RÉFORME DU SERVICE NATIONAL

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 205, 1996-1997), adopté par l'Assemblée nationale, portant réforme du service national. [Rapport (n° 231, 1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, et du RPR.)
M. Charles Millon, ministre de la défense. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères et de la défense, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi portant réforme du service national que j'ai l'honneur de vous présenter rejoint un débat essentiel pour l'avenir de notre pays : celui qui porte sur la définition de notre nation, sur ce que Fernand Braudel appelait l'identité de la France.
Le projet de nouveau service national proposé aux Français par le Président de la République s'inspire d'une double conviction qui porte sur la nation et sur la République.
La première conviction, c'est que la mondialisation rend plus que jamais nécessaire l'enracinement dans la nation.
N'oublions pas les leçons du siècle qui s'achève : là où la nation a été exaltée sans mesure, elle s'identifie à un nationalisme hégémonique et destructeur ; là où la nation a été niée et occultée, elle revient sous la forme la plus barbare des guerres civiles ; là où la nation a été ignorée, banalisée, oubliée, elle revient sous forme de fantasme, de peur de l'étranger ou d'extrémisme politique.
Pour rayonner et prospérer, la France doit pouvoir compter sur une communauté nationale rassemblée, unie, confiante dans son avenir. C'est l'un des objectifs que cherche à atteindre le présent projet de loi.
La seconde conviction, c'est que pour assurer la solidité et la pérennité de la République, la France a besoin de créer une nouvelle dynamique des droits et des devoirs.
Face à la crise de l'intégration, au relâchement des solidarités, au développement de l'exclusion, c'est une véritable reconquête citoyenne que doit entreprendre notre pays. Elle passe par de nouvelles relations entre le citoyen et la nation, par un nouvel équilibre entre l'obligation et l'initiative.
Le projet de nouveau service national a pour ambition essentielle de contribuer à répondre à ces exigences d'aujourd'hui. Il a bien sûr bénéficié de l'apport décisif de la commission présidée par M. Xavier de Villepin, et je tiens à l'en remercier. Il peut encore être amélioré par le Sénat, et je veux, à cet égard, rendre hommage à la qualité du travail parlementaire accompli, en particulier par le rapporteur, M. Serge Vinçon.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Très bien !
M. Hubert Falco. Bravo !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Aujourd'hui, le débat sur l'avenir du service national se pose essentiellement, éminemment, en termes civiques.
En effet - et je pense que chacun sur ces travées en conviendra - le débat stratégique sur la conscription a été tranché par la loi de programmation militaire que vous avez votée au mois de juin dernier.
M. Emmanuel Hamel. Nous ne l'avons pas tous votée !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Monsieur Hamel, la loi de la République s'impose à vous comme à tout autre !
M. Emmanuel Hamel. Elle comporte de graves défauts !
M. Charles Millon, ministre de la défense. La loi de programmation est devenue loi de la République. Elle s'impose à tous les parlementaires, qu'ils soient sénateurs ou députés. C'est la raison pour laquelle je suis sûr que vous allez continuer à m'écouter en silence. (Sourires.)
M. Emmanuel Hamel. Je vous écoute !
M. Charles Millon, ministre de la défense. En ouvrant le débat sur le choix du maintien de l'armée mixte ou du passage à l'armée professionnelle, le Président de la République a renoué avec une réflexion stratégique et militaire mise entre parenthèses. Souvenons-nous de la réflexion menée, en 1934, par le colonel de Gaulle avec son ouvrage Vers l'armée de métier, réflexion bientôt écartée par les instances politiques et militaires au profit d'un conformisme calfeutré.
Aujourd'hui, comme en 1934, c'est un changement radical, une véritable « révolution dans les affaires militaires » - pour reprendre l'expression du général de Gaulle - qui a permis au Président de la République de rouvrir la question de la professionnalisation sur le seul plan qui vaille, le plan stratégique.
Point n'est besoin de détailler les termes des discussions qui se sont déroulées ici même aux mois de mars, juin et décembre à l'occasion du débat d'orientation sur la politique de défense, du vote de la loi de programmation militaire et du vote du budget pour 1997.
Rappelons-nous simplement que la disparition de la menace militaire massive qui existait à 250 kilomètres de nos frontières a complètement remis en question la loi du nombre qui justifiait une armée de 550 000 hommes, et donc la nécessité de la conscription.
M. Emmanuel Hamel. La menace n'a pas disparu pour toujours !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Bien sûr, n'oublions pas tout ce que les appelés ont apporté et continuent d'apporter à la défense de notre pays. N'oublions pas l'admirable conscience professionnelle et humaine avec laquelle les militaires d'active les forment et les encadrent encore aujourd'hui. Le service national permet aux jeunes de donner le meilleur d'eux-mêmes, et je souhaite ardemment que le volontariat de défense prolonge cette tradition.
Désormais, la question de l'avenir du service national relève d'un débat de société.
A l'origine, l'armée de conscription était une réponse militaire à la loi du nombre, qui avait assuré la victoire de l'armée de masse prussienne en 1870. Mais il existe une différence fondamentale entre ces deux modèles d'armée inspirés par le besoin de recourir à des effectifs nombreux : l'armée de conscription à la française est aussi, est toujours, une armée citoyenne.
Comme l'école, la conscription universelle, personnelle et obligatoire instituée en 1905 est allée au-delà de sa fonction première pour assumer un rôle de formation du citoyen. Comme l'école, la conscription universelle, personnelle et obligatoire a mis en oeuvre ce fameux creuset républicain qui a fait de jeunes gens de toutes origines et de tous milieux des citoyens français.
Jamais l'identité de la France n'a été une donnée statique, transmise exclusivement par le droit du sang. Dans une nation formée par l'apport successif, au fil des siècles, des provinces annexées par les rois de France et par celui des étrangers installés sur notre sol, dans une République fondée par le pacte politique de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, cette identité est le fruit sans cesse renouvelé de la volonté de vivre ensemble.
Rappelons-nous, mesdames, messieurs les sénateurs, ce qu'écrivait Fustel de Coulanges en 1870 : « Ce qui distingue les nations, ce n'est ni la race, ni la langue. Les hommes sentent dans leur coeur qu'ils sont un même peuple lorsqu'ils ont une communauté d'idées, d'intérêts, d'affections, de souvenirs et d'espérances. Voilà ce qui fait la patrie. La patrie, c'est ce qu'on aime. Si l'Alsace est et reste française, c'est uniquement parce qu'elle veut l'être. »
M. Hubert Haenel. Merci pour l'Alsace !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Aujourd'hui, qu'est-ce que l'identité de la France ? Bien sûr les habitants des anciennes provinces, ceux des départements et territoires d'outre-mer, mais aussi les enfants français de ceux qui, tout au long du xxe siècle, sont venus d'ailleurs pour travailler sur notre sol ou oeuvrer au décollage économique des Trente Glorieuses. Vouloir le mettre en doute, c'est vouloir mutiler la nation.
Or, de nos jours, le modèle d'intégration républicaine est en crise. Les institutions qui assumaient traditionnellement un rôle de formation du citoyen, de brassage social et culturel, de creuset national se heurtent aux doutes et aux difficultés.
Ainsi en va-t-il du service national. Lorsqu'il répondait aux besoins militaires d'effectifs nombreux, le service national était universel et égalitaire. Dès que les besoins en effectifs sont allés s'amenuisant, le service national n'a plus été en mesure de remplir de manière aussi pertinente sa fonction sociale. Aujourd'hui - retenez ce chiffre - un jeune sur quatre n'effectue aucune forme de service national. Ce sont précisément ceux qui auraient le plus besoin d'intégration à la communauté nationale qui sont écartés du service national : 53 % de la population qui a le plus faible niveau scolaire en est exemptée, contre seulement 18 % des titulaires d'une licence ou d'un diplôme supérieur ; 50 % des illettrés sont exemptés. Quant au principe d'égalité, il est battu en brèche par la diversification des formes du service national.
Face à l'inadaptation stratégique du service national qui a motivé le passage à l'armée professionnelle, face à son inadaptation civique croissante, trois options étaient possibles : soit nous supprimions purement et simplement le service national, comme l'ont fait un certain nombre de pays tels les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la Belgique et les Pays-Bas ; soit nous options pour le service civil obligatoire ; soit nous instituions un nouveau service national.
Le débat qui s'est déroulé dans toute la France au sein des communes et des associations, les travaux tout à fait remarquables de la commission présidée par M. Xavier de Villepin au Sénat et de la mission d'information présidée par M. Philippe Séguin à l'Assemblée nationale ont permis de dégager les grandes lignes du présent projet de loi.
D'abord, ils ont fait clairement ressortir l'attachement de notre pays au service national, et la volonté de le rénover plutôt que de le supprimer.
Ensuite, ils ont, pour la première fois, permis au débat de sortir d'une alternative simpliste entre la notion d'obligation et celle de volontariat.
Compte tenu de la difficulté d'instaurer un service civil obligatoire en termes de définition des tâches, de capacité d'accueil des administrations et des associations et de respect du principe d'égalité, c'est un équilibre original entre universalité et liberté, devoir et responsabilité qui a émergé peu à peu.
C'est cette approche nouvelle qui a inspiré la décision du Président de la République de proposer un nouveau service national aux Français. C'est elle qui est au coeur du projet de loi que le Gouvernement soumet aujourd'hui à votre approbation.
Ainsi, notre pays concilie choix de l'armée professionnelle et ambition d'un nouveau service national. Ainsi, notre pays concilie nécessité stratégique et impératif civique, reprenant en cela la tradition de 1905 qui a développé en parallèle armée de masse et creuset républicain.
Vous l'avez bien compris, le nouveau service national est donc une manifestation résolument moderne de l'exception française.
A la veille de l'an 2000, la France, qui a inventé les droits du citoyen, doit imaginer un nouveau modèle de citoyenneté.
A la veille du xxie siècle, le pays qui a repoussé, en 1792, les armées ennemies au cri de « Vive la nation ! » se doit de renouveler le pacte républicain et de cultiver l'esprit de défense.
A la veille du troisième millénaire, la nation qui s'est façonnée autour de l'école obligatoire et de la conscription universelle se doit de refonder le service national.
Je souhaite ardemment que la France, avec ce nouveau service national, joue un rôle précurseur. La crise de la citoyenneté, l'interrogation sur l'avenir de la nation ne concernent pas seulement la France, elles concernent toutes les démocraties développées. Partout, l'existence d'un chômage élevé, la précarité de l'emploi, l'individualisme croissant et l'incertitude sur les valeurs obligent à une réflexion sur les fondements de la démocratie et du pacte social. Déjà, l'Italie, l'Espagne et le Portugal réfléchissent à la suppression du service militaire tel qu'il existe et aux moyens de garantir l'esprit de défense. Dans cette perspective, le nouveau service national français constitue une première passionnante dans l'immense travail de reconquête civique qui attend nos nations. (Exclamations sur plusieurs travées socialistes.)
Comme toute innovation, sa mise en oeuvre va demander modestie et pragmatisme. Je le dis à ceux qui semblent hésiter devant cette réforme : cela va effectivement nécessiter un certain nombre de réflexions, d'innovations et de retouches. Mais je n'ai jamais vu la France hésiter devant une innovation ou une expérience.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est que vous avez mal regardé !
M. Emmanuel Hamel. Il est des expériences négatives !
M. Charles Millon, ministre de la défense. C'est la raison pour laquelle j'appelle le Sénat à s'associer à cette innovation et à ne pas se complaire dans une nostalgie qui n'est plus d'époque.
Le service national que nous vous proposons constitue un projet réaliste et concret.
Réaliste et concret, car il est issu d'un dialogue avec les forces vives de la société civile et d'un travail interministériel approfondi.
C'est un projet réaliste et concret car il est préparé par des mois de réflexion pratique sur la mise en oeuvre.
C'est un projet réaliste et concret car le nouveau service national a vocation à être amélioré par l'expérimentation qui s'étendra sur plusieurs mois. C'est le choix du centre expérimental de rendez-vous citoyen de Mâcon qui doit ouvrir ses portes au mois de juin. C'est aussi le choix des centres de Nîmes-Tarascon ou de Compiègne, qui devront permettre la prolongation de cette expérimentation.
Chacun sait, pour avoir pris connaissance du projet de loi, que cette expérimentation doit se prolonger en 1998 et qu'elle aboutira à un système quasi définitif en 1999.
Le Gouvernement a pour impératif de tenir compte des remarques, des observations, des requêtes et des suggestions qui pourront être présentées à l'occasion de la mise au point de ce rendez-vous citoyen et de ce nouveau service national.
Trois éléments de nature différente composent le nouveau service national : le recensement, le rendez-vous citoyen et le volontariat.
Le recensement répond à la fois à un objectif militaire et à un objectif civique.
Il répond à un objectif militaire, car il garantit la faculté de recourir à nouveau à la conscription si un bouleversement stratégique radical venait à se produire.
Il répond à un objectif civique, car il constitue pour le jeune un véritable effet de miroir en lui renvoyant pour la première fois son appartenance à la communauté nationale et les devoirs qu'elle implique. Premier acte de citoyenneté, le recensement interviendra à la fin de la scolarité obligatoire, c'est-à-dire à seize ans. Elargi aux jeunes filles à partir de 2001, il donnera lieu à une information individuelle sur le rendez-vous citoyen.
Le recensement interviendra au terme de la scolarité obligatoire. Nous osons espérer que les intervenants du système éducatif saisiront cette occasion du recensement pour donner à leurs élèves une information civique sur la définition de la nation, des devoirs et des droits de tout citoyen dans la nation française.
M. Charles Descours. Très bien !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Le recensement sera un moment privilégié. En effet, il rappellera à tous les jeunes Français qu'ils font partie d'une histoire et qu'ils ont un destin à assumer.
A défaut d'être effectué, ce recensement donnera lieu à sanction. C'est ce dernier élément qui souligne le fait que le recensement est un acte non pas administratif, mais civique : il s'agit en effet du premier acte d'adhésion à une citoyenneté.
Comme le recensement, le rendez-vous citoyen fait partie du pôle obligatoire et universel du nouveau service national.
Visant à informer sur les droits et les devoirs découlant de l'appartenance à la communauté nationale, à renforcer la cohésion sociale et à promouvoir l'esprit de défense, le rendez-vous citoyen met en oeuvre une universalité sans précédent. En effet, aucun garçon français entre le 1er janvier prochain et le 1er janvier 2003, aucun jeune Français, fille ou garçon, à partir du 1er janvier 2003, ne pourra être exempté, réformé du rendez-vous citoyen ou bénéficier d'un report de ce dernier. C'est là le principe de l'universalité qui est à la base même de ce rendez-vous : l'absence d'exemption, de réforme ou de report permettra que tous les jeunes Français sans exception puissent se retrouver pendant quelques jours et retrouver ainsi les racines de leur nation, les racines de leur citoyenneté.
Ce principe d'universalité se double d'une volonté de brassage social qui sera concrétisé, durant les cinq jours du rendez-vous citoyen, par la constitution de groupes d'une vingtaine de jeunes. Chaque groupe, stable du début à la fin du rendez-vous citoyen, éprouvera sa responsabilité et sa solidarité au cours d'un certain nombre de « parcours collectifs ».
Le rendez-vous citoyen mise sur la densité, l'intensité et l'intérêt.
Se déroulant sur cinq jours, sans aucun temps mort, le rendez-vous citoyen débute par une phase de bilan personnel, se poursuit par une phase d'information civique et s'achève par une phase de présentation des volontariats.
Certains se sont interrogés sur la pertinence d'une telle durée.
Je l'ai dit et je le répète : d'une durée plus longue, le rendez-vous citoyen risquerait d'interrompre parcours scolaires, universitaires ou professionnels, de justifier alors dispenses et reports et, par là même, de remettre en cause son universalité.
Il risquerait aussi et surtout de se transformer en période d'activités, de préparation militaire sans consistance, dans le cas d'activités militaires complémentaires, ou de camp de plein air dépourvu de sens, dans le cas d'activités civiles. C'est la raison pour laquelle nous ne pensons pas que la durée puisse être prolongée, comme j'aurai l'occasion de le souligner à nouveau au cours du débat.
D'une durée plus brève, ce rendez-vous citoyen abdiquerait toute ambition civique pour reproduire étroitement le modèle de l'actuelle journée de sélection.
Pour susciter l'intérêt et l'adhésion des jeunes, c'est le recours aux méthodes les plus modernes d'évaluation et à une pédagogie civique active qui a été retenu. Cette dernière s'appuiera sur la participation à des débats avec des grands témoins et sur le partage d'un moment exceptionnel.
Enfin, le rendez-vous citoyen s'inscrit à la fois dans un parcours civique et dans un parcours d'insertion.
Il s'inscrit tout d'abord dans un parcours civique, car il est bien évident que cette période d'information civique, cette période de préparation au volontariat, ce bilan personnel offert à chaque jeune Française ou Français est non pas simplement un moment dans la vie d'un jeune, mais l'aboutissement d'un parcours civique engagé dans la famille, à l'école, dans la communauté de base, commune ou association.
Ce moment d'information et de sensibilisation doit être préparé par l'instruction civique dispensée à l'école, et le ministère de l'éducation nationale travaille actuellement à renforcer cet aspect essentiel de l'enseignement.
D'ailleurs, après avoir été préparé par l'éducation civique ou l'information civique, ce rendez-vous citoyen sera prolongé par un engagement citoyen que l'on appelle le volontariat.
Ce rendez-vous citoyen n'est donc ni une fin ni un début ; il est simplement une étape dans un parcours civique.
Mme Hélène Luc. Mais c'est insuffisant !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Le premier aspect de ce parcours civique sera constitué par une pédagogie de ce que signifie, aujourd'hui, être citoyen et par une présentation des valeurs de la République. Le Haut conseil du service national veillera à leur affirmation et au respect des principes de neutralité et de laïcité de l'Etat.
Le second aspect de ce parcours civique sera une sensibilisation aux grands enjeux de défense.
Il est en effet essentiel de rappeler aux générations qui n'ont jamais connu que la paix à quel point la tranquillité, la prospérité et la démocratie sont des conquêtes fragiles, toujours susceptibles d'être menacées. Il est indispensable d'insister sur les efforts et les sacrifices que suppose la défense de notre pays, et sur l'élan que doit susciter la patrie si elle venait à être en danger.
C'est pourquoi le ministère de la défense prendra un rôle majeur dans le déroulement, l'organisation et l'encadrement du rendez-vous citoyen. Ce dernier constitue en effet une occasion privilégiée de cultiver le lien entre l'armée et la nation, entre l'armée et la jeunesse. Ceux qui servent la défense de notre pays doivent pouvoir témoigner de la force et du sens de leur engagement. Ils doivent pouvoir susciter, à travers la présentation des volontariats de défense, adhésion et vocations. Ils doivent pouvoir inciter la jeunesse à adhérer et à participer à l'effort de défense.
Certains d'entre vous avaient souhaité, lors du débat sur la réforme du code de la nationalité, que l'acquisition de la nationalité française fît l'objet d'une cérémonie solennelle marquant l'engagement du citoyen envers la nation, son acceptation des droits et des devoirs. Ce que nous proposons aujourd'hui relève de la même inspiration. Au terme du rendez-vous citoyen, un brevet du citoyen sera remis à chaque jeune. Ce sera là l'illustration de l'acte d'adhésion au pacte républicain, la confirmation de l'appartenance à une communauté nationale.
Comme vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, le rendez-vous citoyen s'inscrit donc dans un parcours civique. Il doit être un moment fort dans la vie citoyenne. Il doit permettre aux jeunes Français, filles et garçons, de prendre conscience des efforts et des sacrifices consentis par les anciens au profit de la communauté nationale, ainsi que des droits et des devoirs qu'ils doivent assumer pour être à la hauteur non seulement de leur histoire, mais aussi de leur avenir.
Le rendez-vous citoyen s'inscrit également dans un parcours d'insertion.
Il existe, aujourd'hui, un véritable problème d'insertion en France. Jamais les conditions d'entrée dans la vie active n'ont été aussi difficiles, jamais l'effort à fournir pour s'adapter aux nouvelles réalités n'a été aussi important. Contrairement à nos générations qui disposaient d'un certain nombre de repères et de perspectives claires en ce qui concerne le monde professionnel, le premier emploi, l'installation, le niveau de vie, les jeunes Français doivent trouver leur voie dans un univers en pleine mutation. Pour les plus fragiles, comme les 80 000 jeunes qui sortent sans diplôme du système scolaire, sans parler des 17 % de jeunes gens qui sont reconnus illettrés à l'issue de l'actuelle période de trois jours, la marginalisation est une véritable menace.
C'est pourquoi le Gouvernement a décidé de faire du rendez-vous citoyen l'occasion d'une deuxième chance offerte à toutes les jeunes Françaises et à tous les jeunes Français, qui pourront alors la saisir. Le bilan personnel dans le domaine médical, culturel et professionnel offert à chaque jeune est une chance unique de repérer les handicaps, l'illettrisme, les difficultés scolaires ou sociales. Il permettra de proposer à ceux qui en auront besoin d'entrer dans un véritable parcours individuel d'insertion, et je tiens à ce propos à saluer la contribution remarquable apportée à ce projet, grâce à son expérience de terrain, par mon collègue Xavier Emmanuelli.
Ainsi, le rendez-vous citoyen contribuera à lutter contre les trois grands risques auxquels est confronté notre pays.
Le premier risque est de voir la nation devenir un lieu vide, et la devise républicaine un slogan sans consistance.
M. Jean-Luc Mélenchon. Cela en prend le chemin !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Le deuxième risque est que la nation soit dénaturée par ceux qui prônent l'identité par l'exclusion, le repli sur soi et la peur des autres.
Enfin, le troisième risque, c'est l'enfermement dans une image passéiste.
Je commencerai en premier lieu par le risque que la nation devienne un lieu vide et la devise républicaine un slogan sans consistance.
A l'heure de l'individualisme, il est urgent de redonner du sens au principe de liberté.
M. Jean-Luc Mélenchon. Oui !
M. Jean-Luc Bécart. Eh oui !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Et, puisque certains ont l'impression que nous allons dans ce sens, je leur demande de faire preuve d'innovation et de nous présenter des suggestions, des propositions. Je suis prêt, en effet, à les écouter.
Il faut rappeler aux jeunes que l'exercice de la liberté suppose la responsabilité. Il faut réinscrire la liberté dans une perspective citoyenne, dans une pédagogie des droits et des devoirs.
A l'heure de l'exclusion et de la précarité, il est urgent de redonner de la substance au principe d'égalité. Le fossé entre un discours égalitariste immuable et des inégalités croissantes n'est plus supportable.
M. Jean-Luc Mélenchon. Sur le plan social aussi, c'est clair ! Mais cela vous chagrine moins !
M. Charles Millon, ministre de la défense. C'est donc une véritable égalité des chances que nous devons aujourd'hui promouvoir.
A l'heure de la démagogie et de la montée de l'intolérance, il est urgent de redonner des couleurs à l'idéal de la fraternité. Rappeler l'importance des principes de laïcité et de respect de l'autre, souligner la nécessité des valeurs de civilité est aujourd'hui un impératif civique.
A M. Mélenchon, qui a l'air d'être choqué, je dis qu'il ne me paraît pas anormal que, durant cinq jours de la vie d'un jeune, il y ait un moment fort où l'on puisse rappeler ces principes.
M. Charles Descours. Très bien !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Je le regrette, mais, aujourd'hui, les moments où les jeunes peuvent avoir ce type de rendez-vous civique ne sont pas nombreux. C'est la raison pour laquelle il me paraît souhaitable, nécessaire et même indispensable que la nation puisse donner l'occasion à la jeunesse de France de se retrouver, de retrouver son histoire mais aussi ses principes et ses devoirs.
M. Jean-Luc Mélenchon. Entre votre discours et ce que vous faites, il n'y a rien à voir !
Mme Hélène Luc. Pour si peu de temps, cela perd sa signification !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Madame Luc, des manifestations sont actuellement organisées tous les jours dans la rue - à juste titre, car je suis personnellement tout à fait pour le droit de manifester - pour défendre un certain nombre de valeurs...
Mme Hélène Luc. Exactement !
M. Charles Millon, ministre de la défense. ... mais je pense qu'il serait préférable que, durant cinq jours de sa vie, un citoyen ait la possibilité de se replonger dans son histoire.
M. Emmanuel Hamel. Cinq jours !
Même pas une semaine !
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est trop court !
M. Charles Millon, ministre de la défense. C'est peut-être trop court, monsieur Mélenchon, mais je suis le premier à avoir proposé cette opération pour répondre aux suggestions du Président de la République !
Avant, on avait laissé le système s'enfermer sur lui-même et se bloquer complètement et, aujourd'hui, vous êtes un certain nombre à vous mettre de la cendre sur la tête ou à vous déchirer les vêtements par rapport à la montée de l'intégrisme ou de l'intolérance !
Personnellement, je propose une voie pour lutter contre l'intégrisme et l'intolérance. Au moins, ne dites pas que c'est trop court, et ne jetez pas le bébé avec l'eau du bain ! Acceptez cette expérience, et essayez de la mener à bien, c'est tout ce que je vous demande ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Jean-Luc Mélenchon. On ne fait pas d'expériences avec la République !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Monsieur Mélenchon, on ne laisse pas la République à la porte ! C'est la raison pour laquelle, aujourd'hui, je pense qu'il faut remettre la République au centre de la vie citoyenne de nos jeunes Français.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ce n'est pas ce que vous faites !
M. Claude Estier. C'est vous qui êtes au gouvernement !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Absolument ! Et nous prenons toutes nos responsabilités ! D'autres, en revanche, ne les ont pas prises car, après la guerre du Golfe, il était évident qu'il convenait de réformer l'armée. Certains n'ont pas voulu prendre cette responsabilité parce qu'ils avaient peur de leur ombre ou du qu'en-dira-t-on. Nous, nous prenons nos responsabilités...
Mme Hélène Luc. L'exemple de la guerre du Golfe est mauvais !
M. Charles Millon, ministre de la défense. ... et nous rétablissons un service national qui soit à la hauteur de l'histoire de la France. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Oui, nous avons le courage de réaffirmer avec force les valeurs de la République. Il n'est plus possible de répondre à la banalisation de certains discours par la passivité ou le relativisme généralisé.
M. Charles Descours. Exactement !
M. Charles Millon, ministre de la défense. La République est un Etat de droit qui suppose le respect de ses principes et l'adhésion aux valeurs qui la fondent.
Pour lutter contre la tentation de ceux qui cherchent à dénaturer la nation, il faut promouvoir une certaine idée de la France, une France généreuse, courageuse, entreprenante, dans un monde marqué par l'apparition de nouvelles technologies ou l'émergence de nouveaux marchés.
Il faudra bien qu'il y ait des lieux, des temps, des moments, des instants où s'établisse, en réalité, un contact entre celles et ceux qui ont à transmettre une richesse ou un patrimoine et ceux qui doivent le recevoir.
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous supprimez la conscription !
M. Charles Millon, ministre de la défense. C'est la raison pour laquelle nous proposons le rendez-vous citoyen, car il est montré que la conscription - vous ne m'avez pas écouté, monsieur Mélenchon, aussi vais-je le répéter - ne remplit plus son rôle aujourd'hui puisque l'on exempte tous les marginaux, tous ceux qui ont le plus de difficultés et que l'armée n'est plus capable d'assurer deux fonctions à la fois, la fonction opérationnelle et la fonction éducatrice.
M. Charles Descours. Très bien !
Mme Hélène Luc. C'est un aveu de faiblesse !
M. Charles Millon, ministre de la défense. C'est la raison pour laquelle, monsieur Mélenchon, il ne peut y avoir d'un côté une armée d'instruction et d'un autre côté une armée opérationnelle.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est du discours, tout cela !
M. Alain Richard. Oui, en effet !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Le troisième risque qui menace la nation, c'est l'enfermement dans une image passéiste. C'est ce que je redoute si jamais l'on suivait votre proposition.
Pour conjurer ce risque, nous devons être des républicains de notre temps.
M. Jean-Luc Mélenchon. Oui !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Il ne s'agit pas, aujourd'hui, de s'abandonner à l'illusion de maintenir, contre vents et marées, l'école des hussards noirs et l'armée des pantalons garance. Il s'agit de reconstuire un modèle républicain qui puisse passer le cap du siècle prochain.
M. Jean-Luc Mélenchon. Tout cela pour mettre en place une armée de mercenaires !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Le chemin qui mène à une citoyenneté active ne peut naturellement se limiter à cette phase de sensibilisation et d'information que constitue le rendez-vous citoyen. Celui-ci doit trouver des prolongements dans des engagements qui peuvent être multiples, et fort différents.
Celui que la nation propose à sa jeunesse, c'est le volontariat, car il vaut mieux un volontariat assumé qu'une obligation subie.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est une notion anglo-saxone, pas une notion républicaine !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Le volontariat ne relève pas d'une approche étatique classique, mais d'une conception résolument moderne de la citoyenneté.
Sécurité et défense, cohésion sociale et solidarité, coopération internationale et action humanitaire, ce sont les trois domaines dans lesquels les jeunes Français de dix-huit à trente ans pourront choisir de servir la communauté nationale durant plusieurs mois.
Le volontariat « sécurité et défense » permettra d'entretenir de manière concrète le lien armée-nation, et de maintenir la relation forte qui doit exister entre l'armée et la jeunesse.
Le volontariat « cohésion sociale et solidarité » donnera l'occasion à la jeunesse de France d'exprimer sa générosité en répondant utilement à des besoins réels de la communauté nationale dans les banlieues, dans les associations d'aide aux plus marginalisés ou à ceux qui sont dans les situations les plus difficiles.
M. Jean-Luc Mélenchon. Qu'est-ce que cela a à voir ?
M. Charles Millon, ministre de la défense. Cela a à voir, évidemment, avec l'affirmation de la nation, car la nation est constituée de droits et de devoirs entre chaque citoyen ; elle ne se résume pas seulement à une mobilisation militaire par rapport à un ennemi extérieur.
Aujourd'hui, la principale menace pour la nation n'est pas extérieure, mais elle est intérieure. L'intolérance, l'intégrisme, l'exclusion, le rejet de l'autre...
M. Claude Estier. La loi Debré, par exemple !
M. Charles Millon, ministre de la défense. ... le repli sur soi sont, en fait, le principal ennemi de la nation et si, aujourd'hui, nous proposons les volontariats « sécurité défense » et « cohésion sociale et solidarité », c'est pour pouvoir lutter contre cette menace et permettre à la nation de rester la nation...
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est l'Etat boy-scout !
M. Charles Millon, ministre de la défense. ... et à la France de rester la France. (Applaudissement sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est une armée de dames patronesses que vous nous proposez !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Le volontariat « coopération internationale et action humanitaire »...
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est l'armée du salut, votre armée !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Je vous laisse la responsabilité des mots que vous utilisez, monsieur Mélenchon, et j'espère que la presse pourra souligner que vous avez dit aujourd'hui que ce que nous proposons c'est en réalité la charité organisée ou l'armée du salut.
M. Jean-Luc Mélenchon. Oui, et je le soutiendrai tout à l'heure à la tribune ! J'accepte très volontiers que la presse en fasse état !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Je vous laisse la responsabilité de vos propos, monsieur Mélenchon.
Personnellement, je crois en la nation, en la République.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Je vois aujourd'hui un certain nombre de menaces apparaître et je constate simplement que, depuis quinze ans, dix ans ou cinq ans, personne n'a cherché à les combattre véritablement. Personne n'a essayé de trouver des lieux, des structures, des temps, des moments où l'on aurait pu juguler ces menaces.
Très modestement, d'une manière pragmatique, expérimentale, innovatrice, je propose un lieu et un moment où la jeunesse de France pourra se retrouver,...
Mme Hélène Luc. Cinq jours !
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous vous moquez du monde !
M. Charles Millon, ministre de la défense. ... reconnaître l'autre, voir en réalité que le Français d'origine étrangère est un Français comme lui, que le Français d'une autre origine sociale est un Français comme lui.
M. Jean-Luc Mélenchon. Heureusement, il n'attend pas ces cinq jours pour le faire : cela se passe déjà ainsi à l'école tous les jours ! Gardez vos prêches pour vous !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Je comprends que M. Mélenchon soit déçu de n'avoir pas eu lui-même l'idée d'une telle proposition !
M. Jean-Luc Mélenchon. Pas du tout ! Je m'en voudrais de défendre une ineptie pareille !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Je dirai simplement que je préfère être à l'origine d'une proposition plutôt que d'être tout le temps à l'origine d'une critique.
M. Charles Descours. Très bien !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Le volontariat relève donc non pas d'une approche étatique, mais d'une conception moderne de la citoyenneté.
Quant au volontariat « coopération internationale et aide humanitaire », il répond à la volonté du Gouvernement d'encourager les jeunes Français à s'expatrier, à découvrir la vie à l'étranger et l'intérêt qu'il y a à participer au rayonnement de la France.
M. Claude Estier. Les Français à l'étranger, mais pas les étrangers en France !
M. Charles Millon, ministre de la défense. S'il est une bonne méthode, monsieur Estier, pour pouvoir affirmer la nation par rapport à soi-même et par rapport aux autres, c'est bien en étant capable de porter les couleurs de la France en dehors de ses frontières en défendant les valeurs de son pays ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Vous êtes en train de démontrer que ce projet vous gêne. Personnellement, je serais tenté de m'en féliciter, parce que vous êtes en train de devenir les nostalgiques, les conservateurs, les sclérosés d'une structure complètement dépassée...
M. Jean-Louis Carrère. Parlons-en !
M. Charles Millon, ministre de la défense. ... et je préfère faire partie des novateurs et de ceux qui défrichent l'avenir !
M. Jean-Claude Carle. C'est vrai !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Aucun de ces trois types de volontariat, même ceux qui relèvent de l'Etat, ne correspond à une formule administrative et mécanique. C'est un élan qui déborde le cadre des droits et des devoirs juridiques ; c'est une affirmation de soi au service de la communauté nationale, une démarche singulière qui rejoint l'intérêt collectif.
M. Jean-Louis Carrère. C'est du rêve !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Cette innovation bouscule une tradition profondément ancrée en France. En effet, pour avoir, historiquement, inventé l'Etat nation, notre pays a du mal à distinguer l'Etat de la nation. Pourtant, Etat et nation sont de nature différente.
L'Etat est essentiellement, comme le définit Carré de Malberg, une puissance d'action, de commandement et de coercition. Il est également le garant de l'intérêt général.
La nation, pour sa part, est le coeur battant d'une communauté d'hommes, le lien vivant qui tisse une solidarité spontanée entre compatriotes, la mémoire d'un destin partagé mêlée à un élan collectif vers l'avenir.
Avec le volontariat, ce n'est plus en termes d'obligation que nous raisonnons ; c'est un geste d'adhésion à la nation, une manifestation de responsabilité librement consentie que nous rendons possible ; c'est à la tradition du volontariat républicain symbolisée par les soldats de l'an II, mais aussi par les résistants de 1940-1945 ; c'est à la tradition d'un patriotisme spontané pour défendre la patrie en danger que nous nous référons.
Il appartient autant aux associations et aux entreprises qu'à l'Etat de porter ce projet. C'est parce que les forces vives de notre pays se l'approprieront qu'il sera national et qu'il vivra, et non parce que l'Etat interviendra quotidiennement.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est une armée d'opéra ! Il ne manque que les sponsors !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Loin d'être seulement des auxiliaires de l'Etat, comme c'est le cas avec les formes civiles du service national actuel, les organismes d'accueil devront définir et proposer eux-mêmes aux volontaires des projets attractifs et des activités enthousiasmantes.
Certes, accueillir un jeune volontaire, c'est bousculer des habitudes. Certes, encadrer un jeune volontaire, c'est connaître un certain nombre de difficultés, de soucis. Certes, faire participer un jeune volontaire à l'objet même de l'association suppose imagination, innovation et adaptation, mais c'est une chance unique d'éviter la routine et l'institutionnalisation, de diffuser et d'enraciner dans l'administration le mouvement associatif ou l'entreprise, la dimension civique d'un engagement.
Bien sûr, de son côté, l'Etat assumera pleinement ses responsabilités.
Tout d'abord, il sera le garant des missions d'intérêt général et des principes républicains, parmi lesquels figurent la neutralité et la laïcité. C'est tout l'objet du Haut conseil du service national, qui devra s'assurer du respect de ces principes dans tous les types de volontariat.
Ensuite, l'Etat offrira, dans les volontariats qui dépendront directement de lui, comme le volontariat militaire, la possibilité de prolonger cette première approche par une expérience professionnelle.
Enfin, l'Etat prendra en charge la protection sociale des volontaires accueillis par des associations.
Mais, ce que met également en jeu le volontariat, c'est une forme de réciprocité entre le citoyen et la nation.
D'abord, parce que l'engagement au service de la communauté nationale devient une des formes de la construction personnelle, à travers la richesse de l'expérience acquise, le fait d'éprouver son appartenance à la nation, l'apprentissage de la confiance en soi.
Ensuite, parce que la nation doit exprimer au volontaire, quel que soit son champ d'activité, une forme de reconnaissance. J'aurai d'ailleurs l'occasion de revenir sur cet aspect en répondant à vos interventions, car il me paraît nécessaire de mettre en oeuvre des formes de reconnaissance pour celles et ceux qui accepteront de consacrer un certain nombre de mois au service de la collectivité nationale et de l'intérêt général. Il conviendra d'apprécier les modalités concrètes du volontariat, qui constitue, à nos yeux, un projet essentiel pour la nation.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en vous demandant d'approuver ce projet de loi - vous l'avez bien compris, étant donné les interruptions dont a été émaillé mon propos - ce n'est pas à un exercice législatif courant que le Gouvernement vous convie.
Ce texte, essentiel, s'inscrit dans une réforme qui, annoncée le 22 février 1996 par le Président de la République, comporte un certain nombre de volets.
Au nombre d'entre eux, je citerai le passage d'une armée de conscription à une armée professionnelle ; vous l'avez voté avec la loi de programmation militaire. Je citerai aussi l'accompagnement de cette professionnalisation, vous l'avez voté avec un certain nombre de mesures spécifiques. Je citerai encore la réflexion qui est menée aujourd'hui sur les réserves, dont vous aurez l'occasion d'être saisis durant les mois qui viennent, car, compte tenu de l'évolution des menaces, il est absolument indispensable de mettre en oeuvre des réserves. Je citerai enfin la réforme du service national, qui ne correspond plus aujourd'hui à une mobilisation citoyenne.
Je le disais, l'exercice législatif auquel vous convie aujourd'hui le Gouvernement n'est pas courant. C'est un geste d'affirmation citoyenne, un geste de confirmation républicaine qu'il vous demande d'accomplir.
En effet, il y a urgence.
Hier, c'était un régime totalitaire, appuyé sur une énorme puissance militaire, qui constituait la principale menace contre notre territoire et contre notre démocratie. L'armée de conscription nous a permis, et je lui rends hommage, avec la force de dissuasion, d'y faire face.
Aujourd'hui, cette menace s'est dissipée, comme le constatent unanimement tous les experts, tous les spécialistes. C'est désormais de l'intérieur que viennent les principales menaces contre notre pays.
Mesdames, messieurs les sénateurs, n'entendez-vous pas, aujourd'hui, des idéologies pernicieuses, affirmant l'inégalité des races, attaquer les fondements de la République ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, ne voyez-vous pas certains maires fouler aux pieds les principes de la République en prônant le racisme, la discrimination et l'exclusion ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, ne sentez-vous pas le communautarisme appeler au rejet de l'autre et au repli sur soi ? Ne sentez-vous pas l'intégrisme s'en prendre à la laïcité et à l'Etat de droit ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, rappelez-vous que la France n'a jamais été la France quand elle a renié ses valeurs universelles,...
M. Jean-Louis Carrère. Même au Sénat !
M. Charles Millon, ministre de la défense. ... quand elle a refusé son identité tissée, au cours des siècles, par la diversité des origines et des religions,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Votre remarque vous honore !
M. Charles Millon, ministre de la défense. ... quand elle a bafoué son patrimoine, abdiqué son exception de patrie des droits de l'homme.
Vous l'avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, il est urgent, aujourd'hui, d'affirmer avec force les valeurs de la République, « sans distinction d'origine, de race ou de religion ».
M. Pierre Laffitte. Très bien !
M. Charles Millon, ministre de la défense. C'est, aujourd'hui, l'une des expressions essentielles de l'esprit de défense.
Il est urgent de remettre en marche, de revaloriser le creuset républicain. Il est urgent de prévenir l'éclatement de la nation en renouvelant le pacte républicain.
Hier, l'école et le service militaire ont façonné la République.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ce n'est pas la loi Debré aujourd'hui !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs, en approuvant le projet de nouveau service national, vous donnerez à la France un des lieux d'intégration du siècle prochain.
M. Jean-Louis Carrère. Cela ne servira à rien !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Vous instituerez, grâce au rendez-vous citoyen, une façon moderne de cultiver l'attachement à la patrie. Vous inventerez, grâce au volontariat, de nouvelles formes d'engagement civique.
M. Jean-Louis Carrère. Millon à l'Intérieur !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Ainsi, vous permettrez à la République d'aborder avec confiance les défis du XXIe siècle. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Emmanuel Hamel. Vous mésestimez les périls extérieurs !
(M. Jacques Valade remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Serge Vinçon, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous réunit aujourd'hui tire les conséquences de choix auxquels la Haute Assemblée a très largement participé au printemps dernier, sous la présidence de M. de Villepin.
Notre contribution au débat sur l'avenir du service national, lancé par le Président de la République en février 1996, s'est traduite, en mai dernier, par l'élaboration d'un rapport constatant l'inadaptation du service national hérité de la IIIe République aux besoins de sécurité de l'après-guerre froide. Ce rapport confirmait également le caractère inévitable de la professionnalisation de nos forces et prenait parti en faveur d'un service volontaire, assorti du maintien d'une obligation légale de quelques jours, dénommée par la suite « rendez-vous citoyen ».
Au printemps 1996, la loi de programmation constituait la première traduction législative de ces propositions. Après le vote, à l'automne dernier, de la loi sur la professionnalisation, il restait à traduire dans notre législation le choix d'un service volontaire et la création du rendez-vous citoyen. Tel est l'objet du présent projet de loi, dont je tiens à souligner le caractère novateur et audacieux.
M. Maurice Lombard. Très bien !
M. Serge Vinçon, rapporteur. La formule vers laquelle s'oriente notre pays ne connaît, en effet, aucun précédent. Il s'agit d'un système totalement inédit, j'ai envie de dire « révolutionnaire » : tout en faisant le choix d'une armée professionnelle, la France maintient entre la jeunesse et la nation un lien original attestant une conception solennelle de la citoyenneté. Les jeunes pourront désormais, en vertu d'une démarche personnelle et volontaire, et non plus en vertu d'une obligation légale, concrétiser, pendant quelques mois, leur souci de dévouement à la collectivité. Ils auront préalablement, au cours du rendez-vous citoyen, été sensibilisés aux droits et aux devoirs qu'implique l'exercice de la citoyenneté ainsi qu'aux enjeux de la défense.
Cette formule innovante tire les conséquences d'une préoccupation qui s'est fréquemment exprimée au cours du débat national lancé par le chef de l'Etat sur la réforme du service national.
En dépit des déviations regrettables, et bien connues, du service national obligatoire, nos compatriotes auraient jugé imprudent de supprimer tout lien entre l'armée et la nation. Le rendez-vous citoyen a précisément pour objet de permettre de sauvegarder une forme de lien entre l'armée et la jeunesse et de constituer une assurance contre la montée éventuelle d'un péril, en garantissant que l'administration du service national conserve les compétences nécessaires à une remontée en puissance de la conscription.
Je reviens un instant sur le caractère inédit de la réforme dont nous débattons. Il est, en effet, tentant d'interpréter celui-ci à l'aune des filiations certaines qui existent entre le système actuel et le futur service national. Les points communs entre les deux systèmes sont, en effet, évidents. Le nouveau service national reposera, comme aujourd'hui, sur le recensement. Dans le même esprit, le rendez-vous citoyen peut être interprété comme une forme dérivée des « trois jours ». Quant au volontariat, il procède des modalités actuelles d'accomplissement du service national - armées, coopération, aide technique, protocoles - simplement dépourvues d'obligation légale.
Les choses sont, en réalité, moins évidentes et l'analyse des filiations ne résiste pas à une lecture plus poussée du projet de loi.
Le recensement conserve, certes, son caractère de démarche administrative. Il revêt néanmoins une importance nouvelle dans l'accession des jeunes à la citoyenneté, dont témoigne la disposition du projet de loi permettant à un mineur de faire supprimer de son casier judiciaire la fiche concernant un jugement d'admonestation, sur présentation du document sanctionnant l'accomplissement du recensement : celui-ci manifeste donc la volonté du jeune de s'insérer dans la société.
Le rendez-vous citoyen est, certes, une institution inspirée des « trois jours ». Du moins est-ce dans cette logique qu'il a été imaginé au printemps dernier. Le rendez-vous citoyen tel qu'il résulte du présent projet de loi présente toutefois des caractéristiques différentes des « trois jours », dès lors qu'il relève d'une logique indépendante de la sélection des jeunes. N'ayant pas sa raison d'être dans la sélection des futurs appelés, le rendez-vous citoyen peut notamment trouver sa place dans un dispositif d'aide aux jeunes les plus vulnérables menacés par l'exclusion.
Le volontariat ne saurait être durablement comparé aux modalités du service national actuel, non seulement en raison de la suppression de l'obligation légale, mais aussi parce qu'il s'agira d'une activité résolument spécifique - ni bénévolat ni activité professionnelle - assortie d'un statut original et d'avantages particuliers.
J'ai volontairement insisté sur les substantielles innovations contenues dans le projet de loi portant réforme du service national, pour montrer qu'il est inutile d'aborder avec la nostalgie du passé une réforme aussi originale. L'Assemblée nationale a toutefois eu raison d'inscrire expressément, dans le texte du futur code du service national qui s'imposera à partir de la classe 1999, la possibilité d'une remise en vigueur de la conscription. Si l'avenir doit être abordé sans nostalgie, il ne doit pas l'être avec une insouciance coupable.
J'en viens maintenant aux propositions formulées par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Ces propositions sont motivées non seulement par la nécessité d'atténuer la portée de dispositions inspirées par une inutile nostalgie du passé, mais aussi par un souci de pragmatisme lié au caractère novateur de la réforme entreprise et par la conviction que bien des aspects de cette réforme doivent être expérimentés avant d'être inscrits dans la législation.
L'une de ces propositions vise à renforcer le lien entre rendez-vous citoyen et armées, sans toutefois remettre en cause le caractère non militaire du rendez-vous citoyen. Il s'agit d'inscrire explicitement dans la future loi que le rendez-vous citoyen a pour objet de présenter aux jeunes non seulement les différentes formes de volontariat mais aussi les perspectives d'engagement offertes par les forces professionnelles et par les forces de réserve. Par cette modeste retouche pourrait être resserré le lien entre les armées professionnelles et la jeunesse, dans le but de favoriser la diversification du recrutement de nos armées.
Une autre proposition vise à revenir sur le devoir de défense, inscrit dans le projet de loi par l'Assemblée nationale.
D'une part, la commission a jugé paradoxal de soumettre tous les citoyens à l'« obligation de concourir à la défense de la France » au moment où notre pays fait le choix de l'armée professionnelle.
D'autre part, il paraît contestable de dire que « cette obligation s'exerce notamment dans le cadre du service national », car le volontariat militaire n'est qu'un aspect parmi d'autres du futur volontariat et parce que le rendez-vous citoyen est rigoureusement étranger à une formation militaire.
C'est pourquoi la commission propose de reformuler cette affirmation relative au devoir de défense en évoquant de préférence la notion « d'esprit de défense », pour souligner que le nouveau service national doit contribuer à former cet esprit de défense.
Dans un souci de pragmatisme, la commission a estimé préférable d'éviter de figer dans la future loi certains aspects de la réforme du service national qui doivent préalablement être validés par l'expérience.
La commission propose donc de modifier l'article du projet de loi définissant l'objet du rendez-vous citoyen, de manière à étendre explicitement celui-ci aux expériences qui seront conduites en faveur des jeunes en difficulté. En conséquence, la commission a pris le parti de supprimer deux dispositions du projet de loi, celle qui traite du « médiateur-citoyen » et l'article relatif aux prolongements du rendez-vous citoyen qu'il est envisagé de proposer aux jeunes en difficulté, en vue de la détermination d'un parcours individuel d'insertion. La commission, tout en étant convaincue qu'il ne faut éliminer aucune contribution du rendez-vous citoyen au problème posé par l'exclusion des jeunes, a estimé préférable, pour le moment, de laisser la place à l'expérience dans un domaine où, en raison de la nouveauté totale du futur dispositif, tout est à faire.
Plus particulièrement, la question que nous nous sommes posée est de savoir s'il convient de donner une existence légale aux médiateurs-citoyens, institution à ce jour caractérisée par des incertitudes, qu'il s'agisse des modalités de recrutement ou du statut.
Dans le même esprit, la commission a estimé qu'il était opportun d'éviter de figer dans la future loi la durée du service national.
En ce qui concerne la durée du rendez-vous citoyen, il convient de garantir que celle-ci ne dépasse pas les cinq jours prévus par le projet de loi, ne serait-ce que parce qu'une durée plus longue induirait des coûts de nature à compromettre l'équilibre financier sur lequel repose la professionnalisation, qui demeure l'objectif prioritaire à atteindre rapidement. La commission propose donc de modifier l'article du projet de loi relatif à la durée du rendez-vous citoyen.
En ce qui concerne la durée du volontariat, il paraît préférable, à l'intérieur de la fourchette de neuf à vingt-quatre mois définie par le projet de loi, de laisser au pouvoir réglementaire la faculté, pour certaines activités, de préciser une durée minimale justifiée, le cas échéant, par les caractéristiques de l'organisme d'accueil. Il ne semble donc pas opportun d'inscrire dans la loi portant réforme du service national l'obligation, pour les jeunes intéressés par le volontariat « défense, sécurité et prévention », de souscrire un volontariat de douze mois au moins. Je vous proposerai donc de supprimer cette disposition introduite par l'Assemblée nationale.
Cette durée minimale de douze mois pourrait s'avérer contre-productive pour les armées elles-mêmes, en les obligeant à financer pendant un an des volontaires dont la mission pourrait être accomplie en neuf ou dix mois.
Notre commission a également reformulé le contenu du volontariat « défense, sécurité et prévention », de manière à assurer que les volontariats accomplis dans ce cadre auront un lien direct avec la défense, la sécurité et la prévention, et à limiter ce volontariat aux armées, à la police, à la gendarmerie, aux douanes et à la sécurité civile.
La commission propose aussi de revoir la définition du volontariat « cohésion sociale et solidarité », en s'en tenant à un critère général de « missions d'utilité sociale », qui autorise une interprétation plus large des activités pouvant être confiées aux volontaires.
D'autres propositions visent à renforcer l'attractivité du volontariat en réintroduisant dans la loi la possibilité de fractionnement, non seulement parce que cette formule convient à nos armées - elles la proposeront à des jeunes hautement qualifiés ; pour prendre la place des actuels scientifiques du contingent - mais aussi parce qu'elle s'intègre bien dans un cursus universitaire et peut ainsi séduire les étudiants.
Notre commission a jugé qu'il était important de limiter les contraintes pouvant résulter du volontariat pour les employeurs, en autorisant ceux-ci à refuser un congé pour volontariat du service national si ce congé peut nuire à la marche de l'entreprise. Cette faculté est inspirée des dispositions du code du travail relatives au congé de solidarité internationale.
La commission s'est également interrogée sur la situation des Français de l'étranger à l'égard du rendez-vous citoyen. Cette question est difficile à résoudre car, s'il convient de ne pas introduire de différence de traitement qui ferait de nos compatriotes établis à l'étranger des Français dotés d'un statut différent, soumettre les jeunes Français au rendez-vous citoyen dans les conditions de droit commun poserait à l'inverse un problème sans doute insoluble, essentiellement du fait de la prise en charge du transport. Comment assurer l'égalité sur ce point avec les Français vivant en métropole ?
La commission propose donc de reformuler l'article qui traite du cas des Français de l'étranger et de se fonder sur un décret spécifique ouvrant la possibilité de faire accomplir aux Français de l'étranger, qui sont pour 90 % des résidents permanents, un rendez-vous citoyen adapté à la fois à leur situation particulière et aux moyens de nos postes diplomatiques et consulaires.
S'agissant des binationaux ne résidant pas en France et des étrangers accédant à la nationalité française et ayant déjà accompli le service national dans leur pays d'origine, notre commission propose de dispenser ces catégories de l'obligation du rendez-vous citoyen en leur laissant la faculté d'accomplir celui-ci, s'ils le souhaitent. Nous sommes ainsi en conformité avec les conventions bilatérales souscrites par la France.
La commission s'est longuement interrogée sur les difficultés liées à la définition des activités des volontaires, essentiellement du fait de la référence aux activités non nécessaires au fonctionnement normal de l'organisme d'accueil qui figure dans le projet de loi. Elle a estimé que la définition retenue pour l'article L. 121-7 du futur code du service national poserait le dilemme suivant : soit l'organisme d'accueil confierait aux futurs volontaires des activités actuellement confiées aux appelés du contingent et prendrait donc le parti de ne pas respecter la loi ; soit l'organisme d'accueil s'en tiendrait au respect du futur code du service national et proposerait aux volontaires des activités qui, non « nécessaires à son fonctionnement normal », pourraient être jugées par ceux-ci comme insuffisamment valorisantes et tout à fait inintéressantes, ce qui découragerait les vocations.
Il est à noter que l'attitude de la gendarmerie nationale à l'égard du volontariat est très révélatrice sur ce point, puisque, tirant les conséquences des obstacles juridiques s'opposant à l'emploi de volontaires dans des missions équivalentes à celles qu'assument aujourd'hui les gendarmes-auxiliaires, cette institution préconise le recours à une nouvelle catégorie de professionnels sous contrat dont le statut reste à préciser.
La commission propose donc une nouvelle rédaction de l'article L. 212-7 ne faisant pas référence aux « emplois nécessaires au fonctionnement normal de l'organisme d'accueil ».
Enfin, la commission a souhaité revoir les conditions dans lesquelles l'Etat peut assurer la couverture sociale des volontaires en associations. Consciente de l'opportunité d'un dispositif destiné à compenser les charges que devront couvrir les associations à l'occasion du volontariat, alors même que le succès de celui-ci reposera sur elles, la commission n'en a pas moins estimé qu'il serait souhaitable de revoir la disposition relative à la protection sociale des volontaires en associations, afin d'aligner leur protection sociale sur celle des autres volontaires, alors que le projet de loi qui nous est soumis prévoit une protection plus large pour les volontaires en association.
J'en viens maintenant à des réflexions inspirées par le projet de loi, qui ne se traduiront pas nécessairement par des modifications de celui-ci.
Je voudrais tout d'abord mentionner les difficultés qui pourraient se présenter pour certains volontaires à l'étranger, si ne leur était pas reconnu le statut de droit public, seul de nature à résoudre certains problèmes d'ordre fiscal ou relatifs à l'attribution du permis de séjour, problèmes que nos collègues représentant les Français de l'étranger connaissent bien. Il est cependant apparu à la commission que ce statut de droit public ne devait pas prendre la forme d'une disposition du projet de loi, et que l'obstacle pouvait être levé si les organismes d'accueil étaient, dans le cas des futurs volontaires en entreprise, le groupement d'intérêt public qui devrait être prochainement constitué entre l'ACTIM, l'Agence pour la coopération technique, industrielle et économique, et le centre français du commerce extérieur.
Soucieuse de l'avenir de la présence française à l'étranger, qui est susceptible d'être encouragée par le volontariat, la commission a estimé que celui-ci ne devait pas remettre en cause le statut des bénévoles dans les organisations non gouvernementales - les ONG - et que le régime du décret de 1995 devait être maintenu parallèlement à la montée en puissance du volontariat dans le domaine de la coopération. Nous serions heureux, monsieur le ministre, d'être rassurés sur ce point.
Enfin, la commission s'interroge sur l'ambiguïté liée à l'expression de « rendez-vous citoyen ». Je ne vous cache pas que nous avont été tentés de retenir une autre appellation. En effet, le rendez-vous citoyen est une obligation légale, assortie de sanctions, à laquelle il est exclu de se soustraire. Il ne s'agit donc pas d'un rendez-vous librement consenti. Cependant, consciente du fait que l'expression « rendez-vous citoyen » est entrée dans le langage courant depuis le lancement de la réforme du service national, la commission n'a pas retouché l'appellation retenue au printemps dernier.
Mais cette ambiguïté dans les termes me conduit à conclure mon propos en exprimant la conviction que la réforme du service national, parce que la France fait le choix d'une formule totalement nouvelle, n'exclut pas des tâtonnements pendant la montée en puissance du service national rénové.
L'expérience n'est pas à proscrire. La réussite du service national, qu'il s'agisse du rendez-vous citoyen ou du volontariat, relève du défi. Je suis personnellement convaincu, et la commission avec moi, que notre jeunesse, nos armées, notre administration, notre société civile nous permettront de le relever ensemble, si la loi qui résultera de nos débats est suffisamment souple pour s'adapter aux leçons des premières expériences.
Soyez assuré, monsieur le ministre, que le Sénat mettra tout en oeuvre pour que réussissent à la fois la réforme du service national et la professionnalisation des armées, dans la perspective de la rénovation d'un outil de défense qui soit cohérent avec les besoins du xxie siècle, et que la Haute Assemblée soutient la grande réforme que vous avez entreprise avec courage et lucidité et que vous allez mener à son terme.
Mes chers collègues je vous invite, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à soutenir ce projet de loi, qui est conforme à la volonté du Président de la République de moderniser notre défense, de l'adapter aux enjeux stratégiques de cette fin de siècle tout en réhabilitant l'idée même de citoyenneté, en réconciliant la jeunesse avec l'idée de nation et en conjuguant la modernité avec le civisme. La France en a besoin ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous réunit aujourd'hui est le sixième que la Haute Assemblée consacre aux problèmes de la défense en moins d'un an du fait de la réforme d'ensemble de son appareil de défense que notre pays a engagée sur l'initiative du Président de la République dont c'est, je le rappelle, la plus fondamentale des missions.
Ces débats successifs ont porté sur les nouvelles orientations de notre politique de défense, et ce à deux reprises - le vote des crédits militaires et de la loi de programmation - et sur une série de mesures nécessaires à la mise en oeuvre de la professionnalisation des armées.
La cohérence et l'ordre de ces travaux ont été, me semble-t-il, d'une logique imparable : après les débats d'orientation généraux, la loi de programmation militaire a fixé les objectifs et le cadre de la réforme pour les six années à venir. Il nous a fallu en tirer toutes les conséquences, au mois de novembre dernier, sur la professionnalisation des armées. Il nous faut aujourd'hui en tirer les conséquences au regard du service national, et dans quelques mois, vous l'avez rappelé monsieur le ministre il nous faudra traiter des réserves.
Le débat d'aujourd'hui est sans doute le plus délicat, car il est indispensable pour conserver à la réforme entreprise toute sa cohérence et son caractère global. De toute façon, nous le savons bien, il était inéluctable de réformer profondément un service national qui ne répondait plus à ses objectifs fondamentaux, que ce soit en termes d'efficacité militaire ou au regard des principes d'universalité et d'égalité qui étaient supposés en constituer le fondement.
L'examen de ce texte essentiel sera toutefois grandement facilité par le travail considérable de réflexion et de concertation qui a présidé à son élaboration.
Le Sénat lui-même a activement participé à la réflexion en amont, ce qui est peut-être un fait sans précédent, et ses travaux ont abouti, je vous le rappelle, le 7 mai dernier, au rapport d'information sur l'avenir du service national de notre rapporteur, M. Serge Vinçon. Ces recherches n'ont pas été vaines, et je me réjouis, monsieur le ministre, que l'essentiel des conclusions de ce rapport aient été suivies par le Gouvernement et constituent les fondements du projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui.
Comme nous sommes d'accord sur les principes, je ne doute pas que notre discussion en sera grandement facilitée, même si l'importance du sujet et la complexité technique de ce texte justifient, de la part de notre Haute Assemblée, un examen attentif et des débats approfondis.
La réforme du service national qui est entreprise n'en constitue pas moins un double pari, qu'il s'agisse du rendez-vous citoyen ou du volontariat car, en choisissant résolument des solutions innovantes, originales et modernes, nous avons refusé la facilité. Mais ce pari est raisonné, car il est fondé sur la cohésion de notre pays, sur la générosité de notre jeunesse et, naturellement, sur un cadre juridique et administratif adapté.
J'ai la conviction que nous saurons relever le défi de cette réfome considérable. Mais j'ajoute aussitôt que, pour y parvenir, nous devons faire toute sa place au pragmatisme, à l'évolution progressive des moyens et aux expérimentations indispensables. C'est pourquoi je crois fermement que le cadre législatif que nous devons mettre au point aujourd'hui ne doit pas être trop rigide - j'insiste sur ce point parce que c'est l'idée profonde de notre commission. Il doit au contraire avoir pour caractéristique la souplesse, de manière à permettre les adaptations et les améliorations que sa mise en oeuvre suggérera.
Ma dernière observation préalable sera pour souligner que la suppression du service national obligatoire sous une forme principalement militaire ne sera pas nécessairement irréversible. J'ai la conviction que la réforme que nous mettons en oeuvre répond aux exigences de notre temps et à la nouvelle donne internationale. Mais qui peut dire quelle sera la situation géostratégique à laquelle nous devrons répondre dans trente ou quarante ans ?
C'est pourquoi je me réjouis que le projet de loi que vous nous proposez, monsieur le ministre, maintienne, avec le recensement et le rendez-vous citoyen, un certain nombre de dispositifs obligatoires. L'outil de recensement et de sélection sera maintenu et une remontée en puissance du service national sera, si nécessaire, possible.
J'en viens maintenant au premier des deux volets de cette réforme, à savoir le rendez-vous citoyen.
Permettez-moi, à cet instant, d'ouvrir une brève parenthèse pour dire que la commission s'est interrogée sur les termes mêmes de « rendez-vous citoyen » qui nous paraissent à certains égards source de malentendus, car, ne l'oublions pas - et c'est là un point fondamental - ce rendez-vous-là est obligatoire. Nous nous rallierons toutefois à cette terminologie qui a le mérite d'être d'ores et déjà entrée dans le langage courant, à moins, bien entendu, que n'émerge des travaux législatifs une proposition différente qui soit susceptible de recueillir le plus large accord.
Sur le fond, je formulerai cinq observations fondamentales.
Je crois d'abord, même si les choses doivent juridiquement se présenter de manière quelque peu différente, que le rendez-vous citoyen ne doit pas être considéré comme un ersatz du service national d'aujourd'hui. Il va, certes, beaucoup plus loin que les trois jours actuels qui seront élargis et approfondis, mais le principal substitut au service national actuel sera le volontariat. Le rendez-vous citoyen a un rôle d'information et de sensibilisation et non un rôle de formation ou même d'initiation.
C'est pourquoi il doit être réellement universel. Il répondra ainsi au principe d'égalité qui n'est plus aujourd'hui respecté. C'est pourquoi encore les dispenses du rendez-vous citoyen devront être a priori écartées et les exemptions exceptionnelles. C'est pourquoi aussi il devra être, demain, étendu aux jeunes filles, ainsi reconnues, enfin, comme citoyennes à part entière et incitées à s'engager personnellement.
Ma deuxième remarque portera sur la durée du rendez-vous citoyen, qui ne doit en aucun cas, selon la commission des affaires étrangères - et c'est, monsieur le ministre, ma conviction personnelle - dépasser la durée de cinq jours consécutifs prévue par le projet de loi. Trois raisons principales invitent à cette limitation.
Tout d'abord, les objectifs du rendez-vous citoyen doivent être clairement fixés et demeurer pragmatiques. Il ne faut pas céder à la facilité, qui ne serait d'ailleurs qu'une illusion, de vouloir tout faire en quelques jours. L'objet du rendez-vous citoyen n'est pas de suppléer aux déficiences du système scolaire ou du système social. Il n'est pas non plus - je l'ai déjà dit - de remplacer le service national sous ses formes actuelles.
Ensuite, une durée excessive risquerait de porter atteinte aux principes d'égalité et d'universalité et créerait des difficultés inutiles pour les jeunes concernés, en particulier pour ceux qui sont engagés dans un cursus universitaire et scolaire et ceux qui ont déjà un emploi.
Enfin, il va de soi qu'une durée supérieure alourdirait les coûts et que l'objectif majeur de notre budget militaire doit être aujourd'hui de réussir la professionnalisation de nos armées dans un cadre financier que nous savons, hélas ! extrêmement contraignant, en particulier pour le recrutement des militaires du rang nécessaires.
L'objectif essentiel, à mes yeux, du rendez-vous citoyen - ce sera ma troisième observation - doit être de renforcer le sentiment d'appartenance à la nation et - vous l'avez très bien souligné, monsieur le ministre, et je vous en suis reconnaissant - de cultiver l'esprit de défense de notre jeunesse.
C'est pourquoi, même s'il n'en est pas l'objet exclusif, le rendez-vous citoyen devra s'inscrire dans le prolongement des enseignements d'histoire et d'éducation civique dont je souhaite qu'ils soient effectivement renforcés dans nos établissements scolaires.
C'est pourquoi aussi le rendez-vous citoyen devra être un élément majeur de maintien d'un lien solide entre la jeunesse et la nation, d'une part, entre la nation et les armées, d'autre part. Nous souhaitons, en conséquence, que l'un des rôles essentiels du rendez-vous citoyen soit de présenter non seulement le volontariat du service national, mais aussi - j'insiste sur ce point - les possibilités d'engagement dans l'armée professionnelle ou dans les réserves de demain.
Le rendez-vous citoyen doit aussi constituer - ce sera ma quatrième observation - l'occasion de donner une seconde chance aux jeunes en difficulté.
Je tiens, à cet égard, à rendre hommage aux propositions ambitieuses et novatrices formulées par M. Xavier Emmanuelli, secrétaire d'Etat à l'action humanitaire d'urgence, qui a compris l'enjeu véritable et les chances qu'offrait la réforme proposée.
Mais, je le répète, il faudra, là aussi, faire preuve de pragmatisme et, si nécessaire, de modestie. Il conviendra d'effectuer toutes les expériences nécessaires et d'accepter, le cas échéant, de modifier les réponses envisagées. C'est la raison pour laquelle le présent projet de loi, à cet égard, doit non pas figer les choses mais, au contraire, donner toute la souplesse nécessaire.
Enfin, ma dernière observation concernera la question, matériellement difficile à résoudre, de l'accomplissement du rendez-vous citoyen pour les jeunes Français résidant à l'étranger.
Je souhaite, monsieur le ministre, que vous puissiez préciser au Sénat l'état d'avancement des réflexions gouvernementales à ce sujet. Il va de soi que nos jeunes compatriotes vivant à l'étranger doivent être soumis à la même obligation de principe, mais que les conditions d'exécution de cette obligation exigent des modalités particulières d'accomplissement, faute de quoi elle engendrerait, sauf à demeurer inappliquée, des difficultés et des coûts considérables.
J'en viens maintenant au volontariat, qui constitue le deuxième défi à relever, celui sans doute pour lequel les incertitudes sont les plus grandes. Le volontariat reposera fondamentalement sur la générosité et sur la volonté d'entreprendre de notre jeunesse.
Il supposera donc - et c'est là l'une des questions auxquelles le présent projet de loi cherche à répondre - une série de dispositions suffisamment incitatives pour manifester la reconnaissance de la nation à l'égard des jeunes qui auront fait ce choix au service de l'intérêt général.
C'est pourquoi je ne suis pas pessimiste quant à l'efficacité de ce système du volontariat. Mais il va de soi que la notion même de volontariat induit une incertitude inévitable quant au nombre effectif de volontaires qui se manifesteront et qui pourront être reçus dans les organismes d'accueil.
C'est dans cet esprit que le texte proposé pour l'article L. 121-7 du code du service national prévoit que les activités offertes aux volontaires ne peuvent se substituer « ni à des emplois permanents régis par les statuts de la fonction publique, ni à des emplois nécessaires au fonctionnement normal de l'organisme d'accueil... ».
La commission s'est interrogée non pas sur la nécessité d'une disposition de ce type, mais sur les difficultés d'application ou sur les différences d'interprétation que sa formulation actuelle était susceptible d'engendrer. Il est, selon moi, nécessaire que le volontariat, sans être indispensable, soit utile à la fois aux volontaires, aux organismes d'accueil et à la collectivité nationale dans son ensemble. S'il n'en allait pas ainsi, il serait à craindre que nous ne réduisions de manière excessive à la fois le désir des jeunes d'être volontaires et l'intérêt des organismes d'accueil de les recevoir.
De manière plus générale, les relations entre le volontariat et l'emploi des jeunes doivent être précisées. Je ne doute pas que la discussion qui suivra sera à cet égard fructueuse et nous permettra de trouver les solutions les plus adaptées.
Je souhaite également souligner ici l'importance particulière pour nos jeunes et pour notre pays des volontariats qui pourront être effectués à l'étranger. Je suis en particulier attaché à ce que les modalités qui seront retenues permettent de maintenir, et si possible de développer, la formule actuelle des coopérants du service national en entreprise, les CSNE.
Le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale me paraît, à cet égard, avoir amélioré les choses en prévoyant, sans remettre en cause le principe de l'unicité de l'indemnité de base, la possibilité d'une indemnité compensatrice des frais de transport, de logement et de nourriture sans laquelle les opportunités de volontariat auraient probablement été fortement limitées.
Mais pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre - ministère ou groupement d'intérêt public - et cette question est lancinante - quel organisme public - sera à même de coordonner et de rendre cohérent l'ensemble des initiatives en ce domaine - le ministère de la défense a montré l'exemple dans le passé ; les ministères civils sauront-ils le suivre demain ? - et notamment d'éviter les difficultés qui seraient inévitablement apparues dans un certain nombre de pays si les jeunes Français volontaires n'avaient disposé que d'un accord de nature privée avec l'entreprise concernée ?
Nous devrons encore revenir au cours de nos débats sur la question épineuse, en raison de son incidence financière, de la protection sociale des volontaires. La question est difficile car il faut préserver à la fois l'égalité entre les jeunes volontaires et l'égalité entre les organismes d'accueil, notamment en milieu associatif.
Nous devons prendre en compte le fait que si certains de ces organismes se voyaient imputer une charge financière excessive, les volontariats en milieu associatif, à caractère social ou humanitaire, ou dans certaines organisations non gouvernementales pourraient se voir réduits. Il est pourtant tout aussi clair que, pour tous les autres organismes, la règle de droit commun doit être appliquée. Sachons, là encore, être à la fois équitables et pragmatiques.
S'agissant de la durée du volontariat, il me semble que la période envisagée par le projet de loi - entre neuf et vingt-quatre mois - donne au système la flexibilité nécesaire. Nous aurons toutefois à revenir sur la possibilité de l'accomplissement fractionné du volontariat. En effet, notre commission, après en avoir délibéré, estime qu'il serait regrettable de se priver, dans certains cas particuliers, des possibilités offertes par un fractionnement ; je pense aux coopérants scientifiques.
Je le répète, toute notre démarche doit être marquée en l'espèce par un double souci : favoriser l'expression du volontariat et nous doter du maximum d'éléments de souplesse.
Je conclurai, mes chers collègues, en formulant trois brèves remarques.
La première sera pour vous dire que, comme M. le ministre, je crois à la réussite de cette réforme parce qu'elle a du souffle et de l'ambition. Le texte qui nous est proposé doit permettre sa mise en oeuvre dans des conditions pragmatiques.
J'ai dit pourquoi il me semblait indispensable que le caractère obligatoire et universel du rendez-vous citoyen soit souligné. Mais je crois aussi que la réussite des volontariats passe par la plus grande liberté possible, dans l'intérêt commun des volontaires et de la collectivité. Je pense qu'une des clés de la réussite de la réforme entreprise réside dans une participation pleine et entière de toutes les administrations civiles concernées par ce projet novateur, singulier et, à bien des égards, sans précédent. S'il bouleverse, de ce fait, nombre des habitudes acquises, il s'inscrit dans le cadre de la réforme indispensable de notre Etat.
Ma deuxième observation sera pour me réjouir des grandes orientations du projet de loi gouvernemental, dont les principes reprennent les conclusions sénatoriales du printemps dernier, exprimées dans le rapport de M. Vinçon.
C'est pourquoi, si la discussion de ce texte long et technique suppose, sans doute encore, de longs travaux parlementaires, j'espère - je n'en doute pas d'ailleurs - qu'il sera adopté par la très grande majorité de notre Haute Assemblée.
Enfin, je ne voudrais pas quitter cette tribune, monsieur le ministre, sans dire que cette réforme sera la vôtre et qu'elle fera date dans l'histoire de notre défense et de notre pays.
La force de la réforme que vous mettez en oeuvre est qu'elle répond fondamentalement aux exigences de notre pays au moment d'aborder le XXIe siècle. C'est pourquoi elle a été d'ores et déjà bien comprise par l'opinion et par la jeunesse française, au sein de laquelle elle recueille une large approbation. C'est, pour demain, le principal gage de succès du formidable changement entrepris. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 57 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 42 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 35 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 22 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce n'est pas sans un pincement au coeur que je me prononcerai aujourd'hui sur la réforme du service national. Empreint d'une profonde nostalgie des années glorieuses passées, j'étais, très jeune, dans l'armée nationale pour défendre la patrie sur différents théâtres du monde. Mais, il faut bien l'admettre, l'époque n'est plus, pour nous Occidentaux, aux grands conflits militaires d'antan, avec ses milliers, voire ses millions d'hommes sacrifiés ; l'époque est à une autre forme de guerre, tout aussi sérieuse, qui requiert la participation complète de nos compatriotes : je veux parler de la guerre économique, pour laquelle toutes les couches de la société doivent être mobilisées, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes. Là est notre destinée. Serait-elle moins exaltante que le combat armé ?
Les récents bouleversements géopolitiques, l'extrême rapidité des progrès scientifiques et technologiques, la diminution des budgets publics et l'évolution des moeurs sociales commandent ainsi de mettre fin aux armées de masse, à l'armée du peuple, qui était notre tradition, notre honneur et notre immense fierté.
Mais la décision de la France d'avoir l'armée de ses besoins s'inscrit dans un contexte général commun aux démocraties modernes ; les pays qui n'ont pas encore opté pour une professionnalisation de leurs armées s'apprêtent, pour la plupart, à le faire. Les nations ont besoin de personnels militaires excellement formés, sans cesse recyclés et disponibles en permanence, dans une géostratégie désormais mouvante et incertaine.
Adieu donc aux bons et aux mauvais souvenirs du service militaire, à l'état d'esprit que ces moments ont forgé en nous, et construisons, pour et avec les générations futures, un nouveau processus citoyen qui perpétue cet esprit de défense indispensable à la survie de la nation et insuffle le sentiment que tout un chacun peut et doit être utile à sa patrie. En effet, la défense de la nation se concrétise, au quotidien, par l'affirmation des valeurs de civilisation, de langue, des modes de vie et de production, par les liens que l'on tisse avec le reste du monde.
Pour réussir cette grande réforme du septennat, il nous fallait bâtir un nouveau système sans détruire les infrastructures existantes qui sont, jusqu'à nouvel ordre, nécessaires. La formule retenue de maintenir l'obligation, d'une part, du recensement, qui concernera aussi les filles à partir de 2002, et, d'autre part, d'un rendez-vous citoyen, préserve bien l'avenir et, surtout, permet de conserver le lien indispensable entre l'armée nationale et la société civile par l'intermédiaire de toute sa jeunesse.
Je vous demande, monsieur le ministre, que l'application de ces deux obligations aux jeunes Français résidant à l'étranger tienne compte des conventions bilatérales en vigueur afin de ne pas bouleverser l'équilibre existant, pour les binationaux en particulier.
S'agissant du volontariat, censé développer les formes civiles actuelles du service national, si j'en approuve le principe général, qui fait appel à la générosité, je ne peux que dire ma déception devant la formule uniforme retenue, que le volontariat s'effectue sur le territoire national ou à l'étranger. Il s'agit, pour les Français de l'étranger, d'un net recul par rapport aux formules de coopérations actuelles qui constituent, ne l'oublions pas, le véritable vivier de l'expatriation. Dans le contexte présent de mondialisation, nos compatriotes restent encore trop peu nombreux à s'expatrier : pour les seuls pays émergents, on compte 97 000 Français contre 220 000 Allemands et 528 000 Britanniques.
Vouloir aligner les conditions d'un service-ville sur celles d'une coopération à l'étranger, cette dernière pouvant avoir lieu dans des pays lointains, à climat rude, à situation politique risquée, dans des contextes sociaux très différents du nôtre, apparaît peu réaliste et relève d'une certaine méconnaissance de ce que représentent à l'étranger les coopérants du service national.
Sur les postes pourvus en 1996, 400 environ ont concernées des enseignants dans nos écoles françaises à l'étranger ; d'autre ont été affectés dans les consulats, les postes d'expansion économique ; tous ont contribué à l'internationalisation d'entreprises françaises et au développement du commerce extérieur, indispensable pour soutenir l'emploi en France.
Parmi les jeunes qui font un service à l'étranger, les deux tiers y restent définitivement ensuite.
Pour avoir côtoyé beaucoup de CSN - coopérants du service national - j'avoue ne pas les considérer du tout comme des « fils d'archevêque » à l'instar de certains de nos militaires. Si quelques formes civiles du service national peuvent être considérées comme discutables, par exemple certains postes de bureaux à Paris, cette appréciation n'est nullement justifiée pour nos coopérants à l'étranger, dont l'utilité ad minima est d'acquérir une vision du monde hors de l'hexagone et de la façon dont on peut servir la France à l'étranger.
Aussi, le volontariat en coopération internationale doit-il être encouragé. La bataille pour l'emploi nécessite que les effectifs des services de l'Etat à l'étranger soient renforcés, notamment ceux des comités consulaires pour l'emploi et la formation, dont un des objectifs est d'accroître les offres d'emploi à l'étranger, actuellement très insuffisantes et en nombre nettement inférieur à celui des demandes de nos compatriotes candidats à l'expatriation.
Dans ce type de mission, qui requiert du caractère et une motivation particulière, le renouvellement régulier de volontaires apportant un sang neuf est un gage d'efficacité. Il s'agit moins d'élitisme que de profil adéquat à un contexte inhabituel. Aussi, la rémunération de 2 000 francs par mois, assortie il est vrai pour l'étranger d'une indemnité représentative limitée au logement, à la nourriture et au transport, paraît-elle inadéquate. C'est pourquoi je vous demande, monsieur le ministre, de veiller à ce que les décrets d'application pris en la matière soient les plus souples possibles pour compenser cette situation qui pourrait être tout à fait préjudiciable à l'expatriation.
Dans le même esprit, il me semble que les formules de volontariat européen, en liaison avec les pays de l'Union européenne, doivent être développées et encouragées pour renforcer le sentiment européen chez nos jeunes et leur insuffler un esprit de défense commune européenne.
Monsieur le ministre, la réforme des armées et du service national aura des conséquences intellectuelles et morales encore difficiles à apprécier, mais il est certain qu'elles seront profondes. L'émotion qui s'exprime dans les débats en cours montre que ses principales conséquences concernent directement la nation.
La suppression du service national, dont le service militaire constitue la forme principale, intéresse tous les Français. Elle interpelle l'institution scolaire, qui devra impérativement prendre le relais de l'instruction civique. Elle responsabilise les familles et toutes nos institutions sociales quant à la transmission des valeurs morales et du sentiment national.
Aussi, malgré mes observations antérieures sur les conditions du volontariat à l'étranger, voterai-je le projet de réforme du service national, parce qu'il prépare l'avenir avec lucidité et volonté. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Clouet.
M. Jean Clouet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est actuellement soumis trouve sa source dans la décision prise par le Parlement, sur proposition du Gouvernement, à la suite du désir exprimé par le Président de la République de voir intervenir une modification essentielle de la nature de nos armées.
Cette réforme était indispensable. Elle a été décidée. Il reste à en achever la mise en oeuvre. Or celle-ci n'impliquait nullement le texte d'une complication confondante, véritable salmigondis juridique, que nous avons sous les yeux. Notre excellent collègue Serge Vinçon vient de le rapporter avec son habituelle bonne humeur et un courage qui confine à l'abnégation. Il est vrai que nous sommes en carême ! (Rires.)
M. Alain Richard. La comparaison est féroce !
M. Jean Clouet. Ce texte comporte essentiellement deux parties : le rendez-vous citoyen et le volontariat.
De quoi devra se composer notre armée dans sa configuration future ? Evidemment de professionnels, évidemment de réserves, évidemment de volontaires, mais, bien entendu, de volontaires au service de l'armée. Qu'avons-nous donc à faire, dans ce projet de loi, de volontaires culturels, diplomatiques, sociaux, sportifs, caritatifs ? J'arrête là l'énumération, mais je pourrais la poursuivre.
Ce n'est pas à l'armée de prendre en charge ce genre de missions...
M. Jean-Luc Mélenchon. Exactement !
M. Jean Clouet. ... - elle en aura déjà bien assez à accomplir -, c'est à chacune des administrations concernées, dans la mesure où elle saura faire des offres intéressantes aux futurs volontaires.
N'oublions pas, en effet, le nombre impressionnant de catégories de « faux-vrais emplois » ou de « vrais-faux emplois » que l'on a empilés tout au long de ces dernières années sur le socle branlant des TUC, ces travaux d'utilité collective de regrettable mémoire.
Laissons les armées à l'écart de ces nouvelles initiatives. Elles auraient dû, en toute hypothèse, faire l'objet d'un texte spécifique.
Venons-en au rendez-vous citoyen.
On nous assure que, dans le cours de l'évolution des espèces, il subsiste des organes résiduels sans aucune utilité réelle : par exemple, chez l'homme et la femme, les vertèbres caudales. (Sourires.) Désormais, il y aura aussi le rendez-vous citoyen, procédure croupion, mauvais compromis entre la nostalgie d'un vrai service militaire et la nécessaire professionnalisation des armées.
« Citoyen » est un mot tellement usé par un usage abusif qu'il n'a plus que le caractère d'une cheville sémantique vide de toute signification réelle.
Sans faire d'effort et au hasard de mes récentes lectures, j'ai rencontré : la « presse citoyenne », l'« entreprise citoyenne », la « profession citoyenne », l'« administration citoyenne », l'« école citoyenne », les « communes citoyennes », le « médiateur citoyen », le « geste citoyen », la « mobilisation citoyenne », l'« impôt citoyen » et même la « démarche citoyenne »,...
M. Claude Billard. C'est la nôtre !
M. Jean Clouet. ... sans oublier la « reconquête citoyenne » qu'il aurait été dommage de ne pas citer !
Ecartons donc le « citoyen » et considérons le « rendez-vous », permanent, de tous les jeunes Français et de toutes les jeunes Françaises : 700 000 par an, soit 15 000 par semaine, en perpétuelle déambulation sur la surface du territoire, au prix d'une dépense annuelle dont l'évaluation varie entre 2 millards et 6 milliards de francs - soit l'équivalent de 50 à 150 chars Leclerc - et qui requerra l'emploi de 4 000 à 5 000 militaires, lesquels auraient certainement mieux à faire ailleurs, sans compter, car ils seront innombrables, tous les autres acteurs, civils, de cette baroque liturgie.
Pourquoi ce mouvement brownien ?
D'abord, nous est-il dit, pour vérifier l'état de santé de ces jeunes gens, qui pourront avoir de seize à vingt-cinq ans, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. A-t-on oublié que la sécurité sociale se préoccupe, elle aussi, de la santé de la population ? A partir de seize ans - curieuse coïncidence - elle propose, elle aussi, un bilan de santé, gratuit, mais non obligatoire, qui dure une journée et dont chacun peut bénéficier tous les cinq ans : 600 000 personnes sont ainsi accueillies chaque année.
Rendons, monsieur le ministre, ce bilan obligatoire. On gagnera une journée sur le rendez-vous citoyen et le servive de santé des armées, auquel je rends hommage, pourra mieux s'occuper des militaires.
Le deuxième objectif du rendez-vous est le recensement, destiné, dans l'hypothèse où un ennemi - venu d'on ne sait où - se présenterait à nos frontières ou au-dessus de notre sol, à retrouver les recensés pour les lever en masse, à condition qu'ils acceptent de se lever. Et qu'en fera-t-on d'ailleurs, sans armes ni entraînement ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Exactement !
M. Jean Clouet. Mais là encore, a-t-on oublié que ce recensement existe déjà, qu'il est obligatoire et qu'il concerne les deux sexes ? Je veux parler de l'inscription sur les listes électorales à l'âge de dix-huit ans.
M. Charles Millon, ministre de la défense. Ce n'est pas obligatoire !
M. Jean Clouet. Cette inscription permettrait, sans évoquer un horizon catastrophique, de connaître les Français tout au long de leur vie, à condition que l'obligation soit vraiment respectée et si les données ainsi recueillies faisaient l'objet d'un suivi.
C'est au pouvoir en place de la faire respecter mais on semble l'avoir oublié.
Il suffirait d'ailleurs, pour parvenir au respect de cette obligation, d'imposer la présentation de la carte électorale lors de ces multiples démarches officielles que chacun d'entre nous doit effectuer au long de son parcours humain.
Voilà encore du temps de gagné pour le rendez-vous citoyen et un respect accru pour la vie civique !
Continuons.
Il paraît que, durant ce rendez-vous, on établira une sorte de bilan des connaissances acquises par chacune et chacun au cours de sa scolarité.
Mais en quoi cela concerne-t-il une armée désormais professionnalisée ? Allons-nous l'ériger en contrôleur de l'efficacité de notre système scolaire et universitaire ? Ce serait une entreprise risquée et, là encore, du temps perdu, en même temps qu'une démarche particulièrement désobligeante à l'égard de notre système d'enseignement.
M. Jean-Luc Mélenchon. Absolument !
M. Jean Clouet. Quant à la formation civique, la placer dans ce contexte serait également du temps perdu. Jusqu'à seize ans, la scolarité en France est obligatoire. Décidons que, au cours de la dernière année, dix heures de cours, par exemple, seront consacrées au civisme sous toutes ses formes. L'assistance à ces cours devra être obligatoire et faire l'objet d'un certificat d'assiduité, sans lequel il sera impossible de poursuivre ses études ou sa formation, sauf à accomplir, sous forme de rattrapage et toujours dans l'enseignement, les dix heures en question.
A l'issue de ce chapelet de préoccupations diverses et variées, toutes louables au demeurant, on voit enfin apparaître l'aspect militaire du rendez-vous : il s'agirait de procurer à ces jeunes une bonne connaissance de la profession militaire, en vue de susciter un recrutement suffisant pour parvenir aux effectifs nécessaires.
C'est là un objectif tout à fait compréhensible et même indispensable. Mais faut-il pour autant déplacer chaque année 700 000 personnes pour qu'elles rencontrent 4 000 militaires ?
On pense, malgré soi, au fameux numéro de Grock s'efforçant de pousser un piano à queue vers son tabouret au lieu d'effectuer la manoeuvre inverse. (M. Jean-Luc Mélenchon applaudit.)
Pourquoi ne pas prévoir, soit à l'ANPE, soit dans les services municipaux, soit dans tel ou tel des organismes chargés de l'emploi, la mise en place de permanences d'information militaire ? On le fait déjà en de nombreux endroits, avec des résultats très souvent positifs.
Vous conviendrez, monsieur le ministre, qu'à l'issue de cette démonstration il ne reste rien du rendez-vous citoyen et que vous avez gagné, en quelques instants, plusieurs milliards de francs, ainsi que 4 000 hommes !
Force est donc de considérer ce rendez-vous comme une initiative aussi inutile que coûteuse, qui, j'en suis persuadé, connaîtra rapidement le sort de ces fameux trois jours de sélection, désormais ratatinés sur quelques heures. C'est un grand reptile du secondaire qui va s'écrouler sous son propre poids à l'issue d'une brève existence.
Je ne souhaite pas me compter parmi les artisans de cette fâcheuse entreprise. Je devrais donc voter contre ce projet. Toutefois, appartenant à la majorité, je m'abstiendrai. Mais n'allez pas imaginer qu'il s'agira là d'une abstention atone ou frileuse. Pas du tout ! Il s'agira d'une abstention résolument citoyenne. (Applaudissements sur certaines travées de l'Union centriste. - M. Jean-Luc Mélenchon applaudit également.) M. le président. La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Le texte que vous nous présentez aujourd'hui, monsieur le ministre, est un texte fondamental pour la réforme globale de notre défense voulue et annoncée le 22 février 1996 par le Président de la République.
Il s'agit, comme vous l'avez rappelé, de répondre aux nouveaux enjeux stratégiques et aux priorités exigées par les conflits modernes, mais également de tenir compte de l'évolution de nos moyens budgétaires et économiques.
Pouvait-on maintenir notre armée au niveau d'effectifs actuel, avec la garantie de son efficacité sur les théâtres d'opération où elle serait appelée ?
Pouvait-on ignorer les contraintes financières qui nous obligent, depuis de nombreuses années, à de délicats exercices d'étalement de nos programmes d'armement ?
Assurément non, et nous avions pris conscience des carences de notre outil militaire, notamment lors de la guerre du Golfe.
En tout état de cause, cette réforme est populaire et recueille l'adhésion de nos concitoyens. Ce fut sans doute un électrochoc lorsque fut annoncée la fin du service national, surtout pour notre jeunesse, quelque peu désabusée par l'inégalité réelle vers laquelle nous avons lentement mais sûrement glissé : avec 30 % d'une classe d'âge effectivement impliqués, on est bien loin de répondre aux objectifs vertueux d'universalité et d'égalité qui présidaient à cette obligation.
Cependant, cette adhésion tient aussi, indiscutablement, à la méthode que vous avez adoptée, monsieur le ministre. Vous avez permis à chacun de s'exprimer, dans le cadre d'un large et fructueux débat national auquel le Parlement, par le travail de la mission commune d'information, a pu participer.
Cette réforme est ainsi bâtie autour de trois piliers : le recensement obligatoire, l'instauration d'un rendez-vous citoyen, également obligatoire, et l'option constituée par les volontariats.
Ces trois outils combinés permettront de garantir le lien armée-nation et le maintien du recours à la conscription, qui offrira à nos armées la possibilité de monter en puissance en cas de menace majeure. Vous avez apporté ici, monsieur le ministre, un élément de réponse à nombre de nos détracteurs.
Au-delà, le rendez-vous citoyen s'inscrit, je le crois, dans un véritable parcours d'insertion sociale et civique. Il s'agira en effet de combiner une mission d'évaluation et de conseil - bilans médical et socio-professionnel, détection des jeunes en grande difficulté et orientation vers les dispositifs sociaux adaptés, une mission « citoyenneté et défense », par le biais d'une large information civique sur le rôle de nos institutions et, enfin, une mission d'appréhension des diverses formes du volontariat.
Cinq jours suffiront-ils à couvrir l'ensemble des objectifs ambitieux que vous avez assignés au rendez-vous citoyen ? Ce n'est pas évident mais l'expérimentation que vous prévoyez d'engager d'ici à quelques mois permettra de réaliser une première évaluation.
Peut-être parce que le président du conseil régional de Rhône-Alpes m'a confié la délégation à l'environnement (Sourires), je suis particulièrement séduit par la diversité des formes du volontariat et par la souplesse des conditions d'accomplissement de ce dernier.
Fondé sur le libre choix des jeunes gens, et à terme des jeunes filles, il trouvera sa source dans la générosité de la jeunesse et l'intérêt des activités qui lui seront proposées. La reconnaissance de la nation envers ceux qui auront consacré entre neuf et vingt-quatre mois de leur vie à la défense militaire et civile de leur pays me paraît tout à fait essentielle. Il est indispensable qu'elle soit garantie de manière équitable entre les diverses formes de volontariat.
On peut en effet parler de diversité des formes puisque le projet de loi prévoit trois volets - sécurité, défense et prévention, solidarité et cohésion sociale, coopération et action humanitaire - qui répondront à l'aspiration de la jeunesse à être et à se sentir utile, à sa générosité, à sa volonté de participer à la communauté, à son besoin de solidarité.
Parmi les domaines visés, il était logique que l'environnement tienne toute sa place, et vous l'avez bien compris pour l'avoir intégré dans la charte du volontariat qui a précédé l'élaboration du présent projet de loi et dans celui-ci.
Dans le cadre du volet « défense, sécurité et prévention », les jeunes pourront ainsi contribuer à prévenir les pollutions des eaux souterraines, participer à la surveillance des forêts et des espaces naturels menacés d'incendie, repérer les laisses de crues et actualiser la cartographie des zones inondables ou les données d'annonce de crues et d'hydrométrie.
Il serait cependant intéressant, monsieur le ministre, d'ouvrir le champ d'application du volontariat au volet « cohésion sociale et solidarité ». L'amélioration de l'environnement urbain ou les chantiers d'insertion pour l'environnement constitueront sans nul doute un pôle particulièrement attractif pour notre jeunesse. Ils répondent à un réel besoin de celle-ci. Associations, collectivités locales, administrations et entreprises y sont déjà impliquées dans les formes civiles du service militaire actuel.
Pour conclure, monsieur le ministre, je dirai que vous avez su élaborer un système original, résolument novateur et socialement utile : il apporte une réponse forte aux exigences de l'an 2000 et un souffle nouveau pour l'esprit civique et la défense de notre pays. Je tenais à vous en rendre hommage.
Avec mon groupe, je voterai le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Legendre.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme du service national que nous examinons aujourd'hui fait partie intégrante de la nouvelle architecture de défense décidée par le Président de la République en février 1996 et vient s'inscrire dans un ensemble de débats et de textes qui nous ont été proposés depuis cette date.
Il y eut le grand débat sur le service national, la discussion de la loi de programmation militaire, celle de la loi de professionnalisation des armées. Suivra bientôt un projet de loi sur les réserves, auquel nous attachons aussi beaucoup d'importance. Le Sénat a donc eu l'occasion de contribuer pleinement à l'élaboration de la nouvelle défense française.
Pour ce qui est du service national, je me réjouis de constater que de nombreuses propositions contenues dans le rapport de notre collègue Serge Vinçon sur l'avenir du service national ainsi que dans la contribution du groupe du RPR du Sénat à ce débat ont été reprises dans le projet de loi qui nous est soumis.
La réforme du service national dépasse largement les enjeux de défense proprement dits, puisqu'elle a pour ambition de répondre aux besoins fondamentaux de la nation comme à ceux des jeunes Français.
Le rendez-vous citoyen, auquel je consacrerai d'abord mon intervention, répond bien à cette ambition ; il servira de lieu de bilan, d'information, d'aiguillage, pour faire le point sur la situation des jeunes et pour les orienter. Il sera également une formidable source d'informations pour mieux connaître chaque génération de Français, et les centres d'évaluation sont de ce point de vue des lieux incomparables.
Le volontariat, deuxième grand défi du projet de loi, devra aussi répondre aux besoins de la nation et des jeunes, en tant qu'engagement « citoyen » - le mot est à la mode - et expérience formatrice.
Enfin, le projet de loi prévoit un ensemble de dispositions concernant les aménagements apportés au code du service national durant la période de transition 1997-2002, avec des aménagements notables de la durée du service militaire et du système de reports d'incorporation et de dispenses.
En ce qui concerne le rendez-vous citoyen se pose tout naturellement la question de son contenu. Pour y répondre, encore faut-il se demander ce qu'on entend par le mot « citoyen ». Qu'est-ce qu'un citoyen aujourd'hui ?
A mes yeux, le citoyen est celui qui a acquis les capacités suffisantes pour jouer son rôle dans un monde de plus en plus complexe, de plus en plus malaisé à comprendre. Sans cette capacité à manier les outils de la citoyenneté, les jeunes Français n'auront pas le sentiment fort d'appartenance à la nation.
Le rendez-vous citoyen devra donc être à la fois l'aboutissement de l'apprentissage civique des jeunes - apprentissage effectué dans des cadres familiaux, scolaires ou religieux - et le début de leur engagement dans la vie de la cité.
Ce sera également un formidable instrument d'évaluation des jeunes - pour la première fois de tous les jeunes, garçons ou filles - et de la ressource dans l'éventualité d'une nécessaire mobilisation, mais aussi d'évaluation de l'état physique et intellectuel de toute une génération. En cela, le rendez-vous citoyen sera utile aux démographes, aux éducateurs, mais aussi aux responsables politiques.
En effet, les gouvernements et les législateurs devront tirer les conséquences des enseignements du rendez-vous citoyen et en tenir le plus grand compte. Cela passera notamment par une possibilité de suivi des jeunes en difficulté. Un tel dispositif est déjà prévu à titre expérimental. Ainsi, le rendez-vous citoyen pourra donner une chance supplémentaire de réinsertion aux jeunes situés à la marge du système scolaire ou professionnel.
Pour mieux connaître les jeunes Français, filles et garçons, pour dresser un rapide état des lieux et procéder à un aiguillage, cinq jours suffisent. Le rendez-vous citoyen ne doit pas être trop long sous peine de voir son sens dévoyé en pseudo-formation militaire, qui ne satisferait alors plus personne.
M. Serge Vinçon, rapporteur. Très bien !
M. Jacques Legendre. Il est vrai qu'un débat subsiste sur la durée de cette période citoyenne : en toute bonne foi, certains souhaiteraient qu'elle s'étende sur quelques semaines, voire sur plusieurs mois.
L'attachement au service national et à la défense de la France qui s'exprime à travers ces demandes est tout à fait respectable et louable, mais il faut bien comprendre qu'une prolongation du rendez-vous, citoyen nuirait aux efforts de professionnalisation des armées par son coût ainsi qu'à la qualité du rendez-vous dont la nature même changerait. Je crois donc que ce n'est la bonne réponse ni pour notre armée ni pour notre nation.
Ni trop long, ni trop dispersé, le rendez-vous citoyen doit être suffisamment dense pour ne pas décevoir les jeunes. Il est préférable qu'ils quittent le centre du service national en pensant « c'est déjà terminé », plutôt que « ce n'est pas trop tôt » !
Par ailleurs, il faut que le rendez-vous citoyen soit de qualité, ce qui implique qu'il dispose des moyens nécessaires pour assurer les grandes ambitions qui y sont attachées. En résumé « point trop, mais bien » devrait être la devise du rendez-vous des jeunes avec la nation.
Le rendez-vous citoyen intègre également des enjeux relatifs à l'aménagement du territoire, puisque chaque centre du service national sera un vecteur d'activités et de dynamisme pour la région dans laquelle il s'insérera.
A ce propos, permettez à l'élu de la ville qui accueille le centre de sélection n° 2 de laisser pointer l'oreille, monsieur le ministre, et de manifester le souhait que les centres de sélection existants continuent à apporter leur concours tout au moins à l'évaluation, et que le rapprochement, par exemple, de Compiègne et de Cambrai (M. le ministre sourit.) ne nuise en aucun cas à Cambrai, comme me l'a promis M. le Premier ministre.
Pour ce qui est du volontariat, il s'adressera aux jeunes hommes et aux jeunes femmes entre dix-huit et trente ans qui souhaiteront s'engager, pour une période comprise entre neuf et vingt-quatre mois, et il s'exercera dans trois grands domaines.
J'insisterai particulièrement sur le domaine « coopération internationale et aide humanitaire », qui permettra l'envoi de volontaires dans des administrations françaises à l'étranger, dans des ONG, dans des entreprises françaises ou encore dans des organismes étrangers engagés dans une coopération avec la France.
Le projet de loi prévoit que les volontaires « participent à l'action de la France dans le monde, en matière économique, technique, scientifique, culturelle, humanitaire et sanitaire ». Il s'agit là non pas d'un inventaire à la Prévert, mais bien de l'ensemble des secteurs dans lesquels nous devons être présents à l'étranger.
Dans ces domaines, les besoins de la France et ceux de la jeunesse peuvent se conjuguer. Il existe en effet, chez beaucoup de nos jeunes compatriotes, l'envie de vivre une expérience de coopération et de se dévouer à une cause humanitaire et philanthropique.
J'ai eu l'occasion d'effectuer un service national en tant que coopérant dans un collège de la brousse africaine où j'enseignais le français. Ce fut pour moi une expérience essentielle : elle m'a marqué pour la vie. Il me semble donc important que la possibilité offerte aux jeunes de partir à l'étranger ne soit pas supprimée par la réforme du service national.
Par ailleurs, il est dans l'intérêt de la nation que des jeunes effectuent un tel volontariat, non seulement pour défendre nos intérêts économiques - c'est bien sûr important - mais aussi pour continuer à assurer le rayonnement culturel de la France dans le monde. En effet, un de nos grands combats dans les années à venir, combat qui me tient particulièrement à coeur, sera l'affirmation de l'identité culturelle française.
Au-delà de la défense de notre langue et de notre culture, il s'agira de conduire une action positive sur le terrain, action pour laquelle des ressources humaines seront nécessaires. Ces ressources existent, il faut se donner la possibilité de les utiliser.
M. Serge Vinçon, rapporteur. Très bien !
M. Jacques Legendre. La France consacre depuis longtemps des efforts importants au développement de sa diplomatie culturelle dans le monde, notamment dans les pays francophones. Notre réseau culturel et scolaire repose actuellement pour partie sur des appelés, appoint nécessaire pour assurer le fonctionnement de nos écoles à l'étranger. Ce réseau manque cependant d'ores et déjà cruellement de moyens. Il sera donc nécessaire d'orienter des volontariats de coopération vers ce type d'action pour que se maintienne la présence culturelle française.
Je voudrais à ce sujet alerter les parlementaires et le Gouvernement sur une évolution qui me paraît dangereuse. Alors que les bourses offertes par la France aux jeunes étudiants étrangers diminuent déjà, il serait dangereux de courir le risque, à l'occasion de la réforme du service national, de voir le nombre de jeunes Français partant à l'étranger diminuer également. La France paierait très cher, me semble-t-il, une telle évolution.
Il faut au contraire que l'appel du Président de la République Jacques Chirac engageant les jeunes à ne pas avoir peur de s'expatrier soit suivit d'effet : à l'occasion du nouveau service national, nous devons préparer les jeunes à répondre à cet appel.
La France doit former ses « soldats de la mondialisation », qu'elle soit économique ou culturelle. La réforme du service national peut et doit participer à ce mouvement d'ouverture sur le monde. C'est la raison qui motive mon plaidoyer pour que le plus grand nombre possible de jeunes Français puissent bénéficier d'une expérience à l'étranger, tout en diffusant l'image de la France à travers le monde.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Jacques Legendre. En conclusion, je voudrais encore une fois souligner l'importance de cette réforme pour la France, car l'avenir de notre pays réside dans celui de notre jeunesse ; il sera conditionné par la force de son civisme et de sa capacité d'engagement.
Pour sa part, le groupe du RPR du Sénat est persuadé que la jeunesse française, qui soutient à fond la réforme engagée par le Président de la République Jacques Chirac, répondra présente aux rendez-vous que la nation lui fixera, dans ce nouveau cadre. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Delanoë.
M. Bertrand Delanoë. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, peut-être sommes-nous finalement tous d'accord sur un point : le projet de loi que nous examinons marque une rupture profonde dans l'histoire de la défense de la République. Désormais, elle sera uniquement assurée par des professionnels, et ce choix a évidemment des conséquences sur les rapports entre les citoyens et leur défense.
Le débat sur l'armée de métier est un vieux débat : il a traversé toutes les périodes de l'histoire de la République. Partisans de l'armée de métier et partisans de la conscription s'affrontaient déjà au lendemain de la défaite de 1870.
Le futur général de Gaulle, que l'on a beaucoup cité, proposait pendant l'entre-deux-guerres, dans son livre intitulé Vers l'armée de métier , la constitution d'une force mécanisée et blindée exclusivement composée de professionnels. Mais, dans le même ouvrage, il préconisait aussi « de conserver la conscription car, écrivait-il, celle-ci est l'élément principal de la résistance nationale ».
Vous avez, vous, monsieur le ministre, décidé de modifier de fond en comble notre système de défense. En effet, selon vous, le choix de l'armée de métier se serait imposé tout naturellement en raison du bouleversement de notre environnement stratégique.
Le monde a changé, c'est vrai, mais connaissons-nous pour autant une pause stratégique, pour reprendre l'expression consacrée en cours dans votre ministère ? Sommes-nous entrés dans une longue période de paix et de stabilité sur le continent européen et sur l'ensemble de la planète ?
Si j'en crois un document fort intéressant dont, hélas ! le Sénat n'a pas eu à débattre, « il subsiste à l'est de l'Europe, et pour de longues années, un arsenal militaire surdimensionné dont l'évolution et le contrôle demeurent encore un sujet de préoccupation ». Comment ne pas être d'accord avec cette appréciation de notre environnement de sécurité contenue dans la déclaration franco-allemande de Nuremberg ?
Nous sommes en effet entrés dans une ère d'incertitudes et de périls d'autant plus dangereux qu'ils n'épousent pas les contours des anciennes menaces. Alors que les économies deviennent de plus en plus interdépendantes, soumises au phénomène de globalisation, la planète se fracture et certains - les plus pessimistes - évoquent même « une géopolitique du chaos ». Je n'ai pas besoin de rappeler que, pour la première fois depuis 1945, l'Europe a connu la guerre, provoquée par le démembrement des anciens Etats fédéraux du bloc communiste.
C'est dire que la sécurité future du continent européen mérite une réflexion approfondie. Or, vous avez engagé, avec une certaine incohérence - j'y reviendrai - le bouleversement de notre appareil de défense. Un an après le début de ce débat, je cherche encore les orientations majeures de politique internationale qui sous-tendent cette réforme. Le Gouvernement, pour une fois, aurait été bien inspiré de prendre modèle sur l'exemple américain en regardant le principe énoncé par l'ancien secrétaire d'Etat à la défense de John Kennedy et Lyndon Johnson. M. Robert MacNamara commençait systématiquement son rapport annuel par un énoncé des objectifs de politique étrangère. « A partir de là - écrivait-il - nous analysions successivement les menaces auxquelles nous étions confrontés dans la poursuite de ces objectifs, la stratégie à suivre face à ces menaces, la structure des forces dont nous avions besoin pour appliquer cette stratégie et les budgets nécessaires. »
Or que savons-nous des objectifs défendus par le Gouvernement ?
D'abord, en ce qui concerne nos alliances, en décembre 1995, vous nous dites que la France est prête à réintégrer toutes les structures militaires de l'OTAN, afin de participer de l'intérieur à sa rénovation.
M. Charles Millon, ministre de la défense. Non !
M. Bertrand Delanoë. Si ! Vous l'avez dit en décembre 1995 !
Puis, et vous n'allez pas pouvoir contester ce que je vais dire maintenant, sans aucune négociation préalable, vous participez de nouveau au comité militaire. A cette époque, toute démarche visant à réaffirmer une identité européenne de défense autonome, en s'appuyant sur l'UEO, semblait abandonnée. Je dis bien « à cette époque ». Notre armée est « retaillée » pour s'intégrer dans les groupes de forces interarmées multinationales. Pourtant, aujourd'hui, nous apprenons que la France menace de stopper son processus de réinsertion au sein de l'Alliance si elle n'obtient pas satisfaction sur le commandement sud. Demain, nous apprendrons peut-être que vous avez cédé sur ce point jugé hier non négociable, à moins que nous n'apprenions l'inverse.
S'agirait-il alors, par cette réforme, d'apporter une contribution à la défense de l'Europe ? Là encore, les prises de position et les actes contradictoires se multiplient. A titre personnel, je considère qu'il y a, dans le texte franco-allemand signé à Nuremberg, pour la partie concernant les relations entre la France et l'Allemagne, des éléments très intéressants et très encourageants. Cependant, je constate l'écart qui existe entre les intentions et la réalité. Par exemple, les directives du conseil franco-allemand préconisent le rapprochement des hommes et des structures. Eh bien, en application de ces directives, vous supprimez le service militaire sans aucune concertation avec nos partenaires européens et vous videz l'Eurocorps d'une partie de sa substance en supprimant les unités françaises basées en Allemagne.
L'ATF, l'avion de transport futur, symbolise toutes ces contradictions. Moyen de projection de force par excellence, réclamé par nos armées depuis vingt ans, projet type d'une coopération européenne, l'ATF risque d'être sacrifié sur l'autel de la rigueur budgétaire. En effet, sans soutien financier de l'Etat, vous compromettez gravement ses chances de développement.
En fait, je me demande, monsieur le ministre, si cette réforme des armées n'obéit pas plus à une logique budgétaire qu'à une logique stratégique.
M. Claude Estier. Bien sûr !
M. André Rouvière. C'est certain !
M. Bertrand Delanoë. En effet, les conditions de sécurité de notre environnement ne se sont pas brusquement modifiées depuis le vote de la loi de programmation en 1994. Ce qui s'est modifié, ce sont les données financières.
En supprimant la conscription, vous espérez, à terme, faire des économies sur le fonctionnement. Or ce ne sera pas le cas, pour deux raisons. D'abord, parce que la transition, nous le constatons déjà, nécessitera la mobilisation d'importants moyens financiers. Ensuite, parce que, une fois la professionnalisation effectuée, il faudra bien payer pour avoir une armée de qualité. Et c'est pourquoi c'est bien le titre V qui supporte et supportera toutes les réductions de crédits, obligeant les armées à attendre leurs matériels majeurs.
Le Président de la République a déclaré qu'une armée devait être professionnelle pour être efficace. Toutefois, cette efficacité dépend tout autant de la qualité et de la quantité des matériels. Même professionnalisée, mais avec un budget d'équipement en diminution, elle ne pourra pas exécuter toutes ses missions.
D'ailleurs, ce flou dans les objectifs se vérifie également dans la définition des missions confiées aux armées. Depuis plusieurs années pourtant, nos responsables militaires mettent en garde les autorités politiques successives, qu'il s'agisse de gouvernements de gauche ou de droite. Ces responsables militaires soulignent régulièrement la difficulté à remplir totalement leur cahier des charges si, dans le même temps, les effectifs continuent de diminuer. En conséquence de votre réforme, l'armée de terre, principale concernée, va perdre 36 % de ses effectifs. Dans ces conditions, il est clair qu'elle ne pourra pas exécuter l'ensemble des missions car aucune n'est abandonnée.
Certes, la défense du territoire sera confiée désormais à la gendarmerie. Mais dans le plan « Gendarmerie 2002 », il est explicitement précisé que celle-ci n'a pas les capacités nécessaires « pour prendre en charge les missions assumées jusque-là par les armées ». Dès lors, monsieur le ministre, à qui incombe la défense du territoire national ? Comment empêcherez-vous toute tentative de contournement de notre force de dissuasion ?
En supprimant le service national, vous créez un acte irréversible. Jusqu'à présent, la conception française de la défense reposait sur la conscription, véritable lien entre l'armée et la nation. Son maintien et sa rénovation me paraissent nécessaires au moment où notre société souffre d'une grave crise d'identité. Tout à l'heure, en entendant votre profession de foi passionnée sur les fractures dans la société et la lutte contre les extrémistes - et je ne doute pas de votre sincérité, monsieur le ministre - j'avais l'impression que vous prononciez un véritable réquisitoire contre votre propre projet de loi !
M. André Rouvière. C'est vrai !
M. Bertrand Delanoë. En effet, l'originalité et la spécificité de la France reposaient sur cette armée mixte, composée d'appelés, de volontaires du service national et de professionnels. C'est une faute grave de vouloir aller à contre-courant d'une réalité forgée par l'histoire sans y substituer une autre toute aussi forte. El je ne veux pas croire un seul instant que, selon vous, la réponse aux déclarations philosophiques que vous avez faites tout à l'heure puisse résider dans le rendez-vous citoyen. S'il existe, actuellement, un authentique esprit de défense en France, c'est parce que des millions de jeunes font leur service militaire et contribuent ainsi à la sécurité du pays.
En abolissant dans les faits la conscription, vous prenez également le risque d'isoler les militaires professionnels de la nation. Plus grave, celle-ci pourrait se désintéresser de conflits extérieurs où une partie de nos forces serait engagée. Souvenons-nous de conflits, dans un passé récent, où notre armée se battait dans un contexte de relative indifférence de la part de nos concitoyens, en particulier celui de l'Indochine.
Certes, le service national, dans sa composante militaire n'était pas parfait. Il pouvait et il devait être réformé. Mais il avait son utilité, y compris opérationnelle. Vous avez salué vous-même, monsieur le ministre, à l'Assemblée nationale, et ici même tout à l'heure, l'action des appelés ayant servi dans des forces d'interposition et de maintien de la paix au Cambodge, au Liban ou dans les territoires de l'ex-Yougoslavie. L'analyse faite par le Livre blanc nous montre que ce type de mission va non pas diminuer, mais se multiplier. Or c'est précisément le moment que vous choisissez pour supprimer la conscription. Il s'agit, là encore, d'une incohérence.
En fait, vous nous présentez un texte assez surréaliste. Son véritable but est de mettre fin au service militaire, mais vous faites semblant de ne pas toucher au service national. Vous essayez bien de sauver la face en nous présentant la création du rendez-vous citoyen comme une « véritable révolution culturelle ». Dès lors, ce rendez-vous est paré de vertus magiques. Par exemple, le brassage social que vous trouviez mal assuré en dix mois, vous prétendez le réussir en cinq jours,...
M. Claude Estier. Eh oui !
M. Bertrand Delanoë ... voire moins si les amendements de M. Serge Vinçon sont adoptés.
En réalité, ce rendez-vous citoyen risque d'être une perte de temps. Il n'a plus aucune vraie finalité militaire, à moins que vous ne comptiez insuffler un esprit de défense à la jeunesse en quarante-huit heures.
Il ne peut pas non plus répondre aux maux dont souffre la société française. S'il s'agit d'améliorer la prévention médicale, obtenez donc du Premier ministre un renfort en personnel et en crédits pour la médecine scolaire ! Si vous voulez vraiment qu'une meilleure instruction civique soit dispensée aux jeunes, exigez de l'éducation nationale qu'elle augmente les heures d'instruction civique, au lieu de les diminuer comme c'est le cas actuellement ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Claude Estier. Absolument !
M. André Rouvière. C'est évident !
M. Bertrand Delanoë. Si vous souhaitez informer les jeunes des différentes formes de volontariat, signez avec votre collègue de l'éducation nationale un nouveau protocole éducation-défense ! Ainsi, les représentants des armées pourraient aller dans les lycées et les collèges afin de présenter les différents types de carrières et le volontariat !
Quant au volontariat, justement, il n'y a plus que M. Xavier Emmanuelli pour s'enthousiasmer. Je me demande si vos grandes déclarations ou celles de nos collègues de la majorité sénatoriale ne masquent pas, en fait, une forme de désengagement. D'ailleurs, les membres de la majorité sénatoriale vont prouver leur degré d'enthousiasme dans quelques heures, en présentant des amendements visant à supprimer le médiateur citoyen, etc.
La création de postes de volontaire trouvait toute sa justification, mais avec le service national. Puisque l'armée doit être entièrement professionnalisée, on ne voit plus très bien l'intérêt de conserver ces postes. En réalité, monsieur le ministre, vous faites appel à des volontaires car vous manquerez de crédits pour avoir tous les effectifs professionnels nécessaires.
En ce qui concerne les formes civiles du volontariat, je partage les analyses présentées récemment par le Conseil économique et social. Contrairement à vos affirmations, ces postes de volontaire feront bien concurrence à de véritables emplois. Et le volontariat que vous nous proposez reproduira en pire les inégalités si critiquées du service national actuel. Ainsi, non seulement les postes de volontaires servant en entreprise, qui ont tant choqué, ne sont pas supprimés, mais leur nombre est augmenté. Quel rapport peut-il y avoir entre un jeune volontaire animant un service social en banlieue et celui qui effectuera son volontariat en entreprise à Singapour ?
Je vous l'ai dit, je ne conteste pas le principe d'une réforme de notre outil de défense. Celui-ci devait être adapté à la nouvelle donne internationale. Mais j'aurais préféré que le but principal de la réforme fût bien la constitution d'une entité européenne de défense afin d'offrir à l'Europe un pôle de stabilité et de sécurité. Bien sûr, cela suppose des efforts très difficiles en vue d'élaborer une politique étrangère commune, mais également des démarches pragmatiques. L'illustration la plus urgente de ce besoin de volontarisme et de pragmatisme devrait s'appliquer à la construction d'une industrie européenne d'armement sans laquelle il n'y a pas de défense indépendante.
Toutes les analyses convergent pour dire que les Américains ont décidé de gagner tous les marchés à l'exportation et que l'Europe constitue leur principal adversaire. Or, que constatons-nous ? Le paysage de l'industrie de défense aux Etats-Unis se modifie depuis quelques années ; cette transformation a d'ailleurs connu récemment une accélération considérable, car le but de ce pays est de remporter cette bataille économique.
Et la France pendant ce temps-là ? Son industrie de défense est aujourd'hui en stand-by, dans l'attente des privatisations. Etait-ce vraiment le moment opportun pour que l'Etat se désengage de ce secteur vital ?
Enfin, monsieur le ministre, vous semblez avoir oublié qu'il existait un cadre de références que nous avons approuvé, que vous avez approuvé : celui du Livre blanc. Nous y faisions ensemble le choix d'une armée mixte associant professionnels et appelés, le service national demeurant « le meilleur gage de l'attachement de la nation et des citoyens à leur défense ». Depuis 1994, le contexte géopolitique n'a pas changé, ce que vous reconnaissez vous-même. Par conséquent, les besoins n'ont pas changé. C'est pourquoi nous considérons que votre réforme est une mauvaise réforme.
Elle est imprudente pour la défense de nos intérêts vitaux, et particulièrement du point de vue de la sécurité du continent européen.
Elle est philosophiquement dangereuse, quel qu'ait été tout à l'heure votre discours, car elle menace très sérieusement le lien essentiel entre l'armée et la nation.
Vous le voyez, monsieur le ministre, c'est bien pour des raisons de fond que nous voterons contre votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici donc arrivés à l'examen de l'avant-dernier étage des dispositions apportant bien des bouleversements dans la défense de notre pays. J'ai parlé d'étage. Je devrais souligner de nouveau que l'immeuble dont nous avions à suivre la construction depuis le 22 février 1996 avait une allure bizarre. Il nous a été demandé d'examiner d'abord la toiture, avant d'en arriver aujourd'hui à l'une de ses fondations essentielles.
Il est vrai, monsieur le ministre, que cette méthode peu académique avait aussi pour objet d'obtenir un vote massif de votre majorité parlementaire et d'éviter peut-être que ne s'expriment d'emblée les multiples appréhensions partagées par bon nombre de parlementaires de la majorité.
J'ai déjà cité à plusieurs reprises des extraits significatifs du Livre blanc de 1994, qui indiquait clairement que le service national constituait l'un des socles de notre défense.
Je prendrai aujourd'hui une citation plus récente encore, extraite de la loi de programmation militaire pour les années 1995 à 2000. Il y était affirmé avec justesse que « le recours aux appelés traduit concrètement l'union historique de la nation et de son armée et contribue à la nécessaire cohésion sociale » et que « la conscription est et sera seule en mesure de fournir les ressources humaines (active et réserve) permettant de faire face aux risques du futur ».
Au cours de ces deux dernières années, il ne nous semble pas que se soient produits de bouleversements tels qu'ils soient susceptibles de remettre en cause ce constat.
Au même titre que les ressources économiques, que la capacité de vision politique et diplomatique, que la stabilité de l'environnement international proche et que la valeur des forces armées, la cohésion nationale autour de la défense est l'un des critères reconnus de puissance d'une nation.
« L'arme la plus efficace cesse de l'être quand le bras qui la soutient devient défaillant », dit-on souvent avec raison. Pour être réellement efficace, une politique de défense doit pouvoir s'appuyer sur les valeurs fondant l'esprit de défense de la population du pays.
Plus que tout autre domaine de la vie d'un pays, celui de la défense doit pouvoir s'appuyer sur l'adhésion consciente d'une large majorité de la population à ses objectifs, sur sa compréhension, sa détermination, le moment venu, et sur son niveau de conscience civique.
Que ce soit dans l'engagement d'opérations extérieures ou en cas de menace intérieure - terrorisme ou autre - le niveau de compréhension des populations, le lien entre le pays et son armée sont aussi importants que la valeur de nos armes et de ceux qui les mettent en oeuvre.
Ce lien armée-nation prenait sa source dans la participation du peuple au service national, sous la forme du principe du citoyen défenseur de la patrie, institution fondée sous la Révolution, codifiée le 5 septembre 1798, amendée en 1872, puis en 1905. Ce n'est finalement qu'au cours de ce siècle que cette notion a pris sa forme achevée en devenant inséparable d'une conception citoyenne de la nation.
Pourquoi tourner le dos aujourd'hui à tout cela ?
La disparition du service national, notamment dans sa forme militaire, apportera un affaiblissement, voire la disparition du lien citoyen entre l'armée et la nation.
On peut même se demander si ce qui est menacé n'est pas, plus largement, le lien entre la nation et ses citoyens.
Ainsi, la suppression du service national fait éclater au grand jour l'une de ses principales propriétés qui, à notre sens, ne pourra jamais être remplacée : son caractère social.
Même avec ses défauts et ses pesanteurs, le service national participait à contenir la fracture sociale. Nombreux sont les exemples montrant combien les armées ont joué un rôle formateur et social : en 1995, 65 000 jeunes relevant d'un dispositif de dépistage de l'illettrisme y étaient détectés.
Le service national permettait encore un certain brassage des milieux sociaux et des terroirs. Il permettait aux jeunes Français issus de l'immigration de franchir une étape importante dans leur intégration dans la communauté nationale. Bien des exemples montrent que ce passage sous les drapeaux avait agi chez certains jeunes défavorisés, issus de l'immigration maghrébine par exemple, comme un antidote à l'égard de l'intégrisme religieux.
En cette époque qui pousse plus à l'individualisme qu'à la solidarité, qui incite plus à l'égoïsme qu'au développement des valeurs collectives, le service national restait encore pour bon nombre de jeunes une première expérience de vie communautaire - la seule expérience de ce type pour beaucoup d'entre eux - où chacun est obligé de composer, de vivre avec les autres. Cela valait aussi bien pour les jeunes surprotégés qui, ainsi, sortaient de leur cocon que pour les jeunes issus des milieux en difficulté, qui sortaient pour la première fois de leur ghetto social et culturel.
Même si, bien sûr, cela était plus vrai autrefois qu'aujourd'hui, le service national reste encore un passage à l'âge adulte, aidant bon nombre de garçons à sortir de l'adolescence, à commencer à assumer leur condition d'adulte.
Et si le service national pouvait être trop souvent vécu par les jeunes les plus favorisés comme une perte de temps, il était le premier moment pour les plus défavorisés, les plus modestes, où un sentiment de reconnaissance d'utilité sociale se manifestait ; ce sentiment était doublé, de la perception que l'on pouvait vous faire confiance puisque l'on vous permettait de porter les armes, que l'on vous apprenait à vous en servir pour défendre votre pays.
Sans sous-estimer, bien évidemment, l'impact du volontariat, on peut dire aujourd'hui que c'est aussi tout cela qui va disparaître, pour l'essentiel, avec votre projet de loi, monsieur le ministre.
L'argument d'une armée de métier plus efficace qu'une armée mixte ne tient pas. La conscription apporte à nos armées bon nombre de jeunes formés aux technologies modernes. Ils sont d'un niveau moyen supérieur, on le sait bien, à celui des engagés.
Bon nombre d'unités connaîtront les plus grandes difficultés à se passer des jeunes appelés : la perte de la qualification et de la formation technique apportées aujourd'hui par les jeunes du contingent sera sensible et, par endroits, difficilement surmontable.
Je ne prendrai que quelques exemples à cet égard : 35 % des médecins, 60 % des pharmaciens, 95 % des dentistes, 75 % des vétérinaires, 50 % des informaticiens sont des appelés.
Des opérations comme Vigipirate, nécessitant la disponibilité de 50 000 militaires, montrent bien la nécessité pour notre pays de pouvoir mettre en oeuvre des effectifs importants face à des menaces non militaires.
L'armée mixte était-elle inadaptée pour les actions extérieures ? Nous ne le pensons pas. Au Liban, au Cambodge, en ex-Yougoslavie - le général Morillon le rappelait récemment - la majorité des militaires français étaient soit des appelés, soit des jeunes engagés ayant signé un contrat à l'issue de leur service national. Leur comportement sur le terrain, leurs qualités humaines et leurs compétences ont souvent étonné leurs cadres et ceux des armées étrangères.
Avec l'armée de métier, vous voulez créer une force d'action rapide aux dimensions de l'armée tout entière dont la mission prioritaire sera non plus la défense opérationnelle du territoire national, mais d'abord la participation à des opérations extérieures, sous tutelle de l'OTAN ou de l'ONU, de maintien de la « pax americana ».
En fait, monsieur le ministre, vous êtes en retard d'une guerre : vous préparez la guerre du Golfe, alors qu'elle est terminée depuis six ans !
Je vous avouerais n'avoir pas grande envie de vous parler de ce rendez-vous citoyen - MM. Delanoë et Clouet, notamment, l'ont d'ailleurs fait excellemment - cette pauvre tentative de répondre aux inquiétudes suscitées, dans le pays et chez bon nombre de cadres militaires, par la suppression du lien principal entre le pays et son armée, par la disparition de ce lien d'intégration sociale et civique de bon nombre de jeunes.
D'ailleurs, l'exposé des motifs du projet de loi que vous avez présenté à l'Assemblée nationale précise que ce rendez-vous se plaçait dans un cadre non militaire, bien que sous la responsabilité de votre ministère.
On voit mal comment, sans cadre ni sans un minimum de discipline militaire, va pouvoir être maîtrisée cette cohabitation de jeunes venus de tous les horizons et sur quoi pourra s'appuyer l'encadrement pour éviter la pagaille et les débordements.
Nous pensons finalement que ce projet de « rendez-vous citoyen » va à l'encontre de nos conceptions républicaines et comporte des aspects anticonstitutionnels, ce que montrera fort bien, demain, mon amie Danielle Bidard-Reydet en défendant la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, à moins que la motion tendant à opposer la question préalable déposée à juste raison par nos collègues socialistes, et que nous soutiendrons, ne soit adoptée.
La majorité de ceux qui s'intéressent à ces questions, forces vives de la citoyenneté, s'opposent à la suppression du service national : il en est ainsi de la plupart des organisations de jeunesse et des syndicats, des partis politiques de gauche, de la commission « armées jeunesse » et de la plupart des fédérations de réservistes ; même le Conseil économique et social émet de sérieuses réserves sur votre projet, monsieur le ministre.
Nous savons aussi qu'un nombre non négligeable de cadres militaires ainsi que certains de nos collègues de la majorité sénatoriale partagent cette opinion.
Oui, nous sommes nombreux à refuser cette nouvelle démission de l'Etat, à refuser de céder à la facilité consistant à « caresser les jeunes dans le sens du poil » ; en effet, les effets destructeurs se mesureront dans quelque temps, et même au plus haut niveau, lorsque, par exemple, les jeunes actuels seront en charge des destinées du pays avec une culture de défense amoindrie, lorsque les officiers n'ayant jamais commandé un appelé et ayant toujours vécu dans un monde particulier occuperont les différents postes de commandement dans nos armées.
Il est vrai que, faute d'avoir été réformé à temps, le service national, notamment dans sa forme militaire, a bien évidemment beaucoup perdu de sa crédibilité.
Le choix politique d'une armée de métier a été préparé dans l'opinion par la déconsidération du service militaire.
Trop long, avec une instruction militaire et civique trop souvent sommaire et médiocre, le service national donnait le sentiment à beaucoup de jeunes, dans bon nombre d'unités, de perdre leur temps. Ils ressentaient le service comme un obstacle à la recherche du premier emploi ou un handicap dans le cursus des études ou des formations.
Le service militaire, vieux pilier républicain, était malade par manque de moyens et de méthodes. Il avait besoin d'une bonne réforme et d'une sérieuse modernisation. Il avait besoin d'être mis à l'heure de notre époque, de tenir beaucoup plus compte de ce qu'est la jeunesse actuelle et de ses problèmes.
Et bien non ! Au lieu d'engager le bon chantier, de chercher la bonne réponse, le Gouvernement et le Président de la République ont préféré faire disparaître le malade plutôt que d'essayer de le guérir.
Que deviendrait notre société, monsieur le ministre, si l'on supprimait toutes les institutions qui ne donnent pas entière satisfaction ?
Nous ne nous associerons pas à une démarche qui est, selon nous, néfaste pour notre pays.
Nous étions, et nous sommes toujours disponibles et ouverts pour mettre en chantier une refonte du service national, une large modernisation remettant en cause ses archaïsmes et sa longueur.
Depuis longtemps, nous préconisons un service national comportant, pour tous les jeunes gens, une période d'instruction militaire et civique digne de ce nom, plus court, sans perte de temps, plus efficace, au cours duquel non seulement les valeurs de citoyenneté seraient enseignées, mais aussi où le jeune serait considéré comme un vrai citoyen avec des devoirs, bien entendu, mais aussi des droits.
Certes, nous n'en sommes plus, de ce point de vue, au temps où le contingent était en partie encadré par des militaires marqués par les guerres coloniales et dont les conceptions républicaines étaient plus qu'approximatives, ou plus exactement plus approximatives que républicaines. Non, nous n'en sommes plus là, mais des progrès restent tout de même encore à faire dans ce domaine.
S'il est vrai que la professionnalisation de nombre d'unités est une nécessité, que je comprends parfaitement, il est tout aussi vrai que notre défense a besoin d'une participation active de ses jeunes citoyens et que, réciproquement, même si cela peut paraître un peu désuet de le dire, chaque jeune Français a besoin, pour devenir un citoyen accompli - et non pas seulement un consommateur - d'une formation civique et militaire de base.
Et, si le déroulement de cette formation doit gêner le moins possible le fonctionnement des unités opérationnelles, s'il convient qu'il soit adapté à notre temps et qu'il réduise les contraintes pour les jeunes, s'il doit avoir un coût compatible avec l'effort de réduction du déficit public et avec les nécessaires priorités nationales - sociales, notamment - il faut en fin de compte se souvenir de l'indication fondamentale du Livre blanc de 1994 : « Le service national demeure le meilleur gage de l'attachement de la nation et des citoyens à leur défense ».
Cela reste vrai pour nous ! Dommage que cela ne soit plus le cas pour vous, monsieur le ministre !
Avec ce projet de loi qui apporte la touche finale à une mauvaise réforme, à un « chamboulement » de notre défense nationale, nous avons la conviction qu'à la fracture sociale s'ajoutera tôt ou tard une insidieuse mais profonde fracture civique.
Nous considérons, comme beucoup de Français attachés aux idéaux républicains, que la défense ne devient nationale que lorsque les citoyens en sont les acteurs conscients et responsables.
Tourner le dos à cette évidence équivaut à s'engager dans la voie de la démission et de l'affaiblissement de notre pays. Actuellement, la mise à disposition de l'OTAN - plus que jamais sous domination américaine - de nos forces armées illustre ce désengagement.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ne peuvent donc que repousser avec détermination ce présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Vigouroux.
M. Robert-Paul Vigouroux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi dont nous discutons comporte deux versants.
Le premier est abrupt : un pan de montagne est écroulé, celui de l'armée du peuple qui défend la nation, la République, la conscription qui mixte les classes sociales, les citadins aux ruraux, l'étudiant au manoeuvre, à l'apprenti, le Ch'timi au Breton, l'Auvergnat au Provençal. C'est toute une imagerie de sacrifices, le tambour d'Arcole, les casoars de Saint-Cyr, les poilus de Verdun et les premiers duels dans le ciel, l'armée défaite en 1940 et qui renaît dans la Résistance derrière notre drapeau tricolore, le Chant des Partisans et la Marseillaise avec, à ses côtés, des combattants dont les ancêtres n'étaient pas Gaulois : tirailleurs algériens et sénégalais, goumiers, ceux de la Légion étrangère et d'autres encore. En chaque commune un monument aux morts fleuri dans le souvenir et le respect !
Il est vrai que seule une armée de métier peut désormais apprendre à utiliser les armes sophistiquées que la modernité invente.
Mais il est vrai aussi que, dans des conflits récents, la volonté et l'abnégation d'un peuple, sa connaissance du terrain, son soutien populaire, ont pu triompher de la haute technicité militaire opposée.
Et il est vrai encore que l'éventualité d'une guerre totale que l'on refuse d'imaginer serait de la responsabilité des chefs politiques.
Mais comment lutter contre cette guerre psychologique, plus pernicieuse, attisée par la montée des intégrismes et leurs actions terroristes ?
Sur ces points, les divergences traversent les clivages politiques, dans les couloirs à défaut de s'exprimer dans les scrutins.
Le second versant, le rendez-vous citoyen, qui attendra 2003 pour devenir également celui des citoyennes, se dessine en terre inconnue.
Si le principe est louable - lutter contre la fracture sociale, donner une nouvelle chance aux jeunes de trouver une place dans la société, leur procurer un moyen privilégié d'intégration sociale - sa mise en oeuvre et son efficacité m'apparaissent bien aléatoires en fonction des moyens prévus.
Je m'interroge sur la forme et le fond.
Sur la forme, d'abord : en cinq jours, qui ne seront que quatre de par l'accueil à l'arrivée et les formalités de départ, en dix centres - et d'autres peut-être dans le futur - en quarante semaines au maximum, comment, de manière sérieuse, faire le bilan de santé des participants, leur fournir une information dans ce domaine, dresser avec eux un bilan de leur situation personnelle, scolaire, universitaire et professionnelle, rappeler le fonctionnement des institutions de la République et de l'Union européenne - vaste programme ! - expliquer les enjeux de la défense, conforter l'esprit d'appartenance à une communauté nationale et présenter les différentes formes du volontariat ?
Des chiffres, dès lors, se bousculent dans ma tête. J'ai eu recours à ma calculette et, depuis, je me pose des questions et les pose à mon tour : je ne suis pas un donneur de leçons en arithmétique, pas plus, d'ailleurs, qu'un receveur.
Mon propos ne concerne pas le coût de l'opération, car j'estime que l'on ne doit pas lésiner sur les dépenses destinées à notre jeunesse et que les retombées civiques, sociales et, bien sûr, humaines d'un tel rendez-vous seront profitables à l'ensemble de notre pays. Encore faut-il dégager les moyens financiers nécessaires à une telle organisation.
Je pense surtout aux réalités techniques.
Les générations à venir représentent, en moyenne annuelle, plus de 380 000 sujets de sexe masculin, auxquels s'ajouteront, en 2003, 380 000 adolescentes, soit un total minimum de 760 000 jeunes par année.
Je ne prendrai que deux exemples, en médecin et en enseignant. Un examen médical, pour être correct, exige une heure par personne dans ses différentes composantes. Un entretien pédagogique nécessite une autre heure pour chacun.
Je vous fais grâce des calculs. En fonction des données, trente médecins et trente pédagogues seront nécessaires en chaque centre, et ce pendant quarante semaines par an. Au vu des prévisions du rapport, et plus encore de la répartition de l'encadrement, on peut se demander à qui seront confiées des tâches qui sont du ressort de l'éducation nationale, des services de santé publique et des centres d'orientation. Nous ne sommes pas sur la même longueur d'ondes !
Et voilà 960 jeunes arrivant dans un centre, chacune des quarante semaines, divisés en trente-deux groupes de trente, pour être examinés, testés, enseignés, orientés en huit heures par jour. Qui soutient ce rythme ? Et comment ? Soit vous serez confrontés à l'écueil de la superficialité, soit - et j'y vois l'effet d'une conception trop technocratique - la densité des interventions s'apparentera plus à un séminaire de cadres supérieurs qui ne saurait répondre à un objectif de formation très diversifié et aux préoccupations multiples des jeunes présents.
J'envisage la réalisation. Qu'en sera-t-il ? L'oeuf de Christophe Colomb m'a séduit, mais personne ne m'a démontré comment faire tenir un tonneau dans une bouteille d'un litre, sauf peut-être si elle est cassée.
J'en viens au fond en soulevant deux questions.
Premièrement, comment adapter notre défense à l'évolution géopolitique de la menace, et qui peut dire ce que sera la situation mondiale dans les années à venir ?
M. Charles Millon, ministre de la défense. Personne !
M. Robert-Paul Vigouroux. L'éventuel appel sous les drapeaux de citoyens qui n'auront eu aucune formation militaire préalable résout-il le problème ?
Deuxièmement, comment renforcer la cohésion nationale et insuffler aux jeunes Français l'esprit de défense de leur, de notre communauté ? Les cinq jours tels qu'ils sont aménagés n'y pourvoiront certainement pas. On ne peut pas conduire la politique d'un pays en fonction des sondages, dont les questions sont savamment formulées.
Ce n'est pas l'armée qui est en campagne pour des échéances. Qui donc alors ?
Je ne sais si, comme l'écrivait André Malraux, ce qui fait la force d'une nation c'est la communauté de rêve ; ce dont je suis sûr, et je fais cette fois référence à Renan, c'est qu'elle est l'aboutissement d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements.
Enfin, une dernière question : l'objectif est prévu en faveur de la jeunesse. Pourquoi nos jeunes citoyennes en seront-elles écartées pendant de longues années, ne pouvant bénéficier ni d'un examen médical, ni d'orientation professionnelle, ni d'enseignement ? Comment feront-elles pour accéder aux différents volontariats formateurs ?
Nous sommes la France, monsieur le ministre, la France avec ses lois, ses méthodes, son esprit, et surtout sa position géographique qui ne nous place pas dans les mêmes conditions que d'autres pays.
Je ne conteste pas l'opportunité d'une réforme de notre outil de défense, demandée par le Président de la République. Nous avons assisté, lors de cette dernière décennie, à l'accélération d'un processus historique avec la désintégration de l'empire soviétique, l'émergence de sentiments nationalistes exacerbés, la montée en puissance de l'intégrisme. Ces nouvelles données nécessitent d'autres schémas et l'évolution de nos options militaires.
Je ne conteste pas la triple ambition de raffermir le civisme de la jeunesse, de maintenir la cohésion nationale, de renforcer l'esprit de défense. Mais vos propositions ne sont pas en phase avec les objectifs visés. Cette inadéquation entre un projet et la possibilité de son exécution nécessite donc de profondes et indispensables évolutions du texte de loi présenté. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans son ouvrage prémonitoire écrit en 1934, Vers l'armée de métier, le général de Gaulle cite Napoléon : « La politique d'un Etat est dans sa géographie. »
C'est en application de ce concept que la conscription s'est mise en place, dès la Révolution, avec la loi du 5 septembre 1798, dite « loi Jourdan », et sous la IIIe République, avec la loi du 21 mars 1905.
La longueur de nos frontières maritimes et terrestres a imposé la formule du soldat citoyen. La défense préservera les intérêts vitaux de la France, et ce grâce à un service militaire obligatoire s'imposant à tous.
L'impératif géographique a évolué avec les nécessités de l'Empire, nos frontières étant situées, un temps, sur les cinq continents.
Aussi toutes les réformes du service national depuis près d'un siècle ont-elles cherché à l'adapter aux évolutions géographiques et socio-économiques et à la conjoncture extérieure à nos frontières.
Que faisons-nous aujourd'hui, si ce n'est essayer de l'adapter une nouvelle fois, en intégrant la chute du mur de Berlin et du pacte de Varsovie, le fait nucléaire, une Allemagne de 82 millions d'habitants fortement intégrée dans l'Union européenne, la prolifération des conflits locaux nés de la disparition des deux blocs et la poursuite des luttes d'influence ayant pour but de mettre la main sur des ressources encore peu exploitées dans le monde ?
Laissez-moi formuler un regret, un souhait et une interrogation. Lorsque la Grande Russie sera à nouveau présente sur l'échiquier militaire et la Chine également, il nous faudra bien arriver à une plus grande intégration de nos forces à celle des autres pays faisant partie de l'Union européenne.
M. Jean-Luc Mélenchon. Pourquoi ?
M. José Balarello. Ne craignez-vous pas qu'à ce moment-là il ne soit trop tard ?
Où en sommes-nous, monsieur le ministre, de l'intégration européenne des productions d'armement permettant seule d'augmenter les séries ?
Le char Leclerc et l'avion Rafale sont certainement les meilleurs, mais nous n'avons pu les faire partager aux autres Européens.
Ne faudrait-il pas profiter du calme relatif régnant dans le monde pour avoir une vision plus prospective et prendre des initiatives européennes, par exemple, pour l'Albanie ?
Il est certain, monsieur le ministre, que le Président de la République et vous-même avez raison de demander un commandement européen pour les forces de l'OTAN en Europe. A défaut d'armée européenne ou de corps de bataille européen, ce pourrait être un début.
Il nous faut regretter, à ce propos, que les Quinze ne se rapprochent pas pour trouver un système cohérent - armée professionnelle comme en Angleterre ou en Belgique, ou conscription comme en Espagne, en Italie et en Allemagne.
Nous aimerions, monsieur le ministre, vous entendre sur ces points qui nous semblent délicats à traiter, certes, mais d'une grande importance.
Cela étant, quelle est la situation actuelle ? M. le rapporteur nous l'a dit, notre budget de défense est, en 1997, de 243,3 milliards de francs au total, y compris les pensions, les données pour le Royaume-Uni et l'Allemagne étant respectivement, en chiffres arrondis, de 170 milliards de francs et de 207 milliards de francs. Quant à la part de notre défense dans le budget de l'Etat, elle est de 3 % du produit intérieur brut, également de 3 % en Grande-Bretagne, de 1,7 % en Allemagne et de 3,7 % aux Etats-Unis.
La défense française, en 1997, c'est au total 540 000 personnes, si l'on retire le personnel civil de la délégation générale pour l'armement, la DGA. La marine est d'ores et déjà professionnalisée à 80 %, l'armée de l'air à 70 %, les services communs à 65 % et l'armée de terre à plus de 50 %.
Rappelons que ce budget pour 1997 est le premier qui soit élaboré dans le cadre de la loi de programmation 1997-2002 du 2 juillet 1996, qui a posé le principe de la professionnalisation de nos forces armées.
Ce budget permet de disposer de 305 627 militaires de carrière ou sous contrat, de 169 520 appelés et de 98 969 civils, en ce y compris 80 694 gendarmes de carrière ou sous contrat encadrant 12 211 gendarmes auxiliaires composés d'appelés qui sont très importants pour le maintien de nos brigades de gendarmerie, dans le monde rural surtout.
Ce système d'armée mixte verra ses effectifs réduits de 573 081 à 440 206 hommes à l'horizon 2000 et, si l'on suit le modèle « Armée 2015 », texte de prospective, les effectifs à cette échéance seraient réduits de 30 %.
Le système élaboré sera donc le suivant, tel qu'il résulte à la fois de la loi sur la programmation militaire, de la réforme de la délégation générale pour l'armement, de l'adoption au mois de décembre de la loi votée en faveur du personnel militaire dans le cadre de la professionnalisation des armées et du présent projet de loi : un corps de bataille de 35 000 hommes projetables immédiatement et simultanément sur deux théâtres d'opérations, capables d'utiliser les systèmes d'armes les plus modernes, et supposant l'existence d'un « vivier » de 60 000 hommes afin d'y puiser les réserves nécessaires. Avec les forces de soutien, cela nécessite un module total de 135 000 hommes pour l'armée de terre, qui correspond au modèle « Armée 2015 ».
Il est certain que, au regard de conflits localisés - telles la guerre du Golfe, où nous avons eu quelques difficultés à envoyer 15 000 hommes - il s'agit du meilleur choix. Cependant, la situation internationale peut évoluer très vite, et l'on ne peut préjuger l'évolution de la Russie ou même de quelques pays du pourtour méditerranéen. N'oublions pas, monsieur le ministre, qu'en 1931, lors du débat budgétaire à l'Assemblée nationale, plusieurs orateurs excluaient tout conflit en Europe pour les années suivantes. Or nous étions au lendemain de l'occupation de la Ruhr. Même un grand homme comme Edouard Daladier - je me suis penché sur les débats de l'époque - indiquait, le 21 février 1931, lors du débat sur le budget des armées : « Nous sommes nombreux à penser que les dépenses militaires et les sacrifices exigés du pays sont peut-être excessifs. » Il évaluait mal la situation, on connaît la suite !
C'est là que le problème des réserves revêt une grande importance, dans la mesure où toutes les armées professionnelles, notamment les armées anglo-saxonnes, font appel à des réserves qui sont, certes, moins nombreuses que celles qui sont issues de la conscription, mais plus disponibles et mieux équipées. Actuellement, l'armée de conscription fournit une ressource très large en militaires de rang et cadres du contingent, mais aussi en réservistes, puisque l'obligation d'être dans la réserve s'étend jusqu'à l'âge de trente-cinq ans.
Si une armée professionnelle au format réduit peut intervenir rapidement dans le traitement d'une crise du type de celle qu'a connue l'ex-Yougoslavie, elle aura besoin de renforts pour durer si la crise se prolonge, d'où la nécessité de disposer de réserves vraiment opérationnelles. Mais comment les avoir ?
Monsieur le ministre, vous nous avez précisé, lors d'une audition récente, que le système issu du présent texte et de la loi de programmation militaire prévoit deux types de réserves : d'une part, une première réserve mobilisable en trois jours, comportant 100 000 hommes provenant à la fois des carrières courtes militaires - démobilisés après trois ans - et de volontaires qui auront fait un an, dans le cadre du contrat prévu par le texte proposé pour l'article L. 121-2 du code du service national, c'est-à-dire les volontaires désireux d'accomplir un service dans les domaines de la défense, de la sécurité, de la coopération et de la prévention qui participent aux missions des forces armées ; d'autre part, une seconde réserve mobilisable en trente jours, au volume non encore déterminé, qui comprendra les réservistes répondant aux critères d'emploi des armées. Nous sommes sceptiques sur ce point car, pour la plupart, ils n'auront pas même fait un seul jour de service militaire. Que prévoyez-vous pour leur apporter une formation militaire de base ?
Cet aspect primordial conditionne, à notre avis, l'échec ou la réussite de la réforme : sans réserves opérationnelles et sans incitations fortes à l'engagement dans la future armée de métier, nous risquons de n'avoir pas assez d'hommes pour assurer la relève.
En effet, une armée de métier, ce ne sont pas seulement des forces projetables, vous le savez, monsieur le ministre. Il faudra aussi remplacer toute une série de spécialistes fournis à peu de frais actuellement par la conscription tels les médecins, les traducteurs, les mécaniciens, les cuisiniers, les conducteurs d'engins ainsi que, notamment, les personnels de la gendarmerie auxiliaire.
Là encore, les incitations devront être fortes, que ce soit pour le volontariat ou pour l'engagement. Vous en avez prévu dans votre projet ; le seront-elles suffisamment en cas d'une reprise forte de l'économie ? Les exemples de pays étrangers sont révélateurs : les armées belge et britannique connaissent de réelles difficultés de recrutement, même en forte période de chômage, et les emplois ne couvrent pas les postes budgétaires.
Qu'en serait-il dans le cadre d'une crise grave en Europe ou sur le pourtour méditerranéen, avec des réserves limitées et une population qui, pour tout service militaire, aura effectué le rendez-vous citoyen ? N'était-il pas préférable d'avoir un service militaire limité à six mois - mais nous avons tranché différemment - à côté d'un corps de professionnels, ne serait-ce que pour avoir un encadrement convenable en cas de mobilisation ? La question méritait, monsieur le ministre, d'être posée. Dans mon département, où se trouvent rassemblés un grand nombre d'officiers généraux du cadre de réserve ou à la retraite, les réunions qui ont eu lieu sur l'initiative des préfets allaient quasiment toutes dans ce sens.
Une deuxième question importante se pose concernant le rôle de brassage des populations qui incombait à la conscription.
Les rapporteurs du Sénat et de l'Assemblée nationale nous disent que la conscription ne remplissait plus son rôle de brassage, puisque sa vocation égalitaire et universelle n'était plus assurée. Je ne partage pas leur avis. En tout état de cause se pose le délicat problème de la double nationalité au regard du service national, puisque certains binationaux - nous pensons tous aux jeunes Français d'origine algérienne - en fonction de l'évolution politique de l'Algérie, demanderont ou non à aller faire leur service dans ce pays.
Toute une frange de notre jeunesse, qui aura bénéficié d'une formation militaire durant son service national, pourra à son retour faire sienne l'idéologie d'un pays étranger et faire du prosélytisme.
M. Jean-Luc Mélenchon. Doucement !
M. José Balarello. Ne vous dissimulez pas le problème !
M. Jean-Luc Mélenchon. Les Français sont Français ! Un point c'est tout !
M. José Balarello. Ce n'est pas irréaliste puisque, en 1989, 2 277 jeunes avaient choisi de faire leur service militaire en Algérie contre seulement 548 en France, même si les premiers ne sont plus que 464 entre 1994 et 1996.
Le simple bon sens et la sagesse recommandent de mettre fin à ces conventions et d'instaurer un service national obligatoire au lieu de résidence.
Le projet de loi qui nous est présenté traite également des nouvelles modalités du recensement. Il instaure un Haut conseil du service national chargé de veiller à l'application des principes et un « rendez-vous citoyen » qui regroupera pendant cinq jours toutes les jeunes filles et tous les jeunes gens afin d'évaluer leurs capacités intellectuelles, dresser leur bilan de santé et les informer sur leurs devoirs de citoyen, les carrières qui s'ouvrent à eux au sein de l'institution militaire et les volontariats qu'ils pourront effectuer dans le cadre de la défense ou au profit d'autres ministères.
Ce rendez-vous citoyen a été souvent critiqué. Nous pensons, pour notre part, qu'il peut être une bonne chose si les moyens nécessaires sont donnés, afin qu'un vrai bilan personnel de chacun des jeunes Français qui s'y présente soit dressé et qu'un certain nombre d'entre eux aillent grossir les rangs des volontaires et des militaires de carrière.
Voilà, mes chers collègues, quelques-unes des interrogations auxquelles nous devrons répondre, afin d'adapter au mieux notre système de défense aux réalités qui ne manqueront pas d'apparaître dans les années à venir. Cela dit, je voterai le texte du Gouvernement, comme la grande majorité du groupe des Républicains et Indépendants, tout en souhaitant, monsieur le ministre, que, d'ici à 2002, une concertation s'instaure à l'échelon de l'Union européenne pour harmoniser, sinon intégrer, nos politiques de défense. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. de Gaulle.
M. Philippe de Gaulle. La page vient d'être tournée, depuis le temps où la « nation armée », autrement dit « chaque homme un fusil » - fusil à un coup - formait les plus gros bataillons d'Europe.
Les raisons de ce changement ont été amplement débattues, et même si les regrets et les nostalgies restent nombreux et profonds, mon propos n'est pas d'y revenir. Nous en sommes maintenant à l'armée des volontaires, c'est-à-dire à l'armée professionnelle.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons donc avoir, à court terme, une armée adaptée à notre économie, à notre démographie, à notre technologie et, bien entendu, aux menaces potentielles qui sont nucléaires - je ne crois pas à la non-prolifération nucléaire - subversives et classiques, dans l'ordre actuel.
De l'ancien système de conscription, conscription qui est non pas définitivement supprimée mais suspendue, un dispositif centralisé de recensement et d'évaluation des moyens humains a été mis en place au fur et à mesure des années avec beaucoup d'expérience et d'efficacité par l'armée de terre, qui en a le monopole depuis la fin de l'inscription maritime.
Sauf à le perfectionner techniquement, il ne faut pas toucher à ce dispositif, non seulement pour conserver nos meilleures capacités d'appel au service éventuel des citoyens, selon nos besoins et selon les délais ou les armements disponibles, mais aussi parce que, en notre temps de confusion sociale et de cosmopolitisme apatride, ce recensement demeure un excellent moyen d'identification individuelle et civique.
Pour atteindre les buts qui paraissent essentiels, le rendez-vous citoyen tel qu'il est aujourd'hui proposé me semble trop ambitieux, trop lourd à mettre en oeuvre et d'un rapport coût-efficacité trop élevé pour remplir ses buts d'instruction, d'endoctrinement civique et de bilan, personnel ou professionnel.
Dans le projet de loi, il est prévu, à terme, d'y inclure les femmes. Ce serait encore l'alourdir pour une utilité qui ne paraît pas évidente.
Puisque les femmes n'ont pas directement le combat comme fonction naturelle, je ne vois pas la nécessité, dans un avenir prévisible, de les ajouter à un recensement militaire, d'autant que les fonctions d'éducation et de services, publics ou non, qu'elles assument déjà indépendamment de l'armée ne les empêchent nullement, depuis les Forces françaises libres de 1940, de fournir toutes les volontaires dont on a besoin. Notons en passant que cette professionnalisation militaire féminine n'a jamais affaibli les liens armées-nation chez les femmes.
Dans ce monde écrasé de formalités, de techniques et d'obligations de toutes sortes, laissons donc aux femmes un petit espace de liberté qui ne soit pas encore restreint par des contraintes de « rendez-vous citoyen ».
M. Jean-Luc Mélenchon. Un tout petit espace !
M. Philippe de Gaulle. Ce petit espace de liberté, elles sauront certainement en faire un meilleur usage.
M. Jean-Luc Mélenchon. Braves petites !
M. Philippe de Gaulle. J'ai commencé mon propos en invitant à tourner la page, c'est-à-dire à « décrocher » enfin l'armée de tout ce qui n'est pas sa mission essentielle : le combat et sa préparation, et laisser les servitudes dont on n'a que trop pris l'habitude de la charger au lieu et place d'organismes dont c'est justement la raison d'être de les assumer.
Il est quand même curieux que, chez nous, plus on se moque de la vertu et du dévouement des capitaines et plus on vient les chercher pour pallier ses propres carences !
Laissons donc à la famille, à l'école, aux associations, l'instruction individuelle et la formation civique. Que l'éducation nationale, la police, les hôpitaux, les services publics ou sociaux, en particulier, recrutent donc eux-mêmes les personnels dont ils ont besoin. L'armée n'a pas à y intervenir, sauf en cas de cataclysme.
En conclusion, dans le domaine pratique, ou pragmatique, si vous voulez, je propose que le « rendez-vous citoyen », qui est une idée louable, soit plutôt appelé le « recensement national » et qu'il s'en tienne à ce qu'on appelle couramment « les trois jours », c'est-à-dire à une seule journée effective, comme le système en est bien rodé maintenant.
Je préconise que ce recensement ait lieu à dix-sept ans, dans l'année qui précède l'accès à la qualité de citoyen à dix-huit ans, et que l'inscription sur les registres électoraux ne puisse pas se faire avant que cette identification n'ait été accomplie.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous voyez bien les ajustements qui me paraissent nécessaires à la réforme fondamentale que nous entreprenons et, imperatoria brevitas, je conclus en vous remerciant de votre attention. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, du point de vue des résultats, aucun moyen technique ne vaut plus à long terme que la force du lien unissant un système militaire à la communauté humaine qui le porte. Les défaites des deux superpuissances technologiques de l'ancien monde de Yalta, au Vietnam et en Afghanistan, l'ont démontré. Il n'est donc pas nécessaire d'insister sur ce point.
En France, la conscription est la forme concrète de ce lien, certes pas avec des mots ou de grandes déclarations mais par l'engagement personnel, physique de la nation à travers ses enfants dans les tâches de défense. Certes, cette forme a pris du temps à s'imposer, comme pratiquement toutes les conquêtes du système républicain. Au demeurant, les deux guerres mondiales ont bien démontré le caractère global des conflits armés de l'époque moderne.
Entre le front, quelle qu'en soit la nature, et l'arrière, la forme de l'engagement diffère, mais son ardente obligation s'impose concrètement à tous. Au demeurant, il n'y a pas moyen d'y échapper. Le lien armée-nation est le point crucial de tout dispositif militaire durable.
M. Charles Millon, ministre de la défense. Absolument !
M. Jean-Luc Mélenchon. En République, c'est-à-dire dans la communauté légale qui la définit, ce lien doit être délibéré, au sens législatif du terme, consenti et participatif. La nation républicaine ne délègue à aucune caste le soin essentiel de sa défense.
M. Charles Millon, ministre de la défense. Très bien !
M. Jean-Luc Mélenchon. L'armée de métier que vous baptisez « armée professionnelle », comme si celle dont nous disposons aujourd'hui ne l'était pas, est un anachronisme politique et un modèle inefficace.
Elle est un anachronisme, parce que c'est, ne vous en déplaise, messieurs les modernes, le système de l'ancien régime dont les sociétés ultralibérales, je m'empresse de vous le dire, ne sont, à mes yeux, que l'avatar censitaire.
Elle est inefficace parce que, face à la menace globale de notre époque, il faut une réponse globale. Pour nous, cette réponse, c'est la nation citoyenne armée. J'avance donc un argument d'efficacité opérationnelle autant qu'un argument de principe républicain. Je m'explique.
L'arme atomique a confirmé que telle reste la norme : la guerre est toujours totale. Pendant un temps, l'effet de dissuasion a permis de garantir un équilibre de terreur, écartant les conflits du territoire des puissances industrielles. Seule demeurait la compétition pour les zones d'influence, les guerres régionales par procuration que se menaient les deux systèmes.
Pourtant, paradoxalement, à aucun moment la conscription ne fut mise en cause alors même que la doctrine officielle sanctuarisant le territoire national excluait le principe même d'engagements autres que nucléaires et définitifs. On supposait donc bien déjà que le lien armée-nation participait, à sa manière, à la dissuasion dans sa forme suprême.
La puissance régulatrice de l'équilibre de la terreur a disparu. A la place de l'ancienne superpuissance soviétique figure à présent un ensemble instable dont nul ne peut dire quelle voie durable il finira par choisir.
En même temps, de par le monde, prolifèrent les zones de conflits régionaux qui, chacun à leur manière, peuvent impliquer les intérêts vitaux de nos pays, soit directement en raison des approvisionnements stratégiques dont ils sont le point de départ, soit indirectement parce que leur nature attente à des règles fondamentales que la communauté internationale ne saurait laisser transgresser sans ruiner les principes qui la fondent elle-même.
Chacun s'accorde donc pour dire en cet instant que la menace est plus globale aujourd'hui qu'elle ne l'a jamais été en raison même du caractère diffus de ses sources. C'est le temps d'un nouveau paradoxe : à la menace globale et diffuse, on décide de n'opposer que deux formes de riposte, à mes yeux, également insuffisantes : la dissuation nucléaire, d'une part, et l'expédition multinationale chez les fauteurs de troubles, d'autre part.
S'agissant de la dissuasion, on peut savoir ce qu'elle vaut du faible au fort. Mais que vaut-elle face au fou ? Personne ne peut encore répondre avec précision. Par ailleurs, depuis la déclaration de Nuremberg, qui en décidera l'usage, s'il le fallait ? La question a une réponse logique : c'est celui qui décide de la stratégie générale, c'est-à-dire celui qui décide sans partage aujourd'hui dans l'Alliance atlantique dont le Président de la République, Jacques Chirac, demande dorénavant à rejoindre le commandement intégré.
Je souhaite n'avoir jamais à connaître si une décision prise dans de telles conditions serait vécue comme légitime par notre peuple. Pourtant, c'est bien lui qui devra en supporter toutes les conséquences.
Quel esprit de défense, quelle ardeur au combat peuvent bien exister dans ces conditions, surtout si, comme le veut le schéma que vous nous proposez, il ne reste ensuite que 100 000 gendarmes pour assumer la situation sur le territoire national ?
A la vérité, le nouveau concept stratégique de défense qu'il aurait été souhaitable de formuler aurait plutôt dû répondre à la question suivante : quelle défense opérationnelle du territoire faut-il mettre en place, à l'ère de la menace globale diffuse, pour que les sociétés complexes et très fragiles que sont les nations hautement technologiques soient en état d'opposer une défense en profondeur de leurs structures ?
Je gage que la réponse en appellerait largement à l'implication citoyenne, et notamment à celle de la jeunesse. La question se pose avec une acuité particulière lorsque l'on songe à la nature des conflits que seraient susceptibles de prendre en charge ces fameuses forces projetables qui sont, paraît-il, la priorité pour demain.
L'exemple des Balkans montre assez bien que la communauté internationale, ou plutôt, et à dire vrai, dans les conditions actuelles, l'Alliance atlantique n'aura que bien rarement à affronter un adversaire aussi caricatural, un conflit aux termes aussi simples et un terrain d'action militaire aussi manoeuvrable que ceux qui ont été trouvés à l'occasion de la guerre du Golfe.
Il faudra souvent durer et persévérer, comme on le fait déjà d'une certaine façon à bien des égards héroïques en ex-Yougoslavie. C'est ce qui est hors de portée de la ressource humaine d'une armée de métier, ainsi qu'en conviennent déjà les experts américains.
Il est peu probable que les vocations militaires à gages se développent quand il s'agira d'aller mourir pour un contrat de travail. Est-ce le moment où il faudra rétablir l'appel sous les drapeaux et réactiver la conscription ? Quelle adhésion populaire peut-on espérer dans de telles circonstances ?
Mais le plus grave reste à dire, monsieur le ministre, et c'est un problème qui nous inquiète tous. Un adversaire qui aurait à subir une intervention internationale à laquelle participeraient nos forces projetables et, en la circonstance, projetées et qui serait en état d'assurer la durée - nous pourrions tous en nommer - pourrait se montrer plus agressif que celui de la guerre du Golfe.
S'il organisait des opérations terroristes sur notre propre sol, que trouverait-il en face de lui ? Cent mille gendarmes ! Sans rien ôter au dévouement de ces derniers, j'ose le dire, dans un tel contexte, 100 000 gendarmes, ce n'est rien. (M. le ministre proteste.)
C'est bien pourquoi le concept de défense du territoire doit être reformulé en faveur de l'élargissement de la participation citoyenne. Faut-il rappeler à cette tribune ce que nous savons tous ? En frappant cinq ou six points névralgiques du territoire parmi la centaine qui entre dans cette catégorie, on peut anéantir l'organisation et la stabilité du pays. Nous pourrions, nous, élus de l'Ile-de-France, vous en parler avec précision mais nous ne vous apprendrions rien, monsieur le ministre, nous le savons bien.
M. François Trucy. Et réciproquement !
M. Jean-Luc Mélenchon. Mais cette tribune n'est pas le lieu qui convient pour en dresser la liste. Telle est la rançon de notre développement technologique et de la sophistication de nos équipements civils. C'est pourquoi je suis sûr que la conscription demeure une arme de défense irremplaçable. Elle est même la seule arme efficace pour répondre à ce type de situation. Nous en avons déjà eu les prémices à l'occasion de la mise en oeuvre du plan Vigipirate, qui est d'autant mieux accepté qu'il intègre cette dimension.
M. Charles Millon ministre de la défense. Non !
M. Jean-Luc Mélenchon. Ne dites pas non ! Ce que je dis est exact.
M. Charles Millon, ministre de la défense. C'est faux.
M. Jean-Luc Mélenchon. Bien sûr, c'est à une conscription d'une durée plus brève que mes amis socialistes et moi-même aspirons, tournée en priorité vers l'entraînement militaire aux tâches concrètes de protection de proximité de la population et de réponses aux situations de catastrophes chimiques, nucléaires et autres telles qu'on peut les déduire de ce que nous connaissons déjà des cibles potentielles.
Ne pas prévoir ces situations, ne pas afficher une implacable détermination à les préparer, c'est prendre la responsabilité d'annoncer à l'adversaire où est le talon d'Achille du contigent français projeté, ces armadas auxquelles nous aurons affecté tous nos moyens.
Le faire, c'est au contraire préparer les moyens de notre détermination et de notre capacité réelle de combat, car nous n'aurons jamais cette capacité sans que le lien entre l'action militaire et la nation soit sans cesse refondé à partir des réalités de la menace et de l'adaptation de nos moyens humains à celles-ci.
Dans le contexte géopolitique actuel, dans l'état de développement technologique de notre société, plus que jamais une défense sans citoyen, ce sont des citoyens sans défense.
M. Charles Millon, ministre de la défense. Pas de jeux de mots !
M. Jean-Luc Mélenchon. Face aux réalités que je viens de décrire - permettez-moi de faire un peu d'ironie - que vaut ce rendez-vous citoyen de cinq jours où l'Etat boy-scout réunit les conditions d'un vaste monôme juvénile ? (Sourires.) Quel rapport existe-t-il entre ces étranges attroupements et les discours que vous venez de nous tenir sur la nécessité de réactualiser sans cesse le lien républicain, sentiment que je partage avec vous, et je ne doute pas un instant de la qualité de vos intentions dans ce domaine.
M. Charles Millon, ministre de la défense. On le dit depuis vingt ans mais rien n'a été fait.
M. Jean-Luc Mélenchon. Eh bien, il aurait fallu le faire ! Voilà, c'est dit !
M. Charles Millon, ministre de la défense. D'accord !
M. Jean-Luc Mélenchon. Puisqu'on s'attelle au chantier de la réforme, réformons dans le sens où il le faut.
Au moment où vous supprimez la conscription et la force d'un lien concret parfaitement défini entre l'armée et la nation, vous vous fondez sur je ne sais quelle argumentation pour nous jeter à la figure que nous refuserions d'organiser ce lien. C'est un comble ! Vous en avez fait la démonstration au cours de votre exposé à la tribune. Mais qui vous dit le contraire ?
M. Charles Millon, ministre de la défense. Je vous démontrerai que c'est faux !
M. Jean-Luc Mélenchon. Le système que vous nous proposez, c'est l'Armée du salut !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Mais non ! Arrêtez !
M. Jean-Luc Mélenchon. La sujétion qui est imposée aux jeunes Français de consacrer un temps à la nation ne peut être justifiée que par l'intérêt de la défense et non par je ne sais quelles tâches qui, par ailleurs, relèvent d'autres structures, d'autres lieux et d'autres métiers, mais en aucun cas d'un « impôt du temps » qui n'a rien à faire dans une République comme la nôtre.
Que valent ces incitations au volontariat pour des tâches de défense dont on pressent déjà à quel point elles seront peu convaincantes ?
Que valent ces incroyables montages de volontariat socioculturel qui n'ont aucune espèce de justification militaire et percutent les droits du travail qualifié salarié ?
Que valent toutes ces sujétions injustifiées, ce mélange de bons sentiments et de discours creux sur la disponibilité attendue de la jeunesse au moment même où on lui cache la vérité sur la nature des menaces et où on ne la prépare pas à y répondre, sinon en évoquant avec optimisme la distance qui sépare dorénavant la menace de nos frontières, ce qui n'a rien à voir avec les sujets que nous traitons aujourd'hui ?
Que vaut cette troupe de métier...
M. Charles Millon, ministre de la défense. M'autorisez-vous à vous interrompre, monsieur Mélenchon ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Ah, si vous m'aviez permis de le faire tout à l'heure, comme j'aurais été content !
Je vous laisse la parole, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Charles Millon, ministre de la défense. Monsieur le sénateur, je ne vous autorise pas à rapporter des propos qui, en fait, n'ont pas été tenus. En effet, ni dans le Livre blanc, ni dans les interventions du Président de la République, ni dans celles du Premier ministre, ni dans les miennes, vous ne trouverez mention du fait que les menaces sont lointaines.
Nous nous sommes contentés de souligner que les menaces s'étaient transformées et n'étaient plus à la frontière. J'ai d'ailleurs démontré, voilà à peine deux heures, que la menace était au coeur de notre société. Alors ne caricaturez pas, sinon le débat n'est plus possible. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Oh oui ! Je ne vais pas laisser passer ça !
M. le président. Monsieur Mélenchon, vous avez laissé M. le ministre vous interrompre ; vous avez de nouveau la parole pour terminer votre intervention.
M. Jean-Luc Mélenchon. Oui, mais comme M. le ministre m'a interpellé, je vais non seulement achever mon propos, mais aussi lui répondre !
Monsieur le ministre, vous avez dit que la nature des menaces qui pesaient sur notre pays faisait que l'existence d'une force armée citoyenne à recrutement de conscription n'était plus nécessaire.
M. Charles Millon, ministre de la défense. Oui !
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est manifester un optimisme qui n'a pas lieu d'être, car rien ne permet de tenir de tels propos.
Par-dessus le marché, vous nous dites qu'il y a à peine deux heures vous avez montré que la menace était dans notre propre pays, alors là, c'est un comble ! Voyons ! Aucune menace venant du peuple français ne pèse sur le peuple français !
M. Michel Pelchat. M. le ministre n'a pas dit ça !
M. Jean-Luc Mélenchon. Il y a des menaces sociales de dislocation, il y a des menaces politiques, mais il n'y a pas de menace du peuple français contre lui-même.
MM. Jean-Pierre Vial et Jean-Claude Carle. Mais non ! Ce n'est pas ce que M. le ministre a dit !
M. Jean-Luc Mélenchon. Excusez-moi ! C'est ce qui a été dit, et quelqu'un tout à l'heure a repris ce propos d'une manière beaucoup plus claire en disant qu'une partie de notre population, compte tenu de ses origines, pouvait constituer potentiellement une menace. (Protestations sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Charles Millon, ministre de la défense. Monsieur Mélenchon, je souhaiterais vous répondre sur ce point.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je vous en prie, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Charles Millon, ministre de la défense. Monsieur Mélenchon, en démocratie, la première chose à respecter c'est la vérité.
M. Jean-Luc Mélenchon. Oui, alors commencez vous-même !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Je vous demande donc de ne pas la déguiser. Or, actuellement, vous êtes en train de me prêter des propos que je n'ai jamais tenus, je le répète. Je n'ai jamais monté, comme certains, que je ne citerai pas, l'ont fait, une partie de la France contre l'autre. Je n'ai jamais pensé qu'il y avait d'un côté les bons Français, de l'autre les mauvais Français. Je pense que tous les Français sont des Français.
Je dis simplement - je le répète et le confirme - qu'il y a dans notre société des ferments de menace, des ferments de déstabilisation dont on doit tenir compte pour décider de la défense de la France, un point c'est tout ! (Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Monsieur Mélenchon, veuillez terminer votre intervention.
M. Jean-Luc Mélenchon. Comment cela, « terminer » mon intervention ?...
M. le président. Il va bien falloir que vous la terminiez ! (Rires.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Pour ce faire, il faudrait que M. le ministre ne m'interrompe pas sans cesse !
M. le président. Monsieur Mélenchon, ne perdons pas de temps.
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le ministre, dans notre intérêt à tous et dans celui de la République, je vous donne acte de vos propos.
M. Charles Millon, ministre de la défense. Merci !
M. Jean-Luc Mélenchon. Il n'empêche que les mots sont les mots. Je ne vous accuse pas de vouloir opposer les Français les uns aux autres. Je dis que de glissement en glissement, vous voilà rendu à des formules extravagantes car le risque que font peser sur la nation et sur la cohésion républicaine la ségrégation sociale, la fracture sociale ne relève en aucun cas de l'organisation militaire du pays. S'il en relève quelque peu, c'est par les missions dérivées qui sont celles d'une armée de conscription, missions dérivées et non principales qui font que, à travers l'incorporation et la participation citoyenne à la défense, chacun se retrouve et se serre les coudes.
Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas, devant une assemblée, arguer des problèmes militaires pour répondre à des problèmes de cohésion sociale. Il s'agit de deux ordres de préoccupations totalement différents mais dont le rapprochement marque bien le glissement « boyscoutiste » de la vision de la défense qui est présente dans ce rendez-vous de je ne sais quoi.
Je vais quand même terminer mon propos. Cela tombe bien : il me reste la petite minute dont j'ai besoin. (Sourires.)
Que vaudra cette troupe de métier - car, après tout, la question peut aussi se poser - que vaudra donc cette troupe de métier de mieux que ce que valent les armées de métier anglaise ou américaine, dont le recrutement est une écumoire de la fraction la moins éduquée, la moins formée, la plus démunie de la jeunesse de leur pays ?
J'ai voulu m'en tenir aux arguments d'efficacité militaire qui justifient, à nos yeux, une conscription rénovée et adaptée aux menaces. Mais je ne peux conclure sans dire combien je juge détestable le système de société que, an après an, vous construisez au travers de vos réformes et qui se substitue à l'identité républicaine de la nation française. Le peuple des consommateurs devient à présent le client d'une prestation de service militaire, pour participer à des monômes d'étudiants pendant cinq jours.
Telle est la conception que vous soutenez, monsieur le ministre, en conformité avec l'ordre économique actuel, comme vient de le dire M. Philippe de Gaulle, dont on aurait pu attendre moins de conformisme. A mes yeux, cela n'a rien à voir avec la République ! (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le ministre, quand dans cet hémicycle, nous avons abordé l'examen de la série des textes qui doivent aboutir à cette réforme fondamentale de notre défense, je vous ai fait part du trouble qui était le mien en tant que représentant d'un département qui, par diverses méthodes, par diverses actions, par beaucoup de souffrances, connaît le prix de la défense de notre pays.
Je vous avoue que, à l'instant où nous abordons la discussion du troisième texte, j'espère - et en écoutant dans mon bureau un certain nombre d'interventions, j'ai constaté qu'il en était ainsi - que nous allons avoir un débat à la hauteur du problème qui nous est posé. Il s'agit en effet d'un sujet qui nous interpelle tous.
Soyons francs : aucun d'entre nous n'est complètement à l'aise. En effet, pour les plus anciens d'entre nous pour y avoir participé, pour les plus jeunes pour l'avoir contemplée et avoir souffert des retombées, pour les plus jeunes encore pour en avoir étudié l'histoire, nous avons tous su ce qu'était une nation en armes, mais aussi ce qu'était une nation sans armes, à un moment où on l'en avait privé, alors que seuls le général de Gaulle à l'extérieur et les héros de l'intérieur ont relevé l'honneur du pays. Aussi, voir s'éloigner le concept de nation en armes n'est pas forcément facile à admettre.
Je dirai donc que j'ai des scrupules assez voisins de ceux qui viennent d'être exprimés dans l'intervention précédente, même si je déplore que, pour en défendre le bien-fondé, certains des arguments utilisés aient été pour le moins biaisés.
Quoi qu'il en soit, nous nous trouvons devant une décision à prendre. Si le texte avait été tel que je le craignais, je serais resté sur la position que j'avais adoptée, à savoir une abstention résignée face à une évolution que je n'approuve pas complètement.
Il se trouve que votre projet de loi, monsieur le ministre, comporte deux éléments qui m'engagent à m'y rallier.
Le premier élément est le maintien de l'engagement effectif du citoyen au service de sa nation par le maintien d'un recensement, donc d'une possibilité de conscription.
Je craignais qu'on n'efface cette notion de nos textes alors que ce qui peut imposer la nécessité d'engager la jeunesse du moment au service du pays peut revenir sous des formes qui, je le pense moi aussi, ne peuvent pas être complètement éludées.
Notre pays peut être exposé à des dangers intérieurs qui n'ont rien à voir avec la caricature qui vient d'être faite voilà un instant. Nous pouvons, par exemple, en période de grande tension, nos forces étant projetées à l'extérieur, voir opérer dans notre pays des intervenants qui seraient, eux, des spécialistes de la guerre de subversion : avec nos 100 000 gendarmes et ce qui resterait de nos forces sur notre territoire, nous n'aurions pas la capacité de les mettre hors d'état de nuire.
Je regrette donc que la réforme ne nous offre pas la possibilité de maintenir une formation militaire de deux ou trois mois pour créer des unités semblables à ce que les Etats-Unis connaissent sous le nom de Garde nationale, même si les modalités de recrutement sont différentes. Je regrette aussi que nous n'ayons pas, en cas de nécessité la capacité de mobiliser certains citoyens habitués à travailler ensemble.
Il est illusoire de penser que des citoyens n'ayant pas eu l'habitude d'agir ensemble, n'ayant pas reçu la formation nécessaire à l'acquisition des gestes élémentaires de défense seront capables de faire ce qu'il faut par une espèce de génération spontanée, le moment venu, si une menace se précise.
En revanche, ce que j'apprécie dans le rendez-vous citoyen, même si la durée de cinq jours me semble terriblement courte, c'est le brassage qu'il occasionnera pour une multitude de jeunes qui, autrement, ne se seraient jamais rencontrés.
Il était indispensable de veiller à maintenir ce brassage, même si ce rassemblement tourne un peu au monôme. On peut tout de même espérer que l'on mettra un peu de dignité dans cette affaire !
Monsieur le ministre, sur le volontariat, on pourrait discuter à n'en plus finir : aura-t-on des volontaires ? N'en aura-t-on pas ? De toute façon, ils seront sûrement plus nombreux en périodes de dépression qu'en périodes de plein emploi, si toutefois ces dernières reviennent !
Le volontariat concernerait-il des tâches qui pourraient être éventuellement remplies d'une autre façon ? Peut-être ! En tout cas, l'important, c'est que demeurent cette obligation de fond adressée à tout citoyen éventuellement « appelable » et ce brassage minimum de la jeunesse de notre pays.
Certes, ce projet de loi ne soulève pas mon enthousiasme. Peut-être celui qui traitera des réserves viendra-t-il un jour lever mes dernières réticences !
En tout cas, j'ai conscience du fait que vous nous proposez ce texte avec votre sens républicain. A cet égard, je crains qu'un jour, d'autres qui se croient républicains et qui le sont peut-être moins - en tout cas qui seront moins démocrates - ne prennent en main le « rendez-vous citoyen » pour en changer la nature. Ce jour-là, nous regretterons peut-être de ne pas avoir préservé l'encadrement militaire tel qu'il existait. Enfin, seul l'avenir nous dira si cette crainte est justifiée.
Finalement, monsieur le ministre, je voterai votre projet de loi, sans grand enthousiasme, je le répète, mais en me disant que, après tout, les modifications que vous nous proposez avec votre dévouement et l'engagement au service du pays que vous manifestez, et dont personne ne doute, sont peut-être les mieux adaptées à ce temps, même s'il n'est pas tout à fait celui que je souhaite. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Trucy.
M. François Trucy. Monsieur le ministre, la cohérence - et je reprends ici un mot du président de notre groupe, M. Henri de Raincourt - est la première qualité que nous reconnaissons à votre projet de loi.
Cette cohérence est double : externe en ce qu'elle se manifeste par rapport aux différents étages de la réforme générale de nos armées que vous nous avez déjà fait adopter ici ; interne, par l'articulation des différentes parties du projet entre elles.
Le groupe des Républicains et Indépendants sera, lui aussi, cohérent : il soutiendra et votera votre projet.
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. François Trucy. J'évoquerai d'abord le recensement.
Nous approuvons tout ce qui, dans le recensement, correspond à une nécessité militaire. Il est en effet indispensable de pouvoir effectuer des prévisions quant aux effectifs. Le Parlement a souhaité que demeure la notion d'appel sous les drapeaux ; même si nous concevons bien qu'il serait difficile d'augmenter les effectifs actuels, cet appel demeure le moyen de répondre aux menaces que vous avez à juste titre et brillamment décrites tout à l'heure.
Mais nous apprécions aussi, dans le recensement, le bilan de santé, qui ne doit absolument pas être tourné en dérision. Ce bilan de santé constituera un « plus » et permettra de compenser au moins en partie les lacunes de la médecine préventive française, qui est loin d'être la meilleure du monde, et de la médecine scolaire, qui, faute de moyens, n'a jamais apporté les bénéfices que nous en attendions.
Nous approuvons tout ce qui a été dit sur le rendez-vous citoyen dans le rapport de M. Vinçon.
Ce rendez-vous, qui ne s'étalera dans la pratique que sur quatre jours utiles, ne sera une réussite que si le programme d'utilisation du temps est bien préparé - car il faudra utiliser chaque minute - et si les cadres militaires sont suffisamment nombreux.
Monsieur le ministre, dites-nous à peu près combien de cadres militaires vous y affecterez et combien de cadres non militaires, issus d'autres ministères, viendront s'y adjoindre. Dites-nous, en particulier, combien de jeunes seront « traités » par un seul cadre : c'est ce chiffre qui est le plus significatif au regard de l'efficacité.
Pour ce qui est de la compétence et de la motivation des cadres militaires, nous ne nous faisons aucun souci : nos militaires de carrière, dans ce domaine comme dans tous les autres, sauront montrer leurs qualités.
Je formulerai maintenant quelques questions ponctuelles, avant de vous faire part de trois préoccupations.
Quid des sanctions aux réfractaires du rendez-vous ? Le projet de loi aborde ce sujet, mais peut-être pas assez précisément. Qui décidera des sanctions et qui les appliquera ?
Le coût du rendez-vous n'était pas prévu dans la loi de programmation. Monsieur le ministre, êtes-vous assuré, aujourd'hui, de son financement ? Nous pourrions d'ailleurs parler de cofinancement, car nous considérons que ce coût devrait être partagé avec les autres ministères intéressés au rendez-vous.
Quid des binationaux ? Je reviens sur le problème que M. Balarello a soulevé tout à l'heure. En effet, s'il est déjà préoccupant, actuellement, que des Français fassent leur service militaire sous l'autorité du gouvernement algérien, dont on sait à quel point il est un parangon de démocratie, la préoccupation serait encore considérablement aggravée au cas où un nouveau pouvoir s'installerait en Algérie et procéderait à la formation militaire de jeunes de chez nous dans des conditions que nous ne saurions approuver.
Vous avez déjà assoupli les règles de venue au rendez-vous citoyen pour les jeunes Français dont les parents travaillent à l'étranger. Néanmoins, cela reste compliqué pour les intéressés. Comment pourrez-vous leur faciliter encore l'accès au rendez-vous ?
Vous avez maintenu, conformément à l'engagement du Président de la République, le service militaire adapté, dont nous savons qu'il est indispensable aux départements et territoires d'outre-mer. Vous en avez fixé les limites dans le projet de loi, mais nous aimerions obtenir de vous des précisions sur les conditons auxquelles il sera soumis.
Enfin, quid des préparations militaires ? Où ? Quand ? Comment ?
J'en arrive aux préoccupations.
La montée en puissance de la professionnalisation se fait dans les corps au rythme de l'ouverture des droits au recrutement des engagés, engagés volontaires initiaux, engagés volontaires ultérieurs. Cela fonctionne très bien, mais moins vite qu'on ne l'espérait. Les années 1997 et 1998, pendant lesquelles l'armée va continuer d'accueillir des appelés, sont susceptibles d'apporter beaucoup au regard de la ressource d'engagés. Or les ouvertures de droits sont insuffisantes en nombre. Certes, vous n'en êtes pas responsable. Cependant, ce nombre est, en tout état de cause, connu trop tardivement. De ce fait, les chefs de corps ne peuvent préparer les recrutements dans de bonnes conditions.
Par ailleurs, si le service national actuel ne se maintenait pas jusqu'en 2002 - on parle de 1999 - ce sont des unités entières qui ne pourraient plus fonctionner, faute des appelés spécialistes, leurs compétences fussent-elles modestes, dont elles disposent aujourd'hui.
Enfin, rencontrant hier les chasseurs alpins de Grenoble et de Chambéry, j'ai constaté que le recrutement souffrait d'un redoutable goulet d'étranglement. En effet, les centres de sélection doivent actuellement assurer à la fois la préparation militaire, les fameux « trois jours », qui vont devenir cinq, et la sélection des engagés. Ainsi, au SIRAT de Grenoble, il y a 75 jours d'attente après l'établissement du dossier d'engagement volontaire. Naturellement, cela explique qu'on perde des gens en route, et c'est bien dommage !
Je conclurai en évoquant l'esprit de défense, qui est à la fois ce qu'il y a de plus important et de moins facile à définir.
Si ce projet de réforme a suscité autant de réactions, dans un sens ou dans l'autre, toutes sensibilités politiques confondues, c'est parce que l'esprit de défense est une constante dans notre pays, notamment au Parlement. Nous ne voudrions donc pas que, à l'occasion de cette réforme, cet esprit de défense puisse se diluer ou s'effacer. Par quels moyens pensez-vous le maintenir, voire le renforcer ?
Le rendez-vous citoyen est, selon vous, un parcours civique. Bien sûr, mais encore faut-il qu'en amont l'école apporte effectivement sa contribution : il ne suffit pas que le ministre de l'éducation nationale et les recteurs approuvent, il faut aussi que toute l'administration suive. Sinon, le rendez-vous de cinq jours ne sera qu'un cheveu sur la soupe !
Quitte à anticiper la discussion du projet de loi spécifique sur les réserves, pourriez-vous nous indiquer comment elles pourront jouer, au regard de l'esprit de défense, un rôle supérieur à celui qui leur est actuellement dévolu ?
La France est riche en institutions de défense de tous ordres. L'IHEDN, l'Institut des hautes études de défense nationale, en particulier, développe des idées extrêmement intéressantes concernant les jeunes, les collectivités locales, mais aussi les chambres consulaires, car il faut chercher de nouveaux partenaires. Cependant, pour aller plus loin, l'IHEDN a besoin de moyens et elle doit pouvoir compter sur votre soutien.
Enfin, monsieur le ministre, permettez-moi, au nom de mon groupe, mais en y mettant un accent personnel, de vous féliciter pour la motivation, la loyauté et la passion que vous mettez dans cette réforme. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendant, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La suite de la discussion du projet de loi est renvoyée à la prochaine séance.

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