PÊCHE MARITIME ET CULTURES MARINES
Adoption d'un projet de loi en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi (n°
244, 1996-1997), modifié par l'Assemblée nationale, d'orientation sur la pêche
maritime et les cultures marines. [Rapport n° 269 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Philippe Vasseur,
ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi sur la pêche et
les cultures marines que le Sénat a adopté en première lecture au mois de
novembre n'a pas subi, comme vous avez pu le constater, de modifications
majeures lors de son examen par l'Assemblée nationale.
Avant d'y revenir, vous me permettrez d'évoquer un sujet d'actualité essentiel
pour la pêche : je veux parler du plan d'orientation pluriannuel, le POP IV,
dont les discussions viennent de se conclure avant-hier, à l'occasion du
conseil des ministres européens de la pêche.
Certes, ce compromis a été adopté contre l'avis de la France puisque celle-ci
a voté contre. Pour autant, je voudrais insister sur le rôle prépondérant que
nous avons joué dans les négociations difficiles qui se sont déroulées pendant
un an.
Vous connaissez la proposition initiale de la Commission, qui était de réduire
de 30 à 40 % notre capacité de pêche. Vous savez aussi - j'ai eu l'occasion de
m'en expliquer devant vous - que, dès le début, j'ai contesté sur le fond comme
sur la forme, mais particulièrement sur le fond, l'approche de la
Commission.
Il n'était pas acceptable, en effet, de traduire de façon mécanique une
analyse fondée sur la situation de quelques espèces et d'en déduire un taux de
réduction des flottes identique pour tous les Etats membres. Cela revenait à ne
tenir aucun compte des caractéristiques de polyvalence et de pluri-spécificité
de notre flotte française.
Je constate aujourd'hui que les arguments que nous avons développés tout au
long de cette négociation ont finalement porté non seulement auprès de nombreux
Etats membres, mais aussi auprès de la Commission, qui a reconsidéré sa
position.
Le compromis qui a été voté avant-hier marque un progrès essentiel par rapport
aux POP antérieurs et plus encore par rapport aux propositions initiales de la
Commission.
En effet, il reconnaît la polyvalence de la flotte puisqu'il prend en compte
l'ensemble des espèces pêchées, et non pas quelques espèces seulement
considérées comme surexploitées, pour déterminer le taux de réduction. En
outre, vous savez que plus de 50 % de nos captures correspondent à des espèces
qui ne sont pas soumises à quotas et dont les stocks ne sont pas menacés.
Cet enjeu était majeur. Il a été pleinement pris en compte, ce qui, pour la
France, a permis de réduire considérablement les objectifs initiaux de la
Commission.
Au-delà, pour que votre information soit tout à fait complète, je voudrais
ajouter deux précisions concernant la durée du POP, d'une part, et l'exclusion
de certains navires, d'autre part.
Le POP IV sera étalé sur cinq ans.
Vous savez qu'au départ on nous proposait une durée de trois ans, ce qui
revenait en fait à trois ans et demi.
En 1999, le Conseil - et non la Commission, j'insiste sur ce point - procédera
à une évaluation à partir des résultats de la première période
d'application.
Sur la base de cette évaluation, une éventuelle adaptation du programme pourra
être décidée par le Conseil en fonction de l'état des stocks et, surtout, en
fonction des ressources financières disponibles pour le renouvellement de la
flotte de pêche.
N'oublions pas, mesdames, messieurs les sénateurs, que, dans cette affaire,
étaient également en jeu les aides à la modernisation de notre flotte, dont
nous ne pouvions plus jusqu'à présent bénéficier. Pour l'évolution future du
POP, il faudra tenir compte des aides qui sont mises à la disposition de la
France, comme des autres Etats membres.
Cette précision est particulièrement importante pour l'avenir des fonds
structurels après 1999, donc pour la capacité financière de la Communauté à
intervenir sur les plans de sortie de flottes en matière d'aide à la
modernisation ou au renouvellement.
La deuxième précision a trait au champ d'application du POP.
Celui-ci offre la possibilité d'exclure de tout engagement de réduction
d'effort de pêche la flotte côtière non chalutière dont la longueur n'excède
pas douze mètres. Cet acquis est important. Il sera notamment apprécié dans les
départements d'outre-mer.
Pour autant, cette flotte ne devra pas augmenter globalement, sauf pour des
raisons liées à la sécurité des navires et des marins.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je comprendrais
parfaitement qu'à ce stade de mon propos vous me demandiez pourquoi, dans ces
conditions, la France a été amenée à voter contre l'adoption de ce plan. C'est
d'ailleurs un propos qui m'a été tenu par le président de la commission, par
Mme Bonino et par les représentants d'un certain nombre d'Etats membres. Nous
avons tenu compte de la plus grande partie des demandes pressantes de la
France, m'ont-ils dit, et malgré cela vous avez voté contre ce POP. Pourquoi
?
La réponse est simple : les taux de réduction proposés sont encore trop élevés
par rapport aux équilibres atteints par nos différentes flottes. J'aurais
préféré une approche plus modérée dans son ampleur, même si le résultat, comme
je viens de le dire, est, heureusement considérablement inférieur aux
propositions initiales.
Je ne peux pas encore, aujourd'hui, indiquer très précisément les conséquences
chiffrées de ce POP. Le chiffrage précis dépendra en effet des modalités de
répartition de l'effort de réduction selon les différentes flottilles
françaises, travail qui doit être engagé en étroite concertation avec les
professionnels, les régions, et qui doit donner lieu à discussion avec la
Commission puisque celle-ci approuve les POP nationaux.
Cela étant, et selon une première approximation, la réduction sur cinq ans
peut être évaluée à quelque 60 000 kilowatts, chiffre à comparer aux 110 000,
voire 115 000 kilowatts prévus initialement sur une période inférieure à trois
ans ; en gros, cela nous amenait à réduire de 40 000 kilowatts par an la
puissance de notre flotte de pêche, alors que cette baisse approchera dès lors
10 000 kilowatts par an. Rendez-vous compte de l'importance de l'allègement de
l'effort qui nous est demandé !
La réduction totale, sur une période de cinq ans, atteindra donc 60 000
kilowatts, sur les 950 000 à 960 000 kilowatts que compte la flotte française
actuellement.
Je signale que à la différence de ce que prévoyaient les POP précédents, une
partie de cette réduction de 60 000 kilowatts pourra être obtenue par gestion
de l'effort de pêche.
Il s'agit donc de 60 000 kilowatts théoriques ; la réduction réelle de
capacité ne sera pas nécessairement de cette ampleur.
Je me tiens bien entendu à votre entière disposition, mesdames, messieurs les
sénateurs, pour vous informer de l'évolution de ce dossier en l'instant, je
dirai seulement que, voilà un an, on parlait d'une réduction de 30 % à 40 % de
la capacité de la flotte de pêche française, alors que nous en sommes
aujourd'hui - retenez bien ce chiffre - à environ 6 %. Je dis bien 6 % - ce
n'est pas deux fois cinq, c'est deux fois deux
(Sourires.)
- car il
semblerait que certains aient parfois mal compris.
Nous allons maintenant nous préparer à négocier au mieux notre POP national,
parce que, même si nous avons voté contre, le quatrième POP s'appliquera.
Je rappelle que son adoption a comme conséquence le rétablissement des aides
européennes, notamment en ce qui concerne la modernisation des flottes.
J'ai entendu hier - la vie de ministre, y compris dans des enceintes
parlementaires, revêt quelquefois des aspects un peu comiques - que la France
avait certes voté contre mais que ce n'était pas assez et qu'elle aurait dû
voter deux fois, trois fois, quatre fois contre !
Je suppose, mesdames, messieurs les sénateurs, que les élus locaux qui sont
parmi vous ont le plus grand respect pour la démocratie : qu'ils soient
conseillers municipaux, voire maires, même s'ils sont certains d'avoir raison
de défendre tel budget ou telle mesure importante, si les autres membres du
conseil municipal prennent une position radicalement inverse, ils pourront se
rouler par terre, faire de grands moulinets avec les bras, c'est la loi du
nombre qui s'appliquera.
Dans l'affaire qui nous occupe, la majorité approuvera - je l'espère tout au
moins -, l'opposition dira qu'on aurait pu faire mieux, c'est tout à fait
normal.
Pour ma part, je pense que la France, en ayant maintenu le cap de la fermeté,
montré sa détermination sans faille, sans reculer à aucun moment, a réussi à
obtenir l'élaboration d'un POP qui nous permettra, je le dis avec beaucoup de
solennité, de préserver les capacités de nos flottes sur l'ensemble des côtes
françaises.
Monsieur le président, mesdames messieurs les sénateurs, j'en viens maintenant
au projet de loi d'orientation sur la pêche maritime et les cultures marines
qui nous réunit aujourd'hui.
Je l'ai dit, l'Assemblée nationale n'a pas profondément modifié le texte que
vous aviez adopté en première lecture : plus de vingt articles ont été adoptés
conformes.
Quant aux modifications qui sont intervenues et que nous aurons l'occasion
d'évoquer lors de la discussion des articles, elles n'altèrent pas l'équilibre
général du texte. Je me permettrai donc, à ce stade, d'évoquer simplement
quelques points parmi les plus importants.
S'agissant d'abord de l'application aux navires de pêche du dispositif du
fonds commun de placement quirataire, destinée à faciliter l'installation des
jeunes patrons-pêcheurs - pour faire simple, je l'appellerai le quirat «
installation », - vous aviez bien voulu, monsieur le rapporteur, lors de la
première lecture, retirer votre amendement pour laisser au Gouvernement le
temps d'obtenir l'accord de Bruxelles.
J'avais donc saisi immédiatement la Commission de ce dispositif. Celle-ci nous
a alors demandé de confirmer la prise en compte de cette aide dans le calcul de
l'encadrement subvention et le respect des lignes directrices communautaires
pour les aides à la flotte.
Cet échange avec la Commission a allongé les procédures et je suis intervenu
personnellement à deux reprises auprès de Mme Bonino pour que les délais
d'examen de la Commission soient compatibles avec notre propre calendrier
législatif. Ce n'était pas simple, vous vous en doutez, au moment où nous
avions parallèlement une délicate discussion sur le POP, car la position
française dans cette discussion n'avait pas vraiment l'heur de plaire à la
Commission.
Je reviendrai sur cette question lors de la discussion des articles.
S'agissant maintenant du fameux quota
hopping,
vous avez été très
nombreux à exprimer vos inquiétudes sur les détournements de quotas que permet
le contrôle de navires français par des capitaux européens.
Je partage bien évidemment ces inquiétudes mais, vous le savez, c'est une
question d'une très grande complexité juridique, qui met en cause des principes
fondamentaux de l'Union européenne : d'un côté, la liberté d'établissement, de
l'autre, la gestion nationale des quotas.
Une première initiative avait été prise par la France en 1996, avec la
modification des règles de francisation. Toutefois, le développement de ce
phénomène m'a conduit à saisir la Commission de la possibilité de mieux lier
l'accès aux quotas nationaux et aux licences à la vérification d'un lien
substantiel avec le territoire national. J'attends la réponse de la Commission
sur ce point.
Je voudrais, enfin, évoquer un autre sujet très largement débattu, le statut
du conjoint, question également complexe, à laquelle le projet de loi a
cependant déjà apporté quelques réponses.
Il en est ainsi en matière de représentation des intérêts économiques des
entreprises, qu'il s'agisse d'un armement maritime ou d'une entreprise
conchylicole. En effet, l'inscription de l'entreprise au registre du commerce
ou le code rural donnent, dans les deux cas, cette possibilité au conjoint.
Il en est de même en matière de crédit d'impôt-formation, dispositif ouvert
par la loi Madelin du 11 février 1994.
C'est donc, en définitive, sur le statut social, en particulier en matière de
retraite, que se posent les problèmes les plus difficiles à résoudre.
La question a été réglée pour la conchyliculture par le biais d'un amendement
gouvernemental transposant à l'Etablissement national des invalides de la
marine, l'ENIM, le dispositif prévu par la mutualité sociale agricole. Je sais
cependant que, pour répondre véritablement à ce problème, il nous faudra nous
pencher sur l'âge de la retraite.
Quant au statut du conjoint pêcheur, le sujet est encore beaucoup plus
délicat, car il n'y a pas d'embarquement et, par conséquent, pas de travail
effectué à bord du navire. Je me suis toutefois engagé devant l'Asemblée
nationale à faire le point sur ce sujet dès que je le pourrais et, dans cette
perspective, j'ai demandé à l'inspection générale de l'agriculture de conduire
une première réflexion rapide sur ce dossier.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai souhaité
apporter un éclairage particulier sur un point essentiel de l'actualité et sur
quelques aspects parmi les plus importants du texte qui vous est présenté. Si
les différents problèmes que j'ai évoqués peuvent trouver une réponse
législative, ce projet de loi réalisera son ambition, qui est d'offrir au
secteur des pêches et des cultures marines un cadre juridique, économique et
social rénové.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Josselin de Rohan,
rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'Assemblée nationale
a débattu les 4 et 5 mars dernier du projet de loi d'orientation sur la pêche
maritime et les cultures marines.
Comme vous venez l'indiquer, monsieur le ministres quelques modifications ont
été apportées au texte voté par le Sénat en première lecture, mais, dans
l'ensemble, l'économie générale du dispositif adoptée par la Haute Assemblée a
été respectée et globalement approuvée.
Je me félicite d'ailleurs de la manière dont se sont déroulés les débats au
Palais-Bourbon : elle prouve que nous n'avions pas trop mal travaillé en
première lecture.
Monsieur le ministre, vous venez d'évoquer amplement les résultats des
discussions qui se sont récemment déroulées à Bruxelles à propos de l'adoption
du POP IV.
Nous enregistrons avec beaucoup de satisfaction les résultats que vous avez pu
obtenir. Nous savons que, dans cette bataille difficile, vous avez fait preuve
avec la délégation française de beaucoup de ténacité et d'habileté.
Ainsi, l'essentiel de notre capacité de pêche a été préservé, alors que, au
départ, étaient prévues des réductions beaucoup plus importantes de notre
flotte de pêche, réductions qui n'auraient pas manqué d'entraîner des
cessations d'activité non seulement dans le secteur de la pêche proprement dit
mais aussi dans l'ensemble de la filière. On imagine sans mal les conséquences
très défavorables qui se seraient dès lors fait sentir pour toute l'économie du
littoral.
Nous devons donc nous réjouir, mes chers collègues, même si nous avons voté
contre la résolution, des résultats qui ont été obtenus, sachant que M. le
ministre a eu avec Mme Bonino un dialogue parfois animé.
Je voudrais d'ailleurs, au passage, rendre hommage à la conscience dont fait
preuve Mme Bonino dans la défense des intérêts communautaires, même s'il nous
arrive de ne pas être d'accord avec elle.
Cela étant, la Commission doit comprendre que l'on ne peut pas appliquer des
règles uniformes de réduction pour toutes les espèces et que le modèle de
l'Europe du Nord n'est pas transposable à toutes les activités de pêche
présentes dans l'Union européenne. Heureusement, cette vision qui est un peu
trop celle de la Commission a été, en l'occurrence contredite.
En ce qui concerne le quota
hopping,
je me félicite de la réflexion qui
est engagée à Bruxelles pour éviter ce qui est un véritable détournement de
procédure. En effet, en acquérant des navires français et les droits qui leur
sont attachés, un certain nombre d'intérêts n'ont pas du tout pour objectif de
travailler pour la pêche française : il ne s'agit pour eux que de transférer
dans leur propre pays des droits qui nous sont acquis.
Si l'on ne trouve pas de solution à ce problème très délicat, j'en suis
persuadé, nous allons au devant de conflits très sérieux parce que les
populations maritimes, et singulièrement les pêcheurs, ne peuvent pas accepter
cette pratique qui constitue un véritable abus.
Je me réjouis donc de la fermeté dont vous faites preuve en la matière,
monsieur le ministre. Croyez bien que notre soutien vous est acquis dans
l'action que vous menez sur ce point.
J'en reviens maintenant au projet de loi.
A titre liminaire, il est important de préciser que vingt articles ont été
adoptés conformes par l'Assemblée nationale.
J'évoquerai brièvement les modifications les plus importantes.
A l'article 5, relatif aux sanctions administratives applicables aux
infractions à la réglementation des pêches, la procédure de sanction a été
allégée en déconcentrant le pouvoir de décision au niveau du préfet de région
territorialement compétent.
A l'article 7, qui porte sur la loi du 5 juillet 1983 relative au régime de la
saisie, trois modifications ont été adoptées : deux concernent l'autorité
compétente pour opérer la saisie, la troisième rend applicable la procédure de
saisie dans les îles éparses de l'océan Indien.
A l'article 9
bis
, qui traite du rapport sur la situation des conjoints
des patrons pêcheurs, disposition introduite par le Sénat, l'Assemblée
nationale a réduit le délai de présentation de ce rapport de deux ans à six
mois. Il est en effet urgent de régler ce délicat problème. Je me félicite,
monsieur le ministre, des propos que vous avez tenus sur ce point, et je sais
que les professionnels et vos services travaillent en ce moment activement sur
ce dossier.
Il s'agit d'une mesure d'équité vis-à-vis des femmes de pêcheur qui
participent véritablement à l'entreprise sur tous les plans mais qui ne peuvent
pas bénéficier des dispositions dont jouissent à l'heure actuelle les conjoints
d'exploitants agricoles, alors qu'il s'agit d'un problème relativement connexe,
même si les femmes de patron pêcheur n'embarquent pas ; d'où la difficulté.
Je pense que, avec de l'imagination et de la bonne volonté, on finira par
trouver une solution à ce problème qui nous préoccupe baucoup.
Deux modifications ont été adoptées à l'article 10, relatif à la définition de
la société de pêche : la première définit la notion de société à responsabilité
limitée comme une société de pêche artisanale ; la seconde consiste à ne pas
limiter le bénéfice de la nouvelle forme de société aux copropriétaires
majoritaires mais à l'étendre aux locataires gérants.
A l'article 12, relatif à l'exonération du paiement de la taxe
professionnelle, la date limite d'exonération du paiement de la taxe
professionnelle a été repoussé de l'année 2003 à l'année 2005.
En ce qui concerne l'article 14, sur l'étalement des plus-values de cession,
l'Assemblée nationale a souhaité assouplir les conditions de réinvestissement
qui permettent de bénéficier de l'étalement des plus-values sur la vente d'un
navire, en les étendant au cas d'achat d'un navire plus petit ou moins cher.
Au titre V, concernant les cultures marines, un article 27
bis
a été
introduit, qui vise à accorder aux conjoints de conchyliculteur une allocation
de retraite viagère.
Au titre VI, relatif à la modernisation des relations sociales, l'Assemblée
nationale a étendu le champ de la « loi Robien » aux secteurs de la pêche et
des cultures marines ainsi qu'à l'ensemble des entreprises d'armement maritime,
à la demande du Gouvernement.
Tel qu'il a été modifié par l'Assemblée nationale, le présent projet de loi
n'a pas appelé d'observations majeures de la part de la commission des affaires
économiques.
Celle-ci a tenu à réaffirmer son soutien au dispositif du projet de loi, et ce
pour trois raisons essentielles.
Tout d'abord, le texte, qui a fait l'objet d'une concertation très approfondie
avec les professionnels, offre une vision globale de la pêche et des cultures
marines en France.
Ensuite, ce projet, tout en s'inscrivant dans le respect du cadre européen de
la politique communautaire de la pêche, est soucieux de préserver la
spécificité et la richesse de notre patrimoine marin.
Enfin, ce dispositif global met en place une législation moderne pas rapport à
celle de nos voisins européens.
Outre quelques amendements de précision et d'ordre rédactionnel, la commission
des affaires économiques propose, sur certaines des nouvelles dispositions
introduites par l'Assemblée nationale, soit de les compléter, soit d'en revenir
au texte adopté par la Haute Assemblée en première lecture, notamment en
matière d'aide à la première installation.
En outre, elle vous proposera, mes chers collègues, d'adopter à nouveau un
amendement instituant des fonds de placement quirataire afin d'encourager
l'autofinancement dans ce secteur.
Avant de conclure, j'évoquerai deux points sur lesquels je souhaiterais,
monsieur le ministre, que vous m'apportiez, au cours de nos débats, des
précisions.
Le premier concerne la possibilité d'extension des contrats d'apprentissage au
secteur de la pêche et des cultures marines, très attendue par les
professionnels.
Le second a trait à l'impossibilité dans lequelle se trouvent actuellement les
chefs d'entreprise de cultures marines cotisant à l'ENIM de déduire de leur
bénéfice leurs cotisations de retraites complémentaires facultatives, alors que
d'autres catégories professionnelles jouissent d'une telle faculté.
Sous le bénéfice des observations qui précèdent et des amendements qu'elle
vous proposera, la commission des affaires économiques vous demande, mes chers
collègues, d'adopter le présent projet de loi.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Sergent.
M. Michel Sergent.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la gestion
française des pêches s'inscrit ou se définit dans le cadre d'une politique
économique générale et se caractérise principalement par une problématique
relevant de la compétence communautaire.
L'avenir de la pêche française passe non seulement par l'affirmation de la
politique gouvernementale en la matière, mais aussi par la mise en place d'une
véritable négociation et d'une ambitieuse perspective maritime européenne. L'«
Europe bleue » doit désormais se draper d'une politique sociale qui lui manque
depuis déjà trop longtemps.
La politique commune des pêches n'a de sens que si elle se réfère à une
ambition de justice et d'équité. L'harmonisation suppose la transparence et la
saine concurrence.
A ce titre, j'insisterai sur les détournements des quotas ; je pense au fameux
quota hopping
que vous avez évoqué, monsieur le ministre, et dont M. le
rapporteur se faisait l'écho voilà un instant. Nous savons, monsieur le
ministre, que la marge de manoeuvre politique et juridique est étroite, très
étroite. Que faire, donc, par rapport à ce phénomène complexe et difficilement
gérable du fait de ses implications ?
L'idée de ne plus lier l'accès à la ressource au pavillon pourrait être
évoquée. Mais elle déboucherait tout droit sur des quotas individuels
transférables. Cette piste semble difficilement envisageable, du moins tant
qu'il existe un déséquilibre aussi important entre la flotille et la ressource
disponible.
Reste la voie juridique. Tout le problème est de savoir comment garantir la
stabilité relative et éviter le contournement de la politique de réduction des
flotilles.
Il faut, en définitive, accréditer l'idée qu'il existe un lien entre
l'activité des navires et la population dépendante de la pêche dans un port.
Au-delà d'une remise en cause de l'appropriation des quotas nationaux par des
armements mixtes communautaires, c'est toute une déstructuration à la fois
sociale et économique qui s'opère dans la pêche industrielle et
semi-industrielle.
S'il est difficile de mettre à plat le problème dans le cadre du POP IV, il
conviendra de poser la question et de trouver des solutions lors de la
renégociation de la politique commune des pêches en 2002. En attendant, nous
comptons sur votre vigilance, monsieur le ministre, pour suivre très
attentivement ce dossier sur lequel repose l'avenir de notre pêche
hauturière.
Je reviens maintenant sur un sujet particulièrement délicat et, dans le
prolongement de mes propos, je souhaite insister sur l'activité des pêches
industrielles. Je perçois très bien la finalité de la réforme du marché des
produits de la mer.
Je comprends, par conséquent, le désir d'assurer une stabilité des marchés,
voire la mise en place d'une nouvelle mécanique devant favoriser une hausse des
prix. La création de l'office interprofessionnel des produits de la mer,
l'OFIMER, et les prérogatives qui y sont rattachées devraient aller en ce
sens.
Monsieur le ministre, je suis votre raisonnement que j'approuve dans ses
lignes directrices. Mais est-ce suffisant ? Je ne le crois pas. Il faudra un
jour se pencher sur l'avenir de la pêche industrielle et semi-industrielle. A
ce titre, j'ai déposé un amendement visant à l'élaboration d'un rapport sur ces
deux segments d'activité.
Elu de la région boulonnaise, vous comprendrez aisément que je souhaite non
pas simplement m'attarder sur ces métiers, mais aussi et surtout mettre en
avant la fragilité d'un secteur toujours remis en cause.
Aujourd'hui et de manière solennelle, je souhaite vous interpeller à propos
des difficultés que connaît actuellement la première place du poisson frais en
France : Boulogne-sur-Mer. Après un an et demi de calme relatif dans la pêche
industrielle boulonnaise, le ton semble monter. Se pose le problème jumelé de
l'éloignement des zones de pêche et des rémunérations.
Le système de déchargement à l'étranger compatible avec les aspirations
familiales et les exigences salariales des équipages ne vaut que pour les
navires travaillant dans les grands fonds de l'Ouest. Mais qu'en est-il de
l'avenir de cette flotte industrielle qui exploite la mer du Nord et qui subit
régulièrement la modicité du prix de vente de certaines espèces comme le lieu
noir ?
Les équipages peuvent-ils légitimement se contenter du salaire minimum
garanti, soit 8 117 francs brut ? Quant aux armateurs, peuvent-ils assurer une
exploitation saine et stabilisée dans le cadre d'une politique communautaire
des pêches qui fait l'objet d'une remise en cause continue et du non-respect
des plans d'orientation pluriannuels ?
Considérons simplement la situation : s'agissant de la pêche industrielle
française, le plus gros armement mixte est Pescanova, qui a racheté, au début,
dix-sept bateaux. Dhellemmes, à Concarneau, a vendu ses parts au Néerlandais
Jacson. Les Néerlandais ont également des parts dans France-Pélagique.
Actuellement, en dehors du thon, il ne reste plus que les Boulonnais Nord
Pêcheries et Le Garrec, et Nicot à Concarneau. Tous les autres armements ont
disparu ou sont à capitaux hollandais ou espagnols. Voilà la réalité, la triste
réalité ! Il faudra, avant qu'il soit trop tard, prendre des mesures d'urgence
pour revitaliser cette activité.
Le plan Etat-région permet ainsi à la flotte boulonnaise de souffler un peu et
de moderniser l'appareil de production. Mais il faut beaucoup plus d'ambition
pour assurer la pérennité d'une activité fondamentale pour l'économie
boulonnaise. De la stabilité de la débarque industrielle dépend, ce n'est pas à
vous que je l'apprendrai, monsieur le ministre, l'avenir industrialo-portuaire
de Capécure.
Notre pêche industrielle doit se profiler dans une perspective délicate. Les
rendements de pêche dans les eaux communautaires sont insuffisants, compte tenu
de la manière dont est gérée la mer communautaire. De plus, les armateurs sont
concurrencés sur le marché par des flottes qui ont accès à des zones de pêche
beaucoup plus généreuses, avec des meilleurs rendements et donc une plus grande
rentabilité.
La pêche industrielle que je pourrais qualifier de franco-française souffre,
en définitive, des coûts d'exploitation inférieurs pratiqués chez ses
principaux concurrents communautaires. La revitalisation de la flotte
industrielle française passe par un apport de capitaux frais. Le système des
quotas qui est approuvé, pour partie, par nos assemblées reste, nous le savons,
suspendu à la décision de la Commission.
Mais dans une perspective d'ouverture et d'approfondissement de cette mesure
incitative, j'ai déposé un amendement permettant aux copropriétaires
non-gérants de bénéficier des mêmes avantages que ceux qui sont consentis aux
copropriétaires gérants. Il s'agit là, me semble-t-il, d'une mesure d'équité
entre la pêche et le commerce. Le but recherché par les investisseurs
potentiels est en effet non pas la niche fiscale mais, bien au contraire, un
placement durable et porteur.
Il demeure, enfin, qu'au-delà de cet aspect technique et structurel, il est
indispensable d'harmoniser et de finaliser le volet social et sociofinancier
des entreprises de pêche.
Que dire des modalités du contrat d'engagement qui sont différentes selon les
pays concernés ?
Que dire, pour ne prendre qu'un seul exemple, du rôle du « capitaine porteur »
qui implique, par définition, détournement et distorsion de concurrence ?
Que dire de la pêche minotière et de ses ravages quand, dans le même temps, la
Commission exige des réductions de flotte pour prétendument sauvegarder à la
fois les stocks et l'équilibre de la ressource ?
La situation n'est pas uniquement ubuesque ; elle est tout simplement
empreinte d'hypocrisie, et je mesure mes propos. Nous comptons sur votre
détermination, monsieur le ministre, pour préciser les intentions du
Gouvernement en matière de pêche industrielle.
Monsieur le ministre, je profite aussi de ce projet de loi d'orientation sur
les pêches de notre pays pour évoquer le problème du maillage des filets de
fond. Je veux en effet parler des modifications du règlement européen n°
3094/86 prévoyant certaines mesures techniques de conservation des ressources
de pêche.
Bien évidemment, je ne reviendrai pas sur la nécessité de préserver la
ressource halieutique. Mais, dans ce domaine très technique de la gestion des
stocks, force est de constater le caractère aléatoire de la biomasse et de la
perfectibilité des sondages et des études scientifiques.
Mais mon propos vise avant tout la mise en application des directives
européennes. Nous voulons tous une Europe forte, certes, mais cette Europe doit
être fondée sur la solidarité. Le traité de Rome et plus encore celui de
Maastricht supposent la liberté de commerce, mais aussi et surtout ils fixent
le cadre d'une saine concurrence. Nous en sommes loin, me semble-t-il.
Pour étayer mon argumentation, j'insisterai sur ledit règlement européen, qui
doit entrer en vigueur au plus tard le 31 décembre de cette année. Parmi les
mesures techniques, nous retrouvons l'épineux problème de la taille des
maillages.
Les fileyeurs et les trémailleurs boulonnais, calaisiens et dunkerquois ne
peuvent accepter l'idée de travailler avec des engins de pêche dont la taille
des mailles passerait de 80 à 100 millimètres. La baisse des captures,
notamment en ce qui concerne la sole, serait de l'ordre de 75 %.
De plus, cette mesure, qui paraît totalemment injustifiée aux yeux des
professionnels locaux, s'applique dans des eaux où existe une véritable
distorsion de concurrence due à la présence des perchistes belges et hollandais
travaillant dans les mêmes zones IV C et VII D, avec des engins autrement plus
destructeurs et avec des mailles de 80 millimètres. Les soles de taille 3, 4 et
5 ainsi capturées par ces flotilles se retrouvent, pour la plupart, sur le
marché français. Voilà la réalité !
La faible largeur du détroit du Pas-de-Calais et la réglementation européenne
imposent en effet à tous les navires de pêche de travailler dans les mêmes
zones, ce qui entraîne par là même des pertes considérables pour notre
flotille.
Ce type de problème n'existe pas dans le golfe de Gascogne, par exemple. C'est
donc tout le problème de la cohabitation entre les différents métiers qui est
de nouveau posé.
Les statistiques des pêches du Nord-Pas-de-Calais montrent que les deux tiers
des captures concernent les tailles 4 et 5, qui sont pêchées avec un maillage
de 84 et de 90 millimètres. La disparition de ces maillages provoque une perte
de 65 % du chiffre d'affaires, perte qui, à court terme, entraînerait une
quasi-disparition de la flotille, laquelle représente aujourd'hui 122 navires
embarquant environ 600 marins en Manche orientale et dans le Sud de la Mer du
Nord.
La région Nord-Pas-de-Calais en général et son littoral en particulier déjà
fragilisés par un fort taux de chômage ne peuvent que s'inquiéter de cette
menace à la fois technique et économique.
Porter le maillage à 100 millimètres aurait aussi pour conséquence de laisser
la place à une flotille de bateaux à perche qui se livrent à un type de pêche
qui était considérée, il n'y a pas si longtemps, comme destructrice par la
Commission européenne, et l'approvisionnement du marché national sans
concurrence.
La faiblesse des quotas attribués dans les zones IV C et VII D aux pêcheurs de
cette région est significative. Je pose la question simplement : ne veut-on pas
par là la mort de la petite pêche côtière ?
La France, que je sache, a toujours respecté ses engagements dans le cadre du
POP III. A quoi bon élaborer un POP IV si des Etats comme les Pays-bas ne
respectent pas les dispositions et les obligations communes ? Il est grand
temps de proposer d'autres mesures et d'assurer l'équité de traitement entre
les pêcheurs communautaires.
Je vous remercie donc, monsieur le ministre, de bien vouloir apporter des
éléments de réponse susceptibles de rassurer cette profession en proie à de
nombreuses interrogations et à bien des angoisses.
Monsieur le ministre, le présent projet de la loi d'orientation va dans le bon
sens, et vos propositions en la matière ont le mérite de clarifier certaines
situations et d'adapter nos pêches maritimes et nos cultures marines dans une
perspective communautaire renouvelée.
Plus qu'à un projet de loi d'orientation, nous avons affaire à un projet de
loi d'adaptation, tant la réglementation et la politique commune des pêches
enserrent les marges de manoeuvres nationales.
Je note avec un intérêt tout particulier le volet portant sur la modernisation
des relations sociales. Ainsi, vous proposez une révision ou tout au moins une
accentuation de la formation professionnelle continue.
Tout ce qui peut aller dans ce sens doit être bien évidemment encouragé. Mais
je note aussi au passage l'absence d'une notification portant sur
l'enseignement et la formation initiale. Je sais qu'une réforme est en cours
mais n'est-il pas judicieux de le préciser dans ce projet de loi, ne serait-ce
que dans les grands principes que vous formulez dans le titre I sur la
politique générale des pêches ?
J'ai déposé en ce sens un amendement qui, je l'espère, monsieur le ministre,
recueillera votre approbation. Il me semble en effet indispensable de préciser
l'utilité de cet enseignement spécifique dans les grandes ambitions dont veut
se doter notre pays en matière de pêches maritimes.
A la charnière du social et du statut des entreprises de pêche, nous avons été
sensibles aux légitimes interrogations et aux revendications affirmées et
justifiées de ces femmes de marins, navigants ou non, qui réclament plus qu'un
droit la reconnaissance de leur existence.
Je me félicite que soit ramené de deux ans à six mois la présentation du
rapport à partir duquel un statut sera défini et octroyé aux épouses de
marins.
L'article 9
bis
ouvre le débat et laisse entrevoir une perspective
heureuse pour cette reconnaissance. Il convient dès lors, et vous vous en
doutez bien, de ne pas briser l'espoir.
Pouvez-vous nous préciser votre méthode de travail, monsieur le ministre ? Une
délégation de ces femmes du littoral pourra-t-elle participer aux travaux
préliminaires ? Quels seront vos différents interlocuteurs ? Voilà les
questions que je voulais vous poser à ce sujet. Nous continuerons, bien
évidemment, à suivre ce dossier délicat et nous ne manquerons pas de soutenir
cette revendication qui, je le répète, est fort légitime.
Voilà, monsieur le ministre, ce qu'il m'importait de vous dire aujourd'hui sur
l'avenir de nos pêches maritimes à l'occasion de l'examen de ce projet de loi
d'orientation.
J'évoquerai brièvement le POP IV, par lequel, vous avez commencé votre propos,
monsieur le ministre.
C'est avec beaucoup de fougue, celle que nous vous connaissons, que vous avez
évoqué les difficultés que vous avez rencontrées à Bruxelles, le niveau d'où
vous étiez parti, c'est-à-dire bien bas, 30 à 40 %, pour arriver à ce que vous
semblez considérer comme une victoire, à savoir non pas 10 % mais 6 % - dans
votre élan, monsieur le ministre, vous avez, je crois, commis un petit lapsus,
affirmant que c'était non pas deux fois cinq, mais deux fois deux !
M. Philippe Vasseur,
ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation.
Deux fois
trois !
M. Michel Sergent.
Sans doute auriez-vous souhaité descendre jusqu'à 4 %, ce qui aurait été
meilleur ! Quoi qu'il en soit, chacun comprend parfaitement la volonté qui
était la vôtre.
Nous partageons votre avis sur le fait que vous ne pouviez accepter ce qui
aujourd'hui représente encore pour nous une difficulté, même si nous venons de
plus loin.
En effet, une fois encore, la position que vous avez exprimée, monsieur le
ministre, ainsi que la spécificité de nos pêches nationales ont subi les coups
de boutoir d'un raisonnement purement communautaire et principalement
gestionnaire.
Derrière la froideur des chiffres, des statistiques et le brouillard des
prétendus rapports scientifiques, l'aspect social et humain n'est pas seulement
remis en cause, il est parfois condamné sur l'autel de la vision ultralibérale
et environnementaliste.
L'équilibre entre la ressource et l'assurance d'une gestion raisonnable de
l'activité des pêches est possible.
Il suffit de le vouloir et de se donner les moyens d'une priorité : celle
d'une véritable ambition maritime européenne. Nous sommes loin de réaliser un
tel voeu.
Respectueux des engagements communautaires, nous continuerons à agir pour
défendre les intérêts de nos marins-pêcheurs et, dans la mesure du possible,
nous entendons bien contribuer, sur ce point précis comme sur les autres, à la
réflexion que suppose la Conférence intergouvernementale.
Amsterdam et l'année 2002 sont les deux caps que nous nous fixons pour
déterminer le cadre de cette action et, surtout, de nos revendications.
En résumé, monsieur le ministre, j'insiste donc sur des questions très
précises, notamment le volet social de l'Europe bleue et l'harmonisation
statutaire qui en découle, l'épineux problème du quota
hopping,
la
renégociation de la politique commune des pêches et la situation de la pêche
industrielle de notre pays - je souligne avec force ce point.
J'insiste aussi sur l'affirmation de la place boulonnaise dans le concert
européen, les mesures techniques et la dimension des maillages pour les filets
de fond, l'inscription dans le projet de loi de l'enseignement maritime et de
la formation initiale, ainsi que la reconnaissance du statut des femmes de
marins navigants ou non.
Vous comprendrez aisément que les professionnels attendent des réponses
précises à des questions fondamentales pour la compréhension et l'appréhension
du problème des pêches maritimes.
En ce sens, je vous remercie de bien vouloir y apporter une attention
particulière.
Comme vous avez pu vous en rendre compte, monsieur le ministre, mon propos est
avant tout la contribution d'un élu qui puise sa réflexion à la fois dans la
réalité du terrain mais aussi dans l'interprétation professionnelle et
interprofessionnelle des différentes organisations qui ont la lourde charge de
gérer un présent bien difficile et, surtout, un avenir très incertain.
J'ai déposé trois amendements. Je sais que votre ambition, qui est aussi la
nôtre, et votre perspective de travail sont limitées par le cadrage que nous
impose Bruxelles et, parfois, Bercy. Cependant, je tiens à préciser que ces
différentes propositions, qui constituent des avancées notables et très utiles
pour l'avenir de nos pêches, pourraient être insérées dans le projet de loi.
J'attends donc, monsieur le ministre, de connaître votre avis sur ces
suggestions, qui ont, selon moi, le mérite de s'inscrire, elles aussi, dans la
grande concertation que vous avez voulue.
Bien évidemment, le groupe que j'ai l'honneur de représenter déterminera sa
position à la lumière des réponses que vous ferez et des suites qui seront
données à nos amendements.
M. le président.
La parole est à M. Leyzour.
M. Félix Leyzour.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi d'orientation sur la pêche maritime et les cultures marines qui nous
revient de l'Assemblée nationale sous les projecteurs de l'actualité du POP IV
n'a guère été modifié.
Les députés se sont en effet contentés d'apporter quelques précisions
rédactionnelles ou de détail à un texte qui vise, en fait, à mieux intégrer nos
pêches maritimes dans « l'Europe bleue » telle qu'elle est, plutôt qu'à jeter
les bases d'une nécessaire réforme de l'organisation communautaire de la
filière maritime.
Comme il nous l'a montré ici même, en novembre dernier, et à l'Assemblée
nationale, voilà quelques semaines, le Gouvernement ne raisonne qu'à
l'intérieur des limites de cette « Europe bleue » et s'évertue à faire croire
aux acteurs de la filière qu'il n'y aurait de salut que dans ce cadre.
Chacun peut pourtant constater que le poids des orientations européennes sur
l'ensemble des choix concernant les différents aspects de la vie nationale
stimule aujourd'hui le débat sur les conséquences du cheminement ultralibéral
de l'Union européenne et sur la nécessité de profondes réformes.
Tous les amendements que nous avions déposés et toutes les propositions que
nos amis députés communistes ont formulées pour tenter de dépasser ce projet de
loi ou seulement de le faire évoluer se sont heurtés au même refus.
Il n'était pas question de toucher à l'actuelle « Europe bleue » ni même
d'oser réclamer une modification des règles du jeu, et cela même si elles ont
montré leur incapacité à répondre aux besoins des consommateurs européens avec
les moyens des flotilles européennes.
Il est tout de même révélateur que nous en soyons arrivés à ce que plus de la
moitié des produits de la mer consommés en France et dans l'Union européenne
soit importée des pays tiers qui pratiquent la pêche industrielle ou le dumping
social.
Comme je l'ai indiqué en première lecture, depuis 1988 30 % de nos bateaux ont
été désarmés ou bradés à l'étranger ; le tonnage de nos prises a été réduit de
20 % ;
le nombre de marins a baissé de 25 % ; la France est tombée au dix-neuvième
rang mondial ; enfin, vingt des trente-neuf conserveries installées sur notre
territoire ont fermé leurs portes.
La réglementation européenne concernant les quotas de pêche, qui est très
facilement contournable, est maintenant de plus en plus contournée de
l'extérieur par les armateurs des pays tiers et, au sein de la Communauté, par
les armateurs de certains pays qui, par des arguties juridiques, parviennent à
capter les quotas de pêche de leurs voisins.
Tout le monde le sait : les marins-pêcheurs français et ceux qui sont
réellement établis en France en souffrent et réclament des mesures. Cependant,
le 5 novembre dernier, après avoir refusé nos amendements dans lesquels nous
proposions que la France agisse en vue de réformer l'« Europe bleue », vous
avez, monsieur le ministre, refusé celui que nous avions déposé pour mettre un
terme à ces pratiques.
Cela signifie en clair que vous vous accommodez de cette situation et qu'il
vous semble primordial de ne pas toucher au système qui l'organise, qui
favorise la mise en concurrence des hommes et qui déstabilise l'économie de
régions entières, plutôt que de concourir au développement économique et
social.
En cela, vous faites un choix politique, celui de l'Europe de
l'ultralibéralisme.
En acceptant cette logique destructrice, on favorise la concentration
industrielle de la filière et on met en cause la pérennité de la pêche
artisanale.
Le 22 octobre dernier, dans une interview au
Télégramme de Brest,
vous
laissiez entendre qu'en matière de casse de bateaux la France avait déjà assez
donné. Il est vrai, malheureusement, que la France a fait beaucoup de zèle pour
réduire ses capacités de pêche afin d'apparaître comme le bon élève de
l'Europe.
M. Philippe Vasseur,
ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation.
M. Leyzour
est très mal informé !
M. Félix Leyzour.
Or nous apprenions hier par la presse - vous venez d'ailleurs d'y consacrer
votre intervention - que, malgré le vote négatif de la France et de la
Grande-Bretagne, dont les quotas de pêche sont pillés par les concurrents
étrangers, le Conseil des ministres européens vient de décider une nouvelle
réduction globale de 30 % de la flotte de pêche communautaire dans les cinq
prochaines années.
Vous avez indiqué que, pour la France, cette réduction porterait sur moins de
10 % du total actuel : 6 % avez-vous dit ce matin.
Il faut savoir que, entre 1990 et 1996, la flotte française est déjà passée de
8 651 navires, dont 6 557 de moins de douze mètres, à 6 475, dont 4 766 de
moins de douze mètres. Sur les 6 475 bateaux qui restent en activité, il y en a
3 288 dans l'ouest de la France.
Les effectifs, quant à eux, sont tombés de 17 375 à 14 055 entre 1991 et 1996.
Sur ces 14 055 personnes, il y en a 10 134 dans l'Ouest, dont 6 205 en
Bretagne, 1 805 en Normandie et 2 124 dans les Pays de la Loire.
Ces chiffres montrent toute l'importance de la pêche en termes d'emplois, dans
l'Ouest, et notamment en Bretagne.
La décision de réduction d'activité a été prise à la majorité qualifiée et
chaque pays, y compris le nôtre, devra prendre sa part à ce plan de
réduction.
Monsieur le ministre, j'ai noté tout à l'heure que M. le rapporteur a
curieusement rendu hommage à la fois à votre opposition à Mme Bonino et à la
détermination de cette dernière à résister à vos demandes.
M. Josselin de Rohan,
rapporteur.
Monsieur Leyzour, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Félix Leyzour.
Je vous en prie, monsieur le rapporteur.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Josselin de Rohan,
rapporteur.
Je n'ai pas félicité Mme Bonino d'avoir résisté à M. le
ministre. J'ai simplement dit que je rendais hommage à la détermination et au
sens des responsabilités de Mme Bonino, même si nous ne partageons pas toujours
sa manière de voir. Tous ses interlocuteurs, même s'ils se sont opposés à elle,
et parfois durement, l'apprécient pour son courage, dont elle fait également
preuve dans d'autres activités que le domaine de la pêche, mais aussi parce
qu'elle ne pratique pas la langue de bois.
Par ailleurs, monsieur Leyzour, il importe de prendre conscience du fait que
la ressource diminue. Si on accepte des plans de réduction de la flotte, ce
n'est pas par plaisir ou par sadisme, c'est parce qu'il y a, hélas ! moins de
poisson à pêcher.
Il faut effectivement éviter une réduction indifférenciée. Il faut aussi
éviter que la polyvalence de la flotte française ne soit pas prise en compte.
M. le ministre a défendu cette position avec beaucoup d'ardeur.
Il est vrai que, en face de nous, la Commission n'est pas toujours déterminée
à prendre en compte tous nos points de vue.
Cela étant, je maintiens ce que j'ai dit : j'ai de l'estime pour Mme Bonino,
car, même si nous nous affrontons durement avec elle, elle parle quelquefois le
langage de la vérité.
(MM. Chérioux, Doublet et Arzel applaudissent.)
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Leyzour.
M. Félix Leyzour.
Monsieur le rapporteur, je vous remercie de vos propos, qui confirment
exactement ce que je viens d'indiquer.
M. Jean Chérioux.
Quelle mauvaise foi !
M. Félix Leyzour.
Cela tend évidemment à faire penser que vous êtes d'accord, sur le fond, avec
les orientations européennes, mais qu'il faut tenir compte de l'état de
l'opinion en France.
Bien entendu, ce nouveau plan de liquidation prétend s'appuyer sur une volonté
de meilleure gestion de la ressource, vous venez d'y faire référence, alors que
nous savons tous qu'aucune mesure n'est prise pour vraiment réguler les
importations, pour faire jouer le principe de la préférence communautaire.
Aucune mesure n'est prise non plus pour mettre fin à la pêche minotière, qui
pille les richesses halieutiques sans aucun discernement afin de contribuer à
fabriquer à peu de frais de la farine et de l'huile destinées à l'alimentation
animale. Pourtant, ce type de pêche détruit les équilibres écologiques et
abaisse le niveau de la qualité des produits alimentaires.
Dans ces conditions, et l'actualité vient le souligner avec le POP IV, votre
projet de loi d'orientation ne vise donc qu'à occuper le faible espace laissé
par les grandes orientations décidées à Bruxelles sous l'impulsion de Mme
Bonino.
Si elle comporte un certain nombre de mesures de bon sens facilitant un
fonctionnement plus rationnel de la filière, comme nous l'avons souligné en
première lecture, votre loi, monsieur le ministre, n'interviendra qu'à la
marge, par rapport aux grandes questions posées à la pêche en France
aujourd'hui.
Nous avons redéposé quelques-uns des amendements que nous avions défendus en
première lecture. Ils traduisent notre volonté d'agir en faveur de nouvelles
orientations dans le domaine des pêches maritimes.
(M. Sergent applaudit.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la
discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du
Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.
Article 1er