M. le président. « Art. 10 ter. - L'article L. 324-14-1 du code du travail est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :
« Sans préjudice des dispositions de l'article L. 324-14, toute personne morale de droit public ayant contracté avec une entreprise, informée par écrit par un agent mentionné à l'article L. 324-12 de la situation irrégulière de cette entreprise au regard des obligations fixées par l'article L. 324-10, l'enjoint aussitôt par lettre recommandée avec demande d'avis de réception de faire cesser sans délai cette situation.
« L'entreprise mise ainsi en demeure doit, dans un délai de quinze jours, apporter à la personne publique la preuve qu'elle a mis fin à la situation délictuelle. A défaut, le marché est résilié sans indemnité, aux frais et risques de l'entrepreneur.
« La personne publique informe l'agent auteur du signalement des suites données par l'entreprise à son injonction.
« Dans le cadre des concessions de travaux ou de services publics, le concédant informé par écrit dans les conditions prévues au premier alinéa du présent article doit mettre en oeuvre la procédure de mise en demeure et le cas échéant de sanction décrite ci-dessus à l'égard de son concessionnaire. »
Par amendement n° 4 rectifié, M. Souvet, au nom de la commission, propose :
I. - Dans la seconde phrase du deuxième alinéa du texte présenté par cet article pour compléter l'article L. 324-14-1 du code du travail, de remplacer le mots : « le marché est » par les mots : « le contrat peut être ».
II. - En conséquence :
A. - De supprimer le dernier alinéa du texte présenté par cet article.
B. - Dans le premier alinéa de l'article, de remplacer le mot : « quatre » par le mot : « trois ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet, rapporteur. Cet amendement a tout d'abord pour objet de faire en sorte que la résiliation de marché public, en l'absence de régularisation après mise en demeure de la part de l'entreprise contractante, soit laissée à l'appréciation de la personne publique.
Ensuite, cet amendement tend à apporter une rectification de pure coordination.
Le dernier alinéa du texte proposé par l'article 10 ter, en mentionnant les concessions de travaux de service public, pouvait laisser supposer que celles-ci n'étaient pas des contrats au sens retenu par le premier alinéa. Or le terme de contrat est général ; il englobe aussi bien les marchés publics que les délégations de service public, c'est-à-dire les concessions de travaux publics, les concessions de service public, les affermages et les régies intéressés.
Conséquence de cette précision terminologique : dès lors que la commission a souhaité que la réalisation du contrat par la personne publique ne soit, dans tous les cas, que facultative, le quatrième alinéa, qui entendait laisser aux collectivités publiques une certaine souplesse, n'a plus de raison d'être.
Le présent amendement supprime donc, par coordination, le dernier alinéa du texte proposé et modifie en conséquence le chapeau de l'article : il s'agit ainsi de l'ajout de trois alinéas au lieu de quatre.
Il fait également référence, par coordination avec le premier alinéa, au contrat et pas seulement au marché, comme cela est indiqué dans le deuxième alinéa, terme trop restrictif.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué. Comme il s'y était engagé devant la Haute Assemblée, le Gouvernement a mis à profit la navette pour rechercher les modalités selon lesquelles les maîtres d'ouvrage public pourraient prendre la part qui doit impérativement être la leur dans la prévention du travail illégal.
M. Fourcade avait en quelque sorte tracé la voie en suggérant de rechercher un dispositif qui permettrait aux collectivités territoriales de mettre fin avant terme à un marché au cas où du travail illégal serait constaté.
Tel est bien le sens du nouvel article 10 ter que l'Assemblée nationale a adopté en deuxième lecture, en votant un amendement déposé par le Gouvernement.
Ce dispositif comprend quatre étapes : un constat de travail dissimulé au sein de l'entreprise titulaire du marché dressé par un agent de contrôle bien entendu habilité, la notification de ce constat à la personne publique, une mise en demeure obligatoirement notifiée à l'entreprise par la personne publique d'avoir à mettre fin à l'irrégularité constatée et, enfin, une résiliation du marché, à défaut de la régularisation de la situation.
Reste à savoir si cette sanction très sévère doit résulter impérativement de la loi ou si elle peut résulter d'une décision prise au cas par cas par la collectivité.
Le texte proposé par le Gouvernement envisageait, effectivement, de traiter toutes les situations de la même manière, quelle que soit la complexité de la réalisation du contrat ou du marché considéré.
Toutefois, il faut se demander - et la commission l'a fait en toute objectivité - si la résiliation du marché ne pourrait pas, dans certains cas, être exceptionnelle ; cas qui seraient, par hypothèse, dommageables pour la collectivité elle-même lorqu'il s'agit, par exemple, d'assurer la continuité du service rendu à l'usager. Si la résiliation du marché n'était pas obligatoire, il va de soi - et je réponds peut-être ainsi à la préoccupation exprimée par M. Bimbenet - que toutes les autres sanctions qui sont déjà prévues par le texte doivent être appliquées et plus particulièrement, bien entendu, l'interdiction de soumissionner à nouveau pendant un délai de cinq ans.
Finalement, il me semble raisonnable, comme le propose la commission, de faire de la résiliation du marché une faculté offerte à la collectivité publique, mais dans des termes qui confèrent à la menace toute sa crédibilité, et non une obligation, comme nous l'avions initialement prévu.
Le Gouvernement est donc favorable à cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 4 rectifié.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Le moins que l'on puisse dire à propos de la procédure qui va être mise en place pour lutter contre le travail illégal dans le cadre des marchés publics est qu'elle est peu contraignante, notamment à l'égard des personnes morales de droit public.
La clause préventive qui devait permettre à ces personnes morales de s'assurer que leur cocontractant n'a pas recours au travail illégal a été supprimée par le Sénat et n'a pas été rétablie par l'Assemblée nationale. Ce n'est donc que lorsqu'elles auront été averties par écrit par un agent de contrôle de l'existence d'un travail illégal que les personnes morales de droit public se verront dans l'obligation d'agir.
Comment ? Par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception pour enjoindre à l'entreprise concernée de faire cesser cette situation dans un délai de quinze jours. Voilà en effet une mesure d'une grande sévérité, qui va sans doute impressionner les professionnels chevronnés du travail illégal !
C'est en tout cas un bon moyen pour les maîtres d'ouvrage de dégager leur responsabilité. N'ayant rien fait en amont à titre préventif, il leur suffira d'écrire une lettre recommandée lorsqu'il ne leur sera plus possible d'ignorer ce qui est fait par certaines entreprises avec les deniers publics, pour en être quittes.
Là où nous sommes en désaccord total, c'est lorsqu'il nous est proposé de transformer l'automaticité de la résiliation du marché, si l'entreprise ne fait rien, en une simple possibilité.
Quel sera alors le rôle des personnes morales de droit public et, singulièrement, des collectivités territoriales ? Quelle image vont donner leurs responsables si un chantier sur lequel il est avéré qu'il y a des travailleurs dissimulés n'est même pas interrompu ou, pis, s'il continue avec la même entreprise comme si de rien n'était ? On nous dit qu'il peut s'agir de chantiers importants, comme le Stade de France. Permettez-moi de vous faire observer qu'il appartient aux responsables d'être particulièrement vigilants en amont sur ce type de chantiers.
J'ajoute que ces opérations emblématiques appellent plus que d'autres l'attention de l'opinion publique et qu'il ne me paraît pas souhaitable de laisser prise au doute en ce qui les concerne, surtout en matière de travail illégal.
Enfin, je conclurai en indiquant que la lutte contre le travail illégal requiert la mobilisation de tous, à commencer par la nôtre, celle des élus qui votent la loi et qui doivent ici, en quelque sorte, agir de façon exemplaire. Le risque de voir arrêter un chantier ne peut qu'inciter les personnes morales de droit public à la plus grande vigilance à l'encontre du travail illégal, ce qui est une excellente mesure de prévention.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous voterons contre l'amendement n° 4 rectifié.
M. Louis Souvet, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet, rapporteur. Il n'y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ! Aussi reprendrai-je un exemple que j'ai déjà cité. Madame Dieulangard, il y a, dans cette affaire, la théorie et la pratique. En théorie, bien sûr, il est facile de dire qu'il faut arrêter et résilier le marché conclu avec une entreprise qui est convaincue d'avoir eu recours au travail dissimulé.
Mais prenons un exemple que je connais bien, celui de la construction d'une usine de dépollution de l'eau. Cet énorme chantier, qui coûte quelque 100 millions de francs, a commencé voilà deux ans et ne sera pas achevé avant trois ans. Doit-on, en cas d'infraction, démonter les grues et changer d'entreprise ? Pendant des années, le chantier sera arrêté et l'eau que les gens rejetteront ne sera pas épurée. L'environnement en souffrira.
A un moment donné, la collectivité publique doit avoir la possibilité de faire la part des choses. La théorie, c'est bien beau, mais on ne peut pas vivre de théorie. De temps en temps, des questions pratiques sont posées aux maires qui sont tenus d'y répondre.
Mme Joëlle Dusseau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Nous avons à plusieurs reprises, en commission, évoqué les exemples que vient de citer M. Souvet. Nous avons en effet beaucoup débattu de cette question. Je me rallierais aux arguments de M. Souvet si le projet de loi prévoyait la résiliation du marché en cas d'emploi de main-d'oeuvre clandestine. Mais ce n'est pas ce qui est écrit.
Le projet de loi prévoit simplement de mettre en demeure l'entreprise de régulariser sa situation, c'est-à-dire, en fait, de déclarer les travailleurs illégalement employés. C'est tout ce qui est demandé à l'entreprise. Aux termes du projet de loi, le contrat est rompu en raison non pas de l'existence de travail dissimulé mais de la non-régularisation par l'entreprise de sa situation, ce qui est totalement différent.
Dans quelle position se trouve la collectivité ? Informée par un agent de contrôle qu'une entreprise emploie des travailleurs illégaux, elle adresse à celle-ci un courrier la mettant en demeure de régulariser sa situation dans un délai de quinze jours.
La logique veut que l'entreprise régularise sa situation, c'est-à-dire qu'elle déclare ses salariés et paie ses cotisations sociales. Si elle ne s'est pas mise en conformité avec la loi pendant le délai qui lui est imparti, la seule sanction efficace est la rupture du contrat.
Aucun des exemples qui ont été cités, notamment ceux de la Grande Arche et du Stade de France, ne sont crédibles à la lecture du projet de loi. Le problème tient au fait non pas que des travailleurs illégaux soient employés mais que l'entreprise refuse de les déclarer. Il n'est pas admissible qu'une entreprise qui refuse de déclarer ses travailleurs illégaux, alors qu'elle a été mise en demeure de le faire, conserve son chantier un an, voire deux ou trois ans si le chantier est long.
Par ailleurs, l'argument selon lequel l'entreprise ne pourra plus soumissionner pendant un certain temps n'est pas recevable. En effet, une société peut très bien modifier sa raison sociale ou sa domiciliation et repartir sur de nouvelles bases.
La seule sanction valable si l'entreprise ne se met pas en conformité avec la loi en déclarant les travailleurs illégaux qu'elle emploie, est la résiliation du marché. Voilà une menace de nature à inquiéter l'entreprise. Si elle est supprimé du texte, les entrepreneurs pourront continuer à employer des travailleurs de manière illégale sans les déclarer, faire ce qu'ils veulent jusqu'à la fin du chantier, et donc garder les travailleurs illégaux. Ce n'est pas admissible.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Je ne prétends pas convaincre Mme Dusseau,...
M. Jean Chérioux. A l'impossible nul n'est tenu ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. ...mais je voudrais tout de même que l'on en revienne à la réalité.
Avec l'aide du Gouvernement et de l'Assemblée nationale, nous avons, ma chère collègue, étendu aux délégations de service public le champ d'application du présent texte.
Prenons le cas d'une collectivité territoriale qui a fait une délégation de service public de dix ou quinze ans et qui devra l'interrompre parce qu'un agent de contrôle - et nous avons largement étendu les perspectives de contrôle ! - a dénoncé l'emploi d'un travailleur non déclaré ou en situation illégale.
Mme Joëlle Dusseau. Il s'agit de la non-régularisation, pas de l'illégalité ! Vous déformez mon propos.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Il est demandé à l'entreprise de régulariser sa situation dans un délai de quinze jours. Si cette régularisation pouvait être effectuée sur une plus longue période, une sanction définitive pourrait être envisagée. Mais qu'est-ce que quinze jours dans les relations entre une entreprise et une collectivité locale pour un marché de longue durée ? C'est avoir une conception totalement irréaliste de la situation !
L'entreprise fera tout ce qu'elle peut pour régulariser sa situation dans le délai prévu. Si néanmoins elle souhaite un délai supplémentaire, la collectivité concédante le lui accordera, mais les sanctions pénales commenceront à courir. Par conséquent, puisqu'une sanction pénale est prévue, ne désorganisez pas la vie de l'ensemble des collectivités territoriales avec un sabre de bois ! En ce qui me concerne, j'ai une certaine expérience parlementaire et je suis hostile à de telles dispositions qui sont si dissuasives qu'elles ne sont jamais appliquées. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué. Après M. Fourcade, je tiens à redire à Mme Dusseau qu'à défaut de la résiliation quasi immédiate du marché le procès-verbal constatant le travail illégal est transmis au parquet ; la sanction sera donc automatique. Or, les sanctions, comme vous le savez, sont notamment d'ordre économique et financier et sont calculées en fonction du nombre de travailleurs en situation illégale. Aussi avons-nous fait en sorte que ces sanctions financières rendent totalement dissuasive la pratique du travail illégal. En effet, il reviendra beaucoup plus cher à l'entreprise de se maintenir dans une situation illégale que de se mettre en conformité avec la loi.
Ainsi, la conjonction de l'ensemble de ce dispositif de sanctions doit nous permettre d'atteindre l'objectif que nous nous sommes fixé et qui consiste à faire cesser la situation illégale rapidement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 4 rectifié, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 10 ter, ainsi modifié.
(L'article 10 ter est adopté.)
M. le président. Les autres dispositions du projet de loi ne font pas l'objet de la deuxième lecture.
Vote sur l'ensemble