M. le président. Par amendement n° 109, MM. Allouche, Autain, Authié et Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt et Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas et Mélenchon, Mmes Pourtaud et Printz, M. Rocard, les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 5-3 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art... - Le certificat d'hébergement n'est pas exigible si l'urgence d'un événement familial le commande. »
La parole est à Mme ben Guiga.
Mme Monique ben Guiga. Cet amendement tend à permettre à un étranger en situation d'urgence familiale d'obtenir un visa de court séjour en France sans présenter de certificat d'hébergement.
Il s'agit de permettre à un étranger de faire face à des situations familiales difficiles, par exemple à la suite d'un décès brutal.
Au lieu de me lancer dans une longue explication, je vais vous rapporter le cas auquel j'ai été confrontée dernièrement.
Il s'agit de Mme H., togolaise, âgée d'une cinquantaine d'années, dont le mari est français - il est professeur à l'université de Cotonou, elle-même a fait ses études supérieures en France. Ils ont trois enfants.
Il s'est avéré que M. H. avait un cancer. Il est retourné à plusieurs reprises en France pour se faire soigner et, lors d'un de ses passages en France, il est mort. Sa femme était rentrée quelques semaines auparavant à Cotonou pour s'occuper des enfants. Au moment où elle a voulu repartir pour l'enterrement de son mari, le consulat a refusé de lui établir un visa de court séjour parce qu'elle n'avait pas toutes les pièces nécessaires, qu'il lui manquait en particulier un certificat d'hébergement.
Ses trois enfants seuls ont pu assister à l'enterrement de leur père ; elle-même ne put arriver en France que quinze jours plus tard pour régler la situation.
Voilà le type de cas auquel il faut absolument porter remède.
Il faut bien comprendre que, dans la société française d'aujourd'hui, les familles dont les membres sont de plusieurs nationalités, certains étant soumis à l'obtention de visa, sont très fréquentes. Ces familles sont souvent éparpillées de par le monde, résultat de l'expatriation. Le respect du droit à la vie familiale suppose que, dans de tels cas, des procédures allégées évitent que les frontières ne constituent une entrave à l'exercice de la solidarité familiale voire, dans ce cas précis, à l'accomplissement de gestes qui relèvent des fondements même de la civilisation.
Permettez-moi de citer un autre exemple, certes moins dramatique.
A l'occasion d'une naissance future, tout avait été prévu pour que la grand-mère, qui est vénézuélienne, vienne passer un mois pour s'occuper des deux aînés. L'accouchement étant intervenu de façon prématurée il fut impossible d'obtenir le visa, le certificat d'hébergement ayant été prévu pour un mois plus tard.
Mettez-vous bien dans l'esprit que, dans la société française d'aujourd'hui, on ne vit plus entre Franco-Français, bien tranquillement installé à l'ombre de son clocher. Certains ont une grand-mère égyptienne, un oncle mauritanien ; eh bien, il faut faire avec, si je puis dire ! Compte tenu des difficultés liées à l'obtention des certificats d'hébergement les visas constituent une véritable entrave à la vie familiale et créent parfois des situations particulièrement douloureuses lorsqu'une famille doit se rassembler.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et de l'administration générale. La commission est attentive à ce problème,...
Mme Maryse Bergé-Lavigne. Ah ! Très bien !
Mme Monique ben Guiga. C'est un bon début.
M. Paul Masson, rapporteur. ... dont on aurait d'ailleurs pu débattre lors de l'examen de l'article 1er, puisqu'il concerne également le certificat d'hébergement. On peut dès lors s'interroger sur la raison de cet article additionnel, mais là n'est pas le débat. Je ne pense pas qu'il puisse y avoir des difficultés pour obtenir un visa dans ces situations particulières, mais je souhaiterais recevoir des éclaircissements du Gouvernement avant de donner l'avis de la commission.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je dirai d'emblée à Mme ben Guiga que je suis défavorable à son amendement.
Je comprends parfaitement ce que vous avez dit, madame le sénateur. Mais c'est la pratique qui doit prendre en compte les situations difficiles sur le plan humain. Il est évident que, dans des cas tels que ceux qui vous avez cités, les consulats doivent délivrer les visas en urgence. En revanche, il ne me semble pas souhaitable de codifier ces souplesses de procédure, car il faut éviter les fraudes.
Pour prendre en compte ce que vous avez dit, madame le sénateur, je vais très prochainement demander à M. le ministre des affaires étrangères qu'il sensibilise l'ensemble des consultats aux situations particulières qui peuvent se présenter pour que tout soit fait pour les régler au mieux.
M. le président. Quel est maintenant l'avis de la commission ?
M. Paul Masson, rapporteur. J'ai noté avec un grand intérêt, monsieur le ministre, que vous comptez demander au ministre des affaires étrangères que des instructions claires soient données pour que personne n'hésite à délivrer un visa en dehors des procédures habituelles s'il y a une urgence familiale : décès, maladie, accident ou maladie grave. Il me paraît difficile pour un consulat, en présence de faits précis et, bien entendu, avec preuves à l'appui, de refuser un visa dans un tel cas.
Compte tenu de la position très claire de M. le ministre, je me permets de suggérer aux auteurs de l'amendement de le retirer, car je préférerais ne pas avoir à émettre un avis défavorable, au nom de la commission.
Il s'agit d'un sujet éminemment sensible et je ne voudrais pas qu'il soit le prétexte à un procès d'intention envers quiconque. Mais faut-il codifier dans une loi et soumettre au regard de tous ceux qui pourront le travestir ou mal l'interpréter un dispositif que nous devons pratiquer quotidiennement par souci d'humanité ?
M. le président. Madame ben Guiga, l'amendement n° 109 est-il maintenu ?
Mme Monique ben Guiga. Je comprends bien le point de vue de M. le rapporteur, mais on nous dit que des instructions vont être données. Certes on les donnera à l'ambassadeur, au consul, mais tout se passe au niveau du guichet. Chaque fois que nous, sénateurs des Français de l'étranger, intervenons pour des cas de ce genre, nous avons affaire à un agent de guichet qui est terrorisé à l'idée de perdre son emploi trois mois plus tard, parce qu'il est détenteur d'un contrat à durée déterminée, et qui fait un excès de zèle, surtout s'il a des arabes ou des noirs en face de lui.
Il faut bien comprendre que la dame dont j'ai parlé est Africaine ! Cela entre en ligne de compte dans un consulat d'Afrique. Elle a beau avoir fait des études supérieures, c'est une Africaine.
Lorsque l'ambassadeur, qui est une femme remarquable, a appris ces faits, elle a été effarée. Mais elle ne pouvait plus rien faire. Il faut savoir que toutes les modalités qui président à la délivrance de visas sont fondées sur un préalable de suspicion systématique. Allez dans les ambassades ! Rencontrez les étrangers qui sont soumis à ces formalités, mais aussi les Français qui sont concernés par ces problèmes ! Nous qui vivons dans ces pays, nous sommes mêlés à ces situations. Nous en souffrons tout comme les étrangers qui en pâtissent au premier chef.
Il n'est pas possible de se satisfaire d'instructions données par le ministère des affaires étrangères ; pour ma part, je préfère que cette disposition fasse l'objet de la navette.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je ne parlerai pas du cas particulier que vous seule connaissez, madame ben Guiga, mais je ne puis laisser dire que les consuls ou même les fonctionnaires qui travaillent derrière les guichets sont insensibles aux problèmes humains.
Mme Monique ben Guiga. Si !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. J'ajoute que, si les fonctionnaires du ministère des affaires étrangères reçoivent des instructions très précises, je suis persuadé qu'ils y obéiront.
Je n'ai pas connaissance, en dehors du cas que vous me signalez, de situations de détresse face auxquelles l'administration française et l'ensemble des fonctionnaires du ministère des affaires étrangères n'auraient pas tout entrepris pour trouver une solution.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 109.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est dans des termes très mesurés que je veux défendre notre position sur ce point précis, car, à mes yeux du moins, il ne fait aucun doute que personne dans cette assemblée n'est insensible aux problèmes dont il est question en cet instant. D'ailleurs, il est clair que cet amendement a, d'une certain façon, le caractère d'un amendement de repli, repli par rapport à notre position globale sur ce texte.
On peut considérer que les conditions matérielles de délivrance des visas telles que les décrit Mme ben Guiga correspondent à ce que nous connaissons tous en général ; encore que les consignes soient maintenant si rigoureuses que ces autorisations sont sans doute aujourd'hui plus que jamais difficiles à obtenir. Mais, en vérité, cela participe d'un défaut propre à l'humanité dans son ensemble : la routine administrative. Celle-ci, quel que soit le zèle des agents, peut faire qu'ici ou là une exception survienne. Or, dans le cas qui nous occupe, n'importe quelle exception est insupportable, et je suis sûr que vous partagez avec nous ce sentiment.
La proposition qui est faite me semble de nature à vous permettre d'encadrer le processus, si tel est bien votre souhait.
C'est au moment où l'étranger se présentera au guichet pour demander un visa et où il lui sera demandé de produire un certificat d'hébergement qu'il sera amené à dire qu'il n'a pas un tel certificat mais qu'il se trouve confronté à une situation particulière, par exemple qu'un décès vient de survenir qui l'oblige à ce rendre en France. L'agent du consulat ou de l'ambassade se trouvera alors en quelque sorte contraint d'examiner si, oui ou non, le cas de l'intéressé relève d'une procédure exceptionnelle. Pour ce faire, il ne disposera évidemment que des moyens qui sont ceux d'un consulat ou d'une ambassade.
Ainsi, on renverserait, d'une certaine manière, la charge de la preuve en mettant l'agent dans la situation d'avoir à prendre en compte le caractère exceptionnel.
Au demeurant, on peut imaginer que, dès lors que le visa est délivré, notification est faite à la commune dans laquelle la personne va se rendre pour pouvoir satisfaire aux exigences de sa vie de famille et que, dès lors, la mairie - tout cela est affaire de règlement - peut demander à la personne qui héberge de fournir à son tour la déclaration de départ de la personne hébergée.
Vous le voyez, sur ce point particulier, douloureusement humain, notre proposition peut s'inscrire dans la procédure que vous voulez mettre en place, et je demande que, en cet instant, on observe une pause dans la polémique, eu égard au caractère dramatique des situations en cause.
Je résume : dès lors que l'étranger se présenterait au consulat, qu'il prétendrait être en possession d'un visa sans produire de certificat d'hébergement, il serait établi que cela correspond aux circonstances qui sont décrites dans cet amendement. L'agent pourrait alors se donner les moyens de procéder aux vérifications nécessaires, y compris en s'adressant à la mairie concernée. Un maire peut en effet très rapidement vérifier la réalité d'un décès, d'une naissance, etc. ; cela peut se faire au moins aussi vite que les autres vérifications auxquelles vous lui demandez de procéder.
Dans cette situation, le visa pourrait être délivré et la mairie ayant été saisie du problème exigerait de l'hébergeant qu'il fasse la déclaration de départ. Sur ce point, notre souhait est de nous accomoder de votre dispositif, - que, pour le reste, nous désapprouvons - compte tenu de l'ardente obligation humaine que cet amendement met en relief et sur laquelle nous sommes, de coeur et d'esprit, certainement réunis.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Si nous nous permettons d'insister, c'est parce qu'il y a visa et visa. Lorsque nous demandons que le visa du certificat d'hébergement ne soit pas exigible, c'est parce qu'il y a, en tout état de cause, la protection du visa accordé pour que l'étranger puisse pénétrer en France. Nous en sommes bien d'accord, mais cela doit quand même être dit !
En présence d'une urgence particulièrement grande - maladie grave, accident, décès - il est normal d'essayer de raccourcir le délai des formalités et donc d'écrire dans la loi que, dans ces cas-là, il y a dispense du visa du certificat d'hébergement, ce qui ne dispense évidemment pas du visa qui pourrait être ou ne pas être accordé par le consulat. Voilà ce que nous demandons.
Monsieur le rapporteur, vous nous avez dit que notre idée était intéressante et que la commission avait décidé d'entendre le ministre avant de se prononcer. M. le ministre a livré spontanément son sentiment en déclarant que des instructions seraient données au ministère. Mais quitte à le faire, autant que ce soit écrit dans la loi !
Vous dites qu'il y aura des navettes. Mais c'est justement pour cela que nous vous demandons d'inscrire cette mesure dans la loi. Elle n'y restera peut-être pas ; peut-être trouverons-nous un autre accord. Mais, au moins, nous ne risquerons pas, les uns ou les autres, d'oublier ce cas-là lors des lectures à venir.
C'est pourquoi nous vous demandons, mes chers collègues, de voter cet amendement.
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Ce matin, monsieur le rapporteur, en commission, lorsque nous avons fait état de cet amendement, vous nous avez indiqué - et je souhaite ne pas trahir vos propos - que, sauf à ce qu'une disposition figure déjà dans un autre texte, la commission émettrait un avis favorable, car elle avait été sensible à notre argumentation. C'est ce qui a été prévu.
Or il semble qu'aucune disposition de ce type ne figure déjà dans un texte. C'est la raison pour laquelle le président Larché a annoncé que la commission émettrait un avis favorable.
Je souhaitais faire d'abord ce rappel.
Monsieur le ministre, nous avons enregistré votre engagement de prendre l'attache de votre collègue ministre des affaires étrangères et de faire en sorte que des instructions soient données. Cependant, nous savons tous que les ambassadeurs, les consuls bougent beaucoup, passent d'un poste à un autre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Mais les instructions demeurent !
M. Guy Allouche. Certes, mais il s'agit ici de circonstances d'une particulière gravité, exigeant que des décisions soient prises dans un laps de temps très court. Lorsqu'il y a un décès, chacun le sait, les obsèques se déroulent généralement trois jours plus tard. Il faut donc aller vite.
Il serait dommageable pour une personne sollicitant une telle dispense de certificat d'hébergement de se voir soumise aux tracas administratifs d'un consulat ou d'une ambassade. J'ai, comme vous tous, entendu M. le Président de la République souligner la nécessité de réduire le plus possible les formalités administratives. Cette recommandation me paraît s'appliquer parfaitement aux cas que Mme ben Guiga a cités.
Monsieur le ministre, nul d'entre nous ne met en cause votre humanité et votre intérêt pour l'autre. C'est pourquoi nous insistons, d'autant que cette autorisation ne sera délivrée que pour un très court séjour : quelques jours. Mieux vaudrait que cela figure dans un texte de loi afin que les administrations des consulats et des ambassades puissent prendre une décision très rapidement, sans avoir à en référer à une autorité hiérarchique.
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Je voudrais simplement attirer l'attention de nos collègues socialistes sur un point très simple. De toute façon, tous les délais qui sont nécessaires pour obtenir un visa ne pourront être respectés. C'est la raison pour laquelle je préfère de beaucoup que la loi reste muette sur ce point. Cela laisse à l'ambassadeur ou au consul la possibilité de régler le problème directement, avec l'intervention éventuelle des parlementaires.
Dès lors, ce serait une erreur de faire figurer dans la loi ce genre de disposition. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et voilà pourquoi votre fille est muette !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 109, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme Monique ben Guiga. N'ayez jamais de parents étrangers ! (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Elle a raison !
M. le président. Vous n'avez plus la parole, madame ben Guiga !
Mme Monique ben Guiga. Je la prends quand même ! (Protestations sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Demande de réserve
M. Paul Masson,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Masson,
rapporteur.
Monsieur le président, je demande la réserve de l'article 2,
qui est un article de forme et de procédure, jusqu'après l'examen de l'article
10. En effet, c'est précisément si l'article 10 est voté qu'il faudra
introduire une référence supplémentaire, par le biais de l'article 2, dans le
code de procédure pénale.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Tout à fait d'accord !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Favorable.
M. le président.
La réserve est ordonnée.
Article 3