DÉTENTION PROVISOIRE
Adoption d'un projet de loi
en nouvelle lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi (n°
99, 1996-1997), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle
lecture, relatif à la détention provisoire. [Rapport (n° 118, 1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, aujourd'hui, le projet de loi relatif à la
détention provisoire est soumis à votre examen en deuxième et dernière
lecture.
Comme vous le savez, ce texte présente une particulière importance aux yeux du
Gouvernement.
La commission mixte paritaire n'a pu aboutir à un texte commun, ayant répondu
négativement à une question posée par le président de votre commission des lois
consistant à lui demander si elle souhaitait engager ces travaux. Le
Gouvernement a alors demandé qu'il soit fait application du dernier alinéa de
l'article 45 de la Constitution afin qu'aient lieu une nouvelle lecture dans
chaque assemblée, puis une dernière lecture à l'Assemblée nationale, ce qui, je
crois, est prévu dans les jours prochains.
En fait, il n'y a pas de divergence de fond considérable entre l'Assemblée
nationale et le Sénat. Comme le note M. Georges Othily dans son rapport écrit,
il existe de larges convergences de fond, entre l'Assemblée nationale et le
Sénat, sur les points essentiels du projet de loi, à savoir : la limitation du
recours à la notion d'ordre public comme critère du placement en détention
provisoire ; la limitation de la durée des détentions provisoires par
l'insertion dans le code de procédure pénal de la notion de « durée raisonnable
» et par l'institution de nouveaux délais « butoir » ; enfin, le renforcement
de l'efficacité de la procédure de référé-liberté.
Subsistent, en réalité, trois divergences, dont les deux premières portent sur
les modalités d'application des deux derniers objectifs que je viens de citer,
la dernière concernant une disposition ajoutée au projet de loi initial par
l'Assemblée nationale et qui concerne la communication des pièces d'une
procédure par un avocat à son client.
Je me bornerai à examiner ces trois points.
J'insisterai ensuite sur un amendement que le Gouvernement a été amené à vous
présenter aujourd'hui et qui concerne, vous le savez, la question des
perquisitions de nuit en matière de lutte contre le terrorisme.
Le premier point de divergence entre le Sénat et l'Assemblée nationale - je
suis l'ordre des dispositions du projet de loi - concerne l'article 1er AB, qui
complète l'article 114 du code de procédure pénale, afin de permettre à
l'avocat d'une partie de remettre, au cours de l'information, des reproductions
des pièces de procédure à son client, pour les besoins de sa défense.
Votre commission a adopté un amendement de suppression de cet article au motif
qu'il doit s'intégrer dans une démarche d'ensemble et exige une réforme globale
de l'instruction.
Je ne puis, mesdames, messsieurs les sénateurs, être insensible à cette
analyse, puisque je l'ai moi-même développée devant vous lors de l'examen de ce
projet de loi en première lecture.
Cependant, cet argument ne me semble pas devoir être retenu.
En effet, cette réforme d'ensemble de la procédure pénale ne pourra pas
intervenir, compte tenu de son ampleur, avant plusieurs années.
Le rapport définitif de Mme le professeur Rassat me sera remis à la fin du
mois de janvier 1997. Or le Gouvernement a l'intention d'organiser une
consultation publique à partir de ce rapport et d'une note d'orientation que je
présenterai moi-même sur les grandes orientations du futur code de procédure
pénale. Nous ferons la synthèse de cette consultation à la fin de l'année 1997,
de manière à présenter alors un avant-projet de nouveau code de procédure
pénale.
Nous avons encore très largement une année devant nous avant de pouvoir
soumettre le projet de loi au Parlement.
S'agissant de la communication du dossier par l'avocat à son client, le débat
est ouvert depuis longtemps. Une décision de la Cour de cassation de 1995 a
très clairement caractérisé la question. En gros, la chambre criminelle a dit
qu'il fallait continuer à interdire la communication.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Elle n'a pas dit qu'il « fallait » !
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, je dis ce que j'estime devoir
dire et vous direz tout à l'heure, sur ce sujet qui vous a beaucoup occupé, ce
que vous avez à dire !
La Cour de cassation a donc indiqué qu'il convenait d'annuler la décision de
la cour d'appel qui lui était soumise dans la mesure où l'article 114 interdit
la communication, ajoutant toutefois que le temps lui paraissait venu de
réexaminer ce problème selon une optique différente.
J'ai moi-même, à plusieurs reprises, comme beaucoup d'entre vous, souligné la
nécessité de résoudre cette question.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale, qui, je le rappelle, est issu d'une
proposition de l'Assemblée nationale très largement remaniée par un amendement
du Gouvernement, me paraît apporter une solution satisfaisante.
Au demeurant, l'origine de la réflexion parlementaire sur ce sujet se trouve
au Sénat même, c'est-à-dire dans le rapport de la mission d'information sur la
procédure pénale, non pas celui de M. Fauchon, mais celui de M. Jolibois,
rapport présenté au printemps de 1995, qui a abouti à plusieurs propositions,
dont une série qui émanait de M. Dreyfus-Schmidt et des membres du groupe
socialiste.
Par conséquent, monsieur le rapporteur, je considère que le Sénat ne doit pas
adopter l'amendement de suppression proposé par la commission des lois mais
qu'il doit, au contraire, adopter le texte de l'Assemblée nationale sur ce
point. Cette disposition est attendue et me paraît totalement séparable du
débat sur la refonte globale du code pénal.
La deuxième divergence entre le Sénat et l'Assemblée nationale porte sur le
nouveau délai « butoir » en matière de détention provisoire pour les délits
punis de plus de cinq ans et de moins de dix ans d'emprisonnement.
En première lecture, le Sénat a institué un délai « butoir » de un an.
L'Assemblée nationale a prévu deux ans. Votre commission des lois propose de
revenir à un délai de un an. Je l'avais dit en première lecture, je le répète :
je pense que cette limitation à un an est excessive. Actuellement, pour une
infraction qui peut être punie de cinq ans à dix ans, il n'y a aucune
limitation. Remplacer une absence totale de limite par une limite de deux ans
me paraît raisonnable. Là encore, je souhaiterais donc que le Sénat adopte le
texte tel qu'il est issu des travaux de l'Assemblée nationale.
La dernière divergence concerne l'autorité qui serait chargée de statuer sur
le référé-liberté. L'Assemblée nationale propose que ce soit le président de la
chambre d'accusation. Votre commission des lois propose de confier ce recours
au président du tribunal. Nous nous en sommes très longuement expliqués en
première lecture : je ne suis pas favorable à cette solution parce qu'elle me
paraît représenter une régression de notre droit. Les organes naturels de
contrôle du juge d'instruction sont, dans notre code de procédure pénale, la
chambre d'accusation et son président. Le progrès de la procédure pénale me
paraît consister à renforcer l'efficacité de ces contrôles de la chambre
d'accusation et de son président, et non pas à les supprimer ou à les
diminuer.
Or c'est à cela qu'aboutirait l'amendement de votre commission des lois
puisqu'il retirerait des mains du président de la chambre d'accusation une
garantie de la liberté que lui a confiée le législateur de 1993.
Nous le verrons lorsque nous débattrons de l'ensemble de la procédure pénale,
renforcer les pouvoirs et les moyens des chambres d'accusation est sûrement
l'une des voies dans lesquelles on peut globalement faire progresser la
procédure pénale.
En revanche, il ne me paraît pas souhaitable de prendre aujourd'hui une
disposition tendant à priver la chambre d'accusation et son président de
prérogatives dont ils disposent en vertu d'une loi de 1993, pour les confier au
président de la juridiction de première instance.
Je crains en outre que, en pratique, le président du tribunal de grande
instance n'hésite beaucoup à mettre en cause la décision d'un magistrat de son
propre tribunal, d'abord, parce que ce n'est pas son rôle traditionnel,
ensuite, parce qu'il entretient des relations quotidiennes étroites avec ce
magistrat, en particulier dans les juridictions petites et moyennes, enfin,
parce qu'il me paraît inopportun, eu égard au caractère arbitral de la fonction
de président de juridiction, de placer le président du tribunal en situation
d'être, éventuellement, désavoué par la chambre d'accusation, qui pourrait
confirmer la détention alors même qu'il aurait, lui, déclaré l'appel du prévenu
suspensif.
Ainsi, pour des raisons tant juridiques que pratiques, je crois qu'il faut en
rester au système qui était celui du projet de loi : c'est le président de la
chambre d'accusation, et non pas le président du tribunal, qui est
compétent.
J'en viens à l'amendement déposé par le Gouvernement qui concerne les
perquisitions de nuit en matière de terrorisme.
Cet amendement a pour objet de tirer les conséquences juridiques de la
décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1996 relative à la loi
tendant à renforcer la répression du terrorisme, loi qui a été promulguée le 22
juillet 1996.
Vous vous en souvenez, le Gouvernement avait proposé d'autoriser les
perquisitions de nuit dans les affaires de terrorisme. Après un grand débat
très approfondi, en particulier au Sénat, cette disposition a été adoptée.
Cependant, saisi par des parlementaires de l'opposition, le Conseil
constitutionnel a décidé qu'elle n'était pas conforme à certains principes
tirés de notre Constitution et du bloc de constitutionnalité.
Néanmoins demeure le besoin impérieux qui avait conduit le Gouvernement à
proposer que soient autorisées les perquisitions de nuit pour la lutte
antiterroriste comme elles le sont déjà pour d'autres infractions, notamment en
matière de trafic de stupéfiants. J'avais donc l'intention de faire figurer une
nouvelle proposition à ce sujet dans un projet de loi portant diverses
dispositions d'ordre judiciaire qui sera prochainement adopté par le
Gouvernement et déposé devant le Parlement.
Entre-temps est survenu l'attentat de la station Port-Royal, voilà huit jours.
J'ai alors pensé, et le Gouvernement avec moi, qu'il était de notre
responsabilité de faire adopter une telle disposition de toute urgence, compte
tenu du caractère toujours actuel de la menace terroriste et devant les risques
que cela comporte.
C'est pourquoi j'ai proposé que, à l'occasion de la discussion devant le Sénat
du projet de loi relatif à la détention provisoire, soit déposé par le
Gouvernement un amendement qui reprend le texte que j'avais l'intention de
proposer dans un projet de loi en automne.
J'ai appris ce matin que votre commission des lois avait bien voulu retenir
cet amendement.
Je voudrais m'expliquer d'ores et déjà sur cette proposition, ce qui me
dispensera d'intervenir longuement lorsque l'amendement en question viendra en
discussion.
Dans sa décision du 16 juillet dernier, le Conseil constitutionnel a estimé
que les dispositions de l'article 10 du texte voté étaient contraires à la
Constitution en ce qu'elles permettaient de procéder à une perquisition de nuit
au cours d'une enquête préliminaire ou au cours d'une instruction, alors
qu'elles ne pouvaient, selon lui, être autorisées qu'au cours d'une enquête de
flagrance.
Le Conseil constitutionnel a ainsi globalement écarté la possibilité de
procéder à des perquisitions de nuit au cours d'une enquête préliminaire ou
d'une instruction.
S'agissant de l'enquête préliminaire, la décision du Conseil constitutionnel
est claire et n'appelle pas de commentaire de ma part.
En revanche, s'agissant de l'instruction - c'est-à-dire que la mesure serait
prise au cours d'une information judiciaire - la situation est plus
complexe.
En effet, de la décision du Conseil constitutionnel résulte une assimilation
entre la notion de flagrance et celle d'enquête de flagrance qui ne correspond
pas à la réalité juridique et qui a pour conséquence d'interdire à un juge
d'instruction, même s'il est saisi immédiatement à la suite de la commission
d'un acte de terrorisme, de procéder à des perquisitions de nuit, alors que de
telles opérations pourraient être ordonnées tant que l'information n'est pas
ouverte. Il y a là un paradoxe qu'il est tout de même difficile d'admettre !
Il s'ensuit, en pratique, qu'en cas de survenance d'un attentat terroriste le
parquet doit choisir soit de prolonger de quelques jours l'enquête de flagrance
pour permettre, le cas échéant, des perquisitions de nuit, soit d'ouvrir une
information, si des écoutes téléphoniques - que seul un juge d'instruction peut
ordonner - s'avèrent nécessaires. Or, vous le savez, c'est souvent dans les
premières heures que ces écoutes peuvent se révéler utiles. C'est donc dans les
premières heures qu'elles doivent être ordonnées.
M. Christian Bonnet.
Absolument !
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Si le juge d'instruction ouvre cette information, on ne
pourra plus procéder à des perquisitions de nuit !
Il n'est donc pas possible, selon l'interprétation du Conseil constitutionnel,
alors même que les faits viennent d'être commis, de disposer d'un cadre
juridique permettant de procéder en même temps à l'une et à l'autre de ces
mesures, écoutes téléphoniques et perquisitions de nuit, alors que ce sont à
l'évidence, dans ce domaine, les deux dispositions les plus efficaces
lorsqu'elles sont prises à temps, c'est-à-dire au moment où elles peuvent
encore s'appliquer à des personnes qui n'ont pas fui ou qui n'ont pas détruit
les documents qu'elles détenaient.
M. Christian Bonnet.
Parfaitement !
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Autre absurdité : si, pendant le déroulement de son
information, le juge d'instruction apprend que des terroristes présumés auteurs
des faits dont il est déjà saisi se retrouvent au cours de la nuit dans un
local, par exemple pour préparer de nouveaux attentats, il n'a pas la
possibilité d'ordonner une perquisition, en dépit des indices montrant
l'existence de nouvelles infractions flagrantes. Dans une telle hypothèse, il
est obligé de transmettre son dossier au parquet, pour que ce dernier ouvre, en
flagrance, une enquête incidente au cours de laquelle la perquisition, selon le
Conseil constitutionnel, pourra être ordonnée. Mais cette transmission de
procédure peut, naturellement, entraîner des délais retardant cette opération
et la privant ainsi de toute efficacité.
C'est pourquoi il paraît indispensable et, dirai-je, de bon sens de permettre
au juge d'instruction, dans certaines conditions limitativement énumérées par
la loi, de procéder également, en matière de terrorisme, à des perquistions de
nuit.
Tel est l'objet de l'amendement proposé par le Gouvernement qui tend à
insérer, après l'article 706-24 du code de procédure pénale, un nouvel article
706-24-1 autorisant, en cas d'urgence, le juge d'instruction à procéder à des
perquisitions de nuit en matière de terrorisme, pour les crimes ou les délits
punis d'au moins dix ans d'emprisonnement, dans les trois hypothèses suivantes
: lorsqu'il s'agit d'un crime ou d'un délit flagrant, lorsqu'il existe un
risque immédiat de disparition des preuves ou des indices matériels et, enfin,
lorsqu'il existe des présomptions qu'une ou plusieurs personnes se trouvant
dans les locaux où la perquisition doit avoir lieu se préparent à commettre de
nouveaux actes de terrorisme.
La prise en compte de la notion de flagrance au cours de l'instruction
respecte ainsi totalement les exigences imposées par le Conseil
constitutionnel.
Le texte proposé pour le nouvel article 706-24-1 reprend par ailleurs, en les
étendant, toutes les garanties d'ores et déjà prévues par la loi du 22 juillet
1996, puisqu'il limite les perquisitions de nuit aux cas d'urgence et aux actes
de terrorisme les plus graves, à savoir les crimes ou les délits punis d'au
moins dix ans d'emprisonnement.
Le texte proposé exige, en outre, à peine de nullité, que ces opérations
soient prescrites par une ordonnance motivée du juge d'instruction précisant la
nature de l'infraction dont la preuve est recherchée, ainsi que l'adresse des
lieux dans lesquels ces opérations doivent être accomplies - autrement dit, il
ne peut pas être question de décider, si j'ose dire, des perquisitions « en
blanc » - et comportant, comme en matière de détention provisoire, l'énoncé des
considérations de droit et de fait - c'est d'ailleurs un amendement sénatorial
qui avait prévu cette disposition - qui constituent le fondement de cette
décision par référence aux conditions prévues par les 1°, 2° et 3° précités de
cet article.
Par conséquent, tout en renforçant l'efficacité de la répression en matière de
lutte contre le terrorisme, cet amendement permet d'éviter, conformément à la
décision du Conseil constitutionnel, que ces opérations ne soient de nature à
entraîner des atteintes excessives à la liberté individuelle et, en
particulier, au principe de l'inviolabilité du domicile.
C'est pourquoi je demanderai à la Haute Assemblée d'adopter, comme la
commission des lois l'a fait ce matin, cet amendement, qui me paraît très
important.
Je vous soumettrai également un amendement tendant à repousser, pour des
raisons pratiques évidentes, la date d'entrée en vigueur du projet de loi au 31
mars 1997. Il devait, en effet, entrer en vigueur au 1er janvier mais, compte
tenu de la date probable de sa promulgation, il me paraît plus convenable de
prévoir d'ores et déjà un délai supplémentaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi, comme je l'ai indiqué en
première lecture et tout au long des débats, est important même si sa portée
est limitée. Quant à l'amendement relatif au terrorisme, que j'ai proposé, il a
naturellement, aujourd'hui, une portée encore plus considérable.
Il fait partie de ces textes qui s'efforcent, même de manière limitée, de
respecter la dignité de la personne et la liberté individuelle, tout en
assurant le meilleur fonctionnement possible de la justice.
Il fait partie de ces textes qui, lorsque nous examinerons la refonte
d'ensemble du code de procédure pénale, devront retenir notre attention dans la
mesure où, d'ores et déjà, il nous paraît s'inscrire dans l'esprit d'équilibre
et de liberté qui doit nous animer. La police et la justice doivent bénéficier
de tous les moyens possibles pour assurer la sécurité des biens et des
personnes dans notre pays.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
(M. Yves Guéna remplace M. Jean Faure au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. YVES GUÉNA
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Georges Othily,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, six mois après
l'adoption en première lecture du projet de loi relatif à la détention
provisoire, nous voici de nouveau réunis pour débattre de ce sujet essentiel
pour notre société.
Depuis, l'Assemblée nationale a examiné à deux reprises ce projet de loi car -
faut-il le rappeler ? - la commission mixte paritaire réunie sur ce texte n'a
pas abouti à un texte commun.
Je ne reviendrai pas sur les raisons de cet échec. Je constate néanmoins que
la reprise de la navette a présenté une certaine utilité puisque, d'une part,
l'Assemblée nationale a adopté une dizaine d'amendements à son propre texte,
dont certains sur l'initiative du Gouvernement, et, d'autre part, nous allons
aujourd'hui examiner plusieurs amendements, dont certains ont été déposés par
la commission ou par le Gouvernement.
Le projet de loi, tel qu'il nous revient, comprend vingt-quatre articles dont
un seul a été adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées.
Néanmoins, sur le fond, plusieurs dispositions ne soulèvent aucune difficulté
car l'Assemblée nationale ne les a modifiées ou insérées que pour apporter des
précisions d'ailleurs fort opportunes.
Je limiterai donc mon propos aux quatre articles qui devraient donner lieu
aujourd'hui à de larges débats et qui font l'objet d'amendements.
Auparavant, permettez-moi de dire quelques mots du placement sous surveillance
électronique. Comme vous le savez, l'Assemblée nationale a supprimé les
dispositions que nous avions insérées afin de consacrer ce procédé comme
substitut à la détention provisoire.
Entendons-nous bien : ce n'est pas une opposition au principe même du
placement sous surveillance électronique que nos collègues députés ont voulu
manifester. Bien au contraire, ils ont souhaité consacrer ce dispositif en tant
que substitut à l'incarcération et ont adopté un article additionnel, l'article
8
nonies,
traduisant ce souci dans le rapport annexé à la loi de
programme pour la justice.
En réalité, la suppression décidée par l'Assemblée nationale s'explique par la
volonté de réserver prioritairement le placement sous surveillance électronique
à des personnes déjà condamnées. Son application à la détention provisoire a
été jugée prématurée.
Cette position n'est pas si éloignée de celle qui fut la nôtre sur ce sujet au
mois de mai dernier. Plusieurs de nos collègues, notamment M. Guy Cabanel,
avaient alors déclaré que le placement sous surveillance électronique ouvrait
le plus de perspectives et présenterait la plus grande utilité dans le domaine
post-sentenciel, c'est-à-dire par son application à des personnes déjà
condamnées.
Cela ne signifie pas, bien entendu, que le placement sous surveillance
électronique ne permettrait pas de réduire la détention provisoire. Bien au
contraire, nous continuons à penser qu'il pourrait constituer un substitut
utile. Toutefois, nous estimons effectivement souhaitable de commencer par
l'appliquer à des personnes condamnées.
C'est pourquoi la commission des lois a accepté la disjonction des articles 8
bis
à 8
septies
décidée par l'Assemblée nationale. La proposition
de loi de M. Cabanel, que nous avons adoptée au mois d'octobre, constituera, à
mes yeux, un utile support de discussion. Dans cette perspective, je me
félicite, monsieur le garde des sceaux, de votre souci, que vous avez rappelé
dans cet hémicycle voilà deux jours, de parvenir rapidement, avant le mois
d'avril si je ne me trompe, à un texte définitif.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Monsieur le rapporteur, me permettez-vous de vous
interrompre ?
M. Georges Othily,
rapporteur.
Je vous en prie, monsieur le garde des sceaux.
M. le président.
La parole est à M. le garde des sceaux, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Comme je l'avais déjà dit lundi lors de l'examen des
crédits du ministère de la justice, mais je tiens à le réaffirmer aujourd'hui,
sur le fond, le Gouvernement estime que le placement sous surveillance
électronique doit s'appliquer aux condamnés à des peines de courte durée ou en
fin de peine. Ce dispositif pourra éventuellement s'appliquer ultérieurement,
comme vient de l'indiquer M. le rapporteur, à ceux qui sont placés en détention
provisoire, lorsqu'il aura fait ses preuves.
Par ailleurs, s'agissant de la procédure parlementaire, je réitère devant M.
le président de la commission des lois les propos que j'ai tenus lundi lors de
l'examen du budget de mon ministère : si l'Assemblée nationale n'inscrit pas la
proposition de loi « Cabanel », émanant du Sénat, à son ordre du jour réservé,
le Gouvernement s'engage à l'inscrire rapidement à l'ordre du jour prioritaire
afin qu'elle soit définitivement adoptée dans un délai « raisonnable », pour
reprendre l'expression du projet de loi, c'est-à-dire, comme vous venez de
l'indiqués, monsieur le rapporteur, avant le printemps.
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Georges Othily,
rapporteur.
J'en viens maintenant aux quatre articles que j'évoquais
précédemment, c'est-à-dire à ceux sur lesquels des amendements ont été
déposés.
Le premier de ces articles est l'article 1er AB. Il prévoit que les parties
pourront désormais obtenir des copies du dossier d'instruction. Vous savez que,
actuellement, ce droit est réservé à l'usage exclusif des avocats. Les parties
ne peuvent que consulter le dossier ; elles n'ont pas la possibilité d'en
obtenir la reproduction.
L'article 1er AB a été inséré par l'Assemblée nationale. Nous avions cependant
été appelés à nous prononcer, lors de la première lecture, sur le principe de
la communication de copies aux parties. En effet, nos collègues du groupe
socialiste et apparentés avaient déposé un amendement à cette fin, amendement
que le Sénat avait rejeté.
Que prévoyait cet amendement ? Que prévoit le texte de l'Assemblée nationale ?
Quelle position a retenue la commission des lois ? Telles sont les trois
questions auxquelles je voudrais répondre pour présenter les termes de cet
important débat.
L'amendement de nos collègues socialistes prévoyait la possibilité pour les
avocats de transmettre à leur client des copies des pièces et actes du dossier
d'instruction. Le client devait attester préalablement et par écrit avoir pris
connaissance de l'interdiction de communiquer ces copies à des tiers, sauf pour
les besoins de la défense, et de l'amende de 25 000 francs prévue en cas de
méconnaissance de cette interdiction.
Enfin, le juge d'instruction pouvait, à titre exceptionnel, s'opposer, après
avis du bâtonnier et par ordonnance motivée susceptible d'appel, à la
transmission par l'avocat de certaines copies du dossier.
La commission des lois de l'Assemblée nationale a repris cet amendement que le
Sénat avait rejeté pour les raisons que j'indiquerai tout à l'heure. Mais, à la
suite de l'adoption de plusieurs sous-amendements du Gouvernement, elle est
parvenue à un texte beaucoup plus complexe.
Elle a notamment ajouté que l'avocat devrait donner connaissance au juge
d'instruction de la liste des pièces ou actes dont il souhaite remettre une
reproduction à son client.
Le magistrat instructeur disposerait alors de cinq jours pour s'opposer à la
remise de tout ou partie de ces reproductions par une ordonnance spécialement
motivée au regard « des risques de pression sur les victimes, les personnes
mises en examen, leurs avocats, les témoins, les enquêteurs, les experts ou
toute autre personne concourant à la procédure ».
Lorsque la recevabilité de la constitution de partie civile serait contestée,
le principe serait inversé : l'obtention de copies serait soumise à
l'autorisation expresse du juge d'instruction.
J'ajoute que l'Assemblée nationale a limité aux seuls rapports d'expertise les
pièces dont la copie est susceptible, pour les besoins de la défense, d'être
communiquée à des tiers.
Que pense la commission des lois de ce dispositif ? Elle constate, tout
d'abord, que, quoi qu'on puisse en penser sur le fond, l'amendement de nos
collègues du groupe socialiste avait au moins l'avantage de la simplicité. Tel
n'est pas le cas, loin de là, du texte de l'Assemblée nationale.
Il avait, par ailleurs, le mérite d'éviter une immixtion excessive du juge
d'instruction dans les relations entre l'avocat et son client. Tel n'est pas le
cas du texte de l'Assemblée nationale, notamment en ce qu'il impose à l'avocat
d'informer le magistrat des pièces dont il entend remettre une copie à son
client.
Enfin, le texte de l'Assemblée nationale soulève des interrogations, que j'ai
mentionnées dans mon rapport écrit et que je rappellerai brièvement.
La communication de copies aux parties doit-elle être autorisée d'une manière
générale même dans des affaires aussi graves que le trafic de stupéfiants ou le
proxénétisme aggravé ?
Seul le risque de pression sur certaines personnes permet au juge
d'instruction de s'opposer à la remise de copies aux parties. Faut-il en
conclure que le risque d'atteinte grave à la présomption d'innocence ou le
risque de concertation frauduleuse entre complices ne pourront être pris en
compte ?
La faculté de remettre des rapports d'expertise à des tiers, même limitée aux
besoins de la défense, ne risque-t-elle pas de conduire à une large diffusion
d'éléments du dossier de nature à nuire à la présomption d'innocence ?
Mais, surtout, indépendamment même de ces interrogations, qui concernent les
modalité de la remise des copies aux parties, c'est sur le principe même de
cette remise que la commission des lois a émis des réserves.
En première lecture, elle avait déjà estimé que ce principe ne pouvait être
consacré que dans le cadre d'une démarche globale, concernant l'ensemble de
l'instruction, et ce afin d'assurer ce principe essentiel qu'est la présomption
d'innocence.
Le problème de la présomption d'innocence reste entier avec le texte de
l'Assemblée nationale, en dépit d'un dispositif particulièrement complexe et
même difficilement applicable. Voilà pourquoi la commission des lois propose de
supprimer l'article 1er AB.
Je serai beaucoup plus bref sur le deuxième article donnant lieu à des
divergences avec l'Assemblée nationale car les données du problème sont
beaucoup plus simples. Il s'agit de l'article 3, relatif à la durée maximale de
la détention provisoire en matière correctionnelle.
Vous vous souvenez que nous avions fixé cette durée maximale à une année, tout
au moins lorsque la peine encourue était inférieure à dix ans
d'emprisonnement.
L'Assemblée nationale a estimé qu'une durée maximale de détention provisoire
d'une année, si elle pouvait être acceptée pour les infractions passibles de
cinq ans ou moins d'emprisonnement, risquait de se révéler problématique dans
les affaires complexes.
Elle a, en conséquence, proposé de fixer à deux ans cette durée maximale
lorsque la peine encourue serait supérieure à cinq ans et inférieure à dix
ans.
Cette durée de deux années est apparue excessive à la commission des lois.
Elle juge d'ailleurs peu convaincant l'argument avancé à l'Assemblée nationale
pour justifier cette durée : il n'est, en effet, pas démontré qu'il existe un
lien entre la peine prévue et la complexité de l'affaire.
C'est pourquoi la commission des lois vous propose d'en revenir sur ce point
au texte adopté par le Sénat en première lecture.
Le troisième article sur lequel subsiste un problème de fond est l'article 5
bis
relatif à l'indemnisation des personnes placées en détention
provisoire puis mises hors de cause par la justice.
En l'état actuel du droit, ces personnes peuvent obtenir d'une commission une
indemnité si la détention leur a causé « un préjudice manifestement anormal et
d'une particulière gravité. »
L'article 5
bis,
tel qu'il avait été adopté par le Sénat, prévoyait la
faculté d'obtenir une indemnité dès lors que le préjudice serait « anormal ».
L'Assemblée nationale prévoit la possibilité d'une indemnité pour tout
préjudice, sans même exiger que celui-ci soit anormal.
En réalité, le problème est moins de préciser l'ampleur du préjudice que de
savoir si la commission d'indemnisation doit ou non continuer de disposer d'un
pouvoir d'appréciation sur le principe même de l'octroi d'une indemnité. C'est
ce problème qui est soulevé par un amendement de nos collègues du groupe
socialiste et sur lequel nous nous exprimerons à l'occasion de l'examen des
articles.
Enfin, le quatrième et dernier article sur lequel il existe une divergence de
fond entre l'Assemblée nationale et le Sénat, c'est l'article 7, relatif au
référé-liberté.
Il avait été profondément modifié par le Sénat qui, sur l'initiative du
président de la commission des lois, notre excellent collègue Jacques Larché,
avait notamment confié la décision au président du tribunal de grande instance
- au lieu du président de la chambre d'accusation - et prévu le maintien de la
personne à la disposition d'un officier de police judiciaire préalablement à la
mise à exécution du mandat de dépôt. Il avait également prévu que le
référé-liberté pourrait être utilisé indépendamment de l'appel.
Ce dispositif a été critiqué sur plusieurs points par nos collègues
députés.
Tout d'abord, sur un plan pratique, la crainte a été émise d'une solidarité
entre le président du tribunal et le juge d'instruction, deux magistrats qui,
surtout dans les petites juridictions, se côtoient quotidiennement.
Ensuite, sur le plan juridique, il a été souligné que le « juge naturel » du
magistrat instructeur était non pas le président du tribunal de grande
instance, mais la chambre d'accusation, et plus particulièrement son président,
chargé du contrôle du bon fonctionnement des cabinets d'instruction.
Par ailleurs, s'agissant du maintien de la personne non incarcérée à la
disposition d'un officier de police judiciaire, il a été fait observer que le
texte du Sénat aurait pour effet que la personne mise en examen se retrouverait
souvent détenue dans des locaux policiers pendant cinq jours.
L'Assemblée nationale a, en conséquence, rétabli le texte du projet de loi
initial, en y ajoutant le droit pour l'avocat de la personne mise en examen de
présenter oralement des observations devant le président de la chambre
d'accusation. Le référé-liberté demeurerait donc de la compétence de ce
magistrat et serait lié à une demande d'appel. Ainsi, par rapport au droit
actuel, il ferait l'objet de quatre modifications.
Premièrement, le président de la chambre d'accusation disposerait d'un plein
pouvoir d'appréciation : il ne se limiterait plus à examiner le caractère
manifestement infondé de la détention, mais statuerait véritablement sur le
fond en vérifiant si toutes les conditions posées par l'article 144 du code de
procédure pénale relatif à la détention provisoire sont effectivement
remplies.
Deuxièmement, la chambre d'accusation serait dessaisie si son président
infirmait la décision du juge d'instruction : la décision de maintien en
détention lui serait soumise alors que celle de mise en liberté serait
acquise.
Troisièmement, le président de la chambre d'accusation pourrait ordonner le
placement sous contrôle judiciaire. Il ne serait donc plus placé devant
l'alternative réductrice : maintien en détention - mise en liberté.
Enfin, quatrièmement, l'avocat pourrait, à sa demande, se présenter devant le
président de la chambre d'accusation.
Que penser de ce dispositif ?
Il est exact, reconnaissons-le, que le texte que nous avions adopté en
première lecture ne répondait pas tout à fait à la logique du référé en ce
qu'il déconnectait celui-ci de l'appel.
De même, on peut reconnaître que le maintien de l'intéressé dans un local
spécifique dans l'attente de la décision du magistrat compétent pourrait poser,
à l'heure actuelle, des difficultés pratiques.
Mais le texte adopté par l'Assemblée nationale se heurte à une objection
fondamentale : investi d'un pouvoir de décision sur le fond, le président de la
chambre d'accusation deviendrait un juge d'appel du juge d'instruction. On
aboutirait ainsi au résultat quelque peu paradoxal de la suppression de la
collégialité au niveau de l'appel.
Certes, cette collégialité serait théoriquement conservée dans l'hypothèse où
le magistrat saisi confirmerait le mandat de dépôt, puisque l'appel serait
alors soumis à la chambre d'accusation. Mais celle-ci serait inévitablement
influencée par la décision préalable de son président qui, surtout si elle
porte sur le fond du placement en détention et non plus sur son caractère
manifestement infondé, conférerait au mandat de dépôt une présomption sérieuse,
quasiment irréfragable, de légalité.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Absolument !
M. Georges Othily,
rapporteur.
La solution de l'Assemblée nationale aboutirait ainsi à un
changement de nature du référé-liberté qui aurait pour objet non plus de faire
déclarer l'appel suspensif, mais d'investir un magistrat unique, en
l'occurrence le président de la chambre d'accusation, d'un pouvoir de décision
sur le fond, et ce dans le cadre d'une procédure d'appel.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Absolument !
M. Georges Othily,
rapporteur.
A cette objection de principe s'ajoutent deux inconvénients
majeurs : tout d'abord, en conservant la compétence du président de la chambre
d'accusation, l'Assemblée nationale rend pratiquement impossible la comparution
personnelle de la personne visée par le mandat de dépôt ; ensuite, le
dispositif adopté par l'Assemblée nationale ne permet pas d'éviter le
traumatisme de l'incarcération puisque, dans l'attente de la décision du
magistrat, l'intéressé sera placé en détention.
La commission des lois vous propose donc une nouvelle rédaction de l'article
7, laquelle prend en compte les critiques avancées à l'encontre du dispositif
que nous avions adopté en première lecture.
Cette nouvelle rédaction prévoit quatre mesures : premièrement, l'objet du
référé-liberté demeurerait le prononcé de la suspension des effets de
l'ordonnance de placement en détention provisoire ; deuxièmement, le magistrat
compétent serait non plus le président de la chambre d'accusation, mais celui
du tribunal de grande instance ; troisièmement, ce magistrat ou son délégué
devrait statuer sans délai, afin d'éviter l'incarcération du demandeur qui
obtiendrait gain de cause ; enfin, quatrièmement, le magistrat compétent
pourrait ordonner la suspension du mandat de dépôt, le cas échéant en la
soumettant à une ou plusieurs obligations relevant du contrôle judiciaire.
J'en ai terminé, monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes
chers collègues, avec la présentation du projet de loi tel qu'il nous revient
de l'Assemblée nationale.
Mon propos a peut-être été un peu long, mais cette présentation m'évitera
d'entrer dans le détail lors de l'examen des amendements. Il va sans dire que,
sous le bénéfice des propositions qu'elle vous soumettra, la commission des
lois vous demande d'adopter le présent projet de loi.
(Applaudissements sur
les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union
centriste.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe socialiste : 25 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 21 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants : 17 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 9 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe :
7 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M.
Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le garde des sceaux, vous nous surprendrez toujours ! J'évoquerai,
d'entrée de jeu, cet amendement sur le terrorisme que vous avez déposé en
expliquant que vous aviez l'intention de présenter un texte spécifique mais
que, compte tenu de l'attentat de Port-Royal, vous aviez décidé de traiter
cette question dans un amendement portant sur ce texte.
Il me paraît inutile de dire que la nation est absolument unanime - sa
représentation nationale l'a démontré, au Sénat comme à l'Assemblée nationale -
pour condamner ces attentats épouvantables qui frappent, avec quelle sauvagerie
! des innocents. Il n'y a pas de surenchère à faire entre nous à cet égard,
bien entendu, ni d'arguments politiciens à tirer de cette situation. Nous en
sommes bien d'accord, et je vous demande de nous en donner acte.
M. Guy Allouche.
Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cela dit, si, véritablement, le dépôt de cet amendement se révélait nécessaire
pour lutter contre le terrorisme, pourquoi ne pas l'avoir présenté plus tôt ?
Et qu'auriez-vous fait si ce texte n'avait pas fait l'objet d'une nouvelle
lecture ? Enfin, pourquoi avez-vous demandé que cette mesure ne s'applique qu'à
compter du 1er mars 1997 s'il y avait une telle urgence ?
Lorsque nous avons saisi le Conseil constitutionnel...
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Oui, c'est vous qui l'avez saisi !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et nous ne le regrettons pas, que diable !
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Si, nous devons le regretter !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Nous ne le regrettons nullement et permettez-moi de m'en expliquer.
D'ailleurs, je vous rappelle que le Conseil constitutionnel a annulé une autre
disposition !
Nous avions demandé, comme nous l'avions réclamé ici, qu'il ne soit pas
possible, lors des enquêtes préliminaires, de procéder à des perquisitions de
nuit. Mais nous étions d'accord - nous l'avions dit - pour qu'en cas de
flagrance il soit possible d'en ordonner.
A aucun moment nous n'avions demandé au Conseil constitutionnel de dire que le
juge d'instruction ne pourrait pas en ordonner, et de cela aussi, je souhaite
que vous nous donniez acte.
Mais lorsque vous nous indiquez que le fait de décider maintenant que le juge
d'instruction le pourra n'est pas contraire à la décision du Conseil
constitutionnel, je vous laisse la responsabilité de votre affirmation ! En
tout cas, en ce qui nous concerne, je répète que nous n'avons jamais demandé -
et nous continuons de ne pas le demander - que le juge d'instruction ne puisse
pas, en matière de terrorisme, comme c'est le cas en matière de proxénétisme et
de drogue, effectuer, si nécessaire, des perquisitions de nuit.
Par conséquent, les choses sont claires !
Par ailleurs, et puisque le temps qui m'est imparti est très bref, je m'en
tiendrai aux trois aspects du projet de loi en discussion sur lesquels la
navette me paraît pouvoir, et donc devoir, apporter de nettes améliorations :
le problème de la communication des copies de pièces du dossier d'instruction
par l'avocat à son client ; le problème crucial et central de la mise en
détention ; enfin, le problème de l'indemnisation de la personne mise en
détention provisoire, alors que la suite des choses démontrera qu'elle n'aurait
pas dû l'être puisqu'elle bénéficiera d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un
acquittement.
J'aborderai tout d'abord le problème de la copie du dossier.
Voilà une affaire qui progresse et où on finira par sortir, pour reprendre
l'expression d'un collègue de la majorité, « de l'illégalité et de l'hypocrisie
».
M. Pierre Fauchon.
Merci !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je suis heureux que vous vous reconnaissiez, mon cher collègue !
La question est de savoir si ce sera finalement avec l'aide de cette même
majorité du Sénat ou si elle s'y opposera jusqu'au bout.
Deux arrêts de la Cour de cassation du 30 juin 1995 ont rappelé, en dépit des
regrets exprimés par le procureur général - c'est pourquoi je me suis permis de
vous interrompre tout à l'heure, monsieur le garde des sceaux - que, en son
état actuel, l'article 114 du code de procédure pénale ne permet pas aux
avocats de remettre la copie du dossier d'instruction, en tout ou en partie, à
leur client. La Cour de cassation n'a pas dit qu'il faut qu'il en soit ainsi.
Elle a constaté qu'il en est ainsi. En effet, depuis longtemps, la pratique
oblige l'avocat à remettre à son client les copies de pièces du dossier.
Comme un avocat peut en tout cas montrer à son client de telles copies et
qu'il ne peut lui cacher quoi que ce soit qu'il y ait dans le dossier, ces
arrêts, qui pourtant ne pouvaient être que ce qu'ils étaient, ont soulevé
beaucoup d'émotion.
C'est dans ces conditions qu'avec le groupe socialiste j'ai déposé une
proposition de loi dès le 17 juillet 1995, c'est-à-dire dix-sept jours après
les deux arrêts de la Cour de cassation, tendant à modifier l'article 114 du
code de procédure pénale.
Cette proposition de loi a été inscrite à l'ordre du jour des débats du Sénat
le 12 décembre 1995. Mais la majorité du Sénat, suivant en cela sa commission
et M. le garde des sceaux, l'a rejetée purement et simplement.
Le 12 juin 1996 sont intervenus deux autres arrêts de la Cour de cassation,
qui reconnaissent le droit à toute personne, détenue ou non, ayant ou non un
avocat, d'obtenir copie complète de son dossier, et ce dès lors que la
juridiction de jugement est saisie.
Certes, cela ne règle pas encore le problème de la communication du dossier
d'instruction par l'avocat à son client, mais cela relativise sérieusement les
choses : la communication peut intervenir longtemps avant que l'affaire soit
effectivement jugée, ce qui permettrait, s'il était possible, le mauvais usage
de la copie du dossier que prétendent craindre encore certains membres
influents de la commission des lois du Sénat et, dans une moindre mesure, M. le
garde de sceaux lui-même.
En effet, faisant état des arrêts de la Cour de cassation du 12 juin 1996
devant l'Assemblée nationale, dans le cadre de la discussion du présent projet
de loi, M. le garde des sceaux ne s'est pas franchement opposé à la
communication de tout ou partie du dossier d'instruction par l'avocat à son
client.
Notre propre suggestion, dans sa lettre même, avait été reprise en première
lecture, d'une part, par M. Weber, député du Haut-Rhin, d'autre part, par le
rapporteur lui-même, M. Houillon qui a contresigné ce qui était notre
amendement de départ, repris par le groupe socialiste de l'Assemblée
nationale.
En définitive, le principe est retenu dans le texte qui nous revient de
l'Assemblée nationale, mais avec des modalités inadmissibles dont nous
demanderons la suppression en nous expliquant à leur égard : la possibilité de
communication à des tiers des seuls rapports d'expertise, l'obligation pour
l'avocat de déclarer ou de réclamer par lettre recommandée avec accusé de
réception au juge d'instruction la copie des pièces qu'il entend remettre à son
client - cette incursion du juge d'instruction au sein de la défense elle-même
est inadmissible ! - l'attente, enfin, d'un décret en Conseil d'Etat pour que
les nouvelles dispositions s'appliquent à un détenu.
Il y a encore du travail, on le voit, pour le Sénat et pour la navette ! J'ai
entendu avec plaisir M. le rapporteur indiquer que la majorité de la commission
s'était prononcée contre notre amendement, mais que, après tout, elle le
préférait à celui qui avait été adopté par l'Assemblée nationale. On finira
bien par s'entendre !
En ce qui concerne la mise en détention proprement dite, mon collègue et ami
Robert Badinter y reviendra.
Je me contenterai de répéter ce que j'ai dit dès la discussion générale de la
première lecture, à savoir que le remède proposé par M. le garde des sceaux est
une potion amère, pire que le mal, pourtant avalée par l'Assemblée nationale,
qui a tout de même demandé que l'avocat puisse être entendu par le président de
la chambre d'accusation devenu juge unique en appel.
On connaît notre préférence pour le système d'une chambre de l'instruction,
qui finira bien par s'imposer.
A défaut, on pourrait provisoirement en revenir à la décision prise d'emblée
par le président du tribunal de grande instance ou son délégué, à la demande du
juge d'instruction, système qui a parfaitement fonctionné entre la loi du 4
janvier 1993 et la loi du 24 août 1993.
Le système du recours devant le même président du tribunal de grande instance
à l'encontre de la décision du juge d'instruction, système proposé en première
lecture par M. Larché, maintenant amélioré par notre suggestion retenue par la
commission de faire statuer ce magistrat sans délai - ce qui évite de laisser
en détention plus ou moins administrative l'intéressé - est en définitive
préférable, de beaucoup, et en attendant mieux, à celui du projet d'origine
repris par l'Assemblée nationale.
On ne va pas, disiez-vous, monsieur le garde des sceaux, enlever au président
de la chambre d'accusation le pouvoir qui lui a été donné. Je rappelle que, en
l'occurrence, il s'agit d'un pouvoir dont il n'a pratiquement jamais fait
usage. En effet, il ne l'exerçait que lorsque les conditions énoncées à
l'article 144 du code de procédure pénale n'étaient manifestement pas
respectées, ce qui est très rarement le cas, c'est le moins que l'on puisse
dire.
Il restera pourtant à retenir devant le juge d'instruction lui-même comme
devant le même président du tribunal de grande instance le principe du débat
public, étant rappelé que l'instauration, sur l'initiative de M. Robert
Badinter, d'un débat préalable à l'incarcération, devant le juge d'instruction,
a déjà abouti, ainsi que chacun l'a reconnu lors de la première lecture du
présent projet de loi devant le Sénat, à une très grande diminution du nombre
des mises en détention provisoire.
Le troisième et dernier point que je voudrais aborder concerne l'indemnisation
des personnes mises en détention alors qu'elles n'auraient pas du l'être.
Jusqu'à présent, statue en la matière une unique commission à la Cour de
cassation, d'ailleurs trop rapidement et précisément sans débat, et sans débat
public.
Il faudra, dès que possible, prévoir une procédure contradictoire écrite et
orale devant des commissions décentralisées, au moins une par cour d'appel.
Ce qui demeure urgent, c'est que le droit à indemnisation, dans le cas qui
nous occupe, soit proclamé par la loi.
M. le garde des sceaux, qui avait voulu, devant nous, que ne soit réparé que
le préjudice « anormal », sans préciser ce qu'il entendait par-là, a donné
toutes les précisions devant l'Assemblée nationale en citant, de manière
exhaustive, les quatre cas dans lesquels il serait indécent qu'une réparation
intervienne.
Je le cite : « Il faut être bien clair, il est des cas où le préjudice n'est
pas anormal, même lorsque la personne détenue provisoirement a vu reconnaître
son innocence. »
Le temps m'étant compté, je résumerai vos propos, monsieur le garde des
sceaux, mais en y restant fidèle. On peut se retrouver dans cette situation
dans quatre hypothèses. La première, c'est l'irresponsabilité pénale. La
deuxième, c'est l'amnistie. La troisième, c'est la prescription. La quatrième,
c'est le cas dans lequel la personne se serait librement accusée à tort
elle-même, ou se serait laissé accuser à tort.
Dans toutes ces hypothèses, la détention provisoire n'a pas créé un préjudice
anormal pour celui qui l'a subie, car elle était dans tous les cas justifiée au
moment où elle a été prononcée.
Monsieur le garde des sceaux, nous avons donc déposé un amendement pour que
toute réparation soit exclue par la loi dans les quatre cas que vous avez à
juste titre retenus, afin que nous soyons d'accord. Dès lors, il n'y a plus de
raison de ne pas écrire qu'il doit y avoir réparation, de manière à éviter que
la commission refuse une réparation alors que l'on ne serait pas dans l'un des
quatre cas que je viens d'évoquer.
Si nos suggestions, qui sont de simple bon sens, devaient être retenues par le
Sénat - ce qui, il est vrai, est trop rare - nous n'aurions pas de raison de
rester hostiles à l'ensemble du texte.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le
Sénat examine en nouvelle lecture le projet de loi relatif à la détention
provisoire.
Mon groupe ne peut que se satisfaire de cette nouvelle lecture consécutive au
désaccord survenu lors de la commission mixte paritaire.
Le recours abusif par le Gouvernement à la procédure d'urgence participe du
processus de dessaisissement du Parlement de son rôle de législateur, surtout
quand nous apprenons que la loi serait promulguée en mars prochain.
S'agissant de l'objet même du projet de loi, je citerai, comme préalable à mon
intervention, l'article IX de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen qui précise : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait
été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur
qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement
réprimée par la loi. »
Compte tenu du taux de prévenus dans la population carcérale, qui atteint 40 %
en 1996, la durée moyenne de la détention provisoire étant de 4,1 mois en 1995,
il semble bien que cet article IX soit insuffisamment respecté.
En outre, 1 231 condamnés avec sursis et 1 629 bénéficiaires d'un non-lieu,
d'un acquittement ou d'une relaxe avaient été placés en détention provisoire en
1993.
Ainsi, 2 860 personnes qui ont connu la prison ont finalement fait l'objet
d'un jugement aux termes duquel elles ne méritaient pas de subir l'univers
carcéral. Cela n'est pas acceptable !
Différentes modifications ont été apportées par l'Assemblée nationale au texte
qui résultait des travaux du Sénat.
Ainsi, les députés ont adopté un amendement visant à autoriser la
communication aux parties de reproductions de pièces et actes d'un dossier
d'instruction.
En l'état actuel du droit, les parties, si elles peuvent consulter sur place
le dossier, n'ont pas la possibilité d'en obtenir de reproduction.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale précise que les copies ainsi
obtenues ne peuvent être communiquées à des tiers, à l'exception des copies de
rapports d'expertises, si ces communications sont nécessaires aux besoins de la
défense. La méconnaissance de cette interdiction est passible d'une amende de
25 000 francs.
L'avocat a obligation de donner préalablement au juge d'instruction la liste
des pièces dont il entend communiquer une copie à son client, le magistrat
instructeur ayant la possibilité de choisir les documents susceptibles de
donner lieu à la remise de reproductions.
Cela constitue indéniablement une atteinte aux droits de la défense, une
immixtion dans les relations entre l'avocat et son client et dans le choix de
la défense, ce que nous ne saurions approuver.
La commission des lois du Sénat propose de revenir purement et simplement sur
cette possiblité de reproduire les pièces d'un dossier, en supprimant l'article
1er AB. Nous n'y sommes pas favorables dans la mesure où la possibilité donnée
à l'avocat de disposer des pièces de l'affaire pour en discuter avec son client
favorisera indéniablement les droits de la défense. Cela n'exclut pas, bien
évidemment, de prévoir des garde-fous afin que cette procédure ne soit pas
préjudiciable à l'une ou l'autre partie concernée.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale est revenue sur la fixation d'une durée
maximale de détention provisoire de un an en proposant de revenir sur la durée
maximale de deux ans lorsque la peine encourue est supérieure à cinq ans et
inférieure à dix ans. Comme lors de la première lecture, le groupe communiste
républicain et citoyen soutiendra l'amendement de la commission des lois
tendant à établir une durée limitée en matière d'incarcération préventive.
Compte tenu du temps qui m'est imparti, je n'évoquerai pas, au cours de la
discussion générale, la question du référé-liberté. Nous aurons l'occasion d'y
revenir lors de l'examen des amendements.
Si nous nous félicitons de la suppression des dispositions relatives au
placement sous surveillance électronique, nous déplorons le fait que
l'Assemblée nationale ait cru bon d'en adopter le principe comme palliatif
éventuel de la détention provisoire. En effet - nous avons eu l'occasion de
l'expliquer récemment lors de l'examen de la proposition de loi de M. Cabanel -
le placement sous surveillance électronique viendra se substituer non pas à
l'incarcération, mais au dispositif existant de contrôle judiciaire.
Quant au refus d'exclure l'éventuel état de récidive pour le placement en
détention provisoire, nous proposerons à notre assemblée de confirmer son vote
sur cette question en rétablissant l'article 1er A. Je ne saurais conclure mon
intervention sans évoquer l'amendement n° 5 présenté par le Gouvernement et
tendant à autoriser les perquisitions en dehors des heures prévues par
l'article 59 du code de procédure pénale, dès lors qu'il s'agit d'actes de
terrorisme.
L'article 706-24 du code de procédure pénale avait été modifié par l'ajout de
quatre alinéas lors de l'adoption de la loi tendant à renforcer la répression
du terrorisme. En vertu des trois premiers, s'agissant d'infractions entrant
dans la définition des actes de terrorisme, pouvaient désormais être opérées de
nuit, des visites, perquisitions et saisies si les nécessités de l'enquête ou
de l'instruction l'exigeaient ; le quatrième alinéa fixait les règles
spécifiques de répartition des compétences entre présidents de tribunal de
grande instance.
Le Conseil constitutionnel a considéré que cet article était contraire à la
Constitution, au motif que le principe de liberté individuelle, reconnu par les
lois de la République et garantissant l'inviolabilité du domicile, ne saurait
connaître d'atténuations qu'autant que celles-ci sont rendues nécessaires pour
sauvegarder l'ordre public, ce qui ne saurait être le cas dans le cadre d'une
enquête préliminaire.
Le Gouvernement, arguant des récents événements survenus dans le RER à la
station Port-Royal, revient à nouveau sur cette dispostion en autorisant « en
cas d'urgence, si les nécessités de l'instruction l'exigent, les visites,
perquisitions et saisies en dehors des heures prévues par l'article 59, pour la
recherche et la constatation des actes de terrorisme ».
Nous ne pouvons que déplorer le fait que, sur un sujet aussi grave, le
Gouvernement procède par voie d'amendement pour autoriser une procédure jugée
contraire à la Constitution, en développant une argumentation pour le moins
critiquable sur le plan juridique.
Cette pratique est d'autant plus contestable, outre son caractère
indéniablement de circonstance, qui utilise la consternation et le sentiment
d'horreur liés à l'attentat de Port-Royal, qu'elle exclue toute possibilité de
concertation avec les magistrats et les personnels de police pour connaître
leur sentiment quant à la nécessité d'adopter une telle disposition.
Que l'on ne se méprenne pas : il ne s'agit aucunement d'entraver la recherche
de criminels dont les actes ne cessent de soulever l'indignation et l'horreur ;
il s'agit, au contraire, de permettre aux forces de police de disposer de tous
les moyens dont un Etat de droit peut et doit se prévaloir.
Transiger sur des principes fondamentaux de notre République, en utilisant des
dispositifs relevant d'un droit d'exception dont l'efficacité reste à démontrer
ne me paraît pas bon au moment présent.
Vous souhaitez, dites-vous, reporter l'application du texte actuel au 1er mars
1997 et proposer un texte autonome relatif à l'objet de cet amendement. Il nous
semblerait judicieux d'en rester là.
M. le président.
La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert.
Monsieur le président, ne pouvant prétendre égaler les experts qui se sont
exprimés à la tribune cet après-midi, je parlerai de ma place, si vous le
voulez bien.
Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi d'abord de
rappeler quelques principes de notre droit.
L'article IX de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789
dispose : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré
coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait
pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par
la loi. »
Ce texte trouve sa traduction dans l'article 137 du code de procédure pénale,
et celui-ci souligne deux points importants.
D'abord, il précise que toute personne est présumée innocente tant qu'elle
n'est pas déclarée coupable. C'est la présomption d'innocence, principe
essentiel, que l'on oublie trop souvent en France, mais qui figure dans le
droit anglo-saxon d'une manière plus appuyée encore, puisqu'il affirme que tout
homme est présumé innocent tant que la preuve de sa culpabilité n'a pas été
faite.
La deuxième partie de l'article IX de la Déclaration des droits de l'homme et
du citoyen se rapporte à la conduite à tenir envers une personne qu'il est jugé
« indispensable » d'arrêter. Il est stipulé que toute « rigueur » qui ne serait
pas nécessaire doit être proscrite et même « réprimée ».
Cette rigueur comprend, bien sûr, cette décision sévère et dure qu'est la
détention provisoire. On en fait en France un grand usage, sans que personne ne
songe à la réprimer.
A quels critères doit se référer le juge pour l'imposer ? Ces critères sont
précisés dans l'article 1er du présent projet de loi, notamment en ses deuxième
et troisième alinéas approuvés par le Sénat en première lecture et modifiés par
l'Assemblée nationale.
Il y est indiqué que la mise en détention provisoire peut être ordonnée pour
quatre raisons : premièrement, lorsque cette détention est « l'unique moyen de
protéger la personne mise en examen » ; deuxièmement, lorsqu'il faut « garantir
son maintien à la disposition de la justice » ; troisièmement, s'il faut «
mettre fin à l'infraction ou prévenir son renouvellement ».
L'alinéa 3 a ajouté la quatrième raison : « lorsque l'infraction, en raison de
sa gravité, des circonstances de sa commission ou de l'importance du préjudice
qu'elle a causé, a provoqué un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre
public ». Ce quatrième point fait d'ailleurs l'objet de deux amendements de nos
collègues socialistes et communistes. Nous en reparlerons.
J'ai donc énuméré les quatre motifs pouvant autoriser, au regard de la loi, la
mise en détention provisoire. Trois, relevant de l'urgence, sont
compréhensibles. Un autre, cependant, le paraît beaucoup moins : c'est celui
qui donne un pouvoir discrétionnaire aux juges d'instruction, et ceux-ci en
usent largement actuellement. Ce pouvoir, c'est celui d'incarcérer toute
personne qu'ils estiment suspecte afin de la « maintenir à la disposition de la
justice ».
Est-il donc indispensable de mettre les gens en prison pour qu'ils restent à
la disposition de la justice ? Je ne le pense pas, surtout lorsqu'il s'agit non
pas de crimes, mais d'affaires relevant du simple code pénal. Il y a là une
interprétation trop stricte d'une disposition trop vague de la loi.
Cette sévérité a une grave conséquence : c'est le nombre exceptionnellement
élevé - 39 % de la population carcérale - des personnes en détention provisoire
en France, celles que l'on appelle les « prévenus » et qui doivent répondre
ultérieurement, éventuellement, d'une infraction devant la justice pénale.
Ce taux se situe parmi les plus élevés du monde. Il est certes inférieur, en
Europe, à celui de la Turquie ou de certains pays de l'Est, telles la
République tchèque ou la Roumanie - ce ne sont pas des références - mais il est
nettement supérieur à celui des autres pays occidentaux : l'Allemagne,
l'Autriche - 33 % -, l'Espagne - 29 % -, la Suède - 21 % -, l'Angleterre et
l'Ecosse - 17 % -, l'Irlande - 8 %. Rappelons qu'aux Etats-Unis le taux se
situe autour de 12 %.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur
Habert, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Jacques Habert.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission, avec l'autorisation de
l'orateur.
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Je souhaite rectifier le pourcentage cité par
notre collègue, s'agissant de la proportion de prévenus au sein de la
population carcérale.
En effet, le taux de 39 % que vous avez cité inclut tous les prévenus, y
compris ceux qui ont interjeté appel après avoir été condamnés.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Bien sûr !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Ils entrent dans la catégorie des prévenus,
car ils n'ont pas été définitivement condamnés. Ils sont considérés comme
prévenus même s'ils ont formé un recours en cassation, puisque le recours en
cassation, en matière pénale, a un effet suspensif. Par conséquent, le taux de
véritables prévenus est de 20 à 25 % de la population carcérale, et il est donc
beaucoup plus proche que vous ne le disiez des taux des pays comparables.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
M. le président de la commission a tout à fait raison
!
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Habert.
M. Jacques Habert.
Je vous remercie de cette précision, qui ne change cependant pas le fond de
mon propos puisque, en France, le nombre de personnes en détention provisoire,
qui attendent d'être interrogées, qui veulent s'expliquer et n'ont jamais été
jugées, s'élève, selon vos chiffres, au quart de la population carcérale, ce
qui est considérable.
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Monsieur Habert, si une personne est
condamnée à cinq ans de prison et fait appel, elle est alors considérée comme
un prévenu !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Quel est le chiffre, monsieur le président de la commission ?
M. Jacques Habert.
Le taux des personnes non condamnées s'élève à 25 % !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
27 % !
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Non !
M. le président.
Nous ne sommes pas en commission, messieurs ! La parole est à M. Habert, et à
lui seul !
M. Jacques Habert.
Le taux des personnes non jugées, non condamnées, se trouvant en prison,
s'élève donc à 25 %.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Monsieur le sénateur, me permettez-vous de vous
interrompre ?
M. Jacques Habert.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole est à M. le garde des sceaux, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Environ 15 000 personnes détenues, en phase
d'instruction, peuvent être considérées comme des « prévenus » au sens que l'on
donne en général à ce mot, même si, comme l'a très bien expliqué M. le
président de la commission des lois, la définition française n'est pas la même
que celle des Anglo-saxons : nous considérons en effet qu'une personne n'est
définitivement condamnée que quand son pourvoi en cassation est jugé.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Combien y a-t-il de primaires ?
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
On compte donc environ 15 000 prévenus.
Dans ces conditions, on peut dire que ce qu'a indiqué M. le président de la
commission des lois est parfaitement exact : si l'on considère qu'environ 56
000 personnes se trouvent aujourd'hui en détention, 20 % à 25 % d'entre elles
le sont au titre de « prévenu », c'est-à-dire en phase d'instruction de leur
affaire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et combien de primaires ?
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Habert.
M. Jacques Habert.
Je vous remercie de vos précisions, monsieur le garde des sceaux ; mais je
trouve que 15 000 prévenus, c'est quand même beaucoup !
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Tout à fait ! On n'a jamais dit le contraire !
M. Jacques Habert.
C'est beaucoup trop, en particulier quand il s'agit de gens - et ils sont
nombreux - qui sont soupçonnés de délits relevant du droit pénal et non pas de
crimes de sang ou autres crimes.
Le nombre des prévenus est beaucoup trop élevé et leur détention « provisoire
» dure beaucoup trop longtemps.
Cette remarque vaut pour tous, quelles que soient l'origine sociale ou les
fonctions tenues avant l'incarcération. Mais il faut noter que, parmi ces
personnes, certaines étaient jusque-là honorablement connues et occupaient des
positions élevées dans notre société : chefs d'entreprise, présidents de
compagnie, administrateurs de sociétés, sans parler des maires, des
parlementaires ou des anciens ministres. Est-il vraiment utile de les maintenir
en détention pendant des mois pour la recherche de la vérité, alors que,
quelquefois, on ne les interroge même pas ?
Cette situtation, qui se répète, devient de plus en plus choquante. On se
demande jusqu'où l'on peut aller, et pendant combien de temps on va garder des
hommes en prison, sans jugement.
Le sénateur représentant les Français de l'étranger que je suis est souvent
questionné à cet égard, hors de nos frontières. La détention sans jugement, et
sans limites précises, est sujet d'étonnement, surtout aux Etats-Unis, bien
sûr, où la liberté provisoire est un droit, tant que l'on n'a pas été condamné
! Ne serait-il pas bon que ce droit soit aussi clairement écrit et défini dans
notre code ?
En Amérique, il suffit de payer une caution pour recouvrer - au moins
provisoirement - la liberté. Le juge s'entoure de toutes les garanties qu'il
estime devoir prendre pour que l'inculpé demeure à la disposition de la
justice. Certes, cela coûte très cher à l'intéressé,...
M. Guy Allouche.
Ah oui !
M. Jacques Habert.
... mais, au moins, il est libre de retourner vivre dans sa famille, tout en
restant sous surveillance. Il reçoit l'ordre de ne pas se déplacer hors d'un
certain périmètre et de garder contact avec les autorités. La justice en exerce
le contrôle, mais au moins, il n'est pas maintenu entre quatre murs et
n'encombre pas inutilement les prisons.
Un dernier point doit être souligné, car, de même qu'il nous rend très
perplexes, il inquiète vivement nos compatriotes. La justice, en France,
est-elle la même pour tous ?
On constate que certains prévenus sont gardés en prison, parfois pendant de
longs mois, sans jugement, alors que d'autres, même après avoir été jugés et
condamnés, mais ayant fait appel, n'y sont pas envoyés. On se demande pourquoi
!
Il est inutile de citer des exemples et des noms que chacun connaît. Nous
avons l'impression que, dans le domaine de la détention provisoire, des
inégalités flagrantes, des abus et des iniquités existent. Nous souhaitons
qu'il soit possible d'y remédier.
La discussion de ce projet de loi nous permettra de mieux éclairer les points
dont je viens de parler, et j'espère, monsieur le garde des sceaux, mes chers
collègues, que la justice à laquelle nous aspirons tous en sortira
renforcée.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Monsieur le président, je sollicite une suspension de
séance de cinq minutes.
M. le président.
Le Sénat va, bien sûr, accéder à votre demande.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à dix-huit heures
dix.)