LUTTE CONTRE LE TRAVAIL ILLÉGAL
Adoption d'un projet de loi en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi
(n° 228, 1996-1997), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en
deuxième lecture, relatif au renforcement de la lutte contre le travail
illégal. (Rapport n° 232 [1996-1997]).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Anne-Marie Couderc,
ministre délégué pour l'emploi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous
examinez aujourd'hui, en deuxième lecture, le projet de loi relatif au
renforcement de la lutte contre le travail illégal, qui a été adopté en
deuxième lecture par l'Assemblée nationale, le 20 février dernier.
Permettez-moi tout d'abord de réaffirmer devant vous la détermination totale
du Gouvernement à lutter contre le développement de cette forme de
délinquance.
En effet, le travail illégal - vous le savez bien, mesdames, messieurs les
sénateurs, puisque j'ai déjà eu l'occasion de le souligner à cette tribune -
est fortement nuisible à notre société car il prive les salariés de leurs
droits sociaux, il biaise le combat économique au détriment des entreprises,
petites ou moyennes, qui respectent la loi, et il pèse lourdement sur
l'équilibre de nos finances publiques.
C'est bien pourquoi la lutte contre le travail illégal doit être une véritable
priorité nationale, une véritable priorité pour chacun d'entre nous.
Il faut que s'impliquent dans cette lutte toutes les parties prenantes : les
services de l'Etat, les collectivités locales, les organisations
professionnelles et syndicales, les organismes consulaires, les organismes de
protection sociale. Plus largement, il est nécessaire que l'ensemble de nos
concitoyens y prennent leur part.
En première lecture, votre Haute Assemblée a notablement amélioré le projet de
loi, et je vous en remercie.
La navette aura permis, comme M. Jacques Barrot s'y était engagé devant vous,
d'améliorer le dispositif proposé pour permettre aux personnes de droit public
de participer activement à la lutte contre le travail illégal.
C'est notamment le cas avec l'extension du champ de l'article 10 à toutes les
entités, y compris de droit privé, qui sont soumises à des règles de publicité
et de mise en concurrence, tels les organismes de sécurité sociale ou les
sociétés anonymes d'HLM.
C'est également le cas avec l'extension de l'obligation de vérification de la
régularité sociale et fiscale des cocontractants des personnes publiques aux
conventions de délégation de service public, c'est l'article 10
bis
.
C'est aussi le cas avec la possibilité de résilier, dans certaines conditions,
les marchés et les contrats conclus avec une entreprise qui les exécuterait en
recourant au travail illégal c'est l'article 10
ter
. Votre commission
présente à ce sujet un amendement auquel le Gouvernement est favorable.
Quant à la préoccupation que MM. Robert et Ostermann avaient exprimée
concernant la réutilisation par des entreprises clandestines de matériels
préalablement confisqués et revendus par les domaines, elle peut être
satisfaite sans intervention législative, en donnant aux services concernés des
instructions pour que, en fonction de la nature et de la valeur des biens
confisqués, ces derniers soient vendus ou détruits.
Pour le reste, la navette aura confirmé la grande convergence de vues entre
votre Haute Assemblée et l'Assemblée nationale.
Nous cherchons tous à atteindre le même objectif, qui est simple : nous sommes
déterminés à lutter avec plus d'efficacité et plus de fermeté contre le travail
illégal, sous toutes ses formes.
Cette détermination du Gouvernement se traduit aussi, vous le savez, par le
renforcement du dispositif opérationnel de lutte contre le travail illégal. Ce
dispositif, que j'avais exposé à cette tribune, est, je vous le rappelle, un
complément tout à fait indispensable au projet de loi que vous examinez
aujourd'hui.
Les moyens mis en oeuvre par le Gouvernement permettront d'atteindre
réellement l'objectif que nous visons, à savoir, d'une part, renforcer la
prévention, en partenariat avec tous les intéressés, et informer les Français
sur la nocivité du travail illégal et, d'autre part, lutter sans pitié contre
les formes les plus scandaleuses de délinquance en matière de travail illégal,
utilisant notamment des réseaux organisés et des montages juridiques
complexes.
Ce dispositif opérationnel forme, avec le projet de loi qui vous est proposé,
un ensemble global et cohérent. Il sera mis en place dans les jours qui
suivront la promulgation de la loi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, lors de la discussion des articles, nous
aurons l'occasion de revenir sur plusieurs points qui feront l'objet
d'amendements de nature, j'en suis convaincue, à améliorer encore le texte ; je
termine donc là mon intervention liminaire.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame le ministre, mes chers collègues, l'Assemblée nationale a examiné, en
deuxième lecture, le projet de loi relatif au renforcement de la lutte contre
le travail illégal, le 20 février 1997. Outre des modifications de forme, elle
y a adjoint plusieurs dispositions nouvelles, sans toutefois transformer la
philosophie générale du texte.
A l'issue du débat au Sénat, quatre points faisaient l'objet de divergences
réellement importantes avec l'Assemblée nationale, les autres divergences
tenant plus à la forme qu'au fond : il s'agissait de la sanction de l'absence
de déclaration préalable à l'embauche, de l'assimilation à un travail dissimulé
de l'exercice d'une profession libérale sans être inscrit à l'ordre, du rôle
confié à la Cour des comptes dans la lutte contre le travail dissimulé et des
responsabilités des collectivités publiques dans la lutte contre le travail
illégal.
Face à cette situation, vos services ont pris l'initiative, madame le
ministre, afin de rapprocher les points de vue des deux assemblées, de formuler
des propositions transactionnelles élaborées dans un climat de concertation
dont nous ne pouvons que nous féliciter et dont je voudrais vous remercier.
Les amendements ainsi élaborés ont été adoptés par l'Assemblée nationale en
deuxième lecture. Ils tiennent compte, sauf sur un point, des positions du
Sénat exprimées lors du débat de première lecture.
Cela a conduit la commission des affaires sociales à vous proposer, mes chers
collègues, d'adopter le texte voté par l'Assemblée nationale en deuxième
lecture sous la réserve d'un seul amendement de fond et de quelques amendements
rédactionnels de coordination ou de précision.
Je ne m'étendrai pas sur les articles adoptés sans modification par
l'Assemblée nationale, et je me contenterai de quelques mots sur les articles
légèrement modifiés ainsi que sur les ajouts de deuxième lecture.
Parmi les modifications d'articles ou les insertions de nouveaux articles qui
ne nous paraissent pas poser de problèmes particuliers, je ne citerai que
l'article 2
ter
, qui supprime des dispositions obsolètes concernant
l'attestation d'embauche, aujourd'hui remplacée par la déclaration préalable à
l'embauche.
Par ailleurs, le Gouvernement a proposé et obtenu l'extension du dispositif de
l'article 10 aux contrats passés par certaines personnes morales de droit privé
soumises à des procédures de publicité et de mise en concurrence. Cet article,
je vous le rappelle, oblige les candidats à un marché public à attester de leur
non-condamnation au titre du travail illégal. Ce dispositif concernera donc
également, par exemple, les sociétés d'économie mixte ou les sociétés anonymes
d'HLM. La commission vous proposera d'adopter cet article sans modification,
puisqu'il s'agit d'une simple harmonisation qui tient compte de la définition
communautaire des organismes susceptibles de passer des marchés publics, qui
est plus large que la définition nationale.
En revanche, d'autres articles ont été substantiellement modifiés par rapport
à la rédaction adoptée par le Sénat, voire par rapport à la rédaction première,
adoptée par l'Assemblée nationale.
Ainsi, l'article 1er A, inséré en première lecture dans le projet de loi par
l'Assemblée nationale, instituait une sanction administrative automatique
applicable au défaut de déclaration préalable à l'embauche.
Le Sénat, afin de tenir compte de la bonne foi de l'employeur et d'éviter le
risque d'un cumul des peines, lui avait préféré la procédure de l'ordonnance
pénale, refusée en deuxième lecture par la commission saisie au fond de
l'Assemblée nationale.
Finalement, le texte adopté en deuxième lecture par l'Assemblée nationale sur
un amendement du Gouvernement prévoit une pénalité égale à trois cents fois le
taux horaire du minimum garanti, soit environ 5 000 francs, recouvrée par
l'URSSAF.
Cette nouvelle sanction a été acceptée par la commission des affaires sociales
dans la mesure où elle n'est pas automatique. L'organisme de recouvrement peut
en effet rapporter la pénalité en tenant compte de la bonne foi de l'employeur.
Le reste néanmoins très efficace et donc fortement dissuasive. En outre, cette
sanction a un caractère plus civil que pénal, qui évite tout risque de cumul
des peines. La commission vous proposera cependant un amendement, sur lequel je
reviendrai plus en détail tout à l'heure, afin de préciser la procédure des
garanties.
L'Assemblée nationale a, par ailleurs, ajouté en deuxième lecture un article
1er BA qui dispose qu'une requalification d'une relation de travail en contrat
de travail rend l'employeur redevable des cotisations et contributions sociales
correspondant, pour la période écoulée, à ce contrat.
Cette disposition, qui semble aller de soi, vise à combattre une jurisprudence
de la Cour de cassation qui refuse de tirer toutes les conséquences à l'égard
des caisses de sécurité sociale de cette requalification. Sur cet article,
qu'elle vous proposera d'adopter, la commission des affaires sociales vous
présentera un amendement de précision.
La rédaction de l'article 2 adoptée par l'Assemblée nationale, très proche de
celle du Sénat, confirme l'abandon du critère d'absence d'immatriculation à
l'ordre professionnel en tant que présomption de recours au travail dissimulé.
Cet abandon était souhaité par le Sénat. En effet, rien ne justifiait que les
professions libérales entrent dans le code du travail au titre du travail
dissimulé, d'autant que ces dernières sont déjà passibles de sanctions pénales,
disciplinaires et éventuellement civiles en cas d'exercice illégal d'une
profession libérale.
L'article 4, conformément au souhait du Sénat, ne fait plus référence à la
Cour des comptes comme organisme susceptible de rechercher et de constater les
infractions relatives au travail dissimulé.
Par rapport à la version adoptée en première lecture, la rédaction qui nous
revient de l'Assemblée nationale complète la liste des documents susceptibles
d'être exigés lors d'un contrôle en y adjoignant les autorisations d'exercice
de la profession ou l'agrément lorsque celui-ci est requis, dispositions déjà
présentes dans le code du travail et supprimées par coordination à l'article 6
sedecies.
L'article 6
terdecies
étend la liste des documents communicables par
les agents de contrôle aux conseillers rapporteurs des conseils des prud'hommes
; seront désormais communicables les documents relatifs au marchandage ou au
prêt illicite de main-d'oeuvre.
J'en arrive maintenant à deux articles qui méritent une attention
particulière. Il s'agit des articles 10
bis
et 10
ter,
qui
résultent d'amendements présentés en deuxième lecture à l'Assemblée nationale
par le Gouvernement.
L'article 10
bis
étend l'obligation de vérification de la régularité
sociale et fiscale des cocontractants des personnes publiques aux conventions
de délégation de service public. Actuellement, l'article 39 de la loi du 10
avril 1954 prévoit que les entreprises qui, au 31 décembre de l'année
précédente, ne sont pas à jour de leurs cotisations sociales ou de leurs impôts
ne peuvent avoir accès aux marchés de fournitures, aux marchés de travaux ou
aux marchés de transports. Un article du code des marchés publics pose la même
obligation pour les candidats aux marchés publics. Mais rien n'est dit à propos
des délégations de service public, ce qui est normal puisque celles-ci ont été
créées postérieurement, par la loi du 29 janvier 1993.
L'article 10
bis
, dans son paragraphe II, aura donc pour seul effet de
prévoir explicitement qu'une entreprise ne peut participer aux consultations
pour l'attribution d'une convention de délégation de service public qu'après
avoir apporté la preuve qu'elle était à jour de ses cotisations et de ses
impôts, ce qui est logique.
Quant au paragraphe I de ce même article, il est de pure coordination : il
s'agit de mettre sur le même plan le sous-traitant et le subdélégataire, en ce
qui concerne la lutte contre le travail dissimulé. La commission des affaires
sociales vous proposera donc d'adopter conforme cet article.
Enfin, l'article 10
ter
nouveau est la réponse du Gouvernement - et
nous vous en remercions, madame le ministre - au souhait exprimé par M.
Jean-Pierre Fourcade lors du débat en première lecture sur l'article 10. Il
vise à permettre à un maître d'ouvrage public de résilier, après mise en
demeure, le marché conclu avec une entreprise qui l'exécuterait en ayant
recours au travail dissimulé et qui ne régulariserait pas sa situation.
Cependant, la rédaction retenue semble donner un caractère obligatoire à cette
résiliation. Or il nous paraît essentiel de laisser à la collectivité publique
le choix de décider de résilier ou non le marché et plus généralement le
contrat, en fonction bien sûr des inconvénients qu'une telle résiliation
pourrait avoir, même si le prochain code des marchés publics devrait prévoir
une procédure simplifiée pour transmettre le marché à un autre cocontractant.
C'est pourquoi la commission vous proposera un amendement faisant de cette
résiliation une simple faculté.
Sous ces réserves et ces amendements, la commission vous proposera d'adopter
le présent texte qui, enrichi par ce dialogue tripartite, devrait constituer un
instrument efficace de lutte contre le travail illégal.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, nous voilà
donc à la deuxième lecture du projet de loi relatif au renforcement de la lutte
contre le travail illégal.
J'ai, je crois, largement montré, lors de la discussion du projet de loi en
première lecture, que le développement du travail illégal est un signe alarmant
de la crise profonde dans laquelle les politiques libérales et d'austérité
enfoncent notre pays.
Comment s'étonner en effet que, dans une société qui laisse des centaines de
milliers de jeunes sans perspective d'emploi véritable, qui prive des millions
de salariés de tout travail, qui écrase le pouvoir d'achat de tous, certains
employeurs profitent du désarroi d'une grande partie de notre peuple, prêt à
travailler même dans les pires conditions ?
La conséquence, c'est le développement du travail illégal, mais c'est aussi -
et ce n'est pas moins grave - l'augmentation du nombre des accidents du
travail, le non-respect des horaires de travail, avec une accumulation des
heures supplémentaires, et des règles d'hygiène et de sécurité, aux dépens de
la sécurité et de la santé de l'ensemble de la population.
M. Emmanuel Hamel.
D'où ce projet de loi !
M. Guy Fischer.
Quand on s'attaque à ce que l'on nomme avec un mépris mal dissimulé, chez le
patronat et au sein du Gouvernement, les « avantages acquis » des salariés, on
contribue à précariser encore plus l'ensemble du corps social et, par voie de
conséquence, on légitimise, de fait, la pratique du travail illégal.
C'est le cas quand Mme le ministre affirme ici même, le 14 janvier dernier,
qu'« en abaissant le coût du travail, on diminue la tentation de frauder ». On
peut se demander jusqu'où !
En effet, selon vous, madame le ministre, « la prévention consiste d'abord à
rendre le travail illégal moins tentateur » - je suis d'accord avec vous sur ce
point - « pour ceux qui seraient prêts à y souscrire ».
Allons jusqu'au bout de votre logique : continuons à offrir des emplois à bas
salaire, à remettre en cause les garanties du code du travail et les garanties
statutaires, étendons la flexibilité. Alors, faute de loi protégeant les
travailleurs, il n'y aurait plus de travail illégal !
Je serais tenté de répondre que le problème du travail illégal ne tient pas
avant tout au fait qu'il soit « illégal » - mais ne me faites pas dire ce que
je n'ai pas dit - même s'il faut dénoncer les pertes pour les régimes de
sécurité sociale ou le budget de l'Etat. Le problème est que le travail illégal
place les salariés qui le subissent dans une situation d'extrême précarité,
puisqu'ils échappent justement à toute législation sociale protectrice.
Comme je l'ai indiqué en première lecture à propos de la politique du
Gouvernement, « je ne pense pas que ce soit cela s'attaquer aux causes
profondes du travail illégal qui sont, d'une part, le chômage et la précarité
et, d'autre part, la concurrence généralisée et la course effrénée aux gains de
productivité ». L'exemple de Renault viendra certainement illustrer mon
propos.
J'ai du mal à croire, dans ce contexte, que la lutte contre le travail illégal
soit, comme l'affirme le Gouvernement, « une priorité nationale ».
J'en veux d'ailleurs pour preuve supplémentaire qu'il serait actuellement tout
à fait possible au Gouvernement de lutter efficacement contre le développement
du travail dissimulé.
Si les législations en vigueur étaient appliquées, si les moyens nécessaires
étaient donnés aux inspecteurs du travail, il serait en diminution dans notre
pays.
Mais comment cela peut-il être quand la loi de finances pour 1997 diminue le
nombre de postes dans l'inspection du travail, au ministère du travail ?
Comment cela pourrait-il être alors que, trop souvent, les procédures ne sont
pas menées à leur terme et les donneurs d'ordres ne sont pas réellement
inquiétés ?
Bien sûr, nous ne sommes pas opposés à de nouvelles mesures législatives pour
s'attaquer plus résolument aux « gros bonnets », comme on dit de manière
familière, qui profitent du travail illégal.
J'avais affirmé, lors de la discussion en première lecture, que le projet de
loi qui avait été voté par l'Assemblée nationale était un texte en «
trompe-l'oeil ».
Ce texte était, selon moi, trop timide dès lors qu'il s'agissait de s'attaquer
aux donneurs d'ordres, aux intérêts économiques et à la partie du patronat qui
couvre ces pratiques.
J'avais néanmoins relevé que plusieurs amendements adoptés par l'Assemblée
nationale allaient dans le bon sens.
Mais, à l'issue des travaux du Sénat, si certains articles apportaient, çà et
là, quelques améliorations, le texte, déjà très timide, voté par l'Assemblée
nationale, se retrouvait encore affadi dans ses effets.
Ainsi, la majorité du Sénat avait supprimé l'amende administrative de 9 000
francs en cas de non-respect de l'obligation de déclaration préalable à
l'embauche. Nous y reviendrons.
De la même façon, la majorité avait supprimé la disposition renversant la
charge de la preuve qui obligeait l'entreprise à prouver sa bonne foi en cas de
recours au travail clandestin par l'un de ses sous-traitants. Nous y
reviendrons également.
La possibilité offerte à l'administration de suspendre le versement des aides
à l'emploi en cas de verbalisation pour travail clandestin devait également
être supprimée. Nous en débattrons à nouveau.
Quant aux propositions formulées par le groupe communiste républicain et
citoyen pour mener une lutte efficace contre le travail illégal, elles ont été
balayées d'un revers de manche par nos collègues de la majorité.
Je pense, par exemple, à notre proposition tendant à élargir aux documents
comptables les documents mis à la disposition des agents luttant contre le
travail illégal.
Comme le notait fort justement un grand quotidien du soir le 16 janvier, « la
droite sénatoriale semble s'être fixé pour premier objectif de supprimer les
quelques audaces introduites par les députés et jugées trop contraignantes pour
les entreprises ».
M. Emmanuel Hamel.
Nous sommes l'Assemblée de l'audace !
(Sourires.)
M. Guy Fischer.
Merci de me le faire croire !
Mme Joëlle Dusseau.
Justement, on fait l'inverse de ce qu'on devrait faire !
M. Guy Fischer.
D'ailleurs, notre collègue, député RPR, M. Delalande, l'a bien compris,
puisque le 20 février, à l'Assemblée nationale, il déclarait partager « la
philosophie de nos collègues sénateurs selon laquelle la meilleure façon
d'empêcher le travail dissimulé est de s'abstenir de compliquer la tâche des
chefs d'entreprise ou d'alourdir leurs charges ».
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
C'est le bon sens !
M. Guy Fischer.
Vous ne me surprenez pas, monsieur Fourcade.
Avec une telle position, on comprendra aisément que l'Assemblée nationale,
sans doute effrayée de ses audaces contre les entreprises profitant du travail
illégal, ait, sur la plupart des points, entériné les reculs du Sénat.
Comme le note le rapporteur, M. Louis Souvet, l'Assemblée nationale, lors de
la deuxième lecture du présent projet de loi, « a certes adjoint plusieurs
dispositions nouvelles, mais sans toutefois transformer la philosophie générale
du texte, de nombreux articles amendés par le Sénat ayant été adoptés sans
modification par l'Assemblée nationale, tandis que d'autres, supprimés, n'ont
pas été rétablis ».
Bien sûr, je dois reconnaître que le texte adopté en deuxième lecture par les
députés revient au moins, dans l'article 1er A, sur l'un des reculs du Sénat,
en réintroduisant une pénalité administrative en cas de défaut de déclaration
préalable à l'embauche.
Je regrette qu'elle soit de 5 000 francs et non plus de 9 000 francs, et
qu'elle ne soit plus automatique.
Toutefois, les quelques améliorations ne sauraient masquer les dispositions
les plus dangereuses qui ont été maintenues ou qui ont été introduites par
l'Assemblée nationale : je pense à l'inscription dans le code du travail de
l'autorisation offerte aux forces de police de pénétrer sur les lieux de
travail prévue à l'article 4 du projet de loi.
J'ai montré, à l'occasion du précédent débat, comment l'élargissement de la
mission de la police nationale, dans le cadre de la lutte contre le travail
illégal, non plus seulement à la constatation mais également à la recherche du
délit, permet des dérives dangereuses. J'avais parlé d'« amendement scélérat
».
Il s'agit là du pendant de la loi Debré relative à l'immigration, qui modifie
notamment le code de procédure pénale afin de permettre l'intervention de la
police et de la gendarmerie dans les entreprises sous prétexte de lutter contre
le travail clandestin.
Je ne suis pas hors sujet. Mme le ministre délégué pour l'emploi nous l'a
confirmé ici même le 14 janvier dernier en déclarant que « l'instauration d'un
droit d'entrée des officiers judiciaires sur le lieu de travail est bien une
mesure de lutte contre le travail dissimulé ».
Mme Anne-Marie Couderc,
ministre délégué.
C'est sûr !
M. Guy Fischer.
Pour la première fois, hors des grèves et certaines périodes noires de
l'Histoire, la police et la gendarmerie sont donc autorisées à entrer à
l'intérieur des entreprises.
M. Emmanuel Hamel.
Pour combattre le travail illégal !
M. Alain Gournac.
C'est très bien !
M. Guy Fischer.
Oui, si c'était en effet pour cela !
Mais, pour une part, il est permis de penser que cette disposition servira
essentiellement à renforcer la traque contre les immigrés en situation
irrégulière ; ...
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Bien sûr !
M. Guy Fischer.
... désignés comme responsables de tous les maux de notre pays.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Mais non !
M. Guy Fischer.
Et ne risque-t-on pas, à terme, de s'en prendre aux syndicalistes, aux
représentants du personnel et à l'ensemble des travailleurs en cas de conflits
sociaux ?
(Protestations sur les travées du RPR.)
La constatation des infractions au droit du travail relève, à notre sens, des
inspecteurs du travail. Nous sommes en total désaccord sur ce point.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
C'est du corporatisme !
M. Guy Fischer.
Avec les dispositifs que vous proposez, on finira par subordonner le corps des
inspecteurs du travail aux forces de police.
Ma crainte est renforcée par le vote, à l'Assemblée nationale, du nouvel
article 6
sedecies,
qui réduit les compétences des inspecteurs du
travail.
Vous contribuez à cette « lepénisation » de la société
(Oh ! sur les
travées du RPR...)
M. Alain Gournac.
Il ne faut pas jouer avec cela !
M. Guy Fischer.
... si justement dénoncée par les dizaines de milliers de signataires contre
la « loi Debré ».
M. Alain Gournac.
Mais 67 % des Français sont pour !
M. Guy Fischer.
Pourtant, devant nous, vous reconnaissez, monsieur Gournac, que seulement 6 %
du travail illégal est le fait d'étrangers en situation irrégulière. Vous
affirmez penser d'abord aux travailleurs victimes d'employeurs peu scrupuleux,
mais il y a bien deux discours : celui que la majorité et le Gouvernement
tiennent devant les députés et les sénateurs et celui qui est tenu sur les
marchés par des partis de la majorité ; j'ai ici même montré un tract qui
assimilait clairement immigration clandestine et travail clandestin.
C'est pour cette raison que je me suis permis de faire cette mise au point sur
cet amalgme que je dénonce car, aujourd'hui, nous sommes bien loin du texte
important annoncé.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Nous ne sommes pas ici sur un marché !
M. Guy Fischer.
Non, mais vous savez, monsieur le rapporteur, que notre débat parlementaire
est enrichi par le pragmatisme du terrain.
A l'issue de nos débats, ce texte ne sera que faiblement amendé par trois
amendements de forme et un de fond.
Il s'agit bien du texte alibi que je dénonce, qui n'apportera pas de nouveaux
moyens de lutte contre le travail illégal, les réseaux de sous-traitance qui
recrutent, le marchandage.
En fait, s'agissant de ce texte, les vraies motivations du Gouvernement sont
de cultiver, pour des raisons électoralistes, l'amalgame entre immigration
clandestine et travail illégal.
En légitimant cet amalgame, vous encouragez la xénophobie, les comportements
racistes, que vous affirmez par ailleurs combattre.
Pour notre part, nous, sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen,
refusons de tels amalgames.
M. Emmanuel Hamel.
Désamalgamez !
Mme Joëlle Dusseau.
Monsieur Hamel, laissez parler l'orateur !
(Rires.)
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Nous n'avons plus besoin de président !
M. Guy Fischer.
Nous refusons de cautionner un texte qui élude en fait les responsabilités des
principaux donneurs d'ordres.
C'est pourquoi si, comme cela est prévisible, le texte conserve sont
orientation actuelle, le groupe communiste républicain et citoyen s'opposera
avec force à son adoption.
M. Emmanuel Hamel.
C'est dommage !
M. le président.
La parole est à M. Bimbenet.
M. Jacques Bimbenet.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je tiens tout
d'abord à saluer le travail élaboré par l'Assemblée nationale en deuxième
lecture. En effet, malgré bien des divergences entre nos deux assemblées, les
députés ont adopté les nombreuses modifications apportées par le Sénat en
première lecture.
Je ne peux que me féliciter de ce rapprochement sur un texte qui exprime la
volonté du Gouvernement et celle de chacun d'entre nous d'enrayer le travail
illégal.
En effet, ce phénomène engendre de funestes répercussions sur le plan
économique : il est responsable d'une perte annuelle estimée à 156 milliards de
francs, soit 10 % du budget de l'Etat.
Il est donc de notre responsabilité de mettre en place les mesures nécessaires
afin d'endiguer ce fléau.
Je sais cependant que le débat qui nous réunit aujourd'hui n'est pas consacré
à la répression des étrangers en situation irrégulière et que l'emploi de ces
personne ne constitue bien évidemment pas l'essentiel du travail dissimulé,
même si l'on constate parfois un lien entre les deux phénomènes.
C'est ainsi que le travail illégal offert par certains employeurs peu
scrupuleux s'apparente en fait à l'exploitation d'une main-d'oeuvre « bon
marché », qui se révèle proche des pratiques de l'esclavage. C'est le propre
des ateliers clandestins, mais le même constat peut être fait pour ce qui
concerne les travaux publics.
Cette situation est inadmissible. Dès lors, notre devoir est d'y mettre un
terme.
Le projet de loi que vous nous proposez d'adopter, madame le ministre,
permettra, j'en suis persuadé, d'endiguer cette spirale infernale en
sanctionnant sévèrement ces employeurs de mauvaise foi et de mauvais augure.
Je souhaiterais enfin aborder un point particulier, qui fait l'objet de
l'article 10
ter
introduit par les députés en deuxième lecture.
Ainsi que notre éminent collègue M. le rapporteur Louis Souvet nous l'a
précédemment expliqué, cet article tend à permettre à un maître d'ouvrage
public de résilier le marché conclu avec une entreprise qui l'exécuterait en
ayant recours au travail dissimulé et qui ne régulariserait pas sa situation
après mise en demeure.
Cet article, tel qu'il a été élaboré par l'Assemblée nationale, donne un
caractère obligatoire à cette résiliation. La commission des affaires sociales
émet une réserve quant à cette obligation et vous proposera un amendement
tendant à la commuer en une simple faculté.
Je ne peux que soutenir l'avis de la commission au regard des conséquences
qu'une telle résiliation risque d'engendrer pour une collectivité locale
contrainte d'arrêter des chantiers quelle que soit leur importance. Nombre de
grands travaux entrepris par le passé et actuellement en cours nous démontrent
le bien-fondé de cette position.
Toutefois, mes chers collègues, permettez-moi d'émettre quelques craintes
quant aux répercussions de cette disposition.
En effet, nous sommes aujourd'hui réunis pour débattre d'un texte qui vise à
renforcer la lutte contre le travail illégal. Nous ne devons pas l'oublier !
Or comment combattre efficacement ce phénomène, alors même que la loi
autoriserait les collectivités locales à recourir, indirectement, à des
travailleurs clandestins ?
Mme Joëlle Dusseau.
Très bien !
M. Jacques Bimbenet.
Dans ces conditions, je souhaiterais, madame le ministre, que cette
disposition, si elle est adoptée, puisse faire l'objet d'une interprétation
restrictive, afin de préserver toute la portée du projet de loi.
Le texte que nous examinons en deuxième lecture consacre la volonté de chacun
d'entre nous d'enrayer définitivement le phénomène du travail illégal. C'est
pourquoi la majorité des membres du groupe du Rassemblement démocratique et
social européen le votera.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Le Gouvernement est déterminé, vous venez de le réaffirmer, madame le
ministre. Il annonce que la lutte contre le travail dissimulé est une priorité
nationale.
Vous nous proposez d'examiner aujourd'hui, en deuxième lecture, un arsenal de
mesures censées renforcer les moyens du combat contre cette délinquance qui
coûte plus de 150 milliards de francs à la nation en termes de comptes sociaux
et de fiscalité, qui prive des employés de leurs droits les plus fondamentaux
et fragilise les entreprises respectueuses de la loi.
Les socialistes ont démontré, lors des discussions précédentes, qu'ils étaient
soucieux de renforcer le dispositif en vigueur dans ce domaine.
Malheureusement, nos propositions se sont souvent heurtées à une fin de
non-recevoir. On nous a notamment reproché de vouloir entretenir un climat
inquisitorial à l'égard des entreprises dès lors que les vérifications se
faisaient plus poussées et l'engagement de la responsabilité plus exigeant.
Avant de revenir plus précisément sur les propositions de la commission des
affaires sociales, je tenais à exprimer deux regrets.
Je suis déjà intervenue sur ce point lors du débat en première lecture, mais
nos travaux étaient alors restés trop à la surface des problèmes pour nous
permettre d'envisager de sanctionner des manifestations plus récentes de
travail dissimulé, plus difficiles à identifier sans doute. Celles-ci
découlent, le plus souvent, des mutations qui se produisent dans l'organisation
du travail et qui, bien exploitées par des chefs d'entreprises peu scrupuleux,
constituent des moyens extraordinaires de dissimulation d'activités ou
d'hommes, il faudrait d'ailleurs plutôt dire de femmes : je veux parler du
télétravail, des faux travailleurs indépendants, etc., l'imagination est
féconde en la matière !
On nous a rétorqué qu'il ne pouvait être question de revenir sur la loi
Madelin. Je relève pourtant que, sur l'initiative de notre collègue député
Michel Berson et du rapporteur de l'Assemblée nationale, la loi imposera
désormais le paiement des cotisations et contributions sociales relatives à
l'exécution d'un travail au profit d'un donneur d'ouvrage unique. Il s'agit là
d'une reconnaissance implicite des perversions générées par ce système
ultra-libéral introduit par la loi Madelin.
Par ailleurs, bien qu'elle ne figure pas dans ce projet de loi, je ne peux pas
ne pas évoquer la mesure visant à faciliter les interventions des officiers de
police judiciaire sur les lieux de travail, mesure qui a été débattue dans le
cadre de la discussion du projet de loi sur l'immigration, contrairement à ce
qui était initialement prévu.
Nous avons martelé tout au long de nos interventions que les délinquants
étaient les employeurs et non les employés, lesquels étaient eux les victimes,
fussent-ils en situation irrégulière. Nous étions quelques-uns à dénoncer les
risques de dérapage qui résidaient dans ce type d'amalgame extrêmement
dangereux. Mais l'occasion était trop belle pour le ministre de l'intérieur :
il utilise la procédure visant à poursuivre et à sanctionner les employeurs de
travailleurs non déclarés et en profite pour traquer les étrangers sans titre
alors que ces derniers ne commettent qu'une part infime des infractions
constatées, les contrôles effectués le prouvent.
Non seulement le ministre de l'intérieur se livre ouvertement à cet amalgame,
mais il l'assume pleinement et, sur ce point, je vous renvoie, mes chers
collègues, au débat sur l'immigration.
J'en viens maintenant aux dispositions qui résultent des travaux conjoints de
nos deux assemblées.
La navette nous a démontré qu'il existait une vision à géométrie variable des
moyens à mettre en oeuvre pour relever le défi de cette priorité nationale. Il
suffit pour cela d'observer les évolutions du texte entre les deux lectures.
A l'issue de la première lecture, un premier constat s'imposait : les membres
de la majorité, selon qu'ils siégeaient à l'Assemblée nationale ou au Sénat, ne
partageaient pas vraiment la même conception quant aux armes dont devait se
doter l'Etat pour mener la bataille.
Nous avions souligné ce décalage. Pour ma part, j'avais déploré que la
majorité sénatoriale récuse certaines dispositions adoptées à l'Assemblée
nationale, qui constituaient pourtant un premier pas décisif. Je les rappelle
brièvement.
Elles concernaient d'abord la caractérisation du délit et la démonstration du
caractère intentionnel de l'infraction.
Elles portaient ensuite sur la vigilance, certes contraignante, dont doit
faire preuve une collectivité publique lors de la signature et de l'exécution
d'un contrat.
D'autres, enfin, définissaient les sanctions applicables en cas de violation
de la législation, qu'il s'agisse du donneur d'ordre ou de l'exécutant.
A l'issue de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale, il faut se rendre à
l'évidence : alors que les députés avaient fait preuve d'une relative audace
sur ces trois aspects, le texte finalement adopté nous revient, certes plus
rigoureux que celui qui était issu des travaux du Sénat, mais sérieusement
édulcoré.
Ainsi, quand il s'était agi de définir l'infraction du travail dissimulé, nous
avions longuement débattu de l'opportunité de conserver ou non le terme «
sciemment » lorsqu'il est fait référence à l'interdiction de recourir à une
personne se livrant à un travail dissimulé.
De la même façon, peut-on se soustraire par négligence à des obligations
telles que l'immatriculation à un répertoire des métiers ou la déclaration à
des organismes de protection sociale ? Peut-on se livrer, toujours par
inadvertance, à des sous-évaluations de temps travaillé ?
Même si je comprends les hésitations des juristes, pour qui tout délit doit
contenir un élément intentionnel, je fais partie de ceux qui souhaitent faire
prévaloir l'efficacité face à la mauvaise foi de certains employeurs, qui se
moquent totalement de la loi lorsqu'elle est gênante mais savent parfaitement
l'utiliser pour échapper à toute incrimination.
Je constate que, après avoir défendu une position très offensive à cet égard,
les députés de la majorité se sont rangés à l'opinion de la majorité
sénatoriale. Ce n'est pas ainsi que je concevais la « sagesse » de la Haute
Assemblée !
Le groupe socialiste a déposé des amendements tendant à rendre le texte plus
contraignant. Il ne s'agit pas ici de déroger à un principe fondamental de
notre droit, car la liste des conditions dont le non-respect peut aboutir à la
constitution de l'infraction est suffisamment exhaustive et précise. Elle se
réfère à des démarches administratives tellement élémentaires qu'on n'imagine
pas qu'il soit possible de s'y soustraire par simple négligence ! C'est
pourtant le discours qui nous est opposé presque systématiquement, avec un
évident souci de ménager certains acteurs.
Je reviens un instant sur une nouvelle illustration de cette orientation. Il
s'agit d'une disposition qui peut paraître accessoire mais qui est, à mon sens,
assez symbolique du décalage existant entre la fermeté qu'il est toujours
facile d'afficher dans le discours et la concrétisation de déclarations
d'intention ; je veux parler de la sanction qui s'applique au défaut de
déclaration préalable à l'embauche, ou DPAE. Nous sommes partis d'une sanction
administrative de 9 000 francs pour aboutir, finalement, à une sanction de 5
000 francs. Presque moitié moins ! Cela se passe de commentaire. Le groupe
socialiste vous proposera donc un amendement visant à rétablir le montant
initial de 9 000 francs.
Je m'interroge par ailleurs, incidemment, sur la date butoir du 1er juillet
1998 retenue pour mettre en place cette sanction. N'y a-t'il pas un paradoxe à
voir certains proclamer que la DPAE est désormais une formalité efficace, dont
l'accomplissement est largement facilité, notamment grâce aux instruments
modernes de communication, tout en prévoyant un délai de plus d'une année et
demie pour mettre en oeuvre cette sanction administrative ? Nous avons
également déposé un amendement tendant à rapprocher la date de cette mise en
oeuvre.
M. Guy Fischer.
Entre les discours et les actes ...
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Quant à la volonté de prendre le mal à la racine, et donc de remonter aux
donneurs d'ordre initiaux, nous y souscrivons, mais nous estimons insuffisantes
les mesures proposées.
D'abord, la navette entre nos deux assemblées n'a pas permis de compléter
l'éventail des documents véritablement utiles et efficaces - au premier chef
les documents comptables - auxquels peuvent accéder les agents de contrôle.
Par ailleurs, la proposition de la commission des affaires sociales relative
aux contrats passés par les collectivités n'est pas satisfaisante, et ce malgré
l'extension, justifiée, de ces dispositifs aux relations contractuelles entre
les collectivités et les délégataires de service public ainsi qu'entre ces
derniers et leurs cocontractants.
Que penser, en effet, du traitement différencié que vous organisez entre les
entrepreneurs privés et les collectivités publiques ?
J'aurais personnellement préféré que l'on conserve la dimension « préventive »
du dispositif en prévoyant l'insertion d'une clause dans les contrats publics
afin de s'assurer que les cocontractants ne recourent pas au travail dissimulé.
L'Assemblée nationale s'est ralliée à la position du Sénat sur ce point, et je
le regrette.
Par ailleurs, le groupe socialiste ne peut souscrire à la réserve que la
commission des affaires sociales entend introduire dans l'article L-324-14-1 du
code du travail. Dès lors que, pour l'exécution d'un marché public, la
situation délictuelle est constatée et signalée, que l'entrepreneur n'y a pas
mis fin dans un délai de quinze jours, le marché doit être résilié : ce ne peut
pas être une simple faculté. Et je n'imagine pas que le législateur puisse
afficher un double langage : celui de la fermeté vis-à-vis des maîtres d'oeuvre
privés et celui de l'indulgence à l'égard des collectivités publiques.
J'ajoute que cette relative « clémence » paraît d'autant plus suspecte qu'on
peut la mettre en perspective avec une récente proposition de certains membres
de notre assemblée tendant à limiter le contrôle des collectivités
territoriales par les chambres régionales des comptes dès lors que l'assemblée
délibérante aura approuvé le projet. Au-delà de ce qui restera, je l'espère, au
stade de proposition de loi, je crains que ce faisceau d'initiatives
n'accrédite l'idée que des parlementaires souhaitent organiser des régimes
juridiques à deux vitesses.
Nous ne pourrons revenir sur l'article relatif à la suspension des aides
publiques versées à une entreprise qui fait l'objet de poursuites puisque cette
disposition a été adoptée en termes identiques par les deux assemblées. Nous
aurions souhaité que cette sanction soit non pas une simple faculté, mais une
obligation, car il est difficile d'admettre que l'administration cautionne, en
quelque sorte, des entreprises qui se placent dans l'illégalité, d'autant qu'il
est désormais acquis que ces aides profitent presque exclusivement aux
employeurs sans favoriser l'emploi.
La discussion des articles me donnera l'occasion de défendre nos propositions,
qui visent à renforcer réellement les moyens juridiques mis à la disposition
des agents de contrôle, au premier rang desquels nous devons maintenir les
inspecteurs du travail, et les peines qui sanctionnent les infractions.
En faisant du travail clandestin un délit - c'était en 1985 - en instituant la
déclaration préalable à l'embauche et en la généralisant en 1992, les
socialistes ont démontré leur volonté de lutter efficacement contre le travail
dissimulé sous toutes ses formes. Nous sommes aujourd'hui persuadés que
l'ampleur et les formes de son développement appellent des moyens législatifs
et financiers accrus.
Nous restons prêts à avancer sur cette voie, et notre vote final dépendra du
sort qui sera réservé à nos amendements.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
J'informe le Sénat que la commission des affaires sociales m'a fait connaître
qu'elle a d'ores et déjà procédé à la désignation des candidats qu'elle
présentera si le Gouvernement demande la réunion d'une commission mixte
paritaire en vue de proposer un texte sur le projet de loi actuellement en
cours d'examen.
Ces candidatures ont été affichées pour permettre le respect du délai
réglementaire.
Question préalable