un risque nouveau qui doit être assuré par la collectivité nationale. »
Un an et demi plus tard, et après qu'une tentative s'est enlisée dans les sables de la politique de rationnement des soins qui est en vigueur depuis trop longtemps dans notre pays, il convient d'élaborer une véritable prestation de solidarité.
C'est à juste titre que le futur Président de la République évoquait un « risque nouveau ». Cela implique, à mon sens, une possibilité d'évolution et la prise en compte d'un cinquième risque, qui est d'ailleurs prévu par la sécurité sociale.
Ce risque n'a pas été institué lors de la création de la sécurité sociale, en 1945, compte tenu de ce qu'était alors la durée moyenne de vie. Pourtant, à cette époque, le législateur n'excluait nullement la prise en charge de nouveaux risques dans le futur. Ainsi, l'article L. 112-2 du code de la sécurité sociale précise : « Des lois pourront étendre le champ d'application de l'organisation de la sécurité sociale à des catégories nouvelles de bénéficiaires et à des risques ou prestations non prévus par le présent code. »
La promesse était claire. La solution était inscrite dans les termes mêmes qui étaient employés : « risque nouveau », « solidarité nationale ». Cela ouvrait la possibilité d'une prise en charge par la sécurité sociale d'un nouveau risque, celui qui est lié à l'état de dépendance dû à la maladie et au vieillissement.
J'entends déjà certaines objections : « Comment voulez-vous créer une nouvelle prestation, alors que les déficits de la sécurité sociale ne cessent de croître ? »
Evidemment, cela implique de nouveaux financements.
Vous aviez proposé, en novembre, une augmentation de la CSG : nous vous proposons une tout autre voie, mais j'y reviendrai, consacrant d'abord mon propos au dispositif prévu par la proposition de loi de la commission des affaires sociales.
Que nous propose-t-on aujourd'hui ? S'agit-il de faire droit à la promesse du Président de la République ou de créer une prestation qui ne serait, en fait, qu'un simple redéploiement des moyens actuels ? C'est malheureusement la deuxième hypothèse qu'il faut probablement retenir.
En dépit de l'enthousiasme de M. le présidentFourcade, je n'y vois pas l'ombre d'un avantage, sauf, à la rigueur, celui d'une meilleure qualité pour le même prix.
En effet, le texte proposé consiste pour l'essentiel à réformer une allocation déjà existante, l'allocation compensatrice pour tierce personne, l'ACTP, qui est actuellement versée selon le niveau de revenus et le degré d'incapacité, quel que soit l'âge.
Créée à la suite de la loi de 1975 en faveur des handicapés, elle a été utilisée pour faire face à l'accroissement de la dépendance chez les personnes âgées ; 187 000 personnes en bénéficient aujourd'hui.
La proposition de loi propose que, pour les personnes de plus de soixante ans, l'ACTP soit remplacée par une « prestation spécifique dépendance », prestation en nature, contrairement à l'ACTP, qui est une allocation en espèces.
Il s'agit donc d'une prestation d'aide sociale servie par les conseils généraux et non d'un droit reconnu à tous, mis en oeuvre et géré par la sécurité sociale.
Les critères que vous fixez font que cette prestation ne sera attribuée qu'aux personnes cumulant la plus grande dépendance, la plus grande pauvreté et le plus grand isolement, et donc exclura la majeure partie de la population qui non seulement paie taxes, impôts locaux et nationaux, mais également cotise à la sécurité sociale.
Pour les salariés un peu moins pauvres et les revenus moyens, vous ne préconisez rien d'autre que le recours aux assurances privées, comme l'a rappelé tout à l'heure M. Fourcade.
On peut s'interroger sur la dérive d'un tel système, qui, dès lors que l'on dépasse le revenu minimal, impose de souscrire une assurance pour une couverture maladie, une autre pour assurer la retraite, une autre encore pour couvrir le risque dépendance.
Ainsi, avec un plafonnement des revenus fixé par décret à 7 700 francs - c'est le chiffre annoncé dans le cas de dépendance maximum - l'allocation serait de 4 300 francs. Un rapide calcul nous montre qu'il faudrait que les autres ressources de la personne concernée ne dépassent pas 3 694 francs, c'est-à-dire moins que le minimum vieillesse !
Ainsi se voient exclues du dispositif des centaines de milliers de personnes dotées d'un pouvoir d'achat modeste si l'on se réfère à l'étude menée sur le sujet, montrant que les personnes en situation de dépendance disposent de revenus qui, en moyenne, n'excèdent pas 6 000 francs par mois.
Ne peut-on se poser la question de savoir si cette nouvelle prestation ne risque pas, dans de nombreux cas, d'être inférieure à l'allocation compensatrice pour tierce personne ? En effet, la prise en compte dans la grille AGGIR de l'environnement, notion vague et aléatoire, pour déterminer l'obtention et le taux de prise en charge de la prestation spécifique dépendance peut se révéler pénalisante pour les personnes qui ont la chance de vivre encore dans un contexte de solidarité.
Enfin, pour parachever le tout, et contrairement à ce qui se passe pour les prestations de la sécurité sociale et l'actuelle allocation compensatrice pour tierce personne, l'ACTP, la proposition de loi prévoit une prestation récupérable sur les successions et même sur les donations effectuées par les personnes âgées dans les dix années précédant la demande.
On voudrait que certaines personnes âgées qui ont pu, par leur travail, acquérir un petit patrimoine renoncent à bénéficier de la prestation spécifique dépendance que l'on ne s'y prendrait pas autrement !
En outre, alors que les moyens publics consacrés à la recherche en gérontologie et à la prévention de la dépendance sont insignifiants dans notre pays, le texte qui nous est proposé fait l'économie de toute politique à mener dans ce domaine et fait l'impasse sur les moyens et la programmation de constructions d'établissements d'accueil.
Pour notre part, nous souhaitons un véritable plan d'investissement destiné à répondre aux besoins en matière de structures d'accueil et de places en établissements d'hébergement.
Ainsi, nous proposons d'encourager la construction d'établissements à but non lucratif par l'accès à des prêts à taux zéro et la diminution du taux de la TVA de 20,60 % à 5 %.
De plus, la réforme de la tarification qui nous est proposée bouleverse l'ordre des procédures d'autorisation et de financement instauré par la loi du 30 juin 1975 et fondé sur la reconnaissance des besoins. Dans la mesure où il n'y a pas de déblocage de moyens supplémentaires au titre de l'assurance maladie au-delà de l'arriéré des 14 000 places de sections de cure médicale, tout démontre que la réforme ne se fera pas à la hauteur des besoins exprimés par les établissements. Au contraire, elle sera déterminée par des orientations budgétaires qui en sont fort éloignées.
Bien sûr, il faut reconnaître que ce texte permet, au moins, d'unifier les interventions auprès des personnes âgées dépendantes et de réduire, hélas ! a minima, les inégalités, en particulier les inégalités géographiques. Il obligera, c'est quand même le moins que l'on puisse faire, tous les départements, sans exception, à verser l'allocation aux personnes âgées dépendantes, y compris si elles sont en établissement.
Pourtant, ce texte reste corseté par la volonté de ne pas créer de dépenses nouvelles.
Avec cette prestation au nom volontairement proche pour que la confusion puisse s'opérer entre la promesse et ce qui est réalisé, nous sommes loin de l'allocation de dépendance promise.
Bien sûr, mes collègues de la majorité vont se défendre en arguant du caractère temporaire de la nouvelle prestation.
Mais je crains, comme les syndicats et les associations de personnes âgées, que cette proposition de loi ne permette surtout au Président de la République et au Gouvernement de ne pas respecter leurs engagements.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Procès d'intention !
Mme Michelle Demessine. Je crains aussi que, devant l'espoir suscité par la promesse d'une réponse humaine au problème douloureux pour les personnes âgées et les familles qui les entourent, cette prestation n'apparaisse comme une nouvelle injustice à ceux qui ne pourront en bénéficier et qui ne pourront pas s'offrir les services indispensables à leur autonomie car ils n'en auront pas les moyens financiers.
Cette proposition de loi permet en outre à l'Etat de ne pas respecter ses engagements dans l'immédiat concernant les 14 000 places dans les sections de cure médicale autorisées depuis plusieurs années par les préfets et non financées.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Ce n'est pas vrai, elles doivent être réalisées dans les deux ans !
Mme Michelle Demessine. En effet, l'article 16 prévoit que les places autorisées dans ces sections à la date d'application de la présente loi seront financées dans un délai de deux ans par les régimes d'assurance maladie.
Une telle disposition est inacceptable alors que les refus de financement ont mis les établissements de soins dans des situations difficiles et les ont obligés à faire assurer les soins infirmiers par des intervenants extérieurs qui travaillent à titre libéral : ce type d'intervention à l'acte, directement pris en charge par la sécurité sociale, coûte plus cher que l'ouverture des places de cure médicale promises.
La volonté affichée des promoteurs de la proposition de loi est de ne créer globalement aucune dépense supplémentaire et d'enrayer l'escalade de l'ACTP, tout en tentant d'encadrer, de la manière la plus serrée possible, les dépenses engagées au titre de la nouvelle prestation, voire de les diminuer.
Comment, en effet, faire face à ces besoins nouveaux, conséquences de l'évolution de la durée de la vie humaine, si les dépenses liées à la dépendance des personnes âgées sont laissées à la charge des seuls départements, lesquels sont déjà asphyxiés par les transferts incessants de la part de l'Etat, ainsi que par l'accroissement des dépenses sociales qu'ils prennent en charge ?
Ils assurent déjà 20 % des investissements et une grande part des dépenses sociales ; ils ont d'ailleurs de grandes difficultés à gérer l'allocation compensatrice pour tierce personne.
Vouloir faire des départements les maîtres d'oeuvre de l'action en faveur des personnes âgées dépendantes est, vous le savez bien, un exercice périlleux.
Je crains que le système qui nous est proposé, s'il devait perdurer ou servir de base, à l'avenir, à la définition d'une nouvelle prestation, ne devienne ingérable à moyen ou à long terme.
Les prévisions démographiques et l'insuffisance de prévention étant ce qu'elles sont, tout laisse à penser que les dépenses liées au service de la nouvelle prestation pourraient s'accroître dans de très fortes proportions d'ici à quinze ou vingt ans.
Il est donc bien nécessaire, à mon sens, d'assurer les financements au niveau national, d'une part, et une répartition équitable pour chaque personne, d'autre part. Qui peut le faire mieux que la sécurité sociale, qui possède les capacités techniques, juridiques et en personnel nécessaires.
Pour épargner aux départements la gestion de ce risque social qu'est la dépendance, il faut la confier à la sécurité sociale, qui couvre 65 % du total des dépenses liées à la dépendance - remboursement des traitements médicaux, allocations servies par la caisse vieillesse.
C'est l'opinion du Comité national des retraités et personnes âgées, représentatif de toutes les organisations de retraite, qui s'est déclaré favorable à une allocation de solidarité nationale gérée par la sécurité sociale, sans condition de ressources ni obligation alimentaire ni recours sur succession, et attribuée aux personnes dépendantes vivant à domicile ou hébergées en établissement.
Notre proposition n'est-elle pas de simple bon sens ? Soigner, c'est gérer et réduire tous les inconvénients liés à la maladie ; c'est une démarche globale. Notre proposition a le mérite de la simplicité et de l'efficacité. Il n'est nul besoin de mettre en place un dispositif si périlleux. Le problème peut être réglé par la simple adjonction d'un article au code de la sécurité sociale qui définirait l'état de dépendance.
La sécurité sociale serait chargée de coordonner les intervenants et les différents soins à apporter aux personnes âgées dépendantes.
Enfin, j'en viens au principal obstacle qui a fait reporter à chaque fois la mise en place d'une véritable allocation d'autonomie : le financement nécessaire.
La sécurité sociale souffre non pas d'un excès de la demande de soins qui exigerait leur rationnement, mais d'une pénurie de ses ressources. C'est donc en augmentant ses ressources qu'on peut résoudre ses problèmes financiers.
Il faut prendre l'argent à la source de création de la richesse, c'est-à-dire à l'entreprise et sur les marchés financiers.
Nous proposons donc que les revenus financiers soient imposés au même taux que les salaires. Cela permettrait non seulement de résoudre le problème du déficit de la sécurité sociale mais encore de dégager les moyens nécessaires pour faire face à des dépenses nouvelles et, notamment, aux dépenses de prise en charge du risque lié à la dépendance des personnes âgées.
Dans l'attente d'une telle réforme, nous préconisons l'assujettissement de l'ensemble des revenus financiers provenant des titres émis en France à une cotisation sociale. Par ce biais, nous proposons de ne pas alourdir inutilement la fiscalité sociale ou de ne pas recourir comme cela avait été prévu dans le projet de loi avorté du Gouvernement sur la prestation autonomie, à un alourdissement de la CSG, qui pèse sur les revenus des familles et donc sur la croissance et sur la consommation.
Ce texte, qui vise à créer l'illusion que les promesses de la campagne présidentielle ont été tenues, ne répond ni à l'attente des personnes âgées, de leurs familles, des syndicats et des associations, ni aux possibilités des collectivités territoriales et des contribuables locaux.
Nous ne sommes pas les seuls à nous opposer à ce texte : la semaine prochaine, le 22 octobre, treize organisations de retraités appelleront à manifester sous le slogan : « Les retraités en colère ».
L'ampleur de cette manifestation devrait être sans précédent dans l'histoire des mouvements sociaux puisque s'y associeront des organisations très diverses.
C'est dire si la volonté - largement partagée - d'obtenir un véritable droit à la prestation dépendance et non une mesure d'aide sociale est forte.
Ne pas entendre cet appel est grave : n'est-il pas l'expression de toute une génération qui a traversé ce siècle au milieu de grandes difficultés, de grandes tourmentes, une génération qui a été l'artisan du redressement de la France et de son développement économique ?
Mme Hélène Luc. Très bien !
Mme Michelle Demessine. Cette génération qui aborde son quatrième âge voudrait le vivre dignement, en personne humaine. N'est-ce pas légitime ?
J'espère que mes collègues du Sénat et MM. les ministres sauront écouter cet appel en acceptant enfin le principe d'une véritable prestation dépendance prise en charge par la sécurité sociale.
C'est dans ce sens que nous nous exprimerons au cours du débat. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel. C'est un problème difficile que celui du quatrième âge, un problème difficile qu'il faut aborder avec, à l'esprit, un maître mot : humilité. Monsieur le ministre, tout à l'heure, vous avez justement fait preuve de cette belle vertu en disant que le Gouvernement accueillait avec sympathie, pour cette étape intermédiaire, la démarche d'un certain nombre de sénateurs.
Il faut en effet en être bien conscient, en ce domaine, il n'existe pas de certitude, car nous sommes à la confluence de trois sciences qui ne sont pas forcément exactes, surtout quand elles font des prévisions : la démographie, la physiologie et la sociologie. Aussi, quand ces trois sciences livrent un certain nombre d'éléments d'information, encore faut-il considérer ceux-ci avec un esprit critique.
En Occident, l'espérance de vie, entre 1935 et 1991, s'est accrue de vingt à vingt-cinq ans. C'est vrai. Mais cette progression n'a pas beaucoup de sens car, entre 1981 et 1991, nous n'aurons gagné que trois années sans incapacités. Quoi que nous disions et quoi que nous fassions, nous ne pourrons pas effacer l'inéluctable dégradation de la motilité, de la coordination nerveuse, de l'idéation et de la fatigabilité. Nous sommes donc bien condamnés à gérer la dépendance, qui est la grande question sociale de cette fin du xxe siècle.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Parfaitement !
M. Guy Cabanel. De surcroît, des facteurs sociologiques ont aggravé la situation.
Outre le vieillissement, nous assistons à la disparition des aides traditionnellement apportées par les familles ou par les voisins. Cela conduit à l'isolement, si tragique, de ceux qui ont le plus besoin de leurs concitoyens pour les entourer et pour les aider. Les raisons du phénomène sont connues ; elles forment la trame de la société française de cette fin de siècle. Citons l'éloignement géographique des enfants, le travail des femmes, l'éclatement du noyau familial, l'insuffisance des ressources économiques ainsi que l'exiguïté des logements, qui interdit l'accueil des ascendants, même quand il est souhaité, ce qui n'est malheureusement pas toujours le cas.
Tous ces facteurs contribuent à l'isolement de la personne au moment même où son autonomie diminue.
La longévité augmente, le poids de la dépendance aussi. Le maintien à domicile, toujours souhaitable, et qui a été notre doctrine à l'égard du troisième âge, devient de plus en plus difficile. (M. le ministre acquiesce.)
Il faut donc trouver des solutions.
On peut, certes, en trouver de plus radicales. On nous a proposé, voilà quelques instants, le cinquième risque. La solution est facile, elle a le mérite de la clarté.
M. Félix Leyzour. Oui, elle est claire !
M. Guy Cabanel. Cependant, elle exige un financement par la protection sociale. Or, l'année dernière, nous avons vu quel sort dramatique fut réservé à un texte tendant à instituer une prestation de solidarité nationale, proposition généreuse, mais qui ne pouvait aboutir, car personne n'était en mesure de dégager les 15 milliards de francs qu'aurait nécessités son application en année pleine tant à domicile qu'en établissement.
J'étais inscrit dans la discussion générale. J'ai demandé à ce que mon nom soit rayé de la liste des orateurs. J'ai même déclaré à la presse que ce débat était surréaliste. Il a d'ailleurs tourné court à la fin de la discussion générale. Nous étions en novembre 1995.
Aujourd'hui, la situation a évolué. Douze départements ont fait, depuis 1994 l'expérience de la PED, c'est-à-dire de la prestation expérimentale dépendance. Nos collègues présidents de conseils généraux qui ont vécu cette expérimentation se sont déclarés satisfaits des conditions dans lesquelles elle s'est déroulée. A partir de ce moment-là, il a été possible de reconsidérer la situation.
Si je suis aujourd'hui signataire de cette proposition de loi, c'est parce que je crois que l'étape intermédiaire proposée ici était indispensable pour sortir d'une situation par trop confuse, étant toutefois entendu qu'elle ne devrait pas durer trop longtemps, au risque, sinon, de susciter le désespoir de certains de nos concitoyens.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Mais si, cela va durer !
M. Guy Cabanel. Quelle est la condition posée pour franchir une nouvelle étape ? La remise en ordre des finances de la sécurité sociale. A défaut, il convient d'appliquer une solution intermédiaire, rendue d'autant plus indispensable que l'allocation compensatrice pour tierce personne, attribuée depuis la loi de 1975 aux personnes handicapées et étendue - un peu abusivement, d'ailleurs - aux personnes âgées dépendantes, ne pouvait être pérennisée sous cette forme.
Naturellement, on peut critiquer ce texte et, en toute humilité, même les signataires de la proposition de loi pourraient juger bien bas le plafond de ressources qui sera appliqué pour l'attribution de cette prestation. En effet, fixé à 7 694 francs, ce plafond est inférieur à celui que prévoyait le projet de loi présenté par le Gouvernement l'année dernière, qui était de 9 329 francs. On comprend cependant parfaitement que cette somme constitue un premier objectif pour maîtriser la mise en oeuvre du dispositif.
Cela étant, il faut le reconnaître, les classes moyennes, les cadres, sont dans la pratique exclus du bénéfice de ce dispositif.
A cet égard, je comprends le souci de M. le rapporteur, notre collègue Alain Vasselle, qui a souhaité que la prévoyance individuelle, ou celle qui pourrait être instituée par l'organisation mutualiste, soit prise en compte et permette d'éviter l'effet de seuil.
Il existe, en Europe, des systèmes de protection sociale très développés, qui sont fondés justement sur une série de plafonds pour l'attribution des prestations. C'est le cas, notamment, aux Pays-Bas. Cependant, les effets de seuil y sont considérables et, s'ils sont bien supportés par nos voisins néerlandais, ils le seraient peut-être plus difficilement en France, où l'on n'est pas habitué à ce genre de choses.
Nous attendrons donc avec impatience l'amélioration des finances de la sécurité sociale pour aller plus loin.
La prestation que nous proposons sera adaptée à chaque personne en fonction de ses besoins. Ce qui est proposé paraît sage. La grille nationale AGGIR doit permettre un bon impact du plan d'aide que nous envisageons et, intérêt indiscutable, cette prestation à domicile sera fournie en nature, c'est-à-dire éventuellement en soins infirmiers à domicile, en aide ménagère ou en livraison de repas.
Ainsi, nous avons l'espoir non seulement de répondre aux principaux besoins de la personne âgée et de rompre sa solitude, mais aussi d'aboutir à la création d'emplois en nombre non négligeable, puisque la fourchette la plus souvent retenue est d'un emploi créé pour cinq à sept personnes âgées dépendantes aidées.
Pour les personnes accueillies en établissement, le dispositif sera, bien sûr, différent. La prestation devrait être versée en espèces, évaluée lors de l'admission et réactualisée régulièrement.
Un point suscite néanmoins quelques contestations. Encore une fois, l'humilité s'impose, car les sénateurs signataires de cette proposition de loi n'ont pas reçu que des compliments. L'écho de quelques critiques sévères devrait même encore leur parvenir le 22 octobre prochain, puisque les retraités vont manifester, paraît-il, contre le dispositif. Il importe d'autant plus de faire comprendre son contenu et son caractère transitoire. C'est cela ou le vide dans l'attente du « cinquième risque » qui sera infiniment plus difficile à mettre en oeuvre, à mon avis.
Le dispositif est bien verrouillé du fait de l'encadrement administratif et financier. L'expérience est également bien ressentie par les départements, le président du conseil général prenant sa décision après avis du maire. Cependant, compte tenu des critiques qui me sont parvenues, il me semble que certains craignent une personnalisation très forte. Les contacts avec une administration tout à la fois élue et de proximité sont fort intéressants, mais peuvent devenir aussi conflictuels.
Donc, monsieur le rapporteur, vous avez très utilement rappelé que les voies de recours devaient être importantes et bien précisées. Notre société se veut conviviale, il peut donc y avoir des recours contre les décisions du président du conseil général. De même, on peut passer outre à un avis motivé du maire avec lequel on peut ne pas être d'accord. A ces conditions, nous obtiendrons une meilleure application du système.
Dans le même ordre d'idées, la coordination des organismes d'employeurs nous paraît fondamentale. C'est, à mon sens, dans l'intérêt non seulement de ceux qui auront à gérer le risque mais aussi de ceux-là mêmes qui recevront l'aide en fonction de la grille AGGIR.
Ce texte comporte encore un point positif en ce qu'il invite instamment le Gouvernement à élaborer dans les meilleurs délais - on m'objectera que, dans la situation présente, les meilleurs délais, c'est en 1997 ou en 1998 - une tarification des établissements d'accueil des personnes âgées. Cette tarification fera cette fois clairement la part entre les prestations relevant de l'assurance maladie et celles qui relèveront désormais de la prestation spécifique dépendance.
Ce texte offre un autre intérêt. Le financement des 14 000 lits de section de cure médicale, autorisé mais non encore réalisé, le sera dans les mêmes délais, à savoir peut-être en 1997, plus vraisemblablement en 1998.
M. le ministre nous a dit tout à l'heure qu'il était plus réservé sur les 4 400 places de soins à domicile. Même s'il n'a pas pu prendre la décision, l'examen du dossier se poursuivra. Ces 4 400 places de soins à domicile me paraissent aussi importantes que les 14 000 lits à créer. Une question me vient cependant à l'esprit : la mission des directeurs des agences régionales de l'hospitalisation sera-t-elle limitée à la promesse « sanctuarisée » de ces 14 000 lits à créer ? Je voudrais en être sûr. Mais nous attendrons pour voir comment fonctionnent les agences de l'hospitalisation.
Quelles autres critiques peut-on faire à ce texte ?
On peut nous dire qu'il entraînera à la longue un gonflement des dépenses sociales des conseils généraux. Je réponds que nous sommes dans une situation favorable. Pendant une dizaine d'années, de 1980 à 1990, les contingents d'aide sociale ont augmenté très rapidement. Or nous avons de la chance puisque, depuis quatre ou cinq ans, l'augmentation ralentit dans la plupart des départements. Aujourd'hui, nous souhaitons que cette maîtrise de l'aide sociale par le département se pérennise et que la prestation spécifique dépendance n'ait pas d'effet inflationniste et n'entraîne pas une surcharge. Nous souhaitons surtout que l'on ne laisse pas trop longtemps les départements seuls, pour assumer cette responsabilité.
Voilà pour ce texte, qui se veut provisoire. Nous espérons, tous comme M. le président de la République, que la transition sera la plus courte possible. Nous sommes cependant conscients que la durée de vie du dispositif dépendra des aléas de la maîtrise des dépenses de protection sociale. Cette situation transitoire est donc susceptible de perdurer. Si ce devait être le cas, il est vrai que les discussions se feraient plus vives sur ce texte même.
Quoi qu'il en soit, la majorité des membres de mon groupe le votera, non seulement parce que M. Paul Girod et moi-même en sommes signataires, mais aussi parce qu'elle en sent la nécessité. Nous sommes heureux que la commission des affaires sociales, son président, M. Fourcade, et son rapporteur, M. Vasselle, aient mis autant d'acharnement, à chaque budget, à chaque DMOS, à présenter des amendements qui ont permis au Gouvernement de laisser aujourd'hui la voie libre à notre action. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)

Déclaration de l'urgence du texte