M. le président. « Art. 59 bis _ I. _ Dans le premier alinéa de l'article 80 quinquies du code général des impôts, les mots : "qui, mentionnées au 8° de l'article 81, sont allouées aux victimes d'accidents du travail et de celles" sont supprimés.
« II. _ En conséquence, dans le 8° de l'article 81 du même code, les mots : "indemnités temporaires," sont supprimés.
« III. _ Les dispositions du I et du II sont applicables à compter de l'imposition des revenus de l'année 1997. »
Sur l'article, la parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'article 59 bis vise à assujettir à l'impôt sur le revenu les indemnités temporaires versées aux victimes d'accidents du travail.
Cet article, adopté par l'Assemblée nationale à l'instigation d'un parlementaire, n'aurait sans aucun doute jamais vu le jour si l'intéressé était, comme beaucoup d'entre nous, originaire d'une ville ouvrière où l'on connaît le prix de la souffrance payé par ceux et celles qui sont victimes d'un accident du travail.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Lucien Neuwirth. Beaucoup d'entre nous avons à l'esprit l'image de ces hommes ou de ces femmes travailleurs lourdement handicapés, meurtris par l'outil qui leur fournissait la subsistance.
Elle est loin pour nous la vision caricaturale, utilisée par certains pour soutenir ce texte, du profiteur tire-au-flanc.
Les auteurs de cette initiative ont développé plusieurs arguments pour justifier leur position.
Le premier argument est d'ordre juridique : puisque l'on venait de fiscaliser les indemnités de maternité, par parallélisme, il convenait de fiscaliser les indemnités temporaires d'accident du travail.
M. Claude Estier. Double erreur !
M. Lucien Neuwirth. Il me semble, mes chers collègues, que c'est méconnaître la nature juridique des indemnités d'accidents du travail.
En effet, un accident du travail est un dommage subi à l'occasion de l'exécution du contrat de travail, ce qui n'est pas le cas d'une maternité. Dès lors, l'indemnité versée à la suite de l'accident ne constitue pas seulement un revenu de remplacement, elle a aussi la nature de dommages et intérêts.
Que cette indemnité soit versée à titre de prestation sociale importe peu : elle vise à réparer un préjudice. C'est pour cela qu'elle a été exclue de l'assiette de l'impôt sur le revenu et c'est pour cela qu'on ne peut faire un parallèle avec les indemnités de maternité, qui constituent un revenu de remplacement.
Le parallélisme avec la situation des fonctionnaires ne me paraît pas non plus pertinent dans la mesure où, si le fonctionnaire reste certes imposé sur son traitement, c'est parce qu'il continue à le percevoir ; en revanche, l'allocation temporaire d'invalidité dont il peut bénéficier en sus, à titre de dédommagement, n'est pas fiscalisée.
Dès 1898, la loi a créé une présomption de responsabilité pesant sur l'entrepreneur du fait des accidents causés dans le cadre du travail aux salariés qu'il emploie. Le corollaire en est la réparation forfaitaire qui peut être dépassée dans la mesure où la faute de l'employeur est démontrée. Le caractère forfaitaire de cette réparation s'oppose à la distinction opérée entre indemnités temporaires et indemnités permanentes puisqu'elles procèdent du même droit indivisible à la réparation.
J'ajoute que les auteurs de ce projet méconnaissent ce qu'est la vie quotidienne de nombre d'accidentés du travail : elle est bien souvent coûteuse non pas seulement en raison des soins, qui sont pris en charge, mais en raison de toutes les petites choses de la vie quotidienne qui ne peuvent plus être accomplies comme auparavant.
Enfin, je ne peux passer sous silence un autre argument retenu par les auteurs de ce projet : la fiscalisation, en rendant moins attractive l'indemnisation, pousserait - disent-ils - à ne pas déclarer l'accident comme accident du travail, ce qui se traduirait par une diminution des accidents du travail et donc par une baisse des cotisations des entreprises. Ce n'est pas sérieux !
Peut-on, mes chers collègues, accréditer un tel raisonnement, qui, une fois mené à son terme, fait peser sur les accidentés du travail un soupçon de fraude et les assimile à ces victimes d'entorse au cours du match de football du dimanche après-midi ou de lombalgies survenues pendant le déménagement d'un ami, comme cela fut dit à l'Assemblée nationale.
La fédération nationale des accidentés du travail proteste contre ce raisonnement, qu'elle juge fallacieux et inique. Elle a bien raison ! S'il y a fraude, il faut la combattre, les inspecteurs des caisses en sont chargés ; mais que le législateur édicte une règle aussi suspicieuse, fondée sur des a priori sans aucune justification, ce n'est pas acceptable ! Il faut nous y opposer.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Lucien Neuwirth. Mes chers collègues, la noblesse de la mission du législateur réside dans sa capacité às'extraire des schémas simplistes et réducteurs, afin de défendre ceux et celles qui, affaiblis, doivent bénéficier de la protection de la société.
C'est pour toutes ces raisons, et parce que nous ne devons pas nous montrer indifférents à la souffrance humaine, et surtout ne pas la suspecter, qu'un certain nombre de membres de la commission des affaires sociales ont déposé un amendement visant à la suppression de cet article. (Applaudissements sur les travées du RPR. - M. Claude Estier applaudit également.)
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.
L'amendement n° II-193 est présenté par M. Lambert, au nom de la commission des finances.
L'amendement n° II-5 est présenté par MM. Neuwirth, Chérioux, Descours, Souvet, Huriet, Machet et Bimbenet.
L'amendement n° II-122 est présenté par Mme Beaudeau, M. Loridant, Mmes Demessine, Fraysse-Cazalis, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° II-160 est présenté par M. Masseret, Mme Bergé-Lavigne, MM. Charasse, Lise, Massion, Miquel, Moreigne, Régnault, Richard, Sergent et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Tous quatre tendent à supprimer l'article 59 bis.
La parole est M. le rapporteur général, pour défendre l'amendement n° II-193.
M. Alain Lambert, rapporteur général. La commission des finances a en effet été alertée par notre excellent collègue M. Neuwirth, qui vient d'exposer le problème d'une manière tout à fait pertinente. D'autres collègues, MM. Grignon et Machet, m'avaient également saisi de cette question.
La commission des finances a fait son travail : elle a analysé le problème. Elle a ainsi remarqué que ces indemnités journalières d'accident du travail pour incapacité temporaire constituaient des revenus de remplacement de même nature que les indemnités journalières de maladie, qui sont déjà fiscalisées, et que les indemnités de maternité, qui vont l'être.
Cependant, elle n'a pas manqué de noter que ces indemnités avaient également une valeur historique et symbolique, qu'a d'ailleurs remarquablement mise en relief M. Neuwirth voilà quelques instants.
C'est la raison pour laquelle la commission des finances a, de son côté, souscrit à l'idée de supprimer cet article.
M. le président. La parole est à M. Neuwirth, pour défendre l'amendement n° II-5.
M. Lucien Neuwirth. Je pense l'avoir déjà défendu, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Billard, pour défendre l'amendement n° II-122.
M. Claude Billard. L'article 59 bis est particulièrement inacceptable dans son principe comme dans ses effets.
L'Assemblée nationale a en effet voté un amendement tendant à rendre imposables au titre de l'impôt sur le revenu les rentes viagères versées aux invalides du travail.
Cette disposition a été adoptée dans un climat bien particulier : celui de la recherche désespérée, par les députés, de ressources permettant d'aboutir à un solde présentable du projet de loi de finances pour 1997, que ce soit par la progression des recettes fiscales ou par la réduction des dépenses.
Le moins que l'on puisse dire est que la mesure qui a été ainsi trouvée est particulièrement mal choisie !
Quant aux arguments développés à l'appui de son adoption, ils sont particulièrement contestables.
Le concepteur de l'amendement, M. Jegou, que je connais comme député de mon département - et qui est toujours à la pointe du combat pour l'équité fiscale ! -, a déclaré en effet :
« Actuellement sont exonérées de l'impôt sur le revenu les indemnités temporaires, prestations et rentes viagères versées à l'occasion d'accidents du travail ou de maladies professionnelles et celles versées aux personnes atteintes d'une affection comportant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse.
« Cette dépense fiscale est estimée à 2 850 millions de francs pour 1996.
« Parallèlement à la fiscalisation des indemnités maternité, adoptée en première partie, il est proposé, par cet amendement, d'exclure, à compter des revenus de 1997, du bénéfice de l'exonération d'impôt les indemnités temporaires versées aux victimes d'accidents du travail qui n'entraînent pas d'incapacité permanente.
« Le gain pour l'Etat de cette mesure peut être mesuré à 500 millions de francs. Celle-ci peut en outre se traduire par une diminution du nombre des accidents du travail » - comment ? Cela n'est pas précisé par M. Jegou ! « -, donc par une baisse des cotisations des entreprises. »
Evidemment, il fallait y penser !
Et comme pour compléter cette argumentation, vous avez cru utile, monsieur le ministre délégué, de préciser ensuite : « Le Gouvernement est sensible à l'effort qui est proposé, à l'initiative de M. Jégou, dont je salue à nouveau le sens des responsabilités, par la commission des finances pour essayer de retrouver les quelques centaines de millions de francs qui nous manquent - si je puis dire - après le vote intervenu sur la première partie de la loi de finances. »
Ainsi donc, dans une conception pour le moins étroite de l'équité fiscale - qui continue d'omettre que, par exemple, l'avoir fiscal coûte plusieurs dizaines de milliards de francs aux comptes publics - et dans la recherche forcenée d'un équilibre budgétaire précaire, le Gouvernement et sa majorité parlementaire se sont retrouvés à l'Assemblée pour s'attaquer comme jamais cela n'avait été fait aux salariés victimes d'accidents du travail.
Je me permets de vous inviter à vous reporter à la page 7127 du Journal officiel des débats de l'Assemblée nationale pour connaître les autres arguments incroyables que l'auteur de l'amendement a avancés afin de justifier cette disposition.
Je le dis comme je le pense, cette argumentation sent mauvais : elle est faite de suspicion, de mauvaise foi et de cette conception étroite de l'équité fiscale que nous dénoncions par ailleurs.
Que les choses soient bien claires : il n'est pas question pour nous d'accepter une mesure discriminatoire, particulièrement scandaleuse quand on sait qu'un grand nombre d'accidents du travail, s'ils ne conduisent pas à une incapacité permanente, occasionnent en revanche de longs arrêts d'activité, marqués par une réduction progressive des prestations versées et donc des moyens de subsistance du salarié et de sa famille.
Ainsi, comme le propose une partie importante des membres de la commission des affaires sociales - nous avons entendu M. Neuwirth - ainsi que d'autres collègues, je ne peux qu'inviter à mon tour notre assemblée à adopter, par scrutin public, cet amendement de suppression.
M. le président. La parole est à M. Richard, pour défendre l'amendement n° II-160.
M. Alain Richard. J'ai peu à ajouter aux observations convergentes que nous venons d'entendre.
Je crois que cette disposition est significative du caractère improvisé d'une méthode budgétaire, assortie d'une conception souvent étroite des choses, qui a aujourd'hui les faveurs d'un certain nombre de députés. Ce n'est pas la première fois que la majorité conservatrice de l'Assemblée nationale se livre à des bricolages pour essayer de faire évoluer le projet de loi de finances qui lui est soumi et d'y mettre sa marque avec un état d'esprit régressif.
Sur le fond, M. Neuwirth l'a bien rappelé, pour l'essentiel, les revenus dont il s'agit sont très limités ; ils sont toujours inférieurs au salaire perdu par les intéressés.
Quant aux arguments qui ont été mis en avant pour justifier cette disposition, ils sont effectivement empreints de suspicion, tendant à suggérer que certains se rendraient victimes d'accident du travail délibérément pour y trouver un avantage ; une telle présentation des choses est à la fois proprement absurde et moralement inacceptable.
Nous sommes donc heureux de constater que la demande de suppression de cet article rassemble une large majorité dans cette assemblée.
M. Emmanuel Hamel. Sur l'initiative de notre collègue Lucien Neuwirth !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur ces quatre amendements identiques ?
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. J'indique d'emblée que, à l'Assemblée nationale, le Gouvernement s'était déclaré défavorable à l'adoption de l'amendement qui a été finalement voté et qui est devenu l'article 59 bis . Il est donc favorable à ces amendements de suppression.
Je voudrais maintenant apporter deux précisions.
Tout d'abord, dans le cadre de la réforme de l'impôt sur le revenu, il ne nous paraît pas anormal de considérer que, de manière générale, les revenus de substitution, de remplacement des revenus d'activité doivent être considérés comme des éléments du revenu imposable, au même titre que les revenus d'activité. Néanmoins, cette règle de principe ne doit pas s'appliquer sans discernement et certains cas peuvent donner lieu à un examen particulier.
En ce qui concerne les indemnités liées aux accidents du travail, il est apparu au Gouvernement qu'il n'était pas possible de s'engager dans la voie souhaitée par l'Assemblée nationale.
Par ailleurs, il convient d'observer que cette disposition avait pour conséquence budgétaire de rapporter 600 millions de francs en 1998 et au-delà et que, à partir du moment où l'article 59 bis disparaîtrait, disparaîtrait donc aussi une ressource de 600 millions de francs.
Je donne cette information au Sénat parce que nous allons être appelés à examiner, dans la suite de la discussion, des amendements qui tendent à accroître les charges de l'année 1998. Il sera, bien sûr, difficile de les prendre en compte dès lors que des décisions sont prises qui rendent plus difficile la réalisation de l'équilibre des budgets futurs.
Sous le bénéfice de ces précisions, le Gouvernement accepte ces amendements de suppression. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Monsieur le président, je demande, moi aussi, que le Sénat se prononce par un scrutin public.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s II-193, II-5, II-122 et II-160, acceptés par le Gouvernement.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe communiste républicain et citoyen et, l'autre, de la commission des finances.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 48:
Nombre de votants | 316 |
Nombre de suffrages exprimés | 316 |
Majorité absolue des suffrages | 159 |
Pour l'adoption | 316 |
En conséquence, l'article 59 bis est supprimé.
Article 59 ter