M. le président. « Art. 6. - Au deuxième alinéa du a du 5 de l'article 158 du code général des impôts, la somme : "21 400 F" est remplacée par la somme : "28 000 F" et l'année : "1983" est remplacée par l'année : "1996". »
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° I-102 est présenté par M. Masseret, Mme Bergé-Lavigne, MM. Charasse, Lise, Massion, Miquel, Moreigne, Régnault, Richard, Sergent et les membres du groupe socialiste et apparentés.
L'amendement n° I-134 est déposé par Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Tous deux tendent à supprimer cet article.
La parole est à M. Masseret, pour défendre l'amendement n° I-102.
M. Jean-Pierre Masseret. S'agissant de l'aménagement de l'abattement de 10 % sur les pensions, nous avons tout à fait le sentiment, dans cette affaire, que le Gouvernement reprend d'une main ce qu'il prétend donner de l'autre avec la réforme de l'impôt sur le revenu.
Cet article 6 vise en effet à réduire le plafond de l'abattement de 10 % sur les retraites et pensions. Cette disposition rapporterait environ 240 millions de francs à l'Etat. Mais ce sont près de deux millions de retraités qui vont connaître le désagrément d'une telle mesure !
En matière de niche fiscale, il y aurait d'autres priorités à mettre en oeuvre plutôt que de s'attaquer ainsi à deux millions de retraités. Etant en désaccord avec cet article, nous en demandons la suppression par cet amendement n° I-102.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau, pour défendre l'amendement n° I-134.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Cet article 6 est sans aucun doute l'un des points les plus surprenants du projet de loi qui nous est soumis.
Il s'agit en effet de modifier les règles fiscales en vigueur pour les revenus de remplacement constitués par les retraites et les pensions en leur appliquant un abattement différencié de celui qui est appliqué aux traitements et aux salaires.
Plusieurs observations s'imposent à l'examen de cette situation nouvelle.
Le traitement fiscal des pensions et des retraites est relativement complexe dans notre code général des impôts, puisque, par exemple - et c'est sans doute ce qui sera mis en avant par le Gouvernement pour justifier cette disposition les règles de calcul du revenu net imposable - déduction de 10 % et abattement de 20 % - sont, de surcroît, assorties d'une disposition spécifique relative aux personnes âgées et invalides, laquelle prévoit un abattement sur le revenu dans certaines limites pour certains contribuables et, en l'occurrence, ceux dont les ressources sont les plus modestes.
De plus, dans un certain nombre de cas, les pensions versées sont purement et simplement exonérées de toute imposition au titre de l'impôt sur le revenu par non-inclusion dans l'assiette imposable.
Dans les faits, la situation des retraités dans notre pays est relativement claire : on dénombre, au total, selon les éléments mis à notre disposition, environ 10,5 millions de pensions et de retraites versées pour un volume global de revenu d'un peu plus de 800 milliards de francs.
Parmi ces retraités, la majeure partie - plus de 6 millions, soit 58 % environ - n'est pas imposable.
Cette situation est toutefois en évolution sur la durée puisque, si le nombre de contribuables pensionnés ou retraités augmente, le nombre de ceux qui sont exonérés de tout paiement de l'impôt sur le revenu diminue.
Notre pays connaît en effet une situation nouvelle fondée sur le fait que commencent à parvenir à la fin de leur vie professionnelle les couches de la population française qui ont, pour le plus grand nombre, effectué une carrière complète sur le plan des points de retraite et qui sont donc susceptibles de bénéficier d'un niveau de pension plus important.
Le nombre des retraités disposant de faibles ressources demeure cependant encore majoritaire, mais il tend à se réduire quand bien même le minimum vieillesse est encore très largement inférieur au SMIC.
Trois dispositions essentielles, que je me permets de vous rappeler, étaient contenues dans la loi de juillet 1993 sur les retraites.
La première concernait les modalités de calcul de la prestation, en faisant référence non plus aux dix meilleures années de rémunération, mais aux vingt-cinq meilleures.
La deuxième portait sur la durée de cotisation, portée de 150 à 160 trimestres, ce qui, dans les faits, remettait en cause le droit à la retraite à soixante ans pour une part croissante de salariés, qui, on le sait, entrent de plus en plus tard dans la vie professionnelle.
La troisième disposition essentielle concernait les modalités de revalorisation des pensions et retraites, désormais alignées sur l'indice des prix à la consommation et non plus sur l'évolution des salaires. On en connaît les conséquences.
Le pouvoir d'achat des retraités s'en est trouvé atteint, comme d'ailleurs celui des futurs retraités.
Les pensions et les retraites du régime général constituent, qu'on le veuille ou non, une forme de salaire différé.
Elles sont un élément indispensable pour répondre à l'un des besoins collectifs les plus importants et il est donc, de notre point de vue, parfaitement anormal de les soumettre à un autre traitement que celui qui affecte les salaires.
Il est d'ailleurs à notre avis significatif que le Gouvernement décide, cette année, de s'attaquer uniquement aux pensions et retraites versées en vertu de principes qui s'appliquent à des prélèvements assis sur les salaires.
Est-ce à dire que, comme pour l'assurance vie, on se prépare à mettre en place une sorte d'exemption fiscale particulière pour les revenus permettant de dégager un complément de retraite et qui viserait à renforcer notamment la part des retraites assurée par la capitalisation ?
Pour l'ensemble de ces raisons, nous vous invitons à adopter cet amendement de suppression de l'article 6 du projet de loi, et à le faire en toute connaissance de cause, c'est-à-dire par scrutin public.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. Je voudrais rappeler que, ce matin, plusieurs orateurs de l'opposition, et notamment ceux du groupe communiste républicain et citoyen, ont fondé leurs critiques et leurs propositions sur les conclusions des rapports Ducamin et de La Martinière.
M. Emmanuel Hamel. Les rapports se trompent souvent !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Selon ces rapports, cet abattement ne se justifie plus, car il est en quelque sorte la transposition de l'abattement pour frais professionnels des actifs ; de plus, son coût est élevé, à savoir 13,8 milliards de francs. En conséquence, les auteurs suggèrent de le supprimer, voire de le limiter.
Mes chers collègues, le plafond reste cependant significatif, puisqu'il sera fixé à 28 000 francs au lieu de 31 900 francs aujourd'hui. Les amendements qui viennent de nous être présentés ne visent pas le revenu de ménages modestes, puisqu'il s'agit de pensions nettes supérieures à 280 000 francs par an.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission a émis un avis défavorable à ces amendements n°s I-102 et I-134.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Le Gouvernement appuie tout à fait les propos de M. le rapporteur.
En réalité, cet abattement de 10 % est une disposition qui est devenue quelque peu archaïque dans notre système fiscal. Si nous avions à bâtir aujourd'hui ex nihilo un impôt sur le revenu des personnes physiques, il est clair qu'un tel abattement ne serait pas institué.
Je suis un peu surpris que, ce matin, le groupe communiste ait longuement fait valoir que les frais professionnels des salariés justifiaient une déduction forfaitaire d'au moins 10 %, voire plus, alors qu'il évoque maintenant la possibilité de maintenir une assimilation pure et simple entre les retraités et les salariés, bien que les retraités, qui ont d'autres problèmes et d'autres handicaps, n'aient, par définition, pas de frais professionnels.
Le Gouvernement propose non pas de supprimer cet avantage, mais de plafonner l'abattement. Le plafond, qui est de 31 900 francs par foyer fiscal pour les revenus de 1995, serait réduit à 28 000 francs l'année prochaine pour les revenus de 1996 et progressivement ramené à 12 000 francs en cinq ans.
Mais, dans le même temps, les retraités bénéficieront, comme tous les autres contribuables, de la baisse des taux. A titre d'exemple, un couple âgé de moins de soixante-cinq ans bénéficiant de deux parts de quotient familial et déclarant des pensions d'un montant de 200 000 francs verra son impôt baisser de près de 1 800 francs dès l'imposition des revenus de 1996. Au terme de la réforme, alors que le plafond de l'abattement sera à son niveau le plus bas, pour ce même couple, l'impôt sur le revenu sera encore réduit de plus de 6 000 francs.
Le Gouvernement est donc défavorable aux amendements n° I-102 et I-134.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s I-102 et I-134, repoussés par la commission et par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 33:
Nombre de votants | 317 |
Nombre de suffrages exprimés | 317 |
Majorité absolue des suffrages | 159 |
Pour l'adoption | 97 |
Contre | 220 |
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 6.
(L'article 6 est adopté.)
Article 7