LIBERTÉ DE COMMUNICATION
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 55 rectifié,
1996-1997) modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la
liberté de communication. [Rapport n° 207 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Philippe Douste-Blazy,
ministre de la culture.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur,
mesdames, messieurs les sénateurs, la loi sur la liberté de communication et,
plus généralement, tout le droit positif applicable à l'audiovisuel ont été
depuis 1986 l'objet de très nombreuses modifications de forme comme de fond. Il
en résulte un cadre juridique complexe, qui s'explique par la multiplicité des
enjeux traversant ce secteur, que ce soit en termes de culture, ou même
d'économies.
Le projet de loi que le Gouvernement vous propose d'examiner est né de la
volonté de répondre aux enjeux d'aujourd'hui.
Le secteur de la communication entre en effet dans une nouvelle ère.
Mme Hélène Luc.
Espérons qu'elle sera heureuse !
M. Philippe Douste-Blazy,
ministre de la culture.
D'une dimension nationale avec une offre de
services limitée, nous allons très rapidement passer à des chaînes et à des
services de dimension internationale nombreux et variés, diffusant sur des
réseaux techniques de plus en plus ouverts et puissants. Le projet de loi vise
à préparer notre pays à cette évolution, ou plutôt à ces révolutions : une
révolution technologique avec l'arrivée du numérique ; une émergence de grands
groupes de communication de taille mondiale, qui mettent en place, en
particulier grâce au satellite, des chaînes de télévision internationales ;
enfin, un paysage audiovisuel français en plein développement, avec, aux côtés
des chaînes hertziennes généralistes, des dizaines de nouvelles chaînes
thématiques diffusées par le câble ou le satellite.
M. Paul Loridant.
Et les télévisions locales !
M. Philippe Douste-Blazy,
ministre de la culture.
Ces évolutions majeures et durables appellent des
aménagements importants à notre cadre juridique, aménagements qui peuvent être
résumés en trois lignes d'action.
Tout d'abord, il faut se préparer à la multiplication des futures chaînes et à
la multiplicité des nouveaux services en dotant notre pays d'un organe de
régulation efficace ; d'où les propositions qui vous sont présentées dans ce
projet de loi pour réaménager certains pouvoirs du Conseil supérieur de
l'audiovisuel, le CSA, et le conforter dans son rôle de régulateur de
l'audiovisuel.
Ensuite, il est nécessaire de donner un cadre juridique adapté aux nouvelles
technologies, cadre qui doit prendre en compte les spécificités du numérique,
du câble et du satellite.
Enfin, il importe de rationaliser les structures de l'audiovisuel public pour
le renforcer et lui permettre de faire face aux défis de cette nouvelle ère de
la communication qu'ouvre ainsi le « numérique ».
Comme vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte a un objectif
précis, et je le crois utile.
Je tiens donc à être clair : ce projet de loi a vocation non pas à se
substituer à l'ensemble de la législation existante, mais à apporter à la
législation actuelle, sur certains points, des modifications ou des compléments
qui ont semblé nécessaires au Gouvernement.
Pour ma part, j'estime que le secteur de la communication est arrivé à une
certaine maturité et que l'on ne peut pas, à l'occasion de chaque nouveau
projet de loi sur l'audiovisuel, mettre à plat ou à bas l'ensemble du droit
existant.
Ce projet de loi vise tout d'abord à aménager certains pouvoirs du Conseil
supérieur de l'audiovisuel pour renforcer sa fonction de régulateur du paysage
audiovisuel.
Ces aménagements portent sur quatre points.
En premier lieu, le projet de loi confère au CSA un pouvoir de recommandation.
Ce pouvoir de recommandation pourra porter sur toutes les questions relatives
au respect, par les chaînes, des grands principes dans lesquels s'inscrit
l'exercice de la liberté de communication : protection de la liberté et de la
propriété d'autrui, respect du caractère pluraliste de l'expression des
courants de pensée et d'opinion, etc.
En deuxième lieu, il confie au CSA un pouvoir de veille sur la déontologie des
programmes, c'est-à-dire, notamment, la protection des mineurs, le respect des
principes protecteurs de la vie privée des personnes et la protection des
consommateurs.
Le projet de loi prévoit également la saisine obligatoire du CSA pour avis sur
tout projet de loi relatif à l'audiovisuel. Il s'agit, en l'espèce, d'inscrire
dans la loi une pratique existant de longue date, puisque les derniers projets
de loi concernant le secteur audiovisuel ont été transmis au CSA pour avis.
C'est d'ailleurs le cas de celui-ci, puisque j'ai décidé, avant son passage en
conseil des ministres en octobre dernier, de le transmettre pour avis au
CSA.
Enfin, concernant toujours les pouvoirs du CSA, le projet de loi prévoit
encore un dispositif de sanctions plus rapides, afin de les rendre plus
efficaces.
L'ensemble de ces mesures ont la même finalité : accroître les instruments
dont le CSA peut disposer dans les limites de son pouvoir de régulation. Je
suis en effet partisan d'accroître ce dernier pour permettre une adaptation
plus souple des règles, en fonction, notamment, de la situation des opérateurs.
La loi comme les décrets sont nécessaires pour encadrer, mais ils ne peuvent
tout prévoir ni tout définir.
J'en viens à présent au deuxième objectif de ce projet de loi : la définition
d'un cadre juridique pour les chaînes diffusées par satellite et pour la
technologie du numérique.
Le projet de loi vise d'abord à combler un vide juridique. En effet, les
décrets d'application prévus par la loi de 1986 pour préciser le régime
applicable aux satellites de télécommunication n'ont jamais été pris.
Jusqu'à présent, ce vide juridique n'avait pas de réelles conséquences, car
les chaînes satellitaires étaient aussi distribuées par le câble, et se
faisaient ainsi conventionner au titre du câble.
Désormais, cependant, le développement de la télévision numérique par
satellite devrait permettre à une chaîne par satellite de trouver un équilibre
économique sans devoir être nécessairement diffusée en parallèle sur le câble.
Dès lors, l'adaptation de notre législation devient indispensable.
En premier lieu, le projet de loi définit un régime juridique unique pour les
services par satellite relevant de la compétence française, alors que la loi de
1986 distinguait les satellites de télécommunication des satellites de
diffusion directe.
Le projet de loi pose ensuite le principe du conventionnement par le CSA des
chaînes diffusées par satellite, ce qui correspond à la nécessité d'édicter
dans ce domaine en pleine mutation des règles à la fois souples et
évolutives.
Le projet de loi introduit également une exigence de pluralisme - je tiens à
insister sur ce point - en obligeant les opérateurs de câble ou de satellite à
introduire dans leur offre au moins 20 % de chaînes indépendantes.
Je considère en effet que ce nouveau marché doit être l'occasion de permettre
à des entrepreneurs de lancer de nouvelles chaînes. Or le risque existe de voir
les opérateurs de bouquet tenter de contrôler la quasi-totalité des chaînes
diffusées dans leur bouquet.
Enfin, ce projet de loi met en place des dispositions spécifiques au numérique
en imposant des conditions de transparence des systèmes de contrôle d'accès.
Ces mesures, qui sont transposées de la directive européenne « normes et
signaux », visent à favoriser la compatibilité entre les différents parcs de
décodeurs en vente sur le marché.
Légiférer sur le numérique et sur le satellite est un exercice extrêmement
délicat. En effet, ces marchés sont émergents et d'une grande complexité, et
nous devons prendre en compte toute la richesse des nouveaux services, les
potentialités de la technologie et la dimension internationale qui va
s'accroître.
Le projet de loi prévoit un régime qui définit les garde-fous nécessaires pour
faire respecter les exigences de pluralisme et de transparence, tout en
permettant, dans un cadre souple appelant une régulation forte, un
développement du secteur en environnement concurrentiel.
C'est pour respecter cet équilibre que le Gouvernement n'a pas souhaité
imposer
a priori
des règles anticoncentration trop strictes à un secteur
dont la structure économique n'est pas mûre.
Par exemple, les règles en vigueur pour les satellites de diffusion directe
paraissent totalement incompatibles avec le foisonnement des nouvelles chaînes
que nous constatons aujourd'hui. De même, il nous semble prématuré d'intervenir
à ce stade pour limiter la part de marché qu'un opérateur peut détenir, alors
même que nos groupes souffrent d'une taille insuffisante dans la compétition
internationale. Pour cette même raison, nous ne proposons pas de limites de
contrôle entre le métier d'opérateur de bouquet satellitaire et des activités
dans d'autres médias.
Plutôt que d'étouffer les initiatives en inventant des règles définitives, je
vous propose de faire appliquer, avec pragmatisme, le droit commun de la
concurrence.
C'est aussi pour cette raison que le Gouvernement n'a pas souhaité introduire
des conditions de conventionnement des bouquets par satellite par le CSA. Une
telle approche se justifie pour le câble parce que la distribution câblée est
exploitée sur chaque site par un opérateur unique et parce qu'elle se substitue
souvent à la diffusion hertzienne. Une telle approche serait cependant néfaste
sur le satellite. N'oublions pas, en effet, que les bouquets par satellites
sont nombreux et se développent en concurrence.
N'oublions pas non plus la dimension internationale du satellite et la
facilité pour un opérateur de se délocaliser à l'étranger si les contraintes
françaises sont trop fortes.
En revanche, le pluralisme est une préoccupation essentielle, et elle est très
particulière au secteur de la communication. C'est pour répondre à cette
préoccupation que le projet de loi innove avec une mesure en faveur du
pluralisme, pour le satellite mais aussi pour le câble. La règle des 20 % de
chaînes indépendantes est nouvelle et, je crois, assez bien comprise.
Je terminerai sur le thème des nouveaux services par un mot sur la diffusion
numérique hertzienne terrestre.
Le Gouvernement n'a pas négligé ces développements puisque, comme vous le
savez, mesdames, messieurs les sénateurs, j'avais demandé en 1996 un rapport
d'expert sur ce sujet. Ce rapport a conclu que nos opérateurs comme nos
industriels n'étaient pas encore prêts pour la diffusion numérique de terre. Il
m'est alors apparu prématuré de légiférer dans un cadre pérenne sur cette
question et, à l'inverse, utile d'en favoriser les expérimentations dans la loi
que vous avez votée l'année dernière. Cette loi pourrait être améliorée à
l'occasion des débats sur ce projet de loi.
J'en viens à présent au troisième et dernier objectif de ce projet de loi : la
rationalisation des structures de l'audiovisuel public.
Les activités de la SEPT-Arte et de La Cinquième seront désormais assurées au
sein d'une même société, sans que cette réorganisation du pôle français de la
chaîne Arte porte la moindre atteinte au traité franco-allemand signé le 2
octobre 1990 ni à l'indépendance de la ligne éditoriale de La Cinquième comme
d'Arte.
Le second point concerne l'audiovisuel extérieur : il est ainsi prévu de
céder une part du capital de Radio France internationale, RFI, à Radio France,
l'Etat restant majoritaire, et d'organiser la présence respective, dans les
conseils d'administration des deux sociétés, du président de la maison mère et
de celui de sa filiale. Le président de la future société chargée de l'action
télévisuelle extérieure participera au conseil d'administration de RFI.
Enfin, pour mémoire, je rappellerai que le projet de loi prévoit de favoriser
le pluralisme audiovisuel dans les départements d'outre-mer, en facilitant
l'adossement des opérateurs privés locaux aux opérateurs privés nationaux.
Si le Gouvernement a décidé de réorganiser l'action audiovisuelle extérieure,
s'il a décidé de réunir en une seule société La Cinquième et la SEPT-Arte,
c'est pour renforcer le service audiovisuel public et le rendre plus
efficace.
Il s'agit d'éviter la dispersion et les gaspillages, de mieux utiliser
l'argent de la redevance.
Je crois, mesdames, messieurs les sénateurs, que ces deux actions de
réorganisation sont fortes. Mais elles devront s'inscrire dans d'autres
réformes nécessaires pour préparer l'audiovisuel public à l'arrivée du
numérique.
Dans ce cadre, une autre question se pose : celle de l'éventuelle
transformation de France Télévision en une société
holding
contrôlant
France 2 et France 3.
Une telle disposition aurait pu figurer dans ce projet de loi, mais le
Gouvernement a préféré tenir compte de l'existence préalable d'une proposition
de loi du Sénat sur ce sujet, et laisser à la Haute Assemblée, le cas échéant,
une telle initiative.
Je puis vous dire que je suis favorable à une telle création qui, à côté de la
réunion de La Cinquième et de la SEPT-Arte, conduira à une véritable
réorganisation du secteur public audiovisuel.
Enfin, et pour conclure, je souhaite évoquer devant vous les grands principes
qui ont guidé les amendements du Gouvernement, s'agissant du secteur de la
radio.
Comme vous le savez, le CSA a rendu publiques, le 10 février dernier, ses
nouvelles orientations en matière de politique radiophonique et a fait part
d'un certain nombre de difficultés qu'il rencontrait pour exercer de façon
efficace sa régulation dans le cadre législatif actuel.
Conformément aux engagements que j'avais pris en décembre dernier et après
avoir mené une large concertation avec l'ensemble des opérateurs radio, j'ai
accepté, au nom du Gouvernement, d'ajouter de nouvelles dispositions relatives
à la radio qui me semblent répondre largement aux préoccupations exprimées par
le régulateur.
Il s'agit non pas d'engager une profonde réforme du paysage radiophonique,
mais tout simplement d'apporter des modifications précises au cadre législatif
actuel afin de permettre au CSA d'exercer dans la transparence une régulation
plus efficace du secteur radiophonique. C'est dans cet esprit que le
Gouvernement a retenu les principales dispositions suivantes.
La première disposition, c'est la création d'une commission technique,
regroupant des représentants du Conseil et des opérateurs, chargée de faire des
propositions au CSA sur tous les nouveaux plans de fréquences avant que ce
dernier n'arrête définitivement tous les plans de fréquences. Cette mesure
permettra d'assurer la transparence dans la gestion d'une ressource rare
aujourd'hui : la fréquence radio. Il y a pénurie dans ce domaine. Les radios se
livrent à une bagarre acharnée. Une règle du jeu s'imposait.
La deuxième disposition, c'est l'institution d'un appel partiel à candidatures
pour attribuer les fréquences. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel pourra
ainsi lancer des appels à candidatures sur des fréquences déterminées et les
attribuer en toute sécurité juridique en moins de trois mois. Le nouveau
dispositif permettra notamment au CSA de mettre en oeuvre les modalités de
changement de catégorie de radio prévu dans son communiqué 319 dans des délais
tout à fait acceptables pour les opérateurs.
La troisième mesure vise à ajouter, pour les opérateurs radio, de nouvelles
causes de non-renouvellement automatique. Le CSA disposera ainsi d'une plus
grande marge d'appréciation lors du renouvellement automatique des
autorisations.
Enfin, j'ai voulu faire figurer dans la loi la mention de la capacité du
marché publicitaire local parmi les critères d'appréciation du CSA lors des
attributions des fréquences.
L'équilibre économique des réseaux locaux indépendants dépend directement de
la situation du marché publicitaire local, qui constitue leur principale, voire
leur seule ressource.
Il en est de même pour la presse quotidienne régionale ou la presse écrite. Il
faut toujours faire attention, en termes de publicité, à ne pas toujours aller
vers la télévision au détriment des autres grands vecteurs que sont la radio et
la presse écrite, en particulier régionale.
Il me semble nécessaire que le CSA, qui doit assurer le pluralisme du paysage
radiophonique, puisse explicitement tenir compte de cette dimension économique
importante lorsqu'il examine les différentes candidatures dans une zone
déterminée.
Je voudrais, pour conclure sur ce point, souligner que la mise en oeuvre de
ces nouvelles dispositions qui devraient permettre au CSA d'assurer une
régulation plus efficace du secteur dans un cadre rénové s'accompagne de la
réalisation de l'audit de la bande FM dont j'ai pris l'initiative au début de
cette année et qui devrait permettre de dégager de nouvelles fréquences. Telles
sont, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, les
précisions que je voulais vous apporter sur ce projet de loi.
L'ensemble de ces éléments me semble apporter une réponse satisfaisante aux
tensions récentes qu'a pu connaître ce secteur, en particulier dans le domaine
radiophonique, dans le respect de la volonté du Gouvernement de préserver ce
paysage radiophonique pluraliste, diversifié, en permettant le développement de
l'ensemble des réseaux radiophoniques, qu'ils soient généralistes, thématiques
ou indépendants.
Modernisation de notre législation, réaffirmation du pouvoir de régulation du
CSA, souci marqué de transparence, prise en compte d'un pluralisme nécessaire,
telles sont, au-delà du secteur de la radio, les principales orientations de ce
projet de loi.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Hugot,
rapporteur de la commission des affaires culturelles.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ce début d'année 1997,
qui sera pour la communication audiovisuelle une année charnière, comme chacun
le reconnaît, trois évolutions qui viennent d'être rappelées impliquaient une
réflexion sur l'évolution du droit de la communication audiovisuelle et
l'intervention du législateur pour retoucher l'édifice, vénérable mais toujours
pertinent dans sa structure et dans l'essentiel de ses dispositions, de la loi
du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication.
Je voudrais rappeler ces évolutions afin de préciser le contexte dans lequel
s'inscrit le projet de loi dont vous venez de nous décrire les grandes lignes,
monsieur le ministre.
La première évolution concerne l'audiovisuel public.
La discussion du projet de loi de finances pour 1997 a mis en évidence la
nécessité de rationaliser un secteur public de l'audiovisuel qui ne cesse de se
développer depuis nombre d'années par la création d'organes nouveaux et par
l'essaimage des organes existants sans véritable prise en compte de
l'adéquation nécessaire entre l'évolution et la structure des ressources, d'une
part, le périmètre du secteur, d'autre part.
La conjoncture ne permet plus d'ignorer cette nécessité.
En effet, l'année 1997 sera, pour les organismes de l'audiovisuel public,
l'année de la stabilisation des taux de la redevance et de la diminution des
dotations budgétaires. La politique de résorption des déficits publics impose
ce resserrement que les organismes devront compenser en réalisant un important
train d'économies et, pour ceux qui recourent à ce type de financement, en
augmentant sensiblement leurs recettes publicitaires.
Or la croissance des recettes publicitaires est aléatoire.
Dans ces conditions, la maîtrise des charges et la réalisation du plan
d'économies prescrites en fonction des propositions du rapport d'audit de la
mission Bloch-Laîné, déposé en juillet 1996, paraissent indispensables. Un
sérieux effort de rationalisation doit être entrepris, un rassemblement des
moyens opéré.
Le budget de 1997 a largement anticipé, spécialement en ce qui concerne La
Cinquième et la SEPT, cette exigence qui apparaît ainsi comme l'un des axes de
la politique audiovisuelle du Gouvernement. Plusieurs chantiers sont lancés ;
les modifications législatives qu'ils imposent figurent dans le projet de
loi.
La seconde évolution a trait aux modes de diffusion.
Cette évolution, qui impose de modifier la loi du 30 septembre 1986, est liée
à la numérisation de l'ensemble de la chaîne de l'image, à la baisse du coût de
la diffusion et à la démultiplication des services de radio et de télévision
que celle-ci permet, à la diversification des services et des modes de
commercialisation que suscitent les procédés d'interactivité associés à la
numérisation.
Le public va ainsi bénéficier d'une offre de services audiovisuels beaucoup
plus souple qui va susciter la montée en puissance du paiement direct des
produits audiovisuels et, par voie de conséquence, l'évolution à terme des
grandes chaînes hertziennes nationales au profit de services beaucoup plus
ciblés, diversifiés, souvent interactifs, et généralement payants.
On met parfois en doute le réalisme de cette perspective et l'existence d'un
véritable marché pour les services payants. Mais la plupart des opérateurs
considèrent qu'un pays où quatre millions de personnes acceptent de payer un
abonnement pour recevoir une chaîne hertzienne cryptée peut être considéré
comme un terrain vierge du point de vue de l'économie de la communication
audiovisuelle. C'est l'explication du lancement récent de trois bouquets
satellitaires français, dans lesquels s'associent ou entrent en concurrence les
grandes chaînes généralistes et les principaux câblo-opérateurs.
Ces évolutions ont touché en premier lieu le satellite, dont les coûts de
diffusion sont devenus particulièrement compétitifs. Le câble, dont la
numérisation est en cours, va aussi être concerné. A terme, la numérisation
touchera aussi la diffusion hertzienne terrestre où se poseront de difficiles
problèmes d'allocation des fréquences entre usagers et opérateurs, qui
requièrent une large concertation préalable au lancement de toute stratégie de
développement du numérique hertzien terrestre.
La troisième grande évolution significative ne peut encore être saisie dans
toute son ampleur.
La numérisation et le développement de l'interactivité ne vont pas seulement
susciter l'apparition de nouveaux services de communication audiovisuelle. A
terme s'effacera la traditionnelle distinction entre la communication
audiovisuelle et les télécommunications. On en discerne les prémices dans la
possibilité qui sera donnée, aux réseaux câblés, le 1er janvier 1998, de
commercialiser des services téléphoniques.
Cette évolution conduira à terme à la diffusion indifférenciée de tous les
services sur l'ensemble des réseaux, à la remise en cause du clivage sur lequel
est fondée la loi de réglementation des télécommunications adoptée en juillet
dernier, clivage dont le projet de loi porte la marque dans la mesure où il
précise le rôle respectif du CSA et de l'autorité de réglementation des
télécommunications à l'égard des services de radio et de télévision utilisant
des fréquences hertziennes de télécommunications.
Ces problèmes liés à l'entrée de la France dans la société de l'information ne
sont guère évoqués dans le projet de loi. La difficulté d'en cerner d'ores et
déjà tous les aspects ne permet pas de légiférer à leur égard de façon précise
et sûre.
Or, face à l'incertitude des données économiques et à l'instabilité des
facteurs techniques de leur activité, les acteurs de la communication
audiovisuelle ont besoin d'une certaine stabilité législative et
réglementaire.
En nous proposant une série de mesures destinées à renforcer le pouvoir de
régulation du CSA, à prendre en compte certaines évolutions actuelles de la
communication audiovisuelle - je pense, en particulier, à l'essor remarquable
de la diffusion satellitaire - et à rationaliser le fonctionnement du secteur
audiovisuel public, vous vous inscrivez dans le mouvement, monsieur le
ministre, ce que certains vous reprocheront, sans le précéder. La commission
des affaires culturelles, quant à elle, approuve ce pragmatisme.
Votre objectif ne pouvait être de refondre un édifice législatif qui, en dix
ans, a fait la démonstration de sa pertinence ni d'anticiper des évolutions
encore vagues ; au contraire, il s'agissait de répondre aux besoins identifiés
et immédiats de la communication audiovisuelle.
C'est aussi dans cet esprit que la commission a procédé à l'examen du texte,
en joignant à sa réflexion les suggestions de trois propositions de loi
modifiant la loi du 30 septembre 1986 qui ont été présentées, pour deux d'entre
elles, par M. Jean Cluzel et, pour la troisième, relative à l'organisation de
France Télévision, par MM. Maurice Blin, Josselin de Rohan, Henri de Raincourt,
Guy Cabanel, Adrien Gouteyron et Jean Cluzel.
Sur ces fondements solides et en constatant une large convergence entre le
contenu du projet de loi, la réflexion que la commission a menée de longue date
sur l'évolution de la communication audiovisuelle, les renseignements
recueillis par votre rapporteur à l'occasion des très nombreux entretiens qui
lui ont permis de préparer l'examen de ce texte, la commission des affaires
culturelles a souhaité renforcer certaines dispositions de ce dernier, en
préciser la portée et en améliorer la cohérence avec l'ensemble des
dispositions de la loi du 30 septembre 1986.
Correspondent en particulier à l'exigence de précision un certain nombre
d'amendements aux dispositions qui élargissent les pouvoirs du CSA.
Il s'agit de dissiper toute ambiguïté à propos du fait que le CSA adressera
aux seuls fournisseurs de services de communication audiovisuelle des
recommandations générales ou particulières sur le respect des principes énoncés
par la loi.
Il s'agit aussi de clarifier la rédaction de l'article qui donne au CSA la
mission de veiller sur un certain nombre d'intérêts particulièrement protégés
par la loi.
Il s'agit enfin de rendre plus claire la procédure à l'issue de laquelle le
CSA délivre un agrément pour la mise à disposition du public de services de
radiodiffusion et de télévision sur des fréquences hertziennes non gérées par
le CSA et sur des fréquences satellitaires.
Correspondent à la recherche de cohérence des amendements sur la procédure de
mise à disposition du public de services de radiodiffusion ou de télévision sur
des fréquences de télécommunications.
Correspondent enfin à l'objectif de renforcement du texte plusieurs
amendements aux articles qui modifient le dispositif anti-concentration
applicable à la diffusion de « bouquets » sur des fréquences satellitaires ou
sur le câble, ainsi qu'un amendement qui diversifie les organes dirigeants de
la société réunissant La Cinquième et la SEPT.
En ce qui concerne le dispositif anti-concentration, un amendement vise à
préciser ainsi la portée de la disposition qui interdit à une même personne
physique ou morale de contrôler plus de la moitié de l'offre satellitaire mise
à la disposition du public sur le plan national en ne faisant référence qu'à
l'offre de service en langue française. Un second amendement tend à renforcer
le dispositif anti-concentration qui impose à tout offreur de services câblés
ou satellitaires de réserver 20 % de sa capacité de diffusion à des services
indépendants.
En ce qui concerne la fusion de La Cinquième et de la SEPT, un amendement
complète la définition des missions éducatives et de formation héritées de La
Cinquième. Notre objectif est de favoriser la mise en place de la troisième
fenêtre du dispositif d'accès au savoir par la télévision préconisée en 1993
par la mission d'information du Sénat, qui a été largement à l'origine de la
création de La Cinquième.
Un autre amendement prévoit, afin de mieux garantir sur le plan institutionnel
la spécificité et la continuité des deux pôles de la société, que deux
directeurs généraux assisteront le président de la société réunissant La
Cinquième et la SEPT, et veilleront à l'élaboration de la politique des
programmes liée à l'exercice de chacune des missions héritées des sociétés
actuelles.
Tout en reconnaissant la nécessité de rationaliser le fonctionnement du pôle
public de l'offre audiovisuelle que constituent déjà La Cinquième et la SEPT,
tout en souhaitant, conformément aux préconisations du rapport Bloch-Laîné et
aux souhaits du Gouvernement que cette rationalisation passe par la fusion des
deux sociétés, tout en attendant de cette fusion les économies budgétaires
anticipées dans le projet de budget pour 1997, la commission a salué la
réussite de chacune des deux chaînes dans son propre domaine à l'heure actuelle
et désiré inscrire dans la loi des dispositions susceptibles de garantir le
maintien de la spécificité rédactionnelle et programmatoire de chaque élément
constitutif de la nouvelle société mentionnée à l'article 45 de la loi de 1986.
Tel est le sens de la création de deux postes de directeur général.
La commission a aussi souhaité étendre la portée du projet de loi. Elle a
ainsi adopté des amendements visant à créer une société
holding
, France
Télévision, et à imposer la conclusion de contrats d'objectifs entre l'Etat et
les chaînes publiques.
Je tiens, monsieur le ministre, à insister sur le prix que nous attachons à la
signature entre l'Etat et les organismes publics de contrats d'objectifs fixant
les objectifs assignés à chaque société, ses axes de développement, ainsi que
les moyens que l'Etat mettra à sa disposition. L'utilité de cet instrument fait
l'objet d'un remarquable consensus, comme en témoigne le rapport publié en
septembre 1993 par la commission sur l'avenir de la télévision publique et
comme le confirme le rapport de la mission d'audit du secteur public rendu
l'été dernier par M. Jean-Michel Bloch-Laîné.
Les dysfonctionnements qui ont affecté France Télévision à la même époque ont
mis en évidence le besoin de mieux assurer le contrôle de l'Etat sur la gestion
des entreprises de l'audiovisuel public à partir d'objectifs fondés sur des
indicateurs de gestion et sur des lignes stratégiques acceptées par chaque
partenaire. C'est pourquoi la commission des affaires culturelles a souhaité
prévoir la conclusion de contrats d'objectifs assignant aux chaînes publiques
de véritables axes de développement et leur assurant les moyens nécessaires
sans que ces dispositions paraissent, naturellement, le moins du monde
susceptibles de remettre en cause l'annualité budgétaire et la souveraineté de
l'autorité budgétaire.
C'est aussi pour étendre la portée du projet de loi que la commission a
adopté, d'une part, un amendement qui tend à favoriser la création d'un second
marché des programmes sur le satellite et sur le câble en prévoyant de limiter
par décret la durée des acquisitions de droits exclusifs de diffusion et,
d'autre part, un amendement qui vise à améliorer la procédure de reconduction
automatique des autorisations d'utiliser les fréquences hertziennes.
La suite de la discussion démontrera, monsieur le ministre, que la volonté de
la commission des affaires culturelles a été, pour l'examen du projet de loi
que vous nous présentez, d'être à l'écoute des besoins du secteur et des
acteurs de la communication audiovisuelle, mais aussi de leur désigner quelques
lignes de force normatives afin de leur permettre de se développer dans de
bonnes conditions.
Nous saurons le rappeler dans la discussion des amendements.
D'ores et déjà, monsieur le ministre, je peux vous faire savoir que la
commission est favorable à l'adoption de ce projet de loi.
(Applaudissements
sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 44 minutes ;
Groupe socialiste, 37 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 31 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 26 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 15 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Ralite.
M. Jack Ralite.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si j'avais à
caractériser ce projet de loi en quelques mots, je dirais que c'est un projet
d'apparence minuscule traitant de questions réellement majuscules.
En effet, soyons précis : vingt pages, vingt-sept articles, le renforcement du
CSA, la fusion de La Cinquième et d'Arte, le traitement des bouquets de
programmes numériques, cela ne fait pas le compte, indépendamment de la façon
dont c'est abordé.
Arrêtons-nous un instant, en effet, sur le paysage audiovisuel et sur le
tournant capital dont il est et va être le théâtre avec le numérique, cette
nouvelle technique, qui constitue, selon Armand Mattelart, « une donnée
cruciale de la redéfinition du contrat social et des institutions sur le plan
local et national comme à l'échelle internationale. »
Beaucoup de chercheurs ont parlé avec profondeur de cette mutation, notamment
Félix Guattari, dans son dernier livre
Chaosmose.
Je songe aussi à Pierre Musso et à son projet novateur « Le
métafort d'Aubervilliers », comme à sa récente thèse sur « les
télécommunications et la philosophie des réseaux ». Je songe à Bernard Stiegler
et à Philippe Quéau, de l'Institut national de l'audiovisuel, à Lucien Sfez, à
Anne Cauquelin, à beaucoup d'autres et, finalement, à Georges Ballandier en
particulier, qui fixe l'objectif par rapport au numérique : « Civiliser les
Nouveaux mondes issus de l'oeuvre civilisatrice ».
En effet, ce bond technologique est-il une réponse à des fins constituées par
l'homme ou apparaît-il sans qu'il y ait de fin ?
C'est décisif, car avec ces mutations nous sommes confrontés également à de
nouveaux langages, à de nouvelles écritures. « Les systèmes de structuration du
sens par la numérisation des savoirs sous-tendent un modèle géo-culturel qui
risque d'imposer, comme critère de l'universalité, un mode particulier de
pensée et de sentir », dit encore Armand Mattelard dans son récent « Que
sais-je ? »,
La Mondialisation de la communication.
La tâche, d'une certaine manière, est inouïe tellement il y a de « crampes
mentales » face à la dimension de cette innovation. Je suis de ceux qui pensent
que l'Etat ne joue pas, au niveau où il le faudrait, son rôle d'organisateur
des changements sociaux qu'implique le numérique.
M. Juppé, Premier ministre, a d'ailleurs, à Hourtin, l'été dernier, expliqué
pourquoi en disant que le Gouvernement - je le cite de mémoire - laisserait
faire, verrait venir.
Le projet de loi en témoigne au moment où, précisément, d'autres forces - les
grandes affaires - ici même en France, mais aussi dans le reste du monde,
notamment aux Etats-Unis, fabriquent, elles, leur réponse dans le cadre du tout
marché décidé en février 1995 par le groupe des sept pays les plus
industrialisés - le G7 - réunis à Bruxelles.
Tout le monde doit savoir que, lors de ce sommet historique, d'une certaine
manière le premier consacré à la société planétaire de l'information, les
organisateurs ont refusé d'inscrire à l'ordre du jour le thème du contenu,
c'est-à-dire de la diversité culturelle, parce que « par nature trop polémique
».
Oui, le monde des grandes affaires travaille à marche forcée ! Les 180
monopoles nationaux de l'audiovisuel et des télécommunications sont devenus un
oligopole mondial de sept ou huit groupes, à dominante américaine. En Europe,
nous avons Bertelsmann-CLT, Berluscosni-Kirsch, épaulé par Murdoch ; en France,
Bouygues-TF1 et, venant tout juste de se dessiner, le regroupement
CGE-Havas-Canal Plus. Je note d'ailleurs que la CGE veut acheter à prix
modeste, peut-être même à bas prix , la SFP restructurée : ainsi, nous nous
acheminons vers une néo-ORTF, mais privée.
C'est aussi la convergence qui se met en place : convergence technique,
convergence stratégique et financière. Avec le numérique, il y a un même
transporteur ; les transportés doivent donc avoir le même statut. C'est le
raisonnement des grandes affaires, et l'Europe, en tout cas la DG 13, comme la
France suivent malheureusement trop les Etats-Unis sur ce terrain. Le référent
est la déréglementation des télécommunications, dont l'Organisation mondiale du
commerce, l'OMC, a tout récemment, le 15 février, décidé la déréglementation
totale dans le monde entier pour le 1er janvier 1998, ce qui implique l'entrée
sans limite des groupes étrangers les plus forts dans les différents marchés
nationaux.
Je tiens à dire ici que la réception de Bill Gates par M. le Président de la
République pendant une heure et demie a suscité de nombreuses interrogations au
sein de la communauté scientifique et culturelle, compte tenu de la qualité et
de la quantité des innovations et des recherches qui sont réalisées, dans le
multimédia et les logiciels, par des laboratoires et des petites et moyennes
entreprises de notre pays.
Je signale, à titre d'exemple, qu'un chercheur du laboratoire de l'Ecole des
mines a mis au point un nouveau logiciel de navigation sur Internet, mais que
celui-ci a été immédiatement racheté par Alta Vista, groupe américain de
logiciels.
Il serait bon que M. le Président de la République, qui découvre - soit dit
avec le sourire - les souris et les mulots reçoive, écoute et soutienne la
communauté française de la création dans le multimédia !
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. Jack Ralite.
Tels sont, à mon sens, les problèmes majuscules avec lesquels nous avons
rendez-vous. Or le projet de loi ne les aborde pas dans toute leur ampleur.
Sur une question de cette importance, monsieur le ministre, il aurait d'abord
fallu organiser un vaste débat regroupant tous les acteurs concernés, publics
et privés, ...
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. Jack Ralite.
... pour définir un nouveau mode de régulation, c'est-à-dire un nouveau code
de la route et de nouveaux outils de régulation, exprimant une responsabilité
publique et sociale à tous les échelons - local, national et international - de
la société.
Soyons précis : le CSA, même renforcé, comme le prévoit ce projet de loi, ne
suffit pas.
Dans ce secteur de l'activité humaine, les problèmes se posent comme ils se
posent aujourd'hui avec l'ONU. A sa création, celle-ci avait une charte et des
outils. Aujourd'hui, la charte est souvent oubliée ; en tout cas elle doit être
remise à jour. Quant aux outils, ils sont vétustes et deviennent purement
techniques.
Il faut revoir tout cela. Au-delà de ce débat public français, que je
souhaite, s'impose la tenue d'un « Rio des images », dont le Conseil de
l'Europe pourrait prendre l'initiative et qui établirait la charte et les
outils qu'appelle l'arrivée du numérique. C'est indispensable si l'on veut
vraiment que cette invention humaine serve les humains.
J'en viens plus directement au projet de loi pour remercier d'abord M.
Jean-Paul Hugot d'avoir, dès le début de son rapport, exprimé le « la » du
projet : faire des économies dans l'audiovisuel public.
Vous écrivez même, monsieur le rapporteur, que : « le budget de 1997 a
largement anticipé, spécialement en ce qui concerne La Cinquième et la SEPT,
cette exigence qui apparaît ainsi comme un des axes de la politique
audiovisuelle du Gouvernement ».
Ainsi, au moment où du neuf audacieux est à construire, où le privé le fait,
le projet dit à l'audiovisuel public : « Pas un sou de plus, des sous en moins
! » Autrement dit, les pensées de M. Juppé à Hourtin passent dans les actes !
C'est grave, c'est même très grave.
Mais il y a encore plus préoccupant ; je le montrerai en m'appuyant sur ce qui
est dit des bouquets numériques dans l'exposé des motifs, d'une part, et dans
l'article 12, d'autre part.
Dans l'exposé des motifs, on peut lire ceci : « Il convient, d'introduire une
obligation de pluralisme dans le contenu des "bouquets de programme."
Fort bien ! Mais comment organisez-vous concrètement ce pluralisme ? D'abord,
en interdisant à quiconque de contrôler plus de la moitié de l'offre. Ce n'est
pas l'organisation du pluralisme, c'est l'organisation de la concurrence ! Et
vous proposez un seuil bien trop élevé, qui peut déboucher, dans le moins
mauvais des cas, sur un tripôle. Votre pluralisme identifié à la concurrence
favorise à peine la concurrence. C'est pourquoi nous proposerons d'abaisser le
seuil.
Ensuite, vous réservez 20 % des offres à des services français ou européens.
Je trouve que c'est du pluralisme court ! Nous proposerons de porter cette part
de 20 % à 50 %. La France et l'Europe ont besoin de cette marge dans un espace
déjà très largement occupé par les images américaines.
J'en viens à l'article 12, qui traite des clés d'accès et dont la philosophie
est d'autoriser les services étrangers - « l'exploitant ne peut refuser »,
est-il écrit - sans autre limite que l'« équitabilité », la « raisonnabilité »
et la « non-discrimination ».
D'abord, qui définit cela ? Ensuite, c'est un renoncement à la démarche
traditionnelle de la France, à laquelle est substituée une pratique
anglosaxonne, ne serait-ce que dans les mots. On retrouve d'ailleurs ce
vocabulaire au paragraphe V, qui est relatif à la cession des droits de
propriété intellectuelle.
Ainsi, sans en avoir l'air, vous favorisez le grand désir des propriétaires
des bouquets numériques de gagner, avec le péage, « l'Eldorado », comme ils
disent, sur les produits américains, appliquant à l'audiovisuel ce que, voilà
quatre jours, l'OMC décidait pour les télécommunications en autorisant sans
limite, comme je l'ai dit plus haut, les groupes étrangers les plus forts à
entrer dans tous les marchés nationaux.
Notre amendement prévoyant 50 % de programmes français et européens combat
précisément ce libéralisme sans rivage et, finalement, antipluraliste.
Je ne saurais terminer cette intervention sans évoquer le renforcement des
pouvoirs du CSA.
Nous allons vers un « Conseil constitutionnel des images ». Nous préférons,
quant à nous, une régulation démocratique et décentralisée qui inclurait le
Parlement et - pourquoi pas ? - les régions.
Je ne peux non plus passer sous silence la fusion de La Cinquième et de la
SEPT, que je trouve dangereuse à la fois pour La Cinquième et pour la SEPT.
Très franchement, je ne comprends pas cette fusion puisque vous avez déjà fait
les économies. A moins qu'une volonté privatisante n'ébauche là sa démarche ;
n'est-il pas écrit, à propos de la nouvelle société, dans le paragraphe II de
l'article 16, que la majorité du capital de cette société est « détenue
directement ou indirectement par des personnes publiques » ?
Ainsi, l'accès au savoir - et je me limite à La Cinquième - qui relève de la
responsabilité nationale, pourrait être financé en partie par des capitaux
privés.
Enfin, je veux évoquer la Société française de production, la SFP, dont le
comité d'entreprise nous a remis un projet alternatif à la privatisation,
projet qui nous semble, pour reprendre votre nouveau vocabulaire, « équitable,
raisonnable et non discriminatoire ».
Il s'agirait de constituer une société en nom collectif, qui permettrait de
renforcer les synergies en matière de production audiovisuelle publique et de
rétablir du même coup l'équilibre financier de la SFP.
Avant de conclure, je note que le projet de loi n'est pas innocent en ce qui
concerne les droits des personnels. En tout cas, quelques amendements que
certains membres de cette assemblée ont déposés ne le sont pas du tout à cet
égard !
Je relèverai également que, si vous avez traité de la radio, ce qui est bien,
vous n'avez pas évoqué les télévisions de proximité, ce qui est moins bien.
En conclusion, je considère que ce projet de loi participe à l'épanouissement
de la république mercantile universelle. Nous, nous voulons la grande
république démocratique. Ce projet de loi abandonne trop notre mémoire, donc
notre avenir. Nous, nous voulons nous souvenir de l'avenir.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
(M. Jean Faure remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je
présentais ce matin à la presse un rapport sur l'entrée de la France dans la
société de l'information qui portait en sous-titre : « Cri d'alarme et croisade
nécessaire ».
Nous vivons en effet une révolution probablement plus importante que celle que
constitua l'entrée dans la société industrielle. Cette révolution s'accompagne
d'une mondialisation accélérée de l'économie, d'une destruction des structures
et des emplois existants, d'une remise en cause des hiérarchies établies, d'un
choc des cultures qui se solde par la domination de certaines d'entre elles.
Cette mutation se caractérise aussi par un accès au savoir pour tous, la
création de nouveaux métiers, de nouvelles richesses et de nouveaux emplois.
Ces bouleversements sont en cours, et ils tendent à s'amplifier.
Voilà quinze ans, notamment dans le domaine de la télématique, la France se
situait dans le peloton de tête. Or nous prenons du retard, et ce retard se
creuse rapidement. Pourtant, nous ne manquons ni d'atouts ni de compétences.
J'ai terminé la présentation de mon rapport en disant : « La politique, c'est
avant tout une volonté prospective et tenace. Il faut que les pouvoirs publics
donnent l'exemple des réformes, s'adaptent et initient la croisade qui
s'impose. »
Cette remarque s'applique dans tous les domaines. C'est tout particulièrement
vrai, monsieur le ministre, pour celui qui relève de votre compétence.
Votre projet de loi fait quelques pas dans le bon sens. Je pense néanmoins
qu'il est un peu trop timide devant la formidable révolution du numérique et
des réseaux à grand débit que j'ai évoquée au début de mon propos.
N'y a-t-il pas, de la part du Gouvernement, une insuffisante prise en compte
quant à ce que devrait être une grande politique de la communication ? Il
faudra aller plus loin. Je suis convaincu, pour ma part, monsieur le ministre,
que, dans peu de mois, nous serons amenés à remettre l'ouvrage en chantier.
Peut-être ce projet de loi constitue-t-il une étape de nécessaire prudence ?
Peut-être est-il le reflet d'un manque d'audace, dû aux circonstances
politiques et financières où nous nous trouvons ? Quoi qu'il en soit, il me
paraît évident qu'un certain nombre de mesures méritent d'être complétées.
La convergence entre télévision et télécommunications, grâce à la numérisation
et aux réseaux à grand débit, n'est plus une vue du futur : c'est une réalité
dont l'importance s'affirme chaque jour.
Il existe un certain nombre d'organismes spécialisés tels que l'Agence
nationale des fréquences, le CSA et l'Agence de régulation des
télécommunications. Chacun a des pouvoirs spécifiques : contrôle du contenu
pour le CSA ; affectation des bandes de fréquences pour l'Agence nationale des
fréquences et régulation pour l'Agence de régulation des télécommunications.
Toutefois, ce secteur connaissant une évolution très rapide, le Gouvernement
avait suscité la création de la commission supérieure des services publics de
la poste et des télécommunications, composée de sept députés, de sept sénateurs
et de trois personnalités. Sur les sujets qui concernent l'évolution du
dispositif réglementaire, cette commission, unique en son genre, notamment à la
demande du ministre chargé de la poste et des télécommunications, peut donner
son avis au Gouvernement, de même qu'elle peut éclairer celui-ci sur les
évolutions prévisibles du paysage du secteur concerné.
Cette coopération entre Gouvernement et Parlement est exemplaire et a permis
d'aplanir nombre de difficultés, car elle conduit à une concertation active
avec les différentes parties prenantes. Si ce type de concertation avait existé
dans d'autres secteurs, en particulier celui des transports, on peut penser que
bien des difficultés sociales et économiques auraient été amoindries, voire
évitées.
Compte tenu de cette convergence croissante entre télévision et
télécommunications, ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, que la compétence
de cette commission pourrait être étendue aux technologies de l'information en
général, qu'elles soient véhiculées par le réseau des télécommunications, par
voie hertzienne, par le câble ou par les satellites ?
Il suffirait d'adjoindre aux membres actuels de cette commission deux
personnalités désignées par le ministère de la culture, trois députés et trois
sénateurs spécialisés dans ce domaine, de façon que la nouvelle structure
puisse donner son avis sur l'évolution des réglementations, notamment à la
demande du ministère chargé de la communication, ainsi que sur les évolutions
prévisibles du paysage dans ce secteur, en ce qui concerne le service public et
les technologies correspondantes.
Un amendement a été déposé en ce sens, et je peux vous indiquer que le
président de cette commission, M. Besson, approuve pleinement cette
proposition.
Monsieur le ministre, nous avons été amenés à examiner, à la faveur de la
discussion du présent projet de loi, la proposition de loi cosignée par les
groupes de la majorité sénatoriale, par le président de la commission des
affaires culturelles ainsi que par M. Jean Cluzel et visant à créer une société
holding
France-Télévision chapeautant France 2 et France 3. Mais ne
peut-on aller plus loin ?
Aucun argument n'a été avancé, ni sur ces travées ni lors des discussions
préalables, en défaveur des conclusions de la mission Bloch-Laîné, qui prônait
le regroupement des pôles publics de la télévision en une seule entité. Je ne
vois pas pourquoi nous ne profiterions pas de cette occasion pour le faire et
pour regrouper France 2, France 3, La Cinquième et la SEPT.
J'ai à cette fin déposé un amendement qui va dans le sens aussi bien des
préoccupations que vous avez manifestées, monsieur le ministre, que de celles
qui ont été exprimées par M. le rapporteur.
En revanche, je n'ai jamais entendu de véritables arguments en faveur de la
fusion entre la SEPT-Arte et La Cinquième.
Je me permettrai de parler davantage de La Cinquième, bien que j'aie beaucoup
de respect pour la qualité de la programmation de la SEPT et d'amitié pour
cette chaîne, mais La Cinquième est, en quelque sorte, l'enfant du Sénat. C'est
en effet la mission du Sénat sur l'utilisation de la télévision qui, en partant
du concept de télévision éducative, est arrivée à la notion d'accès au savoir,
et c'est à M. Trégouët que revient l'invention du système des trois fenêtres,
qui constitue un apport tout à fait essentiel.
Je tiens à souligner ici que, en un temps record, La Cinquième est parvenue à
devenir, dans son domaine, la chaîne la plus écoutée et que, par ailleurs, du
point de vue technologique, elle a permis par la numérisation la mise en place
d'une banque de données et de programmes que nos amis Américains ont bien voulu
qualifier d'opérateur de télédiffusion le plus avancé au monde.
Or, je crains qu'une fusion n'entrave le dynamisme de cette chaîne et
l'enthousiasme extraordinaire de son personnel.
Je suis, certes, parfaitement conscient de la nécessité, pour cette chaîne
comme pour les autres, de s'inscrire dans un ensemble plus large. Mais que
deviendront les ressources publicitaires dont elle dispose aujourd'hui en cas
de fusion, puisque nos amis Allemands sont
a priori
très défavorables à
toute formule publicitaire pour la SEPT-Arte ? C'est là un problème qui me
paraît pour le moins nécessiter une réflexion.
Par ailleurs, La Cinquième a réussi une remarquable pénétration des milieux de
l'éducation et de la formation professionnelle, ce qui doit nous concerner au
plus haut chef. Personne dans cette assemblée n'ignore en effet que quelque 500
milliards de francs de dépenses publiques ou privées sont consacrés chaque
année à la formation initiale, à la formation continue et à la formation
professionnelle. Les produits et les services de cette chaîne sont de plus en
plus systématiquement utilisés, ce qui représente une contribution nettement
plus importante que les financements alloués à La Cinquième, et même à
l'ensemble des télévisions publiques, au développement et à l'avenir de notre
société. La préparation de l'avenir de notre pays ne doit en aucun cas être
sacrifiée.
La Cinquième se différencie aussi des autres télévisions, publiques ou
privées, par l'importance de ses émissions de stock par rapport aux émissions
de flux. Son stock devrait être revalorisé, « reformaté » comme on dit
aujourd'hui, afin d'en développer l'usage.
Pour ma part, je suis donc très réservé quant à la fusion entre La Cinquième
et la SEPT-Arte. Je souhaiterais vivement la mise en place d'une structure qui
rapprocherait ces deux pôles d'intérêt général - leurs émissions justifient
plus que d'autres l'existence de la redevance - de France Télévision,
c'est-à-dire de France 2 et de France 3.
La question, en définitive, est la suivante : est-il prudent d'agir en
plusieurs temps quand on peut le faire plus simplement en un seul ?
Telles sont les réflexions que je souhaitais formuler du haut de cette tribune
; je me réserve la possibilité de revenir de façon plus détaillée sur ces
questions lors de l'examen des amendements.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Pelchat.
M. Michel Pelchat.
Monsieur le ministre, le projet de loi que vous nous présentez cet après-midi
est conforme à la voie tracée par la loi de 1986, modifiée en 1989 puis en
1994, et qui le sera vraisemblablement de nouveau parce que l'évolution des
technologies implique l'adaptation permanente de la législation dans le domaine
de la communication.
Le secteur de l'audiovisuel, comme vous le savez, mes chers collègues, a
énormément évolué au cours de ces dernières années, et il continuera de le
faire avec une rapidité que beaucoup aujourd'hui encore n'imaginent pas.
Ainsi, les modes de diffusion télévisuelle se sont considérablement
diversifiés et le secteur de la radio, encore peu touché aujourd'hui, s'apprête
à connaître une évolution tout aussi fulgurante avec l'émergence du DAB, le
digital audio broadcasting.
Avec la multiplication des canaux et des capacités de diffusion, les
équipements de réception des ménages seront désormais, d'une part, très
différents et, d'autre part, décuplés. C'est du reste pourquoi je préconise une
réforme de l'assiette de la redevance, sujet sur lequel, de mon point de vue,
il est urgent d'engager une réflexion.
A l'heure des mutations technologiques et alors que les secteurs de la
communication audiovisuelle et des télécommunications n'ont pas fini de
s'imbriquer, comme le disait tout à l'heure Pierre Laffitte, ce projet de loi
constitue une nouvelle étape.
Les modifications qu'il comporte visent trois objets : conforter le CSA comme
autorité de régulation de l'audiovisuel ; rationaliser le secteur public de
l'audiovisuel ; unifier enfin la réglementation, en tenant notamment compte de
la toute nouvelle télédiffusion par satellite.
Je ne reprendrai pas en détail les vingt-sept articles brillamment présentés à
notre assemblée par notre collègue Jean-Paul Hugot, me contentant de dire que
ce texte se présente, pour employer un terme d'actualité, comme un « bouquet »
de dispositions qui, pour la plupart, vont dans le bon sens.
Toutefois, j'estime que ce projet de loi ne retient pas forcément toujours les
meilleures solutions et que, sur certains points, il ne va pas assez loin.
Je me permettrai donc de présenter quelques observations touchant des domaines
qui me semblent importants, comme la diffusion numérique par satellite des
chaînes publiques et le pouvoir de régulation du CSA.
Lors des débats relatifs au budget de la communication audiovisuelle pour
1997, je demandais si les chaînes publiques généralistes devaient constituer un
élément de concurrence entre différents groupes audiovisuels privés ou si, au
contraire - et c'était à l'époque ma position - leur diffusion devait être
imposée à tous les diffuseurs satellitaires.
Aujourd'hui, je me demande plutôt ce qui empêcherait le service public de
l'audiovisuel d'être présent en tant qu'actionnaire dans un bouquet
satellitaire à vocation commerciale, ce qui lui donnerait une chance, comme à
tout opérateur qui investit, de voir son investissement rentabilisé.
En effet, pourquoi France Télévision, en remplissant par ailleurs sa mission
de service public - elle est, je le rappelle, reçue en France par toute la
population en analogique hertzien - ne pourrait-elle pas participer à un projet
concurrentiel de développement de télévision numérique ?
Les cahiers des charges de France 2 et de France 3 ne prévoient-ils pas
d'ailleurs que les chaînes publiques doivent participer « au développement
technologique de la télévision » ?
Pourquoi France 2 et France 3 ne seraient-elles pas actionnaires d'un bouquet
satellitaire alors qu'elles sont, ainsi que le prévoit également la loi de 1986
en ses articles 44 et 46, des sociétés commerciales, c'est-à-dire des sociétés
libres de leurs décisions de gestion ?
Pourquoi France 2 et France 3, dans la mesure où elles sont reçues
gratuitement par la voie de l'analogique hertzien, par tous les
téléspectateurs, conformément aux dispositions de la loi de 1986,
n'investiraient-elles pas dans le développement numérique ?
Je crois, mes chers collègues, que nous ne devons pas nous tromper de débat.
La diffusion analogique hertzienne des chaînes publiques France 2 et France 3
est assurée à 98 % sur tout le territoire. En outre, ces chaînes sont
accessibles sur le câble et sur le satellite Télécom 2B. Elles ont choisi
d'investir dans le développement numérique, et c'est très bien. Laissons-les
participer à l'aventure de TPS, et souhaitons-leur de réussir dans cette
entreprise.
En revanche, la situation des chaînes présentes sur le cinquième réseau est
assez différente.
La couverture hertzienne du territoire de ces chaînes publiques est non pas,
hélas ! de l'ordre de 98 %, mais plutôt de 80 %, alors que la loi de 1986
impose à l'Etat, pour ces chaînes aussi, une obligation de couverture
nationale.
Or il faut savoir qu'aujourd'hui 400 000 à 500 000 foyers fiscaux n'ont pas
accès à ce cinquième réseau. Ces foyers, pour la plupart situés dans des zones
éloignées des grandes agglomérations, sont privés de la SEPT-Arte et de La
Cinquième, chaînes aux missions culturelles pour l'une, éducatives pour
l'autre, alors que ce sont ces mêmes foyers qui ont la plus grande difficulté
d'accès aux lieux de culture et donc le plus besoin de les recevoir !
Il serait donc anormal que ces personnes ne recevant pas le cinquième réseau
par voie analogique soient obligées de s'abonner à tel ou tel bouquet de
programmes simplement pour pouvoir regarder les programmes de la SEPT-Arte et
de La Cinquième.
Ainsi, dans la mesure où la SEPT-Arte et La Cinquième ne sont pas diffusées
sur tout le territoire, je pense, monsieur le ministre, que vous devez vous
engager à faire « monter », en clair, ces deux chaînes sur l'un des deux
satellites numériques, et de préférence sur celui dont l'audience européenne
est la plus large - je crois que c'est Eurosat - afin que les chaînes du
cinquième réseau soient reçues en clair par tous ceux qui seront simplement
équipés de paraboles et de décodeurs numériques. Ajoutons qu'aucune de ces deux
chaînes ne devrait être la prisonnière exclusive d'aucun des bouquets diffusés.
Cette solution donnerait satisfaction aux régions concernées.
J'ajoute d'ailleurs qu'il ne serait pas décent de priver de leur réception des
gens qui ne souhaitent pas s'abonner à un bouquet alors que, dans le même temps
- c'est là toute la différence avec Télécom 2B - le numérique offre une qualité
d'image que personne ne conteste et un son numérique stéréophonique qui
représente un apport supplémentaire pour la chaîne culturelle.
Le coût de cette opération, que l'on peut estimer à 5 millions de francs, me
paraît tout à fait adapté, car il s'agit d'une dépense pour le rayonnement de
la culture française, le satellite Eurosat dépassant les limites de notre
Hexagone.
Ce souci de la réception en clair de certaines chaînes publiques m'amène tout
naturellement,
a contrario,
à m'interroger sur la nature du codage des
chaînes de télévision numériques aujourd'hui proposées sur notre territoire.
Vous savez sans doute comme moi par expérience, que, si vous vous abonnez
aujourd'hui à plusieurs bouquets, vous devez louer et empiler chez vous autant
de décodeurs que vous avez souscrit d'abonnements ! C'est une réalité.
Cela a-t-il un sens alors qu'aujourd'hui tous les boîtiers sont construits
selon les mêmes normes européennes DVB et donc compatibles entre eux ?
Ne serait-il pas plus judicieux que chaque décodeur loué à l'occasion de
l'abonnement dans un premier bouquet soit capable de lire et de décrypter les
codages des autres bouquets disponibles sur les différents satellites captés
par la même parabole à double tête comme celles qui sont commercialisées
aujourd'hui ?
Il suffirait pour cela que les codes des différents bouquets soient
déchiffrables par tous les boîtiers mis sur le marché. Cela ne présente aucune
difficulté. Il faut donc y parvenir dans les plus brefs délais.
Nous sommes, en effet, actuellement dans une situation comparable à celle qui
prévalait lors de l'avènement des cartes bancaires, qui ne pouvaient être
utilisées que dans les distributeurs de leur banque d'origine. Bien conscientes
de cette aberration, les banques avaient rapidement conclu, y compris avec la
poste, des accords commerciaux afin que les cartes bancaires puissent être
acceptées dans tous les distributeurs.
C'est pourquoi je vous demande, monsieur le ministre, de prendre un engagement
: celui qui consiste à inviter - mais fortement - tous les opérateurs de
bouquets à entreprendre des négociations en vue de passer des accords
commerciaux pour que tous les boîtiers mis en service puissent décoder tous les
bouquets de programmes proposés.
Ces accords permettraient ainsi à tout un chacun de s'abonner à plusieurs
bouquets sans avoir à chaque fois à louer un nouveau boîtier, ce qui ne serait
pas un luxe.
Il faudrait d'ailleurs confier l'arbitrage de ces négociations commerciales au
CSA, conformément à l'orientation générale de votre projet de loi, à savoir
accroître les pouvoirs et les responsabilités de celui-ci. Le CSA me paraît
bien adapté pour engager ces négociations avec les différents opérateurs.
Il est d'ailleurs une autre mission que je suggère de confier au CSA et qui
participe de cette volonté de conforter l'instance de régulation de
l'audiovisuel. Elle consiste à inviter les groupes radiophoniques à s'investir
davantage dans le DAB, autrement dit la radio numérique.
En effet, nous voyons aujourd'hui les radios de toutes catégories - privées,
associatives - se faire la guerre des fréquences. Or, avec l'arrivée du
numérique, cette guerre sera très rapidement dépassée et stérile.
Je suggère donc, là encore, que le CSA encourage des négociations. Il pourrait
inviter les opérateurs radiophoniques à se grouper, par exemple, en GIE,
pourquoi pas avec TDF, afin de travailler ensemble sur le développement des
équipements de diffusion du DAB. En effet, le DAB pour la radio, c'est le vrai
combat pour demain !
La France possède, là aussi, une avance technologique importante.
M. Pierre Laffitte.
Elle la perd !
M. Michel Pelchat.
Elle doit conserver cette avance sur ses partenaires européens et doit le
démontrer ; et comment mieux le faire sinon en développant les réseaux de
diffusion dans cette technologie du numérique, qui est vraiment l'avenir ?
D'ici là, il faudra cependant résoudre certaines questions, telles les
demandes de changement de catégorie présentées au CSA par quelques radios. Je
défendrai d'ailleurs un amendement visant à limiter le délai d'examen par le
CSA des dossiers de changement de catégorie. Il faudra aussi revoir le plan des
fréquences, adopté en France, qui semble particulièrement mal adapté eu égard
aux progrès techniques, notamment en ce qui concerne les émetteurs, et à ce qui
se fait dans d'autres pays où la diffusion radiophonique est aussi confortable
que chez nous.
Enfin, monsieur le ministre, j'aimerais que vous preniez un engagement -
essayons toujours ! - sur un autre point : l'entrée de La Cinquième dans France
Télévision.
A propos de la fusion entre La Cinquième et la SEPT-Arte, je pourrais dire,
plagiant Cyrano de Bergerac. « Que diable La Cinquième va-t-elle faire dans
cette galère ? »
(Sourires.)
M. Henri Weber.
Ce n'est pas Cyrano de Bergerac, c'est Molière ! Il faut rendre à Molière ce
qui lui appartient.
M. Michel Pelchat.
Non pas que la SEPT-Arte soit, au sens péjoratif du terme, une galère, bien au
contraire ! Simplement, je pense que le seul point commun, significatif, entre
ces deux chaînes du cinquième réseau est précisément l'occupation de ce réseau
de diffusion.
Je suis, bien entendu, partisan de la maîtrise des coûts de fonctionnement de
l'audiovisuel public et je sais que, dans son rapport, M. Bloch-Laîné a
présenté les avantages d'une fusion entre La Cinquième et la SEPT-Arte.
Cependant, il en a également présenté les inconvénients.
Il s'agit, tout d'abord, d'inconvénients juridiques, tenant à
l'incompatibilité entre la loi qui a créé La Cinquième et le traité
franco-allemand instituant la chaîne culturelle européenne, partenariat appelé
d'ailleurs à se développer avec d'autres pays.
Il s'agit, ensuite, d'inconvénients institutionnels, tenant à la complexité de
la gestion de deux programmes, l'un français issu de La Cinquième, l'autre
international.
Il s'agit, enfin, d'inconvénients économiques, puisque les programmes de La
Cinquième et Arte ont, par leur nature même, un coût assez différent. Nous
examinerons, lors de la discussion des articles, les amendements déposés par M.
le rapporteur, et nous essaierons de déterminer, pour chacune de ces deux
chaînes, un coût de programmation, parce que nous voyons bien qu'il y a là une
difficulté, un obstacle.
En somme, il me semble que le mariage de La Cinquième et de la SEPT-Arte est
un peu celui de la carpe et du lapin.
La Cinquième profiterait plus d'une association avec France Télévision qu'avec
la SEPT-Arte, car la chaîne de la connaissance et du savoir possède plus de
synergies avec France 3 qu'avec la chaîne culturelle franco-allemande
aujourd'hui, et plus encore internationale demain.
En effet, la participation de La Cinquième, filiale de France Télévision, au
même titre que France 2 et France 3, favoriserait une libre circulation des
programmes entre ces chaînes publiques.
Je pense que, tôt ou tard, La Cinquième sera associée à France Télévision. Je
pense même que cette fusion devrait voir le jour prochainement.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, je vous invite à encourager cette
fusion. En effet, si vous ne le faites pas, l'un de vos sucesseurs le fera,
j'en suis convaincu, car la logique l'imposera. Alors, pourquoi pas maintenant
?
Comme je vous l'ai expliqué, cette fusion favorisera l'enrichissement de
France 3 et de La Cinquième, ce qui est l'objectif que nous devons chercher à
atteindre. Cela n'empêchera pas la SEPT-Arte de mener son action dans le
domaine de la culture.
La réarticulation du secteur de l'audiovisuel nécessite des choix rationnels :
il en est ainsi de celui qui consiste à transformer France Télévision en
société
holding
et qui nous est aujourd'hui proposé.
Nous devons poursuivre notre action dans le bon sens, afin d'assurer la
pérennité d'un secteur public de l'audiovisuel de qualité dans un paysage de
plus en plus concurrentiel et en profonde mutation, tant en France qu'à
l'étranger.
Forts de cette conviction, les membres du groupe des Républicains et
Indépendants voteront, monsieur le ministre, le projet de loi que vous nous
soumettez, en vue d'aménager le droit de la communication audiovisuelle, tout
en présentant un certain nombre d'amendements lors de l'examen des articles.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Cluzel.
M. Jean Cluzel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons,
pour la vingt-deuxième fois, modifier la loi de 1986.
Mme Danièle Pourtaud.
Et ce n'est pas la dernière !
M. Jean Cluzel.
Soyons clairs, beaucoup ont regretté que le Gouvernement n'ait pas, entre
autres mesures, proposé d'améliorer les structures de France Télévision.
Cependant, plusieurs d'entre nous avaient étudié ce point et avaient fait des
propositions à cet égard.
C'est une bonne manière faite par le Gouvernement au Sénat que nous inviter à
conclure notre réflexion par des amendements issus de nos propres travaux.
C'est ce que, avec lucidité, nous proposent l'excellent rapporteur M. Jean-Paul
Hugot et ses collègues de la commission des affaires culturelles, sous la
présidence du spécialiste de ces questions, M. Adrien Gouteyron. Il faut
également souligner le geste du Gouvernement qui, sur ce texte, a consulté le
Conseil supérieur de l'audiovisuel, alors que la loi ne l'y obligeait pas
encore. Il m'est donc particulièrement agréable de souligner ces deux
initiatives.
La situation a, certes, beaucoup évolué depuis vingt-trois ans, depuis le
monopole absolu de l'ORTF lorsque l'on pouvait légiférer dans un cadre
strictement national.
Deux réflexions s'imposent.
Première réflexion : en moyenne européenne, les chaînes publiques rassemblent
aujourd'hui environ 10 % de l'audience. En France, nous sommes heureusement
très au-dessus de ce pourcentage. Cependant, ce simple rappel a pour objet de
nous inviter à la plus grande vigilance. Sans l'intervention du législateur, le
pluralisme pourrait être menacé par les formidables concentrations qui ont lieu
dans le monde entre les différents supports, à savoir la presse, la radio,
l'audiovisuel, l'édition et le cinéma. Une réflexion sur l'adaptation de nos
dispositifs anticoncentration et leur extension à l'ensemble des médias est
donc indispensable.
Seconde réflexion : l'architecture de la loi de 1986 reposait sur le triptyque
un programme, une fréquence, un service. Cependant, la compression numérique
fait progressivement disparaître la logique législative de gestion de la rareté
des ressources. Il faut donc adapter la loi afin de mettre en place un régime
dans lequel la régulation des services primera sur la gestion des supports.
En revanche, ce qui n'a pas changé, ce sont les relations qui existent
toujours entre le pouvoir et l'audiovisuel. Quoi que le législateur ait pu
faire et quoi que l'on puisse en penser, elles n'ont jamais été totalement
rompues depuis 1982, année de la création de la première autorité de
régulation, voilà près de quinze ans.
S'agissant du budget, le cordon ombilical est plus serré que jamais. La
véritable tutelle de l'audiovisuel public est exercé par Bercy, comme l'a écrit
- je cite mes sources - Jacques Rigaud dans un rapport sur la refondation de la
politique culturelle, que vous lui avez récemment demandé, monsieur le
ministre.
Venons-en aux solutions.
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel, si nous suivons M. le rapporteur, ce
que feront nombre d'entre nous, verra son rôle et ses compétences renforcés.
Fort heureusement, cet élargissement permettra au système français de se
rapprocher du système britannique dans ce qu'il a de meilleur.
Certes, tous les problèmes de fonctionnement de cette autorité de régulation
ne seront pas réglés pour autant. Personnellement, je ne suis pas favorable à
sa constitutionnalisation, qui continue à être évoquée ici et là. Notre
psychologie, nos traditions ne permettent pas, me semble-t-il, dans ce domaine,
de prendre modèle sur le système existant aux Etats-Unis ou au Canada.
La réponse française me paraît être beaucoup plus celle d'une collégialité
renforcée, d'une indépendance financière augmentée et d'initiatives
d'autorégulation. A ce sujet, il convient de saluer avec satisfaction l'accord
qui est intervenu entre les principales chaînes publiques et privées sous
l'efficace pression du CSA. C'est ce qui a permis d'adopter une classification
des procédures et une signalétique servant d'avertisseur sur la violence
contenue dans les programmes. M. Hervé Bourges le soulignait du reste le mardi
21 janvier dernier, lors de son audition par la commission des affaires
culturelles.
D'un mot, je dirai mon accord avec l'analyse de notre commission des affaires
culturelles. Je me suis simplement permis, sur tel ou tel point, de suggérer
quelques précisions ou additifs. Permettez-moi de les présenter brièvement.
Afin de permettre au Conseil supérieur de l'audiovisuel d'exercer complètement
et sans contestation possible des pouvoirs considérablement et heureusement
accrus, il paraît indispensable de renforcer la pratique de la collégialité.
Quant au secteur public, deux séries de mesures pourraient être prises pour
mieux le structurer. Elles concernent la société
holding
France
Télévision et la durée du mandat des présidents des chaînes publiques, durée
portée à cinq ans, disposition votée avec l'avis favorable du Gouvernement le
15 novembre 1995 par scrutin public, à l'unanimité moins une voix.
Il faudrait, une fois pour toutes, en finir avec les rumeurs concernant une
éventuelle privatisation de telle ou telle chaîne publique.
Comme M. le ministre l'a indiqué tout à l'heure, trois pôles sont en voie de
renforcement : le pôle généraliste avec France Télévision, le pôle culture et
connaissance avec Arte et La Cinquième, ainsi que le pôle international de
notre radio et de notre télévision.
L'objectif est donc, pour nous, d'assurer la pérennité de notre secteur
public, qui est indispensable au rayonnement de notre culture et à son
existence à l'intérieur comme à l'extérieur de nos frontières. Les sénateurs, à
une très large majorité, adhèrent à ces quelques principes rappelés
brièvement.
J'en viens au dossier que de nombreux collègues ont évoqué tout à l'heure. Il
s'agit non pas exactement du dossier d'Arte-La Cinquième, mais plus précisément
de celui de la SEPT-Arte - La Cinquième, et à cet égard je remercie M. le
président Gouteyron.
Des décisions s'imposent. Deux chaînes, créées respectivement en 1992 et en
1994, sont d'incontestables réussites tout en constituant un certain modèle
d'incohérence. Je voudrais souligner le travail accompli par la mission
d'information sur la télévision éducative, à l'occasion de laquelle se sont
illustrés nos collègues MM. Laffitte et Trégouët.
Des rapprochements sont nécessaires, afin de donner un nouvel élan à
l'ensemble de notre secteur public, tout en enrichissant ses programmes, et en
le rendant encore plus solide.
Enfin, nous devons naturellement poursuivre nos efforts dans le sens de la
garantie du pluralisme, de l'égalité des chances et du développement de notre
production indépendante, secteur qui n'a pas encore atteint sa vitesse de
croisière et que nous devons doter d'éléments favorisant sa réussite.
C'est tout le problème de la télévison par satellite diffusée en mode
numérique, mais il est fort difficile, mes chers collègues, de fixer les règles
d'un marché naissant et déjà en pleine évolution ! Et la réponse à ces
questions, nous le savons bien, se trouve non seulement chez nous, mais
également à Bruxelles et bien ailleurs, c'est-à-dire fort loin de chez nous.
Les télévisions locales sont les voix de la proximité. Le 7 décembre dernier,
plusieurs d'entre nous en avaient affirmé la nécessité, et nous avions promis
d'y revenir : eh bien ! certains d'entre nous tiennent cette promesse.
Le conflit né de la gestion du dossier radiophonique, lorsque NRJ a voulu
obtenir un troisième réseau national, est caractéristique de la difficulté à
comprendre le fonctionnement réel de la régulation.
Les opérateurs ont alors fait appel au législateur et une alternative s'offre
aujourd'hui à nous : faut-il durcir, ou au contraire assouplir les règles ? La
seconde solution m'apparaît préférable. Elle présenterait l'avantage de
correspondre à l'évolution du marché. Le paysage radiophonique est, en effet,
arrivé aujourd'hui à maturité, et les fréquences sont quasiment toutes
saturées. Au nombre, je le rappelle de 6 000, elles ne sont pourtant pas
suffisantes et certaines radios généralistes d'importance nationale ne peuvent
être suivies sur l'ensemble du territoire.
M. Pierre Laffitte.
C'est exact !
M. Jean Cluzel.
En conclusion, il revient au législateur de bien mesurer qu'en raison de
l'envoûtement exercé par les images sur les télespectateurs se trouvent en
cause - chacun le sait, et vous me pardonnerez d'y revenir - non seulement
l'évolution des comportements individuels et collectifs, mais aussi l'évolution
des modes, qui régentent plus sûrement le peuple que ne pouvait le faire le
prince le plus puissant.
En bref, un usage passif, souvent trop facile, de la télévision par les
citoyens, la manipulation des goûts et des consciences par des groupes avides
de pouvoir, d'argent ou de notoriété nous invitent à légiférer avec autant de
prudence que de détermination, avec autant de rectitude dans l'analyse que de
volonté visionnaire.
Puissent certains de nos votes, au moins pour l'essentiel, dépasser les
clivages traditionnels, ainsi que cela se pratique sur de tels dossiers aussi
bien en Allemagne qu'en Grande-Bretagne.
Pour conclure, qu'il me soit permis de faire référence à un petit livre édité
en juin 1944, sous la signature de Vercors, qui rapprochait Charles Péguy et
Gabriel Péri : « Il n'est que deux races d'hommes. Ceux qui veulent, en leur
prochain, voir un frère ; qui ne trouvent un sens à leur vie qu'en contribuant
à faire de tout homme un être libre. Et ceux pour qui ne comptent que leurs
appétits ou leurs desseins plus ou moins sordides... ».
Qu'ajouter à ce texte, sinon qu'il est aussi deux races de télévision, et
chacun sait ici celle à laquelle va notre préférence, celle qui informe
honnêtement en respectant le pluralisme, celle qui divertit sans avilir, qui
éveille à la culture, sans laquelle l'humanité ne connaîtrait pas de
progrès.
J'en termine, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, en soulignant que c'est certainement cette seconde télévision qui va
guider nos débats et justifier nos votes.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Trégouët.
M. René Trégouët.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme il est
écrit dans l'exposé des motifs du projet de loi que nous devons examiner
aujourd'hui, ce texte n'a pour objet que d'adapter les disposition de la loi du
30 septembre 1986, déjà modifiée, relative à la liberté de communication.
Ces adaptations sont rendues nécessaires en raison de l'évolution rapide des
techniques et de la généralisation de la concurrence dans le domaine des
services et des infrastructures de télécommunications.
Cette loi est donc une loi d'adaptation et non, comme l'a très bien dit notre
excellent rapporteur, M. Jean-Paul Hugot, un texte refondateur qui aurait
permis de brosser en profondeur l'ensemble du paysage audiovisuel français.
En raison des incertitudes qui peuvent encore peser sur certaines évolutions
technologiques et sur certaines adaptations économiques, sinon culturelles, je
comprends votre prudence, monsieur le ministre. Mais cela signifie qu'avant de
courtes années le Parlement devra se saisir à nouveau de ce texte pour tirer
toutes les conséquences de la rencontre de trois mondes majeurs : celui de la
télévision, celui de l'ordinateur et celui du téléphone.
En effet, la plupart des grands acteurs économiques de ces trois mondes, que
ce soit en France, en Europe, aux Etats-Unis ou dans bien d'autres pays, ont
déjà commencé à tirer les leçons de cette nouvelle donne technologique en
nouant des accords stratégiques, en lançant des investissements gigantesques et
en abordant de façon totalement nouvelle les marchés et les usages.
Ainsi, une fois encore, les grands groupes économiques vont moduler le paysage
audiovisuel selon les seules lois du marché, certes sous l'autorité vigilante
et compétente du CSA ; mais ne serait-il pas dans la partie la plus noble de la
mission du législateur d'éclairer le chemin loin devant et non pas d'être mis
dans l'obligation d'adapter la loi à des échéances de plus en plus rapprochées
pour tenir compte de l'évolution des technologies ?
Le texte que vous soumettez à notre examen ce jour, monsieur le ministre,
n'attire pas de notre part, pour l'essentiel, de remarques majeures car, avec
logique, il s'adapte à une situation nouvelle. Toutefois, pour certains
passages, et en particulier pour la proposition de fusion entre La Cinquième et
la SEPT-Arte, ce projet de loi sort de sa logique, et j'y reviendrai plus
longuement dans quelques instants.
Auparavant, permettez-moi, monsieur le ministre, mes chers collègues, de
mettre en relief certains plans de notre paysage audiovisuel français qui,
inexorablement, devront être modifiés dès ces prochaines années.
Parce que les technologies évoluent très rapidement et que les usages qui les
mettent en oeuvre sont encore peu développés, nous éprouvons encore quelques
difficultés à imaginer toutes les conséquences de la fusion de la télévision,
de l'informatique et des télécommunications.
Depuis quelques semaines, les bouquets de chaînes numériques nous permettent,
grâce aux satellites, de recevoir sur l'ensemble de notre territoire de
nombreux programmes. Demain - c'est-à-dire dans le courant de cette année 1997
- cette exploitation du nombre de programmes numériques va élargir sensiblement
l'offre sur les réseaux câblés et, avant de courtes années, elle atteindra nos
vieux réseaux hertziens traditionnels, mais également les moyens de diffusion
MMDS, et même l'image sur les téléphones filaire et portable.
Par ailleurs, la généralisation du protocole TCP/IP, qui permet déjà à tous
les ordinateurs de se comprendre, va faire se développer un vaste réseau de
communications qui va transformer en profondeur l'image que nous avons encore
aujourd'hui de la télévision.
Ainsi, la télévision de masse va éclater en un ensemble de propositions
diversifiées, au travers de chaînes thématiques qui vont prendre de plus en
plus de place auprès des chaînes généralistes.
Un autre usage va encore plus profondément changer nos habitudes. La
télévision de flux, qui oblige à une synchronisation parfaite entre l'émetteur
et le récepteur - ce que nous appelions la télévision en direct - va de plus en
plus laisser la place à la télévision de stocks, qui nous permettra de recevoir
au moment où on le désire le programme que l'on préfère.
Ainsi, peu à peu, la largeur de bande disponible, la rapidité des processeurs
liée à une parfaite maîtrise des algorithmes de compression, la chaîne
numérique de l'image et du son depuis l'émetteur jusqu'au terminal multimédia
familial feront que, grâce à une interactivité puissante, nous pourrons accéder
quasi individuellement à des programmes personnalisés alors que toutes les lois
économiques sur lesquelles s'appuie encore notre audiovisuel contemporain
reposent sur les grands nombres.
Cela, vous en avez conscience, mes chers collègues, va profondément
bouleverser le paysage audiovisuel français, comme celui de tous les autres
pays, d'ailleurs. Ainsi, les grands acteurs privés de ce paysage audiovisuel
français ont déjà pris conscience de cette profonde mutation et ont, au travers
d'accords stratégiques et d'investissements colossaux, tiré les leçons de cette
situation nouvelle. Ils ont investi dans des réseaux de télécommunication
filaires et portables, ils font évoluer les usages sur les réseaux câblés
qu'ils exploitent, ils investissent fortement dans les contenus et ils ont
fortement augmenté leurs efforts ... de lobbying.
Aussi tous ces généralistes de la télévision sont-ils en train d'ajouter des
chaînes thématiques à leurs bouquets numériques.
Plus avancés encore, ces généralistes sont prêts, si la loi leur en offre la
possibilité, à différencier leurs programmes selon les moyens de diffusion pour
développer une télévision de proximité qui, pour les mêmes raisons que la
boucle locale dans les télécommunications, va devenir l'investissement le plus
rentable.
Ainsi le programme national serait à terme diffusé par les satellites, et les
réseaux hertziens et câblés numériques permettraient des décrochages locaux de
plus en plus demandés par nos concitoyens dans un monde qui se globalise : il
est souvent maintenant plus difficile de savoir ce qui se passe dans sa propre
ville, sinon même dans son propre village, que de connaître l'événement qui
vient d'avoir lieu à l'autre bout du monde.
Aussi, alors que le texte qui nous est proposé aujourd'hui reste totalement
muet sur ce développement évident de notre paysage audiovisuel, nous devrons,
dans ces prochaines heures, discuter d'un amendement visant à autoriser des
décrochages locaux par une chaîne nationale en lui donnant la possibilité
d'insérer des pages de publicité nationale pendant lesdits décrochages
locaux.
Quelles seraient les conséquences d'une telle décision ?
Cela permettrait, certes, de créer une émulation dans le domaine de la
télévision de proximité, et donc de soutenir l'intérêt des téléspectateurs, qui
rechercheront de plus en plus, comme je viens de le dire, cette télévision de
proximité.
En revanche, du fait du déplacement sensible des flux de financement par la
publicité nationale de ces décrochages locaux, la presse quotidienne régionale
mais aussi les quelques télévisions locales qui n'ont pas la possibilité
d'accéder à cette publicité nationale souffriraient sans aucun doute lourdement
de cette montée en puissance des décrochages locaux.
La presse quotidienne régionale, qui s'est laissé « plomber » par la partie
physique de son
process
- impression du papier et livraison de ce papier
imprimé au lecteur - ne semble pas avoir vu arriver le tout nouveau monde qui
est à nos portes. C'est pourtant elle qui aurait dû être à la base de la
télévision de proximité pour se préparer à la nouvelle forme immatérielle du
futur journal quotidien régional.
Si la presse quotidienne régionale ne réagit pas rapidement, c'est tout son
avenir qui est en jeu. L'ensemble du
process
de production d'un journal,
depuis le journaliste jusqu'au lecteur, se dématérialisera et les équipes de
rédaction les plus performantes se désolidariseront des grosses structures de
presse empêtrées dans leur Histoire - avec un grand H - pour répondre à la
nouvelle attente du lecteur-spectateur qui, par des moyens nouveaux, sur son
téléviseur ou sur son micro-ordinateur, et par des canaux nouveaux, qu'il
s'agisse du téléphone, du réseau Internet, du câble, de la voie hertzienne ou
du numérique, voudra recevoir chaque jour un journal global mais aussi de
proximité répondant parfaitement à ses préférences et à son attente. Le journal
ainsi reçu par deux voisins, et provenant pourtant du même organe de presse, ne
sera plus le même !
Ainsi, chacun ne conservera sur des mémoires magnétiques ou optiques et
n'imprimera en couleurs que les textes et images qui l'intéresseront vraiment.
Mais, très rapidement, avec des technologies qui sont déjà à ce jour éprouvées,
l'image animée et le son de qualité - donc la télévision - viendront s'ajouter
au texte et à l'image fixe, et c'est là, à mon avis, que la presse quotidienne
régionale n'a pas pris à temps conscience de la nécessité pour elle de passer
par la télévision de proximité pour aboutir à ce futur journal multimédia de
proximité qui, très rapidement maintenant, s'imposera.
Le problème se pose donc en termes très simples : ce futur journal multimédia
de proximité sera-t-il issu de l'évolution naturelle de la presse quotidienne
régionale ou sera-t-il pris en mains par les réseaux nationaux de télévision,
qui rentabiliseraient ainsi, avec ces nouveaux médias, leur base régionale ?
Ce problème se pose avec d'autant plus d'acuité que les chaînes nationales
privées font souvent partie, je l'ai déjà dit, de grands groupes qui
s'investissent dans les télécommunications et le câble.
Dans quelques heures, quand nous apporterons une réponse à cette simple
question sur les décrochages locaux, nous devrons savoir, mes chers collègues,
que nous ferons pencher la balance dans un sens ou dans l'autre, il faut que
nous en ayons conscience. Mais permettez-moi de vous dire, monsieur le
ministre, qu'une décision aux conséquences potentiellement si lourdes aurait dû
être longuement mûrie et faire l'objet d'un large débat public entre tous les
acteurs concernés.
M. Claude Estier.
Absolument !
M. Pierre Laffitte.
C'est vrai !
M. Jacques Legendre.
Très bien !
M. René Trégouët.
De toute façon, le débat ne sera pas clos dès aujourd'hui. Les enjeux, dont
nous n'avons pas encore mesuré toutes les conséquences, sont beaucoup trop
importants.
Ainsi, cette autorisation de décrochages locaux instaurerait, à terme, pour
les opérateurs bénéficiant d'une autorisation nationale en clair, un nouveau
mode de diffusion : la diffusion satellitaire pour la diffusion nationale
permanente et la diffusion terrestre, par câble ou par voie hertzienne, pour
l'insertion de décrochages locaux dans ce programme national.
Si ce modèle s'instaurait, il aurait donc, je viens de le dire, de graves
conséquences non seulement sur l'avenir de la presse quotidienne régionale,
mais aussi, à terme, sur l'ensemble de notre structure publique de télévision,
au travers de France Télévision en particulier.
Ainsi, alors que les concurrents privés de France Télévision sont en train de
se préparer, à juste titre, en raison de la concurrence impitoyable et globale
qui s'annonce, à livrer des batailles dans le domaine du multimédia, en nouant
des accords et en engageant de lourds investissements, notre opérateur national
de télévision, notre opérateur public est encore beaucoup trop « gainé » dans
des schémas anciens.
Ainsi, que ferions-nous, demain, si nous constations que les principaux
concurrents privés de France Télévision parviennent, avec une seule structure,
à couvrir à la fois le territoire national tout en développant une télévision
de proximité forte grâce aux nouvelles technologies et en faisant financer cet
ensemble par un nouveau cheminement des flux publicitaires ?
Devrions-nous, comme nous en avons la volonté en cet instant, maintenir le cap
en conservant deux structures, même si celles-ci, comme il est prévu dans ce
texte, doivent désormais être chapeautées par une même société
holding,
ou devrions-nous demander à France Télévision de s'adapter au nouveau mode
opérationnel d'organisation et de diffusion développé par ses concurrents
privés ?
Cette question ne sera pas tranchée aujourd'hui, mais elle nous permet de
prendre conscience que le projet de loi que nous examinons ce jour est bien un
texte d'adaptation et non pas un texte refondateur, qui, de toute façon, sera
nécessaire avant la fin de ce siècle pour redéfinir l'ensemble du paysage
audiovisuel français.
Au sujet de nos chaînes publiques, est une autre question qui est actuellement
irritante et à laquelle il nous faudra peut-être répondre sans attendre : au
nom du principe d'égalité, les chaînes publiques peuvent-elles, doivent-elles
être présentes sur l'ensemble des bouquets numériques ?
M. Pierre Laffitte.
Très bien !
M. René Trégouët.
Au sens strict de l'argument économique, nous avons donné la possibilité à
France Télévision d'investir en qualité d'opérateur de plate-forme numérique
sur l'un des bouquets satellitaires numériques, et il semble naturel que notre
opérateur soit soucieux de valoriser ses investissements.
Mais au nom du principe d'égalité qui régit le fonctionnement des services
publics, et considérant que le service public de la télévision est financé au
moins en partie par l'impôts, nous devons vérifier que tous les usagers
bénéficient d'un égal accès à la télévision publique.
Certes, la télévision publique est déjà diffusée par la voie terrestre - aussi
bien par la voie hertzienne que par le câble - et par le satellite, le
satellite analogique Télécom 2 B.
Mais, malgré la diversité de cette offre, il nous faut bien constater qu'il y
a encore en France, à ce jour, des centaines de milliers de Français qui ne
peuvent pas capter ou, tout au moins, qui reçoivent très mal la télévision
publique.
Le fait que France Télévision soit sur l'un des bouquets satellitaires
numériques généralistes et non également sur le deuxième bouquet permet-il de
respecter ce principe d'égalité ?
Si nous ne nous prononçons pas sur cette question très rapidement, il est à
craindre que le droit ne soit dit par le juge. En effet, si les opérateurs du
bouquet numérique concurrent proposent à nos chaînes publiques de diffuser
gratuitement leurs programmes et prennent l'engagement de tout mettre en oeuvre
pour permettre à tout téléspectateur français de recevoir en clair, sans
surcoût et sans obligation d'acquérir ou de louer un système de réception et de
traitement de signal propriétaire, non compatible avec les autres systèmes
français de réception par satellite numérique, comment et de quel droit
pourrons-nous interdire à ces opérateurs de diffuser les chaînes publiques que
les Français financent en partie par la redevance ?
Mme Danièle Pourtaud.
Très bien !
M. René Trégouët.
Si nous l'interdisions, et si le contribuable français ne pouvait pas recevoir
ces chaînes publiques par d'autres moyens, pourrions-nous l'obliger à investir
dans une technologie analogique qui peu à peu va disparaitre ? Nous obligerions
alors, de fait, ce Français à choisir un bouquet numérique commercial plutôt
qu'un autre. Avec les financements publics, cela fausserait la concurrence et
ne serait pas équitable.
M. Pierre Laffitte.
Très bien !
M. René Trégouët.
Là encore, il est difficile de répondre à cette question, d'autant plus
difficile qu'il ne faut pas oublier qu'avant la création du bouquet numérique
TPS l'opérateur concurrent - je parle là très clairement de Canal Satellite -
qui, aujourd'hui, voudrait diffuser les programmes publics, n'avait envisagé la
diffusion de chaînes publiques que si celles-ci payaient un droit d'accès au
satellite.
Je voudrais maintenant, si vous le voulez bien, mes chers collègues, revenir
plus précisément sur le texte qui est aujourd'hui soumis à notre décision et
parler plus spécialement de l'article 16, qui traite de la fusion entre La
Cinquième et la SEPT-Arte.
Avant de présenter mes arguments, je souhaite, avec une certaine solennité,
poser un principe.
L'évolution des technologies va faire se développer - nous en sommes
convaincus - une guerre sans merci entre les chaînes de flux. Il ne faut pas
que nos outils audiovisuels publics, La Cinquième mais aussi d'autres outils
réservés à l'accès au savoir, soient pris dans cette tourmente.
Il faut que la Haute Assemblée, qui, sous l'autorité compétente et vigilante
du président Monory, a promu depuis plusieurs années les outils audiovisuels
réservés à l'éducation et à la formation, soit résolue non seulement à
préserver mais encore à développer ces outils, qui sont si importants pour
l'avenir de la France.
M. Henri Weber.
Très bien !
M. René Trégouët.
Or, que va-t-il se passer dans les toutes prochaines années ?
Le développement des chaînes thématiques numériques dans les domaines de
l'histoire, des sciences et bien d'autres domaines, va faire monter les
enchères sur les contenus. L'industrie des programmes va être soumise à
surenchère. Par ailleurs, nous risquons de constater que ces contenus
s'américanisent de plus en plus.
M. Henri Weber.
C'est déjà le cas !
M. René Trégouët.
Aussi est-il de notre devoir de créer une banque nationale de programmes
multimédias pour l'éducation.
M. Pierre Laffitte.
Très bien !
M. René Trégouët.
Si nous ne le faisions pas, nous constaterions dans quelques années que les
écoles devraient acquérir à prix élevé des programmes éducatifs, ce qui
instaurerait une ségrégation regrettable entre les établissements.
M. Jacques Legendre.
Très bien !
M. René Trégouët.
Je le dis clairement, La Cinquième doit être, un des piliers essentiels de
cette future banque nationale de programmes, car, seule dans le paysage
audiovisuel public français, elle a su acquérir, dans le domaine de l'accès au
savoir, des compétences à la fois en matière de production, de diffusion, de
numérisation et de stockage.
M. Pierre Laffitte.
C'est vrai !
M. René Trégouët.
De plus, La Cinquième, mais aussi d'autres institutions telles que l'Institut
national de l'audiovisuel, l'INA, le Centre national d'enseignement à distance,
le CNED, le Centre national de documentation pédagogique, le CNDP, et tous les
autres instituts qui traitent de l'accès au savoir au travers des multimédias
devraient être associés à terme à cette banque de programmes.
Cette banque de programmes serait un serveur national, qui, par des liaisons
large débit ou par satellites, chargerait des serveurs départementaux,
eux-mêmes reliés par des liaisons rapides à tous les établissements scolaires
et de formation des départements concernés.
Les problèmes actuellement posés par les droits d'auteurs et les coûts de
liaison et de communication seraient pris en charge par ces serveurs
départementaux et ne seraient plus la cause de soucis continuels pour les
enseignants qui veulent utiliser ces outils dans leur classe.
Cette banque nationale de programmes aurait aussi une mission mondiale au
niveau de la francophonie, pour défendre la place de notre langue, donc de
notre culture, mais aussi de nos connaissances dans le monde.
Pour cela, La Cinquième devrait être associée, au niveau des moyens de
diffusion, avec nos chaînes extérieures, telles que TV 5 et CFI, pour jouer le
rôle de deuxième fenêtre, et ce sans perturber le rôle d'information en langue
française que remplissent déjà ces chaînes souvent très regardées, que ce soit
aux Etats-Unis ou dans le Sud-Est asiatique.
La banque nationale de programmes, s'appuyant sur le savoir-faire acquis par
La Cinquième, téléchargerait dans le monde entier par satellites des programmes
dans tous les établissements scolaires qui voudraient fonder leur enseignement
sur des programmes en langue française.
C'est un vaste programme permettant d'accroître l'utilisation des nouvelles
technologies de l'information et de la communication dans les écoles françaises
et de développer la place de la culture française, donc de la France, dans le
monde qui pourrait être ainsi initié avec la création de cette banque nationale
de programmes multimédias éducatifs.
M. Jacques Legendre.
C'est important !
M. René Trégouët.
Je crains toutefois que la mise en place de cette banque nationale de
programmes multimédias pour l'éducation ne soit pas totalement compatible,
monsieur le ministre, avec le projet, qui nous est ajourd'hui proposé, de
fusionner La Cinquième et la SEPT-Arte.
M. Claude Estier.
Vous avez raison !
M. Pierre Laffitte.
Très bien !
M. René Trégouët.
Ce sont deux chaînes de télévision qui, certes, emploient le même réseau
hertzien, mais qui, en dehors de ce support commun, sont très différentes dans
leur approche juridique, culturelle, fonctionnelle et financière.
Si un rapprochement est certainement nécessaire pour la diffusion hertzienne,
il est à craindre qu'un rapprochement au niveau de la production et des
spécificités de La Cinquième, s'agissant de la troisième fenêtre, ne pose à
terme, dans deux à trois ans, un grave problème pour cet ensemble trop
hétérogène.
Je sais que le futur président d'Arte, qui sera allemand, comme cela est prévu
dans les conventions, n'aura pas d'autorité directe sur l'ensemble formé par La
Cinquième et la SEPT-Arte.
Mais quelle sera la marge de manoeuvre du président de cet éventuel ensemble,
La Cinquième et SEPT-Arte, si le président d'Arte exige que des sommes plus
importantes soient réservées par la structure française à la production de
programmes réservés à Arte ?
M. Pierre Laffitte.
Eh oui !
M. René Trégouët.
Le président de cet ensemble hybride français, dont une partie relèverait d'un
traité international et l'autre du droit commun audiovisuel français, ne
serait-il pas tenté de diminuer progressivement les moyens de La Cinquième pour
répondre favorablement à la demande du président d'Arte ?
S'il en était ainsi, cela signifierait que l'acteur essentiel, c'est-à-dire La
Cinquième, de notre banque nationale de programmes éducatifs serait placé sous
l'autorité, indirecte certes, mais sous l'autorité tout de même, d'un président
étranger.
M. Pierre Laffitte.
Absolument !
M. René Trégouët.
Du point de vue de l'efficacité et, plus encore, au niveau du symbole, cela
serait intolérable.
Aussi, je pense que le Parlement ne pourra donner son accord à un éventuel
rapprochement entre La Cinquième et la SEPT-Arte que lorsque le texte qui est
proposé à notre analyse de ce jour nous apportera une totale garantie que les
missions essentielles pour l'avenir de notre pays dans le domaine de l'accès au
savoir qui sont confiées à La Cinquième seront non seulement maintenues mais
amplifiées pour répondre à la haute exigence imposée par la création d'une
banque nationale des programmes multimédias.
C'est pourquoi, monsieur le ministre - je vous le dis instamment - il faudra
non seulement prévoir un directeur pour chaque ligne éditoriale, mais encore
donner la possibilité au Parlement, chaque année, de voter les deux budgets des
deux lignes éditoriales.
M. Pierre Laffitte.
Séparément !
M. René Trégouët.
A ce moment-là, nous serons rassurés ! Certes, il y aura eu fusion - nous
l'aurons acceptée ! - mais il y aura indépendance totale.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Pour conclure, permettez-moi, monsieur le ministre, mes chers collègues,
d'attirer votre attention sur un autre développement du monde audiovisuel qui
va prendre de plus en plus d'importance dans les mois et les années à venir. Je
veux parler des intimes relations qui vont se développer entre l'audiovisuel et
le réseau mondial Internet.
Des logiciels librement disponibles, en
freeware
, sans droits
d'acquisition, se développent actuellement sur le net mondial.
Si, dans le domaine de l'image, il faudra encore attendre quelques mois - pas
plus de deux ans - pour disposer librement d'images de télévision de qualité,
les algorithmes de compression, les vitesses des processeurs et les débits des
réseaux pour le grand public étant encore insuffisants pour assurer vingt-cinq
ou trente images de qualité par seconde en plein écran, en revanche, dans le
domaine du son, le pas est déjà franchi.
Dès aujourd'hui, en vous branchant sur une prise téléphonique, quand vous êtes
à Los Angeles ou à Tokyo, vous pouvez, en direct et en temps réel, grâce à
Radio France ou à RTL, écouter sur votre ordinateur portable multimédia les
flashs d'information venant de France et transitant par tous les réseaux
téléphoniques du monde.
Pour celui qui voyage, ce lien permanent avec la France devient essentiel.
Mais il y a un autre domaine où cette faculté de transporter du son, donc de
la radiophonie, sur l'ensemble des réseaux mondiaux va être majeure. C'est
celui de l'accès au savoir et de la francophonie.
Quelque 250 millions de personnes dans le monde parlent et comprennent le
français.
M. Jacques Legendre.
Eh oui !
M. René Trégouët.
Souvent, par souci d'équilibrage par rapport à l'hégémonie de la langue
anglaise, les responsables à tout niveau, que ce soient les enseignants, les
responsables d'entreprise ou les présidents d'association de cette grande
communauté culturelle française à l'échelon mondial, demandent à disposer de
documents écrits ou sonores, en attendant les documents vidéo, pour promouvoir
la culture française dans le monde.
Il suffit que nous en prenions la décision et que vous en preniez
l'initiative, monsieur le ministre, avec votre collègue en charge de
l'éducation nationale, pour que la diffusion de ce savoir français sur
l'ensemble du réseau mondial, au travers d'Internet, devienne immédiatement
réalité.
En effet, le coût de la mise en oeuvre sur Internet étant marginal, aucun
budget nouveau n'a à être voté. Il suffit de s'appuyer sur des expériences de
radios universitaires ou scolaires, telles que Radio Sorbonne, par exemple - il
y a de nombreuses autres entités de ce genre dans diverses régions de France -
pour qu'ainsi le savoir français soit diffusé sur le réseau mondial.
Imaginez, monsieur le ministre, mes chers collègues, la promotion qui serait
donnée au savoir et à la culture française si, demain, les étudiants, mais
aussi tous les internautes du Caire, de Hanoï, de Dakar, de Sao Paulo ou de
Montréal, pouvaient écouter en direct et gratuitement sur leurs ordinateurs les
conférences du Collège de France, comme peuvent déjà le faire ceux qui ont la
chance d'écouter gratuitement Radio Sorbonne.
C'est sur ce message d'espoir que je souhaite conclure cette intervention.
Nous vivons une époque charnière, certes éprouvante par la rapidité des
mutations que nous devons absorber, mais ô combien exaltante, sinon excitante,
par l'importance et le nombre de défis qu'il nous faut relever.
De manière générique, le métier qui devrait apporter, qui apportera à nouveau
l'espoir à nos jeunes se définit ici : nos jeunes devront avoir la capacité
d'apporter du savoir à un signal.
Aussi, il nous faut tout entreprendre pour que le signal disponible dans
toutes les parties de notre pays, sous toutes ses formes d'application, sous la
forme de télévision, ou d'informatique ou de télécommunications, soit de
qualité, interactif et d'un coût abordable.
Ce n'est qu'à cette condition que, demain, les Français pourront exercer leur
métier global, global mais dans le sens mondial du terme, qui leur sera
proposé.
C'est en ayant une profonde conscience du but qu'il nous faut atteindre que
nous jouerons pleinement notre rôle, mes chers collègues, nous parlementaires,
pour faire évoluer avec réalisme le paysage audiovisuel français.
Mais disposer d'un signal de qualité n'est pas une fin en soi. Il faut que
nous donnions aux Français la possibilité d'acquérir de nombreux et nouveaux
savoirs pour enrichir ce signal.
C'est pourquoi le rôle de l'éducation, de la formation, plus qu'hier encore,
doit devenir déterminant pour l'avenir de notre pays.
Or, les enseignants, les formateurs, vont enfin prendre conscience - j'en
porte l'intime conviction - que des outils nouveaux s'appuyant sur les
nouvelles technologies de l'information et de la communication sont
essentielles.
C'est pourquoi nous espérons que notre amendement tendant à la création d'une
banque nationale de programmes multimédias éducatifs retiendra toute votre
attention, monsieur le ministre, ainsi que votre soutien unanime, mes chers
collègues, comme j'en ai la conviction.
M. Pierre Laffitte.
Absolument !
M. René Trégouët.
N'oublions pas non plus que, demain, le rang d'une nation dans le concert
mondial se fondera sur sa capacité d'acquérir et d'employer au mieux des
savoirs et non plus sur ses ressources minières ou pétrolières, ni même
exclusivement sur ses capacités financières ou de production de biens
matériels.
Ainsi, tous ensemble, j'en suis convaincu, bien au-delà de tout clivage
politique, nous allons nous battre pour que l'avenir de nos enfants soit plus
serein et porté par l'espérance.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Pierre Laffitte.
Bravo !
M. le président.
La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « ces
mystères nous dépassent ; feignons d'en être les organisateurs ». Telle semble
être, après Cocteau, la devise du Gouvernement face à l'évolution du monde de
la communication...
En effet, on soumet au Parlement avec une urgence soudaine - je rappelle que
le calendrier des travaux parlementaires prévoyait initialement que soit
d'abord adopté le code de la communication - un projet de loi qui légifère
a
posteriori
dans des domaines où les faits ont largement précédé la loi,
comme je le soulignerai dans un instant.
Le retard aurait pu se comprendre s'il s'était agi de nous proposer une
réflexion globale et une statégie pour l'ensemble du secteur. En effet,
l'apparition de la diffusion satellitaire, l'arrivée des services en ligne avec
l'interpénétration du domaine de la communication audiovisuelle et de celui des
télécommunications qu'ils supposent, tous ces bouleversements technologiques
imposent, nous semble-t-il, de réfléchir aux moyens de préserver dans notre
pays ce à quoi nous sommes tous - du moins je l'espère - attachés : le respect
du pluralisme de l'information, une industrie de programmes forte et des
téléspectateurs citoyens.
C'est cette réflexion que le Gouvernement aurait dû mener et à laquelle
j'essaierai de contribuer dans un deuxième temps ; mais je voudrais d'abord
revenir sur la timide mise à jour de notre législation qui nous est proposée
dans ce projet de loi.
Ce projet de loi aborde quatre sujets distincts : les pouvoirs du CSA ; la
réglementation des émissions satellitaires ; la fusion de la SEPT-Arte avec La
Cinquième ; le mécano de l'audiovisuel extérieur.
Dans ces quatre domaines, le projet de loi a pour objet de rattraper et
d'entériner les décisions prises par les opérateurs ou par le Gouvernement.
Concernant le CSA, il s'agit d'une bien timide extension de ses pouvoirs. En
effet, on ne peut qu'approuver le raccourcissement des délais de sanctions et
l'extension de son pouvoir de recommandation ; mais pour ce qui est de sa
consultation obligatoire sur les projets de loi, elle avait déjà été largement
anticipée.
En instituant un régime légal pour la diffusion satellitaire, le projet de loi
pallie avec retard un vide de notre législation.
On peut en effet regretter que trois bouquets satellitaires aient été lancés
avant que le Gouvernement se décide à fixer les règles qui leur seront
applicables, alors qu'il aurait suffit de prendre les décrets prévus par la loi
de 1986.
Ce retard s'explique certainement par la volonté du Gouvernement d'abolir au
passage une grande partie du dispositif anticoncentration de la loi de 1986,
c'est-à-dire les articles 39-II et le troisième alinéa de l'article 41.
Les nouvelles dispositions qui nous sont proposées paraissent extrêmement
floues et libérales, voire taillées sur mesure pour les opérateurs en place.
M. Michel Pelchat.
Et la publicité sur Canal Plus, elle n'est pas taillée sur mesure ?
Mme Danièle Pourtaud.
L'explosion de l'offre de programmes que devrait permettre la diffusion
numérique ne doit pas être confisquée par les quelques grands groupes qui
contrôlent déjà trois chaînes hertziennes sur cinq et les images du câble.
Il serait scandaleux que ne soient plus pris en compte les liens
capitalistiques entre les diffuseurs et les éditeurs de services et que ne
soient pas augmentée la place réservée aux éditeurs indépendants dans les
bouquets satellitaires.
Le rapporteur de la commission s'est heureusement engagé dans cette voie, et
nous compléterons ses amendements.
Par ailleurs, le projet de loi renvoie à des décrets en Conseil d'Etat la
fixation précise des obligations en matière de publicité et de programmes. On
peut là encore craindre que l'on n'entérine les désirs des opérateurs.
Peut-être pourrez-vous, monsieur le ministre, nous préciser vos intentions, en
particulier pour ce qui concerne les quotas de diffusion et les obligations en
matière de production qui seront imposées aux services satellitaires.
Le troisième sujet traité par le projet de loi est la régularisation de la
fusion de la SEPT-Arte et de La Cinquième.
Vous avez en quelque sorte, monsieur le ministre, mis le Parlement devant le
fait accompli, en lui faisant voter un budget qui considérait comme réalisée
cette fusion dès le 1er janvier 1997.
Nous avons dénoncé dans le débat budgétaire l'asphyxie des chaînes programmée
par les réductions budgétaires imposées au secteur public.
Par ailleurs, il peut paraître paradoxal - cela a déjà été souligné - qu'à
l'heure où la numérisation va permettre de multiplier presque à l'infini les
possibilités de diffusion on présente comme principal argument à cette fusion
le fait que les deux chaînes partagent le même canal hertzien.
Les raisons sont en fait strictement et uniquement liées au désengagement
budgétaire de l'Etat. La fusion devrait permettre de faire des économies, mais
le contraste est saisissant entre le flou du projet et la sévérité des
économies imposées aux deux chaînes. Or ces deux chaînes investissent plus de
80 % de leur budget dans les programmes.
D'ores et déjà, les réductions budgétaires ont été reportées sur les commandes
de programmes nouveaux et le taux de rediffusion a augmenté.
Par ailleurs, le flou qui plane sur les modalités de l'opération a semé le
trouble dans les entreprises où l'on redoute les licenciements. Vous pourrez
peut-être, monsieur le ministre, nous donner des précisions sur la procédure
envisagée et ses conséquences en termes d'emploi.
Le quatrième sujet abordé mais non traité par le projet de loi concerne la
réorganisation de l'audiovisuel extérieur.
Le Parlement n'aura apparemment pas à en débattre puisque l'on apprend, au
détour de l'article 18, qu'« une société chargée de la diffusion internationale
de programmes de télévision sera désignée par décret ». Que sait-on de cette
société ? Rien, si ce n'est que son président siégera au conseil de RFI ! Cela
ne devrait pas être trop difficile, si, comme l'affirmait la presse à la fin de
l'été dernier, le président en question est justement, en même temps, le
président de RFI.
Après avoir envisagé de procéder au regroupement des divers acteurs en deux
pôles, par métier - l'un, radio, l'autre, télévisuel - le Premier ministre
semble souhaiter, nous dit-on, voir le tout confié au très méritant président
de RFI.
Vous nous aviez vous-même, plusieurs fois, monsieur le ministre, entretenus de
votre souhait de voir lancer une CNN à la française. A quel moment le Parlement
pourra-t-il enfin débattre des objectifs, des missions et des moyens de
l'audiovisuel extérieur ?
Le rapide passage en revue des diverses dispositions de ce projet de loi
montre à l'envi que le Gouvernement souhaite réduire la Parlement à une simple
chambre d'enregistrement.
J'en prendrai pour dernière preuve les conditions dans lesquelles nous sont
présentés les amendements du Gouvernement pour le secteur radiophonique,
amendements dont la commission n'a eu connaissance que ce matin.
Ces diverses dispositions éparses relatives à l'audiovisuel tiennent plus de
l'inventaire à la Prévert que d'une réflexion stratégique sur l'audiovisuel
français à l'heure du numérique.
Je vais donc maintenant, en quelques minutes, si vous le permettez, vous
proposer de réfléchir aux questions que le Gouvernement aurait dû se poser.
L'Etat a, nous semble-t-il, dans le domaine de la communication, une double
responsabilité : une responsabilité à l'égard des citoyens auxquels il doit
garantir pluralisme de l'information et égal accès pour tous aux programmes les
plus diversifiés, et une responsabilité à l'égard du service public auquel il
doit assurer les moyens de son développement. Les deux responsabilités sont
bien entendu liées.
Face à cette double responsabilité, quelles étaient les questions auxquelles
les Gouvernement aurait dû chercher à répondre par la loi ?
J'en vois au moins quatre.
Premièrement, comment rencorcer et développer le service public face aux
nouveaux enjeux du numérique ?
Deuxièmement, comment assurer le développement de l'industrie française de
programmes ?
Troisièmement, comment faire évoluer la régulation pour garantir le pluralisme
et renforcer la démocratie ?
Quatrièmement enfin, comment assurer la présence des programmes français dans
le monde ?
Je vais essayer de donner quelques éléments de réponse à ces questions.
D'abord, comment renforcer et développer le service public face aux nouveaux
enjeux du numérique ?
L'arrivée du numérique par l'explosion des possibilités de diffusion qu'il
permet va révolutionner le secteur de la communication. On va passer d'un monde
où l'enjeu et la richesse étaient la détention d'une fréquence de diffusion à
un univers où la véritable richesse et la véritable force résideront dans la
détention de programmes.
Comme le disait très justement M. Cluzel dans le débat budgétaire, il y aura «
l'avant 1996 » et « l'après 1996 », « l'avant et l'après bouquets numériques
».
C'est à cette évolution, même si l'analogique hertzien restera encore pendant
très longtemps dominant, qu'il faut préparer le service public.
Il serait catastrophique que la multiplication des moyens de diffusion ne
permette pas la multiplication de l'offre de programmes nouveaux.
Le service public doit être en mesure d'investir massivement dans les
programmes et de développer des chaînes thématiques.
Malheureusement, le Gouvernement a choisi, nous semble-t-il, une politique
inverse : en amputant de près de 600 millions de francs le budget de
l'audiovisuel public, vous l'avez contraint - vous le savez bien, monsieur le
ministre - à diminuer ses investissements dans les programmes et à renoncer à
des projets de chaînes thématiques.
Etait-il nécessaire en revanche que France Télévision devienne opérateur du
bouquet satellitaire TPS ? nous avons quant à nous exprimé les plus vives
réserves, mais le Parlement n'a pas eu à en débattre.
Aucune analyse stratégique ne sous-tend par ailleurs les deux réformes de
structures qui nous sont proposées : fusion de la chaîne éducative et de la
chaîne culturelle, et création d'un
holding
pour France Télévision.
Plutôt que d'enfermer le service public dans une spirale récessionniste liée à
la diminution de ses ressources avant peut-être d'en préparer la privatisation
partielle, il aurait été au contraire nécessaire, dans cette période de
changements rapides, de lui garantir progression et stabilité de ses
financements. La commission propose que l'Etat garantisse sur cinq ans par un
contrat de programme les ressources publiques dont France Télévision pourra
bénéficier. J'espère que cette disposition pourra voir le jour.
Face aux changements rapides dans les modes de diffusion et donc de
consommation des programmes que va entraîner le numérique, l'Etat doit veiller
à ce que le service public financé par la redevance reste accessible à tous les
citoyens. Il est donc nécessaire de garantir par la loi que les chaînes
généralistes du service public pourront être présentes sur tous les bouquets
satellitaires et reçues gratuitement dès lors qu'on a acquis le matériel de
réception. C'est d'ailleurs ce que préconise le dernier rapport du Conseil
économique et social sur « la télévision de demain ».
M. Henri Weber.
Et aussi le CSA !
Mme Danièle Pourtaud.
Et le CSA, tout à fait !
Deuxième grande question : comment assurer le développement de l'industrie
française de programmes ?
Si la diffusion numérique permet de multiplier par huit la demande
potentielle, il appartient à l'Etat de faire en sorte que cette demande ne
profite pas qu'à l'industrie américaine de programmes. Grâce aux choix qui ont
été faits depuis 1982, la France a su développer et préserver une importante
production cinématographique et audiovisuelle.
Il est indispensable de renforcer la production indépendante. Il nous semble
important de maintenir, voire de renforcer, trois principes.
Premier principe : les quotas de diffusion ont fait leurs preuves, ainsi que
les obligations de production. Il est donc nécessaire de les maintenir, y
compris dans la diffusion numérique. J'ai souligné à l'instant l'inquiétude que
laissent planer en ce domaine la suppression des obligations législatives pour
le satellite et le renvoi à des décrets.
Deuxième principe : la séparation entre les diffuseurs et les éditeurs de
programmes. De ce point de vue, les dispositions du projet de loi sont tout à
fait insuffisantes, et nous proposerons plusieurs amendements.
Troisième principe : assurer une meilleure circulation des oeuvres. Nous avons
encore beaucoup de progrès à faire dans ce domaine, l'ensemble du marché étant
encore caractérisé par les achats exclusifs et par la thésaurisation des
catalogues. Pourtant, donner une existence à ce que l'on appelle le « deuxième
marché » est non seulement nécessaire pour les diffuseurs, qui ont de plus en
plus de « tuyaux » à remplir, mais surtout indispensable pour assurer
l'équilibre économique de la production, et donc son développement.
Là aussi, le projet de loi est bien timide.
Par ailleurs, tous les efforts réglementaires ne suffiront pas si des moyens
financiers supplémentaires ne sont pas massivement injectés dans ce secteur.
Certes, le développement des chaînes thématiques à péage permettra de dégager
des ressources complémentaires, mais il est probable que ce processus sera lent
et insuffisant.
Le secteur est en difficulté, monsieur le ministre, et la crise des
intermittents du spectacle est un révélateur de cette situation.
L'Etat doit réfléchir à l'équilibre économique global de l'audiovisuel, mais
il est clair que la diminution des moyens du secteur public ne pourra
qu'aggraver la crise.
Troisième grande question : comment faire évoluer la régulation pour garantir
le pluralisme et renforcer la démocratie ?
Pour atteindre ces objectifs, deux lignes directrices pourraient guider le
législateur.
La première tient au renforcement de la transparence des décisions et à la
participation des citoyens. L'instauration d'une autorité de régulation a
incontestablement représenté un grand pas en avant. Il faut aujourd'hui aller
plus loin, en renforçant significativement ses pouvoirs - nous proposerons de
revenir sur la reconduction automatique des autorisations pour les chaînes ou
les services audiovisuels - en rendant ses décisions plus transparentes - nous
proposerons des auditions publiques et la présentation de rapports plus
fréquents - et enfin en permettant aux associations de téléspectateurs
représentatives de saisir le CSA.
L'autorité de régulation exercera ainsi mieux son double rôle de contrôle sur
le secteur, mais aussi d'information et de formation du
téléspectateur-citoyen.
La seconde ligne directrice consiste à assurer le pluralisme et l'indépendance
de l'information en luttant contre la concentration, mais aussi et peut-être
surtout en prévoyant des mécanismes juridiques pour garantir l'indépendance des
journalistes par rapport à l'actionnariat des groupes de communication. Les
sociétés de rédacteurs devraient ainsi être reconnues et encouragées.
Quatrième grande question : comment assurer la place des programmes français
dans le monde ?
Le temps me manque pour traiter ce point, mais j'espère que nous aurons
l'occasion d'en reparler lors du débat que j'ai appelé de mes voeux tout à
l'heure. Je voudrais simplement saluer ici les excellents propos tenus à
l'instant sur ce sujet par M. Trégouët.
Toutes ces dispositions nécessitent une réflexion globale, une vision
stratégique du secteur et une volonté politique qui n'ont rien de commun avec
ce qui nous est proposé aujourd'hui.
Ce projet de loi, ponctuel et partiel, sera très vite dépassé par les
évolutions technologiques.
Il ne traite pas de l'ensemble du paysage audiovisuel et il risque de le
déséquilibrer, alors que celui-ci commençait à peine à retrouver un certain
équilibre, en particulier entre le secteur public et le secteur privé, après la
privatisation de TF 1 en 1996.
Ce projet de loi ne prévoit aucun renforcement de l'audiovisuel public, bien
au contraire, alors que les réductions budgétaires menacent son existence.
Mais sans doute avez-vous senti combien la place de l'audiovisuel public dans
l'ère du numérique avait d'ores et déjà été hypothéquée par le budget
catastrophique qui a été voté cet hiver !
Enfin, ce texte ne tient pas compte de l'interpénétration grandissante entre
le monde de l'audiovisuel et celui des télécommunications, comme cela a été
souligné à de nombreuses reprises. Les travaux de la mission sénatoriale
d'information sur les nouvelles technologies, comme d'ailleurs ceux de la
nouvelle mission que l'Assemblée nationale a constituée sur les problèmes de la
presse, donneront certainement lieu à des prolongements législatifs.
C'est donc, en quelque sorte, une loi provisoire, voire un coup pour rien !
Cette remise à jour tardive et bien insuffisante ne justifiait pas un tel
mépris du Parlement. Je reviens sur ce point, car cette méthode n'est pas
anodine. L'enjeu de l'audiovisuel est un enjeu fort pour la démocratie. Il ne
s'agit pas de simples mesures techniques et neutres.
Pour toutes ces raisons, en l'état actuel du texte, le groupe socialiste
s'abstiendra ; mais l'adoption de certains amendements, dangereux pour le
secteur public, pourrait l'amener, demain, à voter contre.
(Applaudissements
sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle.
Monsieur le ministre, permettez-moi, au nom du groupe des Républicains et
Indépendants, de vous féliciter et de vous remercier d'avoir choisi le Sénat
comme première assemblée saisie du texte que vous nous proposez. Il est vrai
que vous pouvez compter sur d'excellents connaisseurs du dossier, au sein de la
Haute Assemblée, comme son président M. René Monory, le rapporteur, M.
Jean-Paul Hugot, le président de la commission, M. Adrien Gouteyron, ainsi que
MM. Pierre Laffitte, Jean Cluzel, Michel Pelchat et bien d'autres.
Ce texte est, par certains aspects, très technique du fait de la matière
traitée. Il vise à accompagner les évolutions technologiques majeures dans ce
secteur et à transposer en droit interne des normes communautaires.
Or ma jeune expérience parlementaire m'aura appris, en un an et demi, à me
méfier des textes revêtant un prétendu « caractère technique ». On peut s'en
rendre compte ces jours-ci : le « caractère technique » du projet de loi sur
l'immigration a suscité, pour certaines de ses dispositions, protestations,
pétitions et même appels à la désobéissance civile.
Aussi, mon collègue M. Michel Pelchat ayant, au nom de mon groupe,
parfaitement rappelé l'économie générale du texte, je m'attacherai durant le
temps qui m'est imparti à évoquer la question des « décrochages locaux » des
chaînes nationales et des effets très négatifs que pourrait revêtir, sous le
couvert d'aménagements « techniques », l'adoption de plusieurs dispositions
réclamées par certains acteurs du marché.
Permettez-moi d'abord de vous dire, monsieur le ministre, ce qu'est pour moi
un média de proximité. Sa fonction ne doit pas se réduire à un, deux ou trois
décrochages de quelques minutes par jour. Une radio ou une télévision de
proximité doit accorder un large temps d'antenne à des programmes liés à
l'activité économique, politique, sociale, culturelle et sportive de sa zone de
diffusion, pour ne pas dire de sa zone de « chalandise », dans la mesure où ce
sont les « chalands », c'est-à-dire les acheteurs d'espace, qui fournissent la
première ressource de la chaîne.
La loi du 1er février 1994 a ouvert la possibilité aux télévisions privées
nationales de procéder à des décrochages locaux dans la limite de trois heures
cumulées par jour. Elle a cependant interdit l'insertion de messages
publicitaires et d'émissions parrainées dans ces émissions.
Lors du débat à l'Assemblée nationale sur l'amendement
Langenieux-Villard-Pelchat concernant les décrochages locaux, M. le ministre
avait exprimé sa satisfaction : « Ces propositions vont dans le sens que nous
souhaitons : rapprocher l'information du citoyen, faire bénéficier ceux-ci
d'une concurrence sur le terrain, mais d'une concurrence qui ne porte pas sur
la publicité, car cela risquerait de déstabiliser les télévisions existantes et
la presse régionale. »
Actuellement, M 6 est la principale chaîne concernée par cette disposition. Or
les pressions de cette chaîne sont aujourd'hui de plus en plus fortes : elles
visent à autoriser des décrochages réguliers ou occasionnels et à permettre la
diffusion de messages publicitaires du programme national.
Si ces revendications devaient aboutir, il en résulterait des conséquences
très négatives, non seulement pour les télévisions locales, mais aussi pour
l'ensemble des médias locaux.
Tout d'abord, cela engendrerait de graves déséquilibres dans le paysage
audiovisuel national au détriment de TF 1 et des chaînes du service public, en
particulier de France 3. Cela amplifierait le recul des médias de service et
d'information au profit de simples décrochages contrôlés au plan national par
un seul groupe.
Ensuite, cela condamnerait définitivement les télévisions locales de plein
exercice ; celles-ci sont une dizaine aujourd'hui, hertziennes ou câblées ;
elles ne diffusent que des programmes d'information, de service, de proximité
et de débat et ne sont en aucun cas des concurrentes des chaînes nationales. La
réduction du marché publicitaire local et la concurrence frontale de M 6, qui
bénéficie par ailleurs d'avantages économiques, législatifs et réglementaires,
condamnerait de fait toutes les télévisions locales existantes.
Le cadre actuel permet à M 6 - cette chaîne est déjà autorisée dans dix des
douze premières villes de France - de diffuser jusqu'à trois heures de
programmes locaux, alors que les télévisions locales produisant deux heures par
jour sont soumises à des règles beaucoup plus contraignantes. Une telle
disposition serait contraire à l'esprit de votre projet de loi, monsieur le
ministre, car elle réduirait les conditions du pluralisme.
Enfin, cela hypothéquerait, à court ou à moyen terme, l'existence de
l'ensemble des médias locaux : télévision, radio, presse quotidienne régionale.
Cette ouverture organiserait, en effet, un transfert des investissements
publicitaires du marché local vers le marché national. La distinction entre
annonceurs locaux et annonceurs nationaux est très souvent difficile, notamment
lorsqu'il s'agit d'entreprises nationales disposant de succursales ou de
franchisés. Ces grands annonceurs déplacent leurs budgets publicitaires en
fonction de l'audience des supports. Ces prélèvements sur les parts destinées
aux marchés locaux se feraient bien évidemment au détriment de la presse
quotidienne régionale et des stations locales de radio et de télévision.
Telles sont les raisons qui m'amènent à penser que l'équilibre fragile qui
existe aujourd'hui doit être préservé. Les dispositions en vigueur actuellement
préservent cet équilibre, dans le respect du pluralisme et dans un esprit de
concurrence loyale.
Mes chers collègues, le débat que nous avons eu ce matin même en commission,
où les avis étaient partagés au-delà du clivage habituel des groupes
politiques, doit nous inciter à la plus extrême prudence tant les équilibres
sont fragiles et les enjeux importants. Il me semble plus serein de différer
toute modification dans un débat plus large intégrant l'ensemble des médias. Je
crois en cela rejoindre les propositions de notre collègue M. RenéTrégouët.
Voilà, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les
quelques remarques que je souhaitais formuler à propos de ce texte qui, à mon
avis, doit être une étape.
L'évolution rapide et incessante des nouvelles technologies de communication
bouleverse notre quotidien et la notion d'espace-temps. Les ondes hertziennes
se moquent, en effet, de l'espace et du temps. Toute information est
aujourd'hui instantanée, mondialisée. Les acteurs économiques, sociaux,
politiques n'ont de ce fait ni le recul ni la sérénité nécessaires à l'égard de
l'événement. Par ailleurs, face à un certain nombre de problèmes que nous
connaissons, le législateur doit plus que jamais être vigilant face à ces
évolutions. Ce texte, votre texte, monsieur le ministre, va dans ce sens, et
les sénateurs du groupe des Républicains et Indépendants, tout en restant
vigilants sur certains amendements, le voteront.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette
vingt-deuxième révision de la loi de 1986 témoigne, s'il en était encore
besoin, du rythme soutenu des évolutions technologiques auxquelles le secteur
de l'audiovisuel doit constamment s'adapter.
Je ne reviendrai pas sur l'ensemble du projet de loi. Mon collègue M. Jean
Cluzel vient d'exposer brillamment, à l'égard de ce texte, des positions
auxquelles j'adhère. Je veux évoquer, monsieur le ministre, un sujet qui me
tient plus particulièrement à coeur : l'avenir des télévisions de proximité.
Nous sommes nombreux à penser que les télévisions locales répondent à une
véritable attente de nos compatriotes. « Au village global, on n'a jamais eu
autant besoin de proximité » déclarait, il y a peu, le président du Sénat M.
René Monory, lors d'un colloque consacré aux télévisions locales. Il
poursuivait : « Proximité, c'est le concept d'une nouvelle télévision conçue
par et pour chaque Français. »
Les télévisions locales ont aujourd'hui fait la preuve de leur capacité à
fournir des programmes de qualité et à renforcer le lien social. La vieille
image de la « télé-brouette » est bien loin ! Le temps de l'amateurisme et du
bricolage est bel et bien révolu.
Le professionnalisme de ces chaînes a désormais pour corollaire,
malheureusement, de graves difficultés financières. La plupart d'entre elles,
en effet, connaissent une situation budgétaire déséquilibrée et très
inquiétante.
Tout d'abord, je rappellerai qu'elles ne peuvent avoir accès au marché
publicitaire national. Elles ne peuvent, en effet, compter que sur les
annonceurs locaux et ne faire appel qu'aux sociétés de services, c'est-à-dire
aux sociétés d'informatique, de restauration et aux entreprises de proximité.
Voilà une source de financement bien limitée, beaucoup trop limitée.
Quelle injustice, monsieur le ministre, au moment où une chaîne nationale
souhaite accéder à cette possibilité par le décrochage local et bénéficier de
dispositions qui sont refusées aux télévisions de proximité ! - notre collègue
M. René Trégouët l'a bien souligné tout à l'heure - parce qu'il faut trouver
des équilibres notamment avec la presse écrite !
Je crois que l'avenir des télévisions de proximité passe d'abord par une
clarification de leurs relations avec les collectivités locales. C'est pourquoi
je suis favorable aux amendements déposés par notre collègue M. Jean Cluzel.
Ces amendements répondent aux principales préoccupations des télévisions
locales. Ils permettraient, s'ils étaient adoptés, de donner un véritable
fondement juridique aux subventions des collectivités locales et conduiraient à
préciser le régime juridique de ces chaînes, ce qui est véritablement
urgent.
J'illustrerai mon propos par un exemple que je connais bien. Il s'agit du cas
de TV 8 Mont-Blanc, dont la presse nationale s'est fait l'écho en début de
semaine.
Tout d'abord, l'essentiel, pour ne pas dire la totalité des dépenses
publicitaires disponibles sur son marché, c'est-à-dire sa zone de diffusion,
échappe à TV 8 Mont-Blanc.
Reçue par plus d'un million de téléspectateurs, la chaîne est captée bien sûr
par les départements savoyards, mais aussi par la Suisse voisine. Pourtant, il
lui est interdit de procéder à des démarches commerciales actives du côté
helvétique. Ainsi, près de 38 % de son auditoire reste « en jachère », si je
puis m'exprimer ainsi, pour des questions d'ordre diplomatique et technique.
Disposant de trente-huit relais, TV 8 Mont-Blanc verse une redevance à TDF
représentant plus de 5 millions de francs par an, soit presque un tiers de son
budget de fonctionnement. Une telle situation l'empêche, vous vous en doutez,
d'équilibrer ses comptes.
Arrêter TV 8 Mont-Blanc, ce serait renoncer à faire vivre un média qui est
devenu un forum, un miroir permettant le dialogue entre les habitants, les élus
et les responsables économiques, sportifs, culturels et associatifs.
TV 8 Mont-Blanc n'est pas un cas isolé. Il est aujourd'hui indispensable de
desserrer l'étau réglementaire et législatif qui étrangle les télévisions de
proximité. A défaut, toutes les expériences réussies sur le plan technologique
et technique n'auront servi à rien, sinon à penser que toute initiative pouvant
améliorer la vie quotidienne, renforcer la cohésion sociale est parfois, trop
souvent, vaine dans notre pays.
Sous réserve de ces observations et en attendant, monsieur le ministre, que
vous nous fassiez part de votre position sur ce sujet important, je peux vous
annoncer que, avec mon groupe, je voterai ce projet de loi, qui répond aux
évolutions technologiques du secteur.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Weber.
M. Henri Weber.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
révolution du numérique, du satellite et du câble n'en n'est qu'à ses débuts,
mais elle est inéluctable et va bouleverser rapidement le paysage audiovisuel
français.
Comme toute grande innovation technologique, cette révolution est riche de
promesses et lourde de menaces.
Au chapitre des promesses, notons la qualité supérieure de l'image et du son,
une offre de programmes démultipliée et diversifiée à l'infini, les ressources
innombrables de l'interactivité.
La télévision de demain ressemblera bien peu à celle que nous avons connue. En
fait, c'est à l'émergence d'un véritable nouveau média que nous assistons, qui
peut devenir un formidable outil de culture, de liberté, de progrès et de
démocratie.
Au chapitre des menaces, sur lequel Jack Ralite est intervenu, je retiendrai
les brèches ouvertes dans notre système de réglementation et de régulation du
fait de la mondialisation du marché et de l'internationalisation de ses
principaux acteurs.
Je retiendrai aussi la concentration et l'exacerbation de la concurrence entre
grands groupes audiovisuels, qui peut s'effectuer au détriment des
téléspectateurs - on le voit avec le recours de certains aux «
décodeurs-propriétaires » - ou au détriment des industries nationales de
programmes, comme peut le faire craindre le
rush
actuel sur les
catalogues de droits de diffusion de films, notamment de films américains, ou
bien la surenchère sur les droits de retransmission des grands événements
sportifs.
Il y a enfin le risque d'une évolution vers une télévision à deux ou à
plusieurs vitesses : les chaînes « en clair » et gratuites diffusant, à grand
renfort de publicité, du divertissement bas de gamme - « cette télévision qui
avilit », comme disait M. Cluzel - pour les milieux populaires ; les chaînes
payantes et cryptées s'attaquant à la demande solvable des classes moyennes et
supérieures.
Monsieur le ministre, je crois, comme mes collègues de l'opposition
sénatoriale qui m'ont précédé à cette tribune, que le projet de loi que vous
nous proposez n'est pas à la hauteur des bouleversements en cours.
C'est là son point commun, d'ailleurs, avec le budget de l'audiovisuel que
vous avez fait voter en décembre 1996 et qui organisait la paupérisation des
chaînes publiques et leur imposait un recours accru aux recettes
publicitaires.
Je ne reviendrai pas sur les critiques formulées excellemment par ma collègue
Danièle Pourtaud. Je me bornerai à ajouter quelques remarques justifiant le
dépôt de nos amendements.
S'agissant du CSA, il faut, en effet, étendre son pouvoir de recommandations
et de propositions, renforcer ses missions de veille, accélérer les procédures
de sanction en cas de non-respect par les diffuseurs des conventions ou des
règles déontologiques et accroître son rôle au moment du renouvellement des
autorisations.
Sur bon nombre de ces points, il faut aller plus loin que ce que votre projet
de loi prévoit, et nous déposerons des amendements en ce sens.
Mais, par-delà ces renforcements juridiques et pour qu'ils soient effectifs,
il faudrait donner également au CSA les moyens de son autonomie technique.
Les rapports du général Fèvre, de M. Pierre Huet et de notre collègue Jean
Cluzel l'ont souvent souligné : contrairement à ses homologues américains ou
britanniques, le CSA ne dispose pas, en effet, des moyens de contrôle technique
indispensables à l'exercice d'une véritable expertise. Il ne dispose ni de
laboratoires de mesure, ni d'un budget pour financer des marchés d'études, ni
d'équipes chargées d'établir des normes et des spécifications techniques. Faute
de crédits suffisants, il doit s'en remettre, pour les missions de régulation,
à TDF, y compris lorsqu'il s'agit de contrôler cet organisme lui-même !
Déjà préjudiciable dans l'ancien paysage audiovisuel, ce manque d'autonomie
technique devient gravement handicapant à l'heure de la révolution numérique et
de la diffusion par câble et par satellite.
S'agissant du dispositif anticoncentration, je crois que le quota de 20 %
devant être réservé par chaque opérateur de bouquets à des chaînes françaises
et européennes indépendantes est insuffisant.
Je crois surtout qu'un des meilleurs moyens d'assurer la concurrence et le
pluralisme, à l'heure du numérique et des grands groupes audiovisuels privés,
c'est que la télévision publique s'affirme elle-même, de plus en plus, comme
éditeur de programmes et non pas comme opérateur de bouquet. En effet, il en
existe suffisamment, et le métier des chaînes publiques n'est pas de
commercialiser des décodeurs et de gérer des abonnements. Il appartient bel et
bien à la télévision publique de s'affirmer comme fournisseur de programmes.
Les chaînes publiques disposent du savoir-faire et du patrimoine pour ce faire
: je pense aux programmes existants des chaînes généralistes et culturelles
diffusés en différé - je n'aime guère le mot « multiplexé » - ainsi qu'aux
programmes à venir des chaînes thématiques qui, selon le rapport vous ayant été
remis en mai dernier, pourraient facilement voir le jour à partir de
l'exceptionnel patrimoine et grâce au grand savoir-faire dont dispose la
télévision publique.
S'il est parfaitement concevable que ces futures chaînes publiques thématiques
soient financées par l'abonnement, les programmes des chaînes publiques
généralistes devraient être accessibles en numérique à tous ceux qui le
souhaitent. Il y a en effet quelque chose de choquant dans l'exclusivité de la
diffusion des programmes de France Télévision accordée à TPS, opérateur privé
dominé par TF1.
Cette domination s'est manifestée récemment lorsque TF1 et M6 ont négocié
seules, sans France Télévision, à New York, des achats de droits pour
elles-mêmes et pour TPS.
Après tout, comme l'a fait justement remarquer le CSA, ces programmes ont été
financés par la redevance pour être diffusés en clair. On ne voit donc pas
pourquoi ils sont diffusés cryptés et en exclusivité sur TPS.
Par ailleurs, la présence de tous les diffuseurs hertziens généralistes - TF1,
France 2, France 3, M6, etc., au sein de TPS - renforce le déséquilibre
existant sur le marché des programmes au détriment des producteurs de films et
de télévision, qui se trouvent en position de faiblesse face à des acheteurs
capables de négocier à la fois les droits de diffusion en clair et les droits
pour le câble et le satellite.
Si l'on veut, comme cela est indispensable et urgent, favoriser l'essor de
notre industrie des programmes audiovisuels, il faut organiser mieux qu'il ne
l'est le marché des programmes, veiller à ce que, dans les contrats, chaque
droit soit identifié - diffusion en clair, diffusion cryptée, diffusion par
satellite, par câble et par voie hertzienne - et ne soit pas valable pour tout
support.
Il faut que la durée de ces droits soit limitée. A cet égard, l'accord passé
entre France Télévision et le syndicat USPA des producteurs, qui limite à trois
ans cette durée, est exemplaire. C'est dans ce sens qu'il faut aller en
renforçant notre législation.
Nous proposons donc qu'il soit mis fin à la situation actuelle dans les
meilleurs délais et que les programmes des services publics puissent figurer en
clair sur les trois bouquets de chaînes existants.
S'agissant de la SEPT-Arte et de La Cinquième, nous aurions préféré, ainsi que
nombre de nos collègues siégeant sur toutes les travées de cet hémicycle, le
maintien de ces deux chaînes séparées. Mon collègue et ami M. Sérusclat en
rappellera tout à l'heure les raisons.
Mais, puisque vous en avez décidé autrement pour des raisons d'économies et
qu'une grande majorité vous suit pour l'instant, monsieur le ministre, alors au
moins soyez logique !
La fusion avec désignation de deux directeurs généraux, ainsi qu'il est prévu
dans un amendement de la commission des affaires culturelles, risque de
combiner les inconvénients des deux solutions : inconvénients de la chaîne
unique et inconvénients des deux chaînes indépendantes.
Deux directeurs généraux ! La nature humaine et la logique des organisations
étant ce qu'elles sont, c'est l'assurance d'innombrables conflits de bornage.
Cette solution va augmenter les dépenses au lieu de permettre des économies et
renforcer la rigidité au lieu d'accroître la souplesse. Mieux vaut en rester à
la dualité des chaînes.
Au demeurant, permettez au socialiste que je suis de rappeler aux libéraux que
vous prétendez être qu'il n'appartient pas à la loi de fixer l'organisation
interne d'une entreprise, fût-elle de télévision éducative et culturelle.
Monsieur le ministre, vous vous prévalez d'une démarche pragmatique et
modeste. Je crains qu'elle ne soit seulement inadaptée et insuffisante. Notre
collègue M. Laffitte a pronostiqué que, bientôt, il vous faudra remettre
l'ouvrage sur le métier. C'est également notre avis. C'est pourquoi, monsieur
le ministre, nous nous abstiendrons sur ce texte sauf si, évidemment, les
amendements de votre majorité venaient en durcir le contenu.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, selon
l'exposé des motifs, les adaptations des dispositions de la loi du 30 septembre
1986 sont rendues nécessaires « en raison de l'évolution rapide des techniques
et de la généralisation de la concurrence dans le domaine des services et des
infrastructures de télécommunication ».
Dans ces conditions, vous pouvez vous interroger, mes chers collègues, sur
l'intrusion d'un « non-spécialiste » dans un tel débat, alors que la Haute
Assemblée dispose en son sein d'experts à l'autorité reconnue, comme mon
collègue et ami M. Cluzel, par exemple, pour ne parler que du groupe de l'Union
centriste.
La raison en est simple : mon attention a été attirée par l'article 4 du
projet de loi, dont je vous lis le second alinéa : « Dans les programmes
diffusés par chaque service de communication audiovisuelle, le Conseil
supérieur de l'audiovisuel veille à la déontologie applicable aux programmes, à
la protection de l'enfance et de l'adolescence, au respect du pluralisme et de
l'honnêteté de l'information, au respect de la vie privée et à la protection
des consommateurs. »
Curieusement, l'exposé des motifs se réfère au renforcement du rôle du CSA «
en matière d'éthique », le mot « éthique » n'étant pas repris dans l'article
4.
Ainsi suis-je amené à saisir l'opportunité du présent débat pour vous livrer
le fruit de ma réflexion, à laquelle ont bien voulu participer depuis plusieurs
mois des personnalités éminentes en matière d'audiovisuel et de
communication.
Un constat s'impose : l'évolution rapide des techniques, la diffusion de
l'information, la puissance des images, renforcent l'impact des messages quels
qu'en soient le contenu, le support et les cibles. L'impact de la violence à la
télévision est, certes, sujet de débat, mais nul ne peut contester que des
populations fragiles y soient sensibles.
Or, si j'en crois une étude du CSA de 1995, en six heures de programmes, cent
soixante-six crimes ont été diffusés sur les chaînes publiques.
Face à une telle évolution, on a le choix entre quatre attitudes.
Ne rien faire, en se référant au principe du droit imprescriptible à la
liberté d'expression.
Légiférer, comme le Premier ministre l'avait évoqué, sous forme interrogative,
il est vrai, voilà quelques mois. Mais sur quels référentiels établir des
normes dont la transgression serait sanctionnée sans encourir les foudres de
ceux qui dénonceraient alors le retour à « l'ordre moral » et l'atteinte à la
liberté de la presse et des médias ?
Elaborer un « code de déontologie » dont le CSA serait le garant, tel que le
suggère d'ailleurs le projet de loi, mais sur quels fondements et assorti de
quelles sanctions ?
Ou alors, faut-il instituer une « instance éthique » ? Cette voie me paraît
devoir être explorée.
Créé par décret présidentiel en 1983, le comité consultatif national d'éthique
pour les sciences de la vie et de la santé a répondu à une situation assez
comparable à celle à laquelle les médias sont confrontés. Les progrès rapides
des connaissances et des techniques dans le domaine de la médecine et des
biosciences visent à améliorer la condition humaine, et la liberté du chercheur
doit être assurée ; mais, lorsque les conditions de la recherche et les
applications du progrès risquent de mettre en cause les droits fondamentaux de
la personne et l'équilibre des sociétés, une instance éthique intervient. Les
avis et les recommandations qu'elle émet ont pour objet de donner des « points
de repère » auxquels on peut et on doit se référer.
J'aurais quelque peu hésité à faire part à la Haute Assemblée d'une telle
réflexion si je n'avais eu connaissance d'une
Note de la Fondation
Saint-Simon
publiée voilà trois ans sous le titre
La République des
médias,
note à la rédaction de laquelle des experts dont la compétence et
l'autorité ne peuvent être contestées avaient participé.
Dans le dernier chapitre, intitulé « Pour une éthique multimédia », on peut
lire :
« Comme jadis dans les hôpitaux, une instance plurimédia pourrait ainsi être
créée avec pour objectif de s'interroger en amont et de formuler les règles du
jeu déontologique, de récompenser et de mettre en valeur des initiatives
particulières en aval, de dénoncer publiquement les pratiques déloyales ou
malhonnêtes contredisant les engagements pris.
« Cette instance aurait ainsi pour mission d'offrir aux médias le miroir de ce
qu'ils sont et de faire pression sur eux pour qu'ils en tirent les
conséquences. »
S'il n'est pas évident que le législateur ait à intervenir pour créer une
telle instance - le comité d'éthique pour les sciences de la vie n'a été
inscrit dans la loi que treize ans après sa création - il est souhaitable qu'il
ne reste pas en dehors d'une réflexion menée dans un domaine aussi sensible.
Une telle réflexion doit nécessairement s'inscrire dans l'évolution accélérée
vers la mondialisation des moyens de communication qu'illustre la
satellisation.
Deux réponses peuvent être apportées.
D'abord, en matière d'éthique, dans les domaines de la médecine et des
biosciences, la France a souvent joué le rôle de pionnier, et les initiatives
qu'elle a prises ont rapidement inspiré d'autres pays.
Par ailleurs, dans un rapport rendu public à la fin de 1995, la commission
mondiale de la culture et du développement, instituée par l'UNESCO et présidée
par Javier Perez de Cuellar, considère qu'il est essentiel de promouvoir un
débat mondial sur ce sujet, afin d'aboutir « à l'adoption par les
professionnels des médias de certaines formes d'autorégulation, destinées à
protéger le public, en particulier les enfants et les adolescents, des images
de violence gratuite, d'avilissement physique et d'exploitation sexuelle, tout
en respectant la liberté d'expression ».
Telle est bien la démarche que je préconise.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je suis favorable, sans souscrire
toutefois aux arguments qui sont avancés pour l'étayer, à l'amendement n° 2 de
la commission des affaires culturelles, considérant que la seule référence,
dans les attributions du CSA, « à la déontologie applicable aux programmes » ne
saurait apporter une réponse suffisante au grave problème que j'ai voulu
aborder.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR
et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat.
Monsieur le ministre, lors de votre audition par la commission des affaires
culturelles, j'avais été quelque peu ébranlé par votre détermination
a
priori
quant à la fusion de La Cinquième et d'Arte. Aujourd'hui, vous
m'avez carrément inquiété en invoquant la nécessaire rationalisation des
services publics.
Cela dit, j'ai cherché à analyser les complémentarités qui, à vos yeux,
justifient la fusion. En vérité, il m'apparaît que, si ces complémentarités
existent, elles portent sur des éléments tellement hétérogènes que leur mélange
ne saurait aboutir à un résultat satisfaisant.
Pour mieux faire comprendre mon point de vue, je recourrai à deux images,
l'une scolaire, l'autre culinaire.
Le parcours scolaire d'un enfant part de la maternelle pour s'achever,
éventuellement, à l'université, après différentes étapes.
L'une de ces étapes est celle de l'enseignement élémentaire, dont le rôle est
de délivrer une culture de base, rôle que je suis tenté de rapprocher de celui
de La Cinquième.
Entre l'école primaire et le collège, il existe, bien sûr, une complémentarité
apparente. Pour autant, on ne demande pas au principal de collège de gérer
l'école maternelle, laquelle fonctionne selon des modes qui lui sont
propres.
J'en viens à l'image culinaire, et ce ne sera pas celle de la carpe et du
lapin.
(Sourires.)
Chacun sait qu'un oeuf se compose d'un jaune, qui permet de
faire de la mayonnaise, et d'un blanc qui permet de faire des meringues.
(Nouveaux sourires.)
Si l'on mélange le jaune et le blanc, les qualités
propres à chacun de ces éléments disparaissent.
M. Adrien Gouteyron,
président de la commission des affaires culturelles.
On peut faire une
omelette !
(Nouveaux sourires.)
M. Franck Sérusclat.
L'omelette, mon cher collègue, ce n'est ni la meringue ni la mayonnaise !
Par conséquent, il y a bien deux éléments complémentaires dans l'oeuf, mais
ces éléments ont des qualités spécifiques telles qu'il est bon de savoir les
utiliser séparément.
Ces quelques réflexions, monsieur le ministre, m'ont déjà conduit à rejeter la
position que vous m'aviez suggéré d'adopter.
Mais une autre raison, plus importante, a joué. J'ai été chargé par l'office
parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques d'un
travail sur l'évolution des apprentissages essentiels compte tenu de l'entrée
des nouvelles techniques d'information et de communication dans la vie
quotidienne de chacun, notamment en tant que citoyen.
Ce travail m'a fait apparaître combien il est aujourd'hui nécessaire de
réfléchir aux conséquences de l'introduction, avec tous ses accessoires, de ce
nouvel outil qu'est l'ordinateur.
L'ordinateur est un stylo, mais un stylo d'une nature totalement nouvelle, qui
modifie non seulement la façon d'écrire mais aussi la conception même de ce que
l'on écrit. J'ai maintenant quelque expérience de l'usage du traitement de
texte, et je mesure à quel point il change la capacité de bien écrire.
Par conséquent, je suggère que l'on engage sur ce point une réflexion poussée,
en vue de doter, le plus rapidement possible et de façon aussi égalitaire que
possible, toutes les écoles de France de moyens permettant de maîtriser ces
nouvelles techniques d'acquisition du savoir.
Or La Cinquième est porteuse des éléments qui pourraient entrer dans une
banque de programmes axée sur cette action.
M. Pierre Laffitte.
Très juste !
M. Franck Sérusclat.
Je n'insisterai pas sur ce point, qui a été déjà amplement développé par mon
collègue du département du Rhône, M. René Trégouët.
Je dirai seulement que, m'étant rendu récemment dans les locaux de La
Cinquième, j'ai pu constater la richesse de l'imagination des gens qui y
travaillent, mais aussi, ce qui est encore plus important, la passion qui les
anime. Voilà pourquoi, à mes yeux, il serait dommage de couper, de casser un
tel outil, de le mêler à autre chose.
Je rejoins d'ailleurs sur ce point, me semble-t-il, les positions exprimées
par les syndicats des personnels des deux chaînes, La Cinquième et Arte.
Il me paraît nécessaire de trouver une autre solution que celle qui consiste à
regrouper ces deux chaînes et qui aboutirait, pour des raisons strictement
économiques, à une régression culturelle.
Le poids de l'économique dans l'organisation du service public, en
particulier, est un aspect qui m'inspire une très vive inquiétude. Quand il
affecte ainsi systématiquement les activités culturelles - et vous connaissez
mieux que moi, monsieur le ministre, le cas de Châteauvallon - on ne peut que
craindre de voir surgir de graves dangers.
C'est pourquoi j'ai approuvé l'audace qu'a eue Jack Lang de défendre le 1 %
pour la culture. Sur ce terrain, croyez-moi, je me battrai à vos côtés sans
réserve !
Je voudrais, avant de conclure, évoquer brièvement le CSA, dont les pouvoirs
sont accrus - en principe - au moment où l'on débride le plus possible le
secteur privé.
Mais il faut aussi faire en sorte que le CSA soit en mesure de protéger
l'enfance et l'adolescence. Il n'est guère difficile de trouver des arguments
pour interdire tout ce qui peut favoriser la pédophilie, l'inceste, les
agressions sexuelles et, bien entendu, la violence en général.
Néanmoins, m'inspirent une certaine méfiance les propositions qui visent à
conférer au CSA le pouvoir de dire ce qui est acceptable, juste, beau et, à
l'inverse, ce qui est indécent, impudique.
Quand le CSA disposera d'un tel pouvoir, pourra-t-il y avoir un débat sur
L'origine du monde ? (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques
instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit
heures dix.)