STATUT GÉNÉRAL DES FONCTIONNAIRES
DE MAYOTTE ET STATUT
DE SAINT-BARTHÉLEMY ET DE SAINT-MARTIN
Adoption d'un projet de loi en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi (n°
122, 1996-1997), modifié par l'Assemblée nationale, portant ratification de
l'ordonnance n° 96-782 du 5 septembre 1996 prise en application de la loi n°
96-87 du 5 février 1996 d'habilitation relative au statut général des
fonctionnaires de la collectivité territoriale, des communes et des
établissements publics de Mayotte et relatif au statut administratif, douanier
et fiscal de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin. [Rapport n° 135
(1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jacques de Peretti,
ministre délégué à l'outre-mer.
Monsieur le président, monsieur le
président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames,
messieurs les sénateurs, le projet de loi portant ratification de l'ordonnance
du 5 septembre 1996 prise en application de la loi du 5 février 1996
d'habilitation relative au statut général des fonctionnaires de la collectivité
territoriale, des communes et des établissements publics de Mayotte vous est
soumis en deuxième lecture aujourd'hui.
L'Assemblée nationale, sensible aux arguments qui avaient emporté votre accord
et aux amendements que votre commission des lois avait déposées, a adopté
l'ensemble du projet de loi, modifié.
Ce projet comporte, outre la dénomination de droit commun pour les lettres A,
B, C et D des catégories hiérarchiques introduites par le Gouvernement pour
tenir compte de demandes unanimes, les amendements que le Sénat a souhaité
introduire. Ces amendements ont pour dénominateur commun une garantie accrue
des droits et des libertés des fonctionnaires à Mayotte, à l'image de celle
qu'ont instituée les titres I à III du statut général des fonctionnaires de
l'Etat et des collectivités territoriales.
Le présent statut répond à une demande ancienne de clarification et
d'unification du droit statutaire des agents publics locaux à Mayotte. Je ne
puis que me féliciter que la présente étape de cette construction statutaire
soit franchie dans des conditions qui ont emporté la satisfaction de tous les
interlocuteurs.
Le nouveau statut a, en particulier, reçu l'avis favorable du conseil général.
L'avis du conseil général était requis par la loi d'habilitation ainsi que
celui des maires.
Les orientations qui ont été présentées à cette tribune en janvier ont fait
l'objet d'un consensus.
Le nouveau statut respecte le particularisme et les contraintes d'un
développement harmonieux de Mayotte. Il confère aux fonctionnaires locaux
pleine qualité d'agent titulaire de droit public, avec les garanties protégeant
leur carrière.
Je veillerai à ce que la première série de textes d'application intervienne
dès le premier semestre de l'année prochaine. Je tiens, en particulier, à ce
que les intégrations dans les nouveaux cadres de fonctionnaires ainsi que la
mise en route du centre de gestion, véritable clé de voûte de la jeune fonction
publique territoriale de Mayotte, interviennent dans les meilleurs délais.
Enfin, je précise que, si la fonction publique de Mayotte est, pour l'heure,
autonome, des passerelles pourront être instaurées dans les années à venir,
lorsqu'une symétrie de qualifications et de correspondances hiérarchiques aura
été constatée entre les fonctionnaires de Mayotte et leurs collègues de la
métropole et des départements d'outre-mer. Il en a été ainsi avec les autres
fonctions publiques non soumises au titre Ier du statut général des
fonctionnaires de droit commun, c'est-à-dire à la loi du 13 juillet 1983. Il a
été pris bonne note de cette demande formulée par les élus de Mayotte.
Il est un deuxième volet que nous aurons à examiner ; il fait suite une
initiative du président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, qui
a ajouté, par voie d'amendement, deux articles, les articles 11 et 12, pour
préciser le statut administratif, douanier et fiscal des communes de
Saint-Martin et de Saint-Barthélemy.
Beaucoup de choses ont été dites sur cette affaire. Je tiens à rassurer la
Haute Assemblée : ces deux articles permettent de résoudre dans des conditions
satisfaisantes le problème du régime de ces deux îles du Nord, rattachées au
département de la Guadeloupe mais qui, à bien des égards, en sont très
éloignées. Elles se trouvent à plus de 200 kilomètres de Basse-Terre, et il
n'est pas question de couvrir la distance par autoroute !
Ces deux îles présentent en effet, on l'oublie trop souvent, des spécificités
héritées de l'histoire, notamment le partage avec les Pays-Bas pour ce qui
concerne Saint-Martin, et l'appartenance à la Suède, de 1785 à 1877, s'agissant
de Saint-Barthélemy. L'acte de cession à la France de cette dernière île
comportait, en outre, des engagements quant au maintien des droits acquis.
Vous n'ignorez pas que, sur le plan tant fiscal que douanier, ces deux îles
connaissent une situation de fait tout à fait particulière, qui se caractérise
par la non-perception d'un très grand nombre d'impôts et droits de douane.
Il s'agit, pour l'essentiel, je le répète, d'une situation de fait, et non de
droit. Pour autant, certains textes font déjà une place particulière aux îles
du Nord. C'est le cas du code des douanes communautaires, qui reconnaît
l'existence de pratiques « coutumières » particulières si elles sont de portée
géographique et économique limitée ; c'est également le cas de la loi du 17
juillet 1992, relative à l'octroi de mer, qui exonère les deux îles de cette
taxe. Il était bon, je crois, de le rappeler.
Aucun gouvernement n'a jamais entrepris de remettre en cause une situation
héritée, je le disais, de l'histoire, même en 1946, à la suite de la
départementalisation.
A vrai dire, la fragilité juridique qui entoure le régime de fait appliqué
dans les îles du Nord n'était pas véritablement préjudiciable. Ses habitants
s'en satisfaisaient, et l'Etat ne cherchait pas à modifier une pratique qui
semblait justifiée par l'étroitesse de ces îles et le partage avec les
Pays-Bas. Du reste, cette pratique n'était guère choquante, eu égard à la
modestie des dépenses publiques nécessaires, à cette époque - je dis bien « à
cette époque » - à la bonne administration des deux communes.
Les choses ont bien changé. Les deux îles ont connu un développement
considérable, fondé entièrement sur le tourisme. Dans ce dernier secteur, de
très gros investissements privés ont été réalisés, notamment grâce à des
capitaux provenant de métropole. Pour cette première raison, une clarification
du régime juridique est devenue indispensable.
Par ailleurs, ce développement touristique impose de conduire une politique
ambitieuse d'aménagement, d'urbanisme et de protection de l'environnement,
comme il impose de réaliser des infrastructures publiques importantes.
Les communes de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy ont été conduites à
prendre en charge elles-mêmes ces politiques et ces investissements, y compris,
parfois, quand ils auraient pu relever de l'action du département ou de la
région. Le coût en est important.
Les deux communes ont donc besoin de ressources propres.
Les populations concernées et leurs élus en sont conscients. Ils sont
d'ailleurs tout à fait disposés à instaurer sur l'île des taxes appropriées
afin de disposer des ressources dont ils ont besoin pour prendre en charge
eux-mêmes leur développement, c'est-à-dire jusques et y compris l'éducation et
la santé.
Le dispositif que proposent M. Mazeaud et l'Assemblée nationale apporte une
réponse appropriée, puisqu'il permet de consolider en droit le régime de fait
dont Saint-Martin et Saint-Barthélemy ont hérité de l'histoire, de créer un
système fiscal spécifique, adapté à l'économie de ces îles, qui est entièrement
tournée vers le tourisme, et de déléguer aux conseils municipaux, de façon
pragmatique, les compétences du département et de la région dans certaines
matières qui seront mieux exercées localement que depuis le continent
guadeloupéen.
Je voudrais, mesdames, messieurs les sénateurs, rassurer ceux d'entre vous qui
se sont inquiétés du risque qu'il y aurait de créer ainsi une sorte de paradis
fiscal. Ce n'est nullement de cela qu'il s'agit, bien au contraire, puisqu'il
n'est question ici que de consolider une situation existante au profit des
seuls habitants.
Les exonérations prévues ne s'appliquent qu'aux seules personnes qui résident
effectivement dans l'île, ou qui exercent effectivement une activité grâce à
des moyens autonomes. Pas de sièges sociaux fictifs, donc, pas de sociétés
boîtes aux lettres, pas de domicile de convenance !
De plus, et bien entendu, cette exonération ne vaut que pour des opérations
accomplies ou des activités exercées à Saint-Martin ou à Saint-Barthélemy, pour
des revenus ou des bénéfices obtenus à Saint-Martin ou à Saint-Barthélemy, pour
des biens obtenus ou possédés à Saint-Barthélemy.
Il ne faut donc pas dénaturer cette démarche en pensant qu'artificiellement
nous allons créer un paradis fiscal. Nous photographions une situation et nous
la cadrons essentiellement sur les habitants, sur ceux qui ont des activités
sur place.
Le dispositif est donc verrouillé : résidence effective, activité effective,
et seulement pour des revenus perçus localement ou des biens possédés
localement.
Par ailleurs, l'Etat conservera l'ensemble de ses pouvoirs de contrôle, sur le
plan fiscal comme sur le plan douanier. C'est évidemment lui qui continuera à
percevoir les recettes, comme dans toute commune.
Il y a enfin un point qui me paraît essentiel, et qui constitue un progrès
considérable par rapport à la situation actuelle.
En effet, aujourd'hui, les « contribuables » de Saint-Martin et
Saint-Barthélemy, qui sont les habitants de ces îles, ne paient pas d'impôt et
ne participent pas à la solidarité nationale. Les textes adoptés par
l'Assemblée nationale prévoient que 20 % du produit des taxes spécifiques qui
seront mises en place seront attribués à l'Etat. Cette grande nouveauté est
tout bénéfice pour le budget de l'Etat, notamment pour le ministère de
l'économie et des finances.
C'est donc un progrès considérable qui, loin d'éloigner ces deux îles de la
métropole, les conduira désormais à participer pleinement à la solidarité
nationale.
Certes, on pourrait continuer comme cela, et s'en tenir à la situation de
fait. Mais c'est une attitude bien hypocrite. Quant à réinstaurer une situation
de droit, je vous souhaite bien du plaisir, mesdames, messieurs, parce que cet
état de fait est centenaire, et même plusieurs fois centenaire, à
Saint-Barthélemy comme à Saint-Martin !
Voila pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement estime que
les articles 11 et 12 du projet de loi apportent une réponse à la fois
réaliste, constructive et équilibrée à un problème qu'il est devenu urgent de
régler.
Les deux collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin sont tout à fait
disposées, dès qu'elles pourront percevoir les taxes, à prendre en charge un
certain nombre d'opérations d'urgence qui nous paraissent extrêmement
nécessaires et, bien sûr, dans la mesure du possible, avec l'appui de la
collectivité régionale.
Je vous demande donc, pour ces raisons, d'adopter, en même temps que le projet
de loi, les deux articles qui ont été ajoutés par l'Assemblée nationale.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. François Blaizot,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi portant
ratification de l'ordonnance n° 96-782 du 5 septembre 1996 portant statut
général des fonctionnaires de la collectivité territoriale, des communes et des
établissements publics de Mayotte, dont le Sénat avait délibéré en première
lecture le 20 novembre 1996, a été examiné par l'Assemblée nationale le 4
décembre. Il nous revient en deuxième lecture aujourd'hui.
L'Assemblée nationale s'est montrée très favorable aux dispositions proposées
par le Sénat, dont les dix articles ont été votés conformes, à l'exception,
d'une part, d'une modification rédactionnelle heureuse au début de l'article
1er, à laquelle la commission vous propose de vous rallier, et, d'autre part,
d'un complément à l'intitulé rendu nécessaire par l'adoption, par l'Assemblée
nationale, de deux articles nouveaux, les articles 11 et 12, dont vous venez,
monsieur le ministre, de nous entretenir.
Ce sont donc ces deux articles additionnels que nous devons maintenant
examiner, étant entendu qu'en ce qui concerne la fonction publique à Mayotte
les dispositions que nous avions votées se trouvent définitivement adoptées.
Ces deux articles additionnels ont trait au statut administratif, douanier et
fiscal des îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.
Le sujet qu'ils traitent est étranger au statut de la fonction publique et à
la collectivité de Mayotte, c'est bien évident. Il s'agit donc de ce que nous
appelons en général un « cavalier », et un cavalier de grande taille, parce que
le sujet est tout à la fois vaste et complexe.
M. Jean-Jacques de Peretti,
ministre délégué à l'outre-mer.
Le cavalier est de grande taille, mais la
monture est solide !
(Sourires.)
M. François Blaizot,
rapporteur.
Par ailleurs, leur introduction en deuxième lecture ne permet
pas l'étude approfondie qu'ils eussent exigée. Pour ces deux raisons de
procédure - j'insiste sur le fait qu'il s'agit de raisons de procédure - la
commission des lois vous proposera, pour chacun de ces deux articles, un
amendement de suppression.
Cependant, il me paraît indispensable, et équitable, d'indiquer que la
commission des lois, défavorable pour ces motifs de procédure, n'a pas pour
autant voulu ignorer le problème de fond. Elle a demandé à la commission des
finances du Sénat de l'éclairer sur la situation fiscale actuelle de
Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Le travail très important réalisé par
notre commission des finances a mis en évidence que, en matière d'impôts
indirects, les deux îles sont, « dans pratiquement tous les domaines »,
exonérées, et que, même si les contributions directes - impôt sur le revenu,
impôt de solidarité sur la fortune, impôt sur les sociétés et impôts locaux -
sont exigibles, elles ne sont pas réellement perçues. C'est ce que vous venez
de nous confirmer, monsieur le ministre, voilà un instant.
Cette situation met en évidence que la transposition de la fiscalité de la
métropole à ces deux îles méconnaît les réalités, car, autrement, on ne
constaterait pas l'écart qui s'est constamment creusé entre la loi et son
application.
Or les articles 11 et 12 adoptés par l'Assemblée nationale s'appuyaient sur
cette situation et proposaient une réforme intéressante, sur laquelle il nous
faut donner quelques explications.
Elle était constituée de quatre points.
Premièrement, il s'agissait d'abolir à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy un
certain nombre de textes fiscaux métropolitains actuellement réputés
applicables et cependant non observés.
Deuxièmement, il s'agissait de maintenir, en sens inverse, les dispositions
fiscales qui sont adaptées. On ne pouvait que s'en réjouir.
Troisièmement, il s'agissait de reconnaître à ces deux communes la possibilité
d'exercer directement, en accord avec l'Etat, la région et le département,
certaines compétences.
Enfin, quatrièmement, et vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, il
s'agissait d'autoriser ces deux communes à voter des impositions liées aux
compétences nouvelles qu'elles exerceraient et leur assurant les ressources
nécessaires aux investissements correspondants.
Par ailleurs, comme l'a également rappelé M. le ministre, 20 % du produit de
ces taxes reviendraient à l'Etat.
La commission des lois a estimé que ces dispositions additionnelles exigeaient
une étude approfondie. Elle a donc souhaité que la réflexion se prolonge avant
que nous parvenions, le plus rapidement possible, à élaborer des dispositions
pour que la pratique cesse d'être dans ces îles en opposition avec la loi et
que ces dernières y trouvent les bases et les moyens de leur développement.
Les amendements de suppression des articles 11 et 12 qui ont été adoptés par
la commission des lois ne portent pas sur le fond du problème. Il ne s'agit ni
d'ignorer la difficulté ni de s'écarter de la solution. Il s'agit de manifester
notre volonté de trouver des règles sûres et bien assises.
Nous souhaitons, monsieur le ministre, que, sous votre autorité, soient
élaborées des dispositions qui, je le redis, permettraient d'envisager tous les
aspects de ce problème et, nous l'espérons, de les résoudre dans les meilleures
conditions.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Personne ne demande la parole dans la discussion générale ? ...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la
discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du
Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.
Article 1er