M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 17, MM. Dreyfus-Schmidt et Badinter, les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 2, un article additionnel ainsi rédigé :
« Les deux premières phrases du deuxième alinéa de l'article 137 du code de procédure pénale sont remplacées par les trois alinéas suivants :
« La détention provisoire est prescrite ou prolongée, à la demande du juge d'instruction, par le président du tribunal de grande instance ou le juge délégué par lui.
« Le président du tribunal ou le juge délégué par lui, après avoir examiné la matérialité des charges et la nature des incriminations, se prononce au vu des seuls éléments du dossier relatifs à l'appréciation des conditions de mise en détention provisoire fixées par l'article 144.
« Lorsque le président du tribunal ou le juge délégué par lui ne prescrit pas la détention ou ne prolonge pas cette mesure, il peut placer la personne sous contrôle judiciaire en la soumettant à une ou plusieurs des obligations prévues par l'article 138-3. »
Par amendement n° 25, Mme Borvo, M. Pagès, les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, avant l'article 1er AA, un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est inséré après l'article 137 du code de procédure pénale, un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. - La détention provisoire est prescrite ou prolongée par une chambre des demandes de mise en détention provisoire.
« Cette chambre est composée de trois magistrats du siège. Ne peuvent y siéger le juge d'instruction saisi et tout magistrat ayant connu l'affaire en qualité de juge d'instruction. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 17.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Avec cet amendement, nous proposons d'en revenir au système qui était en vigueur entre le 4 janvier 1993 et le 24 août 1993.
Cet amendement est en discussion commune avec un amendement de nos collègues communistes, que nous soutiendrons, car il vise à instaurer un système que nous préférons : la collégialité.
Je rappelle d'ailleurs que la loi du 4 janvier 1993 n'avait prévu de donner le pouvoir de statuer au président du tribunal de grande instance que provisoirement, jusqu'au 1er janvier 1994, date à laquelle devait être mise à nouveau en place la collégialité, système qui, avec des modalités différentes, avait été voté quasiment à l'unanimité par le Sénat à la demande, d'abord, de M. Robert Badinter, puis de M. Albin Chalandon.
Aujourd'hui, le référé-liberté est certes confié au président de la chambre d'accusation, mais seulement en cas d'abus manifeste de la part du juge d'instruction, ce qui, fort heureusement, n'est que tout à fait exceptionnel.
Par ailleurs, il ne peut pas y avoir aussitôt débat devant le président de la chambre d'accusation puisque celle-ci est, bien souvent, très éloignée du cabinet du juge d'instruction.
A titre provisoire, en attendant la grande réforme du code de procédure pénale, nous pensons qu'il est préférable de s'en remettre au président du tribunal plutôt qu'au président de la chambre d'accusation.
Vous mesurez bien la différence entre le dispositif que nous proposons et celui que proposera tout à l'heure - à moins que notre amendement ne soit adopté - le président de la commission, M. Jacques Larché.
Il ne s'agit pas que le juge d'instruction prenne une décision et que l'intéressé demande, en référé, au président du tribunal de grande instance de prendre une décision contraire. Il s'agit que le juge d'instruction, s'il veut placer quelqu'un en détention, demande au président du tribunal de grande instance de prendre la décision.
Tel est le sens de l'amendement n° 17 que nous demandons au Sénat d'adopter.
M. le président. La parole est à Mme Borvo, pour présenter l'amendement n° 25.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, vous connaissez notre attachement - nous avons eu l'occasion de le rappeler souvent - au principe de la collégialité.
Nous y attachons d'autant plus d'importance, dans le cadre de ce projet de loi, que la détention provisoire porte atteinte à un principe essentiel, celui du respect de la présomption d'innocence.
C'est pourquoi nous estimons qu'il est nécessaire que la décision de placement en détention provisoire soit prise par une formation collégiale excluant le juge d'instruction saisi de l'affaire et tout magistrat ayant eu à en connaître dans le cadre de l'instruction.
En effet, la détention provisoire ne doit pas être utilisée comme l'un des moyens mis à la disposition des juges d'instruction pour faire apparaître la vérité ou l'aveu.
Notre collègue, M. Cabanel, avait indiqué dans son rapport qu'une telle disposition, en vigueur entre le 1er mars 1993 et la mise en application de la loi du 24 août 1993, avait eu pour effet de réduire le nombre de placements en détention provisoire. M. Cabanel indiquait alors que cela résultait pour partie du fait que le juge d'instruction renonçait, dans certains cas, à demander la mise en détention provisoire d'un prévenu, alors qu'il n'aurait pas hésité à la prononcer s'il avait été seul à détenir le pouvoir du placement.
Il est, dès lors, difficilement concevable d'accepter qu'un juge seul, au surplus celui qui instruit l'affaire, prenne la décision de mise en détention provisoire.
Telles sont les raisons qui nous conduisent à vous demander d'adopter cet amendement qui, j'en conviens, implique d'augmenter les moyens alloués à la justice, ce qui n'est malheureusement pas la priorité du Gouvernement, l'examen du projet de loi de finances pour 1997 en témoigne.
M. le président. Quel est l'avis de la commision sur les amendements n°s 17 et 25 ?
M. Georges Othily, rapporteur. L'amendement n° 17 prévoit un retour au système du juge délégué pour le placement en détention provisoire.
C'est une solution intermédiaire, mais non satisfaisante, entre la collégialité et le droit actuel.
Pourquoi aller obligatoirement chez le juge délégué si, ce qui est fréquent, la personne mise en examen ne conteste même pas son placement en détention ?
A cet égard, l'amendement de la commission sur le référé-liberté, qui fait intervenir le président du tribunal, mais seulement en cas d'appel, serait à notre avis nettement plus satisfaisant.
L'amendement n° 25 prévoit la collégialité pour le placement en détention provisoire.
Le débat a été tranché lors de la première lecture, tout au moins pour ce qui concerne le présent projet de loi. Nous sommes donc tous d'accord ici pour dire : pas de réforme sans moyens. Soyons logiques avec nous-mêmes !
Telles sont les raisons pour lesquelles la commision n'est pas favorable aux amendements n°s 17 et 25.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Le Gouvernement partage le sentiment de la commission et considère que, sur ces deux points, le débat a été tranché en première lecture et qu'aucun élément nouveau ne permet, pour le moment, de prendre une décision différente.
Lorsqu'une refonte d'ensemble du code de procédure pénale sera examinée, bien des idées et bien des projets pourront être débattus, et peut-être adoptés par le Parlement.
Mais, pour aujourd'hui, je souhaite que le Sénat maintienne la position qu'il a adoptée en première lecture et je suis donc défavorable aux deux amendements, celui du groupe communiste et celui du groupe socialiste.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 17.
M. Charles de Cuttoli. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. de Cuttoli.
M. Charles de Cuttoli. Monsieur le président, je ne voterai pas cet amendement car il me semble - et cela me choque quelque peu - qu'il instaure une confusion des genres en plaçant le président du tribunal de grande instance dans la situation d'être juge et partie, si je puis dire. En effet, ce dernier serait appelé à placer quelqu'un en détention provisoire - ce qui témoigne d'une sorte de présomption de culpabilité, qu'on le veuille ou non, même lointaine - alors qu'il sera appelé, notamment dans les petits tribunaux, à connaître de l'affaire, voire à la juger sur le fond.
Monsieur le président, puisque j'ai la parole, j'expliquerai également mon vote sur l'amendement n° 25. Je l'approuve entièrement, je le dis à Mme Borvo, mais je ne le voterai pas.
J'ai eu l'honneur d'être, à la fin de l'année 1997, le rapporteur de ce qui allait devenir la loi Chalandon qui remplaçait d'ailleurs la loi de notre éminent collègueM. Badinter, laquelle avait été votée quelques années plus tôt.
En ce qui concerne la collégialité de la décision de mise en détention, les premières remarques que j'avais faites au garde des sceaux avaient été : comment allez-vous l'appliquer ? Comment allez-vous trouver et les magistrats et les crédits pour pouvoir créer une chambre des mise en détention provisoire ? M. le garde des sceaux m'avait alors répondu qu'il trouverait les crédits. Bien entendu, les crédits n'ont jamais été trouvés, et la loi a été abrogée très rapidement.
Voilà pourquoi je voterai contre cet amendement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Notre préférence va, en tout état de cause, à la collégialité.
Le système qui nous est proposé avec l'amendement n° 25 ne nous satisfait cependant pas pleinement puisque c'est la formule Chalandon et non pas la formule Badinter qui est retenue, étant entendu que la chambre « des libertés » - et non pas la chambre « des demandes de mise en détention provisoire », puisqu'elle peut, non seulement ne pas mettre en détention mais éviter de le faire - devrait être compétente dès qu'une demande de mise en liberté est formulée et pas seulement en cas de détention d'origine ou de prolongation.
Cela étant, nous voterons l'amendement n° 25, sur lequel nous demandons que le Sénat se prononce en priorité.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur cette demande de priorité ?
M. Georges Othily. rapporteur. Je n'y vois pas d'inconvénient.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Favorable.
M. le président. Il n'y a pas d'opposition ?...
La priorité est ordonnée.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, par priorité, l'amendement n° 25, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne de demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 17, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article additionnel avant l'article 1er AA