ÉPARGNE RETRAITE
Discussion d'une proposition de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 100,
1996-1997), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'épargne retraite.
[Rapport n° 124 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, le débat qui s'ouvre aujourd'hui au Sénat revêt à mes
yeux une importance capitale. Il porte, en effet, sur un sujet qui préoccupe, à
juste titre, l'ensemble de nos concitoyens, puisqu'il s'agit de leur
retraite.
M. Paul Loridant.
Il faut saisir la commission des affaires sociales !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Nous allons préciser ensemble le
cadre des fonds d'épargne retraite tel qu'il a été défini lors de la première
lecture par l'Assemblée nationale de la proposition de loi instituant, enfin,
l'épargne retraite en France. Je m'empresse toutefois de dire que le Sénat
aurait pu ouvrir cette discussion à partir de la proposition de loi déposée par
M. Philippe Marini !
Si nous sommes aujourd'hui si prêts du but, c'est grâce à une mobilisation
collective sans précédent. La discussion de cette proposition de loi est, en
outre, le témoignage d'une coopération exemplaire entre le Gouvernement et le
Parlement, et vous m'en voyez très heureux.
Je tiens à remercier tout particulièrement M. Marini, votre rapporteur, pour
le rôle central qu'il a joué à toutes les étapes de cette réflexion.
La mise en place de fonds d'épargne retraite dans notre pays est une nécessité
largement admise aujourd'hui, ainsi qu'en témoigne une récente enquête
d'opinion effectuée par l'institut BVA. Selon ce sondage, 64 % des Français se
déclarent favorables à la mise en place d'un système de ce type.
La raison d'être première de l'épargne retraite est, en effet, d'apporter un
complément de revenu aux Français qui le souhaitent. C'est, me semble-t-il,
l'esprit d'un système de liberté et de responsabilité que de laisser à chacun
la possibilité de compléter la retraite de base qui lui est garantie par un
complément de revenu procuré par son épargne.
Notre système de retraite par répartition, prolongé par les mécanismes
complémentaires, a donné, convenons-en, d'admirables résultats. Il restera, à
l'avenir, le fondement de la solidarité entre les générations. Il ne saurait
être question de remettre en cause, en quoi que ce soit, le système de retraite
par répartition.
J'ai bien conscience des craintes exprimées ici et là, selon lesquelles les
fonds d'épargne retraite pourraient affaiblir les deux premiers étages d'un
dispositif qui repose sur la répartition, le régime général et les régimes
complémentaires. Mais il n'en est évidemment rien. Ces fonds permettront, au
contraire, à ceux qui le souhaitent de compléter, dans les proportions qu'ils
jugent utiles, leur retraite de base. Loin de menacer nos retraites, les fonds
d'épargne retraite les conforteront.
Je crois même pouvoir dire que le dispositif à trois étages dont nous
disposerons fera de notre pays l'un des mieux armés au monde en matière de
retraite.
J'ajoute que c'est par l'effet bénéfique qu'ils auront pour notre économie que
les fonds d'épargne retraite contribueront à mieux conforter nos systèmes de
prévoyance. Leur instauration, aura en effet, pour objet de « muscler » notre
tissu productif en renforçant les fonds propres des entreprises. Il s'agit donc
de financer l'économie productive.
Aujourd'hui, l'épargne des Français est abondante, mais la part de cette
épargne investie dans les entreprises est très insuffisante.
Les besoins de l'Etat et ceux des administrations publiques en absorbent, en
effet, une fraction extrêmement importante, au détriment des activités
productives. Demain, grâce aux fonds d'épargne retraite et à la remise à flot
de nos comptes publics, cette épargne se réorientera, enfin, vers les
entreprises.
C'est en favorisant le développement des entreprises que nous assurerons le
plus sûrement l'avenir de la protection sociale, parce que ce sont elles qui
créent la richesse et l'emploi, source des cotisations sociales nécessaires à
l'équilibre des systèmes de retraite par répartition. Pour faire aboutir ce
projet, si essentiel pour notre économie, je me suis mis, au cours de ces
derniers mois, à l'écoute des partenaires sociaux et des professionnels. Je
retire de ces échanges et de cette concertation plusieurs convictions, que je
voudrais maintenant vous faire partager.
Premièrement, les fonds d'épargne retraite doivent assurer la sécurité de
l'épargne des salariés.
C'est pourquoi ces fonds, quelle que soit leur forme juridique - société
anonyme, mutuelle, institution de prévoyance - doivent être soumis aux mêmes
règles prudentielles, à un régime d'agrément unique, ainsi qu'à un contrôle
unique.
En proposant d'assujettir les fonds d'épargne retraite au régime prudentiel en
vigueur pour l'assurance-vie, nous répondons pleinement, me semble-t-il, à
cette obligation de sécurité.
Les règles strictes de dispersion des risques qui sont prévues procèdent de la
même volonté de sécurité. Il n'y a pas d'équivoque possible. Notre priorité est
de garantir aux épargnants la sécurité de leurs placements.
Sur toutes ces questions, je suis heureux que les discussions que j'ai menées
avec les partenaires concernés nous aient permis de parvenir à ce bon
compromis.
Vous souhaitez, monsieur le rapporteur, dans un souci de prudence et de
développement de la sécurité financière, que ce texte impose une obligation de
délégation de la gestion de leurs actifs aux fonds d'épargne retraite.
Je ne peux que partager ces deux objectifs. Mais, vous le savez, mesdames,
messieurs les sénateurs, je prépare un texte de loi sur la gestion d'actifs
pour compte de tiers. Je souhaiterais donc, sur ce sujet, procéder à une
concertation approfondie avec les professionnels de la gestion avant de faire
des propositions.
Je vous demande donc, au bénéfice de cet engagement, de retirer l'amendement
que vous avez déposé à cet effet ou d'accepter un nouvel amendement du
Gouvernement ouvrant cette possibilité, sans toutefois en faire dès maintenant
une obligation.
Le Gouvernement vous présentera le projet de loi sur la gestion d'actifs pour
le compte de tiers, au cours du premier semestre de 1997. Ce texte devra
respecter le principe de déontologie et conférer aux gestionnaires les marges
d'indépendance nécessaires. Je prends cet engagement devant votre Haute
Assemblée et je souhaite que nous puissions, à l'occasion de cette discussion,
ouvrir le débat. Nous adresserons ainsi un signe à tous ceux qui, dans les
semaines à venir, mettront en place des fonds d'épargne retraite : ils doivent
se préparer à prendre en considération cette exigence d'indépendance et de
déontologie.
Je souhaite mettre en évidence un deuxième élément.
Cette épargne retraite nouvelle doit s'inscrire dans un cadre collectif, mais
reposer sur le libre engagement de chacun.
Ainsi, la mise en place des plans d'épargne retraite s'effectuera au niveau de
l'entreprise, de la branche ou dans un cadre interprofessionnel. Toutefois,
l'ouverture de ce plan dans chaque entreprise et l'adhésion du salarié au
dispositif dont il relève - entreprise ou branche - doivent rester
facultatives.
A l'inverse, la mise en place de plans individuels, c'est-à-dire souscrits
directement par les salariés auprès des compagnies d'assurance, présenterait
des inconvénients.
Outre le fait qu'elle ne correspond pas à notre tradition de gestion paritaire
des régimes de retraite, cette solution présente des risques non négligeables,
les salariés n'étant pas toujours en mesure d'apprécier seuls la sécurité des
produits qui leur sont offerts. Enfin, elle ne permettrait pas le partage des
cotisations entre le salarié et l'employeur, ce qui, convenons-en, en
limiterait fortement l'intérêt.
Il n'en résulte pas moins que nous aurons à l'avenir à réfléchir aux voies
d'une généralisation à l'ensemble des Français de cette épargne retraite
complémentaire.
Il est un troisième élément que je tiens à souligner : les revenus de ces
fonds doivent être essentiellement distribués sous forme de rente, afin de
constituer un complément de revenu régulier pendant toute la durée de la
retraite.
Vous connaissez mon attachement à la sortie en rente. C'est la condition pour
que ces fonds constituent un véritable complément de retraite. Favoriser une
sortie en capital reviendrait simplement à créer un nouveau produit d'épargne
longue, alors qu'il y en a déjà tant sur le marché.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Exactement !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Tel n'est pas notre objectif, car
nous souhaitons véritablement conforter la retraite de nos concitoyens.
Il est toutefois envisagé de permettre une sortie en capital limitée à 20 %
des droits acquis, dans la limite de 100 000 francs, au moment du départ en
retraite.
De même, la sortie en capital est prévue dans les cas de détresse humaine
comme l'invalidité ou la perte des droits à l'assurance chômage.
Sur le plan fiscal, nous avons prévu d'exonérer d'impôt sur le revenu les
versements qui seront effectués dans la limite de 5 % du montant brut de la
rémunération. Bien entendu, la rente ou le capital perçu ultérieurement seront
soumis à l'impôt sur le revenu.
Sur le plan social, l'alinéa 1 de l'article 26 voté par l'Assemblée nationale
avait institué, sur proposition du Gouvernement, une enveloppe spécifique de
déductibilité pour les plans d'épargne retraite. Cependant, cette disposition -
elle s'élevait à une somme forfaitaire de 4 000 francs, augmentée de 2 % du
salaire brut - a suscité une forme d'incompréhension parmi certains partenaires
sociaux ainsi qu'au sein des organismes de retraite complémentaire, qui
craignent, par la création d'une enveloppe nouvelle, une érosion de l'assiette
des cotisations.
Aussi, dans un souci d'apaisement, le Gouvernement donnera son accord à
l'amendement présenté par la commission des affaires sociales...
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Je vous remercie !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
... tendant à supprimer le
dispositif spécifique d'exonération des cotisations sociales. Ainsi le régime
des fonds d'épargne retraite s'insérera-t-il dans celui qui existe déjà en
faveur des systèmes de prévoyance.
Ce régime permet d'exonérer les versements, dans la limite de 85 % du plafond
annuel de la sécurité sociale, soit jusqu'à 137 037 francs de cotisations. Il a
fait ses preuves et permettra de préserver le caractère attractif de ce produit
nouveau de retraite.
Je l'ai déjà dit, mais je me permettrai d'insister à nouveau : la création de
fonds d'épargne retraite est aujourd'hui nécessaire, parce qu'elle se trouve au
confluent des attentes de nos concitoyens et des besoins de nos entreprises, de
notre économie
M. Jean-Luc Mélenchon.
Du capital financier, point final !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Décidément, vous n'avez pas de
considération pour la création d'emplois !
M. Jean-Luc Mélenchon.
J'en ai beaucoup pour vous, mais pas pour vos arguments !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Vous savez bien, monsieur le
sénateur, que ce sont les entreprises qui créent les emplois !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Oh non, je vous en prie !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
La création de fonds d'épargne
retraite nous donne aujourd'hui l'occasion de répondre aux attentes de tous. Ne
laissons pas passer cette chance !
L'épargne retraite, outre le fait qu'elle sécurise la retraite des salariés
qui y contribuent, mobilise les fonds d'épargne dont les entreprises ont besoin
pour investir et créer des emplois.
L'épargne retraite, à court terme, est donc bien l'instrument de consolidation
des régimes de retraites par répartition.
Que l'on cesse d'opposer épargne retraite et retraite par répartition ! Dans
cinq ans, dans dix ans, dans vingt ans, les régimes de retraite par répartition
ne seront équilibrés que s'il existe un nombre suffisant de salariés. Pour
qu'il y ait demain et après-demain assez de salariés, pour qu'il y ait une
véritable cohésion sociale dans notre pays, il faudra que nous ayons su
mobiliser une épargne suffisamment abondante et que nous ayons pu la mettre à
la disposition de ceux qui investissent, de ceux qui entreprennent, de ceux qui
créent de la richesse, de la croissance et de l'emploi. Il n'y a aucune
opposition, bien au contraire, entre la retraite par répartition et l'épargne
retraite !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini,
rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des
comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est présenté est un texte pour
l'avenir. C'est un texte structurel, et notre discussion sera assurément
fondamentale.
Je tiens tout d'abord à mettre l'accent sur trois aspects de la proposition de
loi qui me semblent particulièrement importants.
Tout d'abord, la loi à l'élaboration de laquelle nous nous apprêtons à
participer est une loi pour les jeunes actifs ; elle s'adresse à ceux qui,
aujourd'hui, sont dans la vie active et ont entre trente ans et cinquante ans ;
ce sont eux, mes chers collègues, qui sont directement et prioritairement
concernés par nos travaux, car c'est de leur retraite et de leur pouvoir
d'achat qu'il s'agit.
M. Paul Loridant.
Cela relève donc de la commission des affaires sociales !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Nous savons fort bien que, dans ces domaines, les aspects
sociaux et financiers sont étroitement mêlés.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Cela dépend pour qui !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Soyons réalistes ! Examinons les chiffres tels qu'ils sont !
L'évolution démographique peut inspirer des préoccupations s'agissant de nos
régimes de retraite.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Tout à fait !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Par ailleurs, nos entreprises ne résisteraient pas, nous le
savons, à un surcroît de charges obligatoires et de prélèvements nouveaux.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Les salariés encore moins !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Demain et après-demain, la création d'emplois dépendra de
notre capacité à maîtriser les charges obligatoires des entreprises. Cette
proposition de loi constitue une tentative partielle de réponse à cette
préoccupation. De ce point de vue, la démarche est particulièrement
importante.
Par ailleurs, mes chers collègues, les fonds d'épargne retraite, couramment
appelés, selon l'usage, « fonds de pension »,...
M. Jean-Luc Mélenchon.
L'usage anglo-saxon !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
... représenteront une chance pour l'économie. Comme l'a dit
très justement M. le ministre, il est important de disposer, à partir de
l'épargne nationale, de fonds institutionnels susceptibles de favoriser la
compétitivité de nos entreprises en renforçant leurs fonds propres, et
d'améliorer celle de la France et de la place financière de Paris, par rapport
à Londres et à Francfort, dans l'Europe de demain.
De ce point de vue, en ce qui concerne les entreprises cotées ainsi que les
petites et moyennes entreprises, au travers du capital développement, sur le
long terme et dans les décennies à venir, les fonds d'épargne retraite
représentent une réforme structurelle importante...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Ça, c'est vrai !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
... et attendue depuis longtemps.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Par vous !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
En troisième lieu, et peut-être cela frustre-t-il certains
interlocuteurs, les fonds d'épargne retraite représentent un instrument nouveau
du dialogue social d'entreprise. Je voudrais insister sur ce point.
Dans les années quatre-vingt, nous avons effectué, c'est vrai, la
décentralisation politique. Les collectivités territoriales sont ainsi en
mesure d'assurer une gestion au plus près du terrain, et souvent de prendre de
meilleures décisions que les administrations d'Etat.
M. Claude Estier.
Vous étiez contre la décentralisation, à l'époque !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
De la même façon, mes chers collègues, le dialogue social
doit se déplacer sur le terrain, et donc adhérer à la réalité de
l'entreprise.
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'est l'autogestion que vous proposez ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Il faut sortir de l'esprit vertical de certaines
organisations et ouvrir la voie, dans les entreprises, à un dialogue
responsable entre les partenaires qui s'y trouvent, tant du côté du patronat
que du côté des représentants des salariés. D'ailleurs, depuis peu de temps,
notre législation en comporte un bon exemple, qui produit des résultats : c'est
ce qu'on appelle la loi Robien sur l'organisation du travail, la réduction du
temps de travail et ses compensations.
La présente démarche s'inscrit un peu dans la même philosophie. Il serait
excellent, monsieur le président de la commission des affaires sociales, que,
demain ou après-demain, le dialogue social puisse se nourrir un peu mieux des
réalités de l'entreprise et que l'on puisse, au niveau d'une entreprise,
globaliser des questions comme les salaires, l'organisation du travail, les
qualifications, les carrières, l'intéressement, la participation et la
préparation de la retraite.
Si l'on ne croit pas à cette décentralisation des décisions économiques,
alors, effectivement, il faut être contre les fonds d'épargne retraite. Si l'on
y croit, il faut adhérer à la démarche et tâcher de la rendre la plus efficace
et la plus probante possible.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Vous donnez déjà les réponses. Ne posez pas en plus les questions !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
M. le ministre de l'économie et des finances l'a fort
opportunément rappelé, le Sénat a constitué, en effet, un élément moteur de
l'évolution des esprits dans cette affaire.
M. Denis Badré.
C'est vrai !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Dès le début de l'année 1993, un groupe de collègues a bien
voulu s'associer à la proposition de loi que j'avais soumise à leur
réflexion...
M. Paul Loridant.
A la commission des affaires sociales !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Mon cher collègue, tous les sénateurs sont à égalité dans
cette assemblée !
M. Jean Chérioux.
Sauf M. Loridant !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
J'espère que l'on ne fait pas de distinction par catégorie
!
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Absolument !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
J'espère que nous avons tous droit au débat !
D'ailleurs, je rappelle que, sur l'initiative de certains d'entre nous,
s'était tenue - c'était en mai 1993, si je ne me trompe - une séance de
questions orales avec débat sur ce thème de l'épargne retraite. Ce débat, qui
avait eu lieu en présence de Mme Simone Veil, avait permis d'échanger des
arguments forts intéressants et de faire progresser la réflexion. M. Jean
Arthuis s'en souvient certainement, car il devait être alors présent dans
l'hémicycle.
Il est vrai que nombre d'occasions perdues ont été collectionnées au fil des
ans. Il est également vrai, mes chers collègues, que notre économie, et sans
doute aussi notre dialogue social, se porteraient un peu mieux si cette réforme
avait été réalisée plus vite. Il faut cependant se féliciter qu'elle soit
aujourd'hui inscrite à l'ordre du jour.
Nous le devons aussi, il faut le rappeler, à nos collègues de l'Assemblée
nationale, et en particulier au groupe de l'Union pour la démocratie française
et du Centre, qui a fait montre d'une pugnacité particulière.
M. Roland du Luart.
Très bien !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Je voudrais, pour ma part, saluer personnellement les efforts
du rapporteur à l'Assemblée nationale, M. Jean-Pierre Thomas. Sur les objectifs
et les principaux éléments de cette proposition de loi, nous avons la même
conception et nous participons au même combat pour le progrès social et pour
faire avancer le système de retraite des Françaises et des Français.
Au sein de la commission des finances du Sénat, nous avons, bien sûr, procédé
à une analyse très approfondie, malgré la brièveté du délai dont nous
disposions. D'ailleurs, le rapport que vous avez à votre disposition, mes chers
collègues, montre que nous nous sommes efforcés d'examiner toutes les questions
qui, selon nous, se posaient.
Avant de survoler les propositions de la commission, je voudrais rendre
hommage à nos interlocuteurs, et en particulier à vos collaborateurs, messieurs
les ministres, qui ont véritablement été animés de l'esprit le plus constructif
et qui se sont prêtés à des dialogues francs, si je puis ainsi les qualifier :
ils ont été fructueux et ils ont permis de bien faire avancer la situation.
Je sais, monsieur le ministre de l'économie et des finances, que, en ce
moment, il n'est pas toujours de coutume de complimenter Bercy, mais
permettez-moi de le faire en l'occurrence, car cela me semble correspondre à la
réalité.
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Bercy beaucoup !
(Sourires.)
M. Philippe Marini,
rapporteur.
En ce qui concerne le mécanisme lui-même, je voudrais
rappeler qu'il comporte quatre parties. En l'occurrence, il y a quatre
catégories d'interlocuteurs, et la terminologie est importante pour que, au
cours de nos débats, nous puissions discuter en toute clarté.
En premier lieu, nous avons les salariés du secteur privé, à qui s'adresse
cette proposition de loi. Je les appellerai les adhérents, car nous sommes dans
un système de liberté et de libre adhésion, dans lequel personne ne sera
contraint.
En deuxième lieu, nous avons les entreprises ou les groupements d'entreprises,
que j'appellerai les souscripteurs car il s'agit de contrats. Il est important
d'insister sur cette notion de contrat ! Ces souscripteurs peuvent être des
entreprises, mais aussi des groupements d'entreprises et, par groupement
d'entreprises, vous savez que l'on peut entendre aussi bien un groupe de
sociétés, au sens capitaliste du terme, que des unions professionnelles ou
interprofessionnelles, géographiques ou de branche, toutes formes de
regroupement qui paraîtraient convenables aux partenaires concernés, aux
initiateurs du fonds d'épargne retraite. Cette souplesse mérite d'être
soulignée.
En troisième lieu, dans la troisième catégorie d'interlocuteurs, nous aurons
les fonds eux-mêmes, qui vont être dotés de la personnalité morale et régis par
certaines dispositions du code des assurances.
A cet égard, tout le monde sera sur la même ligne de départ. Il n'y aura pas
de chasse gardée, et il n'en faut surtout pas. L'égalité des règles du jeu doit
s'instaurer pour que la concurrence puisse jouer équitablement.
Bien entendu, le contrat que j'évoquais sera passé entre les souscripteurs et
les fonds, et il sera dénommé « plan d'épargne retraite ». Ce contrat sera
exécuté selon les intérêts des adhérents, pour optimiser la valeur de leur
placement. Bien entendu, comme il est légitime, les adhérents y veilleront, au
sein des comités de surveillance. Aussi la commission des finances vous
proposera-t-elle quelques amendements pour mieux délimiter les attributions de
ces comités et pour les rendre encore plus effectives qu'elles ne le sont dans
le texte adopté par l'Assemblée nationale.
En quatrième lieu, comme vous y avez fait allusion dans votre propos, monsieur
Arthuis, nous allons trouver les gérants d'actifs financiers, gérant pour
compte de tiers, c'est-à-dire pour le compte des fonds. Nous reviendrons, bien
sûr, sur ce sujet dans le débat. Cependant, je voudrais malgré tout, à ce point
de la discussion, faire état d'une cohérence qu'il me semble nécessaire de
préserver par rapport aux positions prises par le Sénat quand a été examinée et
adoptée la loi du 2 juillet 1996, dite loi de modernisation des activités
financières, par laquelle, notamment, la Commission des opérations de bourse a
reçu une nouvelle légitimité. Il est indispensable, s'agissant de produits qui
seront très largement répandus dans le public, de trouver une délimitation
claire, permettant à la Commission des opérations de bourse de remplir sa
mission.
Pour commenter très rapidement les propositions de la commission des finances,
je me bornerai, messieurs les ministres, à évoquer cinq grandes notions dont
nous voudrions nous rapprocher le plus possible. Ces notions sont l'équité, la
prudence, la transparence, la concurrence et l'efficacité.
Au titre de l'équité, nous souhaitons que les travailleurs non salariés,
bénéficiaires de la loi Madelin, rejoignent le plus vite possible le régime de
droit commun qui sera défini ici. Nous souhaitons aussi que, parmi les salariés
du secteur privé, personne ne reste sur le bord du chemin. Nous voudrions donc
que les salariés des entreprises qui n'auraient pas pu ou pas voulu créer de
fonds d'épargne retraite soient libres d'adhérer à des plans ou à des fonds
existants. Cela fait l'objet d'un amendement de la commission des finances.
Nous voudrions aussi, au titre de l'équité, que les salariés qui seraient
empêchés par des événements de la vie de tirer pleinement parti, au cours d'une
année déterminée, des nouvelles dispositions de la loi puissent reporter sur
une période de quelques années les versements qu'ils n'auraient pas été en
mesure de faire, en gardant un droit à l'incitation fiscale établie par le
texte.
En dernier lieu, il nous semble essentiel de veiller - nous le ferons par
quelques ajustements techniques - à l'équité entre les différents acteurs,
c'est-à-dire les organismes mutualistes issus du code de la mutualité, les
institutions de prévoyance sociale du code de la sécurité sociale, les
mutuelles d'assurance et, naturellement, les compagnies d'assurance
classiques.
En ce qui concerne la prudence, nous avons deux préoccupations majeures, que
vous avez vous-même évoquées, monsieur le ministre. Il s'agit, d'une part, de
la dispersion des risques, car il faut veiller à ce que les économies des
adhérents soient préservées par la meilleure dispersion possible des actifs. Il
s'agit, d'autre part, de la nécessité de séparer les fonctions de gestion de la
garantie des engagements pris à l'égard des adhérents.
Au titre de la transparence, outre les progrès à faire concernant les comités
de surveillance, nous avons prévu un certain nombre de suggestions pour
renforcer les obligations d'information des adhérents et pour favoriser la
transparence des relations entre le fonds et le comité de surveillance. Nous
nous sommes également intéressés au pouvoir qui serait exercé dans les
assemblées générales des sociétés dont les titres se trouveraient dans les
actifs des fonds. Nous avons, à cet égard, souhaité que les gérants d'actifs
financiers soient placés par la loi dans l'obligation d'exercer, chaque fois
que cela est nécessaire, leur droit de vote dans ces assemblées générales et
d'expliquer à leurs adhérents ce qu'ils font, pourquoi ils le font, et en quoi
c'est conforme à leurs intérêts.
S'agissant de la concurrence, nous avons essayé de perfectionner le texte aux
différents niveaux qui s'y prêtaient, c'est-à-dire celui du choix de l'adhérent
et celui du choix du souscripteur. Sans aller jusqu'à des dispositions qui
risqueraient de déstabiliser les fonds et leur gestion, nous avons souhaité
qu'il y ait des possibilités périodiques de réexamen des contrats, afin que la
concurrence puisse pleinement jouer car nous sommes convaincus qu'il y va
réellement de l'intérêt des adhérents et de la valorisation la meilleure
possible de leur future retraite.
Enfin, au titre de la rationalité économique et de l'efficacité, nous nous
sommes interrogés sur les effets de tout ce système sur le financement en fonds
propres des entreprises, qui nous paraît, bien entendu, être un très grand
enjeu pour les années à venir dans notre pays.
Nous ferons, à cet égard, des propositions car notre commission a considéré
que les finalités mêmes de ce système et la nécessité d'optimiser ses effets
économiques devaient conduire à exclure les régimes dits à prestations
définies, qui se traduiraient essentiellement par la gestion d'instruments de
taux, c'est-à-dire d'obligations. En effet, les membres de notre commission des
finances, ainsi que bien d'autres sénateurs, ne souhaitent pas que les fonds
d'épargne retraite soient des contrats d'assurance-vie à quarante ans.
Vous l'avez dit vous-même, monsieur le ministre, nous avons en l'occurrence
l'impérieuse nécessité de participer au dynamisme de l'économie, de réveiller
l'initiative et l'esprit de responsabilité.
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'est de la magie !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Certes, il n'y a pas de recette miracle, mon cher collègue !
Si vous en connaissiez une, il faudrait que vous nous la donniez.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Cela vient !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Vous ne l'avez pas encore fait !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Patience ! Plus que dix-huit mois !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Les fonds d'épargne retraite sont un élément important dans
la politique économique qui va être conduite non seulement sur une année, mais
sur une longue période.
Monsieur le ministre de l'économie et des finances, soyez remercié de
l'initiative que le Gouvernement a prise en inscrivant ce texte à l'ordre du
jour de nos travaux.
Sous le bénéfice des observations que j'ai présentées, je peux vous dire par
avance, mes chers collègues, que, s'agissant des orientations générales du
texte, la commission des finances y a souscrit, à une large majorité.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste
et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
La discussion qui s'ouvre montre
à quel point les enjeux sont essentiels pour tous nos concitoyens, pour notre
économie et pour l'emploi. Je voudrais remercier M. Philippe Marini de la
présentation qu'il vient de faire des fonds d'épargne retraite. Il s'agit d'une
réforme structurelle majeure.
C'est une discussion passionnante qui s'ouvre au Sénat et j'aurais voulu, pour
ma part, au nom du Gouvernement, y participer, mais je dois me rendre
maintenant à Dublin pour un conseil économique et financier et pour la réunion
des chefs d'Etat et de gouvernement.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Ne capitulez pas !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Aussi, je prie le Sénat
d'excuser mon départ : c'est M. Alain Lamassoure qui conduira la discussion au
nom du Gouvernement. Dans ces conditions, je vous demande l'autorisation,
monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, de prendre congé.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants. - M. le ministre quitte l'hémicycle.)
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais simplement dissiper le
malentendu qu'aurait pu faire naître une interruption de M. Loridant lorsque M.
Marini présentait son rapport. Il n'y a pas conflit sur ce texte entre la
commission des finances et notre commission. La commission des affaires
sociales a toujours été favorable, à une très large majorité, à l'institution
en France d'un système d'épargne retraite. Elle y avait simplement posé un
certain nombre de conditions.
La première prévoyait que le système se traduise à la fin par une rente et non
par un versement de capital ; j'ai entendu M. Arthuis confirmer, au nom du
Gouvernement, qu'il en serait bien ainsi.
La deuxième condition était que l'institution de systèmes d'épargne retraite
intervienne le plus rapidement possible pour pallier les conséquences de la
modification de nos régimes de retraite décidée en 1993.
La troisième condition était une séparation tranchée entre le mécanisme
d'alimentation normale de nos régimes de retraite de base et retraite
complémentaire et le système d'épargne retraite. C'est sur ce point seul -
l'article 26 - que la commission des affaires sociales diverge du texte adopté
par l'Assemblée nationale. Nous reverrons donc, lors de la discussion de
l'article 26, quelle théorie triomphera : celle qui a été adoptée par
l'Assemblée nationale et qui est soutenue par M. Marini, ou celle qui a été
adoptée par la commission des affaires sociales du Sénat, et - je viens de
l'entendre, et je m'en réjouis - qui est soutenue par le Gouvernement. Mais
c'est le seul point de divergence - il est petit, mais important pour l'avenir
de nos régimes sociaux - qu'il y ait entre nous ; je tenais à le dire pour
éviter que nous ne nous lancions dans une guerre mythique entre les deux
commissions.
Nous sommes en effet tous partisans de la création du système proposé par
Jean-Pierre Thomas. Nous apprécions toutes les garanties de sécurité et de
bonne gestion que la commission des finances du Sénat a ajoutées au texte de
manière à protéger l'ensemble des adhérents.
C'est donc le Sénat qui tranchera dans cette affaire, demain, quand l'article
26 viendra en discussion.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
J'ai été étonné, moi aussi,
d'entendre ou de lire qu'il y aurait eu affrontement entre la commission des
affaires sociales et la commission des finances.
La commission des finances a été saisie au fond sur ce texte ; elle a, bien
sûr, à faire part de ses observations et des améliorations qu'elle souhaite lui
apporter.
Une concertation a eu lieu entre la commission des affaires sociales et la
commission des finances, et ce texte sera donc le résultat d'un travail
constructif réalisé par les deux commissions du Sénat ; je ne vois donc pas où
trouver matière à querelle dans cette affaire !
Il s'agit d'un texte extrêmement important, qui vient compléter le système de
retraite par répartition. Il a été souhaité par plusieurs organisations
professionnelles et syndicales, et il est donc attendu.
Il convient par conséquent que nous travaillions ensemble à ce texte pour
l'améliorer encore, si possible, sachant que notre travail sera encore
perfectible.
Une proposition a été faite par la commission des affaires sociales. Le
Gouvernement a donné son point de vue. La commission des finances donnera le
sien dans un instant, et le Sénat, bien sûr, se prononcera.
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidé par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe socialiste, 37 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 31 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 26 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 15 minutes.
La parole est à M. Massion.
M. Marc Massion.
Je crains fort, mes chers collègues de la majorité, qu'en votant en l'état ou
simplement modifiée par les amendements présentés par M. Marini, au nom de la
commission des finances, la proposition de loi qui nous est soumise, vous ne
commettiez une nouvelle et lourde faute politique tant sur le fond que sur
l'opportunité.
Sur le fond, je relève le caractère fondamentalement inégalitaire et
dangereux, à terme, de ce texte pour l'ensemble des systèmes de retraite
actuellement en vigueur. Il est vrai que ces dangers n'apparaissent pas encore
clairement aux yeux des Françaises et des Français. Et même, il est vrai que
l'idée rapidement exposée pourrait paraître séduisante. A ce propos, je
constate, en le regrettant, que les réactions des organisations syndicales et
des organismes de retraite en général ont un peu tardé ; mais je me réjouis
qu'elles se multiplient avec force depuis quelque temps.
L'objectivité, toutefois, m'amène à dire que le danger n'est pas pour tout le
monde. Cette affaire suscite des attentes très fortes sur le thème bien connu :
votre argent nous intéresse !
Sur l'opportunité, vous ne répondez pas, une fois de plus, à l'attente de
celles et de ceux à qui vous aviez promis la réduction de la fracture sociale :
ils sont 8 millions en situation de chômage ou de précarité extrême ; ils sont
de 4 à 5 millions en situation de précarité « simple » ; et la préoccupation de
nos concitoyens un peu mieux lotis mais dont la situation reste modeste est
tout autre que celle de l'épargne retraite.
Ainsi, vous concrétisez aujourd'hui une sorte de volonté masochiste du
Gouvernement d'accentuer le déphasage entre les lois votées et les graves
difficultés auxquelles sont confrontés nos compatriotes
M. Claude Estier.
Très bien !
M. Marc Massion.
Mais venons-en au texte lui-même.
Considérant, d'une part, que notre système de retraite fondé sur la
répartition était menacé à brève échéance et, d'autre part, qu'il convenait de
permettre aux entreprises de renforcer leurs fonds propres, un député de la
majorité a été à l'initiative d'un nouveau produit d'épargne entreprise en vue
de la retraite, offert à l'ensemble des salariés, mais facultatif, et fondé sur
la capitalisation.
Cette initiative n'est pas surprenante venant d'un membre de la majorité
actuelle. M. Chirac lui-même, à l'occasion de la campagne présidentielle, avait
déjà évoqué cette orientation ; M. Arthuis, en 1996, a eu des velléités
analogues qui n'ont d'ailleurs pas dépassé le stade d'un avant-projet de
loi.
Ce sujet semble faire recette à droite, même si certaines réserves se sont
exprimées ici ou là. Il est rare, cependant, de voir une volonté politique se
concrétiser aussi difficilement : en effet, deux ans et demi se sont écoulés
entre le moment où le texte a été discuté en commission, à l'Assemblée
nationale, et celui où il est examiné en première lecture par le Sénat.
Ce long délai est dû aux nombreuses tractations rendues nécessaires, pour
l'essentiel, par les positions divergentes adoptées par les groupes économiques
concernés par le nouveau produit : je veux évidemment parler des banquiers et
des assureurs. Les uns et les autres ont essayé de peser sur la rédaction du
texte pour qu'il réponde au mieux à leurs intérêts.
Ecartés, depuis la Libération, du domaine de la retraite par les régimes de
base de la sécurité sociale et, plus encore, par les partenaires sociaux,
gestionnaires des régimes complémentaires, les assureurs et les banquiers se
réjouissent de voir le législateur leur offrir, sur le dos des contribuables et
des cotisants, un marché qui, même s'il n'est pas aussi prometteur qu'ils
l'espèrent, leur apportera un surcroît d'affaires.
Je déplore également la manière dont le texte a été discuté à l'Assemblée
nationale : des amendements importants, déposés à la dernière minute sur
l'initiative du Gouvernement, ont rendu la discussion en séance quelque peu
surréaliste, puisque l'opposition, en tout cas, n'était pas en mesure de
savoir, avant d'entrer dans l'hémicycle, ce qui, en définitive, serait
débattu.
Avant d'analyser en détail cette proposition de loi - comme vous l'avez
deviné, j'en pense le plus grand mal ! - en défendant une motion de renvoi à la
commission, j'orienterai mon propos sur la philosophie qui l'a inspirée, car
c'est bien sa logique qui doit retenir toute notre attention.
Cette proposition de loi, en effet, est conforme à une logique déjà
expérimentée auprès des Français - jusque là sans beaucoup de succès - par le
Gouvernement et sa majorité.
Pour reprendre un vocabulaire qui n'est plus guère employé mais que vous
m'incitez à réactualiser ou à remettre à la mode, je dirai que cette
proposition de loi s'inscrit dans une logique de classe.
Les ambitions affichées par les auteurs du texte de drainer une nouvelle
épargne en vue de la retraite ne pourront certainement pas se réaliser comme
ils le souhaitent, parce que les dangers vont rapidement apparaître.
Il est certes nécessaire de se préoccuper de l'avenir de nos régimes de
retraite fondés sur la répartition. Ceux-ci connaîtront à partir de 2015 des
difficultés du fait de la démographie, de l'allongement de l'espérance de vie
et de l'absence d'une forte croissance.
Seulement, ce texte ne répond pas à ces enjeux. On peut donc se demander si, à
l'avenir, il n'y a pas un risque de voir l'Etat récupérer les fonds de pension
pour financer les régimes par répartition. Les entreprises et les affiliés qui
auraient fait le choix des plans de retraite seraient alors grugés.
Les fonds de pension ne répondent pas au problème.
Aux Etats-Unis, où les fonds de pension existent depuis fort longtemps,
seulement 10 % de la population qui, auparavant, bénéficiaient du régime
obligatoire ont souscrit à de tels fonds facultatifs. En Californie, les
budgets sociaux des retraites explosent. Je vous ferai par ailleurs remarquer
que, aussi bien aux Etats-Unis qu'au Japon, les fonds de pension connaissent
des problèmes gigantesques, s'agissant de leurs réserves.
En France, chacun sait que la loi Madelin pour les non-salariés n'a pas fait
recette. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le Gouvernement souhaite
permettre aux non-salariés de bénéficier également du nouveau produit proposé
dans ce texte.
La PRÉFON, la caisse nationale de prévoyance de la fonction publique, offre un
système également facultatif. Mais les fonctionnaires, à la différence des
salariés, ont une garantie complète de retraite. Il serait donc malvenu
d'établir des comparaisons. Rappelons au passage que seulement 2 % des
fonctionnaires adhèrent à la PRÉFON.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Ce n'est pas assez !
M. Marc Massion.
Le système facultatif et individuel ne marche pas. Beaucoup d'individus n'ont
en effet pas la capacité financière et le souci de se projeter à très long
terme. Ils souhaitent, qui plus est, dans le cas où ils économisent, avoir une
épargne non captive, pour parer aux aléas de la vie.
Par ailleurs, pour bon nombre d'entre eux, ce système est par nature risqué,
puisqu'il s'agit de capitalisation. Qui peut dire, aujourd'hui, ce que seront
l'inflation ou les marchés financiers dans quarante ans ?
On voit bien que les fonds de pension posent toutes sortes de problèmes. Y
avoir recours, et ce à travers un texte relativement bâclé, est irresponsable.
La retraite nécessite de cotiser pendant longtemps : trente ou quarante ans.
Cela signifie deux choses : il faut s'y prendre longtemps à l'avance et il faut
avoir beaucoup de volonté.
Ce nouveau système est détestable, car il est surtout inégalitaire.
Il est clair que le nouveau système créera des inégalités pour les salariés
selon qu'ils travaillent dans des entreprises qui opteront ou non pour
l'épargne retraite. En gros, on serait tenté de dire que les salariés des
petites et moyennes entreprises pourraient être écartés du système. Je vous
rappelle que les entreprises de moins de cinquante salariés représentent 55 %
des effectifs globaux, ce qui n'est pas rien.
De manière générale, seules y penseront les personnes disposant de revenus
élevés, parce qu'elles peuvent dégager une épargne supplémentaire sans
difficulté et parce qu'elles sont incitées par le dispositif fiscal leur
offrant une nouvelle niche fiscale permettant d'échapper à l'impôt.
C'est pour ces personnes-là - cadres supérieurs disposant de revenus élevés et
bénéficiant déjà de régimes de retraite particuliers, de
stocks options
,
etc. - que le texte a été rédigé. Mais c'est aussi - j'aurai garde de ne pas
les oublier - pour les compagnies d'assurances et les banques, qui ont besoin
d'un nouveau marché.
Dans ce nouveau système, que faites-vous donc de tous ces salariés qui,
licenciés vers quarante-cinq ans, finissent leur vie professionnelle à coups de
missions d'intérim jusqu'à la retraite ?
Que faites-vous de tous ces salariés qui travaillent six mois, trois mois,
parfois huit jours, voire deux jours, à coups de contrats à durée déterminée ?
Où se situent-ils dans le système que vous nous proposez aujourd'hui ?
Pour revenir aux affiliés potentiels, il est inadmissible que le Gouvernement
se préoccupe d'offrir des avantages fiscaux aux contribuables les plus riches
de notre pays. Par définition, le système de la déductibilité n'avantagera que
les contribuables imposables et, au sein d'entre eux, ce système offrira des
avantages fiscaux d'autant plus élevés que les revenus auxquels il se rapporte
le seront.
J'ajouterai enfin que les plans d'épargne retraite, par le fait même qu'ils
n'ont pas recours à la mutualisation et que le montant de la rente servie est
fonction de la durée de la capitalisation, seront également, et à ce titre,
inégalitaires, ce que ne sont pas les retraites par répartition.
Les nouveaux affiliés paieront deux fois des cotisations : au titre des
régimes de base, ils paieront pour les générations en âge d'être à la retaite
et ils paieront également pour leur retraite future.
Sur un sujet d'importance comme la retraite, il n'y a pas place pour des
intérêts économiques particuliers.
La rentabilité des assureurs-vie, sous l'action des taux d'intérêt et de la
concurrence accrue, connaît aujourd'hui des heures difficiles. La situation des
banques n'est pas meilleure, loin s'en faut. Tout cela est vrai.
Mais comment faire confiance, en matière de retraite, à des agents privés dont
on veut nous faire croire qu'ils pourront se substituer parfaitement, et avec
les mêmes garanties, à l'Etat ? La retraite est une chose trop importante pour
la leur abandonner. Elle doit rester du domaine de l'Etat et des partenaires
sociaux ; n'oublions pas que les cotisations sont un salaire différé !
Il y a presque un an jour pour jour, le 11 décembre 1995, le secrétaire
général de la commission de contrôle des assurances déclarait lui-même : « J'ai
des inquiétudes sur ce que les assureurs se permettent de garantir à leurs
assurés et sur ce qu'ils pourront donner effectivement. » Comment ne pas penser
de même, aujourd'hui, et ne pas s'inquiéter du nouveau cadeau qui leur est
offert ?
Ce système va casser, à très court terme, notre régime de sécurité sociale.
Les exonérations fiscales et sociales vont avoir un impact diabolique sur tous
les régimes obligatoires, car il est évident que les employeurs vont très vite
voir ce qui est le plus intéressant pour eux : satisfaire à leurs obligations
patronales au titre des régimes de base et complémentaire, ou abonder ces
plans, avec la possibilité que les versements se substituent aux augmentations
salariales, et donc leur permettent doublement de ne pas payer de charges
sociales.
On peut craindre, dans ces conditions, leur désengagement de ces systèmes au
profit du nouveau, ce qui impliquera, pour les salariés qui n'auront pas eu les
moyens d'effectuer des versements, une réduction de leur retraite de base.
On parle déjà, aujourd'hui, d'une évasion de ressources pour les régimes
obligatoires. Le Gouvernement n'a même pas eu le souci, en entérinant cette
mesure d'exonération de charges sociales, d'en présenter le coût pour la
sécurité sociale. L'amendement proposé par la commission des affaires sociales
du Sénat, même s'il répond à une préoccupation légitime, ne règle pas le
problème.
Bien au contraire, j'ai cru comprendre, ce matin, lors de la réunion de la
commission des finances, que nous nous rejoignions sur l'analyse de cet
amendement, monsieur le rapporteur. Espérons que ni pour vous ni pour moi ce
rapprochement ne paraisse suspect !
(Sourires.)
Contrairement à ce que prétend la droite, il n'y a pas, aujourd'hui,
consensus sur l'épargne retraite.
On prétend que sept Français sur dix sont pour une réforme. Mais sur quelle
base ? En effet, 43 % des personnes interrogées estiment ne pas être
suffisamment informées sur la retraite ; 84 % ne pensent pas que le système va
s'améliorer et 30 % seulement des ménages se disent prêts à placer leur épargne
pour leur retraite. La fédération française des sociétés d'assurances,
elle-même, évoque ses propres simulations, qui montrent que les flux engendrés
par ce nouveau produit pourront varier de 1 à 5, selon l'avantage fiscal.
Quand un système a besoin d'un coup de pouce fiscal pour se vendre, j'ai la
faiblesse de penser qu'il propose, par définition, un mauvais produit.
L'ensemble des syndicats sont, d'ailleurs, totalement hostiles au texte, même
si celui-ci a été long à voir le jour, je l'ai dit. Je ne vois donc apparaître
aucun consensus.
M. Marini a rapidement évoqué en commission une prétendue convergence entre ce
qu'il propose et des projets socialistes défendus par Pierre Bérégovoy.
Je veux m'insurger devant cet inadmissible amalgame. Pierre Bérégovoy n'a
jamais été favorable à un système comme celui que vous proposez aujourd'hui. Il
avait simplement songé à mettre en place, pour les régimes spéciaux qui posent
effectivement des problèmes, un fonds abondé par des réserves venant des actifs
des entreprises publiques. Cela n'a rien à voir avec votre système facultatif
et individuel.
Je tenais donc à faire cette rectification à la tribune.
(Très bien ! sur les travées socialistes.)
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Vous la faites par avance !
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'était indispensable !
M. Marc Massion.
D'un point de vue macro-économique, je ne pense pas qu'il soit judicieux, à
l'heure où la croissance reste fragile parce que portée par une consommation
toujours aussi erratique, de mettre en place un système dont la logique est
d'inciter les Français à épargner et à épargner encore, en particulier ceux qui
pourraient contribuer à la relance de la consommation.
Nous nous opposerons donc très violemment à cette proposition de loi, tout au
long de la discussion, en défendant non seulement une question préalable, mais
aussi une motion de renvoi à la commission, ainsi que plus d'une soixantaine
d'amendements.
Cette opposition n'est pas stérile. Nous ne sommes pas opposés, bien au
contraire, à une réflexion sur les régimes de retraite. Simplement, il faut
s'engager dans une autre voie.
Je disais tout à l'heure que la retraite nécessite une volonté sur une longue
durée. Cela ne peut se faire de manière facultative. Il faut une obligation.
Je sais bien que vous allez me dire qu'il y a trop de prélèvements
obligatoires et qu'il n'est pas possible d'en instaurer de nouveaux.
Pour répondre à cette objection, il faut regarder comment fonctionnent
habituellement les différents systèmes de retraite.
Il y a, tout d'abord, les régimes généralisés et obligatoires. Ce sont, bien
évidemment, ces systèmes qui respectent le mieux le principe d'égalité.
Il y a, ensuite, les régimes mis librement en place par les entreprises ou les
branches professionnelles. J'insiste sur le fait que les entreprises et les
branches sont libres de les mettre en place, car les cotisations qui les
financent n'entrent pas dans les prélèvements obligatoires. L'entreprise ou la
branche peut à tout instant revoir à la baisse le régime qu'elle a mis en place
ou même l'arrêter. Ces régimes ne sont obligatoires que pour les salariés des
entreprises concernées.
Ces systèmes, bien évidemment, sont inégalitaires puisque seuls les salariés
des entreprises et branches qui estiment avoir les capacités financières
nécessaires pour les mettre en place vont en profiter. Néanmoins, ces salariés
pourront, en quelque sorte, oublier leur préférence pour le court terme,
contribuer également de leur côté et, ainsi, bénéficier d'un véritable
complément de retraite.
Le troisième système relève de la libre décision de l'assuré. Celui-ci peut
décider seul et librement, dans son entreprise, et s'arrêter quand il le
voudra. Mais il s'agira plus d'une opération d'épargne que d'une opération de
retraite.
La plupart des pays industrialisés disposent de ces trois systèmes. La France
se trouve dans une situation différente puisque l'essentiel de son système de
retraite repose sur trois régimes obligatoires et généralisés : la sécurité
sociale, l'association des régimes de retraites complémentaires, l'ARRCO, et
l'association générale des institutions de retraites des cadres, l'AGIRC, qui
correspondent, en fait, au premier pilier dans les autres pays.
Il est donc regrettable et inconséquent de se préoccuper de la mise en place
d'un troisième pilier. Il serait plus opportun d'asseoir plus encore le
deuxième, c'est-à-dire le système obligatoire d'entreprise ou de branche.
Votre logique est mauvaise ; nous vous le ferons savoir en conséquence, tout
au long de cette discussion.
Monsieur le ministre, chers collègues de la majorité, je ne veux pas, en
conclusion de cette intervention, dramatiser à l'excès la situation qui règne
dans ce pays. Je tiens néanmoins à rappeler ce que disait l'un des vôtres, et
non des moindres, puisqu'il s'agit de M. Pasqua, voilà quelques semaines, au
sujet de la France : « Ce pays est au bord de la révolte. »
L'expression me paraît grave, surtout dans la bouche d'un ancien ministre de
l'intérieur. Mais il m'arrive parfois, quand je discute, dans ma commune, avec
les gens que je rencontre ici ou là, de penser qu'il a raison.
Or, avec ce texte, vous n'allez pas apaiser les craintes ; bien au contraire,
vous allez les accentuer. Alors, mes chers collègues, si un jour « le
couvercle saute » (comme l'on dit, personne ne peut dire comment il retombera,
mais, à coup sûr, il fera une victime, une victime de taille, la démocratie, et
vous en porterez la responsabilité.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant.
Je suis d'accord au moins sur un point avec M. Marini, avec M. le ministre et
avec les présidents des deux commissions : ce texte est très important.
Le débat sur les fonds de pension, ou plutôt sur les fonds d'épargne retraite,
n'est pas neuf. Il trouve son fondement dans la confluence de plusieurs
facteurs, au premier rang desquels on trouve, d'une part, le problème
structurel de la démographie depuis le milieu des années soixante ainsi que la
crise économique que nous traversons depuis plus de vingt ans et, d'autre part,
une mode « idéologique » - je ne trouve pas d'autre mot - qui prend sa source
chez les ultra-libéraux et l'école anglo-saxonne.
La conjonction des deux premiers facteurs - je n'en refais pas l'historique -
semble conduire vers ce qui pourrait être, à l'horizon de 2015, l'impasse des
systèmes de retraite par répartition, bien que ces derniers - on ne l'a pas dit
- aient déjà intégré, à travers les taux de cotisation, ces deux premiers
facteurs.
Il me souvient d'avoir écrit, à titre personnel, dans diverses revues qu'en
l'an 2015 nombre de « petits vieux » feraient des petits boulots pour survivre,
comme cela existe déjà aux Etats-Unis.
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'est juste !
M. Paul Loridant.
Pour autant, le système de retraite par répartition garde la nette préférence
des Français, dans la mesure où il créé une solidarité à l'intérieur d'une
génération, mais surtout une solidarité entre les générations elles-mêmes, ce
qui est un
des piliers fondamentaux
du pacte républicain.
Dans le même temps, les libéraux ont pour coutume de répéter que les
entreprises françaises manquent singulièrement de fonds propres. La
constitution des fonds d'épargne retraite pourrait alors pallier cette
insuffisance, et c'est là le véritable motif de cette proposition de loi.
Les assureurs, ne trouvant rien à redire à cette observation, trouvent là une
excellente opportunité pour avancer des pions sur le terrain des fonds de
pension, qui ne sont ni plus ni moins qu'une individualisation du risque
retraite par la constitution d'un système de capitalisation volontaire à titre
individuel.
Dans cette proposition de loi, l'argument de fond des libéraux est, somme
toute, assez simple : orientons l'épargne, voire une partie des cotisations
sociales, qui pèsent lourdement sur les entreprises, vers les fonds d'épargne
retraite en actions - vous l'avez dit, monsieur le rapporteur ! - pour la
constitution de fonds propres - vous l'avez dit, monsieur le rapporteur ! - en
adoptant une fiscalité plus favorable à ce type d'investissement, fût-ce au
détriment d'autres placements comme l'assurance-vie, même si, jusqu'à présent,
aucune corrélation n'a jamais pu être constatée entre l'importance des fonds de
pension et le taux d'épargne des ménages. Il ne s'agit pas d'autre chose que de
créer un nouveau marché pour le secteur de l'assurance...
M. Jean-Luc Mélenchon,
Exactement !
M. Paul Loridant.
Le troisième étage qui nous est ainsi proposé, venant s'ajouter à celui de la
sécurité sociale et à celui des retraites complémentaires de type ARRCO et
AGIRC, est facultatif pour l'entreprise comme pour le salarié.
A chacun donc, selon la logique de cette proposition de loi, de se constituer
son propre complément de retraite, dont il choisira, à terme, la sortie : rente
viagère ou capital dans la limite d'un certain plafond.
Par ailleurs, chacun aura noté le louable souci démocratique des promoteurs de
cette loi puisque les salariés ne seront pas vraiment associés à la gestion de
ces fonds de pension, sinon de façon très marginale ! J'y reviendrai lors de la
discussion des amendements.
Mes chers collègues, une opération d'épargne retraite de type facultatif est
non seulement foncièrement, fondamentalement inégalitaire et inéquitable pour
les salariés, mais, en plus, elle renforce les inégalités.
Tout système non établi à l'échelon national est, par nature, porteur
d'inégalité. Il y a les entreprises qui mettront en oeuvre ces systèmes et
celles qui ne le feront pas ; dès lors, les salariés de ces dernières seront
désavantagés.
Mais, au-delà, tout système à adhésion facultative à l'intérieur même d'une
profession, d'un ensemble engendre lui-même des inégalités : seuls ceux des
salariés qui ont la capacité de se projeter dans l'avenir sans risque de se
tromper cotiseront à ces systèmes et, bien sûr, ce sont ceux qui souvent en
auraient le plus besoin qui ne disposeront pas des moyens d'adhérer à ces
dispositifs.
L'abondement de l'employeur, si tant est qu'il existe - reconnaissons qu'il
est prévu et qu'il est possible - suppose une contribution volontaire initiale
du salarié lui-même, ce qui renforce encore l'inégalité.
Entre celui qui dispose déjà d'un haut revenu et celui qui n'a que le SMIC
pour faire vivre sa famille, quel est celui, mes chers collègues, qui trouvera
encore assez d'épargne pour cotiser à un fonds d'épargne retraite ?
En matière d'opérations facultatives, et sauf cas particulier, il s'agit
d'épargne retraite par capitalisation des cotisations, et donc d'une stricte
transformation du capital accumulé en rente viagère. Or, dans ces systèmes
libellés en francs, le montant de la rente servie lors de la liquidation est
fixe pour la durée du service de la rente, sauf exception prévue par la loi, et
il est fonction de la durée de capitalisation de chaque cotisation. Autrement
dit, pour un même versement, un salarié obtient un élément de rente différent
selon son âge lors du versement. Ainsi, celui qui verse 1 franc à vingt-cinq
ans ne jouira pas de la même rente que celui qui verse 1 franc à cinquante-neuf
ans.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
C'est l'inégalité de l'âge !
M. Paul Loridant.
Cette technique induit donc bel et bien une inégalité supplémentaire entre les
salariés, alors qu'un système obligatoire permet une véritable mutualisation
des droits à la retraite indépendamment de l'âge, tout comme en prévoyance
collective, par exemple.
Que dire aussi d'une rente viagère, sinon qu'elle est le piège par excellence,
dans la mesure où la rente est servie contractuellement à taux fixe, sans
jamais tenir compte de l'inflation ou d'éventuelles dévaluations monétaires ?
Pour s'en convaincre, il suffit d'observer la situation depuis les années
cinquante : on constate que le système ne fonctionne pas correctement puisque
les rentiers ont dû attendre le début des années quatre-vingt-dix pour
bénéficier, de par la loi, d'une revalorisation de leur rente égale au moins à
l'inflation, ce qui correspond à une période où les taux d'intérêt réels
étaient particulièrement élevés et, en fait, à une période de grave crise
économique.
Par ailleurs, le principe d'une déduction fiscale attachée aux versements des
salariés est, en lui-même, une redistribution à l'envers, et donc renforce ces
inégalités, d'autant que plus d'un Français sur deux n'est pas concerné par
l'impôt sur le revenu. Dans ce cas, l'avantage de la cotisation à l'épargne
retraite est singulièrement amoindri.
S'agissant, enfin, des principales personnes concernées dans cette affaire, à
savoir les salariés, comme je viens de le dire, chacun aura noté le peu
d'empressement que les rédacteurs de cette proposition de loi ont mis à leur
accorder une place de premier plan dans la gestion de ces fonds qui, tout de
même, les concerne directement. Il s'agit de salaires différés, il s'agit de la
retraite des salariés, cela ne concerne pas les employeurs.
Les systèmes de fonds de pension représentent des opérations d'une durée, en
général, de plusieurs dizaines d'années. En conséquence, ils nécessitent des
réserves importantes qui permettent de faire face aux évolutions de divers
paramètres aléatoires de nature socio-économique, tant externes qu'internes.
Sur une période aussi longue cela se comprend. Aussi, l'existence de réserves,
gages de sécurité à long terme pour les participants, constitue un transfert
entre générations ; il serait donc pour le moins indispensable que ce soient
les partenaires sociaux qui contrôlent ces régimes pour les piloter avec équité
dans l'intérêt général.
Autant dire que, de cela, il n'est absolument pas question puisque la
proposition de loi n'envisage même pas le comité d'entreprise comme un acteur
possible de la mise en place d'un fonds de pension, alors même que la loi
Madelin sur les plans d'épargne entreprise le prévoyait. Pourtant, les
syndicats de salariés, les comités d'entreprise ont leur mot à dire dans
l'épargne entreprise.
Cette proposition de loi, au-delà de son iniquité, sent résolument le bâclé
comme elle ne tient absolument pas compte de l'histoire des fonds de pension,
qui est plus vraisemblablement celle d'un échec que celle d'une réussite.
Je prendrai ainsi certains exemples de systèmes facultatifs en matière de
retraite supplémentaire. Citons PREFON, qui concerne les fonctionnaires. Au
bout de trente années de fonctionnement, il a recueilli moins de 200 000
adhésions, chiffre dérisoire par rapport au nombre de participants potentiels.
Citons encore Organic Complémentaire, pour les commerçants, qui regroupe moins
de 5 % des adhérents possibles. Il en va de même pour COREVA, système
facultatif de retraite pour les agriculteurs ; l'échec flagrant de la loi
Madelin pour la partie épargne retraite démontre le peu d'attrait de nos
concitoyens pour la formule.
A l'origine, les fonds de pension sont un pur produit de la culture
capitaliste américaine. Le modèle social américain laisse une part très maigre
à la solidarité nationale, contrairement au système français qui, sans être
tout à fait universel, couvre la quasi-totalité de la population. Pour mémoire,
je vous rappelle, mes chers collègues, que plus de trente-cinq millions
d'Américains vivent au-dessous du seuil de pauvreté et ne bénéficient d'aucune
couverture sociale, sauf à recourir à l'aide des pouvoirs publics - quand elle
existe - ou, plus sûrement, à celle des organisations caritatives.
Beaucoup de citoyens américains qui avaient misé sur la constitution d'une
épargne retraite individuelle ont fini par y renoncer. Ainsi, chez Levi's, la
grande firme textile californienne, le fonds d'épargne retraite mis en place
pour remplacer le système de retraite obligatoire a capoté. Il y a cinq ans,
tous les salariés cotisaient, contre, aujourd'hui, 10 % seulement. On peut
deviner la suite dans les années futures et le sort de ces employés lorsqu'ils
auront atteint l'âge de la retraite !
Aux Etats-Unis, les fonds de pension connaissent un gigantesque échec qui est
soigneusement occulté en France, où l'on ne parle jamais, non plus, de la
faillite de ces fonds après le krach boursier de 1929, ni d'ailleurs du
scandale Maxwell, alors que tant de salariés britanniques ont été lésés. Cet
aspect est pourtant frappant du point de vue tant social qu'économique ou
financier.
De plus, il faudra compter sur l'expérience américaine et ses conséquences sur
le plan pénal. J'attire votre attention sur ce point, monsieur le rapporteur.
Le risque, pour l'employeur, de se voir poursuivi pour défaut de conseil ou
pour préjudice vis-à-vis des salariés...
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Cela ne peut que vous réjouir !
M. Paul Loridant.
... ou vis-à-vis des anciens salariés n'est pas nul. Aux Etats-Unis,...
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Les Etats-Unis ne connaissent pas le même droit que nous !
M. Paul Loridant.
... le nombre de recours devant les tribunaux pour des faits de ce type est en
très nette augmentation, monsieur le rapporteur, et la responsabilité du
promoteur du fonds de pension, pour une opération même facultative, est de plus
en plus souvent engagée, ce qui met les dirigeants d'entreprise dans une
position très inconfortable. Du coup, ces entreprises ont de plus en plus
tendance à proposer à leurs salariés le simple accès, même facilité, à tous les
produits du marché, sans se prononcer pour l'un ou pour l'autre.
Je veux souligner également un autre vrai danger : les fonds d'épargne
retraite ont toutes les chances d'amputer les cotisations de retraite. C'est
d'ailleurs pour cela que je m'étonnais que la commission des affaires sociales
ne se soit pas saisie pour avis de ce texte. Du fait de l'exonération des
cotisations sociales prévue par le texte tel qu'il est issu des travaux de
l'Assemblée nationale, l'ARRCO comme l'AGIRC ont raison de craindre que les
entreprises ne préfèrent abonder les fonds d'épargne retraite plutôt que
d'accorder des augmentations de salaires.
C'est ainsi que les experts de l'AGIRC, selon le quotidien
La Tribune,
estiment qu'un versement de 50 millions de francs dans des fonds d'épargne
retraite entraînerait une évasion de la masse salariale de 2 % par an, soit une
perte sèche de ressources de plus de 3 milliards de francs par an pour l'AGIRC
et pour l'ARRCO.
Ainsi, les perspectives d'équilibre financier de ces deux régimes de retraite
à l'horizon 2015, entérinées par l'accord d'avril dernier - voilà donc à peine
quelques mois, l'encre est tout juste sèche - seraient remises en cause.
En développant, sans plus de précaution, le troisième étage de retraite, c'est
tout l'édifice du système de la couverture vieillesse que le Gouvernement met
ainsi en péril. Qui paiera le manque à gagner ? L'Etat, c'est-à-dire l'ensemble
de la collectivité nationale. Pourquoi ? Pour financer quelques fonds de
pension de quelques privilégiés. Est-ce cela la conception républicaine de la
justice sociale ?
Ce texte, bien entendu, nous ne le voterons pas. Il est une très mauvaise
réponse à un problème sérieux qui sera celui de cette fin de siècle et des
années ultérieures. Il est profondément inégalitaire, du point de vue tant des
entreprises que des salariés, dont on ne demande même pas l'avis. Il distend
les liens entre générations en favorisant l'individualisme au détriment de la
solidarité. Il est immoral de ce point de vue, car totalement contraire à
l'esprit de notre République, démocratique et sociale.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Ce n'est pas encore une démocratie populaire !
M. Paul Loridant.
Enfin, il porte en germe une menace directe sur le fragile équilibre établi
par les deux grandes caisses de retraite complémentaire en raison des avantages
fiscaux qui seraient accordés aux fonds d'épargne retraite.
Enfin, ce texte est profondément pervers. Il n'a été conçu que pour satisfaire
quelques puissances financières. Ne lit-on pas, dans l'éditorial en date du 29
novembre dernier de
L'Argus,
la revue des assureurs, à propos de la
proposition de loi dont nous débattons : « C'est une victoire du progrès sur le
conservatisme -
sic !
- Une victoire pour les assureurs dont les
demandes les plus pressantes ont été satisfaites. »
M. Claude Estier.
Voilà !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Eh oui !
M. Paul Loridant.
C'est on ne peut plus éloquent !
Je note une nouvelle fois qu'il est, par ailleurs, tout à fait singulier qu'un
acte aussi essentiel que la retraite fasse l'objet de si larges débats au sein
des commissions des finances du Parlement sans que les commissions des affaires
sociales aient jamais été invitées à se saisir du dossier.
Aux côtés de tous les syndicats de salariés, aux côtés de l'AGIRC et de
l'ARRCO, nous combattrons ce texte qui ne propose d'ailleurs vraiment ni de la
retraite ni de l'épargne.
Nous ferons savoir à nos concitoyens comment, par pans entiers, ce
gouvernement, dont on se demande bien ce qu'il a encore de républicain, brade
chaque jour un peu plus le patrimoine de la nation, si chèrement acquis.
(Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Oh !
M. Paul Loridant.
Non à l'inégalité ! Non à cette proposition de loi !
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Jean Delaneau.
Vous insultez le Parlement, monsieur Loridant !
M. Alain Gournac.
Il ne faut pas exagérer, tout de même !
M. le président.
La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier.
Chacun sait que la situation de nos régimes de retraite par répartition va
connaître un épisode critique à compter de 2005. Chacun le sait, et la plupart
s'accordent pour dire leur attachement aux formes de solidarité sociale
exprimées à travers les mécanismes de répartition.
Il est vrai cependant que cette profession de foi a eu plus souvent l'occasion
de s'exprimer à propos des débats sur l'assurance maladie que sur le sujet des
retraites. Or la question ne se présente pas exactement dans les mêmes
conditions.
Le mécanisme de répartition appliqué à l'assurance maladie exprime une
solidarité que je qualifierai d'universelle. Le cotisant cotise pour tous et
pour lui-même. Autrement dit, il peut être lui-même le bénéficiaire de cette
solidarité à l'époque même de sa contribution au financement du régime de
protection.
S'agissant, en revanche, des retraites, la solidarité mise en oeuvre par les
techniques de répartition joue exclusivement entre actifs et retraités, de
ceux-là vers ceux-ci.
Contrairement à une idée très répandue, qui provient du cas de figure de
l'assurance maladie, les actifs ne cotisent pas pour leur propre retraite. Ils
financent le paiement des retraites de leurs contemporains et n'acquièrent
aucune garantie concrète quant aux possibilités de financement de leur propre
retraite.
Quant on mesure les difficultés d'ajustement de l'assurance maladie, on ne
peut pas imaginer la solution qu'il faudra mettre en oeuvre pour faire face aux
déséquilibres prévus pour les régimes de retraite par répartition. Les chiffres
sont stupéfiants. Dans son rapport, le député Jean-Pierre Thomas cite les
prévisions de l'OFCE, l'Observatoire français des conjonctures économiques, qui
évalue à 35 milliards de francs la somme qu'il faudrait mette en réserve chaque
année pendant quarante ans pour pouvoir garantir en 2040 un niveau de pensions
identique à celui d'aujourd'hui. Pour la période, l'impasse serait, en effet,
de 1 400 milliards de francs.
Devant cette perspective alarmante, il est important de mettre en oeuvre la
panoplie la plus vaste possible de mesures susceptibles de réduire cette
fracture nouvelle, qui risque de se faire au détriment des cadres moyens de la
société. En effet, les bénéficiaires des retraites les plus faibles seront
nécessairement protégés en priorité.
S'agissant, tout d'abord, du principe de la répartition, il ne peut être
question de l'abandonner, ni même de le restreindre. Il convient, au contraire,
de lui donner son effet maximum. Pour cela, il n'y a que deux variables
stratégiques : l'assiette, et le rendement de l'assiette.
Pour ce qui concerne le rendement de l'assiette, il est clair que le taux de
cotisation n'est pas élastique. Les extrapolations faites pour calculer le taux
de cotisation rendu nécessaire par la chute du rapport entre actifs cotisants
et retraités dans les années à venir conduisent à des impossibilités physiques.
Les régimes de retraite par répartition sont aujourd'hui dans l'incapacité
absolue de pérenniser le niveau des pensions que nous connaissons.
Nous le savons tous, et personne n'est en mesure d'apporter une solution
complète, tant sont disproportionnés les besoins de financement et les effets
prévisibles des mesures que nous pouvons mettre en oeuvre de manière classique,
qu'il s'agisse de la hausse des cotisations ou de l'allongement des durées de
cotisation.
Malgré la loi du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, on observe
encore des mouvements en sens inverse - chacun a en tête l'exemple de la
branche du transport - conduisant donc à une aggravation des déséquilibres de
la répartition.
Le risque, dans ce genre de situation, est de voir se généraliser le
sauve-qui-peut individuel, qui avantage, bien sûr, ceux qui peuvent courir, et
même courir vite !
Qu'observe-t-on, en effet ? Une véritable explosion des assurances-vie ou de
la capitalisation à titre individuel. Le député Jean-Pierre Thomas cite, à cet
égard, des chiffres explicites : 70 % de l'épargne nette des particuliers s'est
investie en 1993 dans l'assurance-vie, contre 52 % en 1992 et 6 % en 1980,
selon une étude de la BNP. Or aucune solution collective ne peut être
recherchée dans le remplacement du régime de répartition par un régime de
capitalisation.
Techniquement, d'abord, la montée en charge d'un régime de capitalisation
demande de longues années. Ses résultats sont évidemment tributaires de la
santé de l'économie et, surtout, du rendement des placements.
La capitalisation qui serait nécessaire pour assurer une substitution au
régime de répartition mis en place en France pour les retraites est encore plus
inaccessible que l'équilibre futur du régime actuel, d'autant qu'il faut penser
à une marge prudentielle qui accroît encore le volume de la capitalisation
nécessaire.
En outre, pendant la montée en charge d'un régime de cette nature, le
mécanisme de répartition doit continuer à jouer. On en arrive donc à un
phénomène de double cotisation qui est impossible à mettre en oeuvre.
Ce constat conduit alors naturellement à creuser la technique du mixage des
systèmes, pour additionner leurs avantages et éliminer l'effet néfaste de leurs
insuffisances. C'est toute la philosophie qui a inspiré et inspire les
initiatives parlementaires relatives aux fonds de pension ou aux plans
d'épargne retraite.
Les années quatre-vingt-dix marquèrent le progressif développement du souci de
l'avenir des retraites dans les discussions entre partenaires sociaux comme au
Parlement. Le Livre blanc sur les retraites, publié en 1991, ouvrit cette
décennie de réflexion, qui nous conduit aujourd'hui à l'examen de la
proposition de loi émanant de l'Assemblée nationale et regroupant les
propositions de MM. Charles Millon et Jean-Pierre Thomas, d'une part, visant à
créer un plan d'épargne entreprise retraite de M. Jacques Barrot, d'autre part,
créant des fonds de pension.
Le débat aurait tout aussi bien pu s'établir à partir de la proposition de loi
d'origine sénatoriale que nous avions déposée en 1992, connue sous le nom de
proposition Marini.
C'est en tout cas l'initiative parlementaire, reconnue par le Gouvernement au
cours de cette session, que je me plais une fois encore à saluer. Après la
prestation spécifique dépendance, voici une nouvelle occasion de reconnaissance
par le Gouvernement de la qualité du travail parlementaire. C'est là
l'essentiel.
Il faut, en outre, reconnaître que la qualité du travail de nos collègues
députés dans ce domaine mérite aussi d'être saluée, singulièrement celle de M.
Jean-PierreThomas, qui s'est attaché, avec une énergie sans faille et une
incontestable compétence, à rechercher la synthèse des dispositions les
meilleures pour concilier le respect de la liberté individuelle, le mécanisme
des accords sociaux, la préservation des acquis sociaux et la nécessité
économique. Il faut, en effet, conjuguer solidarité et responsabilité.
Il est vrai que, si l'on peut obtenir une harmonisation correcte entre les
régimes de base de répartition et un troisième régime de capitalisation, on
peut espérer un renforcement réciproque de tous les éléments de l'édifice.
Cette distinction entre l'objet et les effets du mécanisme est utilement
exprimée dès le départ dans le rapport de notre éminent collègue M. Philippe
Marini, rapporteur de la proposition de loi au nom de la commission des
finances.
L'objet des fonds de pension est avant tout social. Ces fonds doivent
consolider le système actuel de retraite par répartition. On peut cependant en
attendre des effets économiques bénéfiques du fait du renforcement des fonds
propres des entreprises.
Ces effets seront eux-mêmes facteurs d'une consolidation du système de
répartition, par les créations d'emplois induites par une croissance nouvelle
des entreprises, et donc par un élargissement de l'assiette des cotisations.
Toutefois, pour réussir cette harmonisation, il faut veiller, dans la
situation actuelle, d'une part à ne pas soumettre le régime de l'épargne
retraite à un risque mal encadré, d'autre part à ne pas bouleverser, avant même
sa pleine entrée en vigueur et la cueillette de ses fruits, la loi sur le
financement de la sécurité sociale.
Sur le premier point, le texte voté par les députés me paraît offrir les
garanties prudentielles attendues. Le rapporteur au Palais-Bourbon, M.
Jean-Pierre Thomas, a consulté tous les partenaires concernés, les spécialistes
des investissements et les gestionnaires de portefeuilles, pour être en mesure
d'aboutir à un code des assurances renforcé et à une sécurité du système
supérieure à celle que connaissent, par exemple, les Britanniques, qui sont
souvent cités comme référence.
Sur le deuxième point, en revanche, le président de la commission des affaires
sociales du Sénat a très rapidement souhaité que ne soit pas ouvert un risque
d'incohérence dans l'effort fondamental que nous avons engagé en matière de
maîtrise des dépenses dans l'ensemble du système de protection sociale. Il
convient, en effet, de consolider notre effort.
Je n'entrerai pas dans le détail de ce débat, qui sera développé à l'occasion
de la discussion de l'article 26. Mais l'échange de vues sur l'épargne retraite
que nous avons eu au sein de la commission des affaires sociales, de manière
informelle, sur l'initiative de M. Jean-Pierre Fourcade, a été lumineux et donc
convaincant.
La finalité sociale du dispositif nouveau doit être affirmée. Il s'agit de
conforter le dispositif général de nos retraites en enrichissant ses modalités.
La catégorie sociale qui doit être fondamentalement concernée par l'épargne
retraite est bien celle qui risquerait le plus d'être affectée par les
difficultés futures du régime de répartition : celle des cadres moyens, celle
des techniciens et techniciens supérieurs, celle des enseignants, parmi bien
d'autres.
N'oublions pas que 90 % des salaires annuels sont inférieurs à 250 000 francs
par an, et que le salaire moyen dans notre pays est de 11 000 francs brut par
mois.
Le groupe des Républicains et Indépendants se ralliera donc sans hésitation à
l'amendement déposé par notre collègue M. Vasselle, au nom de la commission des
affaires sociales. Cet amendement tend à valider la démarche de l'épargne
retraite en permettant sa mise en place et son acclimatation, pour que la
consolidation de l'architecture générale des retraites par répartition et son
perfectionnement soient bien clairement perçus et ne soient pas considérés
comme une substitution.
Cela dit, le groupe des Républicains et Indépendants espère qu'enfin, grâce à
ce texte, les régimes d'épargne retraite pourront être organisés collectivement
en France, au lieu de laisser chacun se débrouiller tout seul.
Notre groupe salue la détermination et l'énergie de ceux grâce auxquels un tel
débat a pu venir au jour : M. Jean-Pierre Thomas à l'Assemblée nationale et M.
Philippe Marini au Sénat.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Merci !
M. Roland du Luart.
Très bien !
M. Bernard Seillier.
Notre groupe apprécie, bien sûr, l'attitude du Gouvernement, qui a accepté que
vienne en discussion cette proposition de loi, et il apportera tout son soutien
à ce texte.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes
réunis pour examiner une proposition de loi fort importante qui, après une
lente maturation, a connu une brusque accélération, ce qui conduit presque
certains à regretter de manquer d'un peu de temps. Il est vrai qu'un sujet
aussi crucial, à la fois pour l'avenir de notre système de protection sociale
et pour le financement de nos entreprises, mérite un examen très approfondi.
Notre discussion de ce jour doit donc se dérouler dans le sérieux et la
sérénité, sans qu'aucune difficulté ne soit éludée. C'est bien évidemment dans
cet esprit que nous l'abordons. Je souhaite que notre discussion soit
particulièrement constructive, et je pense qu'elle le sera.
Le débat a un double enjeu, cela a déjà été souligné par les principaux
orateurs, en particulier par le rapporteur de la commission des finances, M.
Marini. Il vise, d'une part, à offrir une possibilité de complément de retraite
à long terme aux Français dans un contexte démographique de plus en plus
défavorable aux régimes de base par répartition, principe auquel nous
demeurons, bien sûr, très attachés. Il vise, d'autre part, à améliorer les
financements des entreprises françaises, notamment des PME, l'épargne classique
restant insuffisante pour soutenir leur nécessaire adaptation et accompagner la
modernisation qu'elles entreprennent.
La réalisation de tels objectifs comporte une difficulté. Il s'agit, en effet,
d'inciter les Français à épargner davantage sans contrarier pour autant la
relance nécessaire de la consommation.
Dans ce contexte difficile, un fait est certain : l'avenir des retraites est
un des dossiers prioritaires des gouvernements qui se sont succédé depuis mars
1993.
La loi du 22 juillet 1993, en effet, a permis de sauvegarder durablement le
régime général de l'assurance vieillesse.
Je rappelle à ce propos les trois dispositions essentielles de la réforme :
premièrement, l'indexation des pensions sur les prix à la consommation ;
deuxièmement, l'accroissement d'un par an du nombre de trimestres requis pour
bénéficier d'une retraite à taux plein, afin d'arriver, en 2004, à 160
trimestres contre 150 avant la réforme ; enfin, troisièmement, le changement de
la référence de calcul pour ces mêmes retraites, avec le passage progressif des
dix meilleures années aux vingt-cinq meilleures années sur le principe d'un
accroissement d'une année de référence par an.
Il en a été de même pour les régimes de retraite complémentaire obligatoires,
avec les accords du 10 février 1993 et du 9 février 1994. Dans ces derniers
accords, les régimes concernés ont annoncé une augmentation progressive de
leurs taux contractuels, ce qui a eu pour effet d'augmenter immédiatement leurs
ressources.
C'est dans la lignée de ces textes que s'inscrit la proposition de loi dont
nous débattons aujourd'hui.
Deux chantiers restent à ce jour encore inachevés : la pérennisation des
régimes spéciaux de retraite et le projet de création de fonds de pension
assurant aux Français un complément de retraite par capitalisation.
Est-il nécessaire de rappeler dans quelle situation préoccupante se trouvent
la plupart des régimes spéciaux ? Je ne le pense pas. Le commissariat général
du Plan a présenté sur ce sujet un rapport très riche d'enseignement, au mois
d'octobre 1995.
Chacun des régimes concernés connaît une dégradation du rapport
cotisant/retraité. Dans ces conditions, monsieur le ministre, n'attendons pas
le dernier moment pour essayer de remédier à leurs déséquilibres financiers. Il
nous faut y réfléchir dès maintenant.
S'agissant des fonds de pension, chacune des deux assemblées a apporté sa
contribution à la réflexion engagée par les gouvernements de MM. Balladur et
Juppé, M. Bernard Seillier l'a rappelé fort justement et très précisément à
l'instant : le Sénat, avec la proposition de loi déposé le 19 février 1993 par
notre collègue, aujourd'hui rapporteur, M. Philippe Marini ; et l'Assemblée
nationale, avec la proposition de loi préparée d'après les travaux de M.
Jean-Pierre Thomas et de M. Jacques Barrot, je me plais à le souligner.
Une concertation a été engagée au mois de septembre dernier avec les
partenaires sociaux. Elle a abouti à l'adoption par l'Assemblée nationale de la
proposition que nous examinons maintenant.
Aujourd'hui, c'est dans le créneau mensuel réservé aux propositions de lois
choisies par le Sénat que nous étudions ce texte. Je me plais à le souligner et
à m'en réjouir.
Venons-en au contenu de la réforme. Celle-ci doit respecter trois grands
principes : l'équité, la sécurité et l'efficacité économique.
Sous réserve de l'adoption de quelques amendements, le texte que nous
examinons prend globalement en compte ces trois principes.
Le premier d'entre eux, c'est l'équité.
Le choix des concepteurs du projet est le caractère volontaire de
l'affiliation. Il s'agit non pas de concurrencer les systèmes de retraite
obligatoires, mais de les compléter en proposant un « plus ». Et, comme le
principe de l'affiliation, le choix du montant des versements de l'adhérent et
de l'employeur est également libre. Ce fait doit être souligné.
Par ailleurs, l'affiliation est ouverte aux salariés de droit privé et aux
salariés du secteur agricole ; les travailleurs indépendants et les
fonctionnaires ne peuvent donc y être candidats. On peut le regretter, même si,
comme chacun le sait, ces catégories bénéficient déjà d'un dispositif
spécifique de retraite surcomplémentaire. Il resterait à vérifier que chacun de
ces dispositifs est aussi intéressant que celui auquel nous travaillons. Il
serait utile, monsieur le ministre, que vous puissiez nous communiquer les
éléments d'analyse dont vous disposez à ce sujet et qui nous permettraient de
faire les comparaisons voulues. Voilà qui calmerait, je pense, un certain
nombre d'appréhensions.
Il reste qu'à ma connaissance aucune disposition n'est prévue en faveur des
agriculteurs exploitants.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Ils ont de la veine !
M. Denis Badré.
A cet égard, je souhaiterais connaître également votre sentiment, monsieur le
ministre.
Un autre problème mérite un examen attentif : c'est le cas du salarié
appartenant à une entreprise qui ne propose pas de plan d'épargne retraite. Ce
salarié ne bénéficiera pas de l'aide publique dans les mêmes conditions que son
collègue salarié d'une entreprise qui aurait choisi de souscrire à un tel
dispositif.
Cela ne va pas vraiment dans le sens de l'équité, mais la commission des
finances a fort justement proposé, par voie d'amendement, une solution pour
combler cette lacune de la proposition de loi en permettant à un salarié
d'adhérer à un plan d'épargne retraite existant si son entreprise ne propose
pas elle-même de plan. Cette disposition me semble aller dans le bon sens et,
pour ma part, je la soutiendrai.
Par ailleurs, il importe qu'en cas de rupture du contrat de travail l'adhérent
au fonds de pension puisse transférer ses droits acquis ou, tout au moins, les
conserver. C'est ce que prévoit l'article 8 du texte, et je trouve heureuses
les dispositions qu'il comporte à cet effet. J'ajoute que je proposerai par
sous-amendement de renforcer les garanties que cet article offre aux
salariés.
Le second principe auquel nous sommes très attachés est la sécurité.
La responsabilité de la gestion de l'épargne retraite doit revenir à des
organismes extérieurs soumis aux règles prudentielles de l'assurance,
c'est-à-dire aux banques, aux compagnies d'assurance, aux mutuelles ou à la
Caisse des dépôts et consignations.
Certains scandales, comme l'affaire Maxwell, nous ont montré les dangers d'une
gestion interne des fonds de pension lorsqu'elle n'est pas suffisamment
contrôlée.
Je suis, en outre, favorable à une autre des garanties offertes par ce texte :
l'agrément des organismes gestionnaires par le ministère de l'économie et des
finances.
Mais la sécurité de l'adhérent passe également par la mise en place de ratios
d'investissement très stricts : c'est l'objet de l'article 23 du texte, qui
limite la part de l'actif constituée par des actions d'une même entreprise.
Par ailleurs, le texte prévoit une bonne transparence grâce à un mécanisme
d'information qui accorde un rôle important aux comités de surveillance où
seront représentés les adhérents.
Voilà pour la sécurité.
Le troisième principe fondamental de ce dispositf, c'est la recherche de
l'efficacité économique. Au-delà de l'aspect social de cette proposition de
loi, l'une des motivations - peut-être la principale - du législateur doit
être, évidemment, d'améliorer le financement du secteur productif.
Comme notre rapporteur, M. Philippe Marini, le ministre de l'économie et des
finances l'a fortement souligné dans son propos liminaire : c'est en améliorant
la santé de notre économie que nous servirons au mieux la sauvegarde de nos
régimes de retraite.
Déjà, le texte prévoit de limiter les investissements des fonds d'épargne
retraite en obligations à hauteur de 65 % de l'actif. On peut donc supposer
qu'une grande partie des sommes qui seront capitalisées viendront renforcer les
fonds propres de nos entreprises.
Nul ne peut ignorer le succès remporté par les fonds de pension aux Etats-Unis
- cela a déjà été rappelé - où ils mobilisent plus de 3 000 milliards de
dollars. Ce succès a certainement contribué à la forte expansion du marché
boursier outre-Atlantique ces dernières années. De même, la création des fonds
de pension en France devrait contribuer à remettre la place financière de Paris
en position plus favorable face à ses principales concurrentes, notamment la
City de Londres.
Les futurs fonds d'épargne retraite pourraient être alimentés en particulier
par les organismes de placement collectif en valeurs mobilières orientés
exclusivement vers les petites et moyennes entreprises. Je crois savoir qu'une
étude remise récemment au ministère chargé des petites et moyennes entreprises
irait dans ce sens. Monsieur le ministre, pouvez-vous me le confirmer ? Des
précisions sur ce point renforceraient encore l'argumentation développée en
faveur de ce projet.
La contrepartie de la participation des futurs adhérents des fonds au
financement de l'économie nationale est une certaine souplesse au niveau des
modalités de sortie des plans d'épargne retraite.
Il me semble évident que la règle de base doit être la sortie sous forme de
rente viagère : il faut d'ailleurs noter que les produits existants avec sortie
en capital sont déjà nombreux, que ce soit les contrats d'assurance-vie ou la
plupart des plans d'épargne populaire. Ils sont, au demeurant, assez
différents.
Nos collègues de l'Assemblée nationale ont cependant prévu une sortie en
capital dans le cas des petites rentes. Je considère pour ma part qu'une telle
discrimination ne serait guère opportune, tant sur les plans juridique que
politique.
Au contraire, il est bon que l'adhérent puisse opter, dans tous les cas, en
faveur d'une sortie partielle en capital. C'est le principe retenu par
l'Assemblée nationale et confirmé par la commission des finances du Sénat. Il
reste à préciser, à présent, la limite dans laquelle pourra se faire le
versement en capital.
S'agissant, donc, de ce problème très sensible de la sortie en rente ou en
capital, je me suis réjoui d'entendre tout à l'heure M. le ministre intervenir
pratiquement dans le même sens. C'est de bon augure pour la suite de notre
débat.
En conclusion, cette proposition de loi pose de vraies questions. Elle va
économiquement et financièrement dans le bon sens. Il reste, néanmoins, dans le
cadre de la discussion des articles, à régler quelques problèmes : je pense
notamment à la portée de l'affiliation ainsi qu'au système de déduction fiscale
et sociale. Il est nécessaire que ces questions puissent être traitées dans les
meilleures conditions et dans la clarté afin que ce texte représente un vrai
progrès sur les plans économique et social.
J'ajoute qu'une telle réforme, sur un sujet sensible et complexe, ne doit pas
être réservée à la lecture des seuls initiés. Elle doit, au contraire, être
bien comprise par l'ensemble des Français, à l'instar de notre système de
participation.
C'est nécessaire, monsieur le ministre, si nous voulons rassurer ceux qui
craignent que l'institution de fonds de pension en France ne remette en cause
les régimes de retraite par répartition auxquels nous sommes historiquement,
socialement et politiquement très attachés.
Monsieur le président, sous réserve de ces remarques, est-il utile que je
confirme que le groupe de l'Union centriste votera cette proposition de loi sur
l'épargne retraite ?
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Autain.
M. François Autain.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parce que je
suis avant tout constant dans le choix de mes références - ceux de mes
collègues qui participaient au débat sur la loi de financement de la sécurité
sociale pourraient en témoigner - c'est la lecture des excellents travaux
réalisés au nom de la délégation du Sénat pour la planification par notre non
moins excellent collègue M. Bernard Barbier, que tout le monde connaît, qui a,
une fois de plus, stimulé ma réflexion sur la proposition de loi relative à
l'épargne retraite.
M. Barbier s'interrogeait en effet, l'an dernier, sur les incidences
macroéconomiques du développement des régimes par capitalisation, présentés
comme le moyen de régler, au-delà de 2005, la question du financement des
régimes de retraite compte tenu de la poursuite du vieillissement
démographique.
Première question que se posait M. Barbier, peut-on transférer du pouvoir
d'achat dans le temps ? En d'autres termes, la capitalisation permet-elle de
transférer le pouvoir d'achat d'aujourd'hui pour financer les retraites de
demain et d'après-demain ?
La réponse de M. Barbier était claire : le pouvoir d'achat est comme le
courant électrique, il ne se stocke pas.
Quel que soit le système, il faut toujours que les actifs produisent ce qui
sera consommé, à la fois par eux-mêmes et par les inactifs. La manière dont le
prélèvement sur le labeur des actifs s'opère - répartition ou capitalisation -
est une question beaucoup moins déterminante que le niveau du prélèvement. Dans
tous les cas, les actifs doivent s'abstenir de consommer.
Un prélèvement par transfert d'épargne serait-il mieux supporté par les actifs
qu'un prélèvement obligatoire, s'interroge encore M. Barbier ?
Sa réponse est la suivante : passer d'un régime de répartition à un régime par
capitalisation imposerait un double fardeau à la génération actuelle, qui
paierait non seulement sa retraite à venir, mais encore celle des retraités de
l'ancien système.
Quant au dernier argument en faveur du développement de la capitalisation, qui
serait justifié par la persistance de taux d'intérêt élevés qui garantiraient
le « rendement du système », M. Barbier le juge d'autant plus surprenant qu'un
des avantages prêtés à la capitalisation serait précisément qu'elle permettrait
un accroissement de l'épargne, et donc donc une baisse des taux d'intérêt.
Seconde grande question, la capitalisation permet-elle un meilleur financement
de l'économie ?
Selon ses défenseurs, la capitalisation présenterait deux avantages : une
augmentation de l'épargne des ménages et une meilleure orientation de cette
épargne.
Or les effets de la mise en place de systèmes par capitalisation sur le volume
de l'épargne sont incertains : il n'y a pas de corrélation, toujours selon M.
Barbier, entre le poids des fonds de pension par capitalisation dans les
différents pays et le taux d'épargne.
Par ailleurs, les ménages n'épargnent pour leur retraite que s'ils y sont
contraints. Les systèmes de capitalisation facultative auraient donc peu
d'incidence sur le taux d'épargne. Quant à la capitalisation obligatoire, si
elle est, de ce point de vue, plus efficace, elle fait perdre un avantage de la
capitalisation, qui n'est précisément pas un prélèvement obligatoire.
Par ailleurs, si la modification de la structure de l'épargne présente un
avantage pour les entreprises, elle est risquée pour les salariés.
La conclusion finale de M. Barbier, que je partage en tous points, était la
suivante : l'inquiétude suscitée par un vrai problème - le vieillissement
démographique - ne doit pas déboucher sur des mesures prises à la hâte et des
solutions qui risqueraient, en définitive, d'aggraver les choses.
Je vous adresse donc, mes chers collègues, un conseil : pas de précipitation,
poursuivez encore votre réflexion. Mais, comme je crains que vous ne suiviez
pas ce conseil, j'aimerais vous dire le sentiment que m'inspire ce texte.
S'il faut absolument accepter l'idée de ce troisième étage de retraite, trois
conditions me paraissent devoir être respectées.
D'abord, ce nouveau produit financier ne doit en aucune manière porter
atteinte à l'avenir et à la pérennité financière des régimes par
répartition.
Ensuite, il doit s'adresser à tous les salariés et non pas favoriser les plus
privilégiés d'entre eux.
Enfin, il doit respecter les règles du dialogue social.
Au lieu de cela, que nous proposez-vous ?
La commission des affaires sociales, dont je suis membre, a souligné les
atteintes graves portées par le système d'exonération retenu à l'Assemblée
nationale par le Gouvernement à l'équilibre financier de la sécurité sociale,
qu'il s'agisse du régime de base ou des régimes complémentaires. M. Fourcade me
le pardonnera, mais l'amendement qu'il propose, s'il nous évite le pire, ne
résout en aucun cas le problème.
Qu'on le veuille ou non, et comme il l'a dit lui-même, l'épargne retraite,
c'est du salaire différé offert à bon marché aux employeurs. Le résultat, c'est
que les salariés paieront deux fois : ils subiront, d'abord, une perte de
pouvoir d'achat ; ils devront, ensuite, financer les pertes de recettes de la
sécurité sociale.
Si tout cela était réalisé au profit de tous, on le comprendrait. Mais on voit
bien que le système d'exonération retenu - et M. Philippe Marini, dont la
principale qualité est la franchise, l'a dit à qui voulait l'entendre - a
d'abord pour objet de favoriser les plus hauts revenus. Lesquels ? Ceux des
employeurs eux-mêmes et ceux des cadres dirigeants. Pourquoi ? Parce qu'on nous
explique, d'ailleurs sans pudeur aucune, que si les gros n'ont rien pour eux
ils ne feront rien pour les autres.
Alors, de grâce ! Cessez de nous parler de ce troisième étage social et
démocratique ! Cessez de prétendre aussi que vous voulez aider les classes
moyennes ! Vous n'avez qu'un souci : protéger ceux qui n'en ont pas besoin.
Nous l'avons vu à l'occasion du débat sur les
stock options.
Nous
l'avons vu à nouveau à propos de l'impôt de solidarité sur la fortune. Nous en
avons une nouvelle preuve aujourd'hui.
Voilà pour le fond.
Quant à la forme, elle est plus choquante encore.
L'article 6 de la proposition de loi et,
a fortiori,
l'amendement n° 8
de M. Marini sont, à cet égard, l'un et l'autre parfaitement inacceptables.
Ils définissent comme une règle de droit commun la faculté de négocier un
accord d'entreprise avec n'importe qui, faisant fi du respect des règles de la
représentativité syndicale.
En outre, ils permettent à l'entreprise, dans le texte de l'Assemblée
nationale, en cas d'échec de la négociation collective ou sans même que cette
négociation ait été tentée, dans la proposition de M. Marini, d'imposer
unilatéralement un plan d'épargne retraite à l'ensemble des salariés.
Mais, surtout, monsieur Marini, votre amendement bouleverse notre droit du
travail. Il permet à un accord d'entreprise de primer sur tout accord de niveau
supérieur, y compris dans l'hypothèse où ce dernier est plus avantageux.
Il faut bien le dire : pour trouver plus ultralibéral que vous, il faut
chercher ! Il ne sert à rien, monsieur Marini, de vouloir nier, comme vous le
faites, la réalité sociale des entreprises.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
J'ai toujours affirmé mes convictions, et je continuerai ;
mais il ne faut pas les caricaturer !
M. François Autain.
Je sais bien que vous continuerez,...
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Bien sûr !
M. François Autain.
... mais laissez-moi la possibilité, en ce qui me concerne, d'exprimer mes
convictions !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Bien entendu !
M. François Autain.
Vous ne parviendrez pas à modifier la structure de l'épargne longue pour
favoriser le financement des entreprises - objectif que l'on peut comprendre -
au mépris du dialogue social. Vous n'y parviendrez pas !
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'est impossible !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Allons donc !
M. François Autain.
Vous voyez bien que vos propositions prétendument modernistes soulèvent un
tollé général parmi les partenaires sociaux ! Vous ne pourrez pas faire la
retraite des Français contre eux.
En vérité, il faut bien le dire, vous n'avez que deux objectifs : offrir un
produit financier à des conditions exceptionnelles pour le seul profit de
quelques privilégiés, et en faire supporter le coût, bien entendu, par
l'ensemble de la collectivité
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Caricature !
M. François Autain.
Pis ! le contexte est le plus défavorable qui soit pour vous. Les négociations
engagées sur la reconduction de la retraite à soixante ans, actuellement en
cours, font craindre le pire.
Au moment où l'Etat envisage de remettre en cause les modalités du droit à la
retraite à soixante ans, comment peut-on, aux dépens des plus nombreux, offrir
à quelques-uns un pont d'or payé par tous les autres ?
Décidément, le Président de la République aura beaucoup de mal à faire croire
aux Français, ce soir, qu'il continue de vouloir lutter pour réparer une
fracture sociale que son Gouvernement ne cesse d'approfondir !
Telle est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je voterai, et les
collègues de mon groupe avec moi, contre cette proposition de loi.
Et, puisque la presse nous entend et que les marchés financiers sont à
l'écoute de la moindre rumeur, que vos amis les assureurs sachent - je sais
qu'ils sont ici très largement représentés - que nous abrogerons ce mauvais
texte, et cela dès mars 1998, parce que vous faites tout pour perdre les
élections législatives. Il faut que les Français le sachent pour que votre
manoeuvre n'aboutisse pas !
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du Groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? ...
La discussion générale est close.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous propose d'interrompre nos
travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures
trente-cinq.)