TRAITÉ AVEC L'ESPAGNE
RELATIF À LA COOPÉRATION TRANSFRONTALIÈRE
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 106, 1996-1997),
adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité entre la
République française et le Royaume d'Espagne relatif à la coopération
transfrontalière entre collectivités territoriales, signé à Bayonne le 10 mars
1995. [Rapport n° 132 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Alain Lamassoure,
ministre délégué au budget, porte-parole du Gouvernement.
Monsieur le
président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat
est invité aujourd'hui à autoriser la ratification du traité bilatéral
franco-espagnol signé à Bayonne le 10 mars 1995, après le vote intervenu à
l'Assemblée nationale le 28 novembre dernier. Le même jour d'ailleurs, la
Chambre des députés espagnole a ratifié ce traité, qui sera soumis au Sénat
espagnol dans quelques jours.
Il s'agit d'un traité d'un nouveau type, à la fois par son contenu, par son
contexte européen et par son caractère exemplaire.
Ce texte est tout d'abord exemplaire par son contenu.
Ce traité fait suite à un traité précédent passé entre nos deux pays en 1856,
soit voilà plus de cent ans. A l'époque, il s'agissait de régler des problèmes
de bornage et des droits de pacage entre éleveurs par ce que l'on appelait un
traité de bonne correspondance : certains éleveurs frontaliers avaient le droit
de jouissance de pâturages, soit pour toute la durée de la saison - l'estive -
soit, comme le disait joliment le traité, « de soleil à soleil », c'est-à-dire
avec l'obligation de regagner son propre territoire à la nuit tombante.
Il existait déjà une originalité par rapport à notre droit international
classique : les communes pyrénéennes étaient, en France, les seules habilitées
à passer des accords internationaux, les « faceries », et les élus locaux de
l'époque étaient considérés comme des « faisans », au sens non pas des
volatiles
(Sourires)
mais des acteurs qui agissent, qui font, traduction
française du mot espagnol « faceros ». L'île des Faisans, sur la Bidassoa,
était en fait l'île des diplomates.
Le traité de 1995 a une tout autre portée : il s'agit de permettre aux
collectivités locales pyrénéennes de conduire des projets en commun dans tous
leurs champs de compétences : l'urbanisme, l'environnement, les transports, le
tourisme, l'aménagement de zones d'activités, l'enseignement, la formation
professionnelle, la culture.
Ce traité est original, ensuite, par son contexte européen. Il vise à mettre
fin à un paradoxe.
En effet, depuis la signature du traité de Rome, des élargissements successifs
se sont produits, notamment l'entrée de l'Espagne et du Portugal dans l'Union
européenne, et les relations transfrontalières se sont multipliées, tant sur
les plans économique et culturel qu'entre les élus des deux côtés de la
frontière. Pourtant, en dépit de ces évolutions et de la volonté politique des
élus locaux, les relations entre collectivités territoriales ne se sont pas
développées au même rythme. C'est l'absence de fondements juridiques aux
projets communs qui explique cet état de fait.
C'est pourquoi, dans le présent traité, est affirmée la liberté des
collectivités territoriales et de leurs groupements de passer des conventions
de coopération transfrontalière qui respectent les principes de la prééminence
du droit interne et de la compétence commune. Sont toutefois exclues de
l'objet, les matières relevant des pouvoirs de police, de réglementation, de la
fiscalité et les attributions exercées par les autorités locales en qualité
d'agent de l'Etat ou celles qui seraient de nature à porter atteinte aux droits
individuels.
En revanche, sont reconnus le libre choix du droit applicable à la convention
et la responsabilité contractuelle ou collective à l'égard des tiers et des
usagers.
De même - et c'est une très grande novation - est désormais possible la
participation de collectivités locales espagnoles aux structures de coopération
juridiques françaises actuelles, qu'il s'agisse des groupements d'intérêt
public, des sociétés d'économie mixte ou de toute autre forme de groupement de
collectivités, en particulier des structures intercommunales. En contrepartie,
les collectivités françaises pourront participer aux groupements espagnols tels
que les
consorcios.
Il est également possible de créer des structures conjointes qui rassembleront
des collectivités des deux côtés de la frontière.
Les évolutions internes à venir dans chaque pays sont nettement préservées en
matière de structures nouvelles de coopération.
Enfin, ont été précisées les dispositions de mise en oeuvre et de
fonctionnement de la commission franco-espagnole de coopération
transfrontalière. Cette commission aura pour tâche de rendre effectif et
efficace le fonctionnement de la coopération transfrontalière, en rendant
compte de ses progrès, des problèmes soulevés et des propositions concrètes à
envisager pour l'améliorer.
Le traité franco-espagnol de Bayonne devrait avoir un impact important dans
différents domaines.
En matière d'emploi, il devrait permettre la création d'un plus grand nombre
d'emplois transfrontaliers, tant par le développement de services et
d'administrations nouvelles que par l'impulsion économique dont profiteront les
entreprises locales.
Sur le plan de l'intérêt général, de nombreux projets envisagés et accords
déjà signés deviendront effectifs après l'approbation du traité.
J'en citerai quelques-uns, en commençant par l'est de la frontière : en
matière culturelle, l'accord entre la ville de Perpignan et la Généralité de
Catalogne ; le projet d'installation d'une radio franco-catalane à Barcelone ;
le projet d'une liaison Talgo régionale Toulouse-Barcelone par le tunnel
ferroviaire du Puymorens et, demain, le projet de train à grande vitesse entre
la France et l'Espagne par Perpignan et Barcelone ; en ce qui concerne la
gestion hydraulique, le projet de fourniture d'eau à Barcelone par la compagnie
Bas-Rhône-Languedoc. De l'autre côté de la frontière, au Pays basque,
l'euro-district Hendaye-Irun-Fontarrabia pour la collecte des ordures ménagères
et pour l'assainissement des eaux de la baie de Txingudi ; le développement des
accords qui ont été passés par la région Aquitaine avec la communauté autonome
d'Euskadi et avec la Navarre, par le département des Pyrénées-Atlantiques avec
ses homologues de l'autre côté de la frontière ou par le district
Bayonne-Anglet-Biarritz avec la
deputación
de Guipuzcoa.
Des retombées financières sont également attendues, notamment grâce aux fonds
que l'Union européenne met à la disposition de ces exemples de coopération
transfrontalière, notamment à travers le programme INTERREG.
Enfin, ce texte instaurera une meilleure sécurité juridique dans la mise en
oeuvre de la coopération transfrontalière, tout en préservant la marge de
manoeuvre et l'esprit d'initiative des collectivités territoriales, selon le
principe de subsidiarité.
En particulier, en ce qui concerne le Pays basque, ce texte pourra avoir des
conséquences historiques : le département des Pyrénées-Atlantiques, le district
de Bayonne-Anglet-Biarritz et les communes frontalières ont déjà beaucoup de
projets communs, mais, au-delà, ce traité nous permettra de créer des entités
communes pour agir ensemble.
Je voudrais, enfin, me réjouir de cette nouvelle traduction concrète des
bonnes relations franco-espagnoles et rappeler, au nom du gouvernement
français, que, sur tous les grands sujets européens, Paris et Madrid ont une
vision commune et que la France suit avec une très grande estime la politique
courageuse conduite par le gouvernement espagnol pour qualifier son pays pour
l'union économique et monétaire.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les
principales dispositions du traité entre la République française et le Royaume
d'Espagne relatif à la coopération transfrontalière, qui fait l'objet du projet
de loi aujourd'hui proposé à votre approbation.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Alloncle,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, le traité franco-espagnol signé à Bayonne le 10 mars 1995 constitue
une étape importante dans la construction d'un cadre juridique permettant de
développer la coopération entre collectivités locales frontalières.
Le Sénat a déjà abordé ce sujet au début de la session avec l'accord de
Karlsruhe, qui concernait, quant à lui, la coopération entre collectivités
françaises, allemandes, luxembourgeoises et suisses.
Nous avions alors souligné l'intérêt croissant de nos collectivités locales
pour ce type de coopération. Leurs initiatives se sont multipliées depuis
quelques années mais, durant trop longtemps, les projets concrets visant à
créer ou à gérer des équipements communs n'ont pu voir le jour faute de cadre
juridique approprié.
En effet, les instruments juridiques capables de donner une base légale à ces
initiatives n'ont été mis en place que très progressivement : il s'agit de la
convention-cadre du Conseil de l'Europe de 1980, dite « convention de Madrid »,
et surtout des lois de 1992 sur l'administration territoriale et de 1995 sur
l'aménagement du territoire, dont j'ai présenté, dans mon rapport écrit, les
principales dispositions favorisant la coopération transfrontalière.
Cette évolution importante du droit français n'a pas pour autant aplani tous
les obstables juridiques qui entravent encore les actions de coopération. C'est
pourquoi il a été nécessaire de conclure avec les pays voisins des accords
interétatiques permettant de régler, au cas par cas, les problèmes pratiques
soulevés par la coopération transfrontalière.
Le traité de Bayonne constitue l'un des trois accords conclus par la France
avec ses partenaires.
Vous avez présenté de manière très complète, monsieur le ministre, les
principales caractéristiques de ce traité, qui vous doit beaucoup puisque vous
aviez activement oeuvré à sa conclusion alors que vous occupiez les fonctions
de ministre des affaires européennes.
Je me limiterai simplement à deux observations.
La première concerne le champ d'application géographique du traité. Celui-ci
est très vaste puisque toute collectivité locale incluse dans l'une des quatre
communautés autonomes espagnoles ou l'une des trois régions françaises
frontalières pourra participer à un accord ou à un organisme de coopération.
Le traité ne se limite pas aux collectivités situées sur la frontière. Des
villes telles que Bordeaux, Toulouse ou Montpellier, ainsi que des départements
non frontaliers mais proches de l'Espagne comme les Landes ou l'Hérault,
pourront aussi s'intégrer dans le dispositif.
En revanche, il faudra trouver une solution permettant d'associer Andorre, qui
n'est pas couvert par le traité mais qui participe à la communauté de travail
des Pyrénées, instance de coopération très active mise en place depuis 1983.
Ma seconde observation me conduit à constater que le traité de Bayonne est
moins novateur que l'accord de Karlsruhe, qui, il est vrai, lui est postérieur.
Ce dernier instaure en effet, sous la forme du groupement local de coopération
transfrontalière, un instrument juridique nouveau, plus souple et plus adapté
que les groupements d'intérêt public ou les sociétés d'économie mixte, seuls
visés par le traité de Bayonne.
Toutefois, la situation n'est pas définitivement figée. Le traité de Bayonne,
en vertu de son article 5, pourra couvrir les formes nouvelles de coopération
qui apparaîtraient, à l'avenir, dans le droit français ou le droit espagnol.
Par ailleurs, comme le précise l'article 11, la commission franco-espagnole de
coopération transfrontalière devra étudier les problèmes d'application du
traité et formuler des propositions pour les résoudre ou pour améliorer le
traité lui-même.
Tout cela démontre que, dans l'esprit des deux gouvernements, le traité de
Bayonne établit le socle d'une coopération appelée, par la suite, à évoluer et
à se doter de moyens nouveaux.
De plus, la commission franco-espagnole de coopération transfrontalière, qui
doit se réunir quatre fois par an, constitue un élément très important de ce
traité.
Il nous paraît indispensable, monsieur le ministre, que, par sa composition et
par ses méthodes de travail, cette commission franco-espagnole soit le plus
proche possible des préoccupations de terrain. Elle doit devenir, entre les
collectivités pyrénéennes et les gouvernements, un intermédiaire efficace,
soucieux de développer la coopération transfrontalière et d'améliorer ses
conditions de mise en oeuvre.
En conclusion, je voudrais citer, après M. le ministre, quelques exemples
concrets de coopération entre collectivités qui, grâce au traité de Bayonne,
pourront désormais disposer d'une base juridique.
A l'est des Pyrénées, l'Eurorégion, qui regroupe la Catalogne et les régions
Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon, pourra mettre en place des organes
destinés à gérer des projets communs.
A l'ouest, le fonds commun Aquitaine-Euskadi-Navarre disposera lui aussi
d'instruments nouveaux.
Il en va de même du protocole d'accord liant la
deputación
de Guipuzkoa
et le district Bayonne-Anglet-Biarritz, auquel vous êtes, monsieur le ministre,
tout particulièrement attentif. Le texte fournit les moyens de traiter à
l'échelle de la zone urbaine s'étendant de Bayonne à Saint-Sébastien des
problèmes tels que celui des transports ou des déchets urbains.
Le conseil général des Pyrénées-Atlantiques, quant à lui, pourra intervenir
plus efficacement, avec l'ensemble des collectivités françaises et espagnoles
concernées, sur les questions d'environnement et de traitement de la pollution
côtière.
Ces quelques exemples illustrent les perspectives très larges ouvertes par le
traité de Bayonne. Dans un domaine récent, et très évolutif, il fournit un
support juridique qui jusqu'à présent faisait défaut.
Ce traité marque donc une étape importante qui renforce, au travers de cette
coopération, les formes les plus concrètes et les plus utiles de la
construction européenne.
C'est pourquoi la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées a donné à l'unanimité un avis favorable au présent projet de loi
et vous propose de l'adopter.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
«
Article unique. _
Est autorisée la ratification du traité entre la
République française et le Royaume d'Espagne relatif à la coopération
transfrontalière entre collectivités territoriales, signé à Bayonne le 10 mars
1995, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
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