M. le président. « Art. 5 bis. - Dans l'article 149 du code de procédure pénale, les mots : "manifestement anormal et d'une particulière gravité" sont supprimés. »
Par amendement n° 21, MM. Dreyfus-Schmidt et Badinter, les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger ainsi cet article :
« L'article 149 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
« I. - Après les mots : "indemnité", les mots : "peut être accordée" sont remplacés par les mots : "est accordée en réparation de son préjudice matériel et moral".
« II. - Après le mot "définitive", la fin de l'article est supprimée.
« III. - Il est ajouté un deuxième alinéa ainsi rédigé :
« L'intéressé n'a toutefois pas droit à indemnisation lorsqu'il a échappé à une condamnation du seul fait de la reconnaissance de son irresponsabilité, de la prescription ou de l'amnistie. »
« IV. - Il est ajouté un troisième alinéa ainsi rédigé :
« N'a pas droit non plus à une indemnisation la personne qui aurait fait l'objet d'une détention provisoire pour s'être librement et volontairement accusée ou laissé accusée à tort. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Dans la discussion générale, je n'ai pas eu le temps de citer entièrement les propos de M. le garde des sceaux. Nous savons ce qu'il en est en matière de réparation du préjudice de celui qui a subi une détention provisoire alors qu'il sera acquitté, relaxé ou qu'il bénéficiera d'une ordonnance de non-lieu.
Sans doute faudra-t-il, je l'ai dit tout à l'heure, que le débat soit contradictoire, ce qui n'est pas le cas actuellement, et qu'il ait lieu devant une commission placée auprès de la cour d'appel alors qu'il n'existe actuellement qu'une commission qui siège à la Cour de cassation.
Surtout, il nous semble préférable d'écrire que « la commission accorde une réparation du préjudice » plutôt que « la commission peut apporter réparation ».
Le texte actuel prévoyait qu'une réparation n'était accordée que si le préjudice était « anormal et d'une exceptionnelle gravité ».
Devant le Sénat, à notre demande, vous avez bien voulu supprimer les mots « d'une exceptionnelle gravité », mais le terme « anormal » subsistait. Seul pouvait être réparé le préjudice anormal.
Nous avions demandé à M. le garde des sceaux de nous expliquer ce qu'il entendait par là, mais il ne nous a pas répondu. Devant l'Assemblée, il a déclaré ceci : « Il faut être bien clair, il est des cas où le préjudice n'est pas anormal, même lorsque la personne détenue provisoirement a vu reconnaître son innocence... On peut se trouver dans une telle situation dans quatre hypothèses : la première concerne les personnes qui sont atteintes de troubles psychiques et dont l'irresponsabilité pénale est déclarée au cours de l'instruction, après qu'elles ont été détenues provisoirement. » Cette personne est coupable : elle est placée en détention provisoire. Puis elle est déclarée irresponsable : elle est donc libérée ou internée. Elle n'a bien évidemment pas droit à réparation de son préjudice. Nous en sommes d'accord.
« La deuxième hypothèse, poursuivait M. le garde des sceaux, c'est le cas des lois d'amnistie, qui neutralisent la loi pénale et qui retirent aux faits leurs caractères délictueux, mais a posteriori, de sorte que les poursuites engagées et la détention provisoire éventuelle qui a pu en résulter étaient justifiées au moment où elles ont été décidées. » C'est exact : l'intéressé était bel et bien coupable et il était normal de le placer en détention provisoire pour les besoins de l'instruction. Puis survient une amnistie. On ne va pas réparer son préjudice, soit !
« La troisième hypothèse, continuait M. le garde des sceaux, c'est celle d'une procédure qui fait l'objet d'une annulation et qui ne peut être reprise car le délai de prescription est dépassé. Pour autant, au début de l'information, les décisions prises étaient justifiées. » Soit !
« Enfin, la quatrième hypothèse, c'est celle - qui n'est pas négligeable - où une personne reconnaît des faits qu'elle n'a pas commis de manière à couvrir une tierce personne », je dirais même, non seulement qui reconnaît les faits, mais également qui s'accuse ou qui se laisse accuser à tort. Nous sommes d'accord !
C'est la raison pour laquelle nous avons repris les quatre hypothèses indiquées par M. le garde des sceaux. Leur mention dans la loi permettra à l'intéressé d'obtenir réparation.
Dans un deuxième alinéa, nous apportons la précision suivante : « L'intéressé n'a toutefois pas droit à indemnisation lorsqu'il a échappé à une condamnation du seul fait de la reconnaissance de son irresponsabilité », première hypothèse, « de la prescription », deuxième hypothèse, « ou de l'amnistie, » troisième hypothèse.
Nous ajoutons, enfin, un troisième alinéa ainsi rédigé : « N'a pas droit non plus à une indemnisation la personne qui aurait fait l'objet d'une détention provisoire pour s'être librement et volontairement accusée ou laissé accuser à tort. »
Bien évidemment, celui qui aurait été « passé à tabac » et qui, de ce fait, aurait avoué, aurait droit à réparation. En revanche, celui qui, librement et spontanément, s'accuserait à tort ou se laisserait accuser à tort - ce cas a été envisagé par M. le garde des sceaux - n'aurait pas droit non plus à réparation.
Ainsi, l'article 5 bis aurait le mérite de la clarté et de la précision.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Georges Othily, rapporteur. Cet amendement soulève la question essentielle de l'indemnisation des personnes placées en détention provisoire, puis mises hors de cause par la justice.
Le problème est le suivant : la commission d'indemnisation a-t-elle la faculté ou l'obligation d'accorder une indemnité dans cette hypothèse ? Jusqu'à présent, on s'en est tenu à la faculté, car il peut exister des cas où la détention a été justifiée.
Nos collègues proposent d'instaurer une obligation nuancée : ils prévoient, en effet, des cas où il n'y aurait pas d'indemnisation. La commission ne peut donc que s'en remettre à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 21. Le code de procédure pénale a été suffisamment modifié au cours des deux lectures ; on est allé suffisamment loin dans la prise en compte d'un préjudice, qui, maintenant, n'est plus ni anormal ni d'une particulière gravité.
En outre, la technique qui consiste à reprendre les cas que j'avais indiqués à l'Assemblée nationale n'est sûrement pas la bonne. En effet, par exemple, depuis l'examen de ce texte par l'Assemblée nationale, nous nous sommes rendu compte qu'un cas n'avait pas été pris en considération : l'abrogation de la loi pénale intervenue entre-temps. Je suis persuadé que l'on pourrait en trouver d'autres. Cette énumération limitative ne recouvre donc pas toute la réalité.
Par conséquent, le Gouvernement souhaite le maintien du texte actuel et il émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 21, repoussé par le Gouvernement et pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 5 bis.
(L'article 5 bis est adopté.)
Article 5 ter