M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 30, Mme Dieulangard et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 1er A, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 120-3 du code du travail est abrogé. »
Par amendement n° 31, Mme Dieulangard et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 1er A, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Dans le second alinéa de l'article L. 120-3 du code du travail, après les mots : "subordination juridique", le mot : "permanente" est supprimé.
« II. - Dans le premier alinéa de l'article L. 311-11 du code de la sécurité sociale, après les mots : "subordination juridique", le mot : "permanente" est supprimé. »
La parole est à Mme Dieulangard, pour défendre ces deux amendements.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Une luttre efficace contre le travail clandestin passe par la suppression de l'article L. 120-3 du code du travail. Il s'agit là d'une disposition récente puisque son insertion dans le code du travail résulte de la loi du 11 février 1994 relative à l'initiative et à l'entreprise individuelle, dite « loi Madelin ». Il a néanmoins été possible, depuis lors, de constater que cet article réduit les possibilités de lutte contre la pratique particulièrement choquante du faux artisanat, dont de nombreux salariés sont aujourd'hui victimes. C'est, en effet, cette pratique qui se développe de préférence à toute autre. Il est donc nécessaire de revenir sans plus attendre à la présomption qui permettrait l'extension du domaine du contrat de travail dès lors qu'un contrat avait pour objet la fourniture d'un travail.
Nous n'avons qu'un infime espoir de voir le Sénat adopter cet amendement et nous tenons surtout, en le présentant, à manifester notre opposition à cette disposition de la loi Madelin.
En la votant, la majorité a renversé la tendance jurisprudentielle qui prévalait jusqu'alors. Désormais, il est présumé que les personnes inscrites au registre du commerce ou au répertoire des métiers ne sont pas liées par des contrats de travail pour l'exécution de leur activité.
Cela est extrêmement grave dans la mesure où cette disposition encourage le faux travail indépendant. Nous sommes ici au coeur de ces dérives qui vont s'accentuant depuis une dizaine d'années. Il s'agit non de travail dissimulé à proprement parler, mais de travail salarié dissimulé, pour le plus grand bénéfice de donneurs d'ordre qui sont en fait des employeurs puisqu'ils fournissent à la fois le travail, les matériaux et l'outillage.
Les exemples ne manquent pas : les coursiers qui, juchés sur leur scooter ou au volant de leur camionnette, traversent les villes à toute vitesse parce que l'on exige d'eux toujours plus de rapidité et qui découvrent à l'occasion d'un accident qu'ils n'ont jamais été salariés par l'entreprise qu'ils croyaient être leur employeur ; les routiers qui louent leur véhicule à une entreprise qui n'a pour salariés qu'une secrétaire et un comptable, mais qui dispose d'une flotte d'une vingtaine de camions ; les bûcherons qui travaillent toujours avec la même entreprise ; les artisans du BTP qui travaillent toujours sur les chantiers de la même multinationale. La liste complète serait trop longue à établir ! Qu'il me suffise de dire que cette pratique est particulièrement répandue dans les secteurs où le travail à accomplir n'est pas sans risque pour le pseudo-artisan.
C'est ainsi que les entreprises s'exonèrent à bon compte du poids réel de leurs cotisations sociales. C'est ainsi que le SMIC est contourné par l'établissement de contrats qui permettent tout juste aux victimes de payer leurs charges et de s'assurer une rémunération, tout en les maintenant prisonnières de cette situation. Quant à l'existence d'horaires légaux, elle est purement et simplement ignorée. On en viendrait presque à s'interroger sur la nécessité de négociation dans ce domaine : pourquoi ne pas transformer immédiatement tous les salariés en travailleurs indépendants, isolés, à qui on pourra faire croire qu'ils sont seuls responsables de leur misère ?
La loi Madelin a permis un élargissement de cette pratique du faux travail indépendant ; elle a surtout fait en sorte que les entreprises qui obligent leurs salariés à démissionner pour travailler ensuite avec eux en tant qu'artisans ne soient plus inquiétées. Auparavant, l'inspection du travail pouvait demander au juge la requalification du contrat. Tel n'est plus le cas aujourd'hui puisqu'il lui faut établir l'existence d'un lien de subordination juridique permanent, ce qui est souvent impossible en raison de la grande précarité de cette main-d'oeuvre.
Pour mettre un terme à cette dérive scandaleuse, la solution la plus simple consiste à supprimer cette disposition du code du travail.
L'amendement n° 31 est un amendement de repli. Ne reconnaître l'existence d'un contrat de travail, comme le prévoit l'article L. 120-3 du code du travail, que dans le cas où le travailleur indépendant est placé vis-à-vis du maître d'ouvrage dans un lien de subordination juridique permanente restreint les possibilités de requalification et favorise le développement du faux travail indépendant, qui est illégal.
Notre amendement reprend une indication donnée par la jurisprudence.
J'ajoute que le caractère permanent de la subordination ne laisse subsister aucun doute quant à la véritable nature de la relation de travail.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur ces deux amendements ?
M. Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales. La commission a estimé que l'amendement n° 30 n'avait pas de rapport avec le projet de loi et qu'il remettait en cause une disposition d'une loi récente, dont on ne peut encore juger pleinement les effets. La commission ne saurait se désavouer en approuvant un amendement qui supprime une disposition votée voilà moins de deux ans.
Quant à l'amendement n° 31, également sans rapport avec le présent projet, il recrée l'insécurité juridique du statut du travailleur indépendant à laquelle, avec la loi Madelin, on a souhaité mettre un terme.
Par ailleurs, la notion de permanence a été définie par une circulaire. Elle ne semble pas poser de problème et la commission ne voit donc pas pourquoi il conviendrait de revenir sur cette notion.
La commission est donc défavorable aux deux amendements.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué. Le Gouvernement est également défavorable à ces deux amendements.
Les explications fournies par M. le rapporteur me confortent dans l'idée selon laquelle ces amendements ne pourraient en rien contribuer à la répression du travail illégal.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 30, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 31, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Par amendement n° 32, Mme Dieulangard et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article premier A, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans la seconde phrase du premier alinéa de l'article L. 121-1 du code du travail, les mots : " Il peut être constaté" sont remplacés par les mots : "Il est constaté par écrit". »
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Dans le cadre des dispositions générales relatives au contrat de travail, cet amendement a pour objet de préciser que le contrat de travail qui est soumis aux règles de droit commun doit être constaté par écrit, dans les formes qu'il convient aux parties contractantes d'adopter, c'est-à-dire faire l'objet d'un document écrit, comme le prévoit la directive européenne 91/533/CEE du 14 octobre 1991 relative à l'obligation de l'employeur d'informer le travailleur des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail. La déclaration préalable à l'embauche, quels que soient ses mérites - et nous savons qu'ils sont grands - ne permet pas de remplir cette obligation.
L'existence d'un document écrit permet de mieux contrôler s'il y a ou non existence d'une relation de travail illégale. Le contrat de travail écrit permet de donner connaissance, notamment, de l'identité des parties, du lieu de travail ou du siège de l'employeur, de la qualité de l'emploi et de la date de début du contrat. Il existe d'ailleurs des contrats-types qui peuvent être utilisés par les employeurs afin de leur éviter tout souci.
Par conséquent, il s'agit non d'une paperasserie supplémentaire mais d'une protection nécessaire pour le salarié. La plupart des salariés croient d'ailleurs de bonne foi que le caractère écrit du contrat de travail est déjà obligatoire.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Souvet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable. Elle a noté que la directive européenne 91/533 est considérée comme appliquée à travers la déclaration préalable à l'embauche et le bulletin de paie ; aller au-delà alourdirait les contraintes administratives et pourrait se retourner contre le salarié.
Je rappelle en outre qu'il y a présomption de contrat à durée indéterminée si le contrat n'est pas écrit.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Même en l'absence de contrat écrit, les garanties du salarié sont assurées conformément aux dispositions de la directive européenne, car l'employeur doit remettre la déclaration préalable à l'embauche et un bulletin de paie. Ces deux documents permettent de répondre efficacement à notre préoccupation d'aujourd'hui, peut-être plus que le contrat de travail.
Cet amendement va incontestablement dans le sens d'un alourdissement des formalités, sans présenter d'utilité pratique.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 32, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 1er A