M. le président. Par amendement n° 165 rectifié, MM. Billard, Leyzour et Minetti, les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, d'insérer, avant l'article 8, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le V de l'article 1647 B sexies du code général des impôts est complété in fine par les mots suivants : "sauf lorsque l'entreprise présente un déficit comptable" ;
« II. - Le taux prévu à l'article 219 du code général des impôts est relevé à due concurrence. »
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. La question de l'évolution de la taxe professionnelle du secteur ferroviaire est pleinement posée quand on examine les conséquences de la séparation juridique et comptable de l'infrastructure et de l'exploitation mise en oeuvre dans le cadre du présent projet de loi.
Dans les faits, la Société nationale acquitte aujourd'hui une taxe professionnelle d'environ 2,5 milliards de francs au titre de 1996.
Pour la commodité de l'analyse, nous prendrons en référence la situation de la SNCF vis-à-vis de la taxe professionnelle pour l'exercice 1995.
Le montant de la taxe professionnelle était alors de 2,3 milliards de francs, en hausse sensible - 24 % - par rapport à 1994.
Les composantes de cette taxe sont aujourd'hui les suivantes : pour une part d'environ un tiers du montant de la taxe - 765 millions de francs exactement - l'assiette est assise sur la part taxable des salaires.
Le solde est donc fourni par la prise en compte des éléments corporels et immobiliers, partagés évidemment d'abord et avant tout entre le matériel roulant - dont l'assiette est telle qu'elle motive un produit fiscal d'environ 640 millions à 650 millions de francs - tandis que les éléments d'infrastructure sont imposés pour un produit d'environ 900 millions de francs.
Aujourd'hui, si l'on suit les principes du projet de loi, la quasi-totalité de la fiscalité assise sur les biens corporels et immobiliers sera demain imputable au nouvel établissement public gestionnaire de l'infrastructure.
Si l'on considère que les redevances qu'il percevra de la SNCF constituent son « chiffre d'affaires » et que la rémunération qu'il lui versera constituent des charges externes, le nouvel EPIC sera en situation d'absence de valeur ajoutée et verra donc sa contribution aux budgets des collectivités locales plafonnée à quelque chose qui ressemblera à une sorte de cotisation minimale.
Il serait souhaitable, monsieur le ministre, que vous nous apportiez des précisions sur ce point important que constitue le devenir fiscal du nouvel EPIC.
La Société nationale des chemins de fer français dégageait, en 1995, une valeur ajoutée de plus de 32 milliards de francs, valeur ajoutée intégrant en particulier le produit des travaux de maintenance et d'entretien réalisés par les services de la société affectés à cette tâche.
Cette situation avait comme conséquence de générer un phénomène de plafonnement de la cotisation de valeur ajoutée de l'entreprise à hauteur de 4 % du montant de cette valeur ajoutée.
Toutefois, conformément aux dispositions de la loi de finances de 1995, ce plafonnement de la valeur ajoutée est lui-même plafonné, l'allégement de la taxe professionnelle ne pouvant être supérieur à 500 millions de francs.
Par conséquent, au-delà de la majoration des taux d'imposition locale, qui sont particulièrement dynamiques depuis plusieurs années, la SNCF s'est trouvée confrontée à un accroissement mécanique de sa contribution, les effets du plafonnement étant limités.
Ce sont 462 millions de francs supplémentaires - près d'un point de chiffre d'affaires - que l'établissement public a dû débourser pour pouvoir s'acquitter de ses obligations.
L'exemple de la SNCF montre d'ailleurs que la mesure concernée, que le ministre de l'économie et des finances s'était plu à défendre lors de la discussion budgétaire de l'automne 1994, est en fait, d'abord et avant tout, imputable aux entreprises publiques, les entreprises privées ayant une habitude bien ancrée de contournement de leurs obligations légales par essaimage juridique de leurs structures.
A l'examen du présent projet de loi, la situation du compte de résultat de la SNCF est assez profondément modifiée.
En effet, si une nouvelle charge externe apparaît, avec le paiement de la redevance à l'EPIC gestionnaire d'infrastructure, un nouvel élément de chiffre d'affaires apparaît également, avec le montant de la rémunération des services rendus dans le cadre de la convention entre les deux EPIC.
Le niveau de la valeur ajoutée de la SNCF risque donc de connaître une nouvelle augmentation, entraînant mécaniquement un relèvement du niveau du plafonnement de la taxe professionnelle.
La société nationale, même séparée de son infrastructure, va-t-elle devoir acquitter une taxe professionnelle au moins aussi élevée qu'auparavant ? Là encore, monsieur le ministre, il vous faut nous indiquer de quoi il retourne en la matière.
Pour notre part, nous proposons de ne plus limiter le plafonnement des cotisations des entreprises concernées par le taux de 4 % lorsqu'elles présentent un déficit comptable, déficit qui peut d'ailleurs être tout à fait imputable à leurs obligations de fonctionnement.
Tel est le sens de cet amendement que je vous invite à adopter, mes chers collègues.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François Gerbaud, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Le paragraphe V de l'article 1 647 B sexies du code général des impôts octroie un dégrèvement de taxe professionnelle, plafonné à 500 millions de francs, à certains contribuables.
L'amendement n° 165 rectifié vise à déplafonner le dégrèvement quand l'entreprise présente un déficit comptable.
L'idée est certes séduisante, mais non dépourvue de risques, même si l'amendement est gagé. La SNCF, en effet, est un gros contribuable de taxe professionnelle : 2,8 milliards de francs en 1995.
Il n'est pas sûr que cet amendement aurait l'effet souhaité par ses auteurs. Vouloir alléger fortement la taxe professionnelle de la SNCF pourrait occasionner aux collectivités locales concernées - j'appelle l'attention des élus locaux sur ce point - de sérieuses difficultés.
Or, la logique du projet de loi n'est ni d'accroître la charge de l'Etat ni celle des collectivités territoriales.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement, car la disposition proposée est de portée générale et sans rapport avec l'objet du texte.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 165 rectifié.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Tout à l'heure, je lisais un article dont je vous invite à prendre connaissance, si vous ne voulez pas être pour toujours ces naïfs de service qui sont en vérité fort mal informés,...
M. Jean Chérioux. Heureusement que vous êtes là !
M. Jean Delaneau. Nous n'avons pas besoin de vos leçons !
M. Dominique Braye. Les naïfs de service ne sont pas ceux que vous croyez !
M. Jean-Luc Mélenchon. ... qui tâchent de nous convaincre de choses qu'eux seuls croient et répètent, et qui font de bien étranges gaullistes, mettant, partout où il y avait la nation et la République, le marché pour tout potage !
Vous ne pourrez pas dire, cette fois-ci, que l'article que je vais vous citer est extrait d'une feuille gauchiste ou, pis à vos yeux, d'un bulletin syndical, toujours frappé d'archaïsme. Il s'agit d'écrits émanant de gens sérieux.
C'est naturellement la raison pour laquelle, les ayant lus, je me sens complètement conforté dans mon analyse. Si certains s'en réjouissent, moi je le déplore, mais c'est en tout cas le même raisonnement : d'abord, on dissocie ; puis, la concurrence s'en mêle ; enfin, la privatisation s'impose d'elle-même. L'article fait référence aux avis qualifiés de nombreux hauts fonctionnaires qui indiquent pour quelles raisons il en est ainsi.
C'est d'abord la pression libérale qui vient de la Commission européenne, et, cette fois-ci, c'est non plus M. Mélenchon qui parle, mais le journaliste bien informé et sérieux qui dit exactement ce que plusieurs d'entre nous ont répété ici.
M. Jean Delaneau. Il se présente aux élections !
M. Jean-Luc Mélenchon. « La loi sur le Réseau ferré national n'est qu'un rempart de papier face à cette offensive. Il suffirait de supprimer la référence à l'exclusivité de la SNCF pour l'utilisation des voies dans les statuts du Réseau ferré national pour que le jeu s'ouvre. »
Voilà la démonstration ainsi faite ! Ce qui y pousse, ce sont non seulement les avis de la Commission européenne, mais aussi, bien évidemment, le processus de privatisation rampante, dont la filialisation systématique est l'instrument essentiel, processus déjà à l'oeuvre dans cette société que vous dissociez en deux éléments qui ne changeront rien à leurs moeurs sur ce sujet. Le journaliste conclut - et je le rejoins - de la façon suivante : « De deux choses l'une : ou la SNCF réussit à relever le défi de la concurrence européenne et des opérateurs privés, et, dans ce cas, elle n'aura plus besoin de l'Etat ; » - alors, messieurs, nous vous verrons venir pour expliquer qu'il ne lui reste plus qu'à porter vraiment son nom pour être ce qu'elle doit être, à savoir une entreprise uniquement régie par les objectifs qui sont ceux du secteur privé - « ou c'est l'échec, et la solution britannique de la vente du réseau par appartements s'imposera, sauf à admettre la mort du rail en France. La seule incertitude réside dans l'échéance. »
Vous faites, pour finir, un bien étrange gouvernement, qui croit que nous avons la mémoire courte...
M. Jean Chérioux. Elle est très sélective !
M. Jean-Luc Mélenchon. ... et qui va, ici, nous répétant que le statut public ne sera jamais mis en cause, alors que votre opposition, les syndicats, les observateurs et, enfin, tous ceux qui s'intéressent au problème disent que tout cela n'est qu'un entracte. Vous êtes donc bien seuls à dire que c'est le contraire qui va se passer.
Je conclurai en vous assurant que nous avons de la mémoire. Nous savons déjà ce qui s'est passé avec France Télécom : des heures durant, vous nous avez répété ici qu'il ne s'agissait pas d'une privatisation. Et combien de fois vous êtes-vous gargarisés des mots : « service public » ? Il a suffi d'une semaine pour que tous les commentateurs considèrent qu'il s'agissait bien d'une privatisation !
C'est un débat sous anesthésie générale !
M. Michel Caldaguès. On ne le dirait pas !
M. Jean-Luc Mélenchon. J'ai dit que c'était un trompe-l'oeil ; je dis maintenant que c'est un mensonge !
M. Dominique Braye. Et demain ?
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 165 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
(M. Gérard Larcher remplace M. Paul Girod au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président
M. le président.
Monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, avant
que nous poursuivions l'examen des articles du projet de loi, je souhaiterais
tout d'abord remercier M. Paul Girod, dont j'ai pu, tout au long de cet
après-midi, mesurer la qualité de la présidence ; croyez bien, d'ailleurs, que
j'ai été un observateur attentif !
(Sourires.)
Je souhaiterais également exprimer ma gratitude à tous ceux de mes collègues
qui m'ont témoigné leur confiance, mais aussi remercier ceux qui, dans la
diversité des sensibilités, n'ont pas exprimé leur défiance.
Je réclame à chacun un peu d'indulgence, tout au moins pour mes débuts, et la
permission de puiser dans l'expérience de mes collègues vice-présidents, tout
particulièrement dans la manière à la fois attentive, élégante et positive dont
Yves Guéna dirigeait nos débats.
Je voudrais tout simplement rappeler les propos que Jules Ferry tenait le 27
février 1893 à ce fauteuil : « La vie parlementaire serait odieuse si l'on n'y
apprenait pas à se respecter et à s'estimer les uns les autres. ».
(Très
bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste et du RDSE - M. Mélenchon applaudit
également.)
M. Jean Chérioux.
Lui, c'était un vrai républicain de progrès !
M. Serge Vinçon.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Vinçon.
M. Serge Vinçon.
Monsieur le président, je tiens, au nom de mes collègues du groupe du RPR, à
vous adresser nos félicitations et à vous exprimer notre satisfaction de vous
voir accéder au fauteuil de la présidence de séance en votre nouvelle qualité
de vice-président du Sénat.
Votre élection dans la confiance est en effet le couronnement et la récompense
du travail dense, actif et dynamique que vous avez accompli à l'occasion de
l'examen de nombreux textes législatifs.
Au nom de mes collègues, je forme pour vous des voeux de réussite et
d'enthousiasme dans votre nouvelle fonction au service de la Haute Assemblée.
(Très bien ! Et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
Mon cher collègue, je vous remercie de vos propos trop élogieux dont
j'essaierai d'être digne.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi portant création de
l'établissement public « Réseau ferré national ».
Article 8