FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
POUR 1977
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 1997 (n° 61, 1996-1997), adopté par l'Assemblée
nationale. Rapport n° 66 (1996-1997) et avis n° 68 (1996-1997).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, ce premier projet de loi de financement de
la sécurité sociale marque une date importante dans l'histoire du Parlement,
puisqu'il s'agit de leur première rencontre institutionnalisée.
En votre présence, monsieur le président, je voudrais saluer les initiatives
répétées qu'a prises le Sénat ces dernières années pour tenter de parvenir au
point où nous sommes aujourd'hui où le Parlement est associé désormais
pleinement à l'exercice de cette responsabilité fondamentale qui consiste à
organiser le fonctionnement de notre dispositif de protection sociale.
Il était temps que les représentants de la nation puissent débattre
simultanément des orientations de la politique de santé et de sécurité sociale
ainsi que des objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre
financier de la sécurité sociale. Mais cela doit aussi marquer un progrès dans
l'exercice de la démocratie : il faut que les Français appréhendent de manière
adulte et responsable les questions touchant à leur sécurité sociale et à son
financement.
L'équilibre de la sécurité sociale est une question complexe. Le bon équilibre
est assurément la résultante d'exigences contradictoires : il faut veiller à la
situation des personnes âgées et des familles, donner à tous un égal accès à
des soins de qualité, mais il faut aussi, bien sûr, éviter que le poids des
prélèvements nécessaires au financement des prestations ne vienne limiter la
croissance et l'emploi, et décourager l'initiative et le travail.
A l'évidence également - il faut le redire - les masses de recettes et de
dépenses en jeu atteignent près de 1 700 milliards de francs chaque année. Il
s'agit de prendre des décisions majeures pour corriger des insuffisances, pour
mettre fin à des dérives, pour redéployer des dépenses, pour adapter en
permanence les régimes aux priorités sociales et au contexte économique.
Bref, mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat peut et doit être le
rendez-vous annuel où la collectivité tout entière exprime ses choix et arrête
ses priorités pour l'exercice à venir.
Ce projet de loi n'est donc en aucun cas un énième plan de redressement
financier dont l'existence même témoignerait de l'insuffisance des décisions
antérieures.
Ce premier projet de loi de financement reste fidèle à l'esprit et à la lettre
de la loi organique et peut servir de base à un débat de qualité.
Evidemment, il peut être perfectible. Cette année nous avons dû, M. Hervé
Gaymard et moi-même, respecter les délais : la loi organique a été publiée le
23 juillet, la première conférence nationale de santé s'est tenue du 2 au 4
septembre, et le projet de loi a été déposé le 15 octobre. Mais nous pouvons
penser que, dans l'avenir - M. Hervé Gaymard s'en expliquera - les textes
pourront être préparés plus tôt.
Ce projet de loi est bâti sur des hypothèses économiques communes avec le
projet de loi de finances. Il a été élaboré en cohérence avec les grands choix
faits dans ce projet tant en ce qui concerne la réduction du déficit public
qu'en ce qui concerne la réforme fiscale. Il s'appuie sur les comptes
tendanciels soumis à la commission des comptes de la sécurité sociale.
C'est une avancée considérable, et les débats qui suivront ne manqueront pas
de faire apparaître de multiples voies de progrès possibles.
A ce stade, je voudrais remercier la commission, son président, M. Fourcade,
et le rapporteur, M. Descours, de tous les éclairages qu'ils ont déjà apportés
à ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Je reviens brièvement sur l'esprit de la réforme engagée en 1995, c'est-à-dire
voilà un an.
Elle fonde un nouveau partage des responsabilités entre l'Etat et les
gestionnaires de la sécurité sociale.
« Mieux d'Etat » dans l'explicitation des objectifs et des choix de principe,
« moins d'Etat » dans la gestion quotidienne : cette approche se retrouve à
tous les niveaux de la réforme.
Les conventions d'objectifs et de gestion vont fixer pour trois ans les règles
qui répartiront les responsabilités entre l'Etat et les caisses nationales.
Nous sommes en train de les préparer.
Et vous, sénateurs, serez associés au suivi de ces conventions d'objectifs et
de gestion à travers les conseils de surveillance. Le décret les instituant est
paru le 5 novembre. Il prévoit la présence, dans chacun des quatre organismes
nationaux, de six parlementaires, dont le président du conseil de
surveillance.
Après la période de transition actuelle, un partage clair des responsabilités
sera établi, y compris dans des domaines difficiles et sensibles comme ceux de
l'élaboration de la nomenclature.
Le souci de s'adapter au terrain, aux réalités locales, et de privilégier,
pour la régulation du système de santé, le niveau régional est un autre élément
central de la réforme.
Les agences régionales de l'hospitalisation auront de réelles marges de
manoeuvre et des capacités de négociation avec les établissements hospitaliers
; les unions régionales de caisses d'assurance maladie, les URCAM,
coordonneront la politique de gestion du risque au niveau local ; les
ordonnances nous permettront d'adapter localement les objectifs prévisionnels
de dépenses. Hervé Gaymard aura, après moi, l'occasion d'en reparler en
évoquant le lien qu'il faudra créer entre les conférences régionales de santé
et les objectifs prévisionnels adaptés.
Nous nous éloignons ainsi de la vision traditionnelle, celle d'un système
centralisé, piloté exclusivement par le haut sans que soient prises en compte
les diversités locales.
Un troisième exemple de cette approche déconcentrée est le souci de faire
émerger des formes nouvelles d'organisation de soins par la voie des
expérimentations.
Une des grandes faiblesses de notre système de santé est l'éparpillement des
acteurs. Pour y remédier, tout en respectant les principes essentiels
d'exercice de la médecine libérale, le Gouvernement a fait le choix de ne pas
imposer un modèle, mais de rendre possible des expériences multiples dans leur
objet et dans leurs formes.
De telles expériences, pour être mises en place, devront bien entendu
recueillir l'avis d'un conseil d'orientation puis l'approbation de l'Etat :
c'est le conseil d'orientation des filières et des réseaux de soins
expérimentaux, que présidera M. Soubie, et qui regroupera des professionnels de
santé, des financeurs et des experts.
Ce conseil d'orientation sera installé avant la fin du mois de novembre, et la
caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, la caisse
nationale d'assurance maladie et maternité des travailleurs non salariés des
professions non agricoles et la mutualité sociale agricole entendent bien
mobiliser leur réseau de caisses pour promouvoir ou faciliter l'émergence de
ces initiatives.
Ainsi, la philosophie d'ensemble qui inspire la réforme est bien résumée par
la place essentielle qui est faite aux contrats, aux conventions : conventions
d'objectifs et de gestion entre l'Etat et les caisses nationales, entre les
caisses nationales et les caisses locales, contrats conclus entre les agences
régionales de l'hospitalisation et les établissements de soins publics et
privés, conventions entre les promoteurs des actions expérimentales et les
organismes d'assurance maladie concernés,...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Quelle usine à gaz !
M. Jacques Mahéas.
Pour aboutir à 70 milliards de déficit !
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
... sans oublier, bien
évidemment, les conventions entre les professionnels de santé et l'assurance
maladie.
Oui, je comprends que cette philosophie contractuelle gêne les tenants de la
réglementation tous azimuts.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Très bien !
M. Jacques Mahéas.
Verbiage !
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
C'est pourtant par le
contrat que l'on régule une société démocratique moderne au sein de l'aquelle,
précisément, on peut donner à la démocratie sociale tout son sens.
M. Claude Estier.
Ne donnez pas de leçons aux autres, s'il vous plaît !
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Vous me permettrez de
donner des leçons à ceux qui veulent m'en asséner !
M. Jacques Mahéas.
Regardez donc les années antérieures !
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Qu'il soit bien entendu à
cet égard que le mode conventionnel doit rester le principe de base dans les
relations avec les professions de santé, le mode normal de régulation du
système, l'Etat n'intervenant qu'à titre exceptionnel pour pallier les vides ou
les échecs conventionnels.
J'en veux pour preuve l'accord négocié, contrairement à ce qui est écrit ici
et là, entre la caisse nationale de l'assurance maladie et les ambulanciers,
qui a conclu à un objectif quantifié, pour 1997, en baisse de 7,5 % par rapport
aux dépenses constatées en 1996.
M. Christian Bonnet.
Ce n'est pas dommage !
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Ce n'est pas dommage en
effet ! Il a fallu un effort du Gouvernement et surtout de la caisse nationale
de l'assurance maladie pour négocier cet accord. Pour être applicable, il devra
recevoir une base législative ; c'est la raison pour laquelle nous vous
demanderons de l'introduire dans ce projet de loi.
J'ai la conviction que, après la période d'adaptation, l'ensemble des
professionnels comprendra que la réforme n'est pas une menace pour la médecine
libérale, mais qu'elle est une chance à ne pas manquer pour préserver
durablement ses principes.
M. Jacques Mahéas.
Tous les médecins sont d'accord ?
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Avant d'aborder plus
concrètement le contenu de ce projet de loi, je voudrais faire brièvement le
point sur les comptes de la sécurité sociale à la lumière des travaux de la
dernière commission des comptes.
Il est maintenant certain que, cette année, le déficit du régime général
baissera de l'ordre de 15 milliards de francs par rapport à 1995, soit 51,5
milliards de francs en 1996 au lieu de 67,3 milliards de francs en 1995. Ce
résultat peut paraître insuffisant. Mais il faut avoir à l'esprit que la
croissance de la masse salariale du secteur privé - c'est-à-dire la principale
assiette des recettes de la sécurité sociale - aura été très modeste,
inférieure pour la sixième année consécutive à 2 % en volume.
Il est évident qu'une progression inférieure à 2 % en volume pose problème,
même si, dans le même temps, l'évolution des dépenses s'est fortement
infléchie, et elle s'est infléchie.
M. Claude Estier.
C'est pourquoi il faut augmenter les salaires !
M. Jacques Mahéas.
C'est aussi à cause du chômage !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Et les 8 milliards de francs ?
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Messieurs les sénateurs,
sachez que M. Hervé Gaymard répondra très précisément à vos questions.
Permettez-moi, en attendant, de terminer cet exposé devant le Sénat dans le
cadre de cet exercice nouveau, propice à l'ouverture d'un véritable débat sur
la sécurité sociale.
Je reviens sur le premier point. Il existe incontestablement un déficit du
régime général accru par la baisse des ressources, déficit qui ne doit
cependant pas dissimuler la modération des dépenses.
Il est certain qu'une réforme aussi ample que celle qui a été annoncée voilà
un an ne produira ses effets financiers que dans la durée.
En effet, il faut un certain nombre de textes. Il faut aussi, naturellement,
une progressivité. On ne peut pas réduire brutalement les moyens alloués au
système de santé.
J'en reviens rapidement à la réforme. Où en est-elle ?
Nous avons pris les ordonnances dans les délais impartis. Parmi la soixantaine
de décrets d'application, quarante ont été publiés ou sont en cours de
consultation.
La distribution des carnets de santé a commencé au mois d'octobre, comme nous
nous y étions engagés ; elle sera achevée avant la fin de l'année. Les conseils
d'administration des caisses nationales ont été recomposés le 15 juillet
dernier ; ceux de toutes les caisses locales sont en cours d'installation.
J'en viens à ma seconde observation : au bout de douze mois, nous pouvons
affirmer qu'il y a bien eu une rupture de tendance dans l'évolution des
dépenses d'assurance maladie et que nos objectifs pour 1996 sont, en dépit de
tout ce qu'on a pu lire, en passe d'être atteints.
En ce qui concerne les dépenses hospitalières, l'objectif d'une croissance de
2,1 % des dépenses aura été respecté en 1996. C'est une première qui a
nécessité la mobilisation de toute la communauté hospitalière, et je l'en
remercie.
En ce qui concerne la médecine de ville, on ne peut pas crier victoire
prématurément. Mais il faut savoir que la baisse des dépenses enregistrée
devrait conduire, si elle se prolonge au dernier trimestre, au respect de
l'objectif de 2,1 %. D'ores et déjà, nous pouvons dire que le niveau des
dépenses d'assurance maladie remboursées par la CNAM est, depuis quatre mois,
plus bas que celui qu'il avait atteint en novembre dernier, au moment de
l'annonce du plan de réforme.
Evidemment, si ces évolutions portent à un relatif optimisme, tout n'est pas
gagné.
D'abord, il est des dépenses qui connaissent une certaine inertie. C'est vrai,
le Sénat le sait bien, de l'évolution des dépenses du secteur médico-social,
monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, qui reste
rapide à cause de tendances démographiques lourdes. Je confirme devant le Sénat
notre volonté de financer 14 000 lits médicalisés entre 1997 et 1998, ainsi que
4 000 places de services de soins infirmiers à domicile. Cela a un coût !
M. Adrien Gouteyron.
Très bien !
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Ensuite, les dispositions
de la loi famille de 1994 s'avèrent beaucoup plus coûteuses que prévu.
Plusieurs sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen.
On avait remarqué !
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
De 1994 à 1996, les
prestations versées au titre de la petite enfance ont doublé, passant de 10,5
milliards de francs à 21 milliards de francs.
On ne peut que se réjouir du succès de la loi famille. Par exemple, 200 000
familles bénéficient à ce jour de l'allocation parentale d'éducation pour le
deuxième enfant, créée en 1994.
Ce débat sur le projet de loi de financement permettra de mieux appréhender
les coûts et les évolutions.
Quant aux prestations de retraite, elles continuent de croître à un rythme
rapide. Elles ne connaîtront que peu à peu les infléchissements rendus
possibles par la loi de 1993.
J'en viens au contenu du projet de loi. Il comporte la fixation d'un objectif
national des dépenses d'assurance maladie et la réforme du financement de
l'assurance maladie.
L'objectif national des dépenses d'assurance maladie, première originalité de
ce texte, consiste à dépenser, en 1997, 600 milliards de francs au lieu de 590
milliards de francs, soit une augmentation de 10 milliards de francs par
rapport à 1996.
Avec un tel montant de dépenses, il doit être possible d'assurer à tous les
Français des soins de qualité, et ce sans aucune forme de rationnement, mais en
recherchant à tout moment et à tous les niveaux le juste soin.
La France a consacré en 1995 près de 10 % de sa richesse nationale aux
dépenses de santé.
Est-on pour autant mieux soigné en France que dans les pays voisins ? C'est
une question que je pose.
Mme Hélène Luc.
Mais tout le monde ne peut pas se faire soigner !
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
J'en suis convaincu,
l'augmentation incontrôlée des dépenses ne garantit pas nécessairement
l'amélioration de la qualité des soins.
M. Jean-Louis Carrère.
Ça, c'est vrai !
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Je ne connais pas de
personnes sensées dans la société française d'aujourd'hui qui puissent nier
cela.
Tout sera mis en oeuvre pour atteindre cet objectif, qui deviendra celui de la
nation par votre vote.
Je me contenterai aujourd'hui de rappeler que cet objectif englobe les
dépenses de l'hospitalisation, publique et privée, de médecine de ville et de
la partie du secteur médico-social qui est à la charge de l'assurance
maladie.
Cet objectif n'est pas purement indicatif, puisque la plus grande partie de
ces dépenses font, à présent, l'objet d'une régulation renforcée ou sont, pour
reprendre le terme juridique, « opposables ».
Nous veillerons à ce que les efforts soient équitablement partagés. Cela
signifie que la dotation globale hospitalière, l'objectif quantifié national
des cliniques privées, l'objectif quantifié national des médecins devront
progresser à un rythme analogue. On ne peut pas, en effet, demander un effort
aux uns si les autres ne consentent pas le même effort.
M. Charles Descours,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Très bien !
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Ce n'est que par une
répartition équitable de l'effort que l'on peut obtenir l'adhésion de la
nation.
M. Charles Descours.
rapporteur.
Et des usagers !
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Et des usagers bien sûr.
Ces 600 milliards de francs ne constituent pas pour autant une enveloppe des
crédits limitatifs, à la différence des lois de finances. Des droits sont
ouverts, et les prestations seront bien sûr servies à tous sans aucune limite
quantitative. C'est la raison pour laquelle toute une série de caricatures, de
campagnes de désinformation laissant entendre que cet objectif national de
dépenses d'assurance maladie conduirait à je ne sais quel rationnement, à je ne
sais quel quota de soins, toutes ces propagandes ne résistent pas à un examen
objectif de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.
M. Jacques Mahéas.
L'augmentation du taux directeur des hôpitaux, c'est fini ?
Mme Hélène Luc.
Les médecins n'ont rien compris !
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Nous aurons à notre
disposition des instruments qui se mettent actuellement en place : le
renforcement de la maîtrise médicalisée avec les références médicales
opposables, le recours au carnet de santé et la responsabilisation de chacun
qui en découlera, le développement accéléré des médicaments génériques,
l'action sur la démographie médicale, autant d'éléments qui faciliteront
l'atteinte de l'objectif que l'on se fixe.
La deuxième originalité de ce projet - M. Hervé Gaymard en parlera - c'est que
son élaboration a tenu compte des orientations dégagées par la conférence
nationale de la santé.
Par ailleurs, ce projet de loi nous permet d'engager une réforme essentielle,
celle du financement de l'assurance maladie.
Il est fondamental de donner aux ressources de la sécurité sociale une
assiette plus large. Aujourd'hui, les cotisations sont assises essentiellement
sur le travail. Cette structure de financement est inéquitable et elle le
devient de plus en plus, car la structure des revenus des ménages a beaucoup
évolué au cours des dernières années.
M. Jacques Mahéas.
Négativement !
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Il n'est pas normal que les
revenus qui se développent le plus vite, comme les revenus de remplacement et
les revenus du capital, restent aussi peu associés au financement de la
protection sociale.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Très bien !
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
La structure de financement
ne correspond plus non plus aux conditions actuelles d'ouverture des droits.
C'est la raison pour laquelle nous instaurerons progressivement l'assurance
maladie universelle ; j'y reviendrai au cours du débat.
D'ores et déjà, la préparation de la mise en place de l'assurance maladie
universelle nous a amenés à constituer deux groupes de travail, l'un étant
chargé d'étudier les conditions d'ouverture des droits, l'autre, l'intégration
financière des régimes.
Je voudrais préciser, tout particulièrement à l'intention de MM. Fourcade et
Descours, que nous entendons présenter, au début de 1997, un projet de loi au
Parlement, qui tendra à donner à toutes les personnes résidant en France accès
à l'assurance maladie dans les mêmes conditions, indépendamment de tout statut
professionnel.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Très bien !
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Il était donc logique que
le financement de l'assurance maladie repose davantage sur l'ensemble des
revenus.
Voilà pourquoi nous avons été conduits à proposer une restructuration des
ressources de l'assurance maladie, par l'affectation aux différents régimes du
produit d'un prélèvement à assiette large se substituant à des cotisations.
Nous avons choisi, comme support de cette opération, la contribution sociale
généralisée, la CSG, mais il convenait, dès lors, d'adapter l'assiette de
celle-ci afin qu'elle porte plus largement sur les revenus du capital.
Permettez-moi de m'attarder quelques instants sur ce point, qui peut paraître
complexe.
Nous avons veillé, en utilisant la CSG, à lui donner la même assiette que le
RDS, le remboursement de la dette sociale, pour ce qui concerne les revenus
d'activité, de manière que le calcul de ces différentes contributions soit
simplifié.
Se pose, bien sûr, le problème de la déductibilité d'une partie de cette
cotisation. Si le nouveau point de CSG est déductible, c'est parce qu'il
remplace une cotisation sociale elle-même déductible, le reste demeurant en
l'état : non déductible.
La fiche de paie ne s'en trouvera pas compliquée, dès lors que ne figureront
que deux lignes : celle de la contribution non déductible et celle de la
contribution déductible. En effet, il y aura désormais une seule assiette, et
non plus deux, une pour la CSG et une pour le RDS.
J'aurai l'occasion de reprendre cette démonstration au cours de la discussion
des articles, mais ce que je tiens à souligner, c'est que nous avons voulu
commencer ce transfert d'un excès de prélèvements sur les revenus du travail
vers des prélèvements plus équitables, parce que assis sur une assiette plus
large, et nous avons veillé à ce que cela n'entraîne pas de complications.
Je veux également insister sur un point qui, à mon avis, est un peu passé sous
silence : cette opération, mesdames, messieurs les sénateurs, va se traduire
par un gain de pouvoir d'achat au profit des actifs de l'ordre de 8 milliards
de francs en année pleine.
Dans la mesure où nous avons fait en sorte que, dès le 1er janvier prochain,
les entreprises commencent à rendre ce transfert possible, nous aurons, au
cours de l'année 1997, redonné 8 milliards de francs de pouvoir d'achat aux
salariés.
J'y insiste parce que j'ai beau ouvrir les yeux, chercher attentivement, je ne
trouve pas souvent mention de cet aspect de la réforme, qui n'est pourtant pas
secondaire.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je n'évoquerai pas ici, vous me le pardonnerez, la manière dont ces
ressources supplémentaires apportées par l'élargissement de la CSG vont
profiter aux différentes branches ; nous y reviendrons au fur et à mesure de
l'examen des articles.
Le présent texte comporte en outre diverses mesures de financement destinées à
contribuer au redressement des comptes. Ce sont là des dispositions plus
habituelles. Nous avons considéré que faire figurer aussi dans ce projet
l'augmentation des droits sur l'alcool ou d'autres nous permettrait de débattre
globalement des différentes ressources affectées à la sécurité sociale.
Je terminerai cette présentation générale en évoquant l'avenir.
Nous franchissons une première étape, en ramenant le déficit du régime général
de 51,5 milliards de francs cette année à 30 milliards de francs en 1997.
Envisager tout de suite 30 milliards de francs d'économies n'aurait pas été
possible. Je le sais bien, des voix se sont élevées pour souhaiter cet effort
supplémentaire, mais cela aurait signifié 5 % de ressources en moins pour
l'assurance maladie : ce n'était pas jouable.
Cependant, grâce à la pratique du juste soin, nous parviendrons
progressivement, comme cela est indiqué dans le rapport, à un équilibre
structurel.
Le rythme annuel de la croissance en volume des prestations du régime général
dépassait 4 % en 1990 ; en 1996, il sera réduit à 1,7 %. La tendance à la
baisse est donc engagée et nous la poursuivons avec ce projet de loi de
financement : le taux de croissance devrait être de l'ordre de 1 % en 1997.
En outre, la projection que vous avons annexée au projet de loi de financement
montre que, si nous ne relâchons pas notre effort sur la maîtrise des dépenses,
avec des hypothèses économiques réalistes, le régime général devrait ramener
son déficit à 12 milliards de francs en 1998 et renouer avec un excédent, de 8
milliards de francs, en 1999. Il ne s'agit que de la prolongation des tendances
actuelles mais, j'y insiste, sans prévoir de déremboursements et sans
prélèvements supplémentaires.
Alors, me direz-vous, une nouvelle dette se sera constituée entre-temps.
Certes, mais si l'on parvient à tarir durablement la source de cet endettement,
le financement de cette dette transitoire ne constituera qu'un problème de
deuxième ordre.
Ce qui importe, c'est en effet que notre sécurité sociale puisse retrouver un
équilibre structurel et le consolider dans la durée, sans connaître ce qu'elle
a subi ces derniers temps : des déficits chroniques et des problèmes considérés
par certains comme insurmontables.
Le Parlement est ainsi amené, mesdames, messieurs les sénateurs, à participer
de façon éminente à la nouvelle organisation de la sécurité sociale. Il s'agit
de faire en sorte que notre système de sécurité sociale n'impose pas au pays
des prélèvements qui soient contradictoires avec la nécessaire bataille pour le
développement et l'emploi. Il est évident que, si les prélèvements ne cessent
de s'accroître, c'est le découragement qui s'installe, c'est le risque d'un
chômage croissant.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Vous êtes bien placé pour le savoir !
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
C'est la raison pour
laquelle il est indispensable de maîtriser nos dépenses.
Mais il s'agit aussi, dans le même temps, de conserver à ce pays son système
de sécurité sociale, car celui-ci est probablement ce qui rassemble le mieux
les Français, ce qui soude le mieux la communauté nationale. D'ailleurs, à la
fin de la Seconde Guerre mondiale, quand le général de Gaulle et les
responsables politiques de l'époque ont donné à notre sécurité sociale ses
fondements, ils avaient bien compris qu'il y avait là une sorte de creuset de
la cohésion nationale.
Il faut donc que nous préservions le dynamisme de la nation en luttant avec
courage et détermination contre tout ce qui est gaspillage et excès, pour
pouvoir en même temps consolider dans l'avenir le ciment qui unit les Français
plus que beaucoup d'autres choses : leur sécurité sociale.
Voilà pourquoi il faut avoir le courage, aujourd'hui, de passer outre certains
intérêts particuliers, car il y va de l'intérêt général et de l'avenir de la
France
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Hervé Gaymard,
secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale.
Monsieur le
président, monsieur le président de la commission des affaires sociales,
messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, comme vient de le
dire Jacques Barrot, nous avons souhaité que la réunion de la conférence
nationale de santé soit partie intégrante du processus de préparation du projet
de loi de financement de la sécurité sociale. Le rapport qui vous a été adressé
rend compte des priorités dégagées par cette conférence et apporte certaines
réponses.
C'est à ce même exercice que je souhaiterais me livrer aujourd'hui sans,
évidemment, avoir la prétention d'être exhaustif, mais en m'efforçant de mettre
l'accent sur certains points clés.
Un constat s'impose d'emblée : la majorité des problèmes de santé évitables
sont en relation avec des facteurs liés aux habitudes de vie. Cela doit nous
conduire à modifier les comportements autant, sinon plus, par des actions de
prévention et de communication que par des règlements.
Par ailleurs, en matière de santé publique, les moyens sont très dispersés,
chacun le sait, du fait de la diversité des acteurs concernés ; il est capital,
dès lors, d'introduire davantage de cohérence.
Je ferai deux remarques préalables.
Tout d'abord, la distinction qui est souvent opérée entre politique de santé
et politique de santé publique peut apparaître comme peu opérationnelle. En
effet, la santé est un bien à la fois profondément collectif et profondément
individuel. Il ne sert à rien de s'enfermer dans une conception réductrice de
la santé publique, qui renverrait à la seule notion, étroite, d'hygième
publique. La santé, c'est ce à quoi chacun tient le plus et cela dépend à la
fois de comportements individuels et des solidarités collectives.
La santé est ainsi, de plus en plus, l'un des sujets majeurs qui arriment
l'individu à la collectivité, d'autant que s'y greffent, de plus en plus
fréquemment, des enjeux sociaux ou éthiques essentiels à la cohésion de notre
communauté nationale.
C'est pourquoi il est insdispensable de bâtir, de structurer une véritable
politique de santé pour notre temps, et ce débat va y contribuer.
En effet, le droit à la santé est aujourd'hui présent à l'esprit de tous les
Français ; nul ne peut en faire abstraction. Non seulement nos compatriotes
exigent que les moyens disponibles soient mis en oeuvre, mais ils veulent aussi
des résultats.
La qualité de la médecine française et les progrès considérables des dernières
décennies font que l'art médical est devenu un miracle renouvelé et que, pour
nos compatriotes, soigner signifie désormais guérir ; qu'on y songe bien, c'est
la première fois dans toute l'histoire de l'humanité que l'on peut penser
ainsi.
Par ailleurs, malgré cette attente quasi régalienne, la santé n'est pas une
affaire exclusive de l'Etat et l'intérêt général ne peut en être l'unique
objectif. Le maintien de ce que l'on appelle le « capital santé » est sans
conteste une notion qui, si elle renvoie à la collectivité, dépend aussi de
l'individu lui-même et de son comportement.
Une politique de santé doit viser à infléchir les comportements individuels
mais elle ne le peut, bien entendu, que dans les limites qu'impose le respect
de la liberté individuelle.
Tels sont les termes qui guident notre débat : une demande croissante des
individus à l'Etat dans un domaine où, pourtant, l'Etat n'est pas seul maître,
précisément parce que l'individu demeure responsable, face à une offre de soins
qui s'est accrue. Il nous appartient de définir une politique qui oriente ce
système en sachant concilier la pertinence des choix collectifs et le respect
des choix individuels.
J'en viens maintenant aux principaux enseignements du rapport qui vous a été
transmis.
Il s'agit, au premier chef, de l'importance de la mortalité prématurée
évitable. Notre pays compte parmi ceux dans lesquels l'espérance de vie est la
plus élevée mais il se distingue malheureusement par une surmortalité
significative chez les jeunes adultes. Elle est évitable en ce qu'elle est
généralement liée aux habitudes de vie.
La santé des jeunes est, en effet, celle de la France de demain. Il nous faut
d'ores et déjà travailler sur les objectifs de santé que nous devons nous
assigner.
Si, globalement, les statistiques tendent à montrer que l'état de santé des
jeunes est satisfaisant...
Mme Hélène Luc.
Ce n'est pas vrai !
M. Hervé Gaymard,
secrétaire d'Etat.
... il faut avoir à l'esprit que ce jugement
d'ensemble recouvre des réalités très diverses et masque une surmortalité très
préoccupante. Deux causes de surmortalité affectent notamment cette classe
d'âge. Il s'agit des accidents de la circulation et des suicides.
Les accidents de la voie publique sont en effet fréquemment associés à un
comportement à risques qui pourrait être évité. De même le suicide, qui
représente aujourd'hui la deuxième cause de mortalité des jeunes de quinze à
vingt-quatre ans, constitue un problème de santé majeur.
L'étude de l'incidence du suicide fait d'ailleurs apparaître une très nette
inégalité régionale, qui justifie des initiatives locales fortes en la matière.
C'est pourquoi nous incitons les établissements publics de santé à promouvoir
la coordination du travail accompli par les équipes médicales afin d'instituer
une prise en charge psychiatrique au sein même des services cliniques après une
tentative de suicide. Cette prise en charge coordonnée constitue la première
action de prévention de la récidive. Celle-ci survient fréquemment au cours de
la première année et présente souvent un caractère aggravé.
Mais, au-delà des accidents de la circulation et des suicides, il convient
bien évidemment de mener une politique globale de santé en faveur des jeunes en
évoquant, par exemple, les problèmes de nutrition, de dépendance, de boulimie
ou d'anorexie. Nous avons beaucoup de travail à accomplir en ce domaine en
liaison étroite avec les services de santé scolaire. Cette politique globale de
santé en faveur des jeunes constituera une priorité pour notre ministère
l'année prochaine.
Mme Hélène Luc.
Vous n'augmentez pas pour autant les crédits consacrés à la santé scolaire
!
M. Hervé Gaymard,
secrétaire d'Etat.
Par ailleurs, parmi les habitudes qui concourent à la
mortalité évitable, la consommation d'alcool et de tabac figure, comme chacun
le sait, en bonne place.
L'alcoolisme, en dépit d'une décroissance régulière de la consommation moyenne
d'alcool, reste encore à l'origine de très nombreux problèmes sociaux et de
décès prématurés. Il demeure donc bien évidemment une priorité sanitaire.
Une politique de prévention active, ambitieuse et résolue pour combattre ce
fléau doit donc permettre non seulement d'éviter la survenue de maladies
d'ordre psychiatrique ou cancéreuse, mais également de réduire la mortalité par
accident. Dans ce domaine, la politique doit être globale, éducative,
préventive et curative.
De même, la lutte contre le tabagisme a enregistré, depuis plusieurs années,
quelques succès, mais il ne faut pas se dissimuler que cette baisse globale de
la consommation recouvre des réalités diverses et que nous aurons à faire face
dans les prochaines années à une recrudescence des cancers des voies
aérodigestives supérieures liés à l'excès de tabagisme des années soixante-dix.
En ce domaine aussi, nous avons des problèmes spécifiques à traiter qui
concernent les jeunes, notamment les jeunes filles.
Le dispositif législatif et réglementaire actuel en matière de lutte contre
l'alcoolisme et le tabagisme, qui découle de la loi du 10 janvier 1991, fera
l'objet l'année prochaine d'une évaluation scientifique et médicale. Cette
évaluation, comme vous le savez, est confiée au Commissariat général du Plan
qui travaillera en étroite liaison avec le ministère de la santé.
En ce domaine, Jacques Barrot et moi-même disposons bien évidemment de deux
leviers d'action, à savoir l'information et la prévention, d'une part,
l'augmentation des prix, d'autre part.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Il faut plus de crédits !
M. Hervé Gaymard,
secrétaire d'Etat.
Chacun sait en effet que la consommation est
étroitement liée aux prix.
Le prix du tabac devrait donc augmenter à nouveau au début de l'année
prochaine. Mais cette disposition ne figure pas dans le projet de loi. Celui-ci
prévoit simplement l'affectation pérenne d'une partie du produit des droits de
consommation sur le tabac à l'assurance maladie. Cette disposition est très
importante car elle permet de renforcer les actions de prévention.
Dans le même esprit, ce projet de loi prévoit l'augmentation des droits de
consommation sur les alcools et l'affectation d'une partie de ces droits à
l'assurance maladie. Sur cette question, comme chacun le sait, les débats ont
été nourris et animés à l'Assemblée nationale au point parfois de masquer
peut-être l'ampleur du sujet dont nous avons à débattre aujourd'hui. Mais
l'accord qui est intervenu nous paraît très équilibré.
Nous avons très rapidement pris des initiatives lorsque se sont développées
des actions de promotion en faveur des prémix. Ces produits constituent une
véritable tromperie. En effet, en dépit de leur couleur qui peut faire penser à
du soda, il s'agit d'alcools forts. Ces boissons sont donc destinées à
favoriser l'accoutumance aux alcools forts.
L'Assemblée nationale a voté, voilà dix jours, une taxation spécifique pour
ces produits, que le Gouvernement a bien évidemment acceptée. Toutefois, la
taxation n'est pas le seul levier que nous devrons utiliser.
J'ai saisi de cette question le comité supérieur d'hygiène publique qui a
rendu, voilà un mois et demi, un avis et des propositions. Sur le fondement de
celles-ci, nous examinons notamment le conditionnement et les conditions de
mise à disposition de ces produits. Nous aurons l'occasion de prendre des
initiatives à ce sujet dans les prochaines semaines.
Donner des moyens à la promotion de la santé constitue une autre priorité
fixée par la conférence nationale de santé. Nous adhérons bien évidemment
pleinement à cette orientation.
L'éducation à la santé constitue en effet l'un des leviers essentiels de la
prévention et de la promotion de la santé. L'éducation à la santé est une
action dont l'évaluation est difficile, mais nous disposons d'exemples qui en
démontrent l'indéniable succès.
Je pense notamment à la campagne d'information tendant à inciter les mères de
famille à abandonner la position ventrale pour le couchage des nouveau-nés.
Depuis le lancement de cette campagne en 1994, nous avons pu constater, avec
joie, une diminution de plus du tiers des cas de mort subite du nourrisson.
Voilà un exemple concret de campagne d'information ayant des effets directs.
Dans le prolongement des propos tenus par M. Jacques Barrot, je tiens à
souligner le caractère essentiel de la dimension régionale.
M. Claude Huriet.
Très bien !
M. Hervé Gaymard,
secrétaire d'Etat.
Nous avons en effet institutionnalisé les conférences
régionales de santé. Celles-ci doivent remplir une double fonction. En premier
lieu, étant une composante de la conférence nationale de santé, il leur
appartiendra de participer à la réflexion qui éclairera les choix du Parlement
et du Gouvernement en matière de politique de santé. En second lieu, il leur
reviendra de contribuer à définir une véritable politique régionale de santé.
Cette fonction est au moins aussi importante que la première.
Ce n'est qu'à partir du moment où seront posés les fondements d'une politique
sanitaire à l'échelon régional que l'agence régionale, éclairée par la
consultation du comité régional d'organisation sanitaire et sociale, pourra
prendre les bonnes décisions en matière d'organisation sanitaire.
C'est également grâce aux orientations de la conférence régionale de santé que
l'union régionale des caisses d'assurance maladie qu'évoquait tout à l'heure M.
Barrot pourra, en liaison avec les unions professionnelles de médecins, mener
dans chaque région une politique active de gestion du risque. Il est évident
que ce fondement sanitaire de la politique régionale s'appliquera également à
l'ensemble du secteur médico-social dont on connaît l'importance.
Nous attachons donc un grand intérêt à la dimension régionale de cette
politique de santé. A cette fin, nous avons décidé d'augmenter les dotations
affectées aux projets régionaux de santé afin que, région par région, en
fonction des priorités fixées, nous puissions mener une politique différenciée
et active.
Enfin, s'agissant toujours de la prévention, l'Etat est sur le point de
conclure un contrat d'objectifs avec le comité français d'éducation pour la
santé, afin de pouvoir disposer d'une meilleure visibilité et d'une déclinaison
de la politique publique de prévention. Mais, au-delà de ce contrat
d'objectifs, il nous faudra être à la fois plus ambitieux et plus cohérents en
matière de prévention. L'Etat, l'assurance maladie, les établissements publics
dépendant de l'Etat et les collectivités locales, notamment les départements,
doivent désormais mener une politique de prévention mieux organisée et plus
active. Jacques Barrot et moi-même aurons l'occasion de prendre des initiatives
en ce domaine au cours de l'année prochaine.
Le rapport de la conférence nationale de santé évoque également la prise en
charge des personnes âgées dépendantes. Il n'est point besoin, devant la Haute
Assemblée, d'insister davantage sur ce sujet, compte tenu du rôle pionnier
qu'elle a joué.
S'agissant des lits de section de cure médicale et des places de soins
infirmiers à domicile, chacun est bien convaincu des efforts qu'il nous faut
entreprendre.
J'évoquerai maintenant notre système de santé et son organisation. Nous devons
tout d'abord renforcer les instruments de la veille et de la sécurité
sanitaires.
J'assistais ce matin, à Bruxelles, au Conseil des ministres de la santé au
sein duquel ces questions ont été évoquées à l'échelon européen. Chacun est
convenu de la nécessité d'améliorer les dispositifs en la matière.
S'agissant de la veille sanitaire, nous disposons du réseau national de santé
publique qui a été créé en 1992. Ses moyens sont renforcés dans le projet de
budget pour 1997, qui sera prochainement soumis à la Haute Assemblée. Chacun
est bien conscient de la nécessité d'avoir un instrument fiable, sérieux et
incontestable. Tel est le travail qui est accompli par le réseau national de
santé publique, qui doit être la tête de pont de ce réseau européen
d'épidémio-surveillance.
Se pose ensuite la question de la sécurité des produits. Le Sénat est
également très attentif à ce sujet. M. Huriet avait notamment déposé une
proposition de loi relative aux thérapies génique et cellulaire qui a été
adoptée dans le cadre d'un récent projet de loi portant diverses mesures
d'ordre sanitaire, social et statutaire.
La crise de la vache folle doit nous amener à nous orienter vers une
institution de référence en matière de sécurité sanitaire. Ce sujet est
actuellement en cours d'examen à l'échelon interministériel. Par ailleurs, la
Haute Assemblée a conduit une mission aux Etats-Unis sur cette question.
Sachez, en tout cas, que le Gouvernement est décidé, sur ce point, à aller de
l'avant.
M. Lucien Neuwirth.
Très bien !
M. Hervé Gaymard,
secrétaire d'Etat.
Enfin, chacun reconnaît la nécessité de recourir à des
soins de qualité. Tel sera en quelque sorte le rôle de l'agence nationale
d'accréditation et d'évaluation de santé qui verra le jour l'année
prochaine.
Cette agence, qui sera composée, dans son immense majorité, de médecins et de
scientifiques, nous permettra de mettre en oeuvre cette politique.
Enfin, dans le prolongement de cette réflexion régionale, que j'évoquais tout
à l'heure, nous devons veiller, dans les régions, à une meilleure adéquation
des moyens à l'activité réelle et aux problèmes tels qu'ils se posent en
matière de santé publique. Je pense notamment à la répartition des budgets
hospitaliers. C'est toute l'ambition de la réforme, de l'action des agences
régionales d'hospitalisation et des contrats d'objectifs qui seront conclus
entre les établissements de santé et les agences régionales.
Telles sont, monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames et
messieurs les sénateurs, brièvement résumées, les orientations de notre
politique de santé.
Nous avons, dès cette année, un travail très important à accomplir ensemble.
Ce qui est très frappant, en effet, c'est qu'on sait, à peu d'incertitudes
près, dans la masse des 590 milliards de francs de dépenses d'assurance maladie
pour 1996 et des 600 milliards de francs pour l'année prochaine, distinguer les
dépenses hospitalières, celles de la médecine de ville, les médicaments, les
honoraires, les prescriptions ou les arrêts maladie.
En revanche, on sait beaucoup moins différencier les pathologies. Il est très
difficile aujourd'hui, cinquante ans pourtant après la création de la sécurité
sociale, de déterminer avec précision ce qui, sur ces 600 milliards de francs,
est affecté à la lutte contre le cancer, à la lutte contre les hépatites, à
telle ou telle action de santé publique. C'est tout l'enjeu de ce qui nous
réunit aujourd'hui !
On peut le préciser pour certaines affections : par exemple, pour le sida, on
sait que la nation dépense 6 milliards de francs, parce que nous avons des
réseaux de soins autour des hôpitaux, dans les CISIH, les centres d'information
et de soins sur l'immuno-déficience humaine, où les crédits sont très
exactement fléchés. Mais ce n'est pas le cas pour toutes les pathologies.
Nous sommes donc confrontés à un réel enjeu ; définir et mettre en oeuvre
ensemble une véritable politique de santé. Trop longtemps, en effet, on a pu
constater deux logiques parallèles, parfois opposées, entre la problématique de
la sécurité sociale et la problématique de la politique de santé. Le projet de
loi de financement de la sécurité sociale, les débats qui se sont déroulés en
aval et ceux qui auront lieu en amont permettront, précisément, de réconcilier
ces deux logiques et de définir une véritable politique de santé pour nos
compatriotes.
Comme l'a indiqué M. Jacques Barrot tout à l'heure, nous souffrons cette année
d'un calendrier particulièrement tendu : la conférence nationale de santé s'est
déroulée au début du mois de septembre dernier ; elle se tiendra l'année
prochaine à la fin du mois de juin ou au début du mois de juillet, ce qui
permettra à chacun de travailler encore davantage à la mise en oeuvre d'une
politique de santé pour tous les Français.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jean Faure remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Descours, rapporteur.
M. Charles Descours,
rapporteur de la commission des affaires sociales pour les équilibres
financiers généraux et l'assurance maladie.
Monsieur le président,
monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il y
a un an, presque jour pour jour - c'était le 15 novembre 1995 - nous écoutions
le Premier ministre présenter un plan de refondation de notre système de
protection sociale.
Aujourd'hui, nous voici réunis pour examiner le premier projet de loi de
financement de la sécurité sociale, qui constitue une étape décisive de cette
refondation. Il s'agit d'une réforme qui se déroule à une vitesse convenable,
d'une réforme qui continue d'exister, contrairement à ce que je lis ici ou là,
d'une réforme que certains, notamment les médecins, trouvent trop rapide et que
d'autres, en particulier le patronat, trouvent trop lente.
Il faut dire que cette réforme s'inscrit dans des circonstances difficiles
pour notre protection sociale, qu'il importe avant tout de sauvegarder.
Quel est le contexte ?
Je commencerai par évoquer les efforts demandés à l'assurance maladie.
La réforme des retraites adoptée en 1993 commençant à produire ses premiers
effets et les instruments de la maîtrise de la branche famille apparaisssant
assez simples, une réelle pression s'exerce sur la branche maladie et sur les
professionnels de santé.
Or 1996 a été une année difficile pour l'assurance maladie, ses comptes et ses
principaux acteurs. En effet, alors que les comptes de l'assurance maladie
présentent un déficit persistant, l'inquiétude des professions de santé
alourdit le climat dans lequel se déroule une progressive refondation de
l'assurance maladie et du système de santé.
Après les bons résultats de 1994, l'année 1995 avait été caractérisée par une
très forte dégradation des comptes avec un déficit de près de 40 milliards de
francs pour la seule branche maladie du régime général. En 1996, l'ampleur du
déficit a été réduite de 6 milliards de francs : la commission des comptes de
la sécurité sociale estime, en effet, que le solde négatif de la branche
maladie du régime général s'établira à 33,6 milliards de francs en 1996.
Poste par poste, on rappellera que le taux directeur des dépenses
hospitalières et l'objectif prévisionnel des dépenses médicales retenus pour
l'année 1996 ont été très rigoureux, à savoir 2,1 %.
Pour l'hôpital - M. Barrot le rappelait à l'instant - la progression des
dépenses devrait effectivement être réduite à 2,1 % en 1996. Pour les médecins,
le taux d'évolution des dépenses entrant dans le champ de l'objectif
prévisionnel a été beaucoup plus élevé que l'objectif pendant les sept premiers
mois.
Cependant, au cours des mois de juin, juillet et août, l'évolution des
dépenses de remboursement d'honoraires médicaux - M. Barrot l'a également
rappelé - a été négative pour le régime général : moins 0,3 % en juin, moins
0,3 % en juillet et moins 0,5 % en août.
De bons résultats sont aussi constatés sur ces trois mois pour les dépenses
correspondant aux prescriptions - biologie, auxiliaires médicaux - si l'on
excepte les médicaments.
Par conséquent, il faut rassurer les professionnels de santé : l'objectif de
2,1 % qui avait été fixé sera respecté pour l'année 1996, tant pour l'hôpital
que pour la médecine libérale, et ce sans aucune restriction de soins. Cet
objectif n'est donc plus hors de portée.
Certes un point noir subsiste - M. le ministre le rappelait à l'instant - en
ce qui concerne les prescriptions pharmaceutiques : cette année encore, les
résultats risquent d'être décevants, puisque la commission des comptes de la
sécurité sociale estime à 5,2 % l'augmentation des remboursements du régime
général pour l'ensemble de l'année.
A cet égard, je voudrais attirer l'attention du Gouvernement sur deux
points.
En premier lieu, des transferts semblent s'être opérés entre l'hôpital et la
médecine de ville, notamment pour le traitement de l'hépatite C, du sida ou des
cancers.
Le principe des vases communicants s'applique aussi à la médecine : il y a des
malades coûteux, vous le savez bien, mes chers collègues, et, compte tenu des
limitations budgétaires, personne ne veut les garder trop longtemps, qu'il
s'agisse de la médecine de ville ou de l'hôpital. Il y a donc là une prise en
charge globale nécessaire, que nous devons prendre en compte.
Je souhaite attirer l'attention du Gouvernement sur un second point :
l'accord-cadre conclu entre l'Etat et le syndicat national de l'industrie
pharmaceutique arrive à expiration. La commission des affaires sociales
souhaiterait donc obtenir un bilan détaillé de son application : elle n'a
jamais reçu d'informations précises sur le fonctionnement et les résultats des
conventions, qui ont pourtant été conclues au nom de l'Etat. Il conviendrait
que le Parlement fût informé.
Au travers de la persistance des déficits de l'assurance maladie, je désire
revenir sur le contexte de profonde inquiétude, voire de désarroi, des
professionnels de santé dans lequel s'inscrit ce débat.
Il est d'abord patent que les médecins doivent aujourd'hui affronter une
véritable crise d'identité collective.
A la fois hommes d'un art, d'une science et d'un sacerdoce, les médecins ont
vu leur activité se banaliser, alors même que la médecine réalisait d'immenses
progrès.
Dans un climat d'amélioration du niveau général d'éducation de la population
française, le nombre de médecins a crû de 470 % en quarante ans. La profession
se féminise et elle est de plus en plus considérée comme une profession
comparable aux autres.
Descendus de leur piédestal, affrontant une période de crise, certains
médecins n'hésitent pas à se considérer comme les boucs émissaires de la
société de cette fin de siècle. Au déshonneur éditorial qu'ils doivent parfois
affronter dans certains journaux ou magazines s'ajoutent les efforts financiers
qui ont été demandés à la profession en 1996 et qui constituent un puissant
catalyseur de la crise. Certains vont même jusqu'à oublier - je le leur
rappelle au passage - que le produit de ces mesures financera non pas le
déficit de l'assurance maladie, mais des aides à l'informatisation de cabinets
médicaux et à la reconversion des médecins.
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Très bien !
M. Charles Descours,
rapporteur.
J'aimerais que mes confrères, responsables des syndicats de
médecins, le rappellent à l'ensemble de la profession.
Je tiens à dire aux médecins qu'ils ne sont pas des demi-dieux intouchables,
mais qu'ils ne sont pas non plus des boucs émissaires, comme ils ont peut-être,
à tort, l'impression de l'être aujourd'hui.
Je souhaite également dire quelques mots sur la crainte de l'inégalité de la
répartition de l'effort. L'ensemble des professionnels de santé est convaincu
que les prochaines années seront des années d'effort. Pour la plupart, ils
semblent l'accepter, à condition que cet effort soit équitablement réparti.
Il convient donc de montrer clairement que tous doivent accomplir un effort :
les médecins libéraux certes, mais aussi les médecins hospitaliers - il importe
que la réforme hospitalière ne s'arrête pas aux portes de l'hôpital et qu'elle
soit en place dès le 1er janvier 1997 - et les établissements médico-sociaux.
Nous réintroduirons dans la loi, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire
d'Etat, les établissements médico-sociaux, qui y figuraient initialement : nous
ne pouvons pas fixer un taux de 1,7 % pour les médecins et les hôpitaux publics
- 2,1 % l'année dernière - alors que les dépenses des établissements
médico-sociaux ont dérivé de 8 % l'an dernier !
Je sais bien que le même coefficient ne peut pas leur être appliqué, mais on
ne peut pas les ignorer ; ce sera d'ailleurs un stimulant, monsieur le
ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, pour réformer la loi de 1975, qui sera
très difficile à modifier.
Par ailleurs, il convient que les clients, les usagers, les malades
accomplissent un effort. Nous aurons d'ailleurs un débat, à l'occasion de cette
discussion, sur le carnet de santé. Bien sûr, je connais les difficultés que
soulève la confidentialité du carnet de santé, mais on ne peut pas demander des
efforts uniquement aux personnels soignants sans que les clients, les usagers,
les malades, puissent aussi être contrôlés. Je rappelle que, voilà quelques
années, le professeur Béraud parlait de 100 milliards de francs ou de 60
milliards de francs d'économies ; cela avait d'ailleurs fait hurler les
médecins à l'époque. Je ne sais pas quel est le chiffre exact, mais il est sûr
qu'il y a des examens redondants dans ce pays et que le carnet de santé - et
demain la carte à puce - doit permettre de les gommer. Il faudra donc
rapidement que ce carnet de santé soit opposable.
Je souhaite revenir sur le bilan des mesures de rééquilibrage, à court terme,
présentées dans le cadre du plan du 15 novembre 1995.
L'ampleur des mesures présentées dans le présent projet de loi de financement
se justifie par le bilan des mesures de rééquilibrage du plan Juppé. Il me
paraît utile, en effet, de revenir sur les causes du décalage entre les
objectifs financiers annoncés par le Premier ministre le 15 novembre 1995 et
les résultats constatés. Les mesures financières à court terme alors présentées
devaient ramener le déficit général à environ 17 milliards de francs en 1996 et
dégager un excédent en 1997.
Un premier constat a été dressé dans le plan Juppé : la dette sociale
accumulée fin 1995 a été cantonnée et son financement assuré.
La CADES a créé, par ailleurs, une contribution assiste sur tous les revenus,
la CRDS, afin d'apurer un déficit cumulé, qui s'élevait à 250 milliards de
francs.
Cet établissement public a été mis en place dans des conditions de rapidité et
d'efficacité qu'il convient de souligner.
Je rappelle, toujours pour la transparence, qu'un conseil de surveillance de
la CADES a été constitué, qui jusqu'à présent n'a jamais été réuni. Il aurait
été intéressant de savoir, avant ce débat sur la sécurité sociale qui a lieu
pour la première fois au Parlement, comment la CADES est gérée cette année.
Aujourd'hui, nous avons auditionné le président de la CADES, mais, je le
répète, le conseil de surveillance n'a jamais été réuni. Ce n'est pas normal
!
En outre - il s'agit d'un point un peu annexe - le Premier ministre avait
rappelé que, au-delà du remboursement de la dette sociale, deux ressources
devaient être trouvées : le reversement des sommes correspondant au
remboursement des créances détenues sur les organismes étrangers de sécurité
sociale et la vente du patrimoine privé à usage locatif des caisses nationales
du régime général. A la lecture des textes, nous avons le sentiment que cela
n'est pas prévu. Toutefois, compte tenu des contacts que nous avons eus avec
des membres de votre cabinet ministériel, monsieur le ministre, il paraît que
le processus est engagé. Il n'est pas évident de trouver d'autres sources que
le RDS pour alimenter la CADES.
Je souhaiterais savoir quelles sont les ressources qui proviennent du
remboursement des dettes des pays étrangers dans le financement de la CADES et
ce qu'il advient de la vente du patrimoine privé à usage locatif des caisses,
patrimoine, qui, je le rappelle, est estimé à 8 milliards de francs. Je sais
bien que ce n'est pas le bon moment pour vendre, mais ce patrimoine ne paraît
pas absolument indispensable.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
C'est une bonne question !
M. Charles Descours,
rapporteur.
Je vous remercie, monsieur le ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat, de nous répondre sur ce point.
Un deuxième constat a été dressé dans le plan Juppé : le plan d'urgence mis en
place en 1996 a permis de réduire le déficit tendanciel de l'exercice 1996 de
29,4 milliards de francs.
Sur un rendement de quelque 35 milliards de francs, pratiquement 85 % de cet
objectif ont pu être atteints. Cependant, comme vous l'avez dit, monsieur le
ministre, et je suis totalement d'accord avec vous, le problème, c'est
l'évolution très défavorable des recettes.
Comment le Gouvernement et le Parlement peuvent-ils faire des prévisions
normales ? En effet, alors que, selon les organismes de prévision publics ou
privés, l'hypothèse de croissance s'élevait à 2,8 % et la progression de la
masse salariale à 5,3 %, la croissance s'établira finalement à 1,3 % et la
progression de la masse salariale à 2,3 %. Je veux bien qu'entre les prévisions
des organismes il y ait l'épaisseur du trait. Toutefois, je ne peux comprendre
qu'il existe un écart de trois points entre la progression prévue de la masse
salariale et la progression réelle. Nous ne pouvons pas travailler dans ces
conditions. Il faut vraiment revoir les modèles mathématiques qui, à
l'évidence, ne sont pas bons.
Les recettes dépendent essentiellement de la masse salariale. Aussi, je
voudrais tout d'abord évoquer les études que nous conduisons pour rendre les
recettes moins dépendantes de l'évolution de la masse salariale.
Je rappelle que la France reste, dans l'Union européenne, le pays où la
proportion des ressources du régime général assurées par des cotisations
sociales est la plus élevée. Le Danemark, par exemple, a une proportion presque
inverse, puisque 81 % de ses dépenses de protection sociale sont couverts par
l'impôt et les contributions publiques.
Il faudra donc élargir l'assiette des cotisations sociales dans notre pays.
C'est une évolution incontournable, une nécessité. Certains, hier, pensaient à
la valeur ajoutée : nous n'y sommes pas opposés ; encore faudra-t-il examiner
les effets pervers sur les entreprises à forte valeur ajoutée.
Je voudrais également aborder les dépenses liées à la branche famille, dont le
coût s'est révélé supérieur de près de 3 milliards de francs aux dépenses
initialement prévues.
Le contexte dans lequel a été déposé le premier projet de loi de financement
de la sécurité sociale peut paraître bien difficile. Cependant, nous nous
réjouissons de la présentation de ce texte au Parlement. Il constitue
l'aboutissement d'une procédure d'élaboration mettant en jeu l'ensemble des
acteurs de notre système de sécurité sociale, avec, notamment, l'intervention
de la conférence nationale de santé, la réunion de la commission des comptes de
la sécurité sociale, la consultation des caisses et le rapport de la Cour des
comptes.
Cette procédure en amont a été mise en place dans des conditions qui n'étaient
pas évidentes. Cependant, elle a contribué très utilement aux travaux de la
commission des affaires sociales. Je pense notamment à la tâche accomplie par
la conférence nationale de santé qui, aux dires de tous les participants et
malgré la précipitation avec laquelle elle a été convoquée, s'est révélée très
utile.
Je voudrais souligner également la diversité et la densité des documents qui
ont été transmis au Parlement. Je pense au rapport de la Cour des comptes et au
rapport annexé au projet de loi.
Le Parlement a été placé au centre de ce dispositif, conformément à
l'engagement de M. le Premier ministre d'en faire « la clé de voûte » de sa
réforme de la protection sociale.
Nous sommes conscients non seulement de l'importance des compétences qui sont
désormais les nôtres, mais également des responsabilités qui en découlent,
qu'il s'agisse de nos responsabilités relatives à l'analyse des comptes qui
nous sont soumis ou de nos responsabilités au regard des propositions que nous
formulerons.
Je regrette un peu que nos collègues de l'Assemblée nationale aient accru le
déficit de près de un milliard de francs. Dans ce type de débat, il est facile
d'accroître les déficits ; c'est plus populaire que d'essayer d'atteindre
l'équilibre.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1997 a un
véritable contenu. De nombreuses discussions avaient eu lieu sur le contenu et
la portée des futures lois de financement de la sécurité sociale, et leur
valeur normative a été mise en doute. Aujourd'hui, le doute n'est plus permis :
la loi de financement de la sécurité sociale pour 1997 comporte des
dispositions qui n'ont rien à voir avec une vague loi de programme ; elles ont
un contenu et des effets juridiques incontestables. Monsieur le ministre,
monsieur le secrétaire d'Etat, nous nous en réjouissons.
On distingue bien dans ce texte, d'une part, le rapport d'orientation, qui
présente et explicite les objectifs du Gouvernement et qui a donné lieu à un
large débat à l'Assemblée nationale, et, d'autre part, les mesures juridiques,
qui, sur l'exercice 1997, vont déterminer les conditions de l'équilibre général
des régimes de base de la sécurité sociale.
La réforme du financement de l'assurance maladie s'inscrit dans une évolution
amorcée depuis plusieurs années et qui s'est accélérée avec l'introduction de
la contribution sociale généralisée, d'abord pour la branche famille en 1991,
puis pour la branche vieillesse en 1993, et qui s'étend aujourd'hui à la
branche maladie. Nous le constatons, nous nous y mettons tous, quelles que
soient nos sensibilités, puisque trois gouvernements successifs ont agi en ce
sens. La CSG apparaît ainsi comme la véritable composante de cette réforme
structurelle et conforte sa vocation de « cotisation sociale universelle » -
c'est l'expression que vous avez utilisée, monsieur le ministre - avec un
produit d'environ 150 milliards de francs pour 1997.
Sur le dispositif proposé, la commission des affaires sociales souhaite faire
quatre observations principales.
Première observation : compte tenu de l'impact financier de l'élargissement de
l'assiette de l'ensemble de la CSG, nous comprenons que le Gouvernement ait
retenu une extension progressive et n'ait pas procédé immédiatement à
l'assujettissement des prestations familiales et des aides personnelles au
logement. Toutefois, cela est difficilement compréhensible par nos concitoyens,
puisqu'il n'y a pas d'harmonie avec la contribution pour le remboursement de la
dette sociale, pour des raisons liées tant à la nécessaire simplification des
fiches de paie qu'à l'équité et à la mise en place du régime universel de
l'assurance maladie, dont M. Gaymard vient d'annoncer la prochaine
discussion.
Il existe donc un véritable problème. En effet, l'assiette des trois CSG a été
harmonisée dans le présent projet de loi, et nous nous en réjouissons, mais
elle est différente de l'assiette de la CRDS. Cela est difficilement
compréhensible pour nos concitoyens.
Deuxième observation : la déductibilité de la CSG maladie introduit une
disparité difficilement justifiable car elle précise, comme on le voit bien, un
avantage d'autant plus important que le revenu est élevé et la famille peu
nombreuse.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Eh oui !
M. Charles Descours,
rapporteur.
Là encore, M. Mélenchon connaît bien la situation.
Troisième observation : l'opération de substitution de la CSG à la cotisation
maladie se serait révélée défavorable - il ne faut pas l'oublier, mes chers
collègues - de l'ordre de 1,7 milliard de francs, si une recette nouvelle ne
venait pas compléter la CSG maladie. Le Gouvernement a donc prévu d'affecter à
cette branche une partie des droits sur les alcools, selon un mécanisme
compliqué, mais que la commission a compris lors des auditions, prélevés
jusqu'ici au profit du Fonds de solidarité vieillesse. Il faut donc bien avoir
à l'esprit que toute baisse du produit de ces droits à une incidence directe
sur l'équilibre de nos régimes d'assurance maladie.
Enfin, quatrième observation : la commission des affaires sociales a voté la
création d'un groupe de travail sur la réforme des cotisations patronales. Nous
considérons que c'est un sujet très délicat et que les effets de la prise en
compte de la valeur ajoutée devront être appréciés, le cas échéant, secteur par
secteur, afin de ne pas pénaliser les entreprises les plus dynamiques. Je
rappelle que, notamment dans les pays développés, ce sont les entreprises qui
ont une grande valeur ajoutée qu'il convient de préserver. Il ne faut pas
pénaliser nos entreprises à forte valeur ajoutée car nous les inciterions à
s'installer à l'étranger, à l'instar de nos entreprises de main-d'oeuvre.
J'en viens à l'équilibre financier. S'agissant des conditions de l'équilibre
financier des régimes de base, je formulerai quatre remarques, au nom de la
commission des affaires sociales.
Premièrement, les prévisions de recettes s'élèvent à 1 658 milliards de
francs, alors que les objectifs de dépenses s'établissent, après examen du
projet de loi par l'Assemblée nationale, à 1 684,9 milliards de francs, soit un
écart de 26,9 milliards de francs. Ce solde est-il significatif ? En tout état
de cause, il est, selon nous, très difficile à comprendre, dans la mesure où
les recettes portent sur l'ensemble des régimes alors que les dépenses ne
concernent que les régimes comptant plus de 20 000 cotisants actifs ou
retraités titulaires de droits propres. Il s'agit d'un point extrêmement
technique. Cela étant, nous nous préoccupons également de l'avenir des petits
régimes pour lesquels un dépoussiérage et une plus grande transparence sont
souhaitables. Aujourd'hui, il existe un « gap » que nous voudrions voir comblé
au cours des prochaines années, afin que le Parlement sache de quoi il parle.
En l'occurrence, il s'agit non pas de quelques francs, mais de quelque 27
milliards de francs.
Deuxièmement, ces évaluations de recettes sont cohérentes avec les hypothèses
macro-économiques retenues dans le projet de loi de finances pour 1997. Nous
avons noté le recours à certaines recettes ponctuelles, notamment l'intégration
financée du régime militaire de sécurité sociale, le versement annoncé de
l'Etat au titre du règlement du contentieux EDF-GDF - vieille histoire ! - et,
surtout, la ponction sur les réserves de l'allocation temporaire d'invalidité
des agents des collectivités locales au profit de la CNRACL, la Caisse
nationale de retraite des agents des collectivités locales. Nous y reviendrons
au cours du débat. S'agissant de la CNRACL, je précise d'ores et déjà que nous
présenterons un amendement.
Troisièmement, les objectifs de dépenses, qui prévoient un freinage très net
dans l'évolution des dépenses, ne nous paraissent pas irréalistes. Je crois
que, comme en 1996, les chiffres seront proches de la réalité.
J'attire cependant l'attention de nos collègues sur le fait qu'il ne faut pas
se polariser sur la branche maladie. En effet, la branche vieillesse reste au
moins aussi préoccupante. Je rappelle que, sur la totalité des dépenses, la
branche maladie représente 39 % et la branche vieillesse 44 %. Ce n'est pas
parce qu'on a jeté un voile, telle la tunique de Nessus, sur les régimes
spéciaux que cela dispensera l'Etat d'y consacrer 65 milliards de francs d'ici
à l'an 2000. Cela n'empêchera pas les régimes spéciaux d'être extrêmement
déficitaires en 2005 et d'exploser en 2010 si aucune mesure n'est prise.
Or les seules options envisageables sont des dispositifs « en sifflet »,
c'est-à-dire comportant une très grande progressivité. Nous ne pourrons pas
éternellement esquiver le débat sur les régimes spéciaux de retraite. En effet,
le problème est devant nous. La réflexion aura lieu dans le cadre d'un dialogue
social. Elle est indispensable car le problème est réel.
Quatrièmement, le solde du régime général connaîtra, après ces mesures, une
amélioration de 17,5 milliards de francs. Il s'agit d'une évolution tout à fait
positive, qui permettra de contenir les besoins de trésorerie dans les limites
fixées par l'article 5 du projet de loi. Ce sera notamment le cas pour la
branche maladie, dont le solde devrait être réduit de moitié, c'est-à-dire de
près de 16 milliards de francs, contre plus de 31 milliards de francs en solde
tendanciel.
J'en viens aux propositions de la commission des affaires sociales.
S'agissant des équilibres financiers de la sécurité sociale, la commission,
comme je l'ai dit tout à l'heure, s'est fixé comme objectif essentiel de faire
en sorte que le texte qui résultera des travaux du Parlement n'aggrave pas le
déficit initial présenté par le Gouvernement. Cela nous semble être une
question de responsabilité du Parlement. Celui-ci ne doit pas aggraver le
déficit, qui est déjà important.
Aussi, en ce qui concerne le volet « recettes » du projet de loi, la
commission considère qu'un compromis a été trouvé s'agissant de la CSG sur les
casinos, de la taxation des premix et des droits sur les alcools, et ne
souhaite pas revenir sur ces points.
En revanche, elle proposera d'assujettir à cotisations sociales les indemnités
de licenciement versées au-delà des obligations légales et conventionnelles,
lesquelles concernent seulement les cadres qui ont un salaire important, étant
observé que le présent projet de loi soumet lesdites indemnités, pour cette
même part, à la CSG. Sans cela, des indemnités soumises à la CSG ne seraient
pas soumises à cotisations sociales. Cela constitue une ressource nouvelle.
Aussi, nous vous proposons, mes chers collègues, de l'inscrire dans le projet
de loi.
Au nom de la commission, je formulerai maintenant dix propositions relatives à
l'assurance maladie, certaines trouvant leur traduction dans les amendements
présentés sur le volet « dépenses » du présent projet de loi. Il s'agit,
notamment, de la régulation des dépenses du secteur médico-social et de la «
cagnotte » destinée aux professionnels de santé.
Premièrement, il faut rétablir le dialogue avec les professionnels de santé.
En effet, la réforme de la sécurité sociale ne se fera pas contre les médecins.
A la suite de malentendus et, peut-être, de maladresses, un climat
d'incompréhension mutuelle semble s'être installé entre les professionnels de
santé et le Gouvernement. Cela est grave au moment où est mise en place une
réforme essentielle pour l'avenir de notre système de santé.
Il convient donc d'adapter, dans les meilleurs délais, la convention médicale
aux nouvelles données, afin que le système conventionnel ne soit pas menacé.
Certes, nous ne devons pas oublier les autres professionnels de santé, comme
les directeurs de laboratoires, de cliniques, ou les infirmiers, qui se sont
engagés, eux aussi, depuis très longtemps dans un processus de maîtrise
médicalisée des dépenses.
Deuxièmement, il convient de poursuivre la mise en oeuvre rapide des
ordonnances.
Je l'ai déjà souligné, la totalité des mesures réglementaires d'application
nécessaires à l'entrée en vigueur des ordonnances doit être publiée dans les
plus brefs délais, en tout cas d'ici au 1er janvier 1997. Le Gouvernement s'y
est engagé. Les Français ne comprendraient pas que, plus d'un an après le
discours de M. le Premier ministre, le 15 novembre dernier, soulignant la
gravité de la situation et l'urgence d'une réforme, rien ne soit changé d'ici
au début de l'année prochaine.
Troisièmement, il faut rétablir la confiance chez les professionnels et dans
l'opinion publique sur les objectifs que nous nous sommes fixés. J'ai déjà
évoqué ce point.
Quatrièmement, il convient de placer le secteur médico-social dans un
mécanisme de régulation des dépenses. Nous proposerons un amendement sur ce
point. Je le répète, il n'est pas normal que le secteur médico-social soit
aujourd'hui le seul à ne pas être placé dans un dispositif de maîtrise des
dépenses. Certes, il conviendrait d'attendre une réforme de la loi du 30 juin
1975. Toutefois, dans l'attente de cette dernière, la commisssion des affaires
sociales vous proposera d'adopter un dispositif de maîtrise des dépenses qui,
dans le respect des spécificités du secteur médico-social, contribuera à
réguler l'évolution des dépenses qui le concernent.
Cinquièmement, il convient de médicaliser autant que possible l'objectif
national des dépenses. La commission des affaires sociales souhaite notamment
affiner sa méthode de travail avec la conférence nationale de santé tout au
long de l'année pour disposer de données chiffrées prospectives et pour
connaître l'impact financier de certaines priorités ; cela lui permettra
d'éclairer plus utilement le Parlement sur les choix qu'il aura à effectuer au
cours du débat sur le financement de la sécurité sociale. Nous pourrions ainsi,
par exemple, définir le panier des biens et des services de santé remboursables
par l'assurance maladie.
De même, la commission des affaires sociales vous propose d'augmenter cette
année l'objectif national de dépenses, en le complétant par une enveloppe
supplémentaire, sorte de réserve destinée à financer de nouvelles priorités de
santé publique définies par le Gouvernement ou par les partenaires
conventionnels.
J'apporterai quelques explications à cet égard : voilà deux ans, le
Gouvernement a lancé une campagne de vaccination contre l'hépatite B. Pendant
un an, médecins et syndicats médicaux ont expliqué qu'ils n'étaient en rien
responsables de l'augmentation de 1,3 point qui s'était ensuivie puisqu'il
s'agissait d'une décision gouvernementale. De même, la trithérapie contre le
sida va entraîner une augmentation des dépenses dans la mesure où le nombre des
malades est passé de 150, voilà quelques mois, à 12 000, aujourd'hui, ainsi que
nous l'a récemment indiqué M. Gaymard.
En outre, de nouveaux traitement contre le cancer, qui ont déjà reçu
l'autorisation de mise sur le marché, l'AMM, vont surenchérir le coût du
traitement des cancéreux l'année prochaine.
Il ne faut pas que ces divers surcoûts pèsent sur l'objectif opposable aux
médecins, qui n'en peuvent mais. Il faut donc prévoir une poire pour la soif.
Nous proposons un milliard de francs supplémentaires, une sorte de cagnotte
pour les professionnels de santé. Si j'en crois les premières réactions de la
presse, cette disposition, demandée à juste raison par les médecins depuis
longtemps, a été plutôt bien reçue.
J'en viens à la sixième suggestion : il faut faire en sorte que la réforme
hospitalière ne s'arrête pas à la porte de l'hôpital. Nous sommes un peu
inquiets, car il est bien évident que le succès de la réforme hospitalière
passe par une forte implication du niveau local dans la gestion des praticiens
hospitaliers et des chefs de service, lesquels ne sont pas tous prêts à jouer
ce jeu de contractualisation ; c'est d'autant plus vrai que cette dernière
débouchera, dans un certain nombre de cas, sur un redéploiement des services,
parfois même des hôpitaux, point sur lequel les médecins hospitaliers sont bien
sûr plus que réservés.
Septièmement - je le dis pour mémoire - il faut procéder à une remise à plat
des conditions d'exercice de la pharmacie d'officine.
Huitièmement, il convient de réfléchir à une éventuelle inclusion de
l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris dans le champ de compétences de
l'agence régionale de l'hospitalisation de l'Ile-de-France. Cette région est
trop souvent exclue des lois que nous votons.
Ainsi, comme la LOTI, la loi d'orientation des transports intérieurs, ce
projet de loi ne s'applique pas à l'Ile-de-France. Je ne comprends d'ailleurs
pas pourquoi toutes les lois françaises ne visent pas cette région !
Il faudrait au moins favoriser une coopération entre l'agence régionale de
l'hospitalisation de l'Ile-de-France et l'Assistance publique.
Neuvièmement, il convient de procéder à une révision rapide de la nomenclature
des actes professionnels et du tarif des prestations sanitaires. C'est un vieux
cheval de bataille, monsieur le ministre : il y a longtemps que l'on parle de
la nomenclature, et rien n'est fait ! Là aussi, les professionnels attendent
des décisions, et j'espère que ces dernières pourront être prises le plus
rapidement possible.
Enfin - c'est la dixième suggestion - il faut renforcer la transparence des
comptes. Suite au rapport de la Cour des comptes, nous pensons que, malgré les
efforts entrepris depuis plusieurs années par la commission des comptes de la
sécurité sociale et son secrétaire général, M. Jean Marmot, des efforts restent
à réaliser quant à la transparence des comptes. La Cour des comptes, dans son
rapport, en suggère un certain nombre qu'il faudra mettre en pratique au sein
de la commission des comptes.
Mes chers collègues, sous ces réserves, la commission des affaires sociales
vous propose d'adopter le projet de loi de financement de la sécurité sociale,
modifié par les amendements que je vous ai annoncés, pour ses dispositions
relatives aux conditions générales de l'équilibre financier et de l'assurance
maladie.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Machet, rapporteur.
M. Jacques Machet,
rapporteur de la commission des affaires sociales pour la famille.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, s'agissant de la branche famille, la commission des affaires
sociales souhaite préciser tout d'abord, dans la mesure où la Caisse nationale
des allocations familiales, la CNAF, octroie la plus grande partie des
prestations familiales, que la politique familiale sera analysée presque
exclusivement à travers la situation de cette caisse.
Dans un premier temps, la commission des affaires sociales a choisi de dresser
un bilan de l'application de la loi relative à la famille, dont le coût,
beaucoup plus fort que prévu, pèse durablement sur la situation financière de
la CNAF. En ce qui concerne les aides à la petite enfance, elle reprendra
succinctement l'analyse, au demeurant assez critique, que la Cour des comptes a
formulée dans son rapport au Parlement.
Dans un second temps, la commission examinera la mise en oeuvre des
dispositions à caractère familial du plan dit « Plan Juppé », qui trouvent,
selon elle, leur prolongement dans le contenu du présent projet de loi et se
sont accompagnées de la mise en place d'un nécessaire mécanisme de concertation
: la conférence de la famille.
En premier lieu, je dresserai donc le bilan de la politique familiale qui a
été menée ces dernières années : le coût de l'application de la loi relative à
la famille a été plus élevé qu'on ne le pensait au départ, et les aides à
l'accueil des jeunes enfants ont abouti, selon la Cour des comptes, à des
résultats mitigés.
En effet, depuis 1995, la montée en charge plus forte que prévu des dépenses
liées à la mise en oeuvre de la loi relative à la famille a contribué à creuser
le déficit préoccupant de la CNAF. Celui-ci a été, en 1995, de 38,4 milliards
de francs, soit une forte aggravation par rapport à 1995, où il n'atteignait «
que » 10,45 milliards de francs, alors qu'il se monte aujourd'hui - vous l'avez
dit à cette tribune, monsieur le ministre - à 21 milliards de francs.
La loi relative à la famille prévoyait deux grands types de dispositions : les
mesures à destination des jeunes adultes et l'aide à l'accueil des jeunes
enfants, avec l'extension de l'APE, l'allocation parentale d'éducation, dès le
deuxième enfant, ainsi que l'amélioration de l'AGED, l'allocation de garde
d'enfant à domicile, et l'AFEAMA, l'aide aux familles pour l'emploi d'une
assistance maternelle agréée à domicile.
Selon les prévisions, le coût supplémentaire pour la branche famille de ces
trois dispositions devait être de 2,9 milliards de francs en 1995, de 5,5
milliards de francs en 1996 et d'environ 10 milliards de francs à la fin de la
montée en charge. Or, dès le deuxième semestre de 1995, on a pu constater un
surcoût que l'on évalue à 3 milliards de francs en 1996 et à 3,7 milliards en
1997. Ainsi, les dépenses supplémentaires engendrées par la mise en oeuvre de
la première étape de la loi pourraient atteindre plus de 14 milliards de
francs, selon le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale de
juin 1996. N'est-ce pas cependant pour le bien de nos familles ?
A cet égard, la commission souhaite faire une remarque qui corrige cette
optique purement financière.
Si le premier volet de cette loi est aussi coûteux, c'est qu'il correspond
bien à un besoin, notamment de la part des femmes qui souhaitent s'arrêter de
travailler pour pouvoir s'occuper de leurs enfants, et qui ne le pouvaient pas
auparavant pour des raisons financières. L'allocation parentale d'éducation dès
le deuxième enfant a donc été positive pour la famille et la vie de famille. En
revanche, les chiffres un peu secs qui viennent d'être évoqués consacrent
plutôt l'échec des prévisionnistes. Avant de prendre une décision, peut-être
faut-il plus souvent aller au bout de la prévision !
S'agissant toujours de l'APE, la commission des affaires sociales a souhaité
porter à la connaissance de la Haute Assemblée un chiffre extrêmement
significatif : actuellement, 45 % des femmes accouchant d'un deuxième enfant,
soit presque une femme sur deux, demandent cette prestation, que cela soit à
taux plein, soit 35 %, ou à taux partiel, soit 10 %, selon leurs ressources.
Cette proportion est encore plus importante pour les femmes ayant des revenus
modestes - et tant mieux ! - dans les moyennes et petites agglomérations et,
surtout, dans les régions touchées par le chômage. La CNAF souligne, à cet
égard, l'aspect transfert entre les prestations de chômage et l'APE. Chacun
voit bien le mécanisme.
D'après une étude de la CNAF, les régimes de sécurité sociale ont dépensé, en
1995, pour l'APE dès le deuxième enfant un peu moins de 2,4 milliards de
francs, dont 2,1 milliards de francs pour l'APE à taux plein, alors que les
prévisions tablaient sur 1,6 milliard de francs, dont 1,05 milliard de francs
pour l'APE à taux plein. Donc, pour cette dernière, les dépenses, dès 1995,
sont doubles de ce qui avait été envisagé, ce qui est considérable.
La montée en charge de l'AGED a été tout aussi impressionnante, avec une
augmentation de 88,6 % entre le quatrième trimestre 1994 et le quatrième
trimestre 1995, soit en une année. Globalement, pour 1996, l'AGED devrait
atteindre 1,6 milliard de francs. Pour 1997, son montant total est évalué à
1,86 milliard de francs, soit un doublement par rapport à 1995.
Concernant l'AFEAMA, pour la dernière période connue, c'est-à-dire de mars
1995 à mars 1996, le taux de croissance du nombre des bénéficiaires est de
20,46 %. Sur le plan des montants, on peut constater que, entre 1994 et 1997,
si l'on en croit les prévisions, cette prestation devrait connaître un
quasi-doublement, passant de 4,18 milliards de francs à 8,1 milliards de
francs. Mais - je le rappelle - c'est pour nos familles.
Ainsi, globalement, l'application du premier volet de la loi relative à la
famille, quels que soient ses mérites - et ils sont très importants, comme la
commission des affaires sociales l'a déjà souligné - semble à l'origine d'une
dérive financière due à de mauvaises prévisions, ainsi que je l'ai dit au début
de mon propos. La commission souhaite donc fortement que cela ne conduise pas à
remettre en cause la mise en oeuvre de la deuxième partie de cette loi à
destination des jeunes adultes, car elle lui semble tout à fait nécessaire.
La Cour des comptes, dans son dernier rapport, a, par ailleurs, analysé
l'ensemble du dispositif d'aide à la petite enfance et a soulevé questions et
problèmes.
S'agissant de l'AGED, la Cour des comptes a conclu que cette aide était
d'autant plus intéressante que le ménage, la famille, considéré était aisé et
qu'il pouvait également bénéficier de la réduction d'impôt d'un montant maximal
de 45 000 francs. Elle a déploré, par ailleurs, que la revalorisation de l'AGED
en 1994 soit intervenue sans évaluation préalable et que les conditions
d'ouverture du droit restent complexes. S'agissant de la pertinence du cumul
entre l'AGED et la réduction d'impôt, ainsi que sur les modalités d'accès, la
commission aimerait entendre votre sentiment, monsieur le ministre.
Concernant l'AFEAMA, la Cour des comptes a constaté - c'est un vrai problème
selon la commission - le manque de coordination entre les CAF et les
départements qui ne communiquent pas à celles-ci les décisions d'agrément des
assistantes maternelles.
Sur le plan général de la concurrence entre accueil individuel et hébergement
collectif, la Cour des comptes s'est interrogée sue les conséquences de
l'accroissement des aides individuelles quant à l'équilibre financier des
structures collectives. Il convient, toutefois, selon la commission, de
relativiser ce problème dans la mesure où, d'une part, l'écart reste important
entre le nombre de places de crèches et celui des bénéficiaires de l'AGED, et
où, d'autre part, la pénurie de places de crèches subsiste dans certaines
villes. Ainsi, on peut espérer que l'amélioration des aides individuelles, sans
que cela soit encore globalement mesurable, a pu permettre de libérer des
places de crèches pour les familles les plus modestes.
Le constat de la Cour des comptes qui, bien sûr, ne met en lumière que les
problèmes et non les succès, invite cependant à la réflexion.
En deuxième lieu, les dispositions relatives à la politique familiale du plan
dit « plan Juppé » trouvent leur prolongement dans les mesures contenues dans
le présent projet de loi ou annoncées dans ce cadre et sont accompagnées d'un
nécessaire mécanisme de concertation, la conférence de la famille.
La commission des affaires sociales ne vous rappellera pas dans le détail, mes
chers collègues, les dispositions du plan du 15 novembre 1995 concernant la
famille, mises en oeuvre par l'ordonnance du 24 janvier 1996. Elle mentionnera
simplement qu'elle n'avait pas été favorable à la mise sous condition de
ressources de l'ensemble de l'APJE, l'allocation pour jeune enfant. S'il est
trop tôt pour dresser un bilan de la mesure, il semble néanmoins qu'elle ait
engendré plus d'économies que prévu - 730 millions de francs au lieu de 600
millions de francs attendus initialement - ce qui pourrait signifier que les
familles exclues sont plus nombreuses que ce qui avait été envisagé à
l'origine. J'espère, monsieur le ministre, que vous pourrez dissiper cette
inquiétude.
La non-revalorisation de la base mensuelle des prestations familiales a, quant
à elle, permis d'économiser autant que prévu, soit 2,6 milliards de francs.
C'est un effort important, dans la situation difficile que nous connaissons,
qui a été demandé aux familles.
La commission des affaires sociales se félicite de constater que
l'assujettissement à l'impôt sur le revenu des prestations familiales, d'abord
envisagé, n'a finalement pas été mis en oeuvre par le Gouvernement.
S'agissant de ce que le plan du 15 novembre 1995 appelait « la rationalisation
des prestations familiales », l'économie envisagée de 600 millions de francs ne
sera qu'en partie réalisée, dans la mesure où le Gouvernement a renoncé, après
les remarques de la commission des affaires sociales en janvier 1996, à la
réduction des délais de prescription.
Quant à la cinquième disposition, elle concernait la rationalisation des aides
au logement. Cette mesure, qui devait permette d'économiser 1,2 milliard de
francs, n'a finalement engendré qu'une économie de 900 millions de francs.
La sixième disposition était relative à la contribution de la branche aux
mesures d'économie de gestion, qui devrait être de 272 millions de francs.
Enfin, l'accroissement des taux de cotisation d'allocations familiales pour
l'ensemble des entreprises publiques de 4,8 % à 5,2 % à compter du 1er janvier
1996 n'est finalement pas entré en application.
Les dispositions, peu nombreuses, qui concernent la branche famille dans le
présent texte et celles qui ont été annoncées dans ce cadre se situent dans le
prolongement du plan du 15 novembre 1995.
Si la commission des affaires sociales a jugé certaines d'entre elles
positives, elle s'est interrogée sur les conséquences, pour les familles
modestes, de la réforme des aides au logement. Elle a, en effet, relevé deux
aspects positifs : tout d'abord, il s'agit de l'application aux entreprises
publiques et à l'Etat du taux de cotisation pour les allocations familiales de
5,2 % à compter du 1er janvier 1997, dont elle vient de dire qu'elle n'avait
pas été mise en oeuvre en 1996. Elle s'est, à cet égard, demandé quand les
entreprises publiques et l'Etat rejoindraient le taux de droit commun, à savoir
5,4 %. Ensuite - et c'est la mesure la plus importante - le présent projet de
loi de financement prévoit l'extension de l'assiette de la CSG, ce qui
permettra à la branche famille de se voir affecter 3,1 milliards de francs
supplémentaires.
A côté de ces recettes supplémentaires, figurent deux mesures ayant trait
globalement aux aides au logement.
Ainsi, l'article 33 du présent projet de loi prévoit une harmonisation avec le
RMI de la prise en compte des aides au logement dans les ressources qui sont
prises en considération pour l'attribution de l'allocation de parent isolé.
Par ailleurs - mais cela est d'ordre réglementaire - une réforme des aides au
logement a été annoncée. Celle-ci, qui permettrait d'économiser, en 1997,
environ 600 millions de francs, consisterait, notamment, à unifier les deux
aides personnalisées au logement APL 1 et APL 2. Or cette réforme a suscité
certaines interrogations, voire des critiques.
Le conseil d'administration de la CNAF a émis un avis défavorable sur ce
projet de réforme, dans la mesure où, selon lui, il risquait d'avoir un «
impact à la baisse » pour les familles modestes. Le président de la CNAF, M.
Jean-Paul Probst, m'a d'ailleurs fait part de ses inquiétudes lors des
auditions préparatoires devant la commission, des affaires sociales.
M. Probst a notamment déploré le fait que, alors que cette réforme doit entrer
en vigueur le 1er janvier 1997, la CNAF ne connaisse pas encore les nouveaux
barèmes des aides au logement, qui ne lui seront communiqués qu'à la fin du
mois de novembre. Ce délai lui est apparu trop court, tant sur le plan
informatique que sur le plan de la formation des personnels, alors même que son
conseil d'administration avait dû se prononcer sur le bien-fondé de ladite
réforme sans en connaître les tenants et les aboutissants. Compte tenu de ce
qui vient d'être dit, monsieur le ministre, pensez-vous réellement que la
réforme pourra entre en vigueur au 1er janvier 1997 et pouvez-vous nous
rassurer quant aux conséquences de cette réforme ?
Par ailleurs, la loi n° 94-624 du 25 juillet 1994, relative à la famille, a,
par son article 41, institutionnalisé une conférence nationale annuelle de la
famille. Mais ce n'est que le 6 mai 1996 qu'a été effectivement réunie cette
conférence pour la première fois depuis le vote de cette loi. A cet égard, la
commission des affaires sociales a estimé que le Parlement aurait pu être plus
étroitement associé à celle-ci ainsi qu'aux groupes de travail constitués à son
issue.
Elle considère également qu'une telle manifestation instaure un mécanisme de
concertation et d'échange nécessaire pour l'élaboration d'une politique
familiale ambitieuse pour l'avenir de notre pays. Elle a donc souhaité que soit
solennisée cette instance de concertation en inscrivant son principe au sein du
code de la famille et de l'aide sociale.
Quant à la réunion du 6 mai 1996, elle a été suivie par la mise en place de
cinq groupes de travail qui accomplissent une tâche importante et qui doivent
remettre leurs conclusions à la fin du mois de novembre ou au début du mois de
décembre. A cet égard, j'exprime un regret : notre commission aurait souhaité
pouvoir disposer de ces conclusions avant de se prononcer sur le présent projet
de loi.
En conclusion, la commission des affaires sociales estime qu'il conviendra
d'être vigilant sur les conséquences de la réforme des aides au logement. Vous
me rétorquerez, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, que cela
n'entre pas tout à fait dans vos attributions. Mais nous en reparlerons !
Par ailleurs, la commission souhaite que les aides à la petite enfance soient
revues dans un sens de plus grande simplicité, de meilleure lisibilité et de
plus grande équité. Elle souligne, à cet égard, la nécessité de mettre en
oeuvre le plus tôt possible le deuxième volet de la loi relative à la famille
concernant les aides aux jeunes adultes, tout en étant attentive à la dérive
financière de l'application du premier volet de celle-ci.
Cependant, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, eu égard à
l'amélioration des ressources de la branche famille, grâce à l'élargissement de
l'assiette de la CSG qui permettra à ladite branche de bénéficier de 3,1
milliards de francs supplémentaires, la commission des affaires sociales s'est
déclarée favorable au présent projet de loi.
Cela étant, monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, tous ces chiffres arides ne
représentent que des moyens. Ne perdons pas de vue le côté humain que
constituent nos familles ! Je remercie à cet égard M. Fourcade de m'avoir
confié ce rapport, me permettant ainsi de m'exprimer sur le sujet qui me tient
le plus à coeur - et j'en suis fier ! - à savoir, précisément, la famille.
Toute ma vie, j'ai considéré - et je n'ai pas peur de le répéter - que la
famille était la cellule de base de la société. Cela semble ringard
aujourd'hui, mais, si la réalité actuelle s'est trop éloignée de cette valeur,
de grâce ! ne soyons pas trop négatifs. Sans gommer les difficultés de la vraie
vie familiale, l'amour au sein de la famille, cela existe, même si nous devons
parfois déplorer certaines violences. Mais notre silence à tous n'est-il pas
complice de toutes ces difficultés ? Au demeurant, questionnez toutes les
personnes qui sont le vendredi soir sur les routes, demandez-leur où elles vont
: toutes vous répondront qu'elles partent retrouver leur famille, qu'elles vont
« en famille ».
C'est dans cet esprit positif que la commission des affaires sociales vous
propose d'adopter le présent projet de loi de financement de la sécurité
sociale, dans ses dispositions relatives à la famille et aux prestations
familiales.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR
et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Vasselle, rapporteur.
M. Alain Vasselle,
rapporteur de la commission des affaires sociales pour l'assurance
vieillesse.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans un monde extrêmement incertain où
la perspective du chômage angoisse les moins de soixante ans mais où
l'inflation a été maîtrisée, les retraités peuvent apparaître, aux yeux de
certains, comme des nantis dans la mesure où, précisément, ils ont des revenus
garantis et non sujets à l'érosion monétaire. Or la situation globale des
retraités n'est rien moins qu'homogène, même si les trente dernières années ont
vu le niveau de vie général s'améliorer.
En même temps, les retraités souhaitent une plus grande reconnaissance
institutionnelle, par exemple une participation au Conseil économique et
social. Le Président de la République, M. Jacques Chirac, vient d'ailleurs de
leur donner satisfaction sur ce point, lors du cinquantenaire de cet organisme.
L'ensemble des retraités souhaitent en tout cas être davantage consultés sur
les mesures qui les concernent.
La commission des affaire sociales a souhaité faire le point sur la situation
des retraités. Elle a ensuite examiné la mise en oeuvre des dispositions
concernant l'assurance vieillesse incluses dans le plan du 15 novembre 1995,
avant de s'interroger sur l'intérêt de la création d'une conférence des
retraités en tant qu'instance de consultation, par référence à la conférence de
la famille dont vient de parler M. Machet et à celle de la santé, qui existe
déjà.
Enfin, dans la mesure où nous avons examiné fort récemment la proposition de
loi relative à la prestation spécifique dépendance, dont le président de la
commission des affaires sociales, M. Fourcade, et moi-même étions signataires,
nous avons souhaité poser quelques jalons pour l'avenir.
Ainsi, il nous a semblé essentiel que soient accrues l'efficacité et la
cohérence des actions des différentes caisses de sécurité sociale à destination
des personnes âgées dans le cadre de la coordination des aides prévues par la
proposition de loi précitée.
Mais nous avons également considéré, sans remettre en cause le financement des
régimes de retraite légaux, que devraient être prises des initiatives
favorisant la prévoyance individuelle, en particulier en matière de dépendance,
toutes initiatives qui pourraient trouver leur place au sein de la future loi
sur l'épargne-retraite.
Je souhaiterais faire le point avec vous, mes chers collègues, sur la
situation actuelle des personnes âgées.
Quelles sont les conséquences de la réforme des retraites du régime général ?
Si l'indexation sur les prix à la consommation, mise en oeuvre dès 1987, a eu
immédiatement un impact positif important sur la situation financière de la
CNAVTS, deux autres dispositions, consistant l'une à passer à cent soixante
trimestres, l'autre à prendre en compte les vingt-cinq meilleures années pour
obtenir une retraite à taux plein, ont été très progressives dans le temps et
n'ont eu au départ que peu d'influence sur le solde financier de la CNAVTS.
L'impact de ces deux dernières mesures devrait cependant s'accroître
progressivement au fil des années et s'élever, selon la commission des comptes
de la sécurité sociale, à 1 milliard de francs en 1996 et 1997.
Selon le rapport annexé au présent projet de loi, cet impact atteindrait 4
milliards de francs en l'an 2000 et 28 milliards de francs en l'an 2010. Cela
paraît tout à fait considérable !
Toutefois, l'équilibre à long terme de la branche vieillesse ne sera pas pour
autant rétabli. A cet égard, il est permis de se demander si les dispositions
de la loi du 22 juillet 1993, nécessaires et courageuses, seront suffisantes.
Nous connaissons à cet égard une situation assez préoccupante, qui est liée à
celle des autres régimes.
Sur ce point, permettez-moi de rappeler que, si le régime général a connu les
réformes indiquées et si les régimes conventionnels complémentaires tels que
l'AGIRC et l'ARRCO se sont engagés depuis 1993 sur la même voie douloureuse, il
n'en a pas été de même pour tous les régimes spéciaux, qui connaissent déjà ou
sont appelés à connaître des situations extrêmement difficiles. Nous nous en
sommes ouverts avec vous, monsieur le ministre, en commission des affaires
sociales et vous êtes convenu vous-même, lorsque nous avons abordé le problème
de la surcompensation vis-à-vis de la CNRACL, qu'au-delà des questions que pose
ce financement il faudrait également aborder les problèmes dans leur ensemble.
Même si nous avons décidé de prendre un peu de recul, nous n'esquiverons donc
pas, un jour ou l'autre, le débat sur les régimes spéciaux.
D'une manière générale, dans une perspective qui se situe à l'horizon
2010-2015, comme pour le régime général, le rapport du plan de l'an dernier,
dit « Briet », fait apparaître une dégradation plus ou moins importante selon
le régime du rapport entre cotisants et retraités. Comme vous nous l'avez dit
tout à l'heure, monsieur le ministre, cette dégradation résulte d'une baisse
des cotisants et d'un accroissement du nombre des retraités. Seuls les régimes
de la SNCF et des exploitants agricoles enregistrent une baisse du nombre de
leurs retraités, alors que l'action combinée des deux paramètres précités
compromet lourdement la situation de la CNRACL et celle des fonctionnaires.
Lors de la discussion des articles seront abordés les problèmes très actuels
de la CNRACL, bien connus du président de notre commission, M. Fourcade.
Les difficultés du régime des fonctionnaires viennent par ailleurs d'être
soulignées dans un récent rapport de la commission des finances de l'Assemblée
nationale, dit rapport « de Courson ». En effet, globalement, sur l'ensemble de
la période, le nombre des fonctionnaires et des cotisants à la CNRACL va se
stabiliser, alors que le nombre des retraités croîtra de 80 % pour le premier
régime et sera multiplié par 2,8 pour le second.
C'est en raison de ce constat extrêmement préoccupant que, sur la proposition
de notre président, M. Fourcade, notre collègue M. Descours nous présentera, au
titre de la CNRACL, un amendement qui tend à plafonner la contribution de cette
caisse.
S'agissant des cotisants des régimes complémentaires, il convient de noter que
l'évolution de l'ARRCO est quasiment identique à celle du régime général, alors
que l'AGIRC voit l'évolution de ses cotisants liée à l'évolution du taux
d'encadrement, qui devrait continuer à croître, mais moins fortement que par le
passé. Parallèlement, le nombre des retraités affiliés à l'AGIRC croîtra
fortement.
Globalement, à partir de 2005, et surtout de 2010-2015, l'AGIRC et l'ARRCO,
qui ne comptabilisent pas leurs retraités âgés de moins de soixante-cinq ans -
l'effet est donc décalé dans le temps - subiront le choc de l'arrivée à l'âge
de la retraite des enfants du
baby boom,
et ce même si les deux régimes
ont signé, ces dernières années, un certain nombre d'accords visant à
pérenniser leur système. Les partenaires sociaux sont donc invités à continuer
dans la voie de la réforme.
J'en viens à la mise en oeuvre des mesures contenues dans le plan dit « Juppé
».
Hormis la mesure de rattrapage négatif de 0,1 % au 1er janvier 1996, qui sera
évoquée plus avant, l'essentiel des mesures réellement appliquées dans le cadre
du plan Juppé pour « redresser » les comptes de la branche vieillesse du régime
général n'ont pas eu d'influence sur la situation financière des retraités
alors que, c'est là le paradoxe, une partie de ces derniers ont, en fait,
contribué à la résorption du déficit de la CNAMTS par l'accroissement de leur
cotisation maladie, au 1er janvier 1996, de 1,2 %.
Trois dispositions du plan du 15 novembre 1995 concernaient la branche
vieillesse.
Tout d'abord, il était envisagé de déroger au mode de revalorisation des
retraites institué par la loi du 22 juillet 1993 relative aux pensions de
vieillesse et à la sauvegarde de la protection sociale. Il était donc prévu de
revaloriser les pensions de retraite uniquement en fonction de l'évolution des
prix prévisionnels pour 1996, soit 2,1 % sans rattrapage. Or l'inflation
constatée en 1995 s'est avérée plus faible que prévu, 1,9 %. Il n'y a donc pas
eu besoin d'un rattrapage positif.
En fait, au 1er janvier 1996, les pensions de retraite ont été finalement
revalorisées de 2 %, ce qui comprenait à la fois l'inflation anticipée, soit
2,1 %, et un rattrapage négatif de 0,1 %, rattrapage que l'on n'a pas
complètement appliqué, car il aurait dû être de 0,2 %. Ainsi a-t-on limité la
baisse de la revalorisation des retraites de l'ensemble des personnes âgées.
Il est d'ailleurs à noter que, en 1997, le mécanisme légal aurait dû aboutir à
un taux de revalorisation de 1,1 % au 1er janvier, résultant d'une inflation
prévisionnelle de 1,3 % et d'un rattrapage négatif de 0,2 % au titre de
1996.
Nous avions adopté ce mécanisme, en 1993, à l'occasion de l'examen du texte
sur le fonds de solidarité vieillesse. C'est ce que l'on appelle communément
l'« effet Chamard ».
En fait, cette revalorisation devrait être un peu supérieure puisqu'elle
s'élèvera à 1,2 %. Sans doute, monsieur le ministre, avez-vous voulu ne pas
ajouter à l'accroissement des prélèvements sur les retraités !
Ensuite, le plan dit « plan Juppé » prévoyait d'harmoniser les conditions de
prise en compte des durées d'activité pour le calcul des droits à pension.
Toutefois, cette disposition n'a finalement, pas été mise en oeuvre, car la
parfaite coordination entre régimes qu'elle supposait a soulevé d'importants
problèmes qui ne sont pas apparus, pour le moment, solubles. Peut-être,
pourrez-vous nous donner de plus amples explications à cet égard, monsieur le
ministre.
La troisième disposition concernait le fonds de solidarité vieillesse, le FSV,
qui devait augmenter sa contribution à la branche vieillesse au titre des
validations de période de chômage de 50 %. Cette disposition a rapporté à cette
branche 11 milliards de francs, en 1996, et elle lui en rapportera autant en
1997. C'est là le résultat du passage du taux de compensation des cotisations
des non-indemnisés de 60 % à 90 % et de l'allégement de la dette de 11
milliards de francs que nous faisions supporter à titre transitoire au fonds de
solidarité vieillesse. Cela correspondait au financement du cumul du déficit
constaté des années antérieures, financement qui, aujourd'hui, est assuré par
la contribution au remboursement de la dette sociale.
J'ai dit au début de mon propos qu'il serait peut-être bon d'envisager
l'instauration d'un mécanisme de concertation préalable en matière de
vieillesse. Dans la mesure où il existe désormais une conférence nationale de
la famille, une conférence nationale de la santé, la commission, faisant sienne
une proposition qui lui a paru pertinente, soumettra un amendement qui tend à
créer une conférence annuelle des retraités, de manière que ceux-ci puissent
aborder, avec le Gouvernement, les problèmes relatifs à la vieillesse et aux
retraites.
Parallèlement à cette proposition très concrète et dans le droit-fil de ce
qu'a proposé le Gouvernement pour la santé, la commission a souhaité examiner
les perspectives pour les années qui viennent.
Il faudrait, d'abord, penser à accroître l'efficacité et la cohérence des
actions des caisses de sécurité sociale à destination des personnes âgées,
conformément à la coordination prévue par le texte sur la prestation spécifique
dépendance, texte qui est encore tout frais dans vos mémoires, mes chers
collègues, puisque nous l'avons examiné il y peu de temps. Il a en effet paru
indispensable à la commission, dans un contexte budgétaire très contraignant,
qu'une telle disposition soit valorisée.
A cet égard, l'article 1er A, inscrit en exergue de la proposition de loi
instituant une prestation spécifique dépendance, semble tout à fait porteur
d'une nouvelle logique : instituer une coordination entre les aides existantes
grâce au partenariat des différents acteurs.
Il faut rappeler que les expérimentations en matière de dépendance dans douze
départements, inscrites dans la loi de juillet 1994 à l'instigation, je le
rappelle, de la commission et de son président, M. Jean-Pierre Fourcade, ont
démontré que le partenariat entre les départements et les caisses de sécurité
sociale pouvait fonctionner à la satisfaction de tous, y compris des usagers.
Le temps n'est plus, selon la commission, aux querelles de compétences et à
préférer « un splendide isolement » à une collaboration efficace.
Cette coordination valorisée a d'ailleurs été souhaitée, dans le cadre de la
proposition de loi sur la prestation spécifique dépendance, aussi bien par les
départements que par la CNAVTS, qui a confirmé, par la voix de son président,
M. Jean-Luc Cazettes, sa volonté de rencontrer au plus tôt l'assemblée
permanente des présidents de conseils généraux afin de définir ensemble les
modalités d'intervention de chacun qui pourront prendre place dans le cadre du
cahier des charges que vous arrêterez, monsieur le ministre. Cette coordination
peut d'ailleurs être une chance pour les caisses de sécurité sociale, régimes
de base et même régimes complémentaires, pour remettre à plat les actions
financées par leurs fonds d'action sociale respectifs.
Je précise au passage qu'il est entièrement faux d'affirmer aujourd'hui que le
fait d'avoir adopté des dispositions particulières en faveur des personnes
âgées au titre de la prestation spécifique dépendance va entraîner
ipso
facto
une diminution du concours des caisses à travers leurs fonds d'action
sociale au profit de ces mêmes personnes âgées. Bien au contraire, il y aura
une meilleure complémentarité entre l'action des conseils généraux et celle des
caisses de sécurité sociale, plus particulièrement la branche vieillesse.
Par-delà les initiatives favorisant la prévoyance individuelle qui pourraient
trouver leur place au sein de la future loi sur l'épargne-retraite, il semble
qu'aujourd'hui, après le dépôt de nombre de propositions de loi dont la
commission s'était fait largement l'écho les années précédentes et qui
n'avaient pu franchir « l'obstacle » de la séance publique, un texte vienne
enfin en discussion.
En l'occurrence, il s'agit de la proposition de loi de MM. Charles Millon et
Jean-Pierre Thomas, qui est aussi la synthèse des propositions de M. Jacques
Barrot, aujourd'hui présent dans cette enceinte en tant que ministre du travail
et des affaires sociales et qui se rappelle sans doute en avoir été le
cosignataire.
La discussion générale de ce texte a déjà eu lieu, le 30 mai 1996, et les
articles devraient être examinés par l'Assemblée nationale le 21 novembre
prochain, dans le cadre de la « fenêtre » mensuelle ouverte aux initiatives
parlementaires.
Un texte dans ce domaine est, bien évidemment, souhaitable. Toutefois, il doit
d'abord tendre à dissiper nombre d'incertitudes et ne pas contribuer à
accroître l'inquiétude de nos concitoyens quant à l'avenir de leurs régimes de
retraite de base et complémentaires obligatoires. Les retraites par répartition
doivent rester et resteront le socle de notre système de retraite. La loi du 22
juillet 1993 l'a d'ailleurs confirmé sans aucune équivoque.
Dans la mesure où le contenu des proprositions du rapporteur était connu
depuis longtemps, le débat du 30 mai 1996 a surtout eu pour objet de permettre
au Gouvernement, par la voix de M. Arthuis, ministre de l'économie et des
finances, de préciser certains de ses choix. Ainsi, en accord avec les auteurs
de la proposition de loi, il s'est déclaré favorable au caractère facultatif
des plans d'épargne-retraite, à la sortie en rente et à la présence d'une forte
proportion d'actions au sein des actifs de fonds.
En revanche, contrairement à ce que prévoyait la proposition de loi, le
Gouvernement, toujours par la voix de M. Arthuis, a souhaité réserver le
bénéfice de ces plans aux seuls salariés du secteur privé et exclure la
souscription directe desdits plans par les salariés auprès des compagnies
d'assurance. Il a également préféré le recours à une gestion externe. Par
ailleurs, il n'a pas précisé, pour le moment, les modalités d'un « coup de
pouce fiscal » qui pourrait être octroyé aux souscripteurs de ces plans afin de
rendre ces derniers plus attractifs.
Sur ce point, la commission exprime un voeu ; c'est que, lors de l'examen des
articles de cette proposition de loi ou lorsque celle-ci sera soumise à la
Haute Assemblée, une disposition du type de celle qu'avait présentée notre
collègue Jean Chérioux, dans le cadre de la discussion de la prestation
spécifique dépendance, concernant les contrats d'assurance dépendance puisse
être examinée favorablement.
Vous aviez demandé à M. Chérioux de retirer son amendement, monsieur le
ministre, en déclarant que cette disposition serait examinée dans le cadre de
la proposition de la loi sur le plan épargne-retraite.
Nous aimerions que vous puissiez nous confirmer aujourd'hui la volonté du
Gouvernement d'aller dans ce sens, car c'est ce que souhaite le Parlement. S'il
n'était pas opportun de prendre en considération la proposition de M. Chérioux
lorsqu'il l'a présentée, si tel n'est toujours pas le cas dans le présent
projet, peut-être pourrez-vous à tout le moins nous donner quelque assurance ou
quelque apaisement pour dissiper notre inquiétude, voire nous annoncer que,
après consultation avec votre collègue Jean Arthuis, une diposition sera
présentée au moment où nous examinerons la proposition de loi.
En conclusion, mes chers collègues, face à ce texte important, qui est soumis
au Parlement pour la première fois, la commission prend acte de la volonté du
présent Gouvernement de rompre avec certains errements du passé.
Aussi, sous réserve que soient adoptés deux amendements, dont j'ai parlé tout
à l'heure, l'un ayant trait à la création d'une conférence nationale des
personnes âgées, l'autre au financement de places de services de soins
infirmiers à domicile - lors de l'examen de la proposition de loi sur la
prestation spécifique dépendance, vous avez accepté, monsieur le ministre, que
soient financées dès à présent 2 000 places sur les 4 300 places restant à
financer - la commission vous propose, mes chers collègues, d'adopter le
présent projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Je ne doute pas que nous serons nombreux à le faire ; si nous pouvions être
unanimes, ce serait parfait.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste et sur certaines travées
du RDSE.)
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Oudin, rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi
de financement de la sécurité sociale que nous examinons aujourd'hui est le
premier du genre. Il nous est présenté par le Gouvernement en application de la
révision constitutionnelle du 22 février dernier, qui donne enfin au Parlement
la faculté de se prononcer chaque année sur les perspectives financières de la
sécurité sociale.
C'est un des points forts de la réforme annoncée par Alain Juppé, le 15
novembre 1995. Un an plus tard - notre collègue Charles Descours l'a dit tout à
l'heure - cette réforme est en marche : la Constitution a été révisée, cinq
ordonnances ont été prises, quarante décrets sont soit publiés, soit en
concertation, comme nous l'a précisé M. le ministre lui-même.
Nous ne pouvons que nous féliciter de l'innovation juridique constituée par
les lois de financement de la sécurité sociale, que, pour ma part, je
souhaitais depuis longtemps. J'avais d'ailleurs déposé, dès 1994, une
proposition de loi en ce sens.
L'instauration des lois de financement de la sécurité sociale ne marque pas
simplement un renforcement des pouvoirs du Parlement sur la sécurité sociale ;
elle constitue l'amorce d'un changement profond de l'organisation et de la
logique de notre système même de sécurité sociale.
Elle marque également le début de la remise en ordre des comptes de la
sécurité sociale. La Cour des comptes, comme nous l'avons souhaité, a
désormais, depuis 1994, un rôle majeur dans le contrôle des comptes sociaux.
Cette réforme a été fortement défendue par la commission des finances. Les
observations de la Cour contribueront à la rationalisation du cadre comptable
des organismes de sécurité sociale. Permettez-moi d'insister sur ce point, car
il n'est jamais possible d'avoir des politiques justes sans des comptes
clairs.
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Ça, c'est vrai !
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
A cet égard, j'ose espérer, monsieur le ministre,
que le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale et ses
annexes pourront être présentés en droits constatés, comme nous le demandons
depuis longtemps.
Je souhaite également que les structures et les moyens de la Cour des comptes
soient adaptés à cette nouvelle tâche. N'oublions jamais que la Constitution
assigne à cette juridiction, parmi ses différentes missions, celle d'éclairer
le Parlement.
Pour ma part je souhaiterais qu'une chambre spéciale soit dédiée au contrôle
des comptes de la sécurité sociale.
L'instauration des lois de financement doit également permettre de
dédramatiser la question du déficit de la sécurité sociale. Par le passé, cette
question a trop souvent été abordée dans un climat d'urgence et de polémique.
En l'absence de tout mécanisme assurant un équilibre
a priori
entre les
dépenses et les recettes sociales, il est bien normal que les ajustements
interviennent régulièrement chaque année. Il n'en va pas autrement pour le
budget de l'Etat.
Le présent projet de loi de financement contient ainsi un certain nombre de
mesures ponctuelles destinées à réduire d'environ 16 milliards de francs le
déficit tendanciel des régimes de base de sécurité sociale en 1997.
A cet égard, il me faut toutefois regretter, au nom de la commission, monsieur
le ministre, que la solution consistant à augmenter les recettes l'ait emporté,
une fois encore, sur la stabisitation, voire la réduction, des dépenses.
Certes, c'était nécessaire, nous le savons, mais nous souhaitons que ce soit au
moins la dernière fois.
Depuis plusieurs décennies, nous augmentons régulièrement les prélèvements
sociaux, qui sont passés, en vingt-cinq ans, de 13 % à 25 % du produit
intérieur brut marchand.
Nos concitoyens commencent à être de plus en plus allergiques à toute
augmentation d'impôts, de taxes ou de contributions diverses. Notre économie
supporte de moins en moins ces charges que nous devons alléger périodiquement
dans certains secteurs, car elles pèsent sur les salaires et sur l'emploi.
Il est significatif que le débat d'ensemble sur l'avenir de notre système de
protection sociale à l'Assemblée nationale ait été perturbé, voire occulté, par
la question des taxes sur les alcools ou les casinos, ce qui n'était
certainement pas le point le plus important !
Pour le futur, nous devons impérativement fixer comme objectif aux lois de
financement de la sécurité sociale qui se succéderont la stabilisation de la
part des prélèvements sociaux dans la richesse nationale. Nous avons atteint
l'un des niveaux les plus élevés des pays occidentaux, ce niveau doit nous
suffire désormais pour assurer une solidarité efficace et durable.
Cela suppose que nous conservions toujours une vision globale des prélèvements
obligatoires, qu'ils soient fiscaux ou sociaux, vision qui n'apparaît pas
suffisamment dans ce projet de loi de financement.
La récente séparation entre les prélèvements fiscaux, dont la commission des
finances est saisie, et les prélèvements sociaux, qui relèvent de la commission
des affaires sociales, ne me paraît pas satisfaisante et devra certainement
être revue.
C'est la raison pour laquelle la commission des finances, mes chers collègues,
est réservée sur tout amendement qui aboutirait à aggraver ou à majorer les
prélèvements sociaux au-delà de ce qui était prévu par le Gouvernement.
Le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale ne comporte pas
d'article d'équilibre afin, si j'ai bien compris, de ne pas officialiser le
déficit. Il n'est cependant pas interdit de rapprocher les prévisions de
recettes et les objectifs de dépenses.
Ce rapprochement fait apparaître, en 1997, un déficit tendanciel de l'ordre de
44 milliards de francs pour l'ensemble des régimes de base, qui serait réduit à
27 milliards de francs par la loi de financement.
Quant au déficit du seul régime général de sécurité sociale, qui a un
caractère tout à fait officiel, il serait réduit, en 1997, et passerait de 47,2
milliards de francs à 30,4 milliards de francs.
Il convient toutefois de relever que cette réduction du déficit est acquise,
pour une large part, grâce à des ressources de trésorerie ou à des transferts
non reconductibles.
Par ailleurs, les perspectives de moyen terme jointes en annexe laissent
espérer un retour à l'équilibre dès 1999.
Ces prévisions ont, certes, la valeur de toute projection macro-économique. La
Cour des comptes, dans son deuxième rapport au Parlement sur la sécurité
sociale, nous a bien rappelé les limites de l'exercice. Les moins-values sur
cotisations qui expliquent le dérapage du déficit en 1996 nous incitent
également à la prudence pour l'avenir.
Toutefois, j'estime extrêmement utile que la démonstration soit ainsi faite
que le redressement financier de la sécurité sociale peut intervenir dans le
cadre d'une ligne politique claire et persévérante qui aboutira à un rythme de
progression des dépenses durablement inférieur à celui des recettes.
Monsieur le ministre, vous avez insisté sur ce point et vous avez raison, car
c'est là le but qu'il convient de se fixer. Il s'agit d'un objectif politique
que nous approuvons, mais qui appelle le maintien d'une grande vigilance et la
poursuite des efforts engagés par le plan de redressement et de restructuration
actuellement en cours.
La fixation de plafonds de trésorerie pour les principaux régimes constitue
une autre innovation fondamentale du dispositif qui nous est soumis
aujourd'hui. Ce mécanisme garantit un contrôle véritable du Parlement sur le
financement des déficits des régimes de sécurité sociale.
De ce fait, la compétence du Parlement apparaît plus étendue pour les finances
de la sécurité sociale que pour celles de l'Etat. Il ne nous reste plus qu'à
souhaiter que ce mécanisme puisse ultérieurement être appliqué à l'exécution
des lois de finances.
Par le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale, il nous
est proposé par ailleurs une réforme ambitieuse, qui recueille l'appui et
l'accord de la commission des finances : il s'agit de l'élargissement de
l'assiette de la contribution sociale généralisée, la CSG, qui permettra de
diversifier le financement de la sécurité sociale pour le rendre à la fois plus
équitable et moins sensible à la conjoncture économique.
Toutes les modalités de cette CSG élargie ne sont pas également
satisfaisantes. Je pense ici au mécanisme d'acomptes de la CSG due au titre de
certains produits de placement, qui ne semble pas avoir de justification
véritable. Je pense également à l'assiette de la CSG sur les jeux, qui a été
définie de façon peut-être trop arbitraire.
Par ailleurs, l'amorce du basculement des cotisations maladie sur cette
contribution sociale généralisée à base élargie constitue le préalable
financier à la création d'un régime universel d'assurance maladie.
J'appelle toutefois votre attention, monsieur le ministre, sur le fait que ce
basculement ne pourra pas être prolongé dans les prochaines années sans une
adaptation corrélative de la fiscalité sur les revenus de l'épargne.
Le vote de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie proposé par le
présent projet de loi de financement donnera le coup d'envoi au nouveau
dispositif de régulation des dépenses de santé prévu par les ordonnances du 24
avril 1996.
Fixé à 600,2 milliards de francs pour 1997, cet objectif est volontariste,
mais reste réaliste.
Votre rapporteur pour avis est convaincu que la maîtrise des dépenses
d'assurance maladie ne peut être que globale et qu'il ne saurait y avoir de
maîtrise médicalisée digne de ce nom sans une maîtrise des enveloppes
financières globales rendue possible par une amélioration réelle des mécanismes
comptables.
Le mécanisme des enveloppes par région, par secteur et par profession apparaît
très responsabilisant. Il permet de concilier les stratégies particulières avec
les intérêts collectifs. La commission des finances l'avait déjà proposé dès
1992.
La restructuration du système hospitalier est devenue urgente. Il convient de
réduire les inégalités dans la répartition géographique des dotations ; elles
ont atteint des niveaux qui ne sont plus tolérables.
Dans mon rapport écrit, j'évoque ces inégalités qui, par région et par
habitant, évoluent de 1 348 francs en Bourgogne à 2 892 francs en Ile-de-France
et à 2 636 francs en Alsace, soit du simple au double. La région des Pays de la
Loire, que j'ai l'honneur de représenter, se situe à 1 673 francs seulement.
Elle est en avant-dernière position, mais personne ne s'y estime pour autant ni
mal soigné, ni mal entouré. Cela nous ouvre des horizons, quand on sait
l'importance des excès commis dans d'autres parties du territoire.
Les taux d'évolution des enveloppes régionales devront donc être différenciés,
voire négatifs pour certains. Il conviendra d'organiser la mobilité du
personnel hospitalier, si la marge offerte par son taux de renouvellement
naturel n'apparaît pas suffisante.
Enfin, et j'insiste sur ce point, l'informatisation sera l'un des axes
essentiels de la réforme du système de santé. Hôpitaux, cabinets médicaux,
caisses de sécurité sociale, assurés sociaux, tous les acteurs sont concernés
par cette informatisation, qui conditionne le succès final de la réforme. Seule
la généralisation de l'informatique permettra de connaître les coûts de gestion
des pathologies dont a parlé tout à l'heure M. Gaymard en disant que l'on ne
les connaissait pas tous. Elle permettra également de suivre l'évolution des
pratiques médicales et de développer l'information et la formation permanente
des médecins.
La commission des finances a, bien entendu, donné un avis favorable à ce
premier projet de loi de financement de la sécurité sociale. Elle n'a pas jugé
nécessaire d'y apporter des modifications de fond.
Au-delà de son souci de voir se stabiliser le montant des prélèvements fiscaux
et sociaux, la commission des finances appelle de ses voeux une mise en oeuvre
rapide de tous les aspects du plan de redressement et de restructuration de
notre système de protection sociale. Notre attention s'est d'abord concentrée,
il est vrai, sur la réforme de l'assurance maladie, car c'est dans ce secteur
que résidait la plus grande partie du déficit. Mais il nous faudra avancer
davantage dans la définition d'une politique familiale qui, à enveloppe
maîtrisée, puisse atteindre les objectifs qui seront définis par la conférence
nationale de la famille.
Nous aurons également à régler le problème lancinant de l'équilibre à long
terme des régimes spéciaux de retraite, que M. Alain Vasselle vient
d'évoquer.
Pour s'en tenir aux seuls régimes de retraite des fonctionnaires civils et des
collectivités locales, l'équilibre financier qui existait en 1993 s'est dégradé
en un léger déficit, qui atteignait 6,6 milliards de francs en 1995. Ce déficit
grossira rapidement, pour atteindre 20 milliards de francs en l'an 2000, 65
milliards de francs en 2005, 100 milliards de francs en 2010 et 150 milliards
de francs en 2015, si aucune mesure de redressement n'est prise d'ici là.
Chaque année, le Parlement demandera au Gouvernement de l'éclairer
particulièrement sur les perspectives les plus inquiétantes, et j'en ai cité
certaines. C'est la raison pour laquelle la commission des finances a souhaité
une rationalisation des différents rapports demandés au Gouvernement en
complément des annexes financières prévues par la loi organique.
Nous ne pouvons dissocier l'effort que le Gouvernement et sa majorité ont
engagé pour réduire le déficit du budget de l'Etat de celui dont nous débattons
aujourd'hui et qui a pour objectif de rééquilibrer nos comptes sociaux.
Cette action de redressement est nécessairement globale, même si les
contraintes peuvent apparaître différentes. Notre système de protection sociale
est fondé sur le principe de la répartition immédiate. L'équilibre financier
est donc impératif, à moins de faire supporter aux générations futures la
protection sociale des générations actuelles. C'est cette contrainte qui nous a
amenés à créer la caisse d'amortissement de la dette sociale et à nous fixer un
objectif d'équilibre pour 1999.
La mise en oeuvre du plan de restructuration et de redressement impliquera,
pour tous les acteurs et pour tous les bénéficiaires des régimes sociaux, des
efforts réels que nous ne mésestimons pas.
Cependant, en aucun cas, le niveau global de protection ne sera réduit. Il
s'agit tout à la fois de maîtriser la croissance des dépenses - pour la
maladie, 590 milliards de francs cette année ; 600 milliards de francs l'année
prochaine - de restructurer, de régionaliser, de responsabiliser davantage afin
de dépenser mieux pour sortir de cette logique intenable qui consiste à
toujours dépenser plus.
Désormais, le Parlement, comme il l'a souhaité, est un élément clé de la
détermination de notre politique sociale et de son équilibre financier.
Nous saluons cette première loi de financement, qui marquera, nous en sommes
convaincus, le début d'un redressement durable de notre système de protection
sociale. Mais nous savons aussi que ce n'est que le début d'une action en
profondeur qui se déroulera sur le long terme et qui a pour objectif final de
mieux garantir la protection sociale de nos concitoyens.
(Applaudissements
sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
De quoi parlons-nous ?
De quoi débattons-nous ? Nous parlons d'une masse de dépenses qui, pour 1997,
s'établira, si les prévisions du Gouvernement sont exactes, à 1 685 milliards
de francs, et nous débattons pour savoir si le déficit sera légèrement
inférieur ou légèrement supérieur à 30 milliards de francs.
Il faut garder ces deux chiffres à l'esprit pour mieux apprécier les ordres de
grandeur respectivement du budget de l'Etat - là, nous parlons d'une masse de
dépenses d'environ 1 500 milliards de francs - et du déficit, dont nous
débattons pour savoir s'il s'élèvera à 280 milliards de francs ou à 290
milliards de francs.
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Mes chers collègues, si
j'ai tenu à rappeler ces chiffres, c'est pour ramener un peu de réalité dans
cet hémicycle et vous inciter à poser les questions de fond qui méritent d'être
posées.
En abordant aujourd'hui pour la première fois la discussion du projet de loi
de financement de la sécurité sociale, nous entamons une véritable réforme de
notre système de protection sociale.
Sans revenir sur les observations pertinentes et de grande qualité des quatre
rapporteurs, je poserai une seule question : par quels moyens peut-on
rééquilibrer le déficit actuel de notre système de protection sociale sans
majorer encore les prélèvements obligatoires et sans tomber dans les excès de
systèmes privatisés ne garantissant pas à tous nos concitoyens un traitement
équitable ?
Pour traiter cette question, je présenterai deux observations préliminaires et
j'indiquerai les quatre pistes que, selon moi, le Gouvernement et ceux qui le
soutiennent devront emprunter au cours des prochaines années.
Première observation : le déficit de la sécurité sociale n'est pas le fait de
la seule assurance maladie, comme on voudrait trop souvent nous le faire
croire. Il provient de trois branches sur quatre : la vieillesse, la famille,
la maladie, la branche accidents du travail enregistrant un léger excédent.
C'est pourquoi il faut apporter le même soin à l'assurance vieillesse et à la
politique familiale qu'à l'assurance maladie.
Il est clair que la maîtrise des dépenses d'assurance maladie est beaucoup
plus difficile à mettre en oeuvre que la maîtrise des dépenses de vieillesse ou
de la famille ce n'est pas une raison pour ne pas s'en occuper.
En ce qui concerne la vieillesse, je me réjouis que l'Assemblée nationale
examine prochainement la proposition de loi relative à l'épargne-retraite,
parce que celle-ci ne conduit pas du tout à une privatisation de la sécurité
sociale, mais correspond à la mise en place d'un troisième niveau de retraite
par capitalisation permettant, dans un avenir proche, en 2005, 2010, 2015, de
compenser les difficultés de nos systèmes de répartition.
Je souhaite, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous
soyez ouverts à ce projet d'épargne-retraite, qui sera, pour beaucoup de nos
concitoyens, le complément nécessaire de leur retraite.
Quant à la politique familiale - M. Machet l'a dit avec son coeur et son
talent habituels - nous devons avoir le courage d'en ajuster les moyens à nos
capacités de financement. La loi, relative à la famille, du gouvernement
précédent a été ambitieuse. Elle a, reconnaissons-le, dépassé ses objectifs en
matière de dépenses. Elle a donc produit des résultats positifs. Mais nous
devons mieux veiller à définir nos priorités en ce domaine.
Développer à tout va les prestations n'est pas le meilleur moyen de garantir
la pérennité de celles-ci, surtout lorsqu'elles attirent dans notre pays de
nouveaux résidents, qui sont à la recherche désespérée d'une couverture
sociale. Il faudra étudier de plus près comment s'applique notre système
d'allocations familiales et de prestations familiales à tous ceux qui résident
sur notre territoire.
J'en viens à ma deuxième observation. J'ai entendu M. Oudin souligner à juste
titre que nous devions maîtriser les équilibres financiers en cessant de
majorer les prélèvements obligatoires. Je partage son avis d'autant que - vous
l'avez constaté, mes chers collègues, en ce qui concerne la fiscalité locale -
nos concitoyens sont las de voir leurs versements majorés. L'effort annoncé de
maîtrise des dépenses ne se traduit pas toujours de manière concrète.
Pourtant, la majorité de la commission des affaires sociales a accepté, pour
1997, les quelques recettes supplémentaires proposées par le Gouvernement et en
a ajouté d'autres. Elle souhaite ne pas retomber, comme ce fut le cas trop
souvent depuis vingt ans, dans le travers du non-remboursement ou de la
suppression de prestations.
Dans la période difficile dans laquelle nous sommes en matière d'emplois,
d'activités, de revenus, nous considérons qu'il vaut mieux, pour tenter de
rééquilibrer à court terme les mécanismes de financement de la protection
sociale, faire appel à quelques recettes nouvelles, notamment lorsqu'elles
concernent des personnes qui peuvent faire cet effort, plutôt que de supprimer
des remboursements de médicaments ou d'opérations chirurgicales, comme on l'a
trop fait depuis un certain nombre d'années.
Les recettes nouvelles que vous nous avez proposées, monsieur le ministre, ont
fait l'objet de grands débats à l'Assemblée nationale, notamment pour ce qui
concerne l'alcool, le PMU ou les courses. Nous n'y reviendrons pas, car nous
considérons que les arbitrages effectués à l'Assemblée nationale sont
définitifs.
Vous nous proposez des dispositions plus importantes. Par exemple, vous nous
proposez de transférer un point de cotisation d'assurance maladie vers la CSG.
Je crois que c'est une bonne réforme, car elle permet de majorer les salaires
directs dans une proportion faible. Les 8 milliards de francs dont vous avez
parlé représentent une somme tout à fait importante pour le développement de la
consommation des ménages.
Par ailleurs, vous nous proposez d'étendre et d'harmoniser l'assiette de la
contribution sociale généralisée.
Il est un point sur lequel je doute encore, celui de la déductibilité de la
deuxième partie de la CSG. C'est un point sur lequel on peut s'interroger et
qui, à mon avis, ne peut être étudié que dans la perspective d'une modification
complète de notre fiscalité sur le revenu. C'est un point qui fera sans doute
l'objet d'autres débats.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, vous nous proposez
d'essayer de tendre vers l'équilibre progressivement, en deux ans et demi, ou
peut-être en trois ans. Quelles pistes pourrions-nous emprunter pour
rééquilibrer les comptes de la sécurité sociale, c'est-à-dire pour effacer ce
déficit de 30 milliards de francs sur les 1 685 milliards de francs, sans
augmenter les prélèvements et sans réduire un certain nombre de prestations
auxquelles nous sommes attachés ? Ces pistes sont au nombre de quatre et sont
complémentaires.
La première piste, c'est la responsabilisation.
Il faut, bien entendu, engager un débat public et demander à la représentation
nationale de se prononcer sur la politique de santé. A ce titre, je remercie M.
le secrétaire d'Etat de nous avoir indiqué les grands objectifs de la politique
de santé publique. Je constate qu'en examinant ces grands objectifs on peut
établir un certain nombre de priorités, on peut essayer de déterminer les
secteurs dans lesquels nous pouvons dépenser plus pour améliorer la
situation.
J'ai été frappé, monsieur le secrétraire d'Etat, de ce que vous avez dit à
propos du décès des jeunes et de la mortalité infantile. Il y a là un certain
nombre de domaines dans lesquels il convient de faire des efforts, et je crois
que ce débat sera utile, puisqu'il permettra au Gouvernement de préciser des
objectifs.
Responsabiliser, c'est aussi impliquer tous les secteurs. Les règles de
maîtrise financière ayant déjà été posées, la commission des affaires sociales
proposera de les étendre au secteur médico-social. Mais je sais, monsieur le
ministre, que vous avez retenu un autre calendrier, lié à la réforme de la loi
de 1975. Toutefois, il est clair que dans un pays épris de justice comparative,
on ne peut pas imposer des efforts à la médecine hospitalière et à la médecine
ambulatoire si, en même temps, on ne traite pas tout le secteur médico-social,
peut-être selon des normes différentes. Si l'on encadre, il faut le faire
partout, pour éviter les dérapages.
Responsabiliser, c'est aussi impliquer nos concitoyens dans l'effort de
maîtrise des dépenses de santé. Dans ce domaine, l'introduction du carnet de
santé marque une étape. Nous devons le plus vite possible rendre ce carnet
obligatoire.
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Il l'est !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Je comprends que vous
ne l'ayez pas mis en place tout de suite, mais je crois qu'il faut aller très
vite. Il doit devenir l'instrument d'un dialogue entre le prescripteur et le
patient.
La clé de la réussite, c'est la confiance du patient envers son médecin,
laquelle tient à la régularité de leurs relations. Dans cette optique, vous
avez tout à fait raison de chercher à ressusciter la médecine de famille, mais
vous ne devez pas tuer pour autant ce qui fait l'originalité de notre système
de santé, qui est fondé sur un strict respect des principes libéraux de
l'exercice de la médecine.
Monsieur le ministre, vous avez eu raison de vouloir stopper la baisse
constante du niveau de prise en charge collective des médicaments et des soins,
à laquelle nous avons trop souvent recouru depuis une vingtaine d'années. Il
faut substituer aux déremboursements sauvages une pédagogie de la
responsabilité.
La deuxième piste, c'est celle de la contractualisation. Vous l'avez dit
vous-même tout à l'heure, monsieur le ministre, les exigences financières du
moment ont un peu « grippé » les relations du Gouvernement avec le corps
médical. Vous avez souhaité, et vous l'avez répété tout à l'heure, instaurer un
dialogue approfondi avec les professions de santé, et la commission a souhaité
envoyer elle-même un signal en proposant qu'une réserve soit affectée pour 1997
au financement des mesures nouvelles de santé publique, décidées par l'Etat ou
qui résulteraient de négociations conventionnelles.
Comme le disait André Bergeron, dans une négociation, il faut un peu de grain
à moudre ! Si nous parvenons à réunir autour d'une table les organismes de
sécurité sociale et les médecins afin de dégager quelques masses financières
pour améliorer, sur un certain nombre de points, les nouvelles technologies
médicales ou faciliter la mise en place de nouvelles thérapies, nous serons
allés dans le bon sens, nous aurons revigoré la négociation collective. Je
souhaite que les médecins libéraux acceptent de répondre à cet appel.
Quant à la médecine hospitalière, il est clair que les hôpitaux doivent être
engagés dans cette logique contractuelle avec l'Etat et la sécurité sociale,
mais, là aussi, sans oublier les médecins. On n'arrivera à rien en matière
d'économies hospitalières - je le sais parce que j'ai participé à la gestion de
deux hôpitaux de tailles différentes - si l'on n'intéresse pas les chefs de
service et l'ensemble du personnel médical aux économies de gestion de leur
service.
Par conséquent, là aussi, c'est la contractualisation qui s'impose. Certes,
les ordonnances ont prévu la conclusion de tels contrats, mais il faut
maintenant aller vite.
Enfin, contractualiser, monsieur le ministre, et c'est un point plus
difficile, c'est clarifier les relations entre l'Etat et les caisses de
sécurité sociale. Il faut bien préciser les responsabilités des uns et des
autres pour éviter les mauvaises polémiques comme celles que nous avons vu
surgir voilà quelques semaines.
Le Parlement pourrait demander aux conseils d'administration des caisses
d'établir des programmes pluriannuels d'économies permettant de nous orienter
vers cet objectif de réduction des dépenses, qui me paraît tout à fait
essentiel.
Le Parlement serait ainsi saisi, avec les rapports de la Cour des comptes et
ceux du Gouvernement, de propositions d'économies parmi lesquelles il pourrait
choisir, ce qui lui permettrait de mieux préciser la politique dans laquelle il
souhaite s'engager.
La troisième piste concerne la décentralisation. M. Claude Huriet l'a défendue
avant moi et il le confirmera sans doute tout à l'heure. Lors de la discussion
de la loi hospitalière de 1991 dont il était le rapporteur, nous avions voulu
opposer au « tout-Etat » une logique de responsabilité locale.
Personne n'a voulu aller dans cette voie. Pourtant, nos déplacements chez les
principaux partenaires de notre pays nous ont convaincus que la maîtrise des
dépenses de santé ne peut résulter que d'un rapprochement des acteurs et des
décideurs.
A cet égard, le modèle retenu pour la prestation spécifique dépendance dont a
parlé notre excellent collègue M. Alain Vasselle tout à l'heure me paraît
exemplaire : définir quelques principes forts et pérennes, avoir un filet de
sécurité sur le plan national et laisser au niveau local, par la voie
conventionnelle, le soin de gérer la prestation me paraissent de nature à nous
rapprocher de nos concitoyens et à nous permettre de mieux les servir, au
meilleur prix.
On pourrait adopter ces principes pour plusieurs séries de prestations, car je
crois que, dans cette maison, nous sommes très nombreux à être partisans
d'étendre le domaine de la décentralisation.
J'en viens à la quatrième piste, qui est la plus douloureuse, monsieur le
ministre. C'est la piste de la restructuration. C'est en effet la structure
même de notre système de protection sociale qu'il faut désormais avoir le
courage de remettre en cause.
Restructurer, c'est d'abord cesser de redimensionner l'appareil hospitalier
par le seul effet aveugle du budget global. Nous attendons beaucoup des
nouvelles missions confiées aux directeurs des agences régionales de
l'hospitalisation, mais je crois, que pour faire naître une véritable culture
de l'« hôpital-entreprise », il faut aller beaucoup plus loin que la mise en
place de ces agences : il faut, là aussi, essayer de restructurer sans
détruire, mais de restructurer sur la longue période de manière à avoir des
effets mesurés mais efficaces.
De même, les agences devront développer la coopération interhospitalière
plutôt que de s'en tenir à proposer de réduire ou de supprimer les moyens des
hôpitaux. C'est à la lisibilité de leur démarche que tiendra leur réussite.
Restructurer, c'est aussi mieux utiliser les moyens des caisses. La commission
connaît les efforts engagés par ces dernières pour rationaliser leur gestion.
Mais nous ne sommes pas tout à fait convaincus qu'elles soient arrivées au
terme des opérations de restructuration et d'amélioration de gestion. Des
rapports sur l'informatisation des caisses ou leurs mécanismes de
fonctionnement montrent qu'il y a encore quelques progrès à faire.
Monsieur le ministre, les collectivités territoriales font, à l'heure
actuelle, de gros efforts pour limiter leurs dépenses et améliorer leur gestion
; il n'est pas interdit aux grands organismes de sécurité sociale de faire de
même afin de procéder à des économies réelles.
Restructurer, c'est encore achever la réforme de l'assurance vieillesse.
Que cela plaise ou non, le débat sur les régimes spéciaux ne pourra pas être
éludé ; il faudra y venir le plus rapidement possible.
Il est temps aussi de clarifier les relations entre les régimes eux-mêmes.
Vous savez l'intérêt que je porte à la surcompression financière qui affecte la
Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales. C'est une
forme légale d'extorsion de fonds qui s'apparente plutôt à la stratégie du
Sapeur Camember, qui creuse un trou pour en remplir un autre, qu'à une
véritable gestion des caisses de retraite.
Le texte que vous nous présentez contient des dispositions provisoires pour la
CNRACL. Nous vous proposons de mettre en place un système pour le plus long
terme, qui évitera que les prélèvements effectués sur cette caisse ne soient
décidés au gré de la seule humeur de ceux qui veulent boucher un trou en
creusant dans un autre qui est encore de taille modeste.
Voilà, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, les sujets que je
voulais aborder dans cette brève intervention.
D'ores et déjà, il est temps de mettre en chantier la loi de financement de
l'année prochaine. Je tiens à vous féliciter, monsieur le ministre, d'avoir
tenu vos engagements, d'avoir respecté le calendrier et de nous avoir présenté
un ensemble de textes tout à fait important.
Mes chers collègues, pour que le Parlement puisse assumer pleinement les
responsabilités nouvelles qui viennent de lui être confiées, il doit avoir le
courage d'aider le Gouvernement à maîtriser au plus vite la dérive des
dépenses. Il doit aussi avoir la volonté de renouer le dialogue et il doit
montrer que la loi de financement de la sécurité sociale, plutôt qu'un acte de
puissance publique, est le début d'une concertation très générale, à la fois
professionnelle et géographique, sans laquelle nous ne pourrons pas sauver
notre protection sociale.
M. Lucien Neuwirth.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Malgré les tentations
qui seront fortes dans les prochains jours de débattre à l'infini de
l'articulation des recettes nouvelles ou du calibrage de ce que l'on va prendre
à l'un ou à l'autre, je vous demande, mes chers collègues, de faire en sorte
que notre débat reste au niveau de cette ambition. Sachons oublier l'accessoire
pour nous souvenir de l'essentiel : le système français de protection sociale a
été et est encore parmi les meilleurs du monde. Nous devons le sauver avant
qu'il ne soit trop tard !
(Applaudissements sur les travées des Républicains
et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Très bien !
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 71 minutes ;
Groupe socialiste, 62 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 53 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 44 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 32 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 28 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Autain.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. François Autain.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre
assemblée aborde donc aujourd'hui, pour la première fois, la discussion d'un
projet de loi de financement qui, désormais, viendra chaque année ponctuer la
vie de notre système de sécurité sociale.
Le climat dans lequel s'est ouverte cette discussion est pourtant bien morose.
Est-ce la nouveauté de l'exercice ? Est-ce la prise de conscience tardive de sa
difficulté, qui confine parfois à l'impossible ? Toujours est-il que
l'Assemblée nationale a paru peu empressée d'assumer la nouvelle responsabilité
qu'elle avait pourtant choisi elle-même de se confier.
Certes, elle a su retrouver quelque ardeur pour débattre des taxes qui pèsent
sur les activités ludiques ou sur les alcools, comme si, en se mobilisant ainsi
sur un aspect somme toute marginal de ce projet de loi, elle voulait masquer
l'essentiel, à savoir l'incapacité du Gouvernement à financer le déficit de la
sécurité sociale, relatif certes, mais important tout de même, après nous avoir
promis qu'après l'instauration de la contribution au remboursement de la dette
sociale et grâce à sa structure de cantonnement, ce déficit chronique, que tout
le monde critiquait, surtout quand vous étiez dans l'opposition d'ailleurs, et
dont souffrirait la sécurité sociale, était enfin circonscrit et définitivement
vaincu.
M. René Régnault.
Hélas !
M. François Autain.
Reconnaissons au passage que, de toutes les mesures que comportait le plan
Juppé, c'est la CRDS qui a été le plus rapidement et le plus complètement
appliquée.
Cet échec - car il faut bien parler d'un échec - en annonce d'autres, au point
qu'à l'heure actuelle personne ne se hasarderait à pronostiquer le succès d'un
plan dont tout le monde craint qu'il ne soit fondé sur des hypothèses trop
fragiles.
Pour mieux comprendre ce scepticisme qui gagne même les rangs de votre
majorité, monsieur le ministre, il faut revenir sur un passé récent, au risque
d'être contraint de rappeler quelques souvenirs parfois désagréables.
On ne peut s'empêcher, en effet, de voir un symbole dans le fait que nous
abordons l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale
presqu'un an jour pour jour après la révolution annoncée par M. Alain Juppé, le
15 novembre 1995.
Quelle belle journée que cette journée-là, où, chers amis de la majorité, vous
étiez bien plus nombreux qu'aujourd'hui, tous debout pour applaudir à tout
rompre cet acte révolutionnaire, allais-je dire, disons « refondateur » pour
reprendre l'adjectif utilisé par M. le rapporteur.
Malheureusement, il n'a pas fallu beaucoup de jours pour que ce discours
triomphant ne débouche sur la plus grande crise sociale connue par la France
depuis 1968. Pourquoi ? Tout simplement parce que, au-delà de ceux qui avaient
choisi la grève pour protester contre la remise en cause de leurs régimes
spéciaux, nos compatriotes constataient que ce plan aggravait les charges qui
pesaient sur leurs salaires sans pour autant garantir une quelconque
amélioration de leur protection sociale, bien au contraire.
Dans le même temps, on pouvait s'étonner que M. le Premier ministre, qui leur
proposait de s'engager dans la voie de la réforme, était celui-là même qui
l'avait pourtant refusée quelque temps plus tôt. Comment, en effet, ne pas se
rappeler au moins les trois bévues les plus graves d'Alain Juppé lorsqu'il
était dans l'opposition ?
La première, c'est d'avoir osé dire, lorsque M. Michel Rocard a institué la
contribution sociale généralisée, qu'il ne s'agissait que d'un impôt de plus et
d'avoir fait voter l'ensemble de ses amis contre ce projet, à l'exception
notable, il est vrai, je le reconnais, de quelques éléments de la majorité
sénatoriale dont je salue le courage et la clairvoyance.
M. Charles Descours,
rapporteur.
C'est pour cela que M. Evin a soutenu Juppé !
M. François Autain.
La deuxième bévue, c'est lorsque Pierre Bérégovoy a courageusement tenté de
mettre en oeuvre les instruments d'une maîtrise médicalisée des dépenses de
santé. On a vu M. Juppé descendre dans la rue au côté des médecins pour laisser
croire à la faillite de notre système de santé et dénoncer l'atteinte portée à
la dignité du corps médical.
La troisième, qui n'est sûrement pas la moins grave, c'est d'avoir soutenu un
programme présidentiel qui promettait, aux médecins en particulier mais aussi à
beaucoup d'autres, monts et merveilles, et des lendemains qui chantent !
N'est-ce pas M. Chirac qui, dans un entretien accordé à
Impact Médecin
Hebdo
, déclarait pendant la campagne présidentielle : « Notre approche est
sans rapport avec la volonté exprimée par certains de plafonner les dépenses de
santé par rapport au PIB. » Je ne sais pas qui était visé dans ces propos, mais
force est de constater aujourd'hui que la politique que vous nous proposez,
monsieur le ministre, a quand même quelque chose à voir avec ce plafonnement
des dépenses de santé que dénonçait le futur président de la République !
La cause profonde de l'échec du plan de M. Alain Juppé, c'est d'avoir opéré ce
virage à 180 degrés par rapport à la plate-forme présidentielle, prenant le
contre-pied de la politique qu'il défendait quand il était dans l'opposition,
suscitant dans son électorat, singulièrement chez les médecins, une réaction de
rejet qui a fini par gagner sa personne.
En d'autres termes, l'homme qui avait pris de telles positions ne pouvait pas
être celui de la réforme. Il ne pouvait surtout pas être celui de cette
réforme-là car, loin de tirer les leçons des erreurs passées, le plan du 15
novembre n'a fait qu'accroître encore l'inquiétude et le scepticisme de nos
concitoyens.
Car, enfin, ne nous a-t-on pas promis, voilà un an, de ramener le déficit à 17
milliards de francs cette année pour revenir à l'équilibre en 1997 ? Comment ne
pas constater aujourd'hui que c'est un déficit de 51,5 milliards de francs qui
est attendu pour cette année, que le trou sera encore de 30 milliards de francs
l'an prochain et que l'on n'ose même plus nous parler de retour à l'équilibre
avant 1999 ? C'est en tout cas l'année qui est citée dans le rapport.
Pourquoi 1999 ? Pourquoi pas 2000 ou 2001 ? Nous n'en savons rien. Personne ne
peut prédire aujourd'hui de façon crédible une telle échéance, le problème de
l'heure étant, me semble-t-il, non pas la date de disparition du déficit, mais
bien la date et les moyens de son financement. Or, jusqu'à ce jour, vous avez
été, monsieur le ministre, il faut bien le dire, d'une discrétion exemplaire,
vous abstenant de répondre lorsque la question vous était posée, notamment lors
de la dernière réunion de la commission devant laquelle vous avez été
auditionné.
Tout à l'heure encore, je vous ai écouté attentivement, sans déceler la
moindre esquisse de début de solution à ce problème. Simplement avez-vous
consenti à reconnaître qu'il s'agissait là d'un problème de second ordre, ce
que vous n'avez pas toujours fait, vous en conviendrez, surtout lorsque vous
étiez dans l'opposition ! Combien de fois ne nous avez-vous pas critiqués pour
ces déficits ? Vous considérez aujourd'hui qu'un déficit est un problème de
second ordre. J'en prends acte.
M. Marcel Charmant.
Bonne remarque !
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales.
Un déficit transitoire !
M. François Autain.
Transitoire, oui, c'est évident ! On verra en 1998 !
Comment, après tout cela, espérer que les perspectives tracées par le projet
de loi de financement de la sécurité sociale emportent la conviction ?
Les causes de l'échec du plan sont nombreuses.
La première est, j'en conviens, que les recettes n'ont pas été au rendez-vous.
Vous avez beaucoup insisté, monsieur le ministre, sur le triste effet du
rétrécissement de la masse salariale sur les ressources de la sécurité sociale.
Mais, enfin, si la masse salariale se rétrécit, c'est bien que le chômage
s'accroît et que les salaires ne progressent plus !
M. Charles Descours,
rapporteur.
Par rapport aux prévisions !
M. François Autain.
Par rapport aux prévisions, je veux bien le reconnaître.
Si les salaires ne progressent plus, c'est que le succès économique n'est pas
au rendez-vous et que votre politique, par voie de conséquence, doit être
considérée comme mauvaise, car il n'est plus possible aujourd'hui d'incriminer
la conjoncture internationale. En effet, ce sont bien vos choix, après ceux de
M. Edouard Balladur, qui font aujourd'hui que la France demeure dans la logique
de récession, tandis que ses principaux partenaires occidentaux, les Etats-Unis
en tête, aperçoivent le bout du tunnel.
Autrement dit, vous avez organisé la récession en cassant la reprise de
l'activité économique par des prélèvements massifs et répétés, dont mon
collègue et ami Jean-Luc Mélenchon, qui interviendra tout à l'heure, avait fait
la recension à l'occasion du débat sur le projet de loi organique relatif aux
lois de financement de la sécurité sociale au moi de juin dernier.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Excellente référence !
M. François Autain.
Citant
la Tribune
- même datant du mois de juin dernier, cela mérite
d'être repris - Jean-Luc Mélenchon disait : « Au hit-parade des hausses
d'impôts, le Gouvernement Juppé l'emporte très largement sur son
prédécesseur... Pas moins de 126 milliards de francs de prélèvements nouveaux
en année pleine ont été décidés depuis juin 1995. Ils ont porté à un record
historique le taux de prélèvements obligatoires, qui atteint 47,5 % du PIB
cette année, selon le ministère des finances. Et 84 % de ces prélèvements
nouveaux pèsent sur les ménages. »
M. Jean-Louis Carrère.
C'est normal ! Il est premier partout !
M. François Autain.
Dans ces conditions, on comprend que l'annonce d'une baisse des impôts pour
1997 ait plutôt fait un bide, pour employer une expression familière qui veut
bien dire ce qu'elle veut dire.
On peut d'ores et déjà parier que les orientations de la loi de finances vont
aggraver cette évolution - je devrais même plutôt dire « involution ». En
effet, il est question de santé et vous savez qu'en physiologie médicale «
involution » veut dire rétrécissement, rétractation d'une cellule ou d'un
organe. En l'occurrence, c'est bien de cela qu'il s'agit.
La deuxième excuse avancée pour justifier la médiocrité des résultats obtenus
par le Premier ministre, M. Alain Juppé, est que la réforme engagée ne saurait
produire ses effets qu'à moyen ou à long terme. Mais que ne l'avez-vous dit et,
surtout, prévu plus tôt, monsieur le ministre ? En vérité, si la réforme ne
produit aucun effet, c'est parce que, au-delà des apparences, elle n'est pas
engagée. Tout se passe comme si l'indice d'application de vos ordonnances
évoluait parallèlement à celui de la popularité de notre Premier ministre. Vous
comprendrez qu'on finisse par s'inquiéter !
(M. Mélenchon applaudit.)
La troisième cause des déceptions enregistrées serait la résistance de la
société française à la réforme. Mais la réforme, monsieur le ministre, n'est
pas seulement une affaire d'ambition ; c'est une affaire de concertation !
Votre savoir-faire, que personne ne saurait mettre en doute, se heurte
malheureusement trop souvent aux maladresses du chef du Gouvernement.
Après ces quelques rappels nécessaires pour situer le contexte politique,
venons-en au projet lui-même, qui paraît, tant sur la forme que sur le fond,
constituer une nouvelle étape vers l'échec.
D'abord, les conditions de sa préparation ne sont pas conformes aux
engagements. Comment ne pas souligner que la conférence nationale de la santé a
été constituée trois jours avant la date prévue pour la conclusion de ses
travaux ?
Comment, dans ces conditions, définir une politique de santé publique pour
1997 ? Comment, dès lors, présenter autre chose qu'un texte purement comptable
? Comment, enfin, ne pas en arriver, dans ces conditions, à une annexe si
médiocre, si creuse et déconnectée du dispositif que nous avons failli en
proposer la suppression pure et simple ?
Puisque nous sommes sur le terrain de la méthode, comment ne pas rappeler
ensuite que, en contradiction formelle avec les ordonnances, qui laissent à la
concertation le soin de décliner les objectifs légaux, le porte-parole du
Gouvernement s'est cru autorisé à faire connaître, avant même que ces derniers
aient été adoptés, les intentions du Gouvernement, laissant ainsi bien peu de
place au dialogue.
Enfin, pour rester sur le terrain de la méthode, le rapporteur de la
commission des affaires sociales pour la famille a regretté de ne pouvoir se
fonder sur les conclusions de la conférence nationale pour développer ses
propres conclusions.
Il est temps, cependant, d'aborder le fond du dispositif qui nous est
proposé.
Commençons par les objectifs de recettes. Si Jean-Paul Fitoussi, directeur de
l'Observatoire français des conjonctures économiques, l'OFCE, confirme que
c'est la rétractation des recettes qui est en grande partie responsable du
creusement du déficit pour 1996, ses conjoncturistes prévoient qu'elle se
poursuivra en 1997. Comment, dès lors, retenir pour crédibles les chiffres que
vous avancez ? Ce n'est pas l'élargissement de l'assiette de la contribution
sociale généralisée ou quelques recettes de poches qui changeront la nature des
choses.
Venons-en aux objectifs de dépenses. Vous nous proposez, pour l'assurance
maladie, une progression de 1,7 % l'année prochaine. Les perspectives
d'inflation et l'évolution de la masse salariale hospitalière font,
malheureusement, gravement douter du sérieux d'une telle prévision. La branche
famille souffre, quant à elle, du droit de tirage présidentiel de M. Edouard
Balladur, le prix de la loi pesant aujourd'hui terriblement sur les comptes.
Quant à l'assurance vieillesse, les premiers effets des quelques mesures
finalement tirées de la réflexion ambitieuse engagée voilà quelques années par
M. Michel Rocard ne suffisent pas encore à garantir l'avenir du régime général,
tandis que les régimes complémentaires sont enfoncés dans les plus graves
difficultés.
Le solde n'est donc pas crédible, et la note que vous nous présenterez à la
fin de 1997 sera donc sûrement bien supérieure aux 30 milliards de francs de
déficit que vous nous annoncez.
Au-delà des chiffres, la condition du réalisme de vos propositions c'est la
volonté de mise en oeuvre de votre réforme. Il faudrait, pour parvenir au
résultat que vous escomptez, une application effective de la réforme que vous
avez annoncée.
Or, s'agissant de la politique de restructuration hospitalière, les
instruments font défaut. Les agences régionales d'hospitalisation ne sont pas
encore vraiment en place ; dans ces conditions, contrairement à ce que vous
espériez, leurs directeurs ne seront pas en mesure, dès 1997, d'agir de façon
efficace pour contrarier le court normal des choses.
Autrement dit, la réforme s'est arrêtée aux portes de l'hôpital. Vous n'avez
pas cru devoir remettre en cause le mode de nomination des praticiens parce que
vous n'osez pas affronter le mandarinat hospitalier. C'est pourtant bien là
qu'est la difficulté. L'hôpital n'est pas un lieu où les hommes sont mis au
service d'une fonction ; c'est au contraire un lieu où, trop souvent, les
moyens sont soumis à l'irresponsabilité des hommes.
Actuellement, l'hôpital public fonctionne comme un appareil de production de
soins que l'assurance maladie finance sans pouvoir apprécier la qualité ni
l'utilité des soins prodigués. Est-il besoin de rappeler, en effet, que
l'opposabilité de références médicales prévue depuis 1993 ne s'applique pas aux
hôpitaux ?
L'hôpital doit se réformer de l'intérieur et rechercher les moyens d'améliorer
son efficacité par rapport aux coûts. Nombreux sont les spécialistes qui savent
que les biens de santé sont trop souvent gaspillés et qui affirment que ce
gaspillage peut être aisément endigué. Il ne manque, pour y parvenir, que la
volonté. Le gaspillage existe. La plus grande erreur serait de le nier ou de le
minimiser ; le plus grand danger, de ne rien faire.
J'évoque rapidement les exemples qu'on cite souvent. Les prothèses peuvent
être surfacturées de sept à douze fois leur prix de revient. La dialyse, dont
le prix moyen serait de 1 800 francs dans des pays comparables à la France,
voit son prix atteindre le double en France, soit 3 200 francs. On pourrait
multiplier ces exemples.
Dès lors qu'à l'hôpital rien ne se passe, comment vouloir réformer, dans le
même temps, la médecine ambulatoire sans laisser croire aux praticiens qu'ils
sont les seules victimes d'une politique qui les désigne comme des boucs
émissaires ?
Voilà pourquoi la négociation conventionnelle revêt une importance
considérable. Vous êtes aujourd'hui à la croisée des chemins : ou bien, pour
répondre à son attente légitime, vous donnez enfin satisfaction à MG France en
développant vraiment les filières de soins - et, monsieur le ministre,
l'intervention que vous avez prononcée le week-end dernier au congrès de ce
syndicat majoritaire chez les généralistes et l'accueil chaleureux qu'elle a
reçu semble bien indiquer que c'est cette voie, sans arrière-pensée, que vous
voulez emprunter ; vous me direz tout à l'heure si je me trompe - ou bien,
cédant aux pressions qu'exerceront les autres syndicats de médecins, vous
revenez sur vos engagements du week-end, ce qui ne serait pas une nouveauté,
c'est déjà arrivé. Ainsi, le contrat de santé conclu en mars 1991 avec MG
France fut rendu caduc par l'hostilité de la CSMF - confédération des syndicats
médicaux français - avant même tout début de mise en oeuvre. Dans ces
conditions, il en sera fini de la maîtrise des dépenses d'assurance maladie.
On voit bien que ce n'est pas seulement la politique qu'il faut changer ;
c'est aussi les hommes qui la conduisent.
Je le redis : la condition de la réussite, c'est l'application de la réforme.
La faiblesse politique croissante du chef du Gouvernement vous rend inapte à la
poursuivre.
Je sais, monsieur le ministre, que vous me ferez tout à l'heure le reproche de
dénigrer à tout prix. Je sais aussi que vous jugerez ce dénigrement d'autant
plus injuste que, comme vous l'avez laissé entendre à l'Assemblée nationale,
vous dénoncerez une prétendue communauté de vues entre vous et nous sur la
réforme de la sécurité sociale. Il est vrai que, au lendemain du 15 novembre
1995, quelques-uns de mes amis ont retrouvé dans les propositions du Premier
ministre un assez grand nombre de leurs suggestions pour avoir la faiblesse de
croire devoir soutenir son entreprise. Je voudrais, sur le fond, rappeler
quelques vérités.
D'abord, monsieur le ministre, la convergence est naturelle quand vous venez
vers nous. Qui aujourd'hui nous propose d'étendre le champ d'une contribution
sociale généralisée que nous avons créée et que certains de vos amis ont tant
critiquée ?
Ne venez-vous pas non plus vers nous quand la plupart des instruments de la
maîtrise médicalisée des dépenses ambulatoires contenus dans les ordonnances
sont issus des pistes ouvertes par Pierre Bérégovoy en 1992 ?
M. Charles Descours,
rapporteur.
Le Sénat l'avait votée ; mais pas les socialistes !
M. François Autain.
Je n'ai pas dit que vous ne l'aviez pas votée. Mais c'est nous qui en avions
pris l'initiative !
Ne venez-vous pas non plus vers nous quand, loin d'abroger la réforme
hospitalière de Claude Evin, que vous avez tant combattue, vous en complétez
encore les outils ?
Alors, monsieur le ministre, oui, quand vous êtes d'accord avec nous, je le
confesse, nous sommes d'accord avec vous.
En revanche, quand vous partez à la recherche désordonnée de recettes
nouvelles pour colmater les trous et que votre projet de loi de financement n'a
d'autre cohérence que d'empiler les centaines de millions sur les centaines de
millions, nous ne vous comprenons plus : où sont vos ambitions en matière
d'allègement des prélèvements obligatoires quand leur taux global, je le
rappelais tout à l'heure, est aujourd'hui bien supérieur à celui que nous avons
laissé ?
Quand vous nous proposez de modifier l'assiette de la contribution sociale
généralisée pour trouver quelques sommes supplémentaires, vous ne savez même
pas la soumettre à des règles juridiques communes. Vous développez un discours
alambiqué, selon lequel une part de la CSG serait un impôt non déductible,
fondé sur le principe de solidarité, tandis que l'autre serait une cotisation
sociale fiscalement déductible. Comment voulez-vous faire comprendre cela à nos
concitoyens ?
Quand vous nous proposez de transférer 1,3 point de cotisation d'assurance
maladie vers la contribution sociale généralisée, vous ne dites pas vraiment
pourquoi. Souhaitez-vous poursuivre un tel transfert ? Dans quels délais ?
N'oseriez-vous pas le dire parce que vous ne voulez pas fâcher votre électorat
? N'oseriez-vous pas le dire parce que l'assurance maladie universelle, qui
apparaît comme l'accompagnement naturel d'un tel transfert, est oeuvre trop
difficile à entreprendre pour que vous ayez été en mesure de la présenter en
même temps, comme vous auriez dû le faire ?
Quand vous nous proposez d'augmenter les taxes sur les alcools pour accroître
les ressources de la sécurité sociale sans augmenter, dans le même temps, le
montant des crédits consacrés à la lutte contre l'alcoolisme, comment
pouvez-vous prétendre nous proposer une vraie politique de santé publique ?
M. René Régnault.
Très bien !
M. François Autain.
Quand, ayant grappillé ces quelques subsides, vous ne savez pas vous entendre
avec votre majorité pour engager un débat sur la nécessaire réforme de
l'assiette des cotisations patronales, comment pouvez-vous prétendre donner à
nos concitoyens le sentiment que vous êtes animé par une ambition claire et
déterminée ? Pourtant, monsieur le ministre, nous sommes prêts, pour notre
part, dans la continuité de notre action passée, à vous accompagner sur ces
importants sujets.
Mirage de la convergence aussi que de croire que, parce que les instruments
que vous utilisez sont ceux que nous proposions, la recette serait la même.
Tant de mets différents peuvent être préparés dans la même marmite ! Lorsque
mon regretté collègue Charles Metzinger dénonçait le danger de l'étatisation
pour s'opposer à votre plan et à l'institution des lois de financement de la
sécurité sociale, il était animé par deux craintes.
Il voyait d'abord dans votre démarche - je viens moi-même de le dénoncer
longuement - une seule volonté comptable de maîtriser la dérive financière de
notre système de protection sociale sans ambition réformatrice.
Il y voyait aussi et surtout un risque grave pour la démocratie sociale qui
fonde depuis 1945 la gestion de ce système.
Je reconnais volontiers, monsieur le ministre, que vous n'êtes pas de ceux qui
m'inspire une telle crainte, mais vous ne pouvez pas nier que la reprise en
main par l'Etat de la gestion de la sécurité sociale n'est pour certains de vos
amis qu'une étape. Après avoir tué la démocratie sociale, ils dénonceront le
poids du système pour proposer de le privatiser. Comment interpréter autrement
les appels d'Alain Madelin à un équilibre financier impossible ?
(«
Absolument ! » sur les travées socialistes. - Exclamations sur les travées des
Républicains et Indépendants et du RPR.)
A ce propos, après avoir dénoncé les fausses convergences, je voudrais
maintenant exposer nos vraies divergences.
Enfin, monsieur le ministre, quand les députés de la majorité vont, pas plus
tard que la semaine prochaine, aborder la discussion d'une proposition de loi
sur l'épargne-retraite, vont-ils faire autre chose que d'engager cette
privatisation ? Nous ne refusons pas de débattre des questions fondamentales
qu'appelle l'évolution de l'assurance vieillesse. Il reste que le sourd combat
que se livrent aujourd'hui banquiers et assureurs révèle bien que l'enjeu n'est
pas social. Vous n'avez d'ailleurs pas caché vous-même les réserves que vous
inspire cette discussion.
Quand vous ne savez pas réformer l'assurance maladie autrement que par le
recours à des recettes purement institutionnelles, vous refusez d'affronter les
vraies contradictions de notre système de protection sociale, car l'originalité
du système français, sinon sa faiblesse, repose sur le fait que, financées par
des crédits publics, les dépenses sont ordonnées, pour une bonne part, par des
personnes privées et dispensées par des caisses qui fonctionnent presque à
guichet ouvert.
Il faut donc qu'en respectant autant que possible les principes qui commandent
leurs conditions d'exercice les médecins acceptent de remettre en cause leur
mode de rémunération et de formation. Ils doivent consentir à une limitation de
la liberté de prescription, liberté trompeuse d'ailleurs qui, paradoxalement,
revient à les placer, souvent à leur insu, sous la dépendance des laboratoires
pharmaceutiques, faute d'une formation continue digne de ce nom.
(« Eh oui ! » sur les travées socialistes.)
En généralisant l'évaluation et l'expertise des pratiques, les filières
de soins répondent en partie à cette préoccupation. Elles doivent être
développées. Le carnet de santé et l'informatisation sont les instruments d'une
telle évolution pour le patient. C'est vers ces évolutions profondes qu'il faut
désormais s'engager plutôt que de chercher à contraindre par l'outil
comptable.
J'en viens à la deuxième divergence.
Le budget global, que nous avons institué, a été la première étape de la
réforme financière. Tous les chiffres montrent qu'elle a permis, au cours des
années quatre-vingt, d'engager un véritable processus de maîtrise des dépenses.
Elle appelle désormais une nouvelle étape ; seules les évolutions
institutionnelles que j'ai proposées tout à l'heure et une plus grande
transparence financière permettront de la franchir. Or les instruments font
défaut.
Il faut engager une réforme de la gestion financière des établissements qui
repose sur la meilleure allocation des moyens et une responsabilité accrue des
acteurs. Une vraie régionalisation apparaît, à cet égard, comme une voie
privilégiée. Elle devrait s'articuler, au niveau départemental, avec la
médecine ambulatoire, dans la logique des filières de soins, même si celles-ci
sont, au début, fondées sur le volontariat.
J'en terminerai en évoquant la divergence qui concerne la politique
familiale.
Le gouvernement de M. Edouard Balladur a offert des ponts d'or aux familles
nombreuses à hauts revenus tandis que vous vous êtes perdu dans le débat sur la
fiscalisation des allocations familiales. Quel spectacle ainsi offert aux
familles les plus défavorisées qui, dans le même temps, ont seulement vu
diminuer fortement l'allocation de rentrée scolaire !
(Très bien ! sur les travées socialistes.)
Santé, famille, vieillesse, nous ne sommes pas d'accord sur grand-chose,
monsieur le ministre. Encore une fois, s'il nous arrive parfois de recourir aux
mêmes outils, nous n'en faisons pas le même usage, car nous ne proposons pas
aux Français la même politique.
Nous refusons la vôtre parce que nous savons qu'elle mène à l'échec. Nous ne
ferons pas avec vous le pari d'un redressement rapide de la sécurité sociale
parce que nous ne croyons ni au sérieux de vos prévisions ni à votre capacité
de réformer. En un mot comme en cent, nous voterons contre le projet de loi de
financement de la sécurité sociale parce que vos choix ne sont pas les
nôtres.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Fraysse-Cazalis.
Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi de financement de la sécurité sociale qui nous est soumis constitue la
stricte application du plan de réforme présenté par le Premier ministre l'an
dernier : étatisation de la sécurité sociale, fiscalisation de son financement,
dépenses encadrées par le Parlement, alors que le Gouvernement dessaisit les
assurés sociaux, rupture avec la logique de solidarité par l'instauration de la
séparation des branches, asphyxie du système public hospitalier,
culpabilisation des médecins, accusés de prescrire à tort et à travers.
Le mouvement social avait condamné sévèrement ce projet, dont les sondages ont
montré qu'il était majoritairement refusé par nos concitoyens.
Malgré cela, et en affichant une autosatisfaction fort peu justifiée, le
Gouvernement a poursuivi, en usant des procédés les plus autoritaires, la mise
en oeuvre des mesures annoncées.
Des résultats avaient aussi été annoncés : le Premier ministre s'engageait, le
15 novembre dernier, à ramener le déficit à 17 milliards de francs en 1996 et à
équilibrer les comptes en 1997. Aucun de ces objectifs n'a été ou ne sera
atteint : 51,5 milliards de déficit en 1996 et, pour 1997, le rapport nous
annonce un déficit de 47,2 milliards de francs, avant les mesures de
redressement supplémentaires, c'est-à-dire de nouvelles taxes !
Ou le Gouvernement s'est trompé, ce qui est déjà grave, ou il trompe l'opinion
publique, ce qui l'est encore bien plus. Nous n'avons pas entendu le moindre
mot d'autocritique à propos de ce résultat désastreux, mais vous continuez !
C'est ainsi que vous augmentez à nouveau la CSG, que vous aviez tant critiquée
lorsqu'elle fut instaurée, tout en vous arrangeant cependant pour en permettre
l'adoption ! Aujourd'hui, vous l'élargissez aux revenus de remplacement : aux
indemnités journalières de maternité, par exemple. Rien ne vous échappe ! Vous
visez jusqu'aux indemnités de licenciement !
Ce projet de loi tout entier est donc bien sous-tendu par une seule logique,
d'ordre comptable, que vous appliquez à travers deux types de dispositions,
sans vous préoccuper de la gravité de leurs conséquences.
D'une part, il s'agit de réduire à tout prix les dépenses pour les contenir
dans un plan comptable n'ayant rien à voir avec la santé, le droit à une
retraite digne et la possibilité pour les familles d'élever correctement leurs
enfants. D'ailleurs, trois syndicats de médecins sont totalement hostiles à
votre réforme et parlent même d'« atteinte à la qualité des soins » et de «
dérive vers le rationnement des dépenses », comme l'indique ce soir un
quotidien.
D'autre part, il s'agit de faire payer davantage les salariés, les retraités,
les familles et même les chômeurs, pour alléger toujours plus les charges
patronales.
Ainsi, vous faites le contraire de ce que vous affirmez.
M. Gaymard, tout à l'heure, a parlé longuement de la prévention, de la santé
des jeunes... C'est bien, mais où sont les mesures concrètes ? Il ne suffit pas
d'en parler !
Le Gouvernement prétend, dans son rapport, qu'il soutient une politique
familiale ambitieuse. Or non seulement nous n'en trouvons trace dans aucune des
mesures concrètes qu'il présente mais, à l'article 33, par exemple, c'est sans
doute avec cette louable ambition qu'il propose d'inclure les aides au
logement, par nature attribuées aux foyers dont les revenus sont modestes, dans
le calcul de l'allocation de parent isolé, ce qui diminuera, bien sûr, le
nombre des bénéficiaires.
C'est sans doute avec le même souci d'aide aux familles que vous envisagiez de
soumettre les allocations familiales à l'impôt sur le revenu. Heureusement, la
protestation des associations familiales vous a contraint à reculer sur ce
point !
On comprend, dans ces conditions, que vous n'attendiez pas les résultats de la
conférence nationale de la famille pour modifier les textes : une belle
illustration de votre conception de la démocratie. La démocratie, bien sûr,
vous la redoutez.
Ainsi, la brutale réduction de l'allocation de rentrée scolaire, l'intégration
des revenus de transfert dans le calcul des aides au logement, l'extension de
la CSG à ces revenus, y compris les indemnités de congé maternité, frapperont
durement les familles, surtout les plus modestes. Vous préférez l'imposer
d'autorité et ne pas trop en débattre. On vous comprend !
Il est révélateur que les dépenses prévues pour la branche famille à l'article
3 progressent moins vite que l'inflation, alors qu'il faudrait, pour répondre
aux besoins des familles, revaloriser les allocations familiales et attribuer
une prime exceptionnelle de Noël.
Les retraités ne sont pas davantage épargnés. La moitié d'entre eux ont des
ressources inférieures à 4 700 francs par mois. L'allongement de la durée de
cotisation pour bénéficier de la retraite à taux plein, soumise de surcroît à
la cotisation maladie et à la CSG, que vous augmentez, tourne le dos aux
véritables mesures qu'il faudrait prendre en leur faveur, en revalorisant les
pensions, en permettant le départ en retraite après trente-sept annuités et
demie de cotisations, ce qui favoriserait l'embauche de jeunes, en couvrant le
risque dépendance au même titre que le risque maladie.
Autant de mesures qu'il serait possible d'arrêter, à condition de prendre
l'argent là où il est ! Malheureusement, avec ce projet, on ne progresse pas,
on recule.
Vous connaissez les résultats des enquêtes montrant qu'une personne sur cinq
renonce à des soins pour des raisons financières : 40 000 personnes ont eu
recours cette année aux centres de soins gratuits de Médecins du monde, soit 10
000 de plus que l'an dernier. Beau résultat du plan Juppé ! De plus, 2 000 cas
d'enfants atteints du saturnisme sont recensés à Paris. On parle même de
scorbut ! On a peine à y croire !
Où menez-vous ce pays ?
Vous savez que des personnes âgées ne peuvent plus se soigner correctement, ne
peuvent plus faire face aux dépenses de soins dentaires ou de lunettes, qui
leur sont pourtant indispensables.
Vous ne savez peut-être pas, mais je vous l'annonce, que la tuberculose sévit
parmi les étudiants de l'université de Paris-X, à Nanterre ; or aucun
dispositif de dépistage n'est mis en place, le président de l'université me l'a
précisé récemment.
Parallèlement, et toujours selon la même logique, le secrétaire d'Etat à la
santé décide de refuser le remboursement de l'amniocentèse pour les femmes de
moins de trente-huit ans, même si les examens ont montré qu'elles présentent un
risque réel de donner naissance à un enfant trisomique. Ainsi donc, seules
celles qui auront les moyens de payer les 2 500 francs que coûte cet examen
pourront éviter ce drame.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
C'est scandaleux !
Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis.
La voilà votre politique de prévention dont vous parlez tant ! Et je n'évoque
pas ses aspects éthiques, qui sont pour le moins préoccupants !
Mme Hélène Luc.
Très bien !
Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis.
Ces quelques exemples illustrent bien la voie dans laquelle vous voulez nous
engager.
Toutes les dispositions que vous prévoyez concourent à cette régression,
notamment celles qui sont contenues dans les ordonnances, imposées à
l'Assemblée nationale grâce à l'article 49-3 de la Constitution, en toute
démocratie, dont la majorité sénatoriale a refusé de débattre dans les
conditions que l'on sait et dont la ratification n'a jamais été débattue au
Parlement !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Ça aussi, c'est scandaleux.
Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis.
Enfin vous proposez, dans l'article 25, le reversement à la branche maladie
d'une partie des excédents de la branche accidents du travail-maladies
professionnelles. C'est la moindre des choses, face au scandale que constitue
dans ce pays la non-reconnaissance de tant de maladies professionnelles et
d'accidents du travail dont la branche maladie a finalement supporté les coûts.
Faut-il rappeler combien d'années il aura fallu aux salariés, à leurs
organisations syndicales, aux associations, aux élus, aux médecins pour obtenir
enfin la reconnaissance du danger que représente l'amiante pour la santé ?
Mais cela ne fait pas le compte.
Il est indispensable que les maladies professionnelles et les accidents du
travail soient reconnus comme tels si l'on veut une véritable politique de
prévention des risques au travail et de juste réparation.
Votre texte organise concrètement le démantèlement de la protection sociale
annoncé dans le plan Juppé.
En substituant la CSG aux cotisations sociales, vous mettez de fait en place
une protection sociale minimum, financée par le budget de l'Etat, et donc par
l'impôt, soumise aux critères de convergence exigés par Maastricht pour accéder
à la monnaie unique.
Vous annoncez clairement la couleur avec l'assurance universelle et le champ
largement ouvert aux marchés financiers dans les domaines de la santé, de
l'assurance et des fonds de pensions. Cette démarche est d'ailleurs illustrée
par votre choix de mettre de nombreux dirigeants du privé à la direction des
agences régionales de l'hospitalisation.
Vous prétendez qu'il n'y a pas d'autre voie et que ceux qui refusent la vôtre
seraient partisans d'un immobilisme dangereux. C'est faux, vous le savez,
puisque le Premier ministre lui-même corrigeait cette affirmation en décembre
dernier, ajoutant : « Une seule, peut-être, une seule a le mérite de la
cohérence. Cette réforme sérieuse et cohérente, c'est celle du groupe
communiste. C'est vrai. Elle relève d'une autre philosophie de la vie et de la
société que la nôtre. »
Sur ce point au moins, nous sommes d'accord avec M. Juppé. Oui, il faut une
réforme de la sécurité sociale, permettant de mobiliser une part significative
des richesses créées par les salariés pour développer la protection sociale et
répondre aux besoins humains. C'est en cela que nous nous opposons radicalement
à votre philosophie et donc à ce projet, qui vise, lui, à soumettre les besoins
primordiaux à la logique du marché.
Un pays comme le nôtre dispose de richesses qui sont susceptibles de lui
assurer une protection de haut niveau, comme le montrera mon amie Marie-Claude
Beaudeau en présentant dans quelques instants des propositions de financement
justes et efficaces.
Si l'on faisait, par exemple, cotiser les revenus financiers spéculatifs au
même niveau que les salaires, cela rapporterait 167 milliards de francs à la
sécurité sociale et permettrait d'abroger la CSG.
D'autres choix d'utilisation de la richesse nationale permettraient non
seulement de faire face aux dépenses actuelles mais aussi d'améliorer l'accès
aux soins, notamment en odontologie et en ophtalmologie, de développer la
prévention, de faire face aux maladies nouvelles qui surgissent, de mieux
protéger les enfants, en instaurant, comme nous le proposons, la gratuité des
soins jusqu'à six ans. Voilà une bonne mesure de prévention !
Non, ce n'est pas une utopie. C'est une autre logique, diamétralement opposée
à la vôtre, laquelle, de réforme en nouveau plan de redressement des comptes,
jette de plus en plus de personnes dans la précarité, la misère et l'exclusion,
tandis que rien n'est réglé sur le plan financier puisque le déficit continue
de se creuser.
Vous êtes dans un cercle vicieux que vous entretenez en poursuivant, l'aveu
vient d'en être fait, une politique de chômage et de bas salaires, pour mieux
privilégier les intérêts de la finance et de la spéculation, ce que vous avez
oublié de dire.
Nous ne vous suivrons pas, monsieur le ministre, sur cette voie catastrophique
tant pour les hommes que pour l'économie du pays.
C'est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen votera contre votre
projet de financement de la sécurité sociale.
(Applaudissements sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
A cette heure, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à
vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une
heures trente-cinq, sous la présidence de M. Jacques Valade.)