PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président

M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1997, adopté par l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la première fois, le Parlement doit se prononcer sur les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale. L'on sait, d'ores et déjà, que cet équilibre ne sera pas atteint en 1997, les prévisions de recettes restant inférieures aux objectifs de dépenses.
En dépit des espoirs nés l'an dernier de la présentation par le Premier ministre d'un plan logique et courageux, espoir entretenu par les débats sur la réforme constitutionnelle et la loi organique, cette évolution vers l'équilibre ne sera donc que progressive.
Le déficit prévu pour 1997 s'est d'ailleurs alourdi, lors du passage du projet de loi devant l'Assemblée nationale, de 29,7 milliards de francs à 30,4 milliards de francs. Toutefois, la commission des affaires sociales du Sénat, sur l'initiative de son président M. Fourcade, nous proposera, par amendement, de ramener le déficit à son chiffre initial, grâce à une cotisation sociale supplémentaire frappant les indemnités de licenciement versées au-delà des obligations légales et conventionnelles.
Cette disposition permettrait aussi de financer 2 000 places de soins infirmiers à domicile pour des personnes âgées dépendantes et de constituer un fonds de 1 milliard de francs pour des actions nouvelles de santé. Ne serait-il pas préférable d'alléger le déficit social de 1 milliard de francs ? Le débat nous montrera quelle est la meilleure voie.
Certes, on nous objecte que si la réforme n'avait pas été mise en oeuvre le déficit de 1996 se serait élevé à 90 milliards de francs et celui de 1997 à 47 milliards de francs.
Cependant, je regrette que le contrôle du Parlement, tant réclamé et tant attendu depuis vingt ans, devienne effectif pour la première fois avec un financement en déséquilibre. Mais la tendance est à la maîtrise des comptes sociaux pour atteindre, d'après les projections effectuées, l'excédent en 1999. Il faut en accepter l'augure !
M. le Président de la République a déclaré, le 8 novembre dernier, que la solidarité « dans les circonstances présentes était un devoir moral ». La majorité des membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen sera solidaire en votant le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1997. Mais être solidaire n'empêche pas de faire connaître, outre les points d'accord, les réserves qu'appelle le texte dont nous discutons aujourd'hui.
La lutte contre le déficit prend en compte les nouvelles données sociales au travers de plusieurs orientations.
En premier lieu, considérant que la croissance trop faible de la masse salariale ne parvient plus à compenser les besoins de financement de notre système de sécurité sociale, le Gouvernement a décidé de détacher le droit aux prestations de la seule activité professionnelle.
Sur cette base, deux types de mesures ont été prises : l'assiette de la CSG a été élargie à la presque totalité des produits de l'épargne et à certains revenus de remplacement ; par ailleurs, le taux de la CSG est augmenté, passant de 2,4 à 3,4 %. La part correspondant au point supplémentaire est désormais affectée aux régimes obligatoires d'assurance maladie, en remplacement de 1,3 point de cotisation maladie. Sa déductibilité de l'impôt sur le revenu a fait l'objet de longues discussions, mais, malgré les difficultés techniques qu'elle entraîne sur le plan fiscal, elle doit être approuvée et maintenue ; c'est le souhait d'une grande partie de nos interlocuteurs.
Le nouveau dispositif devrait, selon les estimations fournies, procurer 44,2 milliards de francs en année pleine dès 1997. Encore faut-il que le nouveau taux de CSG soit appliqué dès le 1er janvier 1997 ! Mais, sur ce point, vous nous avez rassurés, monsieur le ministre, et je vous en remercie. Les quelques velléités qui étaient apparues à l'Assemblée nationale n'ont pas été suivies d'effet, et cette disposition sera bien appliquée en début d'année.
Au total, la contribution sociale généralisée rapportera l'année prochaine 150 milliards de francs, soit la moitié du rendement de l'impôt sur le revenu. La CSG élargie devrait progresser à l'avenir pour alléger le poids des cotisations sociales sur les salariés et les entreprises et dégager des ressources en vue d'assurer l'équilibre financier de la sécurité sociale. A l'évidence, la CSG est un nouvel impôt sur presque tous les revenus. Cet état de fait justifie l'allégement de l'ancien impôt sur le revenu des personnes physiques, l'IRPP.
En second lieu, des recettes nouvelles sont organisées en ce qui concerne les alcools, le tabac et les jeux et paris.
Je ne reviendrai ni sur le produit des jeux du casino et leur taxation ni sur les paris hippiques, mais j'insisterai sur les droits de consommation sur les alcools : pour les alcools forts, ils ont été ramenés à 4,97 % à l'Assemblée nationale, et, pour la bière, ils ont été fixés à 9 %.
Pour quelle raison le vin échappe-t-il à cette taxation malgré sa responsabilité avérée en matière de santé ? Il y a là un élément assez choquant pour ceux qui appartiennent aux professions médicales.
En revanche, le prélèvement décidé par l'Assemblée nationale concernant ce qu'il est convenu d'appeler les prémix, et qui aboutit à une augmentation de 5 francs par canette, constitue évidemment une mesure souhaitable.
Toutes ces dispositions qui tendent à rechercher de nouveaux moyens de financement s'apparentent un peu à une fouille des fonds de tiroir. Elles semblent pourtant indispensables pour venir à bout de solde négatif de notre sécurité sociale.
En outre, un train de mesures d'économies se met en place progressivement, peut-être trop lentement à notre souhait. En effet, entre la nomination des directeurs des agences régionales de l'hospitalisation, les ordonnances et les derniers décrets qui ont été pris, nous avons l'impression que beaucoup de temps a passé, entraînant une certaine désaffection, une insatisfaction populaire qui risque d'être dangereuse et qui fait perdre un peu de l'élan qui a suivi les premières déclarations d'Alain Juppé dans cet hémicycle.
Le projet de loi prévoit comme objectif de dépenses un montant de 600,2 milliards de francs, soit une augmentation de 10 milliards de francs correspondant à un taux de croissance global de 1,7 %.
Au passage, il convient de noter que l'emballement des dépenses de santé est freiné - des résultats particulièrement satisfaisants ont été annoncés pour les derniers mois - ce qui peut être analysé comme un élément encourageant du début de succès de la politique de maîtrise médicalisée.
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous vous réjouissez vite !
M. Guy Cabanel. Les chiffres sont là et ils permettent de montrer qu'il y a une décélération ! Celle-ci doit être amplifiée par des mesures appropriées. C'est la chance de succès de ce plan et il faut la saisir. Il est difficile, en effet, de maîtriser l'évolution de la protection sociale en France.
A cet égard, d'autres dispositions ont été prises par le Gouvernement par ordonnances ou par décrets au cours de ces derniers mois. Elles appellent quelques réflexions.
Sont-elles toutes susceptibles de contribuer à une évolution favorable ? Eh bien, au risque de déplaire, je ne participerai pas au concert de louanges sur le carnet de santé !
Tout d'abord, la création du carnet de santé paraît de conséquence aléatoire sur le plan pratique, dès lors que sa présentation au médecin traitant ne sera pas rendue obligatoire, tout au moins dans l'immédiat.
On sait dès à présent que son utilisation devrait être remplacée au 31 décembre 1998 par celle d'une carte magnétique, il est vrai plus satisfaisante du point de vue de la confidentialité. Entre-temps, on peut donc considérer que le carnet de santé n'aura eu d'autre intérêt que celui de permettre une adaptation psychologique des intervenants, à l'heure où tous les acteurs sociaux sont invités à la plus grande prudence économique. Espérer davantage serait faire preuve de naïveté car, indiscutablement, pour des raisons d'ordre psychologique, le carnet de santé ne sera jamais un élément de parfaite sincérité : les malades risquent d'avoir un certain recul à l'égard des mentions qui y figureront. Par conséquent, il faut considérer l'instauration du carnet de santé comme un exercice et ne pas en attendre des résultats exceptionnels.
Plus importante est la politique de coordination des soins, dont la mise en place a été annoncée à l'occasion de la promulgation d'ordonnances au mois d'avril dernier. Elle se trouve, me semble-t-il au coeur du problème de la rénovation de la sécurité sociale. Je crois moins à la fragmentation des enveloppes financières, à l'encadrement financier de l'activité hospitalière ou de la médecine ambulatoire ; c'est dans l'organisation de la coordination des soins que résident les meilleures chances de transformation.
Des expériences pourront être tentées dans ce sens pendant une période de cinq ans. Parmi celles-ci est proposé par certains, en particulier par un syndicat de médecins généralistes, le passage obligé par le médecin généraliste pour consulter un spécialiste. Dans cette hypothèse, le médecin généraliste deviendrait le responsable de la coordination des soins pour son patient.
Il s'agit vraisemblablement d'une mesure de bonne gestion, sur le plan tant de la santé publique que de la maîtrise économique, dès lors que toutes les informations sont réunies chez un seul médecin qui joue le rôle de pivot. Cela permettrait à celui-ci d'assurer, au-delà de son propre cabinet, un suivi médical ajusté raisonnablement aux besoins de son patient.
Un tel schéma ne conduira, selon moi, à une limitation des dépenses de santé que si l'on institue un système de capitation pour les généralistes. Toute autre formule risque en effet de se révéler à l'usage plus coûteuse pour les caisses d'assurance maladie. Rendre au médecin généraliste sa place de médecin de famille est un objectif louable, avec ou sans paiement à l'acte Ne soyons pas fétichiste ! Toutefois, pour atteindre cet objectif, il faut encore résoudre le problème des pédiatres et des gériatres, susceptibles d'être considérés comme des spécialistes de première intention. C'est dire que les filières ou les réseaux de soins posent la question de l'enseignement médical et des conditions d'exercice, libéral ou non, à la fois des généralistes et des spécialistes.
En fait, les généralistes pourraient, comme cela est parfois suggéré, favoriser un retour à l'équilibre des finances de l'assurance maladie en devenant les gestionnaires de la santé de nos concitoyens. Pour cela, une meilleure formation leur est nécessaire, englobant médecine interne mais aussi pédiatrie et gérontologie, complétée par un véritable apprentissage professionnel lors d'un stage prolongé chez un praticien avant la délivrance de leur diplôme.
Un lien de fidélisation vraisemblablement autre que le simple paiement à l'acte est à trouver, pour discipliner des assurés sociaux parfois volages et inconséquents. Le généraliste gérerait alors le dossier médical - carnet ou, mieux encore, fichier informatisé et codé - orienterait éventuellement vers les spécialistes, intervenant à titre de consultant. Naturellement, ces derniers, des pédiatres aux chirurgiens, resteraient directement accessibles selon les règles fixant actuellement leurs honoraires et leur remboursement.
S'engager dans cette voie, c'est aussi l'obligation de réfléchir à la promotion des généralistes. En toute justice, après avoir rempli pendant cinq à dix ans leurs fonctions de médecin de famille et même de conseils médico-sociaux, ils pourraient, par des concours qui leur seraient réservés, accéder à la formation universitaire de spécialistes, en marge du monopole actuel de l'internat qualifiant.
Enfin, et pour en revenir directement au présent projet de loi, ou doit se demander si l'objectif de 600 milliards de francs fixé pour les dépenses n'eût pas été plus aisément atteint s'il avait été le fruit d'un accord préalable avec les médecins sur la base, par exemple, d'un blocage de leurs honoraires volontairement consenti pendant un an.
Une telle démarche consensuelle aurait permis d'éviter le mécanisme coercitif de reversement applicable aux médecins conventionnés, mesure tout à la fois vexatoire et démotivante. Les intéressés ont eux-mêmes dénoncé la sanction de tous pour le fait de quelques-uns. Demander aux médecins de freiner leurs activités correspond à un exercice extrêmement aléatoire. Le médecin qui aura atteint son quota en octobre devrait-il suspendre ses consultations jusqu'au 31 décembre suivant ? Pourquoi les seuls médecins contribueraient aux économies nécessaires pour remettre en équilibre la sécurité sociale ? Pourquoi les caisses ne chercheraient-elles pas des mesures draconiennes de réduction de leurs frais de fonctionnement et de leur patrimoine ? (M. Leclerc applaudit.) M. Descours a évoqué cette question tout à l'heure. Elle me paraît très importante.
Pour l'avenir, après le vote du projet de loi présenté aujourd'hui, est-il encore possible de déplacer le débat sur le financement de la sécurité sociale au premier trimestre de l'année civile ? Une telle mesure favoriserait, par une meilleure utilisation du temps de la session parlementaire de neuf mois, la définition des objectifs de santé par les conférences régionales et nationale, la connaisance du bilan annuel des caisses d'assurance et des débats plus détendus, plus prolongés, avec les partenaires sociaux et les syndicats médicaux.
Une telle mesure éviterait le télescopage avec le projet de loi de finances dont le message de réduction de l'impôt est troublé par les créations ou augmentations de cotisations diverses rendues nécessaires par le déficit des recettes de la protection sociale.
De plus, le rapprochement du projet de loi de financement de la sécurité sociale du projet de loi de finances, s'il permet de faire la synthèse immédiate des prélèvements obligatoires, présente le danger d'un glissement progressif de la protection sociale vers une prise en charge complète par l'Etat.
Une telle évolution tourne le dos à un partage plus réaliste entre prestations de solidarité et mutualisation complémentaire qui pourrait se justifier pour des risques tels que la dépendance, nous en avons déjà parlé voilà quelques jours.
Enfin, une inquiétude vient à l'esprit. Le vote en déséquilibre du projet de loi de financement de la sécurité sociale n'est certes pas satisfaisant, mais il peut s'expliquer. Toutefois, il présente un danger supplémentaire, à savoir l'addition des déficits. Ainsi, en 1996 : 51 milliards de francs ; en 1997 : 30 milliards de francs ; en 1998 : peut-être 10 à 20 milliards de francs. Au total, on peut facilement imaginer un déficit cumulé de quelque 100 milliards de francs à éponger avec une CRDS- bis à partir de 1999. En effet, le déficit du projet de loi de financement en discussion oblige l'Etat à autoriser la sécurité sociale à emprunter en 1997, 75 milliards de francs à la Caisse des dépôts et consignations, au lieu des 15 milliards de francs initialement prévus.
Il est vrai qu'il n'y a pas d'autre politique à l'égard de la protection sociale en péril que le plan défini voilà un an par le Premier ministre, M. Alain Juppé. Une application plus rapide aurait favorisé sa réussite. Certes, l'année 1996 a vu la création de la Caisse d'amortissement de la dette sociale, la CADES, et la mise en recouvrement de la CRDS, pour décharger la sécurité sociale de son endettement antérieur.
Malheureusement, l'ensemble du dispositif de la réforme a demandé du temps pour être élaboré et mis en place. Vous n'êtes pas responsable d'un retard, monsieur le ministre, mais vous avez la responsabilité d'une lourde machinerie qui est lente à mettre en place.
Dès lors, le déficit de la sécurité sociale a atteint 51 milliards de francs en 1996. Il aurait sans doute fallu, parallèlement à l'urgence de la CADES, donner une priorité au découplement des recettes par rapport à l'emploi, plus précisément par rapport à la masse salariale, vieille référence datant de 1945. C'est sans doute pourquoi le rapport de la Cour des comptes joint au projet de loi incite à la prudence en jugeant le plan de redressement trop tardif pour permettre d'atteindre l'équilibre en moins de six ans, sauf prélèvements nouveaux.
En conclusion, le projet de loi de financement de la sécurité sociale ne paraît pas répondre aussi rapidement qu'il est souhaitable aux véritables enjeux économiques, médicaux et sociaux. Mais on ne peut nier que son existence représente en soi une chance de redressement et, par conséquent, de préservation de notre système de sécurité sociale. C'est pourquoi, malgré les réserves exprimées, je le voterai, avec l'espoir que le pari de l'équilibre sera tenu. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Luc Mélenchon. L'équilibre, en quelle année, mon cher collègue ?
M. le président. La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la socialisation du financement de la protection sociale constitue un bien auquel les Français sont attachés. Chacun connaît les particularités de notre système sanitaire et social, qui a permis, jusqu'à présent, de concilier une grande liberté de choix, une bonne qualité du service rendu et une garantie de paiement.
Aujourd'hui, il faut préserver les acquis et garantir la pérennité des avantages du système dans un contexte évolutif sur le plan technologique et économique, alors même que la sécurité sanitaire devient un objectif majeur de nos sociétés.
Lorsque les systèmes de protection sociale ont été mis en place après la dernière guerre mondiale, il était difficile de prévoir de manière précise les évolutions qui affecteraient les variables de l'équilibre financier de la socialisation des risques maladie, invalidité, maternité et vieillesse.
Trois faits majeurs ont affecté la construction édifiée en 1945.
Le premier concerne les ressources du financement. Le développement du chômage dans des proportions inattendues prive l'ensemble du système d'une partie importante de son assiette sans pouvoir être compensée par la hausse des cotisations qui pèsent sur l'activité en raison du préjudice qui en résulterait pour la compétitivité des entreprises. Ce souci de protection des entreprises conduit, ne l'oublions pas, à réduire aussi leurs charges en procédant à des allégements de cotisations sociales, mais cela fragilise évidemment le financement de la protection sociale. C'est pourquoi, par trois biais - deux CSG et la CRDS - a été instaurée une fiscalisation progressive du financement.
Mais ce recours n'est pas sans limite et peu nombreux sont ceux qui préconisent d'accroître toujours plus le taux des prélèvements, au prétexte qu'il y aurait encore une bonne élasticité de la demande. On évoque plus volontiers aujourd'hui des transferts d'assiette.
Un deuxième facteur tient à la situation démographique. Il n'a hélas ! pas encore produit tous ses effets, en particulier sur l'équilibre de la branche vieillesse. Les premières années du xxie siècle sont annoncées comme critiques. Il se combine évidemment avec le facteur précédent et soulève de manière cruciale le problème de la solidarité entre générations. La faiblesse persistante de la natalité et l'allongement de la durée de vie accumulent silencieusement des handicaps de plus en plus lourds pour l'équilibre financier de notre système.
Arrive le moment où l'avenir même peut être compromis. C'est une des raisons qui explique le projet de loi que nous examinons.
Le troisième facteur a trait au progrès médical et à l'extension constante du champ médico-social collectivement assumé. Il agit de plusieurs façons. Le progrès technologique, d'abord, a entraîné une médecine scientifique très performante mais coûteuse en appareillage. Les investissements en matériel des plateaux techniques réclament, comme d'ailleurs la recherche médicale, des financements croissants. Nul ne penserait à s'en plaindre, mais le fait est là.
Parallèlement, l'efficacité thérapeutique réussit aujourd'hui à entretenir la vie de personnes qui étaient auparavant rapidement emportées par le mal. Cela a évidemment un coût et développe aussi dans la société une demande particulièrement exigeante quant à l'efficacité des soins. Alors que la mort était psychologiquement très présente et acceptée d'avance dans la conscience collective des générations passées, c'est aujourd'hui le principe de la santé durable qui prévaut dans l'attente collective et le refus scandalisé de la mort, au point de multiplier les contentieux contre les échecs thérapeutiques. Cela est irrécusable sur le plan politique.
La situation de la société américaine annonce une autre évolution dans ce domaine. Ne dit-on pas que des avocats attendent les patients qui sortent satisfaits des hôpitaux pour leur proposer d'intenter des recours a priori , avec partage des bénéfices en cas de succès de la procédure, la responsabilité étant entièrement assumée par l'avocat en cas d'échec ?
La complexité et la variété des moyens thérapeutiques offerts aujourd'hui aux médecins rendent en effet de plus en plus discutable le contenu de l'obligation de moyens, en admettant, bien sûr, que l'obligation de résultat reste toujours hors du champ de la responsabilité des thérapeutes.
Ainsi se crée et se développe une forte exigence médicale à propos de tous les problèmes que tout un chacun peut rencontrer.
La santé mentale s'exprime, pour sa part, dans un rapport avec la santé publique difficile à circonscrire.
Comment apprécier l'abus de médicalisation à propos de la santé de l'âme ?
Enfin, le développement de la médecine préventive, annoncée par le décryptage du génome, nous promet de difficiles débats sur l'équilibre de l'assurance maladie.
Par ailleurs, la prise en charge des situations médico-sociales déficientes traduit un élargissement de la sollicitation de la solidarité nationale qui pèsera évidemment sur l'équilibre financier des régimes sociaux. On a pu le mesurer encore récemment dans cet hémicycle, lors du débat sur la prestation spécifique dépendance, au cours duquel la création d'un cinquième risque médical concernant la dépendance a dû être repoussée.
Si, lors de sa création, le régime français de sécurité sociale ne soulevait pas d'interrogation quant à la légitimité du champ de la solidarité, il n'est pas sûr que l'enthousiasme soit durable si la solidarité est sollicitée pour des dépenses discutables sur le plan éthique et sur le plan de leur nécessité.
Le développement d'une médecine préventive universelle coûteuse nous fait, par exemple, pénétrer dans un domaine encore largement inexploré qui peut modifier substantiellement les données de notre rapport collectif à l'appareil de soins et à ses bénéficiaires. Dès maintenant, on perçoit en germe un conflit possible entre, d'une part, le coût de la procréation médicalement assistée, qui incorporera, n'en doutons pas, des exigences croissantes de qualité et donc de coût, et, d'autre part, le régime universel d'assurance maladie, qui est patiemment attendu par certains.
Avec de telles perspectives, on est obligé de soulever prioritairement le problème de la maîtrise de la dépense, non parce que l'on contesterait l'intérêt d'un régime de sécurité sociale tel que le nôtre, mais, au contraire, pour assurer sa pérennité. L'évolution spontanée de la dépense médico-sociale ne peut en effet qu'être supérieure à l'évolution de la richesse nationale, d'autant plus qu'elle la freine par l'importance du prélèvement collectif qu'elle implique.
On est donc confronté à un phénomène autodestructeur. Ne nous y trompons pas, en effet, et le programme du président des Etats-Unis est là pour nous alerter : puisque personne de sensé ne peut vouloir une société à deux vitesses, nous sommes confrontés à un choix inéluctable d'adéquation entre financement et dépense de la protection sociale. Ou bien la solution de l'équation est renvoyée à la responsabilité individuelle, et tel est le choix du président américain, qui réduit substantiellement, en ce moment même, la prise en charge fédérale des soins pour les indigents et les personnes défavorisées avec le programme Medicaid (M. Mélenchon proteste) ; ou bien la solution de l'équation est recherchée dans une maîtrise collective, et celle-ci ne peut s'exercer principalement que par le contrôle de la dépense.
Il n'y a pas de troisième voie quand on se trouve en face des sommes qui sont en cause.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est de l'évangélisme qu'il vous manque !
M. Bernard Seillier. Ou bien l'assurance individuelle, dont les primes croissent avec les risques garantis et avec les exigences de l'assuré,...
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Exactement !
M. Bernard Seillier. ... ou bien la solidarité collective, qui assure à tous un même niveau de protection sanitaire et sociale, moyennant un débat politique sur l'étendue, le contenu et les conditions de la protection.
C'est cette solution que nous entendons retenir.
La première, en effet, se fonde sur le principe exclusif de la justice distributive : à chacun selon ses moyens, sa chance et ses efforts personnels. C'est le régime de l'assurance, qui mutualise cependant les risques dans les limites du statistiquement acceptable. L'assuré à fort risque voit ses primes augmenter, ou voit même son contrat résilié s'il devient trop coûteux pour sa compagnie.
Le système de l'assurance a pu se développer tant que les risques étaient complètement imprévisibles et appréciables seulement statistiquement. Le progrès de la médecine prédictive peut bouleverser les données de ce système en rendant prévisibles, dans une certaine mesure, les risques individuels.
Ce type de système n'est accepté en France qu'à titre complémentaire. On est fondé à penser qu'il le restera dans une République qui entend préserver à la fois la liberté et l'égalité.
Reste donc la deuxième solution, qui se fonde sur la justice commutative : à chacun selon ses besoins, à la satisfaction desquels tous sont appelés à participer. Mais il est évident que, sous l'emprise d'un tel régime, il est impossible de ne pas contrôler politiquement l'expression des besoins. C'est précisément l'objet de la réforme constitutionnelle intervenue le 22 février 1996, qui confie au Parlement le soin de déterminer les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale et, compte tenu des prévisions de recettes, de fixer les objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par la loi organique.
La réforme constitutionnelle trouvera toujours plus sa justification dans les années à venir.
Les éléments que j'ai évoqués sur la problématique de l'équilibre financier de la sécurité sociale vont développer leurs effets d'une manière de plus en plus prégnante. Ils se caractérisent par la nécessité de choix politiques que seule la représentation nationale peut légitimement aborder. Il faut savoir l'expliquer, car ce n'est évidemment pas tant dans cette enceinte parlementaire que les esprits sont à convaincre qu'à l'extérieur, dans les milieux médicaux, les organisations professionnelles et syndicales et, bien évidemment, chez les citoyens.
Le premier effort pédagogique doit viser les médecins, qui légitimement sont conscients de leur compétence, s'efforcent d'exercer consciencieusement leur art et ont donc naturellement du mal à comprendre pourquoi le Parlement viendrait encadrer leur pratique par des contraintes financières dont ils imaginent mal a priori sinon le bien-fondé du moins les méthodes d'application.
Comment des parlementaires pourraient-ils disposer de critères pertinents pour plafonner les dépenses de soins, et par quelle méthode peuvent-ils espérer obtenir le résultat attendu ?
Je pense ne pas être le seul à avoir apprécié les excellents rapports de nos collègues, particulièrement le développement méthodologique de Charles Descours, qui a démontré d'une manière très claire que nous ne nous aventurons pas sur un terrain douteux sans éléments précis pour fonder notre jugement. Conférence nationale de santé, Cour des comptes, commission des comptes de la sécurité sociale, et bien évidemment caisses de sécurité sociale elles-mêmes constituent les sources de notre appréhension du problème à résoudre.
Mais ce qui est important à voir, c'est que le Parlement est le seul à pouvoir procéder aux arbitrages qui seront de plus en plus nécessaires. Qui, hors de la représentation nationale, peut décider de hiérarchiser les efforts de recherche, de partage des ressources disponibles entre tel ou tel effort en matière de politique de santé, dès lors qu'on écarte les seules lois du marché ?
La fiscalisation de la sécurité sociale en relais des cotisations sociales qui exténuent le travail, pris jusqu'ici comme assiette exclusive, ne légitime-t-elle pas à elle seule la responsabilité du Parlement, puisqu'il y a désormais budgétisation au moins partielle du financement ? Les raisons étaient donc puissantes pour transférer au Parlement la responsabilité de la fixation du niveau de l'équilibre de la sécurité sociale et de ses moyens.
Mais certains s'inquiètent alors d'une approche qui ne serait que comptable, et tentent d'opposer une maîtrise médicale à une maîtrise comptable.
Nous devons nous attacher à prouver par nos choix qu'il ne s'agissait que d'une querelle de sophistes. Il est en effet évident qu'il est impossible de parler de financement sans parler d'argent, et donc de comptes. Un problème financier ne peut s'analyser, et donc se résoudre, sans recours à une approche comptable. M. de La Pallice n'aurait jamais prétendu le contraire !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Absolument !
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. C'est vrai !
M. Bernard Seillier. Quant à la médicalisation de la maîtrise, de quoi s'agit-il ?
Il s'agit de confier aux praticiens la mise en oeuvre de la politique de santé en pratiquant leur art en conscience, sans contraintes thérapeutiques, mais aussi sans faire fi d'un indispensable souci d'optimisation du coût des traitements. Est-ce trop demander ? Je ne le pense pas, car il s'agit du même effort que celui qui est attendu de tout gestionnaire public. C'est une exigence d'ordre éthique...
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Très bien !
M. Bernard Seillier. ... dont le respect n'apparaissait pas jusqu'ici avec peut-être la même acuité que désormais, parce que les circonstances étaient moins rigoureuses.
La santé sera vraiment l'affaire de tous si la gestion de la solidarité sociale engage concrètement et effectivement la responsabilité de chacun, que ce soit comme citoyen, comme chef d'entreprise, comme militant syndical, comme contribuable, comme patient, comme praticien, comme responsable de caisse, comme directeur d'établissement de soins, comme ministre chargé des affaires sociales ou de la santé ou comme parlementaire.
Il faudra, dans un tel contexte, arbitrer entre des progrès inaccessibles simultanément et entre des options antagonistes socialement ou éthiquement.
Ce que la responsabilité confiée au Parlement va permettre d'obtenir, c'est l'instauration par délibération d'une véritable politique de la santé. Paradoxalement, c'était l'absence d'une loi annuelle sur le financement de la sécurité sociale qui confinait les partenaires sociaux dans une comptabilité passive des résultats de notre système de soins.
Aucun instrument d'orientation et de hiérarchisation des priorités en matière de progrès sanitaire n'était disponible. Aucune mesure d'efficacité des dépenses sanitaires ne pouvait sérieusement être appréciée. La politique de santé ne pouvait qu'être marginale, puisque limitée à la politique de santé publique retracée par les seuls crédits budgétaires annuels du ministère de la santé.
Désormais, une autre ambition est possible, car les conditions et les moyens du financement de la sécurité sociale sont intégrés dans la réflexion et dans les choix des pouvoirs publics.
Les rapporteurs soulignent la différence qui doit, à ce titre, être faite entre les prescriptions médicales qui résultent d'une charge imposée par la politique de santé et celles qui résultent de la pratique courante de la médecine de ville.
Il faut que les médecins soient rassurés sur les contraintes qui pourraient, en définitive, peser sur eux. La mesure de leur activité ne peut pas faire l'amalgame entre ce qu'ils peuvent maîtriser et ce qui leur est imposé.
S'il est essentiel que les médecins voient reconnu leur rôle de partenaires responsables dans la politique nationale de santé, il est impératif qu'aucun sentiment d'injustice ne puisse s'insinuer dans la mise en oeuvre de ce partenariat.
Le point critique, à ce sujet, réside dans les sanctions individuelles liées à un dépassement collectif des plafonds prescrits. Il est évident que si, demain, un reversement venait à être imposé à un praticien irréprochable, la portée de la réforme mise en oeuvre à partir d'aujourd'hui recevrait un coup fatal. Il nous faut des garanties à ce sujet.
Dans ce même ordre d'idée, il est essentiel que l'implication de la médecine hospitalière dans la mise en oeuvre de la régulation du financement de la sécurité sociale soit concomitante de celle qui concerne la médecine de ville.
La nature de la réforme dont nous inaugurons l'application exige que son horizontalité, sa globalité et son universalité soient clairement signifiées. Les amendements présentés par notre rapporteur, Charles Descours, au nom de la commission des affaires sociales, sont parfaitement conformes à ce voeu.
La création d'une conférence nationale de la famille et d'une conférence nationale des personnes âgées, aux côtés de la conférence nationale de la santé, fournit les moyens de l'ambition affichée par la réforme engagée.
M. Jean-Luc Mélenchon. Que de conférences nationales !
M. Bernard Seillier. Elle complète le dispositif prévu par la loi organique du 22 juillet 1996, qui a clairement spécifié que la loi annuelle de financement de la sécurité sociale porterait approbation d'un rapport définissant non seulement les conditions générales de l'équilibre de la sécurité sociale, mais encore les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale.
C'est cette double dimension qui définit bien la nature exacte de l'exercice entrepris par le Gouvernement et le Parlement à travers cette réforme.
Nous nous engageons dans un processus dialectique, au sens véritable du terme,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Alerte au bolchevisme !
M. Bernard Seillier. ... seul à pouvoir assurer à la maîtrise des dépenses une finalité sanitaire et sociale et à la politique sanitaire et sociale un contenu réaliste et délibérément fixé.
La nature des plafonds de crédits fixés par la loi n'étant pas limitative, on voit bien que la méthode retenue est bien celle d'un ajustement itératif entre approche financièrement mesurée et approche médicalement et socialement finalisée.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ça, c'est de la magie, pas de la dialectique !
M. Bernard Seillier. Il serait regrettable que la véritable figure incontestablement progressiste de cette réforme soit incomprise tant domineraient les inquiétudes au lieu de l'audace requise en cet instant de l'histoire de notre protection sociale.
Le propre de toute démarche dialectique est de se perfectionner et de s'accomplir par la pratique.
M. Jean-Luc Mélenchon. Au secours, Marx est de retour !
M. Bernard Seillier. Il s'agit bien, en effet, d'une méthode dynamique et non statique. Elle requiert évidemment d'abandonner certains vieux réflexes, dont le plus difficile à surmonter est celui de la négation de la durée et du temps dans la prise en compte des données sociales pour construire une politique.
Cette lacune nous coûte l'absence de toute politique démographique. Elle nous coûte le risque de la disparition d'une solidarité sociale exceptionnelle instaurée après la dernière guerre. Elle nous coûte un certain aveuglement sur la dualité qui se développe dans la société entre l'opulence et la misère.
Je considère que, derrière le texte de loi que nous examinons, s'instaure une démarche novatrice, inédite par la nature dynamique de ses mécanismes, mécanismes que n'ont jamais pu offrir des lois de programmation qui restent par construction statiques et que n'offrent pas encore suffisamment les lois de finances, malgré la tentative d'associer à leur présentation un rapport économique, social et financier.
Si les instances et les organismes mobilisés autour de ces lois annuelles de financement de la sécurité sociale jouent le rôle qui leur est dévolu et rassemblent des informations pertinentes pour que puisse être animée cette démarche dialectique qui nous est offerte entre finalité de la dépense et maîtrise des choix de politique sanitaire et sociale, nous aurons non seulement progressé sur la question cruciale qui est collectivement posée aujourd'hui, mais nous aurons aussi commencé à débloquer nos politiques publiques trop souvent acculées à ne choisir qu'entre plus ou rien, alors qu'il faut pouvoir faire mieux.
C'est parce qu'aujourd'hui il faut mettre en place les instruments de cette nouvelle approche de la politique sanitaire et sociale que je n'ai pas proposé d'ajouter des amendements à ceux qui seront présentés par les commissions et qui viendront conforter et perfectionner la méthode adoptée pour mettre en oeuvre cette nouvelle politique.
Il faut attendre que les conférences annuelles de la famille, des personnes âgées et de la santé aient pu fonctionner en 1997 pour intervenir sur le contenu même des politiques correspondantes.
Je crois donc sage aujourd'hui de s'imposer cette discipline, qui consiste à ne travailler que sur la méthode pour bien l'asseoir avant d'entrer véritablement, à partir de 1997, dans la démarche dialectique proprement dite, telle qu'elle existe en germe. C'est la méthode retenue par la commission des affaires sociales, et je ne peux que rendre hommage à la qualité de sa stratégie telle qu'elle a été brillamment définie par son président, Jean-Pierre Fourcade, ainsi qu'à la qualité du travail des rapporteurs, qui restera un travail de référence.
Pour ces raisons, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'estime qu'en votant ce texte tel qu'amendé par la commission des affaires sociales j'approuverai une démarche en laquelle je place un grand espoir ; en effet, pour la première fois, nous pouvons espérer instruire de manière active, c'est-à-dire progressivement affinée d'année en année, des choix résultant d'une synthèse entre données financières et évaluation de l'efficacité des politiques publiques. Il s'agit d'une première occasion de donner une nouvelle jeunesse à notre sécurité sociale, mais peut-être aussi d'une dernière chance.
Je crois en tout cas, monsieur le ministre, que vous êtes personnellement, ainsi que M. le secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale, à la hauteur d'un tel défi, qui pourra être relevé grâce à des échanges constructifs entre le Parlement, le Gouvernement et tous les acteurs de notre protection sociale. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le ministre, voilà un an déjà, nous nous retrouvions pour débattre des grandes orientations du plan Juppé, plan qui, comme chacun le sait dans cet hémicycle, doit beaucoup à votre clairvoyance et à votre courage politique.
Le Gouvernement a su, dans un délai relativement bref, mener à bien les étapes fondamentales de la grande réforme annoncée en novembre 1995.
Les mesures d'urgence prises de janvier à avril 1996 permettront d'enrayer une dérive des comptes devenue dangereuse pour la pérennité même de notre protection sociale. Les ordonnances structurelles et la révision constitutionnelle permettront au Parlement d'exercer un véritable contrôle sur les comptes sociaux.
Ce projet de loi devrait permettre le rétablissement de l'équilibre financier du système d'ici deux à trois ans.
Cette tâche, complexe et considérable, a été menée non seulement avec diligence, mais aussi avec tact et intelligence, en relation quasi permanente avec les acteurs concernés, sans oublier, bien sûr, le Sénat, consulté régulièrement à travers sa commission des affaires sociales.
Cela dit, concernant la maîtrise médicalisée, la réforme n'est pas encore totalement achevée : un tiers des décrets d'application devraient être publiés d'ici à la fin de l'année sur des sujets aussi cruciaux que la nomenclature des actes, les génériques ou le reversement en cas de dépassement d'objectifs.
C'est pourquoi je profiterai de l'occasion qui m'est donnée pour apporter ma contribution à la réflexion que je considère comme la pierre angulaire de la réforme engagée, celle sur la place du praticien dans le système de soins.
A cet égard, il faut stigmatiser une tendance trop répandue, notamment ces derniers mois, dans certains médias, qui consiste à montrer du doigt la médecine de ville comme unique ou principale responsable du déficit. Est-ce utile de rappeler que la croissance des honoraires médicaux est passée de 4,9 %, en 1995, à 2,9 % en 1996, selon les estimations, alors que les honoraires augmentaient en moyenne de 5,5 % par an de 1985 à 1995 ?
En outre, comme vous l'indiquiez devant l'Assemblée nationale, le 29 octobre dernier, monsieur le ministre, l'objectif de 2,1 % d'augmentation des dépenses de médecine de ville en 1996 devrait être atteint si les derniers chiffres se confirmaient.
Les causes du déficit sont complexes et multiples : la diminution des recettes du fait de la conjoncture - moins 30 milliards de francs, en 1996 - le comportement des assurés, les progrès scientifiques, le vieillissement de la population, etc.
L'« assuré-citoyen », au-delà de la formule, est un concept à développer. Le citoyen est responsable dans ses choix familiaux, professionnels, politiques ; il doit l'être face à ses souhaits devant la maladie.
L'éducation à la consommation a fait de grands progrès en vingt ans, mais, appliquée aux soins, elle est empreinte de résistances. Peut-on parler du « juste soin » ?
Une exigence de qualité et d'efficacité, opposée à une science qui a intégré, dans son éthique, les soins les mieux adaptés aux connaissances, résiste à l'approche commerciale pourtant évidente. La cohabitation entre l'économie et la pratique médicale doit être totalement intégrée dans le comportement médical. Les soins changent en fonction non seulement des technologies mais aussi des rapports sociaux.
Le travail à l'acte doit être complété par l'activité en réseaux - personnes âgées, drogue, prévention, urgence, soins à domicile - et par le développement d'une nécessaire approche médicosociale.
Au sein de mon propre département, dans le domaine médicosocial, nous disposons ainsi d'un pôle gérontologique regroupant tous les intervenants de la politique de prise en charge des personnes âgées : représentants des caisses, associations, collectivités locales, directeurs d'établissements, etc. Il s'agit, pour nous, d'un outil irremplaçable d'évaluation des besoins dans un contexte de stagnation des moyens.
Nous laissons à la CNAM la négociation avec les médecins, mais il est de notre devoir de lutter contre une France dépressive. Il faut retrouver des cotisants, bien sûr, mais cessons d'évoquer les martyrs, les boucs émissaires, etc. !
Le reversement par les médecins réfractaires ne peut être remis en cause. Nous pourrions positiver ces relations en proposant un intéressement aux praticiens appliquant les références médicales opposables, suivant une véritable formation continue, non inspirée des laboratoires, installant une informatisation, d'ailleurs acceptée depuis longtemps dans de nombreux secteurs d'activité.
Les comportements médicaux ne changeront qu'avec la formation initiale, qui est le socle de toute une vie d'activité. L'adaptation des études médicales ne doit pas être stoppée par l'ampleur de la tâche. Une meilleure connaissance des institutions, du droit administratif, du fonctionnement de notre économie est indispensable. Les artisans d'art s'adaptent aux grandes mutations de notre société ; pourquoi pas la médecine ?
Quant au débat sur les alcools, il est regrettable qu'il se focalise sur les ressources produites ; il faut non pas créer la discrimination, source d'injustices auprès des professionnels, mais reconnaître l'importance des contributions, qui, il faut le dire, participent moins à la lutte contre les fléaux qu'à la recherche des équilibres budgétaires.
Le Sénat fait preuve d'imagination tant au niveau de la maîtrise des dépenses, en appelant les organismes de sécurité sociale à faire un effort supplémentaire pour maîtriser leurs dépenses de gestion, qu'au niveau de l'instauration de recettes nouvelles, par exemple en soumettant à cotisations sociales la part des indemnités de licenciement versée au-delà des obligations légales et conventionnelles.
Le discours sur la santé publique, en fait, se banalise. Peut-on demander au Gouvernement une politique construite avec des réponses immédiates, alors que la question a été pratiquement dédaignée pendant des lustres ?
Nous souhaitons que les annexes à la loi soient, dans le futur, intégrées. Les grands fléaux que sont la tuberculose, le cancer, le sida, relèvent de la compétence de l'Etat. La lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme est à réhabiliter. Nous souhaitons que les outils que sont les observatoires régionaux de la santé, les registres des cancers, des malformations participent à la définition d'une politique régionale de santé. Nous devons veiller aux spécificités régionales, les choix ne devant plus s'appuyer uniquement sur des ratios.
Les conférences régionales de santé pourraient bénéficier d'incitations plus concrètes, pas obligatoirement financières. On peut souhaiter le regroupement des subventions en fonction des priorités qui y sont définies. La coordination pourrait être assurée par les directions régionales des affaires sanitaires et sociales, les DRASS, qui deviendraient des interlocuteurs obligés. Les carences françaises en matière d'éducation pour la santé sont criantes et les efforts sont souvent confiés aux bonnes volontés associatives.
Les inégalités hospitalières constituent un problème économique fondamental ; le coût de la résolution de ce problème devra faire l'objet d'une évaluation. La constitution de réseaux, la fermeture de sites, l'ouverture de nouvelles spécialités peuvent représenter des charges très lourdes qui devront faire l'objet d'une planification financière plutôt que d'une approche par nombre de lits.
Il convient de responsabiliser les acteurs de la médecine de ville au même titre que les autres secteurs de la santé : l'hôpital, le secteur médico-social. Par ailleurs, les mesures telles que les références médicales opposables, les RMO, et le carnet médical risquent d'être insuffisantes, car elles relèvent d'une attitude évidente pour les acteurs concernés. Le carnet médical pourrait, bien sûr, devenir obligatoire.
Le glissement de la pratique médicale de soins à celle de l'individu inscrit dans son environnement familial, social et même culturel incite à développer une labellisation et une gratification du praticien qui prennent en compte les nécessités économiques, la qualité du service rendu, son expérience, sa formation obligatoire, la gestion du cabinet et l'engagement en matière de prévention.
A ce propos, le prochain décret concernant le reversement applicable aux médecins conventionnés est peut-être l'occasion de mettre en place ce type de mécanisme.
A la menace de sanctions, répondons par la responsabilité individuelle et collective ; aux caisses locales de négocier de véritables chartes individuelles et collectives. Sur le plan national, il incombe aux caisses, avec les partenaires, de définir les critères d'individualisation de l'objectif et des sanctions.
La notion de rapport annuel au parlement se situe dans le cadre des prises de responsabilité dudit Parlement. Néanmoins, il serait nécessaire de préciser qui fixe, et en fonction de quels critères, les prévisions inscrites aux articles 2 et 3 et comment sont sanctionnés les dérapages ; ces questions sont fondamentales. Alors, monsieur le ministre, il faut faire confiance.
M. le secrétaire d'Etat a décidé de nommer des médecins à la tête du conseil d'administration, du conseil de surveillance et un médecin comme directeur général de l'agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé.
Il faut faire confiance à l'entreprise, mais il est difficile de lui expliquer les prélèvements sur la formation professionnelle, le transfert d'un milliard de francs issu de la branche accidents du travail et maladies professionnelles, même s'il y a en partie des raisons techniques. Si nous voulons la confiance, il faut s'occuper de psychologie.
La confiance, face aux collectivités locales qui s'interrogent sur le devenir de l'aide médicale à domicile et hospitalière, doit être entretenue alors que l'aide aux « sans résidence fixe » passe à la sécurité sociale.
En amont, nous pouvons nous interroger sur l'intégration budgétaire de la protection universelle ; par ailleurs, les collectivités locales déplorent la prise en charge des cotisations obligatoires en faveur des RMIstes.
Nous faisons confiance à l'expérimentation des filières de soins, qui ne doivent cependant pas dériver vers une médecine de classe où les plus humbles bénéficieraient d'un encadrement et les plus aisés du choix.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est pourtant bien ce qui se passera !
M. Jean-Louis Lorrain. Un mode d'exercice - même de la médecine générale - ne peut devenir une tutelle sur une autre discipline. Nous proposons d'évoquer ici la subsidiarité, ô combien acceptée par ailleurs ! Faire ce que l'on sait faire et laisser au spécialiste ce qu'il sait faire.
Monsieur le ministre, en faisant la revue de presse, on peut relever les titres suivants : « Au chevet de l'île ... La messe est dite ... Peut-il être sauvé ? ... La malédiction de Maastricht ... Urgence ... Un calme précaire », etc. On se croirait vraiment dans un contexte de fin de vie, de fin de siècle ou de mort annoncée !
M. Jacques Machet, rapporteur. Très bien !
M. Jean-Louis Lorrain. A l'opposé de cette approche morbide, nous préférons axer le débat sur l'évocation de la citoyenneté de l'assuré, la confiance au médecin, la responsabilité de nos partenaires. Ainsi ferons-nous un acte fondateur. (Très bien ! et appaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 15 novembre 1995, Alain Juppé lançait un vaste plan de réforme tendant à assurer la pérennité de la sécurité sociale, largement menacée de faillite. Il venait ainsi mettre enfin un terme à cette habitude qui avait été prise de considérer comme inévitables les déficits consécutifs à une dégradation de l'activité économique...
M. Jean-Luc Mélenchon. Cela ne s'est pas arrangé depuis !
M. Dominique Leclerc. ... et de toujours reporter à plus tard cette réforme tellement nécessaire de notre système de protection sociale.
Ce projet de loi, premier du genre, répond donc aux engagements du Premier ministre. Il vient compléter les ordonnances du 24 avril 1996, dont la mise en oeuvre est déjà en bonne voie.
Le retour à l'équilibre, seul gage de la bonne utilisation des moyens, doit effectivement être recherché. En effet, ce qui est essentiel, c'est la capacité des acteurs à la fois à définir un objectif annuel de la consommation de soins conforme aux besoins réels de la population et à respecter les moyens pour l'atteindre.
C'est pourquoi ce texte, qui tente de nous en donner les moyens, est courageux.
Dans cette perspective, monsieur le ministre, vous nous proposez de dépenser mieux en dépensant moins, afin de parvenir à une bonne pratique médicale permettant une prise en compte des besoins des citoyens sans arriver ni à une restriction des soins ni à des transferts.
Il n'en reste pas moins que cette nouvelle tâche dévolue au Parlement, tout en étant nécessaire, est lourde de responsabilités.
Je voudrais donc vous faire part de quelques observations.
En premier lieu, je souhaite revenir sur les conclusions de la conférence nationale de santé, ainsi que sur les chiffres qui ont permis de présenter les objectifs financiers de ce projet de loi.
Je regrette, en effet, que les conclusions de la conférence nationale de santé soient trop générales. Elles ne permettent pas au Gouvernement de fixer les priorités de la politique de santé publique et de prendre en compte les évolutions nécessaires de notre organisation de soins.
Cependant, ces imprécisions sont dues aux conditions un peu difficiles dans lesquelles la conférence s'est réunie pour la première fois. J'ose espérer que, l'année prochaine, le travail des conférences régionales permettra de mieux définir les priorités de santé publique sur le plan local et de faire remonter ces priorités à la conférence nationale, et ce avant que le Parlement en débatte.
De plus, il semble dangereux, dans l'établissement des prévisions de recettes, compte tenu de notre expérience, de n'avoir pas considéré le montant des cotisations à l'identique. Charles Descours l'a évoqué en parlant du degré d'incertitude dans les aspects évaluatifs des recettes, fondées sur l'évolution de la masse salariale.
Déjà, il nous faut trouver de nouvelles recettes.
Cependant, je suis conscient que la présentation d'un tel projet de loi, qu'il n'est pas aisé de rapprocher des « modèles » de loi connus, constituait un exercice nouveau et difficile. C'est pourquoi je ne doute pas qu'à l'avenir des améliorations seront apportées à sa préparation ainsi qu'à sa présentation.
Un dernier mot, enfin, sur les bases comptables, qui me semblent, elles aussi, incertaines.
La Cour des comptes n'a pas manqué, dans son rapport, de souligner de nouveau les insuffisances des documents de synthèse établis à partir des comptes, dont les modes de comptabilisation ne sont pas homogènes.
Néanmoins, un effort en vue d'améliorer la présentation des comptes des organismes de sécurité sociale a déjà été entrepris, notamment grâce à la loi du 25 juillet 1994, qui a conduit à séparer plus nettement les opérations relatives à chaque branche du régime général.
Cet effort doit être poursuivi, vous en conviendrez. En effet, l'intervention du Parlement dans la fixation des prévisions de recettes et d'objectifs de dépenses, ainsi que le développement des mécanismes de maîtrise des dépenses de santé obligent, plus encore que par le passé, les responsables de la sécurité sociale à fournir des informations aussi fiables et lisibles que possible. M. Jacques Oudin, au nom de la commission des finances, l'a rappelé.
Monsieur le ministre, j'aimerais à présent vous faire part de quelques réflexions relatives à la branche assurance maladie.
Vous avez déterminé, comme le désirait le Parlement, un objectif national pour l'assurance maladie ; vous avez fixé son montant à 600,2 milliards de francs, en augmentation de 10 milliards de francs par rapport à 1996.
Lors de la présentation de cet objectif vous n'avez pas manqué d'insister sur les nouveaux instruments qui sont mis en oeuvre ou en cours d'élaboration pour permettre la politique du juste soin.
Parmi ces derniers, deux d'entre eux attirent plus particulièrement des remarques et, en premier lieu, le carnet de santé.
Certes, un premier grand pas est fait, mais on ne peut s'empêcher d'en dénoncer les limites. Je crains, en effet, que sa portée ne soit limitée à celle d'une fiche de liaison.
Tout d'abord, il nous est présenté comme obligatoire ; cependant, aucune pénalisation n'est prévue à ce jour à l'encontre du patient qui ne le présenterait pas.
Ensuite, les garanties nécessaires à son usage conduisent à s'interroger sur les moyens de concilier des objectifs qui peuvent être « contradictoires ».
En effet, si, d'un côté, les intérêts de la santé publique et de la maîtrise des dépenses conduisent à détailler les informations portées dans le carnet, d'un autre côté, la protection du malade ainsi que les règles déontologiques inciteront certainement le médecin dans de nombreux cas à donner un contenu vague à ce carnet. Dans sa forme actuelle, ce carnet n'assure pas la confidentialité.
De surcroît, il apparaît difficile d'estimer à ce jour les économies qu'il générera.
Vous souhaitez également, monsieur le ministre, dans l'optique d'une meilleure maîtrise des dépenses de santé, favoriser la du généralisation du générique.
Je crois, tout comme vous, que le développement du générique est une excellente chose au regard de notre politique. Cependant, nous ne devons pas oublier qu'un tel développement peut avoir des répercussions importantes sur le mode d'exercice de certaines professions, de même que sur l'organisation de la chaîne du médicament, entraînant des répercussions sur la santé publique.
En premier lieu, un médicament qui tombe dans le domaine public n'en devient pas pour autant un produit ordinaire. Au contraire, il reste dans le domaine de la santé publique et présente un intérêt d'autant plus grand qu'ayant dix années d'existence il a prouvé à quel point il est sûr.
C'est pourquoi il me semble indispensable de définir avec rigueur la notion de générique.
Pour cela, il doit d'abord satisfaire à toutes les exigences légales en matière d'autorisation de mise sur le marché ainsi que de contrôle de la qualité.
Il faut également qu'il soit reconnu comme parfaitement bio-équivalent par rapport au produit princeps. Sur ce point, le décret devrait fixer des conditions précises.
Il faudrait par ailleurs qu'il soit clairement identifié par sa dénomination commune internationale et que le nom du laboratoire soit partiellement mentionné, ce qui permettrait une parfaite transparence de la prescription.
Au-delà de ce problème de la définition, il est aujourd'hui impératif que, dans le cadre du financement de la sécurité sociale, la politique en faveur du générique réussisse.
Les pharmaciens seront des acteurs déterminants de cette politique.
Actuellement, dans la logique des RMO et d'une meilleure prescription, les effets volume se font ressentir.
Avec le générique, l'économie de l'officine doit être stabilisée afin qu'elle demeure une perspective d'avenir, notamment pour les jeunes diplômés, et que la pérennité de l'efficacité de son réseau de proximité de distribution et de santé publique sur l'ensemble du territoire national soit assurée.
C'est pourquoi il me semble important d'inciter les professionnels, notamment les pharmaciens, à s'impliquer afin de favoriser le développement rapide du médicament générique. Ce médicament, dont le prix est inférieur de 20 % à 30 % à celui du princeps, va générer de véritables économies.
Aussi, la politique de dispensation doit être le plus rapidement possible contractualisée avec les pharmaciens d'officine et définie dans une relation de confiance fondée sur des perspectives d'avenir reposant sur une marge fixe, donc linéaire, arrêtée dès aujourd'hui. Seule une telle politique pourra garantir un exercice « correct » de la profession.
Monsieur le ministre, j'aimerais également attirer votre attention sur les difficultés que rencontrent certaines professions. Depuis plusieurs années, elles ont conclu des contrats d'objectifs qu'elles respectent et qui ont fait leurs preuves, dans la maîtrise de leurs dépenses.
Elles entendent bien contribuer à l'effort que nous demandons à tous aujourd'hui. Mais, avec la mise en place des RMO et de cette nouvelle politique, elles subissent une double pénalisation.
L'exemple de la biologie est significatif. La biologie a toute sa place dans le réseau de santé publique. Elle contribue largement à l'élaboration du diagnostic et au suivi des thérapeutiques gagées sur des résultats fiables. De plus, elle est la plus pertinente de nos actions de médecine préventive.
Cette profession a besoin d'être rassurée quant à son avenir si nous voulons conserver une biologie de proximité, exercée par des biologistes et des techniciens hautement qualifiés et mettant en oeuvre des technologies toujours très sophistiquées.
Aussi, il vous appartient d'éviter toutes les dérives qui seraient en définitive préjudiciables à une bonne politique de santé publique.
Enfin, monsieur le ministre, je souhaiterais vous faire part de mes doutes quant à l'adéquation des moyens, que vous nous proposez de fixer à 600,2 milliards de francs, face à certains besoins de santé publique que la sécurité sociale devra assurer.
En effet, comment ce montant, qui représente une augmentation de 1,7 % des dépenses de santé, pourra-t-il permettre d'inclure dans les dépenses de santé de ville la sortie de la réserve hospitalière de certains médicaments extrêmement coûteux tels que les antirétroviraux, dont le plus connu est l'antiprotéase ?
On sait également que l'hépatite C va devenir un problème majeur ; il va falloir assurer un meilleur dépistage et financer le traitement par les interférons, qui sont des thérapeutiques délicates à mettre en oeuvre et, surtout, extrêmement onéreuses. Pensez-vous que l'on a réellement prévu le coût de ces nouvelles pathologies et de leurs traitements ?
Au-delà de ces réflexions, ce qui nous importe, c'est l'avenir de notre système de santé.
Ce système repose, comme vous le savez, sur une culture et une tradition qui nous sont propres et que nous voulons préserver.
Nous ne pouvons accepter ni une dérive vers une étatisation ni une ultra-libéralisation du système de santé.
Monsieur le ministre, ainsi que notre rapporteur, M. Charles Descours, vous l'a excellemment dit, la réussite de la maîtrise des dépenses de santé repose sur l'adhésion non seulement de l'ensemble des professionnels de santé, mais aussi de leurs partenaires, et surtout des patients.
Si tout le monde est désormais convaincu de la nécessité de cette maîtrise, nous devons bien l'expliquer, renouer le dialogue et rétablir la confiance.
La maîtrise des dépenses doit reposer sur des données précises, issues d'un codage incontesté, qui, transmis aux caisses et aux unions régionales de médecins, permettra, au-delà de cette évaluation comptable, un rapprochement incontestable entre le coût et les raisons médicales de ce coût.
Cette appréciation entre les moyens mis en oeuvre par rapport aux résultats obtenus permettra de bien différencier rationalisation et rationnement éventuel.
Néanmoins, la volonté de maîtrise des dépenses qui nous préoccupe ne doit pas masquer notre objectif majeur, qui est de parvenir à une optimalisation de la dispensation des soins pour l'ensemble de la population et la préservation d'un système de distribution des soins qui donne satisfaction aux patients.
Je crois que le Gouvernement en est conscient. Cette première loi de financement doit nous permettre de nous rapprocher de ce but. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Mélenchon. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a un an à quatre jours près, notre hémicycle retentissait de la clameur de vos approbations lorsque le Premier ministre présentait le plan dont nous avons aujourd'hui à débattre des conséquences.
Il semble que, de cet enthousiasme, il ne reste rien qu'un parfum à la vérité bien délétère et que, dans ce domaine comme dans tant d'autres, comme le décrit la chanson, le plaisir n'aura duré qu'un instant tandis que le chagrin risque de durer toujours. (Sourires sur les travées socialistes.)
Il semble d'ailleurs avoir déjà coupé les jambes et les bras, en particulier celui qui sert à voter, à une partie des enthousiastes d'hier. Qu'on en juge par les votes intervenus à l'Assemblée nationale !
Oh ! certes, la minorité de gauche n'y occupe pas grand-place, et elle se sait au demeurant accablée de vos mépris toujours renouvelés. Il en est allé ainsi pour mon camarade, député de l'Essonne, Julien Dray, à qui vous avez cru bon de répondre, après trois quarts d'heure d'intervention, monsieur le ministre, que ce qui est excessif, suivant la ritournelle bien connue qui permet de se dispenser de toute explication, serait insignifiant.
Mais à la vérité, ce qui fut insignifiant, ce fut votre propre capacité à convaincre vos propres amis, puisque, après tant d'enthousiasme, il ne s'est trouvé que 110 députés sur 577...
M. William Chervy. C'est peu !
M. Jean-Luc Mélenchon. ... pour approuver les conséquences de ce qu'ils avaient hier voté dans l'enthousiasme.
M. François Autain. C'est vrai !
M. Jean-Luc Mélenchon. Ainsi, le décompte fait état de 48 députés du RPR sur 259, de 61 de l'UDF - qui fait mieux - sur 206, et de 18 abstentions : vous n'êtes même pas parvenu à convaincre votre ami de parti, M. Bernard Bosson !
Et vous revoici, docteur Barrot, avec de nouveaux cataplasmes à appliquer à la jambe de bois du déficit ! (Sourires.)
M. François Autain. Ça brûle !
M. Jean-Luc Mélenchon. Comment en est-on arrivé là ? Je crois qu'il faut se souvenir ; certes, le Premier ministre avait su dire au bon moment, dans son intervention : « Nous allons accomplir le rêve qui nous anime depuis trente ans et qu'on n'a pas osé faire passer dans la réalité. » J'avais alors fait remarquer que, voilà trente ans, il n'y avait pas de déficit.
Mais ce ne fut pas le coeur des motifs donnés : les objectifs réels, ceux qui se déduisent de l'examen de la pente sur laquelle roulent les événements depuis que la sécurité sociale a été modifiée, n'ont jamais été avoués pour ce qu'ils sont. Je vais me charger de vous les rappeler.
Trois motifs étaient invoqués pour justifier le remède de cheval qui était appliqué à la sécurité sociale : le premier d'entre eux, le déficit ; le deuxième, l'objectif généreux d'une assurance universelle ; le troisième, la nécessité du contrôle du Parlement.
M. François Autain. Très bien !
M. Jean-Luc Mélenchon. Le déficit, c'était naturellement l'argument le plus lourd. Contre vos raisonnements comptables, nous vous rétorquions déjà que le cancer qui ronge « la sécu », c'est avant tout, d'abord, ensuite, après, tout le temps, l'emploi. Sachons que 1 million de chômeurs de moins égale 50 milliards de francs de manque à gagner rattrapés, c'est-à-dire plus que le déficit actuel de la sécurité sociale.
Si ce déficit était comblé, à quoi bon toute l'usine à gaz qui a été montée ?
Si cela vous semblait excessif ou apparaissait comme un objectif qui ne pouvait pas être atteint, il vous restait encore d'autres moyens.
Il y avait, par exemple, le simple fait qu'un point d'augmentation des salaires, ce sont 8 milliards de francs de recettes supplémentaires.
Il y avait ces 90 milliards de francs de dettes patronales à l'égard de la sécurité sociale, dont la moitié pouvait être récupérée.
Il y avait les revenus financiers que, dans un moment de générosité, d'appel à la solidarité de tous les Français pour sauver cette machine essentielle, notre cohésion sociale, vous auriez pu taxer au taux des revenus du travail : et alors vous auriez prélevé 77 milliards de francs, c'est-à-dire, là encore, plus que le déficit.
Vous étiez, je vous l'avais dit, bien mal placé pour parler de ces déficits et les agiter contre nous, en les imputant à vos prédécesseurs, puisque les gouvernements de gauche n'avaient eu pour déficit en moyenne que 1 %, tandis que, depuis que vous êtes aux affaires, depuis 1993, vous avez multiplié par quatre ce déficit pour l'ensemble des régimes et par six pour celui de l'assurance maladie.
Vos hypothèses d'aujourd'hui ne valent pas mieux que celles d'hier. En effet, j'ai relevé que la commission des comptes s'appuie sur une progression de la masse salariale pour établir ces prévisions - celles que vous nous présentez - de l'ordre de 3,3 % en 1997. Or, dans son rapport, cette commission précise par précaution qu'il s'agit là d'une évaluation résolument optimiste. En effet ! Surtout si l'on tient compte de la manière dont la consommation est assassinée à coup de prélèvements toujours plus grands, toujours plus nombreux, toujours plus incompréhensibles pour nos concitoyens !
J'affirme que vous ne comptez pas mieux aujourd'hui qu'hier. Vous aviez annoncé, chacun ici peut s'en souvenir, 17 milliards de francs de déficit pour 1996.
M. François Autain. C'est vrai !
M. Jean-Luc Mélenchon. A ces mots, vous aviez applaudi, mes chers collègues de la majorité sénatoriale.
M. François Autain. On s'en souvient !
M. Jean-Luc Mélenchon. Puis vous aviez annoncé 12 milliards de francs d'excédent pour 1997. A ces mots encore, vous aviez applaudi.
En 1996, il y a 51,5 milliards de francs de déficit et, en 1997, on nous annonce qu'en faisant bien il y aura 30 milliards de francs de déficit.
M. François Autain. Eh oui !
M. Jean-Luc Mélenchon. ... quoique l'on parte de la base de 47 milliards de francs, chiffre qui demande à être vérifié, ce que je vais faire dans un instant.
M. François Autain. C'est malheureusement la vérité !
M. Jean-Luc Mélenchon. J'estime que ce sont des chiffres tronqués, des bilans arrangés. Le déficit continue et continuera à hanter, insaisissable, les plans de cette usine à gaz qu'est la réforme Juppé de la sécurité soicale ou, pour mieux dire, de cette espèce de Superphénix qui devait produire plus de carburant qu'il n'en consomme et qui produit, comme vous le savez, surtout du déficit et du gaspillage. (Sourires sur les travées socialistes.)
Deuxième argument : vous nous disiez : nous allons vers l'assurance universelle, et cela justifiait que l'on vienne tout changer des assises sur lesquelles reposait la sécutrité sociale jusque-là.
On s'en souvient, nous marchions alors sous la contrainte d'un chiffre écrasant et qui, tous, nous donnait à penser : 600 000 personnes seraient exclues du système des soins !
Aujourd'hui, la CNAM ne parle plus que de 90 000 personnes. Ainsi, tout cela pour 90 000 personnes ! Or, quand on y regarde de plus près, on s'aperçoit que ce sont surtout les exclus du guichet qui forment ces cohortes de malheureux n'ayant plus accès au système de soins.
Que savons-nous de cette assurance universelle qui nous fut promise comme l'horizon de cette réforme de la sécurité sociale ? Qu'en savons-nous ? Rien ! Alsolument rien !
M. François Autain. Elle couve !
M. Jean-Luc Mélenchon. Nous l'apprenons par la presse : l'affiliation, au lieu d'être assise sur le contrat de travail, le sera sur la résidence, suivant la thèse, bien connue mais non démontrée, de la nécessité de la baisse du coût du travail pour renforcer la compétitivité des entreprises.
Mais alors de multiples questions se bousculent s'il en est ainsi. Qui sont ces résidents ? Comment cette qualité sera-t-elle acquise ? Comment ne pas craindre, par avance, les surenchères auxquelles cette définition donnera lieu ? Qu'en sera-t-il de nos compatriotes non résidents ?
Qu'en sera-t-il des régimes spéciaux dans un régime qui sera à ce moment-là universel, alors que tant de nos concitoyens ont montré leur attachement à ces régimes spéciaux - et de quelle manière ! - en novembre et en décembre 1995 ?
Qu'en sera-t-il, enfin, du paritarisme, dont on ne cesse de répéter qu'il est un bien précieux pour la sécurité sociale, tandis que chaque jour on porte atteinte à son fonctionnement et, dès lors qu'il y aura un régime universel, quelle sera la justification du paritarisme ?
M. François Autain. Très bonne question !
M. Jean-Luc Mélenchon. Nous ne le savons pas et nous le saurons pas. Il s'agit là d'un projet qui reste dans l'air alors qu'il était censé être le coeur des objectifs que vous visiez.
Traitons à présent du troisième motif : le contrôle du Parlement.
Chacun voit bien, mes chers collègues, de quoi il retourne à présent. Au demeurant, les institutions de la Ve République, vous le savez bien, ne sont pas très favorables à la participation active du Parlement aux grandes décisions.
Dans le domaine de la sécurité sociale, il semblerait que nous nous préparions à battre quelques records. On nous a rappelé - combien de fois ! - que la somme à elle seule justifiait que le Parlement s'en mêle ; on nous a rappelé - combien de fois ! - que pour 1 700 milliards de francs - c'était autant que le budget de la nation - le Parlement devait s'en mêler.
Le Parlement s'en mêle. On lui fournit une information discutable, après quoi se déroule sous nos yeux une obscure bataille de chiffonniers, entre lobbies, aux portes du Parlement, avec, pour tout potage, un arbitrage à rendre entre les marchands de bière et ceux de spiritueux, les propriétaires de casino et les producteurs de Cognac, sans que jamais une seule fois il ne soit débattu des objectifs de santé publique, sans que jamais une seule fois nous ne soyons saisis de quelque prospective qui nous permette de savoir ce qui serait bon pour notre peuple en ces matières,...
M. François Autain. C'est vrai !
M. Jean-Luc Mélenchon. ... sur lesquelles je ne dis pas que le Parlement serait le mieux qualifié pour rendre des avis ; mais, en tout cas, nous serions éclairés et nous travaillerions dans d'autres conditions que celles dans lesquelles nous travaillons, qui sont celles d'une aimable réunion qualifiée de « comptable » !
Deux jours de débat pour 1 700 milliards de francs ! Pas un mot sur les objectifs de santé publique. Des comptes ! Mais quels comptes ! Car les 47 milliards de francs de déficit annoncés sont déjà sujets à caution : cette prévision de la commission des comptes de la sécurité sociale a intégré, à votre demande, des mesures qui figurent dans ce projet de loi et qui ne sont donc pas encore votées. Ces mesures sont : l'élargissement de l'assiette de la CSG, qui rapportera 3,1 milliards supplémentaires à la branche famille, et l'augmentation du taux de cotisations familiales pour l'Etat et les entreprises publiques.
En réalité, mes chers collègues, le déficit prévisionnel pour 1997 s'élève plutôt à 55 milliards de francs, et je veux préciser qu'une note de la direction du budget datant de début septembre tablait même sur 57 milliards de francs ! Alors, quels sont les bons chiffres ? Comment les justifie-t-on ?
Outre cette évaluation timide du déficit prévisionnel pour 1997, l'approximation est également la règle quant au chiffrage de vos mesures pour réduire ce déficit.
Vous demandez au Parlement de fixer une enveloppe des dépenses d'assurance maladie pour 1997 de 600,2 milliards de francs, soit une progression de l'ordre de 1,3 % par rapport à 1996. Tout juste l'inflation prévue ! Alors là, disons les choses comme elles sont : la sécurité sociale nous vaudra bien des déboires, mais pas celui de ne pas être dans la fourchette de la bonne santé des critères de convergence. En effet, ce chiffre correspond très exactement à celui dont nous avons besoin pour figurer dans le palmarès maastrichien qui résulte des critères de convergence.
La santé publique, dans cette affaire, est bien loin des chiffres ! Cet objectif, une fois de plus, est lui-même volontariste. Il mise sur la réussite de l'objectif pour 1996 de plus 2,1 %. Or plusieurs avis, à commencer par celui du directeur de la CNAM, pronostiquent plutôt une évolution proche de 4 %. Cela se traduit mécaniquement non pas par une progression de plus 1,3 % en 1997, mais, comme cela se comprend facilement, par un taux nul, voire négatif.
De plus, le Parlement, saisi comme il l'est, n'aura toutefois pas à se prononcer sur la répartition de cette enveloppe entre des secteurs qui exigent entre eux des arbitrages ô combien délicats, tels que la médecine de ville, les hôpitaux publics, les cliniques privées et le secteur médico-social.
Vous avez déjà arrêté ces taux : plus 1,25 % pour les trois premières enveloppes et plus 3 % pour la dernière enveloppe, même si, pour le secteur médico-social, vous avez renoncé à ce système d'enveloppes limitatives.
Concrètement, mes chers collègues, au-delà de ces chiffres, cela signifie que les hôpitaux vont voir leurs moyens diminuer - qu'on fasse la démonstration du contraire si on le peut - puisque la simple évolution de la masse salariale, du fait de l'ancienneté notamment, va déjà au-delà de ce taux de 1,25 % s'il reste en l'état.
Par conséquent, ce que nous sommes en train de faire en votant ces masses telles qu'elles nous sont présentées, c'est de planifier la réduction des moyens de l'hospitalisation publique au moment même où elle est en quelque sorte la mer des Sargasses vers laquelle convergent toutes les misères, comme le savent tous ceux qui pratiquent l'hôpital public et s'intéressent à son fonctionnement, et où l'on voit le service des urgences être en quelque sorte la dernière bouée, le dernier point d'accrochage vers lequel peuvent tendre la main ceux qui ont déjà perdu pied pour tout le reste de leur existence sociale.
M. Charles Descours, rapporteur. On donne la main à ceux qui ont perdu pied ! (Sourires.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Alors, que dire des autres dispositions financières de ce projet de loi ? Je voudrais vous faire remarquer que, pour près d'un tiers des recettes trouvées - un tiers ! - dans cette loi de financement, il s'agit de ce qu'on peut appeler des recettes purement conjoncturelles « de poche » : 3 milliards de francs venant d'EDF, 1 milliard de francs venant de la branche Accidents du travail, 1,2 milliard de francs venant de l'intégration au régime général de la caisse militaire de sécurité sociale. Comme ce sont les militaires et qu'ils sont astreints à une certaine réserve, on ne les entendra pas trop protester... Je voudrais tout de même faire observer que c'est la première fois qu'un régime spécial sera annexé de cette façon sans autre forme de discussion !
Comme le souligne le rapporteur du Sénat dans sa sagacité et sa précaution, « l'importance de ces mesures de nature ponctuelle conduit à s'interroger d'ores et déjà sur les nouvelles recettes qui devront être recherchées ». Ça, c'est la langue sénatoriale exquise dans ses contournements et dans sa courtoisie...
La vérité, c'est qu'il n'y a pas à s'interroger : ce qui aura été pris une fois ne pourra pas l'être une seconde fois. Ces mesures, qui sont tout à fait exceptionnelles, ne pourront pas être reproduites. C'est ce qui nous fait dire que ce texte est au total un trompe-l'oeil. Loin d'aborder les vrais problèmes de santé publique et de prévention, il développe une approche strictement comptable de la sécurité sociale dont nous disons depuis le début qu'elle ne peut pas être la bonne. Les raisonnements économiques absents par ailleurs vous conduisent tout le temps à dire à cette tribune des choses que vous êtes amenés à contester devant la presse. Au terme de ces mêmes raisonnements, vous oubliez que le point de départ de toute chose en ces matières, c'est l'emploi.
Encore un chiffre et qu'on en juge : si nous n'avions pas ces 3 millions de chômeurs, la sécurité sociale aurait quant à elle 150 milliards de francs de recettes supplémentaires ! C'est donc bien là qu'est le coeur du problème,...
M. Charles Descours, rapporteur. Cela, on est d'accord !
M. Jean-Luc Mélenchon. ... et non dans les raisonnements de départ ni dans la manière de conduire les discussions. Ce n'est pas en limitant, en plafonnant, en retaillant de façon comptable que vous empêcherez la vie de déborder - car personne ici n'est capable de prévoir ce qui se passera en matière de santé publique dans notre pays - les grandes pandémies de frapper, ...
M. Charles Descours, rapporteur. Il y en a encore ?
M. Jean-Luc Mélenchon. ... d'amener chaque hiver son cortège de désagréments ; quant à la santé de nos concitoyens, ce qui aura été chassé d'un côté reviendra d'un autre !
Alors jusqu'à quand de telles méthodes ? Jusqu'à quand de telles recettes de poche ? Vous allez peut-être me répondre tout à l'heure que je suis excessif et donc insignifiant. C'est la raison pour laquelle, après avoir applaudi à des déficits jugulés et à des excédents annoncés, mes chers collègues, il vous faudra voter de nouveau des déficits, avec l'espoir, comme l'ont dit plusieurs intervenants, qu'un jour ils viennent à cesser. Ils ne cesseront pas sur les bases sur lesquelles nous sommes.
De même, vous devriez nous éclairer et nous dire ce qu'il en est du règlement de la dette qui aura été accumulée depuis que nous avons déjà pourvu à la précédente avec le RDS, lequel reprenait un paiement déjà fait sous M. Balladur par son augmentation de la CSG. Mais nous revoilà, cette fois-ci, avec 34,5 milliards de francs pour 1996 - puisque 17 milliards des 51,5 milliards de francs de déficit de 1996 sont déjà à la charge de la caisse d'amortissement de la dette sociale, et donc supportés par les Français à travers le RDS - et 30 milliards de francs en 1997. Il y aura donc au minimum 65 milliards de francs de dette de la Sécu à la fin de 1997. Qui va la payer ? Comment va-t-on la payer ? Allongera-t-on la durée du RDS, initialement prévue pour treize ans ? Rien n'est dit, on laisse le sujet en suspens... pour le prochain gouvernement. Cadeau empoisonné s'il en est !
M. François Autain. C'est un problème de second ordre !
M. Jean-Luc Mélenchon. Je m'approche maintenant de ma conclusion. Voici ce que je crois.
Les circonstances ont fourni le motif pour franchir un seuil qui nous dirige vers une fiscalisation complète des recettes de la sécurité sociale dont l'issue est inéluctablement hautement prévisible.
Quand on aura mis à la charge d'une recette de nature fiscale unique l'ensemble du financement, que la situation économique du pays se redresse ou non, nous serons dans un sifflet, c'est-à-dire qu'il faudra prendre en charge, avec une recette unique fiscale, un budget équivalent à celui de la nation qui, lui, est abondé par tout un éventail de recettes diverses, depuis les taxes indirectes jusqu'à l'impôt sur le revenu des personnes physiques, etc.
A ce moment-là, nous serons dans un système tel que toute augmentation de cette fiscalisation deviendra confiscatoire. Alors on dira : l'Etat et la nation ne peuvent garantir que tel niveau de protection ; pour le reste, adressez-vous aux assurances privées !
M. Robert Pagès. Très bien !
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est tellement vrai que, pour ce qui concerne la retraite, nous en sommes déjà là. Pour la maladie, nous y viendrons ! Il est impossible qu'il en soit autrement. La pente suivie par les comptes depuis un an, depuis que la règle du jeu a été changée, ne fait que confirmer mon pronostic.
C'est pourquoi nous avons pu dire - et mon ami dont vous avez balayé les arguments d'un revers de la main a pu le démontrer - que la première phase qui est celle de l'étatisation conduit à une deuxième phase qui sera celle de la privatisation. Il n'y a aucun paradoxe, il y a un chemin, il y a une logique. Les libéraux, notamment les libéraux européens, ont toujours souhaité en venir à ces assurances minimum dites universelles contre lesquelles protestent nos compatriotes, contre lesquelles protestent les générations qui nous ont précédés et qui ont réussi cette merveille, la sécurité sociale, qui peut être soignée et guérie, pour peu que l'on redonne à notre peuple les moyens de créer des richesses. Sauvons cet acquis de civilisation, grâce auquel la durée de la vie a augmenté dans notre pays, grâce auquel la mortalité infantile a diminué, grâce auquel tant et tant de gens peuvent affronter les afflictions les plus terribles de la vie en se sachant protégés par la solidarité de leurs concitoyens, grâce à la cotisation sociale, grâce à la sécurité sociale. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'aborderai exclusivement, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, le problème du financement de la sécurité sociale.
Au préalable, comme l'a fait Jacqueline Fraysse-Cazalis, je voudrais montrer l'existence d'un lien majeur entre protection sociale, prospérité économique et progrès social.
Ces trois notions sont liées historiquement, économiquement et politiquement.
L'épanouissement de la protection sociale a été possible au lendemain de la guerre alors que le pays en avait besoin pour se reconstruire et qu'il en avait la possibilité car la France était au travail et que le profit patronal supportait, à juste titre, sa part de financement.
Au cours des cinquante années qui ont suivi la création de la sécurité sociale, celle-ci a vu sa situation suivre les évolutions de la richesse du pays selon la volonté politique de freiner ou de développer un processus de progrès ou de recul.
Depuis quelques années, votre politique précipite un mouvement que le plan Juppé a engagé. Pour faire voter ce plan, vous avez prétendu qu'il réduirait le déficit à 16 milliards de francs. En fait, il a fait naître un nouveau déficit qui atteindra peut-être 51 milliards de francs.
Votre politique organise le déficit.
Premièrement, le chômage prive la sécurité sociale de 200 milliards de francs de recettes.
Deuxièmement, les bas salaires privent la sécurité sociale de dizaines de milliards de francs. Le salaire brut moyen ralentit sa progression alors que deux millions de salariés sont payés en dessous du SMIC. Ces incidences se manifestent au niveau de la valeur absolue. Si l'évolution de la masse des salaires s'était faite au même rythme que la création de richesses, dans les cinq dernières années, la sécurité sociale aurait perçu 35 milliards de francs de cotisations supplémentaires.
Troisièmement, en accompagnant les insuffisances de recettes dues à une politique de recul économique - et bientôt de récession ouverte - votre politique inégalitaire, en matière de fixation du taux, a entraîné une perte de recettes au moins égale à celle qui est provoquée par le chômage et les bas salaires. La part des cotisations employeurs au régime général est passée de 70 % en 1980 à 52,3 % en 1995.
Pour un salarié payé au SMIC, le taux de cotisation patronale est passé de 33 % à 24 %, soit un manque, pour la sécurité sociale, de 7 000 francs.
Pour 1,5 million de salariés payés au SMIC, cela représente 7 000 francs multipliés par 1,5 million, soit 10,5 milliards de francs en moins.
En revanche, la part du taux de sécurité sociale salarié voit son pourcentage croître puisque, de 10,20 %, il passe à 16,35 %.
Le même salarié au SMIC paiera 4 000 francs supplémentaires, ce qui porte la somme, pour 1,5 million de salariés, à 6 milliards de francs de plus.
En conséquence, le bilan global pour les seuls salariés au SMIC fait apparaître une diminution de recettes de l'ordre de 4,5 milliards de francs.
Si l'on applique le calcul à l'ensemble des salariés, ce sont quelque 200 milliards de francs qui, en quinze ans, ont manqué en recettes.
Quatrièmement, les rafales d'exonérations patronales ont fait monter en charge le volume total : de 5,2 milliards en 1989, elles sont passées à 64 milliards de francs, dont 25 % ne sont pas compensés.
Cinquièmement, je n'oublie pas que la Cour des comptes chiffre à plus de 100 milliards de francs les créances patronales.
Chacun parmi nous, mes chers collègues, admet que ce n'est pas en réduisant les dépenses que le déficit sera résorbé. Nous avons atteint un niveau limite menaçant le droit à la santé de chaque citoyen et l'état sanitaire du pays.
C'est en augmentant les recettes que la sécurité sociale retrouvera son équilibre.
Vous l'avez d'ailleurs parfaitement compris, monsieur le ministre ; mais comment y parvenir ?
Vous n'envisagez toujours pas de réduire les exonérations patronales. Avec la loi de Robien, au nom « des emplois maintenus » ou « licenciements évités », le patronat va bénéficier d'exonérations nouvelles et importantes. Les plans de réduction possible d'effectifs remplaceront les plans de création d'emplois.
En revanche, vous envisagez de faire payer plus, mais sous une autre forme, les salariés avec leurs éléments de vie familiale ou sociale.
Vous étendez la CSG aux revenus de remplacement : indemnités de licenciement, de mise à la retraite, indemnités journalières, allocations pour congé parental ou travail à temps partiel.
L'extension de la CSG jointe au transfert de la cotisation maladie à la CSG, la création du RDS vont représenter effectivement 100 milliards de francs prélevés sur les ménages. Mais 100 milliards de francs prélevés en plus, ce sont 100 milliards de francs de moins pour la santé, la consommation, l'emploi.
Enfin, vous voulez accroître les dépenses de certaines familles avec des mesures nouvelles prévoyant l'augmentation du droit de consommation sur les alcools et d'une partie des droits de consommation sur le tabac, au profit de l'assurance maladie. Vous ponctionnez encore près de quatre milliards de francs. Et ne vous cachez pas derrière le paravent de l'action antialcoolique ! Vous prétendez faire de l'alcool une source de richesses.
L'analyse réelle des causes du déficit que vous refusez de corriger, l'examen des mesures que vous proposez montrent combien le financement du nouveau système de santé et de protection sociale, réducteur sur le plan économique et sur le plan de l'emploi, entraînera de nouvelles difficultés financières pour la sécurité sociale.
Cette analyse nous conduit à vous proposer une autre méthode de financement curative pour le déficit actuel et préventive de tout retour au déficit.
La première mesure que nous préconisons concerne l'imposition qui doit jouer tout son rôle et peut, à elle seule, résoudre le déficit actuel et celui qui est prévu pour 1997.
En faisant cotiser les revenus financiers spéculatifs au même niveau que les salaires, on recouvrerait une recette de 167 milliards de francs. Même si on devait procéder à un échelonnement d'une telle mesure sur plusieurs années, celle-ci garantirait, à elle seule, l'équilibre de la sécurité sociale.
Un simple prélèvement de 3 % sur les 1 500 milliards de francs de profits bruts réalisés par les entreprises - ce chiffre représente presque le budget de l'Etat - entraînerait un accroissement annuel des recettes de 45 milliards de francs.
Cette mesure pourrait permettre de résorber le déficit.
La deuxième mesure que nous vous proposons porte sur une réduction et une modulation des cotisations sociales des entreprises.
Nous vous proposons en effet de lier les exonérations à la politique menée par l'entreprise en matière d'emploi.
Sans pénaliser les entreprises de main-d'oeuvre ni les plus petites, nous vous proposons d'intégrer la valeur ajoutée dans le calcul des cotisations.
Ces deux dispositions pourraient redonner une force nouvelle au lien vital qui doit exister entre emploi et cotisation.
La troisième mesure que nous vous soumettons est une mesure de justice sociale, aux effets immédiats sur les ressources de la sécurité sociale.
L'augmentation de 1 000 francs des salaires inférieurs à 15 000 francs permettrait de constituer un fonds de roulement de 15 milliards de francs au bénéfice de la sécurité sociale. L'adoption de cette mesure permettrait de concilier croissance du pouvoir d'achat, bonne qualité des prestations et offre de soins.
La quatrième mesure touche, elle aussi, à la justice sociale et représente en même temps une garantie pour les finances de la sécurité sociale.
Le « rythme de croisière » du montant des dettes des employeurs vis-à-vis de la sécurité sociale atteint 20 milliards par an. Pour parer à cette situation, nous proposons la constitution d'un fonds de garantie alimenté par une cotisation patronale permettant de compenser les pertes de recettes dues aux entreprises défaillantes. Ce fonds serait le « frère jumeau » du fonds de garantie des salaires, auquel cotisent les entreprises pour honorer le paiement des sommes dues aux salariés. Le patronat veille à ce que les salariés soient en règle. Nous l'en félicitons, mais charité bien ordonnée doit commencer par soi-même. Le patronat doit aussi se prémunir contre certaines errances dénoncées par la Cour des comptes.
La cinquième mesure proposée consiste à rejeter toute politique malthusienne en matière de soins qui viserait à pénaliser les médecins dépassant leur quota d'actes. Quel vilain mot quand il s'agit de préserver santé et vie ! Nous refusons toute sanction et proposons la revalorisation négociée des honoraires des médecins, garantissant à ceux-ci un juste revenu et la liberté de décider des soins nécessaires.
La sixième et dernière mesure que nous préconisons devrait contribuer au renouveau de la politique de la famille, par la suppression des exonérations patronales sur les bas salaires, par la revalorisation des allocations familiales et l'attribution exceptionnelle d'une prime de Noël pour les enfants des familles les plus démunies.
L'allocation exceptionnelle de rentrée scolaire a été réduite ; le gel des bases de calcul des allocations familiales a privé les familles de ressources au moment où les difficultés s'accumulent au point d'aggraver la pauvreté et la misère dans notre pays.
Dans le volet social, nous proposons également une revalorisation des pensions de 600 francs, le départ à la retraite après trente-sept annuités et demie de cotisations. Plus de jeunes au travail, c'est autant de rentrées financières supplémentaires pour la sécurité sociale.
Vous observerez que ces propositions financières sont assises sur la richesse réelle produite par les entreprises et répondent à tous les besoins dans le domaine de la santé et de la protection de tous ceux qui produisent ces richesses.
Cela constitue un ensemble logique, juste, appelé sécurité sociale, auquel nous restons fidèles, car il aide le citoyen, de sa naissance à sa mort, à rester protégé. Votre « révolution » consiste à lui substituer un autre système. Par la fiscalisation, vous transformez la sécurité sociale en assistance sociale.
Ce sont deux conceptions de société qui s'opposent.
Votre « révolution », qui en est bien une, fait suite aux ordonnances du plan Juppé. Elle traduit un recul de société. Nous lui préférons les grandes espérances de la Libération, réalisables et toujours justes.
Le peuple français tranchera entre ces deux conceptions. Notre groupe a fait son choix : nous rejetons les dispositions financières que vous nous proposez. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.).
M. le président. La parole est à M. Lesein.
M. François Lesein. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous voici réunis aujourd'hui pour débattre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, étape indispensable au redressement de notre système de protection sociale.
Le déficit de la sécurité sociale, cumulé d'année en année, a atteint de telles proportions qu'il est de notre responsabilité de prendre les mesures nécessaires pour arrêter ou tenter d'arrêter cette spirale infernale.
La tâche qui nous est confiée aujourd'hui est donc particulièrement lourde et délicate, il ne faut pas se le cacher.
C'est la raison pour laquelle, en mai dernier, lors de la discussion du projet de loi organique relatif aux lois de financement de la sécurité sociale, j'avais mis en garde le Gouvernement contre les conditions désastreuses dans lesquelles risquait de se dérouler la discussion des projets de loi de financement. Je déplore que cette mise en garde soit restée lettre morte, puisque, aujourd'hui, je constate amèrement avec d'autres que le climat de cette discussion se révèle particulièrement défavorable.
Effectivement, après les multiples tentatives avortées que nousavons connues au cours des dernières décennies, pour la première fois, députés et sénateurs sont appelés à se prononcer sur les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale.
Malheureusement, c'est dans la précipitation que ce débat a lieu puisqu'il intervient au même moment que la discussion budgétaire.
M. Charles Descours, rapporteur. C'est obligatoire !
M. François Lesein. Or, compte tenu de l'importance de ces deux textes, je considère que cette situation n'est pas tolérable.
Certains estiment que, du fait de son impact sur le budget de l'Etat, l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale doit précéder celui du projet de loi de finances. Pour ma part, je pense qu'un tel texte aurait dû être débattu avec toute la sérénité qu'il mérite, c'est-à-dire en une période où le Parlement ne vit pas dans l'effervescence du budget, par exemple en mars prochain.
Cette réforme courageuse, bien que périlleuse, n'en était pas moins inévitable. L'ampleur du déficit était telle, en effet, qu'il était nécessaire d'intervenir.
Mais, aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est un homme déçu qui s'adresse à vous, déçu parce que vous aviez promis aux parlementaires qu'ils interviendraient dans le rééquilibrage fiancier de la sécurité sociale.
Or, à défaut d'équilibre, ce que vous nous demandez aujourd'hui, c'est de valider un texte rédigé par le Gouvernement et qui, dès sa première mouture, consacre le déficit de l'assurance maladie, un déficit que vous avez d'ailleurs bien du mal à évaluer, ce qui se comprend aisément !
Je me permets de rappeler qu'en adoptant le projet de loi organique qui autorise ce financement les parlementaires ont engagé leur responsabilité. En définitive, je constate aujourd'hui que notre rôle dans ce financement sera des plus réduits. Nous endossons ainsi une responsabilité qui devrait être la vôtre puisque nous serons quasiment étrangers à ce texte.
C'est également en tant que médecin, vous vous en doutez, monsieur le secrétaire d'Etat, que je souhaiterais intervenir.
Ce projet de loi vise principalement à la réduction des dépenses, moyennant quoi certaines des mesures qu'il contient sont, à mes yeux, inacceptables.
Le Gouvernement fixe un objectif de 600 milliards de francs pour les dépenses, imposant ainsi aux médecins l'obligation de diminuer les dépenses de santé sous peine de sanctions.
En effet, il est prévu qu'en cas de dépassement des objectifs fixés les médecins seront confrontés au mécanisme de reversement. Or il est impensable d'envisager l'existence d'une telle mesure, qui sanctionne l'ensemble des médecins libéraux pour le fait de quelques-uns, alors que sont prévus, pour l'hôpital public, par exemple, des directeurs d'agences régionales. Ceux-ci ne seront d'ailleurs sans doute pas installés avant deux ans ; or, pour les médecins libéraux, la mesure s'applique tout de suite.
De plus, comme l'a fait remarquer mon collègue Guy Cabanel, cela risque de produire des effets pervers sur la relation médecin-malade ; vous le savez bien, la perte de confiance des patients envers leur médecin pourrait bien, après tout le « battage » qui a été fait, être proportionnelle à la réduction du nombre des prescriptions.
M. Claude Huriet. A tort !
M. François Lesein. Peut-être !
Par ailleurs, les médecins sont exclus du rôle consultatif qu'ils tenaient auprès des conseils d'administration des caisses d'assurance maladie, au motif qu'ils seraient juges et parties. Or la mutualité y siège, et elle voit son rôle accru, alors qu'elle a son propre circuit de soins.
M. Jean Chérioux. Ça, c'est vrai !
M. François Lesein. L'éthique de la profession de chirurgien-dentiste est la même que celle des médecins. Pourquoi ne pas les considérer dans la réforme comme un ordre de santé majeur ? Ils n'auront peut-être même pas le droit, en effet, de consulter le carnet de santé !
Nous avions, en France, emprunté une voie originale : la maîtrise médicalisée des dépenses. C'était une chance, et le système avait été renouvelé par la convention Etat-médecins de 1993. On est en train de casser cette dynamique pour copier les modèles anglo-saxons, dans lesquels la médecine est déshumanisée, administrée et n'est finalement que budgétaire.
M. Jean-Luc Mélenchon. Très bien !
M. François Lesein. La conférence nationale de santé que vous avez mise en place ne pourra aider à instaurer une politique de santé que si elle en a les moyens, en termes de délais, de budget et d'autonomie. Ce n'est pas tout à fait le cas. En tout état de cause, cette conférence ne doit pas être seulement la caisse de résonance du haut comité de santé publique. Or, pour l'instant, c'est le rôle qui lui est dévolu.
S'agissant du problème du syndicalisme médical, vous l'appelez à être fort mais, en même temps, vous accordez une reconnaissance de représentativité à tous les syndicats qui en font la demande. (M. le secrétaire d'Etat manifeste son désaccord.)
Cela dit, pour moi, la question essentielle est ailleurs. Le transfert des cotisations vers l'impôt répond-il à la nécessaire clarification du financement, qu'il s'agisse d'assurance ou de solidarité, ou bien constitue-t-il la première étape d'une fiscalisation de notre assurance maladie ?
Dans le premier cas, ce transfert était inscrit dans les engagements du candidat Jacques Chirac lors de sa campagne. Il obéit à la nécessité d'une clarification des responsabilités au sein de notre système de protection sociale par une clarification des financements.
Dans le deuxième cas, la fiscalisation s'inscrit dans une logique socialiste. Dès lors, les cotisations sociales sont non plus un salaire différé, propriété des salariés, mais un impôt qui, de fait, peut conduire à l'étatisation de notre système d'assurance maladie.
Monsieur le secrétaire d'Etat, quelle est l'attitude du Gouvernement devant ces deux voies possibles ?
Voilà un an, le Gouvernement évoquait un transfert total et progressif du financement des cotisations maladie vers une CSG élargie. Aujourd'hui, il semble que vous optiez pour un transfert partiel. Peut-être ne voulez-vous pas désespérer la CFDT, avec laquelle vous gérez aujourd'hui la sécurité sociale et qui s'inscrit dans la seconde logique puisque, pour elle, la fiscalisation constitue un engagement du Gouvernement.
Eu égard à l'ambiguïté de la finalité de ce projet de loi, à la chasse à cette sorcière qu'est devenu le médecin libéral - vous ne pourrez réussir cette réforme sans les médecins, cessez donc de les considérer comme des prédateurs, je vous en prie ! -, vous le comprendrez, avec plusieurs de mes collègues du RDSE - et beaucoup d'autres hésitent -, je voterai contre ce projet de loi. (M. Régnault applaudit.)
M. Jean Chérioux. Comme c'est dommage !
M. le président. La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le 22 février de cette année, nous avons procédé à une révision constitutionnelle instituant les lois de financement de la sécurité sociale.
Le 22 juillet, nous avons adopté la loi organique qui prévoit que, à travers la loi de financement, le Parlement se prononce sur les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale et sur les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale.
Le 9 octobre, le Gouvernement a déposé le projet de loi de financement pour 1997.
Ainsi, après des années marquées par des adaptations et des réformes conjoncturelles de notre système de sécurité sociale, qui se sont traduites, notamment, faut-il le rappeler, par une augmentation de près de quatre points de la participation des ménages aux dépenses de santé entre 1980 et 1991, en moins de huit mois, a été ouvert le « grand chantier » de la réforme structurelle de notre protection sociale qui doit assurer la pérennité de celle-ci.
Ainsi, pour faire une comparaison un peu théâtrale, le débat qui s'ouvre aujourd'hui constitue non pas une « première » mais plutôt la « générale », les imperfections devant être rapidement corrigées sous peine de voir la prochaine présentation se solder par un « four » retentissant... et dramatique.
Le projet de loi de financement et le rapport « présentant les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale et les objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier » permettent d'établir un constat qui, grâce au débat parlementaire, lequel a aussi une dimension « pédagogique », sera porté à la connaissance des Français.
Ce qu'on appelle parfois le « budget social de la nation » dépasse 1 650 milliards de francs, alors que le budget de l'Etat pour 1997 s'élèvera à 1 550 milliards de francs. Par ailleurs, la branche vieillesse représente 44 % des dépenses et la branche maladie 39 % seulement, si l'on peut dire.
L'importance de ces chiffres a été, à juste titre, soulignée par notre collègue Charles Descours dans son excellent rapport. J'ai tenu cependant à les rappeler, car on a parfois tendance à « focaliser » l'attention de nos concitoyens sur la seule branche maladie, alors même que l'inquiétante dégradation de notre démographie va peser, dans les toutes prochaines années, sur les deux branches, vieillesse et maladie.
Considérations plus ponctuelles sur le constat, l'échec des prévisionnistes et l'insuffisance des évaluations ont été déjà évoqués par plusieurs des intervenants.
Je me permettrai cependant de rappeler la loi « famille » du 24 juillet 1994, dont j'avais été le rapporteur devant la Haute Assemblée. Son coût a été sous-évalué de 4 milliards de francs en période de croisière.
Je profite de cette occasion pour rendre hommage au ministre de l'époque, Mme Simone Veil, qui nous avait mis en garde contre les risques de dérapage financier que comportaient d'autres mesures, plus ambitieuses, en faveur de la famille auxquelles nous avions songé. Quel que soit notre attachement à la politique familiale, je me félicite de m'être finalement rendu à ses arguments.
M. Daniel Hoeffel. Très bien !
M. Claude Huriet. Autre « erreur » de prévision : celle qui porte sur la croissance de la masse salariale en 1995. Ces chiffres ont été évoqués précédemment, et je n'y reviens pas.
Tels qu'ils sont présentés au Parlement, le projet de loi et le rapport du Gouvernement suscitent en nous quelques réserves et quelques regrets.
Mes regrets tiennent d'abord au temps qui a été perdu.
M. Jean-Luc Mélenchon. Eh oui !
M. Claude Huriet. Je voudrais m'adresser, avant de pousser plus loin mon argumentation, à nos collègues du groupe socialiste et du groupe communiste républicain et citoyen pour leur demander : en dix ans, qu'avez-vous fait ?
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale. Très bien !
M. Claude Huriet. Qu'avez-vous fait, alors que vous aviez une majorité pour vous soutenir ?
Reconnaissez, mes chers collègues, que face à une tentative louable de M. Teulade, à l'époque, le Sénat avait souscrit à la démarche qui lui était proposée, ce qui ne correspondait guère à la règle du jeu politique habituel.
Mais, en dix ans, qu'avez-vous fait pour éviter que ne se creuse l'écart - qui nous condamne aujourd'hui à prendre des mesures d'urgence - entre la richesse nationale et le déficit de la sécurité sociale ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. René Régnault. Depuis quand se creuse-t-il, l'écart ?
M. Claude Huriet. Mes chers collègues, les actions que vous avez entreprises se sont limitées, sauf erreur, à l'institution de la CSG, que nous avons soutenue ici sous condition,...
M. René Régnault. C'est vrai !
M. Claude Huriet. ... à l'instauration du forfait hospitalier,...
M. Jean Chérioux. Oui, ça, c'est vous !
M. Claude Huriet. ... qui était considéré sans doute par vous comme une grande conquête sociale pour responsabiliser les assurés sociaux.
M. Charles Descours, rapporteur. Très bien !
M. Claude Huriet. J'ai déjà cité tout à l'heure les proportions qu'a atteintes l'accroissement de la charge des ménages au cours des dix années où vous étiez au pouvoir.
M. Jean Chérioux. Ce n'est pas gentil de leur rappeler tout cela ! Cela leur fait de la peine ! (Sourires.)
M. Claude Huriet. Mes chers collègues, soyez un peu plus modestes !
Je me permettrai d'évoquer une différence non seulement de ton mais également de contenu entre vos interventions et celle de Mme Beaudeau. Notre collègue du groupe communiste républicain et citoyen, au moins, a assorti ses considérations critiques d'un certain nombre de propositions, même si celles-ci vont à l'encontre de notre conception de l'économie libérale.
M. Jean-Luc Mélenchon. Mais vous avez le droit de préférer les communistes ! Ce n'est pas un problème ! (Sourires.)
M. Claude Huriet. Or, à moins d'une faute d'attention de ma part, ce ne fut pas le cas de notre collègue M. Mélenchon.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. Claude Huriet. Depuis des années, malgré quelques mises en garde dont les auteurs étaient traités de Cassandre, on a laissé - nous avons laissé, vous avez laissé - se creuser l'écart entre la richesse nationale et les dépenses de santé,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Pas du tout ! Vous êtes mal informé !
M. Claude Huriet. ... comme si une telle évolution, qu'ont connue tous les pays développés, pouvait se poursuivre indéfiniment.
M. Alain Richard. C'est faux ! Nous avons su limiter le déficit !
M. Claude Huriet. Après des années d'illusions, le réveil est brutal. L'urgence d'apporter des solutions, dont aucune n'est indolore, oblige le Gouvernement à imposer aux instances consultatives, aux partenaires sociaux, au Parlement, et aussi aux ministres, des délais très contraignants, au prix d'une concertation insuffisante qui est pour beaucoup dans la détérioration du climat actuel.
Alors que le Parlement est censé se prononcer sur les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale, le rapport du Gouvernement se borne à mentionner les priorités reconnues par la conférence nationale de santé, selon une formulation d'ailleurs très générale puisqu'il est simplement affirmé qu'elles seront favorisées, ce qui, à vrai dire, n'engage pas à grand-chose.
M. François Autain. Ça, c'est vrai !
M. Claude Huriet. Comme notre rapporteur Charles Descours le souligne, le projet de loi de financement apparaît un peu trop financier. Je m'expliquerai sur ce point dans un instant.
Le Gouvernement est d'ailleurs le premier à le reconnaître lorsqu'il énonce, dès les premières lignes de son rapport, « les ambitions de cette première loi de financement » : mise à part une référence au développement du juste soin, ces ambitions sont toutes de nature comptable ; nous devons le reconnaître, mais en en comprenant les raisons.
On peut s'interroger, d'ailleurs, sur les chances de voir effectivement réalisées ces ambitions si les tensions actuelles persistent, car la réussite de la réforme engagée suppose la participation de tous les acteurs, y compris les bénéficiaires du système.
Elle ne pourra être obtenue ni par la contrainte ni par des sanctions qui, si par malheur elles étaient collectives, décourageraient et dissuaderaient les bonnes volontés.
Loin de vouloir alimenter la vaine querelle entre hôpital et médecine ambulatoire, je suis conduit à m'interroger sur la possibilité qu'auront les hôpitaux publics, dont la structure des budgets comporte bien des facteurs de rigidité, à commencer par les dépenses de personnel, de respecter un taux directeur de 1,25 % dont vous avez précisé, monsieur le ministre, qu'il serait fixé lors du débat parlementaire.
M. Fourcade, président de la commission des affaires sociales, et d'autres intervenants ont évoqué notre intérêt pour la décentralisation. Je les remercie d'avoir fait état de cette orientation, que vous avez vous-même reprise, monsieur le secrétaire d'Etat, en évoquant la régionalisation. Celle-ci doit continuer de progresser au travers du rôle reconnu des unions régionales, qui apparaissent actuellement comme le parent pauvre de la loi dont nous débattons aujourd'hui.
Monsieur le secrétaire d'Etat, si malgré ces réserves et les quelques regrets que j'ai tenu à exprimer le groupe de l'Union centriste votera le texte amendé par la commission des affaires sociales, ce n'est pas seulement par amitié pour vous, bien que nous admirions la détermination et le courage dont vous-même et M. Jacques Barrot faites preuve pour mener à bien une tâche ô combien difficile : c'est aussi parce que les enjeux immédiats pour l'avenir de la sécurité sociale sont considérables et que nous trouvons, dans ce projet de loi, quelques motifs de satisfactions.
Satisfaction quant à la volonté du Gouvernement de « donner un nouvel élan » à la politique familiale. Certes, cet élan peut être considéré comme insuffisant, mais il est l'expression d'une volonté dont nous vous donnons acte. Outre le fait que les mesures relatives à la prise en charge des jeunes enfants ont bénéficié d'un doublement en deux ans, nous apprécions que l'extension de l'assiette de la CSG apportera à la branche famille 3,1 milliards de francs supplémentaires. Nous prenons également acte, comme d'autres intervenants, du fait que, finalement, les allocations familiales ne seront pas fiscalisées.
Satisfaction aussi en matière de prise en charge des personnes âgées, même si la création de 14 000 lits de section de cure médicale en deux ans constitue un rattrapage dont l'effet risque malheureusement de n'être que temporaire, du fait de l'évolution démographique.
Satisfaction, enfin, de constater que le Gouvernement affirme sa volonté de rétablir durablement les grands équilibres du système de protection sociale et a désormais le courage de prendre des mesures nécessaires pour y parvenir.
Très désireux de voir le débat parlementaire nourri par les analyses et les propositions de tous ceux qui ont à connaître du fonctionnement des différentes branches de la sécurité sociale, j'avais proposé, en commission des affaires sociales, qu'une conférence nationale de la famille et une conférence des retraités et personnes âgées, prolongement national des comités départementaux des retraités et personnes âgées, les CODERPA, jouent dans leur domaine respectif un rôle comparable à celui de la conférence nationale de santé.
J'ai été très heureux de constater que le rapporteur de la commission m'avait devancé en présentant deux amendements en ce sens. Il va de soi que le groupe de l'Union centriste les votera avec enthousiasme.
Avant de conclure, je tiens à rendre hommage aux professionnels de santé en général et aux médecins en particulier. Ils sont aujourd'hui moralement atteints : ils ont le sentiment d'être considérés comme des nantis, seuls responsables des difficultés actuelles de l'assurance maladie.
Alors que, dès 1993-1994, la plupart d'entre eux avaient accepté de participer à la maîtrise médicalisée des dépenses de santé à travers les références médicales opposables et que des résultats significatifs avaient été obtenus - l'effort des biologistes, par exemple, ne doit-il pas être salué ? - certains ont eu le tort de croire que leurs efforts deviendraient rapidement sans objet.
Brusquement, brutalement même, ils se trouvent confrontés à des contributions financières exceptionnelles très lourdes et à des mesures dont certaines risquent de mettre en péril l'« entreprise médicale » dans laquelle ils ont investi.
Quelques « brebis galeuses » ne doivent pas faire condamner tout le troupeau.
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Claude Huriet. Aussi, je vous demande instamment, monsieur le secrétaire d'Etat, d'accorder aux professionnels de santé la considération qu'ils méritent et de reconnaître la compétence et le dévouement dont ils font preuve au service de leurs concitoyens.
Les parlementaires appartenant aux professions de santé, et parmi eux les sénateurs médecins, ont fait l'objet ces derniers temps, de la part de leurs confrères, de sévères mises en garde, assorties parfois de menaces de rétorsion dans des termes que l'inquiétude et le désespoir de certains peuvent, à la rigueur, expliquer.
Outre le fait que les élus de la majorité doivent apporter, quoi qu'il leur en coûte parfois, leur soutien au Gouvernement, particulièrement dans les moments difficiles, les professions de santé doivent comprendre, comme tous les Français, que la sécurité sociale est parvenue à « l'heure de vérité » et que la réforme constitue, selon votre expression, monsieur le ministre, « le dernier rendez-vous de la médecine libérale ». En effet, ou bien la réforme engagée depuis un an réussit, et l'avenir de la protection sociale est pour longtemps assuré, ou bien elle échoue, et l'assurance maladie, pour ne parler que d'elle, risque de « voler en éclat », un nouveau système pouvant être fondé sur une conception « ultralibérale », hypothèse irréaliste, ou sur une « étatisation » des professions de santé remettant en cause les principes déjà quelque peu malmenés du libre choix, de la liberté de prescription et du paiement à l'acte.
Il me reste deux souhaits à formuler : tout d'abord, le souhait que les efforts et les sacrifices demandés par le Gouvernement, avec le soutien du Parlement, portent leurs fruits dès 1997 ; ensuite, le souhait que le Gouvernement se dote rapidement des « outils d'évaluation » des politiques de santé publique et de soins curatifs qui permettront au Parlement de jouer pleinement son rôle dans un domaine à peine abordé cette année, celui des priorités de la politique de santé publique et des orientations en matière de prise en charge des soins.
C'est avec l'espoir que ces souhaits se réaliseront grâce au travail de tous, avec l'espoir aussi que la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 satisfera pleinement les attentes de la Haute Assemblée que nous voterons le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1997. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je limiterai mon propos - peut-être le regretterez-vous - à la seule politique familiale et à la situation de la branche famille.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est votre passion, on le sait !
M. Jean Chérioux. Eh oui, que voulez-vous ! Mais c'est une noble passion, mon cher collègue !
M. Jean-Luc Mélenchon. On ne vous en fait pas le reproche !
M. Jean Chérioux. On a fait le reproche - et quand je dis « on », il s'agit de la commission des comptes de la sécurité sociale, dans ses rapports de juin et de septembre 1996 - à la loi du 25 juillet 1994 relative à la famille, de sa dérive financière, qui serait, à la fin de la montée en charge de son premier volet consacré à l'aide à la petite enfance, d'environ 14 milliards de francs.
Sur cet aspect, je formulerai deux types de remarques.
Tout d'abord, il s'agit, me semble-t-il, d'une optique purement financière, qui ne se préoccupe pas de la réalité. Or, à mon sens, ce « trop » grand succès de la loi relative à la famille démontre que les dispositions mises en oeuvre répondaient à un réel besoin, sans préjuger le libre choix des familles, puisque la croissance très significative des bénéficiaires des aides et des montants de celles-ci concerne aussi bien l'allocation parentale d'éducation l'APE, pour les femmes qui arrêtent transitoirement de travailler pour s'occuper de leur enfant en bas âge, que l'allocation de garde d'enfant à domicile, l'AGED, et l'aide à la famille pour l'emploi d'une assistance maternelle agréée, l'AFEAMA, qui facilitent la conciliation d'une activité professionnelle avec la vie familiale. Cela signifie que, à l'époque, le législateur - c'est-à-dire nous, mes chers collègues - a su répondre aux attentes des familles. Il me semble que cette réussite devait être soulignée.
Ensuite, il convient de rappeler que la branche famille, avant la loi du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale qui instaure une séparation des branches, a vu si souvent ses excédents « confisqués » - je me permets d'utiliser ce terme - ...
M. Jacques Machet, rapporteur. C'est vrai !
M. Jean Chérioux. ... par les autres branches déficitaires - on a évoqué le chiffre de 65 milliards de francs sur trente ans -, qu'il peut paraître équitable qu'elle puisse bénéficier maintenant du financement nécessaire pour le bien-être des familles.
M. Jacques Machet, rapporteur. Très bien !
M. Jean Chérioux. En effet, le succès très important de la loi relative à la famille, dans son premier volet concernant l'accueil des jeunes enfants, c'est aussi le succès de ce que je me permettrai d'appeler un certain « retour à la famille » ; je ne puis que m'en féliciter et je pense que je ne suis pas seul à le faire dans cette assemblée !
Le léger regain démographique, dont les causes sont bien sûr multiples, est là pour en témoigner. Aussi le seul échec que consacre cette loi est-il surtout, comme cela a déjà été souligné d'une manière générale, celui des prévisionnistes. Il est vrai qu'ils sont assez coutumiers du genre !
Par ailleurs, j'ai lu avec attention la partie du rapport de la Cour des comptes sur l'aide à l'accueil des jeunes enfants. J'ai constaté que cette haute juridiction, sans se contenter d'effectuer des contrôles et de pointer les dysfonctionnements, ce qui est son rôle, était allée jusqu'à juger de l'opportunité - j'y insiste - de certaines dispositions voulues par le législateur, ce dont on peut légitimement s'étonner, en particulier au sein de la Haute Assemblée.
Ainsi en est-il du cumul de l'AGED avec la réduction d'impôt plafonnée à 45 000 francs. La Cour des comptes estime, en effet, que le doublement de la prise en charge des cotisations sociales en ce qui concerne l'emploi d'un salarié à domicile pour la garde d'un enfant institué dans le cadre de la loi relative à la famille a été pris sans qu'il soit tenu compte des dispositions de la loi de finances pour 1995 accroissant la réduction d'impôt pour les emplois familiaux.
Elle considère aussi que l'AGED ne peut concerner que les familles disposant d'un revenu élevé, notant au passage que cette allocation profite aux familles dont l'un des deux parents est cadre supérieur dans la mesure où elles peuvent tirer le meilleur profit de la réduction d'impôt.
Or il apparaît que la mise en cause de ce que la Cour des comptes considère comme le cumul de ces deux dispositions n'est pas pertinente, car celles-ci sont de nature et de portée tout à fait différentes.
En effet, la réduction d'impôt est une mesure d'ordre général qui a plusieurs vertus dont celle de favoriser la création d'emplois familiaux à temps plein et celle de dissuader de recourir au travail clandestin. Il ne serait donc pas convenable d'opérer une discrimination qui, en vérité, irait à l'encontre des familles en les privant d'une telle réduction d'impôt.
Parallèlement, le fait de favoriser la garde d'enfants à domicile par le doublement de l'AGED a eu des vertus évidentes. Certes, il est exact que le coût de l'AGED est élevé pour la collectivité, puisque cette prestation permet, dans la limite de 4 000 francs par mois, la prise en charge des cotisations sociales afférentes à l'emploi d'un salarié à domicile. Mais, ce faisant, le bénéficiaire de cette aide assure, de son côté - ne l'oublions pas - le paiement du salaire, qui est nécessairement beaucoup plus élevé.
Il convient donc de souligner que la charge supportée par la famille est plus importante que ces 4 000 francs, alors que le taux d'effort maximal réclamé aux familles, recommandé par la Caisse nationale d'allocations familiales, pour une place en crèche collective, n'est que de 12 % dans la limite de 26 000 francs de revenus mensuels, soit 3 000 francs par mois. Il suffit de comparer ces deux chiffres pour se rendre compte qu'il est beaucoup plus avantageux pour ces familles de mettre leur enfant en crèche, quel que soit le niveau de leur salaire, que de faire garder leur enfant à domicile, même si on les aide jusqu'à concurrence de 4 000 francs pour prendre en charge les cotisations sociales qu'ils acquittent. Il est vrai que, au-delà de 26 000 francs de revenus mensuels, les communes ont toute latitude pour réduire ou augmenter le taux d'effort demandé ; certaines le font, d'autres pas.
Enfin, n'oublions pas - je m'adresse ici à des représentants de collectivités locales qui connaissent la question au moins aussi bien que moi - que le prix de revient d'un berceau avoisine les 6 000 francs par mois en crèche collective, alors même que les plus modestes, qui peuvent ainsi bénéficier des places libérées par les familles qui ont recours à l'AGED ou à l'AFEAMA, contribuent moins, ce qui est normal, par leur participation plus faible, à l'équilibre financier de ces structures. Il ne faut pas oublier non plus que le financement des structures collectives pèse en grande partie sur les communes - monsieur Régnault, vous ne me démentirez certainement pas - dont on connaît déjà les difficultés financières.
A cet égard, la formule de la garde d'enfant à domicile s'avère, pour le décideur public, un instrument incomparablement plus souple que les structures collectives, surtout dans une période démographique insuffisamment dynamique. En effet, dans le cas de l'allocation de garde d'enfant à domicile, l'aide à la famille s'arrête dès que le besoin cesse, alors que dans le cas des structures collectives, même si les besoins diminuent, les communes doivent continuer à assurer le financement, et Dieu sait s'il est lourd ! Tous ces éléments doivent être pris en compte si l'on veut avoir une idée objective de ce problème.
On peut donc s'étonner, à juste titre, des remarques de la Cour des comptes sur l'ensemble du dispositif de l'allocation de garde d'enfant à domicile et son cumul avec la réduction d'impôt, comme de ses craintes que la concurrence entre les différents modes de garde ne compromette la mixité sociale des structures collectives dans la mesure où cette haute juridiction s'érige en juge de l'opportunité - dans une partie de son rapport consacrée aux contrôles - de dispositions prises par le législateur en vue de rendre plus facile la vie des familles et d'améliorer la situation démographique de notre pays. Cette attitude de la Cour des comptes méritait au moins d'être soulignée.
Je terminerai mon propos en soulignant que le législateur a au moins réussi sur un point : rendre la vie des familles plus facile. Nous espérons que sur le second point, c'est-à-dire l'amélioration de la situation démographique, il connaîtra un égal succès. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Régnault.
M. René Régnault. Monsieur le secrétaire d'Etat, avant de porter un jugement sur certaines dispositions du présent projet de loi relatives aux expédients conjoncturels et dont l'un intérese tout particulièrement les collectivités territoriales à travers un transfert de charges insidieux, je vais, avec d'autres, m'employer à formuler quelques observations sur notre protection sociale et l'impossible équilibre de son financement.
On peut dire, sans risque de paraître excessif, que le Gouvernement a tout faux. En effet, les dépenses curatives de santé augmentent au-delà de vos prévisions, les dépenses de prévention s'amenuisent et leurs effets sont insignifiants, voire contraires à l'objectif que l'on cherche à atteindre. Dans le même temps, la maîtrise globale des dépenses et, notamment, la compression du déficit explosent.
Pourtant, on prévoyait - pour faire passer une réforme visant à faire participer tous les Français au remboursement de la dette sociale - un déficit de 17 milliards de francs pour 1996. Or, on est plutôt sur un déficit de l'ordre de 50 milliards de francs, soit le triple.
Je m'en tiendrai là pour l'essentiel ! Vous ne devez pas être surpris, monsieur le secrétaire d'Etat, par l'accroissement préoccupant, voire dangereux, pour notre démocratie du déficit de confiance de l'opinion publique.
L'examen en trois jours du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1997, qui représente l'équivalent du budget de la nation, se présente sous de bien mauvais auspices.
Outre le faible temps que nous pourrons consacrer à son examen, nous n'aurons pas eu le débat préalable - j'ai beau écouter ce soir les uns et les autres - qui est pourtant nécessaire sur les objectifs en matière de santé et de protection sociale de nos concitoyens.
Dès lors, quelle valeur aura une délibération qui ne précise pas les buts à atteindre ni les réponses à apporter aux besoins de nos compatriotes ? Surtout, quel crédit peut-on réserver à votre hypothèse de déficit de 30 milliards de francs ! Sera-t-il, à son tour, trois fois plus important à la fin de 1997 ? La question est fondamentalement posée et vos réponses, quelles qu'elles soient, ne trouveront pour écho que le grand déficit de confiance que j'évoquais voilà un instant.
Maîtriser, réduire les dépenses de santé est possible.
Ainsi, la prévention contre les risques d'affection et pour les détections précoces doit être conduite à l'aide des moyens que nécessite la pertinence des résultats attendus.
Quelles en sont les conditions ?
Il s'agit, d'abord, d'une volonté politique clairement affirmée. Il s'agit, ensuite, des moyens en personnels, qui font considérablement défaut s'agissant des médecins, des infirmiers et des assistantes sociales scolaires, par exemple, mais aussi de la médecine du travail, et je pourrais allonger la liste en citant l'absence de contrôles dentaires chez les enfants et les adolescents. Il s'agit, enfin, des actions cohérentes. En effet, on ne peut à la fois combattre un fléau et encourager directement ou avec complaisance ses causes. Je pense notamment au tabac et à l'alcool.
Il est vrai que, conformément à la doctrine libérale et de profit qui domine votre démarche, vous laissez prioritairement le champ libre à l'aspect curatif, au médicament de marque, donc cher.
L'opinion attend - si besoin était, une émission de télévision diffusée hier soir le confirmerait - que vous agissiez et vite en faveur du médicament générique qui, on le sait, peut réduire sensiblement le besoin de financement de la sécurité sociale, besoin qui est aujourd'hui notre question centrale.
La preuve est faite que, au-delà de l'effet d'annonce, voilà quelques mois, rien n'est venu conforter, organiser la préconisation effective des produits médicamenteux génériques.
Alors, qui gouverne, monsieur le secrétaire d'Etat ?
Le Gouvernement, ou les grands laboratoires et leurs groupes financiers ? C'est la question que l'opinion se pose.
Sachez, monsieur le secrétaire d'Etat, que c'est en ces termes que s'interrogent nos concitoyens, c'est-à-dire ceux dont la confiance à votre égard s'amenuise de jour en jour au motif qu'ils ne trouvent pas dans vos propos et dans vos réponses ce qu'ils croyaient pouvoir attendre de vous.
Nous devrions préalablement débattre sur les objectifs de la politique de santé et de protection sociale, pour ensuite en définir la nature et le niveau, et, enfin, pour en préciser les moyens.
Il s'agit, d'abord, des moyens consacrés à la prévention, qu'il faut développer, renforcer et rendre pertinente, y compris par des voies quelque peu contraignantes. Il s'agit, ensuite, du recours possible à des moyens moins coûteux et tout aussi efficaces. Il s'agit, enfin, de garantir à tous le même accès aux soins, y compris aux soins les plus sophistiqués, lorsque cela est nécessaire.
Et on en vient au financement ! En effet, aujourd'hui, il est exclusivement produit à partir de l'assiette salariale soumise à cotisations. Le chômage, qui fait rage, se développe et traduit le plus grave des échecs s'agissant des promesses faites par le candidat Jacques Chirac voilà dix-huit mois, réduit sensiblement cette assiette. Objectivement, on ne peut négliger l'évolution de la production de richesses et, surtout, la différence entre la courbe du développement des emplois, laquelle est à la baisse, et celle des richesses, qui est à la hausse.
La fracture sociale s'aggrave, le fossé s'élargit et la rupture de la cohésion sociale est latente, le mouvement de l'automne dernier en attesterait si cela était nécessaire. Je crois, pour ma part, que nous n'éviterons pas le débat sur l'assiette, son évolution, sa mutation radicale, afin de se « caler » sur la production des richesses.
L'évolution est en effet en cours, à travers la CSG, que vous caressez aujourd'hui alors que vous la condamniez hier. On ne peut toutefois que dénoncer la gestion que vous en faites et qui tourne radicalement le dos aux dispositions du projet de loi adopté par le gouvernement de M. Michel Rocard.
Pour résumer, ce que vous nous proposez se traduit par une prime aux personnes les plus défavorisées et par une réelle ponction sur les ressources des ménages les plus modestes : drôle de façon de relancer la consommation !
Enfin, j'en viens, pour terminer, à l'une des niches que vous avez découvertes. Elle s'est constituée à l'insu de ses pourvoyeurs, à savoir les collectivités territoriales. Il est vrai que la gestion du fonds constitué depuis 1963 pour financer l'allocation temporaire d'invalidité, l'ATI des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers ne fait l'objet d'aucun contrôle. Voilà une imprudence qu'il n'eût pas fallu commettre, mais à laquelle il faut mettre un terme.
Les 4,5 milliards de francs qui appartiennent aux seuls collectivités territoriales et établissements hospitaliers seraient, au titre de l'article 30, récupérés par l'Etat pour honorer, par l'intermédiaire de la CNRACL, ses obligations en matière de solidarité nationale à l'égard des régimes spéciaux déficitaires.
Les collectivités territoriales et leurs élus sont abusés, le fonds constitué pour le financement de l'ATI est spolié, la CNRACL est détournée de son objet ; ce point mériterait d'être soumis au Conseil constitutionnel.
Cette manière d'opérer, qui consiste, en raclant tous les fonds de tiroirs, à faire du « sauve qui peut », n'honore pas le Gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le secrétaire d'Etat. Nous déposerons un amendement visant à supprimer cet article 30 et, par ailleurs, nous demandons l'organisation d'un débat afin d'examiner, de manière exhaustive, les dispositions relatives à la compensation et à la surcompensation.
Cette offensive en direction des niches ne s'arrête pas là. En effet, je peux encore citer, à l'article 31, le reliquat de la CSS, la contribution sociale de solidarité, soit 900 millions, ou, à l'article 32, les 300 millions pris sur une partie de l'excédent de la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat, qui, à l'origine, était exclusivement réservée au financement de l'indemnité de départ des commerçants et des artisans.
Il est certain que ces aubaines ne se renouvelleront pas, et on ne peut que prendre en compte le caractère précaire et aléatoire de l'ajustement du financement de la sécurité sociale qui en résulte.
Compte tenu de ces quelques observations, de ces insuffisances, des choix politiques qui les dominent et que nous ne partageons pas, les membres du groupe socialiste rejetteront le présent projet de loi.
M. le président. Je me permets de faire observer au groupe socialiste que, avant l'invervention de M. Régnault, il lui restait quatorze minutes. Or M. Régnault a utilisé neuf minutes. Par conséquent, je demande à M. Alain Richard de bien vouloir adapter son discours aux cinq minutes dont dispose encore son groupe.
M. Alain Richard. Lyophiliser ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Voilà un an, lorsque le Gouvernement nous a proposé le plan de réforme de la sécurité sociale, nous en avons approuvé le principe et nous avons salué le courage qui avait présidé à son élaboration, tout comme aujourd'hui nous souscrivons à la saisine du Parlement, appelé à se prononcer sur les équilibres financiers des régimes de sécurité sociale.
L'importance et l'enjeu de la procédure que nous inaugurons aujourd'hui ne sont plus à démontrer. Cela a été rappelé par vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, et par M. Barrot, mais aussi par le président de la commission des affaires sociales, avec le talent que chacun lui connaît, et par les rapporteurs, et il convient de rendre hommage à leurs compétences.
Elle doit permettre au Parlement d'envisager de façon globale les grandes orientations de la politique de santé, en liaison avec les moyens et les missions assignés à la sécurité sociale.
Le système de financement de la sécurité sociale a, dans le passé, souvent été mis en place de manière empirique, nous le savons, sans l'élaboration de normes traduisant des choix clairs. Il en est résulté une dérive qui a mis en cause les fondements mêmes du système. Comparativement, l'utilité des lois de financement de la sécurité sociale est indéniable pour permettre de clarifier les procédures, de les rendre plus cohérentes, d'en assurer la transparence et de mieux les faire comprendre par le pays.
M. Charles Descours, rapporteur. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Cela représente également une responsabilité pour nous, parlementaires, que nous devons assumer avec lucidité.
Je voudrais très rapidement évoquer deux séries de mesures que contient le projet de loi.
J'examinerai, tout d'abord, l'extension de l'assiette de la CSG et sa substitution progressive à la cotisation maladie, qui est une réforme importante. En effet, et les chiffres de cette année sont éloquents, le déficit de l'assurance maladie vient, pour une part, de la trop faible croissance de la masse salariale, du ralentissement de l'activité économique.
Un tel constat ne peut que conduire à accélérer le mouvement consistant d'élargissement de l'assiette des recettes, qui demeurent actuellement trop dépendantes des salaires et pas assez des autres revenus.
La protection sociale s'est par ailleurs engagée, au fil des ans, dans une logique de solidarité générale, induisant un relâchement du lien entre activité professionnelle et droit à prestation.
Parallèlement, la structure du revenu des ménages s'est progressivement modifiée, aboutissant à la réduction de la part de leurs revenus d'activité proprement dits, et par là même à la réduction de l'assiette de leurs cotisations sociales.
Sur la part de financement incombant à la CSG, l'ensemble des propositions présentées vont dans le bon sens, et nous les approuvons.
En ce qui concerne certaines ressources ponctuelles nouvelles, j'exprime, en revanche, des réserves. Je citerai pour exemple les droits relatifs aux alcools, non pas sur leur principe, mais sur leur répartition. Peut-on justifier la fixation des taux en fonction de la capacité déjà démontrée - ou supposée - de mobilisation des uns et des autres, ne doit-on pas rechercher une répartition équitable ? Peut-on frapper tel secteur d'activité et en épargner d'autres en fonction de critères difficilement justifiables ?
C'est au nom de l'équité que je ne pourrai me rallier à la solution proposée et que je voterai un amendement allant dans le sens d'une plus grande justice.
Le deuxième volet de ce projet de loi concerne la mise en oeuvre de mesures d'économies permettant de réduire le déficit de la sécurité sociale de façon durable.
On ne peut indéfiniment, surtout en période de crise, accentuer les ponctions, alors que le plafonnement des dépenses, voire leur réduction, constitue la réponse appropriée.
L'attention se concentre à juste titre sur les dépenses de santé, dont il revient de fixer le taux d'augmentation pour 1997. Je suis convaincu que l'objectif fixé est tenable s'il y a responsabilisation de tous les acteurs sans exception et s'il y a confiance dans la capacité d'associer nos concitoyens à la mise en oeuvre de la réforme.
M. Jacques Machet, rapporteur. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Il faut qu'au-delà des professionnels de la santé le pays tout entier accepte sa part de l'effort. Or celui-ci est demandé, pour l'essentiel, au secteur de la santé, notamment à l'hôpital, à son secteur public comme à son secteur privé, et aux professions médicales.
Comment ne pas évoquer l'état de profonde inquiétude que connaissent de nombreux professionnels de la santé, dans le climat de crise identitaire que traversent les médecins ? La réforme impose aux membres du corps médical d'affronter des problèmes auxquels leur formation ne les avait pas forcément préparés.
M. Charles Descours, rapporteur. C'est vrai !
M. Daniel Hoeffel. Elle intervient alors que le statut social des médecins s'est profondément transformé au cours des dernières années et elle exige la mise en oeuvre ou la consolidation des outils de la maîtrise médicalisée : informatisation des cabinets médicaux, références médicales opposables, formation médicale continue et carnet de santé.
Elle fait naître, enfin, chez les médecins libéraux - comme d'ailleurs dans les hôpitaux, les cliniques privées et les officines - la crainte de l'inégalité dans la répartition de l'effort. L'excellent rapport de notre collègue Charles Descours s'en fait l'écho.
La réforme rend donc d'autant plus indispensable l'instauration d'un dialogue confiant avec les médecins, et je me réjouis du climat qui a régné voilà quelques jours, à Strasbourg, lors de la rencontre entre M. Jacques Barrot et nombre d'entre eux.
Dans cet esprit, monsieur le secrétaire d'Etat, nos encouragements vous sont acquis, et nous avons le sentiment que la réforme en profondeur que vous nous proposez, qui supppose courage, sens de la pédagogie et équité dans la répartition de l'effort, constitue une opportunité à saisir par tous ceux qui ont le souci de préserver l'essentiel d'un régime dont la France a pu être légitimement fière et qui doit à présent, en France comme chez la plupart de nos partenaires, être adapté à un contexte nouveau. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pluchet.
M. Alain Pluchet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, pour la première fois dans l'histoire de la République, la représentation nationale est invitée à se prononcer sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale dans le cadre de la réforme entreprise par le Gouvernement. C'est donc l'occasion d'un débat important sur les principes mêmes qui ont fondé cette réforme, notamment sur celui d'« une réduction des inégalités de ressources entre régions et établissements ». C'est la raison pour laquelle je fais cette brève intervention.
A la lumière du rapport du Haut comité de la santé publique, j'ai malheureusement été forcé de constater que ce financement équitable de notre système de soins n'existe pas : la Haute-Normandie figure notamment parmi les six régions les moins favorisées et se distingue à la fois par des indicateurs de santé toujours inquiétants et une offre de soins moins développée qu'ailleurs. Ainsi, à titre d'exemple, elle figure parmi les régions ou l'espérance de vie est inférieure à la moyenne nationale. Concernant les personnels de santé, alors que la densité des médecins, en France, est estimé à 295 pour 100 000 habitants, elle n'est que de moins de 23 médecins dans notre région.
La Haute-Normandie connaît également l'une des plus faibles densités nationales d'infirmiers, de dentistes, de pharmaciens, de sages-femmes. Ces écarts sont d'autant plus criants que la Haute-Normandie figure parmi les régions où les besoins sont les plus importants, la proportion des femmes en âge de procréer et le taux de natalité y étant supérieurs à la moyenne nationale.
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Alain Pluchet. La Haute-Normandie a besoin que soient mises en oeuvre des actions correctrices permettant non seulement d'améliorer l'état de santé dans la région, mais aussi de développer la qualité des soins en fonction des besoins.
J'espère, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement, maintenant alerté, sera désormais plus sensible à une réalité dont nos concitoyens normands ne devraient pas avoir à souffrir.
Cela dit, je ne manquerai naturellement pas de voter le présent projet de loi de financement tel qu'il résultera des travaux du Sénat. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Richard.
M. Alain Richard. En essayant de m'en tenir au temps très bref qui m'est imparti,...
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat. Ce sera encore meilleur ! (Sourires.)
M. Alain Richard. ... je voudrais dire que le système d'orientation que comporte la réforme constitutionnelle de l'année dernière n'est pas encore au point. Nous avons critiqué la façon dont il a été mis en place, mais il est logique - c'est d'ailleurs une position générale dans tous les groupes au sein de cette assemblée - qu'il y ait débat démocratique et confrontation d'idées sur l'orientation de notre système de protection sociale. Nous participerons donc à ce débat.
Qu'il me soit simplement permis de souligner, à l'attention de ceux de nos collègues qui pensent que, systématiquement, la présentation de comptes globaux et la tenue d'un débat parlementaire sont un facteur de remise en ordre des comptes, que l'expérience de quelques dizaines d'années de lois de finances nous a démontré qu'il peut continuer à y avoir litige sur la façon de présenter tel ou tel compte ou sur les changements d'imputation, et que le gain de clarté n'est pas toujours immédiat ni évident.
L'autre limite de ce genre de débat, c'est que nous touchons finalement là à une question clef, à savoir notre rôle d'élus de la nation : nous devons faire la part entre la volonté politique pour faire évoluer des grands systèmes de ce genre et les mouvements de la société, les attitudes en matière de santé, les besoins tels qu'ils sont ressentis dans la société ou les tendances démographiques. Tout cela n'est pas sous le commandement du législateur, ce qui doit nous inciter à une certaine modestie.
Dans les prévisions pour 1997, que j'essaie d'analyser tout en observant la situation concrète de 1996, je note trois grands sujets de désaccord entre nous. Mais, bien entendu, si je ne parle pas de certains sujets, cela ne signifie pas pour autant qu'il y ait désaccord sur tout.
Le premier de ces grands sujets est, bien sûr, la déconvenue liée à la faiblesse de la croissance, avec ses effets sur la masse salariale. Je ne suis pas en mesure - mais peut-être, monsieur le secrétaire d'Etat, nous donnerez-vous des précisions sur ce point - d'évaluer exactement quelle est la part du ralentissement économique et de ses effets sur la masse salariale dans l'écart entre la prévision annoncée par M. Jacques Barrot ici même l'année dernière et le « probablement réalisable » en 1996, mais je pense que l'on n'est pas loin de la moitié.
C'est l'occasion de se rappeler que la protection sociale est plus vulnérable que le budget de l'Etat aux mouvements conjoncturels puisque, par définition, dans le budget de l'Etat, une bonne moitié des recettes résultat d'effets différés et portent sur des valeurs économiques qui ne sont pas strictement liées à la conjoncture ; en revanche, la protection sociale, elle, réagit beaucoup plus vite aux aléas de la conjoncture.
Le problème peut d'ailleurs se poser à nouveau en 1997, car, si nous conservons une croissance un peu plus faible en 1997 que celle qui figure aujourd'hui dans les hypothèses économiques, nous risquons alors d'avoir une masse salariale peu évolutive, et je voudrais être sûr que les recettes n'ont pas été surestimées. Je crois surtout que cela implique un certain retour critique sur les choix de politique économique qui ont été faits depuis deux ans et qui expliquent cette croissance insuffisante.
Je rappelle que, dans le contexte économique actuel, la croissance économique de la France est inférieure à la moyenne de celle des pays comparables d'Europe. Il faut tout de même chercher là quelque explication !
Il était plus aisé de prévoir la deuxième difficulté, qui tient au retard pris dans la maîtrise des dépenses de santé. Les 2,1 % d'évolution qui étaient prévus, presque proclamés, dirais-je, par le Gouvernement il y a juste un an seront, en réalité, bien supérieurs, et cela n'est d'ailleurs pas inexplicable : avant novembre 1995, s'étaient accumulés divers facteurs qui restreignaient beaucoup vos chances d'atteindre cet objectif.
D'une part - mais je ne veux pas entrer dans une discussion partisane - il y a bien eu une démarche politique des formations constituant aujourd'hui la majorité vers les professions médicales, ce qui ne les a pas aidées à progresser vers une régulation de l'économie de la santé. Je partage à cet égard le point de vue de M. Hoeffel, selon lequel collectivement, socialement, les professionnels de la santé n'ont pas été préparés, par leur exercice indépendant, à la régulation financière ; mais il est de la responsabilité des politiques de faire passer un message et, pour le moins, vous en avez changé depuis un an.
D'autre part, la deuxième cause, qui est un peu liée à la première, tient au retard qui avait été accumulé depuis trois ans dans la préparation des mesures concrètes qui pouvaient organiser la régulation.
Mon intérêt, aujourd'hui, n'est pas de m'en réjouir, mais de dire que du travail doit être fait pour rassembler toutes les énergies afin que, de façon négociée, de façon respectueuse de l'indépendance des médecins, des résultats soient acquis en matière de négociation.
Aujourd'hui, ces négociations se déroulent dans une ambiance qui n'est pas favorable, des difficultés pratiques ne sont pas encore surmontées. On a cité l'exemple des médicaments génériques, on peut aussi citer le malheureux épisode du débat sur les ambulanciers. Il y a là encore un effort de méthode et de concertation à entreprendre.
Le dernier point sur lequel des progrès doivent être faits, c'est la réorganisation du financement.
Certaines des mesures de transfert qui aident à boucler cette loi de financement cette année sont hautement discutables. Nous avons déjà cité la CNRACL, mais il y a aussi la façon un peu hâtive dont est tranché un contentieux de cotisation entre EDF et l'URSSAF, le transfert du régime des accidents du travail vers celui de l'assurance maladie et le siphonnage des réserves du régime militaire.
On le voit, tout système de loi de financement suscite la tentation de recourir à un certain nombre d'expédients financiers. Cela se faisait avant et, même si cela se fait maintenant au vu du Parlement, nous nous devons tout de même d'être collectivement plus ambitieux sur les méthodes de financement.
De ce point de vue, précisément, l'évolution vers une part de CSG élargie plus importante mérite considération. Toutefois, je veux souligner - le débat vaut d'ailleurs aussi bien pour l'opposition que pour la majorité - que l'accroissement de la part de la CSG - donc d'un prélèvement proportionnel sur les revenus - dans notre système de financement posera un jour le problème de la progressivité.
Lorsque l'on avait instauré la CSG, en 1990, on avait prévu - c'était un peu du bricolage - un petit abattement à la base sous forme de remboursement de cotisations vieillesse, de manière que les plus bas revenus cotisent un peu moins, en pourcentage, que les plus hauts revenus.
Cela n'avait pas grande importance puisqu'il s'agissait d'un prélèvement à 1 %. Maintenant que l'on s'oriente vers un prélèvement de 3 % ou 4 % du revenu, c'est-à-dire un montant qui devient comparable à celui de l'impôt sur le revenu, la recherche d'une méthode pratique permettant un minimum de progressivité me paraît être un défi pour tous.
En conclusion, si la volonté politique de consolider un système de solidarité est exprimée par chacun sur ces travées, nous n'avons pas tous la même vision des conséquences à en tirer. Nous craignons, nous, que la difficulté dans laquelle vous êtes, monsieur le ministre, pour équilibrer notre système de protection sociale ne contribue à maintenir sa précarité dans l'esprit du public et, par conséquent, à saper un pilier majeur de notre société. Voilà pourquoi nous appelons chacun à recréer un rapport de confiance et d'adhésion avec notre système de protection sociale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Arnaud.
M. Philippe Arnaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer avec sérénité le courage et la détermination dont le ministre du travail et des affaires sociales fait preuve pour apporter des réponses au difficile et délicat problème du maintien de notre système de protection sociale.
Vous me pardonnerez, monsieur le secrétaire d'Etat, de ne pas intervenir sur le fond ; les collègues de mon groupe l'ont excellemment fait avant moi.
J'approuve les objectifs visés et, dans l'ensemble, les modalités proposées pour les atteindre. Toutefois, un point me pose problème et heurte mon sens de la justice. Il s'agit des mesures, contenues dans l'article 24, visant à lutter contre l'alcoolisme et à produire des recettes à la sécurité sociale.
Nous savons tous que, pour lutter contre l'alcoolisme, la prévention est la meilleure arme et que, à cet égard, notre public privilégié doit être le public des jeunes.
Vous avez dit tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat, que, si la santé était d'abord un bien individuel, elle était aussi un bien collectif dont l'avenir dépendait de la réalité des solidarités collectives. Sur ce point, je vous approuve totalement.
Vous avez également fait part de votre inquiétude sur les causes de mortalité chez les jeunes, liées notamment à certaines « habitudes de vie », dont la recrudescence de la consommation alcoolique.
Mes chers collègues, ces jeunes sont-ils des consommateurs de spiritueux, parmi lesquels on compte des produits haut de gamme comme le cognac ou l'armagnac, produits chers et donc inaccessibles à leur bourse ?
D'ailleurs, ces produits, déjà lourdement taxés, ne représentent que 0,6 % de la consommation alcoolique en France.
En outre, s'il est vrai que la bière est d'une consommation courante chez les jeunes, elle reste un alcool parmi d'autres, représentant 18 % de la consommation alcoolique, alors que le vin, produit, certes noble, de nos vignes, représente, à lui seul, 60 % de la consommation totale.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je constate que tous les produits alcoolisés ne sont pas visés à l'article 24. Comme je ne peux croire qu'il s'agisse là d'une soumission à tel ou tel lobby, je reste convaincu qu'il s'agit d'un oubli technique qui saura être vite réparé.
C'est pourquoi, monsieur le secrétaire d'Etat, un certain nombre de collègues et moi-même vous demandons de compléter l'article 24 en élargissant l'assiette de recouvrement aux vins.
Monsieur le secrétaire d'Etat, un verre de 4 centilitres de cognac contient 1,6 centilitre d'alcool pur, autant qu'un verre de vin de 15 centilitres, autant qu'une canette de bière de 33 centilitres. Or le cognac est déjà taxé à 1,78 franc du verre, contre 20 centimes pour la bière et seulement 3 centimes pour le vin.
Si l'on acceptait de faire passer les droits sur le vin à 29,60 francs par hectolitre, cela ne représenterait que 5 ou 6 centimes par bouteille de 75 centilitres, soit moins de 1 centime par verre. Sérieusement, est-ce de nature à mettre en péril le marché du vin ?
Cette demande, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, se fonde exclusivement sur un souci d'équité. Toute mesure discriminatoire génère un sentiment d'injustice, et les répétitions de ces discriminations accroissent ce sentiment jusqu'au rejet.
Il est fini le temps des privilèges ; nous sommes - vous l'avez rappelé tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat - au temps des solidarités. Que chacun contribue à l'effort national qui est demandé ne serait que justice.
Je comprends la position que M. le président Fourcade a exprimée a priori ; il ne veut pas qu'un point de détail comme celui-ci vienne occulter le fond du dossier.
Mais, monsieur Fourcade, il serait regrettable que ce point de détail devienne un grain de sable, d'autant que notre souci d'équité se traduit par un élargissement et non par une restriction de l'assiette. Et puisqu'il s'agit d'un point de détail, n'en faisons pas une affaire !
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je vous remercie de m'avoir écouté et, je l'espère, entendu, car je connais votre sagesse et votre sens de la justice. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Belcour.
M. Henri Belcour. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, quelque cinquante années après l'institution définitive de la sécurité sociale, la représentation nationale va pouvoir enfin se prononcer sur les prévisions de recettes et de dépenses du plus gros budget de la nation.
Nous sommes, je le pense, tous conscients, dans cet hémicycle, de vivre là un moment important de notre histoire sociale nationale.
Il y a un an, en effet, le Premier ministre dévoilait au Parlement les axes d'une véritable réforme, refondatrice de l'instrument essentiel de notre protection sociale.
S'étant fixé l'objectif principal d'assurer la pérennité de la sécurité sociale, menacée de faillite, le Gouvernement, on peut le dire, a fait preuve d'opiniâtreté dans la conduite de ce dossier. Malgré l'ampleur et la difficulté de la tâche, malgré de nombreux obstacles, de nombreuses oppositions, la réforme, on le voit, est conduite à son terme.
A la suite de la dernière révision constitutionnelle, la représentation nationale, véritable « clé de voûte » de la nouvelle politique ainsi mise en oeuvre, comme cela a déjà été dit, va se prononcer non seulement sur les équilibres financiers généraux, mais aussi, et surtout, sur les orientations en matière de politique de santé et de protection sociale. Il convient de constater, à ce sujet, que le calendrier initialement annoncé a été respecté.
Les rapports remis au Parlement à cette occasion devraient parfaire l'information de ce dernier et l'aider dans sa tâche. Il en est ainsi des travaux préalables de la conférence nationale de santé, même si l'on peut regretter ici un manque de temps pour la bonne tenue des rencontres, contrepartie sans doute du respect scrupuleux des échéances fixées.
Pour ma part, si vous le permettez, je voudrais revenir principalement sur le volet de ce projet de loi consacré à l'assurance maladie pour faire part des quelques remarques et interrogations que ce texte suscite chez le professionnel de la santé que je suis.
Dans le cadre des dispositions relatives à l'équilibre financier qui nous sont ainsi soumises, on fixe l'objectif national des dépenses d'assurance maladie, qui correspond à l'ensemble des soins de santé liés aux risques maladie, maternité et accidents du travail.
La détermination d'une enveloppe globale de 600,2 milliards de francs semble donc confirmer la volonté de poursuivre la politique de maîtrise médicalisée des dépenses visant au « juste soin ».
C'est donc sur la base de cet objectif que devront être négociés, par convention entre les caisses, les professions de santé et les hôpitaux, les différents objectifs prévisionnels d'évolution à la fois des dépenses de soins de ville, des dépenses médicales et des dépenses hospitalières.
Au sujet de ces négociations, je voudrais vous dire, monsieur le secrétaire d'Etat, l'inquiétude, voire la vive préoccupation, constatées actuellement chez les membres du corps médical.
Les médecins, qu'ils soient de ville ou de campagne, généralistes ou spécialistes, sont très attachés aux principes qui régissent l'exercice libéral de la médecine, dans lequel la plupart de nos concitoyens ont placé leur confiance.
Aujourd'hui, ils ont l'impression qu'on veut leur imputer le déficit du régime de l'assurance maladie.
En dépit de tous les efforts déployés, que je reconnais d'ailleurs bien volontiers, monsieur le secrétaire d'Etat, pour favoriser la discussion, la concertation et la négociation, le corps médical, dans sa majorité, à tort ou à raison d'ailleurs, pense que cette réforme d'importance se réalise sans qu'on le consulte vraiment, sans tenir compte de ses avis.
Il ne s'agit pas seulement d'une prise de position officielle. Il s'agit, en fait, de plus que cela : l'émoi étreint tous les médecins de famille, et ce jusque dans nos campagnes. Ceux-ci ont l'impression qu'on leur fait jouer le rôle de bouc émissaire.
Pourtant, dans le domaine du déficit financier de la santé, nous savons tous que la responsabilité est plurielle et qu'elle incombe aussi aux utilisateurs, qui estiment parfois que le souci du maintien de leur santé peut justifier toutes les dépenses, et aux gestionnaires d'établissements de soin, qui font passer parfois valorisation et prestige personnels avant toute gestion rationnelle. De la même manière, le corps médical, qu'il soit libéral ou hospitalier, a trop longtemps ignoré l'impact économique de l'exercice de la médecine.
Certes, nous savons que l'effort demandé aux médecins s'inscrit dans une logique globale, où tous les acteurs du système de santé et de sécurité sociale ont été sollicités. On pourra ainsi évoquer la contribution exceptionnelle supportée par l'industrie pharmaceutique, la taxe de 6 % instaurée sur les contributions des employeurs au financement des prestations de prévoyance complémentaire, les économies de gestion imposées aux caisses de sécurité sociale ou bien encore la limitation du taux directeur hospitalier à 2,1 % en 1996.
Mais, apparemment, ce dispositif ne semble pas clairement expliqué et, par voie de conséquence, clairement compris. Redisons aux médecins que la contribution qui leur est demandée est exceptionnelle et qu'elle ne saurait être banalisée dans les années à venir.
Rappelons aussi qu'elle sera affectée au fonds de réorientation et de modernisation de la médecine libérale, et que son paiement pourra être échelonné et déductible de l'impôt sur le revenu.
Voilà donc où votre effort, mais aussi notre effort commun, doit porter, monsieur le secrétaire d'Etat. Mon collègue Charles Descours, rapporteur de ce projet de loi, a d'ailleurs eu déjà l'occasion d'évoquer, parmi les conditions indispensables à la bonne marche de cette réforme, l'impératif de rétablir le dialogue et la confiance avec les professionnels de santé, comme avec l'opinion publique en général.
La population médicale peut être - j'en suis intimement persuadé - un interlocuteur actif de qualité.
Les médecins reconnaissent la nécessité d'un plan de sauvetage. J'en veux pour preuve un sondage réalisé par l'IFOP, en juillet, auprès de 550 d'entre eux, sondage dont vous avez sans doute eu connaissance, monsieur le secrétaire d'Etat : 76 % des généralistes et 72 % des spécialistes se sont alors déclarés favorables à la maîtrise des dépenses. De même, 80 % des généralistes et 68 % des spécialistes pensaient alors que « le contrôle des dépenses permettrait de mettre un frein à la demande de leurs patients ».
L'inquiétude actuelle semble donc témoigner d'une incompréhension face au dispositif avancé par le Gouvernement. Pourtant, nous savons que ce dernier compte fermement sur une collaboration avec le corps médical pour bâtir cette nouvelle politique de la santé. Et, réciproquement, les médecins ont déjà avancé, de leur côté, des propositions à la fois concrètes et dignes d'intérêt. On citera, notamment, la maîtrise médicalisée des dépenses - par opposition à une maîtrise purement comptable - qui se fonde sur des outils mis en pratique par la profession, comme les références médicales opposables, le carnet de santé, la formation médicale continue ou bien encore l'informatisation.
Il devrait donc y avoir non pas un malentendu ou un face à face entre les uns et les autres, mais plutôt un souci de renforcer le dialogue pour définir la médecine de demain. Nous savons pouvoir compter sur votre compréhension à ce sujet, monsieur le secrétaire d'Etat.
Je voudrais à présent évoquer très brièvement l'impact financier que pourront avoir les décisions de santé publique, telles que les campagnes de vaccination et de dépistage, concernant les hépatites par exemple. On peut s'interroger : dans quelle mesure celles-ci ne viendraient-elles pas hypothéquer l'objectif proposé en matière d'évolution des dépenses d'assurance maladie, même s'il est, bien entendu, hors de question de remettre en cause leur nécessité ?
A l'occasion de l'examen de ce projet de loi, il faut également rappeler l'importance de la prévention sanitaire, de laquelle dépendent tant l'état de santé de nos concitoyens que l'état financier de notre système de protection sociale ! A ce titre, la prévention ne saurait être passée sous silence, d'autant plus qu'elle est sans aucun doute perfectible. La mobilisation financière apparaît, à ce sujet, comme étant quelque peu modeste. De même, l'effort de formation professionnelle relative à la médecine préventive peut certainement être encore poursuivi et amplifié.
Voilà donc, de manière succincte et, je l'espère, sans trop de redites à cette heure tardive, les quelques remarques que m'inspire l'examen de ce texte dont je tiens à rappeler l'importance.
Il s'agit là non plus d'un simple replâtrage, mais bien d'une réforme structurelle courageuse, et nécessaire, pour préserver notre système de protection sociale. Et l'on sait combien les réformes courageuses sont, hélas ! souvent mal perçues. Pourtant, pouvons-nous encore attendre ? Avec quelque 180 000 francs de dettes pesant sur chaque Français actif, avons-nous le droit de laisser se creuser encore les déficits sociaux que nous laisserions en legs aux futures générations ?
A ceux qui disent que la nouvelle politique ainsi définie est trop exigeante, on peut rétorquer qu'elle est dictée par l'impératif de sauver un système qui, sans cela, court à la faillite.
Gageons que nos compatriotes dans leur ensemble, qu'ils soient soignés ou soignants, en auront conscience. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Guy Robert.
M. Guy Robert. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il faut tout d'abord se féliciter du rôle qui est désormais assigné au Parlement, grâce à l'examen et au vote du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Le grand mérite en revient à ce gouvernement, et je tenais à le souligner au préalable.
Si l'on remonte aux origines de notre système de sécurité sociale, c'est-à-dire aux ordonnances de 1945, on constate que les principes édictés par les « pères fondateurs », comme on dit, excluaient a priori l'intervention du Parlement.
Géré par des conseils élus par les assurés et représentant l'ensemble des partenaires sociaux, le système devait, en théorie, garder son autonomie par rapport à la sphère politique. Or deux phénomènes conjugués ont remis en cause cette conception originelle.
Il s'agit, tout d'abord, de l'absence de toute démocratie interne, d'une très faible participation aux élections, du monopole du pouvoir au profit d'une centrale syndicale en particulier, et, ensuite, de la crise financière du système. Les conséquences de cette situation furent l'apparition de déficits croissants et la très faible légitimité des institutions de la sécurité sociale.
Le Sénat et l'Assemblée nationale ont été appelés à intervenir de plus en plus fréquemment ces dernières années, à travers différents plans de redressement ponctuels. Des initiatives, à l'origine desquelles se trouvait d'ailleurs notre majorité, ont été prises afin de mieux associer le Parlement à la gestion de la sécurité sociale.
Ainsi, en 1987, un décret a augmenté le nombre des parlementaires au sein de la commission des comptes de la sécurité sociale.
En 1994, la loi du 25 juillet 1994 a accru dans des proportions très importantes l'information du Parlement sur les dépenses sociales. Ce texte prévoyait un débat parlementaire annuel sur l'évolution des dépenses et des recettes du régime général, débat dont nous savons qu'il n'était pas suivi d'un vote.
Nous abordons donc une nouvelle étape, qui apparaît relativement logique. Comment justifier, en effet, le fait que les représentants de la nation ne puissent se prononcer sur un budget de la sécurité sociale supérieur au budget de l'Etat ? Il représente, en effet, 1 700 milliards de francs, contre 1 634 milliards dans le projet de budget pour 1997. C'est pourquoi la réforme constitutionnelle lancée par le Gouvernement, qui nous permet de nous prononcer non seulement sur les comptes sociaux, mais également sur les grandes orientations des politiques de sécurité sociale et de santé publique, est d'une importance majeure.
Certains me rétorqueront probablement que le Gouvernement accomplit une « étatisation » des différents régimes de sécurité sociale. Or c'est tout le contraire : nous assistons à une forme de réappropriation de leur protection sociale par les Français, qui ont été trop longtemps exclus d'une gestion devenue opaque et anarchique.
Au-delà de cet aspect strictement institutionnel, je me félicite de la façon dont vous avez étroitement associé le Sénat à l'élaboration des ordonnances, à travers une concertation inédite, fort intelligente et efficace, en particulier par l'intermédiaire de la commission des affaires sociales.
Ce travail de fond faisait notamment suite aux auditions et au rapport de la mission parlementaire d'information sur la sécurité sociale. Permettez-moi de regretter à ce propos que cette mission constituée de députés n'ait pas pu perdurer sous la forme d'une commission permanente au sein des deux assemblées. Une telle structure serait un très utile observatoire des conditions d'application de la réforme, au-delà des clivages partisans qui, selon moi, n'ont pas lieu d'être sur un dossier aussi crucial que celui de l'avenir de la protection sociale dans notre pays.
Le problème se pose surtout pour le volet de la réforme concernant la maîtrise médicalisée, alors que les différents outils de cette politique continuent à se mettre en place, sous la forme d'une vingtaine de décrets qui devraient être publiés avant la fin de l'année. Monsieur le secrétaire d'Etat, je voterai ce texte parce que vous-même et M. Barrot, et plus généralement le Gouvernement, y avez apporté les meilleures solutions qui étaient à votre disposition, et cela en très peu de temps.
L'un de nos collègues a souhaité que cette discussion se déroule par exemple au mois de mars. Eh bien, moi, je dis non, parce qu'un exercice commence dès le 1er janvier. Je pense donc que vous avez fait au mieux.
Permettez-moi seulement, monsieur le secrétariat d'Etat, de faire une suggestion. Ce budget comporte naturellement des recettes et des dépenses, mais aussi des orientations pour la sécurité sociale et la santé publique, et ce volet orientation doit, me semble-t-il, revenir tout particulièrement au Parlement.
Je souhaiterais donc que, pour l'examen du projet de loi de financement pour 1998, le Gouvernement propose la création d'une commission permanente dans chaque assemblée, qui serait en relation directe non seulement avec les services du ministère mais également avec les organisations de la santé publique, les médecins et les organisations syndicales afin d'être à même de proposer, en préalable au texte lui-même, des orientations réfléchies. Par ailleurs, il serait bon qu'une certaine communication soit faite de ses travaux pour que les assujettis puissent les admettre plus facilement.
Je terminerai en me référant aux quatre pistes évoquées ce matin par M. Fourcade, à savoir la responsabilisation, les mesures nouvelles et la clarification des tâches, la décentralisation et la restructuration. Eh bien, tout cela ferait partie de ces orientations.
Je souhaiterais donc que ces commissions permanentes, qui seraient composées de parlementaires peu nombreux et choisis en fonction de leurs compétences, soient à même de réfléchir à ces questions. En effet, comme l'a dit M. Fourcade, le Parlement doit avoir le courage d'aider le Gouvernement.
Mes chers collègues, naturellement, je voterai ce texte, parce que notre régime de sécurité sociale, ce fleuron de notre protection sociale que bien des pays nous envient, ne doit pas disparaître. Le Gouvernement a mis dans ce projet le meilleur de lui-même et le Parlement doit s'y associer. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance.

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