SÉCURITÉ SANITAIRE EN FRANCE
Discussion d'une question orale avec débat
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat suivante
:
M. Claude Huriet appelle l'attention de M. le secrétaire d'Etat à la santé et
à la sécurité sociale sur les travaux consacrés récemment, par la commission
des affaires sociales, au renforcement de la sécurité sanitaire.
La commission des affaires sociales a, en effet, déposé le 29 janvier dernier,
le rapport de la mission d'information sur la sécurité et la veille sanitaires
qu'elle avait constituée le 21 mai 1996.
Ce rapport a d'abord dressé le bilan des conditions dans lesquelles sont
garanties la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme et la veille
sanitaire.
Elle a considéré que l'Etat, qui est le garant de la sécurité sanitaire,
devrait être en mesure de remplir trois missions : l'évaluation des actes
thérapeutiques, le contrôle des produits et la veille sanitaire.
L'Etat s'est récemment donné les moyens d'assumer la mission d'évaluation des
actes avec la création, par une ordonnance du 24 avril 1996, de l'Agence
nationale d'accréditation et d'évaluation en santé. Il a doté cette agence de
crédits et de moyens juridiques d'intervention qui peuvent être considérés
comme satisfaisants.
En revanche, les conditions dans lesquelles est réalisé le contrôle des
produits destinés à l'homme ne présentent pas toutes les garanties nécessaires.
Ainsi, si la sécurité sanitaire du médicament est aujourd'hui bien assurée, les
réformes entreprises dans les années quatre-vingt-dix pour le sang et les
greffes ne sont pas achevées, notamment en ce qu'elles ne procèdent pas
toujours à la nécessaire séparation entre les missions de contrôle des produits
et celles d'organisation de la production.
La mission d'information a également considéré que la nouvelle législation
d'origine communautaire sur les dispositifs médicaux, si elle est en progrès
par rapport à l'ancienne législation française, toujours en vigueur pour
certains dispositifs, ne peut être considérée comme satisfaisante. En effet,
elle n'exige pas véritablement l'évaluation du rapport bénéfice/risque des
dispositifs, n'encadre pas suffisamment la production et la distribution des
dispositifs et risque d'être appliquée de manière non homogène à l'intérieur de
la Communauté.
La mission d'information a également constaté que nombre de produits de santé
ou de produits frontière n'étaient pas encadrés par une législation ou une
réglementation assez rigoureuse.
Enfin, elle a estimé que la sécurité sanitaire des produits alimentaires ne
pouvait être garantie dans la mesure où la législation applicable à ces
produits ne procède pas à une bonne évaluation des risques qui leur sont
associés, où elle est plus centrée sur la santé de l'animal que sur celle de
l'homme et où l'indépendance des contrôles n'est pas bien garantie.
Concernant la troisième mission de l'Etat - la veille sanitaire - la mission
d'information a estimé qu'elle n'était pas assurée dans des conditions
satisfaisantes et que les procédures de détection, d'alerte et de
recommandation n'étaient pas bien établies ou coordonnées.
Au vu de ce constat, la commission des affaires sociales formule plusieurs
propositions.
Pour assurer le contrôle des produits dans le respect de leur spécificité,
elle propose de créer une agence des produits et dispositifs médicaux et une
agence de la sécurité sanitaire des produits alimentaires.
Pour garantir les conditions dans lesquelles est assurée la veille sanitaire,
elle propose de mettre en place un institut de la veille sanitaire qui
constituera une tête de réseau et un lieu propre à centraliser les fonctions de
détection, d'alerte et de recommandation aux pouvoirs publics.
Elle propose aussi que les fonctions de l'administration centrale du ministère
de la santé soient recentrées sur ses missions de participation à la définition
de la politique de santé et de réglementation, sur tous les sujets qui
intéressent la santé de l'homme.
Enfin, elle propose d'instituer, sous la présidence du Premier ministre, un
comité permanent de sécurité sanitaire composé des responsables des agences, de
l'Institut de veille sanitaire, du directeur général de la santé et de
responsables d'administration centrale qui assurent le contrôle sanitaire de
produits ou de milieux.
Ce comité, dont la vice-présidence serait confiée au ministre chargé de la
santé, constituerait le lieu de rencontres utile à la coordination et à la
gestion des crises.
L'auteur de la question souhaiterait connaître les premières réactions du
Gouvernement au constat établi par la commission et aux propositions qu'elle
formule.
La parole est à M. Huriet, auteur de la question.
M. Claude Huriet.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez souhaité faire de la sécurité
sanitaire une des priorités de votre action. De son côté, la commission des
affaires sociales, qui a pris de nombreuses initiatives concernant ce sujet au
cours des dernières années, vient d'adopter le rapport d'une mission
d'information consacrée aux conditions du renforcement de la veille sanitaire
et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits pharmaceutiques.
C'est pourquoi je souhaite aujourd'hui vous interroger sur les réactions
qu'appellent le constat et les propositions que nous avons formulées et qui
traduisent une volonté d'opérer une réforme d'ensemble de notre système de
sécurité sanitaire.
J'évoquerai d'abord le constat établi par la mission d'information.
Nous sommes partis du principe que la politique de sécurité sanitaire, qui est
une des composantes de la politique de santé publique, comporte, outre la
réglementation, trois éléments complémentaires : l'évaluation des actes, le
contrôle des produits et la veille sanitaire.
Notre rapport n'a pas traité, volontairement, de l'évaluation des actes : en
créant l'Agence nationale pour l'accréditation et l'évaluation en santé,
l'ANAES, par une ordonnance du 24 avril 1996, le Gouvernement a en effet montré
qu'il souhaitait confier à une institution nouvelle et crédible les moyens
juridiques, humains et financiers propres à assurer cette mission.
Nous nous sommes intéressés au contrôle des produits, qu'ils soient
thérapeutiques ou alimentaires, et à la veille sanitaire.
Concernant le contrôle de la sécurité sanitaire des produits, le bilan est
clair : la sécurité sanitaire des produits thérapeutiques et alimentaires n'est
pas uniformément garantie.
La sécurité sanitaire du médicament à usage humain est aujourd'hui bien
assurée, grâce à une législation d'origine communautaire qui couvre toute la
chaîne, de la fabrication à la distribution et au suivi du médicament, après
l'obtention de l'autorisation de mise sur le marché, et grâce, aussi, à deux
institutions chargées de l'appli-cation de cette législation : l'Agence
française du médicament, créée par la loi du 4 janvier 1993, et l'agence
européenne de Londres, qui fonctionne depuis le 1er janvier 1995.
Malgré les efforts accomplis, la réforme entreprise pour le sang et les
greffes est inachevée.
En effet, d'une part, la sécurité des produits sanguins doit pouvoir être
encore améliorée, notamment par une sélection accrue des donneurs ; d'autre
part, les décrets d'application de la loi du 29 juillet 1994 ne sont pas encore
tous publiés, en outre, l'hémovigilance et surtout la biovigilance ne sont pas
encore bien rodées.
Surtout, la réforme est inachevée sur le plan des principes : la séparation
des contrôleurs et des gestionnaires n'est en effet pas toujours effective, en
particulier en ce qui concerne l'agence française du sang.
La réglementation d'origine communautaire concernant les dispositifs médicaux
n'est pas assez stricte.
D'abord, dans l'attente de son entrée en vigueur pour tous les dispositifs,
rien ne s'oppose juridiquement à un écoulement des stocks de produits qui ne
présenteraient pourtant pas toutes les garanties de sécurité.
Ensuite, la nouvelle législation européenne, qui repose sur le marquage « CE
», est insuffisante : les fabricants ne sont pas soumis à une procédure
d'autorisation ; la distribution, elle non plus, n'est pas encadrée ; les
exigences requises pour l'attribution du marquage « CE » dans les différents
pays européens risquent d'être hétérogènes ; surtout, le marquage « CE »
n'exige pas véritablement une évaluation du rapport bénéfice-risque.
Enfin, le système de matériovigilance est très récent et imparfait, car il
n'institue pas dans tous les cas une procédure de déclaration obligatoire des
effets indésirables ou des accidents.
La réglementation et les contrôles sont également insuffisants pour de
nombreux autres biens de santé ou produits frontières.
Je pense, par exemple, aux substances et préparations utilisées en assistance
médicale à la procréation, aux milieux de culture, aux plantes médicinales ou à
prétention thérapeutique, aux produits diététiques, aux produits solaires, aux
lentilles de contact colorées et aux xénogreffes.
J'ouvre ici une parenthèse pour dire à mes collègues, dont beaucoup l'ignorent
sans doute - et ce n'est pas leur faire injure - que si les lentilles
correctives sont soumises à une réglementation, tel n'est pas le cas des
lentilles de contact colorées utilisées à des fins esthétiques, qui présentent,
bien sûr, les mêmes risques potentiels.
Il est également apparu aux membres de la mission que les conditions de la
sécurité sanitaire des produits alimentaires ne sont pas réunies.
En effet, la connaissance des risques liés à l'alimentation est très
insuffisante pour fonder une réglementation adéquate. Les autorités chargées du
contrôle ne disposent pas d'une indépendance suffisante par rapport aux
intérêts des producteurs et leur approche est plus orientée vers la protection
de la santé animale que vers celle de l'homme. En outre, le principe de
précaution n'est pas toujours appliqué.
Enfin, la réglementation ne prévoit pas de conditionner les autorisations de
produits ou de procédés à l'évaluation du rapport bénéfice risque pour la santé
humaine.
Concernant la veille sanitaire, la mission a estimé qu'elle n'est pas assez
coordonnée ni assez performante.
La conduite d'une politique de santé repose sur l'existence d'un réseau de
veille sanitaire organisé et performant.
Il est en effet indispensable que les pouvoirs publics mettent en place des
structures qui assurent la détection de tout événement imprévu, anormal, quelle
qu'en soit l'origine, réalisent les études nécessaires et proposent des
recommandations. L'exemple de l'amiante est dans tous les esprits.
Un progrès sensible a été réalisé avec la création, en 1992, du réseau
national de santé publique. Mais celui-ci, malgré l'augmentation de 50 % de sa
dotation budgétaire pour 1997, dispose de peu de moyens et il prend sa place
parmi une multitude d'organismes susceptibles d'accomplir une mission de veille
sanitaire, organismes qui ne sont pas suffisamment coordonnés et qui ne
participent pas véritablement à des procédures d'alerte organisées.
Le rapport de la mission d'information ne s'est pas contenté d'établir un
bilan : il a formulé des propositions, qui ont été adoptées par la commission
des affaires sociales.
Concernant le contrôle des produits, la commission estime qu'il convient de
mettre en place, dans les meilleurs délais, deux agences de sécurité sanitaire,
l'une qui serait chargée des produits thérapeutiques, l'autre, des produits
alimentaires et du médicament vétérinaire.
Ces deux agences, qui disposeraient du statut d'établissement public,
assureraient, selon l'exemple de l'Agence du médicament, le contrôle des
produits. Elles auraient pour mission de faire respecter la législation et la
réglementation qui les concernent et de proposer au ministre toute modification
de celles-ci afin d'améliorer la sécurité sanitaire.
Dans la mesure où les décisions de retrait de produits doivent être très
rapides en cas de danger pour la santé de l'homme et où elles doivent être
prises en un lieu proche de l'expertise qui a permis de détecter les dangers du
produit, il est essentiel, selon nous, qu'elles ressortissent à la compétence
des directeurs des agences.
Lorsqu'un produit se révèle dangereux, il faut qu'une autorité de décision
organise la suspension de la mise sur le marché ou son retrait définitif dans
les heures qui suivent. Il n'est pas envisageable que le directeur saisisse
l'administration centrale, qui étudiera le dossier, puis en fera rapport au
ministre, qui signera enfin la décision de retrait.
Pour des raisons d'efficacité, mais aussi pour des raisons de principe - les
décisions individuelles concernant les produits ne sont pas, à notre avis, du
ressort d'un ministre - nous sommes très attachés à ce que les directeurs
d'agence aient pleine compétence en la matière. Je crois d'ailleurs, monsieur
le secrétaire d'Etat, que le principe selon lequel les décisions individuelles
ne relèvent pas du niveau ministériel figure en bonne place parmi les
orientations de la réforme de l'Etat.
Pour assurer la veille sanitaire, il faut créer un institut de veille, qui
fonctionnera en réseau avec les organismes existants, qu'il importe d'ailleurs,
monsieur le secrétaire d'Etat, de recenser et de renforcer.
A la manière de ce qui se passe aux Etats-Unis avec les centres d'observation
des maladies, les CDC, une tête de réseau serait ainsi chargée de collecter
l'ensemble de l'information concernant les incidents affectant la santé de
l'homme, quelle qu'en soit l'origine. Cet organisme serait aussi chargé
d'édicter des recommandations à l'attention des pouvoirs publics, afin que
ceux-ci puissent prendre dans les meilleurs délais les mesures qui
s'imposent.
Nous proposons aussi d'instituer un lieu de coordination et de gestion des
crises, avec la création d'un comité interministériel de sécurité sanitaire
placé sous l'autorité du Premier ministre.
Celui-ci réunirait, sous la vice-présidence du ministre de la santé, outre le
directeur général de la santé, les directeurs d'agence, le directeur de
l'institut de veille sanitaire ainsi que tous les directeurs d'administration
centrale qui peuvent être concernés, à un titre ou à un autre, par les
questions de sécurité sanitaire.
Certains diront qu'il eût été plus rationnel d'unifier toutes les structures,
afin de pouvoir se dispenser d'un travail de coordination.
Cet argument, à nos yeux, n'est pas recevable : nous vivons dans une société
complexe, et nous n'avons pas l'intention de supprimer tous les ministères à
l'exception de celui de la santé, sous prétexte que la santé de l'homme doit
être placée en tête des priorités. Cet argument ne peut être que celui de
personnes placées pour un moment à l'écart des responsabilités.
Enfin, la commission des affaires sociales propose de recentrer les fonctions
de l'administration centrale de la santé autour de ce qu'elle sait faire : la
réglementation.
Le ministère de la santé doit intervenir dans l'élaboration de toute
réglementation de produits qui mettent en jeu la santé de l'homme, ce qui n'est
pas le cas aujourd'hui. Pour ce faire, il doit consacrer tous ses moyens et
toutes ses compétences à l'étude des dossiers, il doit également éviter
d'effectuer des tâches qui sont déjà assurées par des organismes décentralisés.
Le ministère devra s'attacher, dans les meilleurs délais, à renforcer les
exigences de la réglementation applicable à beaucoup de produits,
réglementation dont nous avons dénoncé les insuffisances.
Voilà, monsieur le secrétaire d'Etat, l'essentiel des propositions formulées
par la mission d'information et approuvées par la commission des affaires
sociales. Nous sommes tous impatients de connaître les réactions qu'elles
inspirent au Gouvernement.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation de la discussion décidée
par la conférence des présidents, en application du deuxième alinéa du 1 de
l'article 82 du règlement, les temps de parole dont disposent les groupes sont
les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 30 minutes ;
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 21 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
7 minutes.
La parole est à M. Autain.
M. François Autain.
Monsieur le président, monsieur le ministre, secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, par-delà des divergences - j'en ferai état dans quelques instants -
avec les conclusions retenues par la mission d'information dont le rapport
vient de nous être présenté avec talent par notre collègue M. Claude Huriet, je
veux remercier MM. Jean-Pierre Fourcade, Charles Descours et notre rapporteur
d'avoir permis à la commission d'engager une réflexion approfondie sur un sujet
fondamental.
Le groupe socialiste avait adhéré pleinement à cette démarche, qui s'inscrit
dans la continuité de l'action de la commission des affaires sociales.
C'est à l'occasion de la difficile discussion des dispositions destinées à
donner un statut aux thérapies génique et cellulaire qu'est apparue la
nécessité de réfléchir à l'unification des autorités de contrôle des produits
thérapeutiques destinés à l'homme. Il nous avait alors semblé préférable,
plutôt que de poursuivre une mauvaise polémique sur la définition du
médicament, de réfléchir aux solutions communes qu'appellent des produits de
nature semblable. Tel a été le point de départ des travaux de la mission.
Au-delà des questions soulevées par le contrôle des produits thérapeutiques,
l'affaire de la vache folle ou encore celle de l'amiante ont fait apparaître
deux autres préoccupations.
La première, la veille sanitaire, a été prise en compte par la mission dès
l'origine. Au-delà du régime d'autorisation de certains produits, il nous est
apparu indispensable d'étudier les moyens de dépister et de prévenir tous les
dangers qui menacent la santé de l'homme. Il existe en France, certes à l'état
embryonnaire, un réseau propre à exercer une telle prévention en ce qui
concerne les maladies infectieuses. Ce réseau doit être développé, et cette
démarche doit s'appliquer à toutes les activités humaines.
Une seconde préoccupation est apparue clairement au cours des travaux de la
mission : il n'était pas possible de limiter les questions de sécurité
sanitaire aux seuls produits thérapeutiques, il convenait pour le moins de
réfléchir à la sécurité sanitaire des produits alimentaires.
Sur le champ de la réflexion de la mission, un accord complet est donc
finalement intervenu entre ses membres.
Un accord complet s'est dégagé également pour décrire les trois pôles d'un
système propre à garantir la sécurité sanitaire. C'est notre déplacement aux
Etats-Unis qui nous a permis à cet égard de décrire très clairement un tel
système. Vous avez eu raison, monsieur le rapporteur, d'indiquer, au nom de la
délégation qui s'est rendue aux Etats-Unis, que le modèle américain n'était pas
parfait, loin s'en faut, et de montrer que, en revanche, la construction
institutionnelle sur laquelle il était fondé méritait toute notre attention.
Un bon système de sécurité sanitaire doit s'organiser autour de trois pôles
distincts, à savoir le contrôle des produits destinés à l'homme, l'évaluation
de l'activité thérapeutique et médicale, enfin la veille sanitaire entendue au
sens large, comme je l'ai précisé tout à l'heure.
C'est à propos des modalités selon lesquelles la mission a présenté ses
propositions que je souhaite faire entendre quelques différences, qui doivent
être considérées moins comme des critiques stériles que comme la volonté
d'entreprendre une oeuvre dont, pour notre part, nous souhaitons, compte tenu
de l'enjeu, qu'elle puisse nous être commune.
Je rappelle que l'Agence du médicament et l'Agence du sang ont été instituées
alors que nous étions aux affaires. Nous n'entendons pas, par conséquent,
rester à l'écart d'une entreprise dont l'objet est de prolonger ces premières
initiatives et de les enrichir. Toutefois, nous ne nous y associerons et nous
n'apporterons notre vote qu'aux conditions que j'entends désormais aborder,
pour la simplicité de l'exposé, pôle par pôle.
S'agissant d'abord du contrôle des produits, la mission a finalement proposé
d'instituer deux agences, l'une chargée du contrôle des produits thérapeutiques
et l'autre du contrôle des produits alimentaires. Pour avoir lu depuis
plusieurs semaines, voire plusieurs mois, vos écrits sur ce sujet, monsieur le
secrétaire d'Etat, je sais qu'en exprimant ma préférence pour une agence unique
je ne vous déplairai pas.
En effet, M. Huriet, les arguments que vous avancez pour défendre le système
dual ne m'ont pas vraiment convaincu, vous le savez.
Tout d'abord - c'est votre premier argument - vous considérez qu'avec une
agence unique on pourrait courir le risque de faire croire que tous les
produits seraient soumis au même contrôle alors que la réalité démontrerait le
contraire.
Vous estimez, non sans raison, que la législation séculaire du médicament
serait parfaitement éprouvée et entrée dans la culture de tous les acteurs.
Vous jugez, à cet égard, que l'Agence du sang - personne ne peut nier la
qualité du travail qu'elle a accompli - n'est pas parvenue, moins de cinq ans
après sa création, à une maturité identique. Vous ajoutez, non sans quelques
bons motifs, que la sécurité sanitaire des produits alimentaires présente, à
cet égard, bien des retards.
Vous considérez que cette différence de développement pourrait, dans
l'hypothèse d'une crise grave affectant des produits pour lesquels la maturité
du contrôle serait moins établie, mettre en cause la crédibilité du système.
Je crois, pour ma part, qu'il convient au contraire d'afficher des objectifs
ambitieux et de mettre en oeuvre sans tarder les moyens d'un contrôle sans
concession de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme. La
timidité profitera nécessairement à ceux que, peut-être, vous avez voulu trop
entendre.
Ensuite - c'est votre deuxième argument - vous estimez que les « métiers » ne
sont pas les mêmes. Vous opposez en effet aux produits thérapeutiques, dont le
fabricant est le plus souvent unique, la complexité et la diversité des acteurs
de la chaîne alimentaire. Vous en concluez que les méthodes retenues pour les
uns ne sauraient s'appliquer valablement aux autres.
Mais, monsieur Huriet, il existe à cet égard des différences semblables à
l'intérieur même des produits thérapeutiques. Nous avons eu l'occasion ensemble
de montrer que le médicament intéresse les disciplines pharmaceutiques et
chimiques, tandis que les thérapies génique et cellulaire impliquent les
disciplines biologiques. Les acteurs sont donc très différents.
Plus différents encore sont les acteurs des dispositifs médicaux. La diversité
des produits et les modalités de leur production permettent de les rapprocher
des produits alimentaires.
En vérité, peu de choses distinguent les disciplines scientifiques qui
s'appliquent à la biologie animale et végétale de celles qui s'appliquent à la
biologie humaine. Peu de choses distinguent aussi les chimistes qui travaillent
à la construction des médicaments de ceux qui s'intéressent aux médicaments
vétérinaires ou encore aux produits destinés à l'amélioration de la qualité des
productions végétales. Mêmes métiers donc, monsieur Huriet, dans un cas comme
dans l'autre !
Ces métiers ne seront bien faits que si les méthodes sont les mêmes,
lesquelles seront d'autant plus semblables qu'elles seront mises en oeuvre au
sein d'un même organisme.
J'en viens à votre troisième argument, qui est peut-être, au bout du compte,
le plus sérieux, même s'il est le plus attristant.
Selon vous, les produits thérapeutiques relèvent pleinement de la compétence
du seul ministre de la santé tandis que la sécurité sanitaire des produits
alimentaires met en oeuvre un concert interministériel au premier rang duquel
se trouve le ministre de l'agriculture, qui se verrait d'ailleurs volontiers le
chef d'orchestre de l'exécution de ce concert-là.
On peut être navré de voir la Haute Assemblée céder à de telles
préoccupations. Je reconnais toutefois que vous avez répondu par avance dans
votre intervention aux remarques formulées par mon groupe en annexe au rapport.
Il est vrai qu'il est plus facile de résister aux
lobbies
quand on n'est
pas aux affaires et quand on est, comme c'est le cas pour nous, dans
l'opposition.
Pour conclure sur ce premier sujet, monsieur le secrétaire d'Etat, si vous
deviez, par résignation, vous rallier au pragmatisme de la commission, que je
continue de juger excessif, je vous demande toutefois de limiter ce pragmatisme
à l'essentiel.
A cet égard, s'il devait y avoir deux structures, trois conditions devraient,
me semble-t-il, être remplies.
Tout d'abord, ces structures doivent être distinctes des administrations
ministérielles. L'Agence du médicament a montré que l'une des raisons de son
efficacité tient à l'unité de la démarche et à la rapidité d'exécution qu'elle
autorise. Il faut donc bien, dans les deux cas, créer deux agences. Je dirai
tout à l'heure à quelle condition je me rallie à ces agences.
Ensuite, les pouvoirs des directeurs des agences doivent être identiques. Je
vous rappelle à ce sujet, monsieur le secrétaire d'Etat, que, lors d'un conflit
qui l'a opposé au gouvernement de l'époque, le Sénat a unanimement voulu
préserver les pouvoirs propres du directeur de l'Agence du médicament, qui,
seul, autorise ou retire un produit du marché. Certes, le ministre dispose d'un
pouvoir d'appel dont l'usage forcément exceptionnel garantira l'efficacité. Un
tel modèle doit être impérativement retenu dans les deux agences que vous
entendez construire.
Enfin, si les tutelles sont différentes, la déontologie et les méthodes du
contrôle doivent être absolument identiques. Certes, la différence de
développement qui a été invoquée justifiera certains écarts pendant un certain
temps. Je pense d'ailleurs que, lorsque cette différence aura été gommée par le
temps, le moment sera venu d'unifier les deux agences en une seule.
En un mot, mon groupe préfère l'agence unique. Il souhaite que M. le
secrétaire d'Etat, qui partage son avis, je le sais, tente d'atteindre cet
objectif. Si nous devons aboutir à une structure duale, voilà les conditions
que nous y mettons.
J'en viens au deuxième pôle d'un système efficace de sécurité sanitaire : la
veille sanitaire.
A cet égard, notre voyage aux Etats-Unis a été parfaitement instructif.
Les centres de contrôle des maladies installés à Atlanta emploient 9 000
personnes, chargées, aux Etats-Unis comme sur l'ensemble de la planète, de
détecter, quelle que soit leur nature, tous les dangers qui menacent la santé
de l'homme. L'amiante, les risques inhérents au travail, les maladies
infectieuses... rien n'échappe à ces centres.
C'est l'observation du modèle américain qui a conduit le gouvernement
français, soutenu à l'époque par mon groupe, à doter la France d'un réseau de
santé publique. Le responsable de l'équipe a d'ailleurs été formé aux
Etats-Unis !
Concentrée sur l'épidémiologie, cette équipe, dont vous avez renforcé cette
année les moyens, je dois le noter, commence son travail là où ont commencé les
Américains. Convenons ensemble, monsieur le secrétaire d'Etat, que nous avons
beaucoup de retard et que beaucoup de chemin reste à parcourir pour atteindre
l'état des structures d'outre-Atlantique.
Je sais, monsieur Huriet, que vous avez demandé à tous les ministères
compétents de vous faire connaître toutes les autorités, commissions,
administrations... chargées, de près ou de loin, de la veille sanitaire. Vous
avez reçu des documents confus qui font apparaître l'existence de plusieurs
dizaines, voire de plusieurs centaines d'organismes.
La première tâche qui nous revient maintenant est de dépouiller cette mine de
renseignements pour tenter de distinguer les organismes qui doivent être
intégrés à un vaste réseau de veille sanitaire. Lorsque ce réseau aura pu être
constitué, le temps sera venu d'unifier les méthodes, de rapprocher les
organismes pour les fondre, à terme, dans une structure unique.
Ce travail sera long. Il doit, par ailleurs, être patient afin que rien
n'échappe à ce système de veille qui doit pouvoir s'appliquer de la façon la
plus large à toutes les activités humaines. Nul doute que, au-delà du
redéploiement que permettra une telle mise en réseau, des moyens
supplémentaires seront nécessaires.
Ce qui me paraît devoir être évité absolument, c'est la création d'une agence
sans que soient supprimées les organismes chargés déjà de faire, pour partie du
moins, ce pour quoi elle aura été créée. Il est temps, dans ce pays, de cesser
d'« empiler » les organismes les uns sur les autres.
Un dernier point me paraît être important, monsieur le secrétaire d'Etat : les
CDC américains ont seulement un pouvoir de recommandation, leurs
recommandations en matière de médecine du travail ou de maladies
professionnelles étant mises en oeuvre par les acteurs sur le terrain et
contrôlées par les services d'inspection de l'Etat fédéral ou, le plus souvent,
des Etats fédérés. Il convient de veiller, bien sûr, mais ni de réglementer ni
de contrôler. Veiller, c'est offrir les moyens de mieux réglementer et de mieux
contrôler. Il ne faut pas confondre toutes ces fonctions.
Troisième pôle d'un bon système de sécurité sanitaire : l'évaluation des
activités médicales et thérapeutiques.
Vous avez peu insisté sur ce point, monsieur Huriet, considérant que la
création récente de l'ANAES répondait à la question posée. Je ne partage pas
cet avis, pour deux raisons au moins.
D'une part, je sais, monsieur le secrétaire d'Etat, que les responsables de
l'agence sont gênés, dans la mise en place de celle-ci, par les contraintes
administratives multiples que semblent leur imposer les administrations
centrales. Si le choix des agences est bon, c'est notamment parce qu'il permet
de nous libérer de traditions administratives trop souvent responsables des
graves dysfonctionnements rencontrés au cours de ces dernières années.
D'autre part, je regrette que l'ANAES ne puisse pas s'appuyer davantage sur
les structures décentralisées en charge de ces missions : je pense, notamment,
aux observatoires régionaux de la santé ; je pense aussi aux structures
régionales d'expression du pouvoir médical ou encore aux services déconcentrés
de l'Etat.
L'évaluation de l'activité thérapeutique est aussi importante qu'un contrôle
efficace des produits ; elle doit aller au-delà du pouvoir de recommandation de
l'agence pour impliquer effectivement l'ensemble du corps médical.
Au-delà de ces observations sur les propositions faites par la commission pour
structurer les trois pôles de notre système de sécurité sanitaire, je voudrais
formuler trois dernières observations destinées à nous permettre d'éviter
peut-être trois écueils.
Le premier écueil tient au risque de confusion des missions et des rôles. A
cet égard, je dois dire, monsieur Huriet, que l'idée d'instituer un comité
permanent national de sécurité sanitaire ne recueille pas, loin s'en faut, mon
adhésion. Je vois bien l'intérêt théorique, pour ne pas dire esthétique, d'une
telle proposition, qui, en instituant au sommet une structure unitaire, tente
de répondre maladroitement, selon moi, à l'aspiration d'unicité de l'opinion
publique. Une émission de télévision à laquelle vous avez participé récemment,
monsieur le secrétaire d'Etat, et de nombreux articles de presse le montrent
bien.
Mais ce comité me paraît constituer une source de confusion ; surtout, il met
en cause la mission même de la direction générale de la santé et donc votre
mission, monsieur le secrétaire d'Etat. Les agences sont les bras séculiers du
ministre de la santé, à qui il appartient de définir notre politique de santé
et de sécurité sanitaire.
(M. Charles Descours proteste.)
Elles sont
donc seulement chargées de mettre en oeuvre une réglementation écrite en
conséquence par la direction générale de la santé.
M. Charles Descours.
Même le grand ministre de la santé M. Kouchner ne disait pas cela !
M. François Autain.
Cette dernière, débarrassée de ses tâches de contrôle, qu'elle assume mal,
pourra se consacrer pleinement à cette mission, qui ne peut appartenir qu'à
elle et sous l'autorité du ministre de la santé.
Le comité que vous suggérez, monsieur Huriet, introduit beaucoup de confusion,
et je souhaiterais que la réflexion qui s'engagera demain, après notre débat,
vous permette de revoir cette proposition, qui ne me paraît pas entièrement
satisfaisante.
La confusion régnera encore aussi longtemps que nous aurons insuffisamment
défini toutes les missions d'un bon système de sécurité sanitaire. Or, s'il
doit bien comporter trois pôles, j'ai, pour ma part, la tentation de définir
son action autour de cinq thèmes : observation, évaluation, surveillance,
réglementation et vigilance. Cinq thèmes pour trois pôles, voilà qui mérite
d'être éclairé !
J'ai dit que la réglementation appartenait à la direction générale de la
santé. La vigilance s'inscrit dans le prolongement de l'autorisation des
produits. C'est à l'agence de contrôle des produits d'en être chargée. Cette
clarification étant faite, nul doute que des redondances apparaîtront. Comme
nous l'a dit très sagement un responsable américain, mieux vaut deux instances
sur une même mission que de ne pas accomplir la mission. Mais deux instances
sur une même mission, c'est une source de conflits si la répartition des tâches
n'apparaît pas clairement.
Le deuxième écueil à éviter - je l'ai déjà évoqué à propos de la veille
sanitaire - est la sédimentation des institutions.
M. Huriet, dont le pragmatisme mérite d'être, là encore souligné, nous dit que
la création d'une agence unique de contrôle des produits thérapeutiques ne
saurait remettre en cause l'existence de l'Agence du sang ou celle de
l'Etablissement des greffes dans les autres missions qui leur sont confiées.
S'agissant de l'Etablissement des greffes, les choses sont claires. Il lui
appartiendra encore de s'assurer de la qualité et de la sécurité comme des
conditions des prélèvements et d'évaluer, pour ce qui le concerne, la qualité
des activités médicales.
S'agissant de l'Agence du sang, je suis plus dubitatif. Une fois privée du
contrôle des produits, que lui reste-t-il si nous voulons mettre un terme au
mélange des genres ? La restructuration du système français de transfusion
sanguine ! N'est-ce pas là une mission qui relève plutôt de la compétence des
administrations en charge de l'organisation des soins ? Pour ma part, je pense
que, si l'Agence du sang doit être maintenue, c'est dans une organisation qui
lui permette de favoriser au mieux la restructuration souhaitée par tous.
Pourquoi, dès lors, ne pas changer sa nature institutionnelle ? J'aimerais sur
ce point connaître, monsieur le secrétaire d'Etat, votre réaction.
Troisième écueil à éviter : la dilution et la confusion des
responsabilités.
M. Charles Descours.
Il est facile d'être dans l'opposition !
M. François Autain.
Votre tour viendra peut-être bientôt, mon cher collègue !
(Sourires.)
M. Charles Descours.
Le sang contaminé, les hormones de croissance...
M. François Autain.
Ne désespérez pas !
Nous avons longtemps souffert quand nous étions la majorité, permettez-nous de
respirer maintenant que nous sommes, depuis quelques années, dans l'opposition
!
M. Charles Descours.
Le sang contaminé, les hormones de croissance... c'est tout de même le fait
des gouvernements socialistes ! Et ce sont eux qui nous font la leçon
maintenant ! On aura tout vu !
M. François Autain.
Je continue, si vous le permettez, monsieur le président.
M. le président.
Bien entendu, mon cher collègue. Vous êtes d'ailleurs le seul à avoir la
parole pour l'instant !
M. François Autain.
J'ai abordé le troisième écueil.
Vous noterez, mon cher collègue, que mon opposition est courtoise et
constructive, contrairement à ce qui se passe quelquefois.
M. Charles Descours.
Non ! Si elle est courtoise, elle est destructrice !
M. François Autain.
Elle est constructive !
M. Charles Descours.
Non, elle est courtoise !
M. le président.
Ne créez pas d'occasions d'interruption, monsieur Autain.
M. François Autain.
La presse ne s'est-elle pas fait l'écho récemment de la démission du président
de la commission chargée d'examiner le développement du génie génétique ?
Pourquoi ce responsable a-t-il démissionné ? Parce que, chargé de conseiller
les autorités françaises et de défendre les positions de la France à l'échelon
européen, il s'est trouvé contredit par un ministre, tandis qu'un autre
semblait lui donner raison.
Je reviens ici à ce que je disais tout à l'heure : si nous créons un pôle de
décision, c'est pour supprimer les inconvénients qui résultent des logiques
interministérielles dominantes dans ce pays. Encore une fois, que chacun sache
de quoi nous parlons : les ministres réglementent, les agences mettent en
oeuvre les réglementations. L'autorité ministérielle n'est pas bafouée ; seule
l'indépendance de l'agence doit être garantie.
Pour finir, monsieur le secrétaire d'Etat, je formulerai trois remarques.
Tout d'abord, tout jacobin que l'on puisse être, on ne peut qu'être favorable,
dans le domaine qui nous occupe aujourd'hui, à la création d'agences. Créer des
agences ce n'est pas démembrer l'Etat, c'est renforcer l'efficacité de son
action. J'y mets toutefois trois conditions :
Première condition : ces agences doivent revêtir la forme d'établissements
publics.
Faut-il, comme le Conseil d'Etat y est tant attaché, s'en tenir au modèle
rigide de l'établissement public administratif ? La réponse du législateur en
ce qui concerne l'Agence du médicament n'était pas celle-là. Force est de
constater que la loi n'a pas été respectée sur ce point. Il reste toutefois que
les adaptations nécessaires ont pu être mises en oeuvre sans grande difficulté
préservant avant tout, ce qui me paraît essentiel, l'unité d'expression de la
puissance publique.
Deuxième condition : les agences ne doivent pas mettre en cause les statuts du
personnel.
M. Charles Descours.
Ah ! Voilà les choses importantes !
M. François Autain.
Ce point a aussi son importance. C'est pourquoi j'en parle.
M. Charles Descours.
C'est aussi important que les 500 hémophiles morts du sida ?...
M. François Autain.
Au demeurant, l'Agence du médicament ou l'Agence du sang ne se sont pas
engagées dans cette voie. J'ai pu lire quelques documents syndicaux qui
circulent au ministère de l'agriculture - à l'instigation de qui, je vous le
demande ? - et qui peuvent faire redouter un tel risque. Je souhaiterais sur ce
point, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous apportiez toutes
assurances.
Troisième condition : la clarté du financement.
Peu ou prou, plus des deux tiers des ressources de l'Agence du médicament sont
constituées par les taxes versées par les industriels. Une telle part pourrait
faire douter de l'indépendance de l'agence si la qualité de ses personnels
administratifs et scientifiques ne nous apportait des garanties. Les agences ne
doivent pas être pour l'Etat un moyen simple de débudgétiser une partie de son
action. D'ailleurs, vous aurez du mal à financer l'Agence de veille sanitaire
de cette façon.
La deuxième remarque découle immédiatement de la première : si la réforme de
structure qui nous est proposée ne s'accompagne pas d'un renforcement sensible
des moyens humains et financiers, nous n'atteindrons pas l'objectif fixé et,
une fois de plus, un dispositif législatif viendra maquiller l'indigence des
moyens dont dispose notre administration sanitaire.
Que l'on ne m'accuse pas de vouloir dépenser à tout va ! J'ai dit tout à
l'heure mon opposition à toute forme de sédimentation institutionnelle. Il y a
donc un travail nécessaire de redéploiement qui permettra sûrement, à moyens
constants, de mieux faire.
Pour bien faire, toutefois, il faudra bien davantage. Comment ne pas rappeler
ici que le RNSP, le réseau national de santé publique, malgré les efforts faits
cette année, ne comporte que quelques dizaines de collaborateurs ?
Troisième et dernière remarque : nous ne pouvons réussir notre entreprise
qu'en inscrivant la démarche française dans un mouvement européen.
Vous savez, comme moi, monsieur le secrétaire d'Etat, que, si nous votons
demain un texte visant à soumettre les dispositifs médicaux à un contrôle
identique à celui qui s'applique aux médicaments, ce sera en contradiction avec
la directive européenne, peut-être même avec le traité. Nous ne devons pas
hésiter à le faire parce que c'est le prix à payer pour la préservation de la
sécurité sanitaire. Vous ne devrez pas hésiter ensuite à porter le modèle
français à l'échelon européen et à défendre l'exigence d'alignement auprès de
nos principaux partenaires.
Telles sont donc, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les
quelques remarques qu'appelaient, de la part de mon groupe, les propositions
faites par la commission des affaires sociales. Nous adhérons, je le répète, à
la démarche entreprise. Mais nous ne voterons le texte qui la concrétisera, si
texte il doit y avoir, que si toutes les conditions que je viens de développer
sont respectées.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Fraysse-Cazalis.
Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
depuis plusieurs années, se succèdent des événements aux conséquences parfois
dramatiques, toujours préoccupantes, dans le domaine de la sécurité sanitaire
et alimentaire.
Ils justifient amplement la création de la mission d'information sur les
conditions du renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité
sanitaire des produits destinés à l'homme en France, mission présidée par notre
collègue M. Huriet.
Depuis le début des années quatre-vingt dix, l'Etat a engagé des réformes
institutionnelles aboutissant notamment à la création d'établissements publics
: l'Agence du médicament, l'Agence du sang, l'Etablissement français des
greffes. Il s'agit aujourd'hui d'en faire le bilan et d'examiner les conditions
d'un progrès indispensable dans la vigilance et la protection de la santé de
nos concitoyens.
La mission a procédé à un nombre considérable d'auditions et, parmi elles, à
l'audition de responsables de ces établissements. Je tiens à saluer leur
compétence et la qualité de leur travail comme celles des réflexions qu'ils ont
engagées sur leur activité. Ils ont en effet souvent formulé à partir de leur
expérience, des propositions utiles et éclairantes.
Ces auditions nous ont permis, à la fois, de mieux appréhender la mission des
établissements existants dans leurs différents aspects et d'en mesurer les
limites.
On peut regretter que les conditions dans lesquelles le Parlement a été amené
à les mettre en place, souvent par amendement, n'aient pas permis un débat
cohérent d'ensemble sur les questions posées, questions complexes s'il en est,
que nul ne peut prétendre appréhender sans de larges échanges favorisant
l'écoute et la réflexion des professionnels, des citoyens comme des
parlementaires dans leur diversité.
Quoi qu'il en soit, nous pouvons tous constater aujourd'hui avec M. Huriet que
« la sécurité sanitaire n'est pas garantie pour tous les produits et services,
que la veille sanitaire est partielle et mal coordonnée et les procédures
d'alerte insuffisantes ».
Cela le conduit à conclure, à l'issue des travaux de la mission, à la
nécessité de mettre en place un système plus large et plus cohérent. Nous ne
pouvons qu'y souscrire.
Il propose ainsi, pour garantir le contrôle des produits, la création de deux
institutions : une agence des produits et dispositifs médicaux et une agence de
sécurité sanitaire des produits alimentaires.
La première, l'agence des produits et dispositifs médicaux, serait chargée du
contrôle de la sécurité de ces biens et serait constituée à partir de
l'actuelle Agence du médicament. Parallèlement, l'Agence française du sang
deviendrait un établissement français de la transfusion sanguine,
l'Etablissement français des greffes étant maintenu pour les missions qui ne
correspondent pas au contrôle des organes, tissus et cellules.
La seconde, l'agence de sécurité sanitaire des produits alimentaires, comme
son nom l'indique, veillerait au domaine alimentaire, indissociable aujourd'hui
sur le plan scientifique de la vigilance dans le domaine médical comme l'ont
largement illustré de récents événements, sur lesquels je ne reviens pas.
Notre rapporteur propose également la création d'un Institut de la veille
sanitaire, ainsi que la mise en place d'un Comité national permanent de
sécurité sanitaire, placée auprès du Premier ministre et chargé de coordonner
l'ensemble des actions menées dans ce domaine. Cette question mérite d'être
débattue.
Ces propositions, si elles sont retenues, nécessiteront l'adoption d'un texte
de loi. Ce devrait être l'occasion d'un large débat national sur des questions
importantes et parfois graves qui, à juste titre, préoccupent nos concitoyens.
Un tel débat me paraît indispensable. Je n'ai malheureusement pas le sentiment
que la majorité ait la volonté de l'engager de manière réelle, approfondie,
cohérente.
M. Claude Huriet.
Et pourquoi cela ?
Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis.
De ce point de vue, le fait qu'un membre du Gouvernement vienne répondre à une
question orale sur ce sujet au Sénat tandis qu'un de ses collègues présente à
l'Assemblée nationale un projet de loi portant sur le même sujet...
M. Hervé Gaymard,
secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale.
Ce n'est pas le
même sujet !
Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis.
... peut donner le sentiment d'une querelle de prérogatives fort regrettable
et bien mesquine au regard des enjeux.
Je voudrais faire part de mes préoccupations quant aux possibilités
d'atteindre les objectifs affichés.
En effet, compte tenu des orientations et des choix gouvernementaux actuels,
qui comportent notamment des réductions budgétaires considérables en matière de
santé et de prévention et une remise en cause des missions de service public,
ces institutions auront-elles les moyens de faire face à leurs missions ?
Disposeront-elles de personnels compétents et en nombre suffissant ? Quel sera
le statut de ces personnels ? Seront-elles indépendantes des grands intérêts
financiers qui, aujourd'hui plus que jamais, prennent le pas sur l'intérêt de
l'homme, de l'humain ? Ces questions me paraissent au coeur du débat.
Les dérives, aux conséquences parfois dramatiques, et les incertitudes pour
l'avenir sont, dans tous les cas, liées à des choix économiques : écoulement de
stocks de produits contaminés, farines alimentaires pour animaux fabriqués à
moindre coût... Je n'insiste pas : chacun, ici, connaît ces problèmes, qui ont
d'ailleurs été largement évoqués au cours des travaux de la mission.
Le rapport souligne, et je m'en félicite, la nécessité de l'indépendance des
institutions de contrôle par rapport aux intérêts des producteurs.
C'est d'ailleurs une préoccupation largement partagée. Ainsi, M. Dormont,
président du comité sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes
transmissibles et les prions, explique : « Il s'agit d'une définition des
priorités : ou celle-ci est économique, mais on l'affiche et on accepte d'en
payer le coût humain ; ou bien la priorité est la protection de la santé
publique et alors il faut s'en donner les moyens. »
De même, M. Jean-Pierre Changeux, président du Comité consultatif national
d'éthique, lors des journées annuelles d'éthique, en janvier dernier, évoquait
ce qui constitue, selon ses propres termes, un danger réel : « que les forces
économiques imposent leurs règles, quelles qu'en soient les incidences éthiques
».
Ces préoccupations, qui sont essentielles, sont malheureusement justifiées,
comme semble le confirmer le tout récent pré-rapport de la commission d'enquête
du Parlement européen sur l'affaire des farines animales.
Au-delà de notre volonté, que je crois commune, d'améliorer le contrôle
sanitaire et donc la sécurité sanitaire dans notre pays, c'est bien à cette
question de fond que nous sommes confrontés.
Le groupe communiste républicain et citoyen souhaite, pour sa part, que la
réponse soit celle qui privilégie les intérêts humains.
M. le président.
La parole est à M. Bimbenet.
M. Jacques Bimbenet.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
me félicite de l'occasion qui nous est donnée aujourd'hui de débattre d'un
sujet qui nous tient tous à coeur : la sécurité sanitaire en France.
L'excellent rapport élaboré par notre collègue Claude Huriet à la suite des
travaux de la mission d'information, auxquels j'ai eu l'honneur de participer,
nous montre combien la sécurité sanitaire des biens de santé et des produits
alimentaires est insuffisamment garantie et la veille sanitaire mal assurée.
Malgré bon nombre d'améliorations, de multiples lacunes sont toujours
constatées dans ces domaines, ainsi que l'ont démontré toutes les auditions
auxquelles la mission a procédé.
Je souhaiterais, à titre d'exemple, aborder la question des biomatériaux.
A cet égard, la situation est inquiétante. En effet, des études ont montré que
de nombreux matériels implantés dans le corps humain subissaient des
dégradations prématurées, soit en raison d'erreurs de conception, soit du fait
d'une mauvaise qualité des matériaux.
Ainsi, alors que la médecine cardiologique a permis d'enrayer la
multiplication de graves maladies grâce à l'invention du
pacemaker
, on a
relevé certains problèmes de conception qui rendent le remède plus dangereux
que le mal. Je citerai simplement l'exemple d'un
pacemaker
dont la lame
d'acier s'est rompue, perçant le coeur du patient. Cet accident s'étant produit
à maintes reprises, le
pacemaker
en question est, me semble-t-il,
désormais interdit ; mais, d'après ce qui nous a été dit lors d'une des
auditions, 2 000 de ces appareils sont toujours implantés.
Dans ce même domaine, on a pu constater des failles dans la veille sanitaire.
Ainsi, il s'est revélé parfois impossible de retrouver les personnes porteuses
de ce type d'appareil afin de les prévenir d'éventuelles interventions urgentes
à effectuer.
J'ai évoqué le cas particulier des
pacemakers
, mais on pourrait traiter
longuement des difficultés liées à la mise en place de prothèses, à
l'implantation de silicone, qui semble se développer sans véritable contrôle,
et plus généralement aux avancées parfois dangereuses de la chirurgie
esthétique.
Nul ne souhaite remettre en cause les innombrables bienfaits des progrès
scientifiques, mais il conviendrait toutefois de prendre la juste mesure de
leurs effets afin d'éviter tout débordement.
Il faut, à cet égard, fermement insister sur l'impérieuse nécessité de voir
associés les pouvoirs publics à ces découvertes.
Si attachés que nous soyons à la sécurité sanitaire en France, nous ne devons
cependant pas oublier notre rôle vis-à-vis des pays en voie de
développement.
A ce sujet, je tiens à faire part solennellement de mon profond mécontentement
quant à l'attitude de certains professionnels de l'industrie pharmaceutique,
qui retirent du marché français des produits qui se sont révélés dangereux et
les introduisent sur le marché africain, afin de limiter les conséquences
financières des erreurs antérieurement commises.
Il faut également souligner l'ampleur du développement des contrefaçons de
médicament. Certains « marchands de mort » n'hésitent pas, en effet, à
commercialiser de la farine, de la levure ou d'autres substances chimiques
empaquetées dans des boîtes de médicaments renommés.
Bien sûr, les entreprises qui se rendent coupables de ce type d'agissements
écoulent leurs marchandises sur d'autres continents. Cela dit, c'est
généralement d'autres pays d'Europe que ces produits sont expédiés.
Pour toutes ces raisons, j'espère vivement que le Gouvernement prendra les
indispensables mesures qu'a proposées la mission de la veille sanitaire afin de
renforcer la sécurité sanitaire. Voilà ce que nous attendons de vous, monsieur
le secrétaire d'Etat, souhaitant que le remarquable travail effectué par MM.
Charles Descours et Claude Huriet n'ait pas été fait en vain.
Il est urgent d'agir dans ce sens, et le groupe du Rassemblement démocratique
et social européen tout entier soutiendra cette action.
(Applaudissements
sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Dulait.
M. André Dulait.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
préoccupation sécuritaire de l'ensemble de nos concitoyens dans le domaine
sanitaire est tout à fait légitime. Au demeurant, de récents événements sont
plutôt de nature à accentuer le sentiment d'insécurité.
Les propositions qu'a formulées la mission présidée par M. Charles Descours et
dont M. Claude Huriet était le rapporteur sont du plus haut intérêt. Pour ma
part, je souhaiterais insister sur celle qui concerne la création d'un institut
de la veille sanitaire.
Un tel organisme ne vaudra que s'il asseoit son activité sur un réseau.
Actuellement, il existe un réseau dans le domaine de la protection sanitaire,
notamment alimentaire. Ce réseau est constitué par les inspecteurs de l'action
sanitaire, les services de la répression des fraudes et les services
vétérinaires, qui sont présents dans chacun de nos départements. Nous disposons
donc là d'un excellent maillage, et je tiens à rendre ici hommage au travail de
ces fonctionnaires, dont l'indépendance doit être soulignée. J'entends dire ici
ou là que des forces financières ou économiques pourraient peser sur certaines
décisions ; eh bien, j'affirme qu'une telle remarque ne saurait concerner ces
fonctionnaires de terrain.
Monsieur le secrétaire d'Etat, si un réseau de contrôle est créé, il
conviendra de songer à utiliser pleinement ces compétences, les préfets
exerçant une fonction de coordination de l'ensemble des services existants.
Selon moi, les services départementaux doivent être la base du réseau que nous
appelons de nos voeux.
Telle est la réflexion que je me permets de verser au débat, dans la
perspective de l'élaboration d'un prochain projet de loi.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR
et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
commission des affaires sociales a bien voulu me confier la présidence de la
mission d'information sur les conditions du renforcement de la veille sanitaire
et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme.
Bien entendu, je suis tout à fait solidaire des propos qui ont été
précédemment tenus à cette tribune par Claude Huriet, car nous avons toujours
avancé ensemble dans nos travaux.
J'indiquerai d'abord, en quelques mots, de quelle manière cette mission a
travaillé et préciserai quel a été le champ de sa réflexion.
J'évoquerai ensuite les propositions de la mission, qui ont été approuvées par
la commission des affaires sociales, notamment en ce qui concerne la question
de « une ou deux agences » de sécurité sanitaire.
La mission d'information a été constituée le 21 mai dernier par la commission
des affaires sociales. Le principe de la création d'une telle mission avait été
annoncé quelques semaines auparavant par notre président, M. Jean-Pierre
Fourcade, à l'occasion du débat que nous avions suscité sur les thérapies
génique et cellulaire.
En effet, les thérapies génique et cellulaire, qui s'apparentent pour leurs
effets au médicament, mais qui peuvent être d'origne sanguine et qui font
appel, pour leur administration, aux techniques des greffes, offrent des
exemples types de « produits frontières » entre les catégories du médicament,
du sang et des greffes.
Qui doit les contrôler ? L'Agence du médicament, l'Agence française du sang ou
l'Etablissement français des greffes ? Quelles règles doivent s'y appliquer ?
Celles du médicament, celles du sang ou celles des greffes ?
La commission des affaires sociales a répondu à ces questions, et ses réponses
ont été approuvées par le Parlement.
Cependant, les difficultés rencontrées pour élaborer ces réponses résultant
moins de débats philosophiques que de l'existence d'un système intitutionnel de
sécurité sanitaire trop vertical, organisé par type de produit, et trop
cloisonné, le président de la commission des affaires sociales a été amené à
susciter la création d'une mission d'information.
A cela s'ajoute le fait que le nombre des « produits frontières », qui
pourraient relever de plusieurs institutions de contrôle, et celui des produits
pour lesquels aucun contrôle spécifique n'est organisé s'accroissent avec les
progrès des techniques médicales.
Le premier volet des travaux de la mission a consisté à étudier le système
américain de sécurité et de veille sanitaires. Il s'est traduit par un
déplacement aux Etats-Unis au cours duquel nous nous sommes intéressés au
système de santé américain, à la FDA - la Food and drug administration, et aux
centers for disease control -
centres de contrôle des maladies
infectieuses - ou CDC.
Nos entretiens avec les responsables américains nous ont notamment permis de
constater que la sécurité sanitaire aux Etats-Unis est organisée de manière
beaucoup plus complexe que nous ne le pensons généralement en France et, en
particulier, que ne l'imaginent ceux qui prônent la création d'une « FDA à la
française » ; j'y reviendrai.
Le second volet des travaux de la mission a consisté en une quarantaine
d'auditions. Nous avons ainsi entendu, outre vous-même, monsieur le secrétaire
d'Etat, M. Bernard Serrou, député et auteur d'un rapport sur un thème voisin,
le directeur général de la santé ainsi que tous les responsables d'institutions
chargées du contrôle de la sécurité sanitaire des produits thérapeutiques. Nous
avons également auditionné les responsables d'organismes qui participent, à un
titre ou à un autre, à la veille sanitaire, notamment en matière alimentaire.
Enfin, compte tenu de l'importance de la réglementation d'origine communautaire
dans ces domaines, nous avons reçu des représentants de la Commission
européenne.
Au fur et à mesure du déroulement de nos travaux, nous avons réalisé qu'il
n'était pas possible de limiter le champ de notre réflexion à la veille
sanitaire et au contrôle de la sécurité sanitaire des seuls produits à usage
thérapeutique ou diagnostique.
Il nous fallait envisager aussi la sécurité sanitaire d'autres produits,
notamment celle des produits alimentaires. L'étude de la veille sanitaire, qui
recense tous les incidents ou accidents de santé de l'homme quelle qu'en soit
l'origine, ne pouvait suffire. Un très bon système de veille sanitaire ne peut,
en effet, se substituer à un contrôle en amont de la sécurité des produits
alimentaires ; il en est seulement complémentaire.
C'est pourquoi nous avons modifié l'intitulé de notre mission d'information :
le rapport établi par notre collègue Claude Huriet concerne désormais les
conditions du renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité
sanitaire des « produits destinés à l'homme », et non pas seulement des «
produits thérapeutiques ».
J'en viens maintenant aux propositions de la mission, en commençant par celle
qui vise à créer deux agences de sécurité sanitaire plutôt qu'une. A cet égard,
je veux d'abord défendre la mission du reproche, qui lui a été fait ici ou là,
d'avoir, en prônant la création de deux agences, cédé à des lobbies.
Monsieur Autain, force est de constater qu'un médicament n'est pas un aliment
et qu'un aliment n'est pas un médicament. La mission s'attache à régler un
problème auquel ont été, sont et seront confrontés tous les gouvernements, pas
à satisfaire de quelconques lobbies !
Toute théapeutique comporte un risque - dont l'appréciation est d'ailleurs
fondée sur le rapport entre le bénéfice attendu et le risque encouru - mais, en
matière d'alimentation, on peut espérer tendre vers le « risque zéro ».
Après une greffe de coeur, on court le risque de mourir des suites
opératoires. En revanche, il n'est pas normal qu'après avoir mangé un fromage
on succombe à la listériose !
Médicaments et aliments relèvent de démarches différentes, notamment au regard
de ce que l'on appelle le « risque zéro ».
M. Claude Huriet.
C'est évident !
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Charles Descours.
La mission l'a montré dans son rapport, la sécurité sanitaire des produits
exige une réglementation et des contrôles adéquats. Or, nous avons estimé, que
ni la réglementation ni les contrôles n'étaient suffisants pour assurer la
sécurité sanitaire de certains produits thérapeutiques et des produits
alimentaires.
Il se pose notamment un problème de rapidité dans la prise de décision dans ce
domaine. Ainsi, vingt ans se sont écoulés, s'agissant de l'amiante, entre le
moment où nous avons été alertés et celui où les premières décisions ont été
prises. De même, des retards ont été constatés s'agissant de l'hormone de
croissance ou du sang contaminé. Nous devons diminuer ces délais.
Parmi nos propositions figure donc la nécessité de modifier, pour renforcer
ses exigences, la réglementation, nationale ou d'origine communautaire, sur les
produits considérés. A cet égard, nous souhaitons que le ministère de la santé
se concentre sur sa mission essentielle, qui est de définir une politique de
santé et d'élaborer la réglementation applicable aux produits ; il doit, en
particulier, dégager les hommes et les moyens nécessaires pour intervenir dans
l'élaboration de la réglementation applicable aux produits alimentaires.
Sur ce point, monsieur le secrétaire d'Etat, vous pouvez être assuré du
soutien du Sénat lorsque vous demanderez un renforcement des moyens du
ministère de la santé. Vos prédécesseurs qui ont oeuvré dans ce sens et
vous-même avez raison : les moyens et les personnels doivent être accrus au
sein du ministère de la santé.
La réglementation étant modifiée, faut-il créer, comme nous le proposons, deux
agences de sécurité sanitaire pour assurer les contrôles, c'est-à-dire une
agence chargée des produits thérapeutiques et une autre chargée de
l'alimentation, ou une seule agence chargée de l'ensemble des produits ?
Certains, séduits par l'expérience des Etats-Unis - surtout parmi ceux qui ne
s'y sont jamais rendus ! - ont évoqué une
Food and Drug Administration
à
la française.
La thèse d'une agence unique de sécurité sanitaire est séduisante car elle a
le mérite de la simplicité, et, pour garantir la sécurité sanitaire, il faut en
effet mettre en place un système institutionnel simple, au sein duquel les
responsabilités soient facilement identifiables. Une agence unique répond
parfaitement à cette exigence.
L'unicité de l'agence de sécurité sanitaire permettrait en outre de mettre en
commun tous les moyens matériels et toutes les compétences : notre pays
disposerait ainsi d'un système de contrôle « riche », à l'inverse de ce qui a
pu être constaté jusqu'aux années 1993-1994.
Enfin, la création d'une agence unique permettrait aux pouvoirs publics de
mieux faire comprendre à l'opinion publique que la question de la sécurité
sanitaire des produits destinés à l'homme, perçue, à juste raison, comme
essentielle depuis les affaires du sang contaminé, de l'hormone de croissance,
de l'amiante ou de l'encéphalopathie spongiforme bovine, a été résolue. Cette
agence uniquepourrait en effet être le support d'un message simple et clair :
un problème, une institution.
Nous n'avons cependant pas retenu ce point de vue puisque nous proposons que
soient mises en place une agence chargée du contrôle des produits
thérapeutiques et une agence de sécurité sanitaire des produits alimentaires.
Si ce schéma institutionnel est un peu plus complexe, peut-être moins «
esthétique » que le précédent, il est à notre avis plus réaliste et plus
efficace, et se sont ces qualités qui nous ont inspirés tout au long de notre
travail.
Quand je dis que notre proposition est plus réaliste que la première, cela ne
veut pas dire qu'elle est moins ambitieuse, mais qu'elle est plus adaptée à la
réalité.
Cette meilleure adaptation à la réalité résulte d'une meilleure prise en
compte de la spécificité des produits alimentaires par rapport aux produits
thérapeutiques. Cette spécificité exige, en effet, que s'exerce sur eux un
contrôle différent.
Je le répète, si le contrôle des produits alimentaires requiert une estimation
du risque encouru pour la santé de l'homme, elle est différente de celle qui
est réalisée pour les produits thérapeutiques.
En effet, par définition, un produit thérapeutique est destiné à être
administré à une personne plus ou moins malade, et chacun sait que tout geste
thérapeutique comporte un risque, lui aussi plus ou moins grand. Dès lors, le
métier d'évaluation et de contrôle des produits thérapeutiques se caractérise
par une appréciation du rapport entre bénéfice et risque associé au produit.
Une fois éliminés tous les risques inutiles - grâce, notamment, à de bonnes
pratiques de fabrication - un produit thérapeutique ne pourra être autorisé que
si le bénéfice attendu pour le malade est supérieur au risque qu'il encourt.
Cette évaluation du rapport entre bénéfice et risque tient compte de la
pathologie du malade. Ainsi, le risque toléré pour un médicament contre la toux
sera-t-il moins important que celui qui est associé à une greffe d'organes ;
dans le second cas, en effet, la survie du malade peut exiger une greffe
immédiate.
Cela ne veut pas dire que l'on ne contrôle pas la sécurité des greffes sous
prétexte que les malades concernés sont souvent en danger de mort, bien au
contraire. Cela signifie seulement qu'une fois tous les tests pratiqués, une
fois la réglementation appliquée, le risque résiduel non éliminable est comparé
au bénéfice attendu pour le patient.
On perçoit intuitivement que l'évaluation du risque ne s'effectue pas de la
même manière et selon les mêmes critères pour les produits alimentaires. Ici,
pas de danger de mort - nous l'espérons en tout cas - si l'on n'absorbe pas un
aliment, de surcroît le plus souvent substituable.
Ce qui doit être recherché, par la réglementation et par les contrôles, c'est
le « risque zéro ». Le principe est que personne ne doit tomber malade en
consommant un produit alimentaire. Ce n'est pas le cas aujourd'hui : comme le
rapport de notre collègue Claude Huriet l'a montré, beaucoup de Français sont
victimes, chaque année, de toxi-infections alimentaires. Certains ne sont que
malades, mais d'autres meurent. Précisons que les données chiffrées présentées
dans le rapport sont souvent sous-évaluées, car il n'existe pas de système de
veille exhaustif en matière alimentaire. En outre, depuis que ce rapport a été
établi, une nouvelle affaire a éclaté : un lait pour bébé, qui était aussi
fabriqué en France, a causé la mort d'enfants en Grande-Bretagne. Même si les
décisions qui ont été prises dans notre pays ont ôté toute gravité à cette
affaire en France, il est clair qu'il faut réagir rapidement.
Tous les deux ou trois mois, voire tous les mois, surgit une nouvelle affaire
impliquant des produits alimentaires. Notre système est inadapté car, si le
contrôle de ces produits poursuit le même objectif, à savoir la protection de
la santé, que le contrôle des produits thérapeutiques, il ne fait appel ni aux
mêmes critères, ni aux mêmes méthodes.
Autre élément important qui justifie la mise en place de deux agences : la
législation concernant les produits alimentaires et celle qui concerne les
produits thérapeutiques - médicament, sang et greffes - n'ont pas évolué au
même rythme. A cet égard, monsieur Autain, je suis d'accord avec vous.
Toutefois, la mise en place d'une seule agence pourrait facilement laisser
croire que tous les produits - qu'ils soient thérapeutiques ou alimentaires -
bénéficieront du même niveau de sécurité ou de contrôle, ce qui n'est pas exact
aujourd'hui. En effet, dans le domaine des produits thérapeutiques, grâce en
particulier à l'Agence du médicament, nous avons, au cours des dernières
années, fait des progrès essentiels, qui n'ont pas leur équivalent dans le
domaine alimentaire. En ne créant qu'une seule agence, on risquerait donc de
mettre en cause la crédibilité de la sécurité offerte par les produits
thérapeutiques alors que le processus de contrôle actuel la garantit.
Enfin, dernier élément important : la sécurité sanitaire des produits
alimentaires ne pourra être assurée si l'on raye d'un trait de plume le rôle du
ministère de l'agriculture.
Chacun sait que le ministre de l'agriculture a fort bien géré en France le
problème de la vache folle et qu'il mérite qu'on lui rende hommage. Personne ne
met en cause ni la façon dont il a traité ce problème ni le rôle essentiel qui
a été le sien en matière de sécurité sanitaire alimentaire.
Le ministère de l'agriculture doit donc, avec le ministère de la santé,
assurer la tutelle de l'agence de sécurité sanitaire des produits alimentaires.
Mais si l'on adoptait la solution de l'agence unique, le ministère de
l'agriculture exercerait aussi, ce faisant, une tutelle sur un organisme
contrôlant les produits thérapeutiques, ce qui ne serait pas très rationnel
!
Je veux insister sur le fait qu'un organisme ne doit pas assurer en même temps
un rôle de soutien au développement économique de son secteur de tutelle et un
rôle de contrôle de ce secteur. En cas de crise, quels seraient, en effet,
objectivement, les intérêts dominants : la santé du consommateur ou la
protection du secteur en crise ?
Il est évident pour nous que c'est la santé du consommateur qui doit être
privilégiée et qu'il ne faut pas introduire dans l'appareil d'Etat une telle
dichotomie.
Pour toutes ces raisons, nous avons choisi de proposer la création de deux
agences.
Leur travail, pour autant, ne s'effectuera pas de façon isolée : ces deux
agences devront coopérer, et nous avons prévu qu'un comité interministériel de
sécurité sanitaire, placé auprès du Premier ministre, avec pour vice-président
le ministre de la santé, constituerait le lieu utile de la coordination et de
la gestion des crises.
J'espère, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement saura entendre
nos arguments et que nous pourrons, ensemble, faire rapidement aboutir cette
réforme, qui n'est évidemment ni de droite ni de gauche mais vise à améliorer
la santé des Français.
La pire hypothèse, et ce sera ma conclusion, serait que les intérêts
corporatistes empêchent cette réforme et que les inquiétudes, certes légitimes
mais parfois irraisonnées, ne sachent s'effacer devant l'intérêt supérieur,
celui de la sécurité sanitaire, car des faits récents, dramatiques et multiples
ont montré l'urgence et la nécessité de la réforme.
(Applaudissements sur
les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à
plusieurs reprises, le Président de la République et les présidents des deux
assemblées ont évoqué la nécessité de renforcer le rôle du Parlement pour
équilibrer le fonctionnement de notre démocratie.
C'est pour répondre à cette orientation maintes fois réaffirmée que la
commission des affaires sociales du Sénat s'est attachée depuis plusieurs
années à analyser de grands sujets de société : la sécurité sociale et son
équilibre, la protection des personnes âgées dépendantes, l'évolution de notre
démographie, le chômage des jeunes, la flexibilité des conditions de
travail.
S'agissant de la sécurité sanitaire, elle a poursuivi ses analyses depuis que
se sont produits un certain nombre d'événements bien connus, tant sur le
territoire national qu'à l'étranger. Elle présente aujourd'hui son rapport,
dont M. Huriet et M. Descours viennent d'exposer les principaux éléments.
Elle a l'intention d'y faire suite en déposant une proposition de loi, car le
Sénat et sa commission des affaires sociales ne se contentent pas d'écrire des
rapports : ils déposent des propositions de loi qu'ils font aboutir ! L'exemple
récent de la prestation spécifique dépendance en témoigne.
Les auteurs de cette future proposition de loi s'efforceront, en étroite
liaison avec le Gouvernement, de la faire adopter d'abord par le Sénat, ensuite
par l'Assemblée nationale, de manière à disposer d'un corps législatif
nouveau.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je tiens à vous remercier de votre présence, de
l'intérêt que vous avez manifesté pour notre recherche et pour nos voyages,
ainsi que de l'appui que, je l'espère, vous nous apporterez tout à l'heure.
Les propositions que vient de présenter M. Claude Huriet, avec l'appui de M.
Charles Descours, qui a répondu à quelques objections formulées ici et là,
marquent un progrès, doivent être mises en oeuvre rapidement et, contrairement
à ce que certains pensent, renforceront le rôle de l'Etat dans le domaine
essentiel de la santé publique.
Ces propositions marquent un progrès car, en dépit des réformes effectuées
depuis 1992, et qu'il ne faut pas négliger - la création de différentes agences
et du réseau national de santé publique sont des progrès manifestes - la veille
sanitaire est, comme l'a dit M. Claude Huriet, partielle et mal coordonnée, et
les procédures d'alerte sont insuffisantes. Surtout - c'est le fait le plus
important, mes chers collègues - le délai qui s'écoule entre la constatation
d'une anomalie et la décision d'y mettre fin est beaucoup trop long. Cela donne
lieu à l'ouverture de procédures d'indemnisation, ainsi que nous l'avons
constaté encore récemment pour l'hormone de croissance. Les procédures sont
toujours très coûteuses et l'opinion publique ne comprend pas pourquoi il a
fallu en arriver là.
Les propositions de M. Huriet, approuvées par l'ensemble de la commission des
affaires sociales, à quelques nuances près, ont le mérite de s'attaquer aux
deux défauts essentiels de notre organisation actuelle : le cloisonnement
administratif et le recours systématique aux associations.
Certes, je comprends que des fonctionnaires de l'administration centrale,
dépourvus de moyens et pas trèsnombreux, se veuillent autonomes et se reposent
sur des associations, qu'ils contrôlent mal. C'est par la voie associative que
l'hormone de croissance s'est développée. Dans cette association, figuraient à
la fois d'éminents professeurs de médecine et des fonctionnaires tout aussi
éminents du ministère de la santé.
La protection de la santé de nos concitoyens, en particulier des plus faibles
d'entre eux, ne doit pas aujourd'hui s'encombrer de prudence administrative ou,
comme l'a dit M. Autain - mais il l'a dit d'une manière légère et sans appuyer
- du respect des statuts et des droits acquis.
La question que nous examinons doit être réglée de manière assez urgente.
Après les affaires du sang contaminé, de l'hormone de croissance, de
l'encéphalopathie spongiforme bovine et de l'amiante - quelle sera la prochaine
? - il faut non pas adopter une législation de circonstance, mais, comme l'a
fait notre mission d'information, prendre l'exacte mesure des carences d'un
système qui ne place pas suffisamment la santé de l'homme en tête des priorités
et qui se caractérise par la multiplicité des structures, par la confusion des
missions de contrôle et de gestion - un certain nombre de difficultés résultent
de cette imbrication entre la gestion et le contrôle - par l'insuffisance de la
réglementation et par la dispersion des travaux et des actions.
Nous le savons, nous sénateurs, si nous laissons les administrations
travailler seules, chacune sur ses rails, comme les voies sont parallèles,
beaucoup de temps s'écoulera avant que l'on parvienne à un résultat.
De surcroît, la question de la sécurité et de la veille sanitaires - le
rapport de la mission d'information l'a amplement démontré - est, en France
comme ailleurs, une question interministérielle. Quelques naïfs croient encore
qu'aux Etats-Unis un organisme unique règle tous les problèmes. C'est faux !
Aux Etats-Unis aussi il y a un ministère de l'agriculture !
Plusieurs ministères sont, à un titre ou à un autre, intéressés : le ministère
de la santé, bien sûr, mais aussi le ministère de l'économie et des finances,
le ministère de l'agriculture et le ministère de l'environnement, sans oublier
le ministère de l'industrie, car des produits industriels peuvent générer des
problèmes.
A cet égard, si nous souhaitons renforcer la place du ministère de la santé
dans le dispositif de protection, nous ne voulons pas retirer à certains de ces
ministères leurs compétences naturelles. En effet, nous vivons dans une société
complexe et ce serait faire preuve d'une idéologie un peu sommaire que de faire
comme si tout pouvait être ramené en un point unique.
En droit administratif français, l'application de cette idéologie consiste à
créer un organisme dépendant directement du Premier ministre. Or, il existe
déjà une cinquantaine d'organismes de ce type, comme chacun peut le constater
en se reportant au
Bottin administratif.
La création d'un organisme de
ce type constituerait une source d'inefficacité dans notre législation.
Le caractère interministériel de la question à traiter appelle évidemment
l'intervention du Parlement. Nous l'avons constaté en ce qui concerne les
thérapies génique et cellulaire.
Lorsque nous avons envisagé, sur l'initiative de M. Claude Huriet déjà, de
déposer un texte à cet égard, les administrations nous ont expliqué que ce
texte était prématuré, mal composé, qu'il serait inefficace et qu'il était
préférable de s'en référer à l'administration actuelle. Bref, si nous ne
l'avions pas fait, avec votre appui, monsieur le secrétaire d'Etat, le projet
de loi serait encore en préparation.
Il en est de même pour la prestation spécifique dépendance et pour beaucoup
d'autres sujets que je n'aurai pas la cruauté de rappeler. Je citerai
simplement le texte sur l'aléa thérapeutique : tous les huits jours, on nous
dit qu'il va sortir, et cela fait cinq ans qu'on me raconte la même histoire.
J'attends toujours qu'un accord intervienne entre le ministère de l'économie et
des finances et le ministère de la santé pour savoir quelle est la bonne
définition de l'aléa thérapeutique ! Sur ce point aussi, mes chers collègues,
nous devrons élaborer une proposition de loi afin de permettre un arbitrage
entre les ministères concernés.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous ne pouvons plus attendre en demeurant
passifs l'arrivée de nouvelles affaires. Nous ne voulons plus avoir à créer des
fonds d'indemnisation comme ceux qui ont dû être mis en place. Il est temps
d'agir.
J'en viens à ma dernière observation, qui concerne le rôle de l'Etat.
Certains nous ont dit : vous proposez un système avec quatre organismes, dont
deux agences. M. Charles Descours a précisé voilà quelques instants pourquoi
nous avions fait un sort spécial, d'un côté, aux produits thérapeutiques et à
l'ensemble du domaine médical et, de l'autre, aux produits alimentaires. Nous
envisageons aussi la transformation en établissement public du réseau national
de santé, de manière à doter le ministère de la santé d'un outil qu'il pourra
utiliser pour la définition et l'organisation d'une politique de prévention et
de santé nationale. Nous envisageons également la création d'un comité
regroupant l'ensemble des directeurs d'agence, placé sous l'autorité du Premier
ministre mais vice-présidé par le ministre de la santé, de même que le
fonctionnement du Conseil d'Etat est assuré, sous la présidence du Premier
ministre, par un éminent vice-président.
Nos propositions permettent de renforcer le rôle du ministre de la santé - et
de son administration - car c'est lui qui sera chargé de la définition de la
politique, sous le contrôle du Parlement, de la réglementation dans tous ses
états et de l'évaluation des actes, les organismes dont nous envisageons la
création se voyant confier le contrôle des produits et la veille sanitaire.
Vous sentez bien, mes chers collègues, que le développement des
biotechnologies rendra de plus en plus aigu le problème de la veille
sanitaire.
Ainsi, M. le Premier ministre vient d'interdire la mise en culture en France
des maïs modifiés génétiquement - on n'a d'ailleurs pas prohibé les tomates
ayant subi le même traitement ! - mais il est clair que cette technique
progressera et que nous risquons de rencontrer dans l'avenir de très nombreux
problèmes nouveaux.
Lorsque les structures de contrôle sont inadaptées, comme c'est le cas, même
si elles sont le produit d'administrations centrales qui tiennent jalousement à
leurs prérogatives - je ne vise pas que la vôtre, monsieur le secrétaire
d'Etat, je vise celle de tous les ministères concernés - on laisse une grande
place à l'autocontrôle des producteurs ou on s'en remet à la clairvoyance du
consommateur.
Nous considérons que la création d'agences, établissements publics placés sous
tutelle ministérielle, renforcera le rôle de l'Etat, en confiant à
l'administration centrale du ministère de la santé la tâche fondamentale de
définition de la politique et d'élaboration des réglementations, tout en
donnant aux deux agences de sécurité sanitaire la capacité d'assurer la mission
de contrôle de façon efficace et dans la transparence.
Ce qui nous a frappés, en effet, lors de notre voyage aux Etats-Unis, mes
chers collègues, c'est le fait que les agences, qui dépendent directement du
ministère de la santé, travaillent dans la transparence. Elles ouvrent leurs
dossiers chaque fois qu'une question est posée et elles vont expliquer devant
les chaînes de télévision pourquoi elles ont pris telle décision, pourquoi
elles n'ont pas pris telle décision dans telle autre circonstance. De même, un
directeur d'agence qui prend une décision d'interdiction ou de retrait d'un
produit donné est obligé, dans cet univers anglo-saxon, de s'expliquer à tout
moment et de motiver sa décision.
Nous pensons qu'il est plus facile à un directeur d'agence révocable
ad
nutum
par le Gouvernement d'expliquer à tout instant pourquoi il a effectué
tel système de contrôle et quelles conclusions il en a tirées ; cela permet
d'assurer l'efficacité et la transparence. C'est, à mon avis, la meilleure arme
contre ce que M. CharlesDescours appelait tout à l'heure les corporatismes,
contre les organisations professionnelles ou commerciales, car cela se fait
sous le contrôle direct de l'opinion publique.
Monsieur le secrétaire d'Etat, les propositions de la commission sont
novatrices. Je sais qu'elles ont suscité, ici et là, quelques difficultés.
Selon certains, nous allons trop loin, selon d'autres pas assez loin. On nous
propose de créer une seule agence au lieu de deux ou de fusionner, le tout pour
n'instituer qu'un seul organisme, lequel serait chargé à la fois du contrôle
des produits et de la veille sanitaire. Nous pensons qu'il ne le faut pas et
que des structures définitives doivent être mises en place.
Nous n'avons pas cherché à transposer en France le système américain parce que
nous ne sommes pas aux Etats-Unis. Nous n'avons pas non plus fait litière des
législations qui ont été mises en oeuvre depuis un certain nombre d'années dans
ce domaine.
Nous n'avons pas rêvé tout éveillé, mais nous avons fait des propositions sur
lesquelles, comme l'on dit MM. Claude Huriet et Charles Descours, nous
attendons les réactions du Gouvernement, monsieur le secrétaire d'Etat.
Ces propositions, vous avez pu le constater, recueillent un large écho sur
toutes les travées de cette assemblée, même si certains orateurs considèrent
qu'il faudrait aller dans telle ou telle direction, imposer quelques conditions
pour parvenir à un dispositif satisfaisant.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le débat est important, les enjeux sont très
élevés. En somme, la question est de savoir si notre pays est capable de se
réformer pour faire face aux menaces qui l'assaillent. A vous, monsieur le
secrétaire d'Etat, de nous démontrer que vous êtes pénétré de l'esprit de
réforme.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants,
du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
(M. Jacques Valade remplace M. Paul Girod au fauteuil de la présidence.)
Présidence de M. Jacques Valade,
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Hervé Gaymard,
secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale.
Monsieur le
président de la commission des affaires sociales, monsieur le président et
monsieur le rapporteur de la mission d'information, mesdames, messieurs les
sénateurs, vous avez rappelé les principales analyses et propositions que votre
mission a formulées pour renforcer la veille et la sécurité sanitaires, après
un travail approfondi dont la qualité a été unanimenent reconnue, et dont, au
nom du Gouvernement, je souhaite tout d'abord vous remercier.
Comme vous l'avez souligné, monsieur Huriet, et vous aussi, messieurs Descours
et Fourcade, l'origine de cette réflexion doit être recherchée dans les
analyses auxquelles nous a conduits la discussion, sur l'initiative de la Haute
Assemblée, du texte fixant le cadre juridique applicable aux produits des
thérapies génique et cellulaire.
A partir d'une proposition de loi que nous devons à plusieurs membres de
l'actuelle mission d'information - et particulièrement à l'esprit vigilant de
M. Claude Huriet - nous avons traité ensemble ce sujet dans un projet de loi
qui a été adopté ici même au printemps dernier.
Cette réflexion sur un sujet d'avenir en a fait naître d'autres, dont nous
examinons aujourd'hui le fruit.
Permettez-moi, évoquant un souvenir personnel, de vous remercier, monsieur
Fourcade, monsieur Huriet, de l'insistance avec laquelle vous avez attiré mon
attention sur cette question des thérapies génique et cellulaire. Lorsque j'ai
pris mon poste de secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale, je me
suis en effet trouvé confronté à de nombreux problèmes, qu'il s'agisse de la
réforme de la sécurité sociale ou des grèves qui se déroulaient alors dans le
pays. Mais vous m'avez motivé et sensibilisé sur cette question de la sécurité
sanitaire et, chemin faisant, c'est en tirant, en quelque sorte, le bout de la
ficelle qui dépassait de la porte qu'ensemble nous avons travaillé pour dévider
l'ensemble de la pelote.
Aujourd'hui, j'espère pouvoir mettre en oeuvre une politique cohérente de
sécurité sanitaire des produits dans notre pays.
En la matière, les auteurs du rapport de la Haute Assemblée n'en sont pas à
leurs premiers pas et votre commission des affaires sociales s'est illustrée en
prenant l'initiative de plusieurs textes qui ont conduit successivement à la
création de l'Agence du sang, de l'Agence du médicament et de l'Etablissement
français des greffes, avec les compétences que nous leur connaissons
aujourd'hui. Permettez-moi d'ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, de
saluer ici leurs directeurs, qui sont présents au banc des commissaires du
Gouvernement ; je veux les remercier devant vous du travail qu'ils
accomplissent au service de la sécurité sanitaire de nos compatriotes.
(Applaudissements.)
Quelques années de fonctionnement de ces différentes structures nous
permettent déjà de tirer des enseignements utiles dans ces domaines ainsi que
pour d'autres produits
a priori
éloignés par nature - mais qu'il faut
traiter, sur le plan de la sécurité sanitaire, avec le même objectif, qui
consiste à offrir une meilleure protection de la santé humaine - tels que
certains dispositifs médicaux, certains cosmétiques, mais aussi l'eau et les
autres produits alimentaires en général.
Sur ces sujets, vous le savez, le Gouvernement a mené sa propre réflexion et
j'ai moi-même fait le voyage outre-Atlantique. Cette réflexion a été parallèle
à la vôtre, dont j'ai tenu le plus grand compte, de même que j'ai suivi de près
les travaux menés au sein de l'Assemblée nationale et du Parlement européen.
Pour nous, un constat s'impose.
Une succession de crises sanitaires touchant à ces différents produits a
caractérisé ces dix ou quinze dernières années. L'opinion publique en est fort
légitimement marquée et la confiance en notre organisation en matière de
sécurité sanitaire s'en trouve affectée.
Le Gouvernement considère que cette situation ne doit pas perdurer et que des
mesures s'imposent.
L'Etat, pour ce qui le concerne, a des responsabilités ; il doit s'organiser
au mieux pour les exercer et éviter, par son action vigilante et rigoureuse, la
répétition des événements dramatiques que nous avons tous à l'esprit.
Cette exigence, mesdames, messieurs les sénateurs, ne souffre pas
d'atermoiements, car il s'agit là de protéger la santé de nos concitoyens. Elle
ne saurait, non plus, nuire aux agents économiques qui interviennent dans la
fabrication ou dans la commercialisation des produits, car la sécurité et la
confiance sont devenues des impératifs pour les patients, pour les
consommateurs.
Par ailleurs, notre organisation peut être encore améliorée, non seulement au
niveau des contrôles sur le terrain, où une coordination plus forte est sans
doute nécessaire - j'y reviendrai - mais, surtout, dans la liaison de ces
contrôles avec notre dispositif au niveau national et dans l'organisation même
de celui-ci.
Au-delà de la compétence et de la rigueur de chacun des acteurs de la décision
publique, une simplification des structures et une clarification des procédures
et des responsabilités sont indispensables.
Il s'agit de mettre en oeuvre, à tous les niveaux de l'Etat, les grands
principes - la rigueur, la coordination, la transparence et la rapidité de la
décision - que le Gouvernement s'est fixés dans le traitement des grandes
crises récentes, notamment celles de la vache folle et de l'amiante, au service
d'un objectif unique et indépassable : la protection de la santé humaine.
Vos travaux ont enrichi ce constat d'évolution et ont abouti à la formulation
de propositions très concrètes d'évolution, et la mission commune d'information
de l'Assemblée nationale a conduit, de son côté, une réflexion dont l'origine
était bien différente, mais certaines de ses conclusions sont fort proches des
vôtres.
Le Parlement européen, sur le même sujet, de même que le président de la
Commission, sous l'autorité du président Santer, ont formulé des préconisations
analogues.
Dans ce contexte, et pour répondre à l'impératif de protection de la santé
humaine, le Gouvernement a décidé, sous l'arbitrage du Premier ministre, de
procéder à une réorganisation des structures administratives chargées de la
veille et de la sécurité sanitaires, dont voici les axes principaux.
S'agissant de la veille sanitaire, le réseau national de santé publique a,
depuis sa création, en 1992, commencé à assurer cette mission de connaissance
et de suivi de l'état de santé des populations.
Il faut aujourd'hui aller plus loin, notamment dans le domaine de
l'épidémiologie. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé le renforcement de
cette misssion, qui devrait déboucher sur la création d'un véritable institut
de veille sanitaire national.
Par ailleurs, la sécurité des produits thérapeutiques, biologiques et
médicaux, y compris ceux qui ne sont pas nommés juridiquement aujourd'hui, sera
confiée à une institution unique rassemblée reprenant les missions de sécurité
sanitaire exercées par l'Agence du médicament, par l'Agence française du sang,
par l'Etablissement français des greffes et par l'administration centrale, ce
qui renforcera la lisibilité et l'efficacité de notre dispositif dans ce
domaine et devra être l'occasion de remédier à certaines de ses lacunes
actuelles.
S'agissant de la sécurité sanitaire des produits alimentaires - y compris
l'eau alimentaire - une nouvelle institution sera créée. Placée sous la tutelle
des différents ministres concernés par cette question, dont le ministre chargé
de la santé, cette institution, comme les précédentes, bénéficiera d'une grande
autonomie dans l'exercice de ses missions, qu'elle devra conduire en se fondant
sur le principe de précaution, principe directeur de l'action du Gouvernement
en la matière et seul principe acceptable dès lors qu'est en jeu la santé
humaine.
S'agissant du niveau déconcentré, ces organisations nationales devront
s'appuyer sur les différents corps de contrôle à l'échelon local dont la
compétence est reconnue et dont la coordination sera renforcée, sous l'autorité
des préfets.
Enfin, le Gouvernement a retenu votre proposition tendant à créer auprès du
Premier ministre une structure interministérielle de coordination qui sera
chargée de piloter les situations de crises sanitaires importantes et d'assurer
que soient apportées au plus vite les réponses permettant de garantir la santé
des Français.
Mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont les éléments d'information dont
je voulais vous faire part à l'issue de ce débat.
Mais il est évident que cette vaste mobilisation pour la sécurité sanitaire ne
doit pas être cantonnée en deçà de nos frontières, il y faut un prolongement
européen. En effet, les différents événements que nous avons vécus montrent, à
l'envi qu'il existe un déficit en matière de santé publique au niveau de
l'Union européenne.
(M. Machet applaudit.)
Si chacun et chacune d'entre nous ne peut que se féliciter des décisions
qui ont été prises récemment par le président de la Commission européenne, M.
Santer, il faut sans doute aller plus loin en ce qui concerne à la fois la
sécurité des produits et l'organisation de la veille sanitaire. Nous devons
constituer, à l'échelon du continent européen, l'équivalent de ce qui existe
aux Etats-Unis dans le cadre des
centers for disease control.
A ce sujet, monsieur Autain, je suis totalement d'accord avec vous : je crois
que nous sommes actuellement, s'agissant des dispositifs médicaux, dans une
situation transitoire puisque, jusqu'en juin 1998, coexisteront, en quelque
sorte, le marquage CE et les réglementations nationales. A partir de juin 1998,
le marquage CE devrait seul prévaloir. Mais il est clair que, dans sa
configuration actuelle, ce marquage n'est pas satisfaisant du point de vue de
la sécurité sanitaire des dispositifs médicaux.
J'ai saisi à ce sujet le Conseil des ministres de la santé, sous présidence
irlandaise, dès le mois de septembre 1996 et la Commission a été également
saisie par le Gouvernement français. Je me rendrai prochainement à Bruxelles
pour rencontrer les autorités compétentes et insister auprès d'elles sur la
nécessité, s'agissant des dispositifs médicaux, de disposer en juin 1998 d'un
système qui permette une sécurité sanitaire renforcée, c'est-à-dire
d'accompagner les tests de résistance des matériaux de véritables essais
cliniques qui prennent en compte la santé humaine.
Sur l'ensemble des sujets qui nous réunissent aujourd'hui, il nous faut
toujours avoir à l'esprit le prolongement européen car, à l'heure du marché
unique et de la libre circulation des produits, ce serait une politique de
Gribouille que de se doter de dispositifs de sécurité bien organisés chez nous
si des dispositifs beaucoup plus lâches subsistent à l'intérieur de l'espace
européen.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
Permettez-moi maintenant de répondre précisément à quelques-unes des
questions particulières que vous avez posées, mesdames, messieurs les
sénateurs.
Faut-il une ou deux agences ?
Sur ce sujet, il ne faut pas faire de fétichisme institutionnel. Je crois
qu'il faut être pragmatique et s'efforcer de prendre les meilleures décisions
possibles.
Comme l'a dit M. Autain, je me suis exprimé à plusieurs reprises en faveur
d'une agence unique, parce que cette solution me semblait avoir le mérite de la
clarté. Je n'en considère pas moins que, dans la mesure où nous disposons d'une
structure duale qui se réfère incontestablement à la santé publique et à la
protection du citoyen, il est inutile de nous enliser dans un débat qui
pourrait revêtir un caractère quasi théologique.
Dans le cadre de l'institution duale que nous allons mettre en oeuvre, il
faudra naturellement porter une attention aux « produits-frontières », qui ne
pourront que se multiplier compte tenu des progrès scientifiques et techniques.
Mais soyez assurés de ma vigilance à cet égard.
Sachez également que, oui, ces structures auront un statut d'établissement
public ; que, non, nous ne remettrons bien évidemment pas en cause le statut
des personnels, pas plus à l'échelon national qu'à l'échelon déconcentré ; que,
non, il n'est pas non plus question de diluer les responsabilités ni de les
rendre confuses puisque, en réalité, c'est exactement le contraire que nous
avons décidé de faire.
Il ne s'agit pas davantage de remettre en cause l'administration de la santé,
notamment la direction générale de la santé, qui fait un excellent travail.
Simplement, il nous a semblé - MM. Charles Descours et Claude Huriet l'ont dit
- que, en matière de politique de santé publique, il fallait bien distinguer
les choses.
La qualité des soins, c'est l'ANAES. Le décret l'instituant va paraître dans
les tout prochains jours et il n'y a de la part de l'administration aucune
résistance pour retarder sa mise en place.
La sécurité des produits, nous venons d'en traiter.
La veille sanitaire relève du RNSP, tel qu'il sera renforcé.
Il y a, enfin, la définition et la mise en oeuvre des politiques de santé
publique.
J'ai la conviction que les réformes que nous allons mettre en oeuvre
permettront à l'administration centrale du ministère du travail et des affaires
sociales, dans sa composante santé, et notamment à la direction générale de la
santé, qui aura d'ailleurs la tutelle de l'ensemble de ces établissements, de
mener une politique plus active de santé publique. En effet, jusqu'à présent,
beaucoup d'énergies étaient mobilisées sur les produits et, même si l'on avait
enregistré une amélioration depuis la création des agences, il y avait encore
parfois des incertitudes, des zones d'ombre, des recoupements. Ainsi, nous
dynamiserons nos institutions en charge de la santé publique.
S'agissant de la veille sanitaire, il faut être extrêmement ambitieux. Le
réseau national de santé publique, créé sous forme d'un groupement d'intérêt
public entre le ministère de la santé et l'INSERM, en 1992, a constitué une
avancée significative, même si ses débuts ont été modestes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez doté le RNSP d'un budget de
fonctionnement en augmentation de 50 % en 1997, ce qui lui permettra de
franchir une étape supplémentaire. Mais il faut aller encore au-delà. Je viens
de le dire, le RNSP sera transformé en établissement public et ses missions
seront élargies et renforcées.
On fait toujours la comparaison avec le CDC, aux Etats-Unis, qui, c'est vrai,
doit être notre référence à l'échelon tant national qu'européen.
Mais il faut comparer ce qui est comparable. Quand on dit que le budget du CDC
est quinze ou vingt fois supérieur, il faut savoir que cet organisme est
également compétent pour les vaccinations, et que son budget englobe donc les
crédits qui, chez nous, sont inscrits sur le budget de la caisse nationale
d'assurance maladie.
Par conséquent, si l'on requalifiait les dépenses, on se rendrait vite compte
que les chiffres sont
a priori
beaucoup moins disproportionnés que l'on
a tendance à le dire parfois.
Cela étant, il est vrai que nous avons du retard sur les Etats-Unis et qu'il
nous faut le combler.
Monsieur Dulait, c'est vrai, les services déconcentrés, quelle que soit
l'administration à laquelle ils appartiennent, font un bon travail de contrôle
sur le terrain. Il faut, néanmoins, renforcer leur coordination sous l'autorité
du préfet, car il y a encore, dans certaines hypothèses, soit des recoupements,
soit des vides.
Dans le cadre de la réforme de l'Etat, des centres d'expérimentation sont mis
en place dans certains départements, de manière à rendre la coordination plus
efficace entre les différents corps de contrôle dépendant de la DDASS, de la
direction des services vétérinaires ou de la direction départementale de la
concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.
Monsieur Bimbenet, chaque fois que l'Agence du médicament interdit ou retire
un médicament, nous alertons les autorités des pays susceptibles de l'avoir
importé et nous en interdisons l'exportation, car, c'est évident, la vigilance
sanitaire qui s'impose chez nous doit aussi prévaloir à l'échelon
international.
Enfin, je veux remercier M. le président Fourcade de la qualité et de la
hauteur de vue de son intervention sur un sujet sur lequel la commission des
affaires sociales, qu'il préside, s'est mobilisée depuis bien des années.
Je retiendrai trois choses de son propos.
D'abord, il faut mettre fin au cloisonnement et aux errements inhérents au
recours à la formule associative. Nous avons trop vu, par le passé, les
conséquences que cela pouvait entraîner. La sécurité sanitaire est une fonction
régalienne de l'Etat. Il faut se donner les moyens de l'exercer sur les plans
législatif et réglementaire ainsi que sur les plans systémique et financier.
Le renforcement du rôle de l'Etat, ensuite, est le corollaire de cette
première observation sur le rôle des associations.
Pour celles et ceux qui n'ont pas encore réfléchi de manière cohérente et
globale sur les questions de sécurité sanitaire, la création d'institutions
telles que les agences pourrait être troublante. Ne s'agirait-il pas d'un
démembrement de l'administration centrale telle qu'on en parlait dans les
années soixante, dans un rapport célèbre de la Cour des comptes ? Le politique
ne se défausserait-il pas sur des structures non nommées, sortes d'électrons
libres, qui traiteraient de ces questions ?
C'est exactement le contraire M. le président Fourcade l'a rappelé avec force,
en créant des agences, l'Etat assume ses responsabilités de manière
scientifiquement irréprochable et avec transparence.
La transparence est très importante, car elle génère la confiance dont notre
pays a besoin en matière de sécurité sanitaire.
S'agissant de l'Agence du médicament, par exemple, je tiens à préciser qu'un
serveur minitel « 36-17 Agemed » permet à chaque citoyen d'être informé des
retraits de lots de médicaments ou de vaccins. Voilà qui répond à un souci de
transparence, souci qui doit présider à la mise en place des nouveaux
organismes !
Tout aussi importante - j'en terminerai par là - est la notion de délai de
réaction. Nous le voyons, tous les drames sanitaires auxquels nous avons à
faire face sont dus à une irrésolution dans la décision, l'espace de quelques
semaines ou de quelques mois. C'est cela qu'il faut éviter, à l'avenir, en
mettant en place ce dispositif de sécurité sanitaire.
Voilà, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je
voulais dire au terme de ce débat.
Je remercie tout particulièrement MM. Charles Descours et Claude Huriet de la
qualité de leur rapport, qui fera date, qui sera un rapport fondateur pour
notre sécurité sanitaire.
Je remercie également le Sénat d'avoir pris l'initiative d'organiser ce débat,
qui nous a permis de faire le point sur cette question.
Maintenant que tout est dit, il faut le faire. Nous avons du pain sur la
planche, et je ne doute pas que, dans les semaines et les mois à venir, nous
aurons à travailler ensemble pour la santé des Français.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Monsieur le ministre, je vous remercie de la qualité de votre réponse et de la
densité du message que vous venez de nous délivrer.
En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
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