M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche. Vous n'avez pas oublié, mes chers collègues, que le débat sur le projet de loi qui nous avait été soumis en 1995, suite aux promesses du Président de la République, avait été reporté pour des raisons budgétaires. Je comprends fort bien que des contraintes de ce type aient nécessité de passer par l'étape législative que nous vivons aujourd'hui. Je tiens à saluer ici l'initiative de M. le président Fourcade et de ses collègues qui ont déposé cette proposition de loi de transition.
Trois aspects importants caractérisent cette proposition de loi : elle est nécessaire et attendue par notre pays ; elle est réaliste et répond globalement aux besoins de ses futurs allocataires ; elle concourt au renforcement des solidarités entre les générations, et elle est synonyme d'espoir pour les familles.
Toutefois, j'émettrai quelques voeux concernant certains aménagements nécessaires.
Il s'agit d'une réforme nécessaire et attendue par notre pays.
Elle est devenue une nécessité au regard de l'insuffisance des prises en charge actuelles de la dépendance physique et de l'allongement de l'espérance de vie dû aux progrès de la médecine.
Aujourd'hui, on dénombre en France entre 500 000 et 900 000 personnes dépendantes, dont près de 70 % sont des femmes. Pour l'an 2000, les projections statistiques de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés évaluent cette population à près de 1,2 million.
Bien évidemment, ce problème n'est pas propre à notre pays puisque, depuis les années soixante, le nombre de personnes âgées de plus de quatre-vingts ans dans l'Union européenne a augmenté de 300 % ! Nous savons que lorsqu'un enfant naît aujourd'hui, il a une chance sur deux de devenir centenaire.
Selon le service des études du ministère des affaires sociales, à la fin de l'année 1994, près de 600 000 personnes vivaient en maison de retraite ou en institution, et 377 000 d'entre elles, soit plus de 60 %, devaient avoir recours à l'aide d'un tiers pour accomplir les actes essentiels de la vie courante : s'habiller, faire sa toilette, se déplacer.
Depuis 1990, la proportion des personnes hébergées souffrant d'une dépendance forte n'a cessé d'augmenter, pour atteindre pratiquement le seuil de 50 %. Ces chiffres doivent être pris en compte au regard du fort recul de l'âge moyen d'admission : quatre-vingt-quatre ans aujourd'hui contre quatre-vingt-un ans en 1990.
Je tiens, à cet égard, à souligner des éléments très positifs de cette proposition de loi. Je citerai, d'abord, son souci d'une meilleure prise en charge des personnes âgées dépendantes - ce qui reste son objectif central - par des mesures concrètes et de proximité. Je citerai, ensuite, l'émergence d'une nouvelle source potentielle d'emplois dans notre pays - d'ailleurs, les expérimentations menées dans douze départements laissent espérer la création d'un emploi pour six personnes dépendantes concernées. Je citerai, enfin, la disposition visant à autoriser le financement sur deux ans de 14 000 lits de section de cure médicale, afin d'accueillir les personnes les plus dépendantes ; cette mesure est unanimement attendue depuis plusieurs années et elle pourrait entrer en vigueur le 1er janvier 1997. Monsieur le ministre, ainsi que vous l'avez indiqué au cours de votre intervention et malgré les contraintes du budget de la sécurité sociale, je souhaite que vous puissiez prioritairement réaliser cette indispensable mesure et rattraper un retard trop pesant aujourd'hui. J'étendrai mon souhait, comme tous mes autres collègues, au financement des 4 400 places de soins infirmiers.
La réforme est réaliste et répond globalement aux besoins de ses futurs allocataires.
La proposition d'attribuer une allocation en nature, et non en espèces, était souhaitable. Elle correspond ainsi à une prise en charge plus juste et plus équitable de la dépendance. L'effectivité de l'aide en sera améliorée par rapport au système actuel de l'ACTP.
Sa mise en place sera rapide puisque le président du conseil général aura deux mois pour statuer après que l'avis souhaitable des maires aura été formulé. Qui n'a en mémoire les longues listes d'attente de dossiers à la COTOREP au point que l'accord d'attribution était parfois donné après le décès du demandeur ?
L'efficacité du dispositif sera améliorée, car l'évaluation de la dépendance selon la grille nationale AGGIR placera toutes les personnes concernées à égalité d'attribution, évitant ainsi les distorsions que le système précédent entraînait.
L'évaluation par une équipe médico-sociale sera de nature à renforcer la justesse de la détermination de la dépendance du demandeur.
L'introduction du recours contre les décisions du président du conseil général devant la commission départementale d'aide sociale reste un élément positif pour les usagers, élément que le texte précédent ne prévoyait pas.
Enfin, le dispositif de recours sur succession, préféré à l'obligation alimentaire, difficile à gérer, est parfaitement justifié.
Manifestement, cette proposition de loi concourt au renforcement des solidarités entre les générations et est synonyme d'espoir pour les familles.
Qu'est-ce qui mène une famille à se résoudre à faire entrer une personne âgée en institution ? La réponse est simple puisqu'elle touche, vous vous en doutez, l'ensemble de la population de notre pays. En effet, dès lors que le maintien à domicile devient impossible du fait de l'aggravation de la dépendance physique, les enfants recourent aux structures d'hébergement collectif.
Ainsi, cette proposition de loi doit pouvoir faire réfléchir tant les parents, les grands-parents que leurs enfants et leurs petits-enfants sur l'évolution de notre société, où le lien familial se distend progressivement, où la prise en charge des générations plus âgées par les générations plus jeunes devient de plus en plus difficile et où, enfin, pouvoir mourir chez soi dans des conditions décentes devient un véritable luxe.
Toutefois, mes chers collègues, je formulerai deux incertitudes, qui rendent nécessaires des aménagements complémentaires.
Première incertitude : les caisses d'assurance vieillesse doivent fournir le personnel compétent nécessaire à la réforme, les dispositifs de la proposition de loi entraînant obligatoirement, dans les faits, un surcoût en termes de travail au sein des services départementaux. Or, aucune disposition concrète n'est prévue afin de prendre en charge ce surcoût dû au renforcement des équipes à l'échelon du département.
Seconde incertitude : les départements signeront avec les organismes sociaux des conventions permettant la mise à disposition de personnels au service des personnes dépendantes. L'élaboration de ces conventions sera déterminante, et il me paraît souhaitable de les rédiger à partir d'une convention nationale type.
Enfin, monsieur le ministre, mes chers collègues, je conclurai mon propos en émettant quelques voeux.
Mon premier voeu concerne l'élargissement souhaitable de cette mesure aux classes moyennes. En effet, s'il paraît prioritaire, comme cela a été dit tout à l'heure, que cette loi s'adresse aux personnes les plus démunies et disposant de faibles ressources - je partage tout à fait ce point de vue - les personnes dont les ressources annuelles dépassent le seuil de 40 384 francs, ou le double pour un couple, ne pourront y prétendre. L'effet de seuil sera donc cruel pour ceux dont les revenus sont immédiatement supérieurs à ces montants.
Mon deuxième voeu est en fait une interrogation. Le montant maximal attribué pour cette prestation se situant à 4 300 francs par mois, ce qui représente le montant actuel de l'allocation compensatrice pour tierce personne, les ressources maximales mensuelles pour une personne seule n'excéderont jamais 7 600 francs. Est-ce vraiment suffisant pour faire face aux dépenses liées à la grande dépendance ?
Mon troisième voeu tient à la nécessaire amélioration de la grille AGGIR. De l'avis unanime, elle ne tient pas suffisamment compte des caractéristiques de l'environnement et de la notion d'incontinence. Une prise en compte rapide de ces deux facteurs l'améliorerait considérablement.
Mon quatrième voeu porte sur la responsabilité des départements dans la mise en place de cette prestation, qui doit être totale. Cette responsabilité est souhaitable, car elle correspond au principe de proximité vis-à-vis des personnes concernées, auquel nous sommes attachés. Cependant, elle constituera incontestablement une charge supplémentaire. Ne pourrait-on envisager une contribution de l'Etat par une mise à disposition de certains personnels, je pense notamment ici à ceux des COTOREP ?
Mon cinquième voeu tient aux avantages de l'ACTP et au principe de basculement presque automatique, qui est souhaitable pour assurer l'accès à la prestation autonomie pour personnes âgées dépendantes. Je soutiendrai les amendements déposés en ce sens.
J'en viens à mon sixième et dernier voeu : lorsque cette proposition de loi aura été votée, dans quels délais les décrets d'application permettront-ils de mettre effectivement en place les mesures qu'elle préconise ? Cette prestation dépendance est attendue, monsieur le ministre, mes chers collègues, son application doit être rapide. Je souhaite que les décrets y afférents puissent être pris dès le vote de la loi par le Parlement.
En dépit de ces quelques remarques, je partage l'avis de M. le président Fourcade, selon lequel cette proposition de loi constituera une réelle avancée sociale.
Voilà pourquoi, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les sénateurs non inscrits du Sénat se joindront à moi pour la soutenir et la voter. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Jacques Habert. Très bien !
M. le président. La parole est à M. de Raincourt.
M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelle que soit l'appellation qu'on lui donne - prestation d'autonomie, prestation dépendance, prestation expérimentale dépendance, prestation spécifique dépendance - l'important est de nous retrouver ce soir pour discuter au fond d'un sujet qui, effectivement, intéresse bon nombre de nos compatriotes. Comme les uns et les autres n'ont pas manqué de le relever, ce texte correspond en effet à un besoin.
Je voudrais tout de même dire que le besoin lié à la dépendance n'est pas nouveau. Les éléments en sont connus depuis un certain temps déjà. Il me semble que depuis que l'on en parle il aurait peut-être été possible d'aller un peu plus vite, si des gouvernements, appartenant d'ailleurs à des majorités différentes, avaient bien voulu franchir le pas.
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Eh oui !
M. Henri de Raincourt. Il est donc un peu dommage que l'on fasse grief au Gouvernement actuel d'accepter que, sur l'initiative du Sénat, on franchisse une étape importante et que, même si la discussion est bien sûr ouverte, des critiques nombreuses et pas toujours justifiées ramènent cette prestation spécifique dépendance à quelque chose qui serait accordé au rabais, parce qu'on n'aurait pas pu faire autrement. Cela me semble assez désobligeant à l'égard des personnes qui vont bénéficier de la prestation spécifique dépendance. A la limite, on aurait pu porter ce jugement avant que l'expérimentation ait été conduite !
M. Alain Gournac. Voilà !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Très bien !
M. Henri de Raincourt. Un tel jugement aujourd'hui est injustifié, alors que, dans les conclusions du rapport du CREDOC, il est mentionné que 92 % des personnes interrogées, et percevant donc la prestation expérimentale dépendance, sont satisfaites ou très satisfaites. Il faut donc reconnaître que si cette prestation n'est pas parée de toutes les vertus, elle n'a pas pour autant tous les défauts.
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Excellement dit !
M. Alain Gournac. Très bien !
Mme Michelle Demessine. Il ne s'agit pas des mêmes plafonds !
M. Henri de Raincourt. Après trois ans de luttes marqués par peu de victoires, je le reconnais, et des succès mitigés, après de nombreux amendements examinés, repoussés ou votés, après que le président Fourcade eut vraiment mis tout son poids dans la balance, entraînant derrière lui l'ensemble de la commission, le rapporteur, M. Alain Vasselle, et le Gouvernement, nous aboutissons à quelque chose qui me paraît, à moi, éminemment positif.
Le terme utilisé tout à l'heure par M. Cabanel pour caractériser l'état d'esprit dans lequel nous devons aborder cette discussion - humilité - m'agrée tout à fait : nous savons effectivement que le besoin est réel, que notre capacité financière pour y répondre n'est pas infinie et que ce serait sans doute rendre un bien mauvais service à notre pays que de suivre le conseil prodigué tout à l'heure par Mme Demessine, qui suggérait - on peut tout à fait en débattre - d'inscrire ce dispositif dans le cadre du cinquième risque. Le problème est posé.
En revanche, s'agissant du financement - permettez-moi, madame Demessine, de vous le dire avec beaucoup de gentillesse - vouloir taxer les produits financiers au-delà d'une certaine limite, c'est tout de même oublier la chute du mur de Berlin et le fait que les frontières sont aujourd'hui très largement ouvertes sur le plan économique et financier. Si vous voulez faire fuir les capitaux à très grande vitesse,...
Mme Michelle Demessine. Ils n'attendent pas cela pour fuir !
M. Henri de Raincourt. ... il faut continuer à taxer de manière excessive les résultats financiers ! Vous aboutirez alors au résultat inverse à celui qui était escompté : seuls resteront les pauvres, qui n'auront pas pu partir et que l'on ne pourra taxer davantage pour financer une prestation sociale.
M. Alain Vasselle, rapporteur. C'est très justement dit !
M. Henri de Raincourt. Je fais partie de ceux qui ont très bien compris les raisons budgétaires ayant amené le Gouvernement, l'année dernière, à reporter la discussion de ce texte.
J'ai naturellement écouté avec un grand intérêt les propos tenus tout à l'heure tant par M. le rapporteur - notre collègue a accompli un travail de fond tout à fait remarquable - que par le président de la commission et par vous-même, monsieur le ministre. Vous nous avez apporté un certain nombre de réponses à des questions qui restent effectivement encore pendantes.
Je ne reviendrai pas sur le contenu même de la proposition de loi. Je n'évoquerai que trois points : que faut-il penser des expérimentations ? Comment peut-on en tirer les meilleures conclusions ? Quelle réforme doit être envisagée pour les établissements ?
Sur le premier point - que faut-il penser des expérimentations ? - le président de conseil général que je suis a essayé de saisir la chance que représentait la mise en place de cette expérimentation pour en faire un outil vraiment efficace sur le terrain. Le rapport du CREDOC qui fait le point sur cette expérimentation est à cet égard tout à fait éclairant et positif.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Il aurait fallu généraliser cette expérimentation !
M. Henri de Raincourt. Mais telle est la finalité du texte dont nous sommes en train de débattre et que le groupe des Républicains et Indépendants votera !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Tout à fait !
M. Henri de Raincourt. Cette expérimentation a montré - c'est là que certaines déclarations me surprennent - qu'il existait une bonne coordination entre les différents intervenants que sont les caisses de sécurité sociale et les départements. Elle a également montré que l'on pouvait, avec un coût maîtrisé, répondre beaucoup mieux que par le biais de l'allocation compensatrice aux besoins qui se manifestaient, et ce pour deux raisons.
Tout d'abord, comme chacun le sait ici, des dérives financières ont été relevées : l'allocation compensatrice pour tierce personne ne servait pas exclusivement à ce à quoi elle était destinée. Elle pouvait être utilisée comme complément de ressources pour financer l'hébergement, ou elle pouvait être placée sur un livret d'épargne d'un membre de la famille. J'avais même cité à cette tribune l'exemple du permis de conduire d'un petit-enfant qui avait été financé par l'allocation compensatrice !
Le fait qu'un terme soit mis par ce système à la dérive de l'allocation compensatrice permet de récupérer des crédits sans qu'il en résulte une diminution des prestations pour les personnes concernées.
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Bien sûr !
M. Henri de Raincourt. D'autre part, comme un plan individualisé d'aide est proposé par l'équipe médico-sociale à la personne qui dépose la demande, en liaison avec son environnement familial, et que ce plan, la plupart du temps, est accepté, on constate - on peut le vérifier dans les douze départements expérimentaux, et toutes les réponses sont concordantes à cet égard - qu'il est possible d'améliorer le service rendu aux personnes âgées tout en rationalisant les modalités de sa gestion.
Et si l'enjeu, au fond, était de prendre en compte de manière significative la dépendance sans qu'il en résulte un alourdissement insupportable des dépenses publiques ? Il s'agit là, à mon avis, d'un point tout à fait essentiel en termes de coordination.
Je souhaiterais, monsieur le ministre, que l'article 21 soit entendu comme garantissant que les modalités de l'expérience continueront de s'appliquer dans des conditions inchangées aux personnes qui en bénéficient actuellement. Il conviendra donc de donner à cet égard des directives claires aux organismes de protection sociale, car je ne suis pas sûr que partout, à l'échelon départemental, ils interprètent la poursuite de l'expérimentation comme se déroulant dans des conditions financières identiques à celles que nous connaissons aujourd'hui.
J'en viens à ma deuxième question : comment tirer les meilleures conclusions de ces expérimentations ?
Comme M. le président de la commission l'a excellemment dit tout à l'heure, ce sont bien près de 14 milliards de francs qui sont consacrés par l'ensemble des intervenants - les collectivités locales et les caisses de sécurité sociale - à la dépendance des personnes âgées. L'aide qui est actuellement apportée par le département résulte d'un détournement de la loi de 1975, détournement consacré par des juridictions qui ont interprété la loi dans un sens contraire à la volonté du législateur,...
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Eh oui !
M. Henri de Raincourt. ... comme on peut le constater à la lecture du Journal officiel des débats de l'époque. Je ferme la parenthèse, mais il faut bien, à un moment, que les choses soient dites, et ce point me tient particulièrement à coeur !
On constate donc aujourd'hui que les caisses de sécurité sociale, d'un côté, et les départements, de l'autre, agissent selon des critères qui ne sont pas forcément les mêmes. La coordination de l'action des départements et des caisses est donc tout à fait indispensable.
C'est dans cette perspective que Michel Mercier et moi-même avons cosigné un amendement tendant à mieux consacrer l'importance de la convention qui liera désormais départements et caisses, en vue de favoriser cette coordination.
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Très bien !
M. Henri de Raincourt. Je suis donc persuadé qu'à moyens constants pour les départements et moyennant peut-être une participation accrue, mais sans doute modeste, du fonds d'action sociale des caisses, l'expérience grandeur nature permettra d'améliorer très sensiblement le service rendu à nos compatriotes.
Il nous appartiendra, ainsi que M. le président de la commission l'a dit à juste raison, de franchir les degrés qui nous séparent encore de l'objectif affiché et recherché par le chef de l'Etat, selon des modalités que les circonstances nous permettront de préciser.
Mais, à cet égard, je considère qu'il vaut mieux agir comme nous le faisons aujourd'hui et attendre des jours meilleurs pour aller plus loin, plutôt que d'attendre des jours meilleurs pour enfin démarrer.
Il y a là, véritablement, en termes de services rendus à nos compatriotes, une nécessité qui ne doit pas nous laisser perdre de temps.
Enfin, monsieur le ministre - c'est ma troisième question - quelle réforme doit être envisagée pour les établissements ?
Dans votre propos, vous nous avez apporté un certain nombre de réponses qui, je crois, sont de nature à rassurer les gestionnaires départementaux. Si je vous entends bien, vous séparez clairement, à juste raison, la prise en charge sanitaire des personnes âgées et leur prise en charge sociale : à l'assurance maladie les dépenses de santé, aux collectivités locales les dépenses de gîte et de couvert. La prise en charge de la dépendance, quant à elle, serait donc répartie entre ces deux acteurs selon qu'elle revêt un caractère sanitaire ou un caractère social.
Il nous appartiendra d'apprécier les textes réglementaires propres à mettre en oeuvre cet aspect de la réforme. Je note dès aujourd'hui que cette dernière sera essentiellement fondée sur une adaptation de la prise en charge à l'état effectif de la personne accueillie en établissement. Il s'agit là - il faut le souligner - d'un concept nouveau et positif.
Il n'en demeure pas moins qu'une question se pose encore : la proposition de loi prévoit que la réforme de la tarification s'étale sur plusieurs exercices et qu'elle s'achève au 31 décembre 1999. Cette échéance pourrait être avancée, me semble-t-il. Nous en débattrons lorsque nous examinerons un amendement allant dans ce sens.
Pendant cette période, la prestation spécifique dépendance en établissement doit être fixée à un niveau qui ne dissuadera ni ledit établissement ni les gestionnaires d'entrer dans la nouvelle tarification.
Je souhaiterais donc, monsieur le ministre, que vous soyez un peu plus précis par rapport à votre propos précédent. A cet égard, l'article 15, tel qu'il résulte des travaux de la commission, me paraît vous donner les moyens juridiques d'aller dans ce sens.
Vous me permettrez enfin d'évoquer rapidement les compléments que MM. Michel Mercier, Paul Girod, Jean Chérioux et moi-même avons choisi d'apporter au dispositif, après concertation avec M. le rapporteur. Nous aurons en effet l'occasion de les exposer plus en détail au cours de la discussion des articles.
Je voudrais revenir sur trois d'entre eux qui ont été abordés par un certain nombre de nos collègues.
Tout d'abord, monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir accepté, sans attendre la réforme de la tarification, de financer les lits de section de cure médicale autorisés. Nous savons tous de quoi il retourne, et je n'insiste donc pas.
D'autres collègues ont également indiqué qu'il conviendrait, simultanément au financement de ces 14 000 lits de section de cure médicale, de financer les 4 000 lits - certains ont cité le chiffre de 4 400 lits - de soins à domicile. Nous avons déposé un amendement destiné à permettre ce financement. J'espère, monsieur le ministre, que vous voudrez bien émettre un avis favorable sur ce texte, au nom du Gouvernement.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Nous l'espérons aussi !
M. Henri de Raincourt. Par ailleurs, nous vous proposons, afin d'éviter de gérer simultanément, dans les douze départements, la prestation expérimentale, l'ACTP maintenue dans certains cas, la prestation provisoire en établissement et la prestation nouvelle, de simplifier et d'accélérer le passage de l'allocation compensatrice vers la prestation spécifique dépendance et d'uniformiser certaines règles de leur attribution.
C'est ainsi que le contrôle d'effectivité se ferait désormais dans les mêmes conditions pour l'ACTP et pour la prestation nouvelle. Ce faisant, d'ailleurs, nous reviendrons très exactement à la disposition adoptée par le Parlement à la fin de l'année 1994, disposition - je me permets de le rappeler au membre du Gouvernement ici présent - que nous n'avions pas retrouvée intégralement dans un décret de 1993 qui traitait de l'effectivité et qui restreignait le champ d'intervention.
Le troisième point - il a déjà été abordé par M. le président de la commission, M. le rapporteur et bon nombre de mes collègues, et il le sera sûrement aussi par les orateurs suivants - concerne les classes moyennes. Ce texte est dirigé avant tout vers les personnes les plus démunies et les plus dépendantes, car nous n'avons pas les moyens d'aller au-delà pour le moment.
Je crois, à l'inverse de ce qui a pu être dit par d'autres - ils ont tout à fait le droit d'avoir un sentiment contraire - qu'il ne faut pas décourager les classes moyennes, lesquelles attendaient beaucoup de ce texte.
M. le rapporteur a suggéré que les rentes viagères constituées pour prévenir le risque de dépendance ne soient pas ajoutées au revenu pris en compte pour l'attribution de la nouvelle prestation. A cet avantage « à la sortie » devrait s'ajouter, à mon avis, un avantage « à l'entrée », qui consisterait à exonérer de toute charge fiscale les cotisations versées au titre du risque dépendance.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Tout à fait !
M. Henri de Raincourt. Telles sont, mes chers collègues, les quelques remarques que je souhaitais faire sur ce texte.
J'ai pu lire qu'il avait été taillé sur mesure pour les présidents de conseil général.
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Merci pour eux !
M. Henri de Raincourt. Je crois que les présidents de conseil général, contrairement à ce que j'ai entendu tout à l'heure, sont tout à fait capables d'être à la fois efficaces et honnêtes intellectuellement,...
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Merci pour eux !
M. Henri de Raincourt. ... en particulier dans la détermination de la composition de l'équipe médico-sociale. Il ne faudrait pas nous faire de procès d'intention avant l'heure.
Je crois véritablement aussi que ce texte améliorera d'une manière tout à fait sensible le sort des personnes âgées dépendantes.
Enfin, pour terminer, monsieur le ministre, permettez-moi de développer une idée qui m'est chère : cette proposition de loi ne préfigure-t-elle pas ce que pourrait ou devrait être une politique sociale moderne ?
Mme Michelle Demessine. Une politique sociale a minima !
M. Henri de Raincourt. Non, madame !
Je veux dire par là que la plupart des textes qui régissent notre politique sociale ont été adoptés à des moments précis, parce qu'ils correspondaient à un besoin donné. Mais les choses ont évolué, me semble-t-il. Ouvrir une prestation correspondant à un besoin dont personne ne nie la nécessité, et le faire non pas en y répondant d'une manière uniforme mais en individualisant l'aide apportée par la collectivité, voilà un exemple qui devrait être étendu à bien d'autres secteurs de notre politique sociale. Cela nous permettrait certainement de mieux répondre à certains autres besoins, et de le faire à coût budgétaire sensiblement équivalent.
Mme Michelle Demessine. Ce n'est pas très ambitieux !
M. Henri de Raincourt. Il y a là, me semble-t-il, une grande ambition à nourrir pour une politique sociale généreuse et équitable.
Mais il faudrait, monsieur le ministre, que vous acceptiez que ce soit celui qui paie qui commande.
Mme Michelle Demessine. C'est le contribuable qui paie !
M. Henri de Raincourt. Aujourd'hui, en effet, les départements sont très sollicités en matière de politique sociale, mais ils ne peuvent discuter aucun des éléments de la facture. Ce n'est pas de la sorte que l'on mènera une politique sociale généreuse, équitable et bonne utilisatrice des deniers publics !
Par conséquent, beaucoup reste à faire et vous pouvez faire confiance aux acteurs de terrain, qu'ils soient élus départementaux, élus municipaux ou représentants des associations, pour évaluer, à l'intérieur d'un cadre national bien défini et de façon adaptée, les réponses aux besoins individuels des personnes qui les sollicitent. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est présenté aujourd'hui répond incontestablement à une nécessité.
Depuis de nombreuses années, les départements se sont efforcés, notamment à travers l'aide sociale, d'améliorer la situation des personnes âgées dépendantes. Il convient aujourd'hui de leur en être reconnaissants. Mais, devant les dérives de l'allocation compensatrice pour tierce personne, créée par la loi de 1975 à destination des personnes handicapées et progressivement ouverte aux personnes âgées, ce qui la fait peser de manière croissante sur nos finances départementales, l'instauration d'un dispositif spécifique et adapté s'est révélée indispensable.
En novembre 1995, lors de la présentation du premier texte sur la prestation d'autonomie pour personnes âgées, nous avions lié notre approbation à une définition claire du financement de ladite prestation, à une délimination nette de la charge financière entre l'Etat et les départements et à la prise en compte de perspectives démographiques marquées par le développement de la dépendance.
En réponse à cette triple préoccupation, la prestation spécifique dépendance, prestation en nature sous condition de ressources instituée par la présente proposition de loi, constitue, je le crois, une réponse réaliste aux besoins des personnes âgées dépendantes et vous avez raison, monsieur Vasselle, de préciser dans votre excellent rapport qu'il n'y a qu'une différence de degré et non une différence de nature entre le texte de l'an dernier et celui que nous examinons aujourd'hui.
Selon les termes mêmes des rédacteurs de la proposition de loi, il ne s'agit que d'une étape, en attendant le vote de la loi instituant la prestation d'autonomie que la conjoncture économique et l'état des finances publiques ne permettent pas aujourd'hui.
Nous avons pris connaissance de certaines réactions publiques selon lesquelles la réponse apportée aux besoins recensés serait décevante. Pourtant, je le crois, votre proposition de loi, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, représente une avancée.
Dans les circonstances actuelles, le texte sur la prestation spécifique dépendance a le mérite de fixer un nouveau cadre juridique en mettant en place des mécanismes adaptés aux personnes âgées. Il permet de sortir de la logique réductrice et inadaptée de l'invalidité. Il permet l'instauration d'un dispositif plus efficace, grâce à des procédures moins lourdes susceptibles de prendre en compte l'urgence des situations individuelles. Il permet, enfin, - et cela doit être souligné - la nécessaire mise en oeuvre, étant donné l'éparpillement des moyens disponibles, d'une véritable rationalisation et d'une coordination des aides autour de la personnes âgée.
Sur ce point, des précisions devaient toutefois être apportées, afin de bien préciser le cadre dans lequel devront être conclues les conventions entre les différents partenaires et de conforter le rôle du président du conseil général en la matière. La responsabilité de celui-ci découle en effet des compétences qu'il exerce actuellement dans le domaine de la politique en faveur des personnes âgées, mais il est évident que les présidents de conseil général auront la volonté d'associer les caisses d'assurance vieillesse, les associations d'aide aux personnes âgées et les communes à la mise en oeuvre de cette décision. En matière de concertation, ils n'ont de leçon à recevoir de personne !
Outre la création d'une nouvelle prestation, le second grand apport de ce texte tient à la mise en place d'une réforme de la tarification des établissements accueillant des personnes âgées. Cette réforme, qui avait été annoncée par la loi du 28 mai 1996 portant diverses mesures d'ordre sanitaire, social et statutaire, tend à ce que les personnes âgées dépendantes vivant dans un établissement puissent être prises en charge en fonction de leur état et non du statut de la structure qui les accueille.
En conclusion, cette réforme est, je le crois, indispensable, et il est nécessaire que l'instauration d'une prestation pour les personnes âgées s'inscrive dans une politique globale de la vieillesse.
Cette réforme est modeste, selon certains. Elle n'en représente pas moins un progrès et une étape adaptée au contexte actuel.
Elle sera, en outre, si elle est bien appliquée, créatrice d'emplois. Cela mérite aussi d'être rappelé, malgré les problèmes complexes liés à la gestion du dispositif - en particulier à la gestion par les départements - ainsi qu'aux dérives financières qu'il faudra bien éviter afin de ne pas peser trop lourdement sur les finances locales.
On ne peut nier l'opportunité qu'il y a à légiférer rapidement en la matière, ni omettre de prendre en compte la forte et légitime attente qui existe dans la population.
C'est la raison pour laquelle je voterai sans état d'âme le texte qui nous est proposé, fruit du travail remarquable réalisé par la commission des affaires sociales. Celle-ci mérite, ce soir, toute notre gratitude. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens d'abord à rendre hommage à l'excellent travail que la commission des affaires sociales a effectué au cours des dernières semaines et au rapport, non moins excellent, de M. Alain Vasselle. Grâce à eux, nous assistons aujourd'hui à une avancée tout à fait sympathique que beaucoup de nos collègues ont déjà soulignée.
Le projet de loi instituant une prestation d'autonomie en faveur des personnes âgées dépendantes, dont nous avions commencé l'examen l'an dernier et qui était, à l'évidence, très attendu, comportait un volet financier qui n'apparaît plus dans la proposition de loi dont nous discutons aujourd'hui. C'est pour cette raison que votre commission des finances, qui était saisie pour avis du projet de loi - elle m'avait désigné à cet effet comme rapporteur - ne l'est pas pour la présente proposition de loi.
Cette proposition de loi s'inscrivant expressément dans l'anticipation d'un futur projet de loi, je voudrais donc simplement me faire l'écho, ce soir, du débat que nous avons eu la semaine dernière en commission des finances. Nous avons, bien entendu, approuvé l'ensemble du dispositif à la fois généreux et rigoureux qui est axé sur l'aide en faveur des plus dépendants et des plus démunis, comme l'a fort bien souligné M. Alain Vasselle dans son rapport.
Nous avons apprécié une proposition de loi qui fait apparaître au moins six avancées importantes : meilleure appréciation de la dépendance ; meilleure participation des collectivités locales et des élus à l'octroi de cette prestation ; meilleure appréciation des charges de la dépendance pour les établissements ; meilleure affectation des dotations financières à la création d'emplois de proximité - je me réfère aux propos de M. le ministre, qui a avancé le chiffre de 50 000 en trois ans : acceptons-en l'augure ! - meilleure adaptation de cette prestation aux besoins des plus démunis et aux moyens financiers de la collectivité nationale ; enfin, meilleure utilisation de la pratique du conventionnement avec les établissements.
Nous avons pris acte du report de la prestation d'autonomie. Cette décision du Gouvernement peut-être difficile mais sage, a tiré les conséquences du problème de financement sur lequel j'avais appelé votre attention l'an dernier dans le rapport pour avis que j'avais présenté dans cet hémicycle.
En effet, le projet de loi ne prévoyait aucune ressource supplémentaire pour gager la contribution du fonds de solidarité vieillesse au financement de la prestation d'autonomie. Le coût de cette prestation, en année pleine, était estimé à 20 milliards de francs, correspondant à 9 milliards de francs de dépenses redéployées et 11 milliards de francs de dépenses nouvelles.
Or, cette participation du fonds de solidarité vieillesse était essentielle pour assurer le bouclage financier du dispositif. Elle seule pouvait garantir que les collectivités locales, essentiellement les départements, ne seraient pas sollicitées au-delà de leurs engagements actuels en faveur des personnes âgées dépendantes.
Certes, depuis la création de la caisse d'amortissement de la dette sociale au début de cette année, le fonds de solidarité vieillesse n'est plus tenu de verser chaque année à l'Etat 12,5 milliards de francs au titre de la dette du régime général reprise en 1993. Mais cette marge de manoeuvre financière n'est plus disponible, car elle a été affectée au redressement de la branche vieillesse.
De même, le projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit que le gain résultant pour le fonds de solidarité vieillesse de l'élargissement de l'assiette de la contribution sociale généralisée sera attribué à la branche maladie, sous la forme de l'affectation d'une fraction des droits sur les alcools actuellement perçus au profit du fonds.
En fait, il apparaît que la création de la prestation d'autonomie est conditionnée au retour de l'ensemble des comptes sociaux à un équilibre financier durable.
Pour autant, la commission des finances relève que l'institution de la prestation spécifique dépendance ne sera certainement pas sans coût supplémentaire, notamment pour les départements qui, aujourd'hui, accordent l'allocation compensatrice pour tierce personne de façon « prudente », dirai-je - chacun m'aura compris !
Cela s'explique, car l'objet de la présente proposition de loi est non pas de permettre des économies aux départements, mais de répondre de façon adéquate aux besoins des personnes âgées dépendantes.
A cet égard, la prestation spécifique dépendance nous est apparue pleinement satisfaisante. J'ai souligné, tout à l'heure, les avancées telles qu'elles étaient apparues au cours des débats en commission des finances.
Cette prestation présente des garanties, mais c'est son efficacité que l'allocation compensatrice est loin d'offrir.
D'une part, son montant est modulé et révisable en fonction du degré de dépendance du bénéficiaire, évalué périodiquement, ce que certains d'entre nous demandaient.
D'autre part, elle est versée en nature pour financer une aide concrète et régulièrement contrôlée.
Ce double principe d'effectivité nous assure que la prestation spécifique dépendance sera non pas inutilement thésaurisée - certains de mes collègues ont déjà employé ce terme avant moi - mais contribuera directement à la création d'emplois de proximité qualifiés. C'est là, je crois, un exemple d'amélioration de l'utilisation des fonds publics qui mériterait de faire école, ainsi que l'ont déjà souligné d'autres intervenants.
Je veux toutefois appeler l'attention sur deux aspects de la prestation spécifique dépendance qui méritent d'être précisés.
Premier aspect : les récupérations sur succession. La présente proposition de loi prévoit que les sommes versées au titre de la prestation spécifique dépendance pourront être recouvrées sur la succession du bénéficiaire, au-delà d'un certain seuil. J'approuve totalement cette disposition, qui apparente la nouvelle prestation à l'aide sociale traditionnelle.
Je sais que certains auraient préféré que la prestation soit servie « à fonds perdus », comme l'ensemble des prestations sociales. Ce sont d'ailleurs souvent les mêmes qui auraient préféré qu'elle soit versée en espèces plutôt qu'en nature. Ce sont deux philosophies qui, sinon s'affrontent, du moins se complètent.
Je crois que ce changement de logique est salutaire. Il est urgent que les Français comprennent que leur protection sociale n'est ni totalement gratuite ni totalement illimitée.
Le principe de la récupération sur succession est par ailleurs cohérent avec la tendance actuelle à la concentration du patrimoine sur les générations les plus anciennes. Ce point est important pour expliquer, justifier le dispositif qui est adopté.
Il est tout à fait possible actuellement d'avoir un patrimoine important sans disposer pour autant de revenus élevés. Dans ce cas, le mécanisme proposé n'empêche pas la solidarité de jouer ; il introduit simplement un correctif financier légitime et nécessaire.
Cependant, pour que le mécanisme soit efficace, il importe, monsieur le ministre, que le seuil de récupération soit fixé à un niveau adéquat.
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Bien sûr !
M. Jacques Oudin. A cet égard, le niveau envisagé de 250 000 ou 300 000 francs me paraît bien trop élevé et aboutirait à priver le mécanisme de l'essentiel de sa portée. En effet, selon une enquête de l'INSEE de 1991, la succession moyenne s'élevait, en France, à 296 000 francs et la succession médiane à 131 000 francs seulement.
Je souhaite donc, monsieur le ministre, que le décret d'application, dont vous aurez la responsabilité, puisse fixer le seuil à un niveau sensiblement plus bas, aux environs de 100 000 francs. Je cite ce chiffre de 100 000 francs, car c'est celui qui était ressorti du débat que nous avions eu en commission des finances il y a quelques mois.
Le second point qui me paraît devoir être précisé est relatif au versement de la prestation spécifique dépendance en établissement.
Dans ce cas, il importe que le calcul du montant de la prestation prenne en considération l'environnement constitué par l'établissement, qui est par nature mieux adapté à la prise en charge de la dépendance. Cela implique que, à niveau de dépendance égale, le montant de la prestation devra être moindre en établissement qu'à domicile.
Les établissements spécialisés dans l'accueil des personnes âgées ne pourront prétendre au versement de la prestation spécifique dépendance que pour la compensation des surcoûts liés à la dépendance qui seront clairement identifiés, ce qui pose le problème de la comptabilité.
Monsieur le ministre, à cet instant de mon propos, j'attire votre attention sur l'urgence de la réforme de la tarification et sur la rigueur des principes qui doivent l'inspirer. Ils étaient prévus dans l'article 44 de la loi du 28 mai 1996, qui précisait : « Une loi réformant la tarification et harmonisant le statut des établissements qui assurent l'hébergement des personnes âgées est adoptée au plus tard le 31 décembre 1996. » Nous y sommes, et il se trouve que c'est une proposition de loi du Sénat qui viendra compléter le dispositif législatif. Cela étant dit, bien entendu, nous attendons les décrets d'application.
J'ai entendu avec intérêt que vous acceptiez de transmettre le rapport conjoint de l'IGAS et de l'IGF à la représentation parlementaire. Je m'étonne d'ailleurs que ce type de rapport ne soit pas transmis automatiquement. Je ne vois pas pourquoi il faut une annonce publique pour ce faire.
En vertu du principe de la transparence, de la clarté de l'action administrative, ce type de rapport devrait nous être adressé le plus rapidement possible. Mais vous vous êtes engagé à nous le transmettre, et nous en avons pris bonne note.
Je reviens sur les problèmes de comptabilité, qui me paraissent extrêmement importants dans l'état actuel de la réforme de nos institutions sociales.
Il faut que nous soyons à même de connaître les coûts. Il faut donc que le système comptable des établissements mais également le système comptable des régimes sociaux nous permettent d'avoir une appréhension claire et nette de l'ensemble de ces coûts.
J'attire également votre attention, monsieur le ministre, sur l'importance de l'informatisation pour permettre la mise en place de ces dispositifs comptables et des comptabilités tant générale qu'analytique. L'informatisation, vous le savez, va de pair avec la réforme comptable générale que nous souhaitons mettre en oeuvre rapidement dans le cadre du redressement des comptes sociaux.
Sous ces deux réserves, la commission des finances salue comme une avancée la création de la prestation spécifique dépendance. Cette position me paraît être conforme à celle de la grande majorité du Sénat.
En effet, face à l'urgence des besoins et aux imperfections des modes de prise en charge existants, le report de la prestation d'autonomie ne pouvait pas servir de prétexte à l'immobilisme. Nous pouvons nous honorer de ce mouvement d'initiative parlementaire, qui a réuni un très large consensus autour de l'impulsion donnée par le président Jean-Pierre Fourcade, à qui je rends hommage, et qui a été approuvé et soutenu par le Gouvernement.
Mais nous devons aussi tirer la leçon du report de la prestation d'autonomie, qui a été imposé in extremis par la contrainte financière. J'estime qu'il serait désormais réaliste, compte tenu du niveau atteint par les dépenses sociales, d'envisager ce que j'appelle un moratoire sur la création de toute prestation nouvelle. Cela veut dire que toute prestation nouvelle devrait pouvoir être gagée par la rationalisation des prestations existantes. C'est un peu la démarche qui a été adoptée pour les prestations familiales. C'est là un langage de vérité que nos compatriotes sont désormais prêts à entendre, me semble-t-il.
Dans le cadre d'une politique sociale qui doit être à la fois généreuse et rigoureuse, face aux contraintes d'un redressement indispensable de nos finances sociales, cette prestation spécifique dépendance montre la voie de la mesure entre les besoins, qui sont par nature illimités, et les moyens, qui, compte tenu du niveau des prélèvements, ne peuvent être que limités. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Huguet.
M. Roland Huguet. « L'instauration d'une prestation autonomie pour les personnes âgées dépendantes est une priorité. C'est pourquoi j'ai tenu à ce que, sans attendre et malgré les contraintes de redressement de nos comptes budgétaires et sociaux, une première étape soit franchie dès l'année prochaine. » Ainsi s'exprimait M. le président de la République, la semaine dernière, à La Villette, à Paris, devant la fédération nationale des clubs d'aînés ruraux.
Nous pouvons tous mesurer la distance qui sépare cette assertion du texte que nous examinons. J'accorde cependant d'emblée au Président de la République que la promesse, contenue dans le texte, de la mise en place effective des 14 000 lits de section de cure médicale autorisés mais non financés peut éventuellement justifier une partie de sa déclaration.
Néanmoins, monsieur le ministre, je vous avoue mon inquiétude. En effet, si, devant le congrès des présidents de conseils généraux, vous avez été net et sans restriction - « 14 000 lits seront financés en deux ans. » Si, tout à l'heure, ici même, à cette tribune, vous avez repris ce propos, vous avez toutefois ajouté : « ... selon les possibilités. » (M. le ministre fait un signe de dénégation.)
Je vous vois faire un signe de dénégation. Tant mieux, car, dans mon département, nous dépensons chaque année entre 60 et 80 millions de francs de sommes indues à la place, évidemment, de ce qui est autorisé mais n'est pas encore financé. J'espère donc que ces 14 000 lits seront financés.
Personne ne peut sérieusement dire que le texte sur la prestation spécifique dépendance dont nous débattons aujourd'hui constitue une première étape vers la prestation d'autonomie. Il aurait pu s'intituler : « Modification de l'attribution de l'allocation compensatrice pour tierce personne versée aux personnes handicapées après soixante ans ». Car la réalité est là, tout simplement. J'ai d'ailleurs entendu le mot « humilité » dans la bouche de collègues de la majorité, et je crois qu'il est assez juste.
Encore que, comme rien n'est simple dans la vie si le dispositif prévu se révèle efficace au niveau des équipes médico-sociales, du suivi, c'est peut-être sur cet existant qu'il faudra s'appuyer pour une mise en place rapide, quand son heure viendra, de la prestation d'autonomie, que, en conclusion de son propos, M. Fourcade appelait aussi de ses voeux, mais, ajoutait-il, « dès que possible » et « au moins progressivement. » C'est dans cette seule perspective que nous pouvons accorder à ce texte le caractère de première étape.
Venons-en à cette modification de l'ACTP, appelée prestation spécifique dépendance.
Il s'agirait, finalement - plusieurs collègues l'ont dit - d'une régularisation puisque l'ACTP avait été créée pour les personnes handicapées ayant l'âge de la retraite. En fait, cela n'était nullement précisé alors. Mais il est vrai qu'en 1975 le phénomène de la vieillesse dépendante n'apparaissait que marginal. La loi d'alors n'a pas été mal faite ; c'est la vie qui a évolué. Il est cependant indéniable que cette évolution a entraîné des dépenses considérables pour les conseils généraux.
Ce nouveau texte a-t-il l'ambition de régulariser les choses, de juguler l'augmentation des dépenses ? Si oui, qu'en est-il réellement ?
Voyons d'abord les dispositions qui peuvent venir en atténuation de ces dépenses.
Premièrement, étant donné la diversité des interactions et des financeurs en faveur des personnes âgées dépendantes, une harmonisation des prises en charge ainsi qu'une rationalisation des coûts associée à la mise en commun des moyens sont à rechercher à travers les conventions de partenariat prévues.
Deuxièmement, la prise en compte des ressources réelles pour l'attribution de la PSD, au lieu des seuls revenus imposables, peut faire diminuer le nombre de prestataires.
Troisièmement, si l'évaluation de la dépendance en établissement est faite par les mêmes équipes que celles qui procèdent à l'évaluation quel que soit le lieu de vie de la personne, cela peut éviter que les établissements n'aient la tentation de majorer le niveau de dépendance, puisque c'est celui-ci qui déterminera le montant de l'aide.
Quatrièmement, les récupérations sur succession seraient plus importantes qu'en matière d'ACTP, le projet ne mentionnant aucun héritier susceptible d'être exonéré alors que les conjoints, les enfants et les personnes ayant assuré la prise en charge effective et constante du handicapé sont exonérés s'agissant de l'ACTP. Cette disposition constituera certainement un frein à la demande de PSD.
Enfin, l'ajout du critère subjectif « d'environnement de la personne », à côté du critère plus objectif d'évaluation, à partir de la grille AGGIR, peut permettre à certains départements d'écarter un nombre de bénéficiaires potentiels s'ils le souhaitent.
Mais, à côté de ces atténuations possibles, on trouve également des facteurs de hausse.
Premièrement, on peut constater une augmentation des coûts de gestion, puisque les charges de gestion de l'ACTP sont actuellement supportées par l'Etat à travers le financement du fonctionnement des COTOREP.
Deuxièmement, il convient de prendre en compte le risque de désengagement des caisses de retraite, qui financent actuellement l'aide ménagère.
Troisièmement, si, aujourd'hui, l'ACTP n'est pas versée au-dessous d'un taux de 40 % d'invalidité, en ce qui concerne la prestation d'autonomie, le principe d'une modulation de l'allocation de 0 % à 80 % avait été retenu. S'il en est de même avec la PSD, de nouveaux bénéficiaires, actuellement exclus de l'ACTP, vont apparaître.
Quatrièmement, il faut faire attention aussi au transfert, dans les établissements, des dépenses de nursing , pour le moment financées dans le cadre des forfaits soins.
Cinquièmement, enfin, avec l'ACTP, contrôleurs et COTOREP avaient parfois tendance à minimiser le besoin d'aide, dans le mesure où l'allocation était versée en espèces et qu'il n'y avait pas de garantie d'effectivité d'emploi. Avec la PSD, qui est versée en nature, le risque de détournement devient nul et l'attitude des personnes chargées de l'instruction risque d'évoluer en conséquence.
Cependant, ce texte comporte un intérêt majeur à mes yeux, on l'a dit avant moi, mais je le répète bien volontiers : le remplacement de l'allocation en espèces par une allocation en nature. En effet, théoriquement, cela devrait entraîner la création d'un certain nombre d'emplois.
Monsieur Fourcade, vous avez cité tout à l'heure mon propos en commission ; je vais l'affiner. ( M. le président de la commission et M. le rapporteur sourient.)
Je vous livre le résultat de mes calculs : dans le Pas-de-Calais, sur les douze derniers mois, nous avons versé 173 millions de francs pour l'ACTP, dont 40 millions de francs pour les personnes en établissement.
S'agissant de ces dernières, on peut estimer qu'il n'y aura pas création d'autres emplois. Il reste donc 133 millions de francs, dont il faut déduire encore 10 %, puisque c'est le pourcentage généralement admis de personnes dépendantes à domicile qui emploient effectivement une tierce personne. Il reste donc finalement 120 millions de francs.
En affectant 130 000 francs par emploi - salaire plus charges - on pourrait donner du travail à 900 personnes.
Ce résultat recoupe à peu près les chiffres que vous avanciez tout à l'heure, puisque 2 800 à 3 000 personnes perçoivent actuellement l'ACTP.
Bien sûr, dans ce calcul, on ne tient pas compte de la progressivité de la mise en place et des inconnues que j'évoquais précédemment. On ne tient pas compte non plus du fait que ce texte n'apporte aucune précision sur la nécessité de former les personnels intervenant auprès des personnes âgées ni sur l'exigence d'encadrement de ces mêmes personnels par des structures professionnelles garantissant la qualité et la continuité du service offert.
Lors du débat sur la prestation d'autonomie, j'avais déjà souligné l'importance de la mise en place d'un programme de développement des services de maintien à domicile des personnes âgées dépendantes afin de rétablir l'égalité entre ces dernières quant au service offert.
Je ne peux que regretter l'absence de ce type de proposition dans le texte qui nous est soumis aujourd'hui.
Je regrette aussi le manque de précision sur la composition des équipes médico-sociales, élément essentiel de la réussite ou non de la mise en application de la mesure.
Il aurait été utile, je crois, de notifier - on peut toujours le faire, me direz-vous - la nécessité de la présence dans ces équipes, de professionnels du secteur et de représentants des personnels de services d'aide à domicile proches des personnes sollicitant la prestation.
Enfin, reconnaître l'aspect déterminant de l'avis du médecin traitant dans la décision d'attribution et l'élaboration du type de prise en charge me paraissait également essentiel. Par sa connaissance de la personne âgée, de ses manques, de ses besoins réels, le médecin traitant est le véritable garant de l'efficacité de la réponse apportée à la demande exprimée.
Venons-en à la validité de ce texte en tant que première étape dans la mise en place de la protection face au risque de dépendance liée à l'âge.
Monsieur le ministre du travail et des affaires sociales, vous avez déclaré, lors des troisièmes rencontres parlementaires sur la longévité du mois de mai 1996, que l'expérimentation conduite sur la mise en application de la prestation d'autonomie dans les douze départements volontaires avait permis de mettre en évidence une réelle amélioration de la prise en charge des personnes âgées dépendantes. Des personnes qui ne pouvaient bénéficier de l'allocation compensatrice pour tierce personne en raison du niveau de leurs ressources et d'autres, lourdement dépendantes, pour qui la combinaison de l'allocation compensatrice et de la prestation complémentaire avait permis d'atteindre un montant global supérieur à celui de la seule allocation compensatrice avaient pu ainsi obtenir une aide.
Or, que trouvons-nous aujourd'hui dans le texte définissant les conditions d'attribution de la prestation spécifique dépendance ? On l'a dit avant moi : il est proposé d'abaisser le plafond de ressources de 9 329 francs, montant prévu par le texte sur la prestation d'autonomie, à 7 694 francs, en interdisant, de surcroît, le cumul de la prestation avec d'autres aides ! Cela veut dire que, en son état actuel, la mesure ne s'appliquera à taux plein qu'aux seules personnes percevant l'équivalent du minimum vieillesse.
Etant donné les résultats de l'expérimentation, il est curieux de trouver de telles propositions dans un texte qui est normalement destiné à constituer le premier pas vers la mise en place de la prestation d'autonomie, laquelle interviendra, cela a été promis, dès que les jours seront meilleurs. Il m'apparaît nettement que, loin de constituer un premier pas, la prestation spécifique dépendance représentera un recul pour certaines catégories de personnes âgées.
De plus, ce texte est totalement injuste et crée une inégalité entre les départements et les populations de personnes âgées dépendantes.
Que les dispositions très favorables de l'expérimentation soient maintenues dans les départements où celle-ci est en cours paraît normal au regard des personnes concernées. Mais qu'il n'y ait pas possibilité de généralisation - généralisation que vous aviez vous-même souhaitée lors de ces mêmes rencontres, monsieur le ministre, en complément du versement de l'ACTP en nature pour une période transitoire - pose un véritable problème car, dès lors, l'injustice est flagrante.
J'avais déjà attiré votre attention, monsieur le ministre, lors du débat sur la prestation d'autonomie, sur le danger d'accentuation des inégalités entre les départements. Aujourd'hui, avec de telles dispositions, nous nous trouvons confrontés à une véritable inégalité entre les personnes âgées dépendantes, inégalité tenant uniquement à leur lieu de résidence et, par là même, d'autant moins supportable.
Cette inégalité se retrouve à tous les niveaux : qualité du service rendu, choix offert dans le type de prise en charge et possibilité d'y accéder. Cette injustice, s'ajoutant à un net recul du potentiel d'aide apportée aux plus âgés d'entre nous, est plutôt inacceptable.
Que dire aussi du changement de référence révélé rien que par l'appellation du texte ?
En instituant par cette proposition de loi une « prestation spécifique dépendance », on en arrive à traiter non plus d'autonomie mais de dépendance. C'est là véritablement une autre façon d'appréhender les choses.
Pourtant, si je me réfère encore à vos propos, monsieur le ministre, tenus lors de ces rencontres parlementaires sur la longévité, cette nouvelle approche va totalement à l'inverse de ce que vous souhaitiez vous-même. Vous déclariez, en effet, préconiser la préparation de la vieillesse dès l'enfance et l'adolescence, la responsabilisation de la population à l'égard de son corps. Vous estimiez que chacun devait se préparer à mieux vieillir.
Comment espérer faire évoluer l'état d'esprit de chacun d'entre nous vis-à-vis du vieillissement, alors que, par exemple, la vieillesse est étroitement associée à la notion de dépendance et que la ségrégation par l'âge entre les handicapés se trouve « institutionnalisée » ?
S'attacher à promouvoir le « bien vieillir », prévenir la dépendance liée à l'âge, c'est effectivement tout à fait souhaitable, et même nécessaire. Mais, pour ce faire, pour sensibiliser les jeunes, notamment, à une autre vision possible de la vieillesse, n'aurait-il pas mieux valu conserver à ce texte objectif de préservation de l'autonomie plutôt que de l'associer à la dépendance ?
De plus, maintenir l'aide apportée dans le champ de l'aide sociale, c'est oublier que le vieillissement est l'affaire de tous. La dépendance consécutive à l'âge est un véritable risque pour chacun d'entre nous. N'oublions pas - on l'a rappelé avant moi - que c'est la tranche d'âge des plus âgés qui va connaître la plus forte croissance d'ici à 2010. La prestation d'autonomie réellement susceptible de nous protéger de ce risque se devra d'être une allocation de solidarité nationale et non plus d'aide sociale.
Face à cette réalité, la prestation spécifique dépendance n'est pas la réponse que les personnes âgées sont en droit d'attendre... que nous sommes en droit d'attendre. Ainsi que l'occurrence, je le disais au début de mon propos, elle n'est bien qu'une allocation compensatrice pour tierce personne attribuée aux handicapés de plus de soixante ans. Cette prestation est insuffisante pour apporter une réponse adaptée aux problèmes des personnes âgées dépendantes, particulièrement à celles qui disposent de revenus intermédiaires, ces dernières étant exclues puisque l'accès à la prestation est soumis à des conditions de ressources. La prestation d'autonomie comportait déjà un risque pour cette catégorie de personnes. Avec ce texte, le risque aujourd'hui devient réalité.
Quant au principe de récupération sur succession, outre qu'il va accentuer les différences entre la prise en charge des personnes âgées de plus de soixante ans et celle des personnes de moins de soixante ans, il aura un effet dissuasif indéniable auprès de ceux qui pourraient solliciter cette prestation, bon nombre de personnes âgées pouvant renoncer à solliciter cette prestation afin de préserver les relations avec leurs descendants. De ce point de vue, cette disposition traduit également une véritable régression par rapport à l'allocation compensatrice pour tierce personne.
Que dire, enfin, de la discrimination apparaissant entre les personnes restant à domicile et celles qui sont accueillies en établissement ? Le texte ne prévoit-il pas des modalités différentes entre eux pour la récupération sur succession en fixant un seuil d'actif net successoral en deçà duquel la récupération ne serait plus opérée à domicile, alors que les hospitalisés s'y verraient soumis dès le premier franc ? Il s'agit, là encore, d'un véritable préjudice, vraisemblablement pour les plus dépendants.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Cela a été corrigé !
M. Roland Huguet. Merci, monsieur le rapporteur !
En conclusion, bien qu'il soit un sujet de satisfaction pour nous sénateurs - je le répète bien volontiers après d'autres - puisqu'il s'agit d'un texte d'initiative parlementaire accepté en urgence par le Gouvernement - ce serait d'ailleurs une bonne habitude à conserver - ce texte ne peut, en aucun cas - je le dis une dernière fois - être assimilé à la création de la prestation d'autonomie, ou alors il faudrait préciser qu'il s'agit d'une prestation d'autonomie light ! (Sourires.)
Comme je vous l'ai dit au cours de mon propos, son seul mérite, à mes yeux, outre qu'il constitue une tentative d'adaptation de l'ACTP, est d'introduire une prestation en nature. L'avenir nous en montrera les conséquences sur l'emploi, car le texte, soit dit en passant, ne précise par de cadre dans ce domaine.
Ce texte, nous pourrions l'adopter suivant la règle « qui peut ou veut le plus, peut le moins ». Il se trouvera, sans aucun doute, une majorité pour le faire. Peut-être, d'ailleurs, le voterons-nous, si, comme Mme Dieulangard l'a dit tout à l'heure, nos amendements sont adoptés.
En tout cas, comme d'autres, nous nous efforcerons sur le terrain de venir en aide aux personnes âgées dépendantes avec les moyens dont nous disposerons, en attendant la création de la véritable prestation d'autonomie. Nous estimons que cette prestation doit s'inscrire dans un véritable projet social pour les personnes âgées, alliant le médical et le social, dans une politique globale et communautaire destinée à préserver chacun d'entre nous des conséquences terribles que peut avoir le vieillissement sur l'autonomie, y compris sur celle, ne l'oublions jamais, des plus actifs d'entre nous. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Collard.
M. Henri Collard. Mes chers collègues, l'importance de la proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise mérite d'être soulignée.
Voilà un peu moins d'un an, le Gouvernement avait déposé un projet de loi instituant une prestation d'autonomie pour les personnes âgées dépendantes faisant, ainsi de cette question l'une des priorités de son action. Peut-être les difficultés financières, comme vous l'avez indiqué, monsieur le ministre, vous ont-elles contraint à différer l'examen de ce texte. Mais, en déclarant l'urgence sur cette proposition de loi, ce dont je vous remercie, vous venez de reconnaître qu'il devenait urgent de légiférer en cette matière.
Dans l'attente d'un futur projet de loi, cette proposition de loi intervient pour instaurer un régime transitoire rendu nécessaire par la croissance constante du nombre des personnes âgées dépendantes, tout particulièrement des plus dépendantes d'entre elles. Il me paraît néanmoins tout à fait inopportun et très prématuré de soutenir, comme je l'ai entendu tout à l'heure, qu'une personne sur deux vivra cent ans à la fin du prochain siècle. En effet, des progrès médicaux et sociaux aussi rapides que ceux qui sont intervenus depuis cinquante ans sont peu probables. Ils nécessiteront des efforts techniques et financiers très importants, inimaginables aujourd'hui, en particulier en matière de cancérologie, de maladies cardio-vasculaires et, malheureusement, pourquoi pas ? - de maladies encore inconnues.
Cette proposition de loi devrait être à l'origine d'une meilleure équité entre les personnes âgées d'un même département et surtout de départements différents, grâce à l'utilisation de la grille nationale AGGIR, qui définit le niveau de la dépendance, et à son application généralisée, aussi bien à domicile qu'en établissement.
Partageant les réflexions et les suggestions des auteurs de la proposition de loi, complétée par l'important travail de la commission des affaires sociales, notamment de son président et de son rapporteur, je me bornerai à formuler quelques observations.
Je commencerai par deux observations qui sont à l'origine de deux amendements que j'ai déposés.
La première concerne les conventions signées par le département avec les organismes de sécurité sociale, la mutualité sociale agricole et, éventuellement, d'autres organismes sociaux ou médico-sociaux, les CCAS par exemple.
Dans l'article 11, qui reprend l'article 6 de la proposition de loi initiale, le terme « département » qui est employé me paraît trop vague. Je pense qu'il serait préférable de le remplacer par les mots « président du conseil général », afin qu'aucune confusion ne soit possible. En effet, c'est bien le président du conseil général qui signera cette convention avec les organismes de sécurité sociale, de mutualité sociale agricole ou avec d'autres organismes.
Je souhaiterais, en second lieu, mes chers collègues, attirer votre attention sur la question de l'évaluation de la dépendance lors de l'entrée en établissement.
Toutes les personnes âgées n'ont pas le même niveau de dépendance - celui-ci sera évalué par la grille AGGIR - ni la même nature de dépendance - je pense aux différents handicaps, aux différentes maladies notamment à certaines maladies, mentales spécifiques aux personnes âgées.
Les établissements pour personnes âgées doivent posséder non seulement des équipements, mais surtout un personnel spécifiques. Il est souhaitable qu'à l'équipe médico-sociale départementale, éventuellement complétée par la présence d'un ou plusieurs responsables communaux, soit associé un médecin attaché à l'établissement. Il est important en effet qu'un médecin, tout au moins une personne qualifiée, donne son avis avant l'entrée d'une personne âgée dans un établissement.
Je souhaiterais maintenant, en tant que membre de la commission des finances et président de conseil général, faire une observation relative à l'aspect financier de la proposition de loi.
Bien que cette proposition de loi engage a priori des dépenses moins élevées que le projet de loi sur l'autonomie proposé voilà un an, il me paraît prudent d'introduire une disposition qui permette d'assurer une évaluation périodique des retombées tant sociales que financières des mesures adoptées. A cette fin, j'ai déposé un amendement visant au dépôt d'un rapport annuel d'évaluation devant le Parlement, dans la mesure où, bien entendu, le projet de loi ne serait pas déposé d'ici à un an.
Cela permettrait de contrôler financièrement la mise en place d'une telle politique et d'en évaluer les coûts pour l'avenir.
Le texte que nous examinons aujourd'hui doit pallier l'absence d'une loi spécifique instituant une prestation d'autonomie. Aussi, lorsque ce projet de loi viendra en discussion, le rapport auquel je viens de faire allusion se révélerait d'une réelle utilité puisqu'il nous permettra de débattre avec une meilleure connaissance des données.
Enfin, je me félicite des modifications apportées par la commission des affaires sociales, notamment en ce qui concerne la récupération sur succession.
J'avais souhaité déposer également un amendement tendant à limiter la distinction, qui m'avait un peu étonné, établie en matière de recours en récupération selon que la prestation est versée à domicile ou en établissement. Avec satisfaction, j'ai constaté que la commission s'était prononcée dans le même sens. Les dispositions contenues dans la proposition de loi initiale risquait en effet d'être à l'origine de profondes injustices. Je rappelle à ce propos que le seuil envisagé de 250 000 francs correspond au montant moyen des successions en France.
Je le répète, les personnes âgées en hébergement, les plus dépendantes donc, se seraient trouvées pénalisées par rapport aux personnes âgées maintenues à domicile, ou par rapport à celles qui, bénéficiaires de la prestation spécifique dépendance à domicile, auraient terminé leur vie en établissement.
En définitive, cette proposition de loi constitue une avancée supplémentaire dans la mise en oeuvre d'une politique gérontologique globale, amorcée par les expérimentations prévues par la loi du 25 juillet 1994.
En outre, grâce aux attributions en nature qu'il prévoit, ce texte doit favoriser la création de nombreux emplois de proximité, ce que nous souhaitons tous.
Voilà pourquoi, en ce qui me concerne, je le voterai. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la dépendance des personnes âgées est un phénomène que notre société connaît maintenant depuis de nombreuses années. Comment avons-nous essayé de le traiter jusqu'à maintenant ?
Sur le terrain, d'abord, nous avons essayé, au hasard des besoins, de bâtir des réponses tirées de l'expérience, des réponses de bric et de broc. Puis, nous avons utilisé une loi qui n'était pas faite pour cela. Or ce n'est jamais satisfaisant dans un Etat de droit d'appliquer un texte à autre chose que ce pour quoi il a été élaboré.
Sur le plan législatif, de nombreux projets ou propositions de loi relatifs à la dépendance ont fleuri ces dix dernières années. Les gouvernements successifs ont élaboré des projets ; aucun n'a pu aboutir. De ce point de vue, notre collègue M. Huguet a-t-il sans doute été un peu trop sévère. La modestie sied à chacun...
Par rapport aux textes précédents, la proposition de loi déposée par M. le président Fourcade et excellement soutenue par M. le rapporteur présente un avantage immense : elle est applicable. Loin d'être mineur, ce point est essentiel. C'est la raison pour laquelle cette proposition de loi constitue à mon sens une étape essentielle dans la prise en charge de la dépendance des personnes âgées.
Pourquoi une étape essentielle ? Parce qu'elle m'apparaît à la fois fondatrice et réaliste.
Je n'entrerai pas dans le détail du dispositif, que notre rapporteur a excellement rappelé et que nous aurons le temps d'examiner en profondeur pendant deux jours. Mais permettez-moi d'insister sur les caractéristiques essentielles de cette proposition de loi.
Il s'agit donc d'une étape fondatrice. En effet, pour la première fois dans notre droit, apparaîtra une définition de la personne âgée dependante. Ce n'est pas une personne handicapée ; c'est une personne qui, en raison de son âge, a besoin d'une aide et d'une surveillance particulières.
Le fait que l'on opère une distinction entre le handicap et la dépendance constitue un progrès, pour les personnes âgées mais aussi pour les handicapés, qui voyaient avec inquiétude le dévoiement de la loi de 1975.
Autre point fondamental : la proposition de loi sénatoriale prend en compte la personne dans sa globalité. Si le texte est adopté, la dépendance sera évaluée selon une procédure unique sur tout le territoire de la République, les réponses étant adaptées à chaque personne et à son environnement.
Ainsi sera garantie l'égalité entre toutes les personnes dépendantes selon le degré de leur dépendance.
Enfin, dernier apport fondateur qui me paraît tout à fait essentiel, cette proposition de loi sénatoriale n'est pas faite pour les départements ou pour les présidents de conseil général - ce serait la caricaturer que de la présenter ainsi. Au contraire, elle doit organiser, autour de la personne âgée, un partenariat regroupant les départements, les caisses de sécurité sociale, les associations et les services d'aide à domicile. Un tel partenariat est né de l'expérimentation et, si nous le voulons, il deviendra demain le droit.
Il est tout à fait intéressant de voir comment on peut ainsi faire émerger le droit.
Cette proposition constitue donc une étape fondatrice. Mais c'est aussi une étape réaliste.
Cette étape est réaliste parce que la prestation est en nature, et je voudrais à cet égard préciser un point qui me paraît essentiel.
Aujourd'hui, notre pays, compte tenu de la crise qu'il traverse, a besoin d'actions sociales et donc de dépenses sociales, nous le savons tous. Mais nous savons également qu'il est nécessaire de faire accepter ces dépenses sociales par les populations. Pour cela, existe-t-il un meilleur moyen, dans un pays qui compte trois millions de demandeurs d'emploi et presque un million de titulaires du RMI, que de rappeler que les dépenses sociales sont d'abord et avant tout des dépenses d'emploi ?
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Très bien !
M. Michel Mercier. Lorsque nous payons des prix de journées, lorsque nous assurons le fonctionnement des établissements à 80%, ce sont des emplois que nous finançons. Lorsque nous créons une prestation en nature, cela représente aussi des emplois.
Y aura-t-il 5 000, 10 000 ou 50 000 emplois ? Il y en aura, et c'est là l'essentiel. De plus, parce qu'il existera un partenariat entre les départements et les associations d'aide à domicile, ce seront à la fois des emplois pérennes et de vrais emplois, comportant une formation et impliquant un authentique professionnalisme.
Autre apport essentiel de ce texte : le rôle reconnu au maire.
Les communes vont, bien entendu, payer une partie de cette prestation au travers des contingents d'aide sociale ; mais, au-delà de la question financière, ce qui est important, c'est que, en matière sociale, la décision soit prise au plus près des personnes, qu'elle puisse toujours être expliquée.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Tout à fait !
M. Michel Mercier. Certes, ce texte ne règle pas tous les problèmes. Vous avez remarqué, monsieur le ministre, que l'Etat y est peu sollicité. Probablement les auteurs de la proposition de loi connaissent bien la situation des finances de l'Etat !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Voilà !
M. Michel Mercier. Mais il est un point pour lequel nous ne pourrons pas vous tenir quitte : la tarification.
Vous avez été relativement vague à ce sujet dans votre intervention, et cela peut s'interpréter de deux manières. Pour ma part, je préfère ne retenir que l'interprétation positive : cela signifie que vous n'avez pas encore pris votre décision. (Sourires.) Mais nous, nous savons bien ce que nous voulons.
Il convient de distinguer très clairement ce qui relève du sanitaire et ce qui relève du social. Il faut que le prix fixé couvre l'ensemble du sanitaire ; le prix de l'hébergement ne doit pas représenter, tel un solde, tout ce qui n'aura pas pu être tarifé par ailleurs.
Je souhaite qu'au cours de la discussion vous puissiez nous donner votre accord sur ce point, monsieur le ministre. Mais nous aurons bientôt l'occasion, me semble-t-il, lors de l'examen d'un autre texte, de vous dire que, selon nous, le sanitaire relève de l'Etat et que le social peut être partagé entre l'Etat et les collectivités locales.
Ce texte constitue une étape fondatrice et réaliste. Il va donc donner lieu à des avancées. Mais des évolutions sont encore possibles et souhaitables.
Il faudra, en effet, ouvrir plus largement ce droit à la prestation spécifique dépendance, notamment aux classes moyennes.
Il faudra aussi organiser la péréquation, certains départements abritant plus de personnes âgées et, parfois, ayant moins de moyens que d'autres.
Mais ce ne sont pas les départements qui peuvent réaliser entre eux la péréquation, de la même manière que ce ne sont pas les seules finances départementales qui peuvent répondre à l'attente des classes moyennes.
Il faudra donc organiser un nouveau partenariat entre l'Etat et les collectivité locales. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la dépendance des personnes âgées constitue un véritable problème de société ; cela a été affirmé tout au long de cette soirée.
Certains estiment en effet à un million et demi le nombre des personnes âgées dépendantes et à environ 13 % de la population âgée la proportion des personnes qui ne peuvent effectuer seules les actes essentiels de la vie courante.
En outre, les personnes les plus dépendantes se révèlent être les plus âgées et ne sont pas les plus aisées parmi les retraités.
C'est à ces personnes âgées que s'adressent prioritairement les dispositions contenues dans le présent texte.
Les personnes âgées dépendantes et leurs familles ne peuvent plus assumer l'intégralité de la charge qu'implique la dépendance : celle-ci est trop lourde financièrement pour les premières et elle représente trop d'heures d'aide pour les secondes.
Il convient donc non seulement d'apporter un soutien aux personnes dépendantes elles-mêmes mais aussi et surtout de mener une politique volontariste d'aide aux aidants.
La création d'une nouvelle prestation est d'autant plus nécessaire que le système actuel, centré sur l'ACTP, se révèle à la fois inadapté et de plus en plus lourd pour les finances départementales.
Ainsi, la proportion des personnes âgées de soixante ans et plus parmi les bénéficiaires de l'ACTP a augmenté de près de 15 % entre 1984 et 1991, pour atteindre 65 % du total des allocataires.
L'ACTP fait l'objet d'un usage détourné et est soumise à de nombreuses critiques : critères d'attribution mal définis, procédure trop lente, allocation peu adaptée pour les personnes âgées qui se trouvent en institution, etc.
Une réforme est indispensable, car la charge liée à l'augmentation constante du nombre des bénéficiaires devient insupportable pour les départements, freinant leur politique d'investissement.
Ces dépenses ont augmenté en moyenne de 6 % par an jusqu'en 1989, puis de 9 % par an. Les départements supportent donc une charge importante sans la maîtriser.
Le texte soumis aujourd'hui à notre examen permet de concilier plusieurs enjeux fondamentaux : la maîtrise de nos déficits publics ; l'adaptation de l'aide aux besoins et aux attentes des personnes dépendantes ; une plus grande maîtrise par le département de la distribution de l'aide.
Mes chers collègues, cette proposition de loi, brillamment complétée par le rapport d'Alain Vasselle, est d'une grande qualité. Elle constitue une avancée significative, et ce à plusieurs égards.
Premièrement, elle prévoit un contrôle de l'effectivité de l'aide, contrôle indispensable pour éviter tout risque de thésaurisation.
Deuxièmement, en ce qui concerne les personnes dépendantes vivant en établissement, l'idée d'introduire une aide en fonction de l'état de la personne, et non selon la nature du logement, est très pertinente. C'est la garantie d'une neutralité financière dans le choix de l'hébergement.
Troisièmement, et c'est à mon avis l'aspect le plus remarquable, la proposition de loi tire les leçons des expérimentations menées depuis plus d'un an.
Le premier enseignement positif de ces expérimentations réside dans le succès de la mise en place d'une véritable coopération entre les différents partenaires concernés, coopération qui tient compte des réalités locales, afin de répondre au mieux aux besoins des personnes âgées.
Le fonctionnement du dispositif a révélé les points forts de ce partenariat : la mise en oeuvre d'un travail pluridisciplinaire dans un cadre interinstitutionnel, la possibilité de faire appel à des professionnels aux qualifications différentes ainsi que l'amélioration de la connaissance des situations et des besoins des personnes âgées.
En outre, le principe d'une visite à domicile, l'existence d'une grille nationale et, surtout, la nécessité de contrôler l'application d'un plan d'aide constituent de réelles avancées, que la proposition de loi reprend et perfectionne.
Enfin, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat d'aujourd'hui nous donne aussi l'occasion de mener une réflexion sur certaines questions fondamentales qu'il convient de ne pas trancher à la hâte. Aussi me permettrez-vous de formuler quelques observations.
Tout d'abord, il me semble qu'il existe une fâcheuse inégalité dans la prise en charge des personnes selon qu'elles sont accueillies en établissement ou qu'elles demeurent à domicile.
On note que, si les dépenses augmentent avec le degré de dépendance quand la personne vit à domicile, elles restent stables quand celle-ci est hébergée en institution. Ce simple constat prouve qu'il existe un ajustement personnalisé des aides en fonction des besoins à domicile, ce qui ne semble pas être le cas en institution.
En outre, il est sans doute regrettable, comme le souligne le Conseil économique et social dans son avis relatif à la prestation autonomie, que les maisons d'accueil pour personnes âgées dépendantes, bien adaptées aux besoins, soient trop peu nombreuses et inégalement réparties sur le territoire. La création de lits supplémentaires ou le redéploiement de moyens disponibles sont envisagés. Il est urgent de prendre de telles mesures.
Les personnes âgées dépendantes et surtout leurs familles doivent pouvoir disposer d'un véritable choix entre l'accueil en institution et le maintien à domicile, choix que nous nous devons de garantir.
Une politique volontariste, allant au-delà d'une nécessaire réforme de la tarification, devrait donc être envisagée.
Permettez-moi d'évoquer maintenant la question de la réversibilité de l'aide.
La dépendance est un processus et non un état. Il convient, par conséquent, d'être vigilant quant à la construction de grilles. En effet, en fixant la situation administrative d'une personne à un moment donné, même s'il est difficile de faire autrement pour verser une prestation, on prend le risque de voir certaines personnes s'installer dans l'assistanat. Or la situation de dépendance est parfois temporaire.
Il me paraît ainsi essentiel que l'instauration d'une grille d'évaluation soit accompagnée, dès le départ, des conditions de sa révision et de la réévaluation de la prestation dépendance, tant à la hausse qu'à la baisse.
Ma dernière remarque a trait à la formation des aidants.
L'aide à la personne dépendante fait intervenir des emplois qualifiés, impliquant un rapport de confiance et supposant une réelle formation.
En outre, les personnes dépendantes, notamment lorsqu'elles sont maintenues à domicile, ont besoin d'une aide personnalisée, d'un aidant unique polyvalent et « polycompétent ».
Or les formations existantes, trop cloisonnées, ne semblent pas adaptées actuellement à ce nouveau type d'attente. Il est urgent de remédier à cette situation pour rendre le versement de la prestation véritablement efficace.
Une telle adaptation est d'autant plus urgente, que l'instauration de la prestation prévue doit s'accompagner de la création de nombreux emplois.
Le texte dont nous débattons aujourd'hui ouvre la voie à une réflexion profonde sur ce nouveau défi que notre pays se doit de relever. C'est la raison pour laquelle mes collègues du groupe RPR et moi-même le voterons. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent débat montre bien qu'il est difficile de parler de la prestation spécifique dépendance sans évoquer d'autres prestations : l'allocation compensatrice pour tierce personne, la prestation dépendance, la prestation autonomie ou la prestation expérimentale dépendance.
Lorsque, à l'automne 1994, le Gouvernement décida que douze départements participeraient à une expérimentation, le département dont je suis l'élu, la Haute-Vienne, fut tout de suite candidat, et cela essentiellement pour deux raisons.
D'abord, la Haute-Vienne présente une structure d'âge qui préfigure ce que sera celle de la France dans quelques années puisque, d'ores et déjà, 20 % des habitants ont plus de soixante-cinq ans et près de 10 % plus de soixante-quinze ans.
Ensuite, nous accomplissons depuis quinze ans un effort important en faveur des personnes âgées, non seulement en vue de l'humanisation des structures d'hébergement existantes et de la création de lits, mais aussi et surtout pour le maintien à domicile. En effet, depuis quatorze ans, existent des structures de coordination gérontologiques qui couvrent l'ensemble du département et un ensemble de services performants s'est mis en place : services de soins, nursing, travaux ménagers, repas à domicile, télésécurité et téléalarme, etc.
Or, vous le savez, la PED était réservée aux personnes maintenues à domicile et, qui plus est, à législation constante ; autrement dit, l'ACTP restait le pilier de cette intervention. Elle l'a été effectivement puisque, lorsqu'on dresse le bilan d'un an d'expérimentation dans mon département, on constate que 78 % des versements proviennent bien de cette allocation compensatrice.
Malgré tout, il était intéressant de tester ce dispositif, d'évaluer dans quelles conditions un partenariat pouvait s'établir avec les caisses, dans l'instruction comme dans le suivi, d'affiner, avec la grille AGGIR, l'évaluation de la dépendance dans une perspective évolutive, d'envisager les effets de la nouvelle prestation sur l'emploi.
Tous ces aspects de l'expérience ont été relativement positifs, même si l'évaluation des résultats est très diverse d'un département à l'autre et si elle a été perturbée par l'annonce intempestive de la création prochaine d'une prestation d'autonomie, qui, vous le savez, ne s'est finalement pas réalisée.
On enregistre des effets positifs sur l'emploi, surtout lorsqu'un effort très scrupuleux a été réalisé pour mesurer l'effectivité et pratiquer le paiement en nature. Il est vrai que, dans bien des cas, il s'est agi de régulariser des situations plutôt que de créer des emplois nouveaux.
On note un autre effet positif : le raccourcissement, très souhaitable, des délais d'instruction, même si, là encore, le passage obligé en COTOREP - obligé parce que l'on était à législation constante - a continué à imposer sa lourdeur.
Au passage, monsieur le rapporteur, je m'inquiète malgré tout un peu du raccourcissement des délais à deux mois, même s'il a sa cohérence par rapport à d'autres projets de réforme de l'Etat ; je crains en effet que les départements ne voient s'alourdir, de ce fait, fortement les frais de gestion.
Je retiendrai de cette expérimentation, pour le texte actuellement en discussion et pour le futur, trois orientations qui me semblent indispensables.
Il est, premièrement, indispensable que la nouvelle prestation fasse l'objet d'un partenariat effectif et renforcé avec les caisses. Le texte le prévoit. Mais il est nécessaire que les caisses locales et régionales soient contraintes par des instructions nationales formelles à collaborer et, éventuellement, à compléter la prestation spécifique dépendance. J'y vois un avantage certain pour la prévention, qui n'est absolument pas abordée dans la présente proposition de loi, mais qui me paraissait l'un des aspects les plus intéressants de la prestation expérimentale.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Absolument !
M. Jean-Claude Peyronnet. Il est en effet évident que la dépendance et, surtout, la dépendance psychique peuvent être retardées par des mesures adaptées et précoces. A tout le moins, il faudra veiller à ce que les caisses ne profitent pas de la prestation qui sera versée par les départements pour se désengager vis-à-vis des services d'aide ménagère,...
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet. ... ce qu'elles n'ont déjà que trop tendance à faire, notamment pour des raisons d'ordre financier, au reste bien compréhensibles. Je citerai la MSA, qui devrait verser beaucoup d'allocations au titre de l'aide ménagère dans les différents départements ruraux.
Deuxièmement, l'analyse de la dépendance, son évolution et son suivi doivent être réalisés par des équipes médico-sociales qui prennent en compte non seulement les ressources mais aussi l'environnement des personnes âgées. Le texte le prévoit, ce qui est une bonne chose. Mais il faudra veiller à ce que ce soit les mêmes équipes - j'y insiste à mon tour - qui interviennent en établissement et à domicile, à partir de la même grille.
Enfin, troisièmement, il est indispensable de développer la notion de plan d'aide, qui, dans mon esprit, devrait être un véritable contrat d'objectif, lorsque c'est possible, passé avec le bénéficiaire ou sa famille.
Monsieur le ministre, je serais malhonnête si je soutenais qu'en tant que président de conseil général et, par conséquent, responsable des finances de mon département, je ne trouve pas, dans l'immédiat et à courte vue, certaines vertus à ce texte. Mais ces vertus sont purement comptables et ne sauraient entraîner mon adhésion.
Il est vrai que la situation des départements et donc, par ricochet, des communes est devenue absolument intenable et que, pour des raisons démographiques évidentes, elle ne peut que s'aggraver.
La plupart des départements pour « limiter les dégâts », et quoi qu'on en dise, trichent avec l'interprétation jurisprudentielle de la loi de 1975 relative au paiement en établissement, soit en ne payant pas du tout, soit en apportant leur contribution après écrêtement, c'est-à-dire en acquittant le différentiel entre le revenu de la personne et le coût effectif de l'hébergement, soit en ne payant qu'après avoir été condamnés en commission centrale, réussissant ainsi une perte en ligne de 50 % des dossiers de demandes.
Il est vrai qu'il peut y avoir des abus, qu'il y a des abus. Il est vrai aussi que des bas de laine se remplissent, et même si je veux souligner le rôle très important d'amortisseur de la crise sociale que peuvent jouer ces bas de laine, il ne s'agit pas moins d'abus eu égard à l'objectif poursuivi.
Il est vrai encore que les départements ne sauraient supporter plus longtemps - M. Mercier l'a indiqué - que leur participation aux frais d'hébergement des personnes âgées en établissement soit une tarification par solde, dont ils sont toujours les victimes.
Je suis pleinement d'accord avec mes collègues qui ont abordé cet aspect des choses : il était indispensable, faute d'une réelle prestation d'autonomie, de mettre un terme à la dérive de l'ACTP et de clarifier les responsabilités tarifaires des uns et des autres. Je fonde beaucoup d'espoirs sur le texte dans ce domaine.
Par ailleurs, je ne puis que me féliciter que le Gouvernement s'engage, dans les deux ans, à médicaliser les lits pour lesquels existait un accord, tout en soulignant fermement que cela ne saurait suffire et que, très vite, il faudra aller plus loin, probablement doubler encore le nombre de lits à transformer.
Pour le reste, je ne trouve guère de mérites à ce texte. Il est bien clair que les avantages comptables que l'on peut en espérer entrent en contradiction avec les conséquences sociales négatives qui en résulteront. Et, dans la balance, ce sont les effets négatifs qui l'emportent.
En fait, ce texte, qui essaie d'être économe pour les finances locales, est, à coup sûr, beaucoup plus économe pour les finances de l'Etat, qui se trouve ainsi complètement exonéré. Dès lors, il faut une certaine audace verbale, la courtoisie m'interdit d'aller au-delà - de la part du Premier ministre pour parler de « prestation d'autonomie », expression que reprend le Président de la République, comme si l'on parlait du même texte que celui qui nous avait été soumis l'an dernier à pareille époque. Or, ce texte était tout autre chose, il était ample et généreux. Il était, certes, difficile d'évaluer son coût, mais il était mieux adapté à l'importance majeure du problème posé.
Sur quoi va porter la maîtrise des dépenses ainsi réalisées ? Sur les bénéficiaires et leur famille ! C'est évident si l'on se réfère à la prestation d'autonomie dont nous avions abordé l'examen l'an dernier. On annonçait un coût de 9 milliards de francs pour les départements. Ces 9 milliards de francs demeurent. Mais les 11 milliards de francs que l'Etat devait ajouter ont disparu. Il s'agit là d'un manque à gagner pour les familles.
Le recul est également réel par rapport à la prestation expérimentale dépendance développée dans douze départements.
J'ai été étonné d'entendre M. de Raincourt considérer que, de fait, la prestation qui nous est proposée par cette proposition de loi était une extension de la PED. Si c'était le cas, il n'y aurait pas lieu de prévoir dans le texte que la prestation expérimentale dépendance sera poursuivie dans les départements où elle existe actuellement et il n'y aurait pas lieu, de la part de M. de Raincourt, de s'inquiéter de l'atittude des caisses dans ce domaine.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Tout à fait !
M. Jean-Claude Peyronnet. Enfin, par rapport à la situation existante dans l'ensemble des autres départements, il est parfaitement clair que l'obligation de recevoir la prestation en nature - même si j'y suis favorable - et, surtout, la récupération sur succession, que l'on peut comprendre, vont avoir des effets puissamment dissuasifs : les familles renoncent à demander le bénéfice de la prestation dépendance.
Cette dernière disposition, je la comprends, car nous sommes dans une logique d'aide sociale et non plus de solidarité nationale. C'est bien d'ailleurs le principal reproche que je ferai à cette proposition de loi. Outre qu'elle ne répond pas à l'ampleur du problème qui se pose aux familles, elle prétend régler la redoutable question de la dépendance, qui se pose à notre société tout entière au niveau purement local alors qu'à l'évidence il s'agit d'un des problèmes nationaux les plus importants de ces prochaines années.
Cette manière d'aborder la question interdira toute péréquation au profit des départements peu peuplés et vieillissants, qui sont aussi les plus besogneux.
On me répondra que cette loi est transitoire. Je crains trop qu'il ne s'agisse que d'une promesse, pour mieux faire passer ce texte qui, c'est le moins que l'on puisse dire - c'est en tout cas mon avis - ne constitue pas un progrès social.
J'espère simplement que, lorsqu'il s'agira de prendre réellement le problème à bras-le-corps, en tenant compte de tous les bénéficiaires potentiels et avec un financement convenable - c'est-à-dire du double ou du triple des montants actuels - les sommes nécessaires ne seront pas laissées à la seule charge des collectivités locales, comme c'est le cas actuellement.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet. Les propos qui ont été tenus au début de cette séance, tant par le rapporteur que par le président de la commission des affaires sociales, m'inquiètent.
Je suis inquiet quand j'entends M. le rapporteur nous indiquer qu'il n'y a pas de différence de nature entre la prestation spécifique dépendance et la prestation d'autonomie.
Je suis inquiet aussi lorsque j'entends M. Fourcade, président de la commission, confirmer qu'en réalité il ne devrait pas nécessairement y avoir une nouvelle loi et qu'il suffira d'adapter les plafonds figurant dans le présent texte à la situation future si l'on veut vraiment rendre service à tous ceux qui ont besoin d'une aide importante.
Je suis inquiet, car ces affirmations recèlent, je le crains, les germes d'une dérive forte. L'alternative sera la suivante : ou bien nous en resterons là, ce qui ne satisfera pas les populations, ou bien nous opérerons une avancée, mais à la seule charge des départements.
Pour toutes ces raisons, si des modifications subtantielles ne sont pas apportées au texte au cours de la discussion, je serai amené à ne pas le voter. (Applaudissements sur les travées socialistes. - Mme Michelle Demessine applaudit également.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
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