MESURES URGENTES
À CARACTÈRE FISCAL ET FINANCIER
Suite de la discussion d'un projet de loi
déclaré d'urgence
M. le président.
Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale après déclaration d'urgence, portant mesures urgentes à caractère
fiscal et financier.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
vais m'efforcer à mon tour, à la suite de M. le président de la commission et
de M. le rapporteur, de resituer ce texte dans une logique qui est celle de la
majorité de la commission des finances.
Tout d'abord, il y a lieu, mes chers collègues, de se réjouir de ce
rendez-vous longtemps attendu puisque, depuis l'interruption de nos séances,
nous avons été sevrés d'un débat d'orientation budgétaire qui aurait dû avoir
lieu,...
M. René Régnault.
La faute de qui ?
M. Philippe Marini.
... d'un projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et
financier, qui avait été déposé,...
M. René Régnault.
Il ne fallait pas dissoudre !
M. Philippe Marini.
... d'un collectif, ou projet de loi de finances rectificative, que, selon des
usages constants, il était jusque-là habituel qu'un nouveau gouvernement
présente aux chambres après son installation.
(M. Régnault s'exclame de nouveau.)
Voici venu, par conséquent, ce premier rendez-vous, sous forme de dix
articles d'un projet de loi dont l'intitulé est original : « Mesures d'urgentes
à caractère financier et fiscal ».
Mes chers collègues, ce projet de loi semble reposer - je voudrais m'efforcer
de le démontrer à mon tour - sur de mauvaises raisons et risque de nous
conduire à de mauvais choix.
C'est dire que ma conclusion ne sera pas inattendue et que, au nom du groupe
du Rassemblement pour la République, je recommanderai tout à l'heure de rejeter
les trois premiers articles de ce projet de loi.
En premier lieu, je parlerai de la lecture que nous avons pu faire les uns et
les autres de l'audit, fort objectif et très approfondi, que MM. Jacques Bonnet
et Philippe Nasse ont mené à bien et qui a été présenté le 21 juillet
dernier.
Je me bornerai à quelques citations.
Première citation : « Il n'y a pas de dérapages très importants en cours pour
les catégories de dépenses lourdes - dépenses de personnels et dépenses
sociales - celles pour lesquelles les dérives peuvent...
(M. Raymond Courrière proteste.)
S'il vous plaît, monsieur Courrière, laissez-moi citer les magistrats de
la Cour des comptes.
M. Raymond Courrière.
Vous avez interpellé le ministre tout à l'heure. Je peux en faire autant !
M. Philippe Marini.
Mais, mon cher collègues, si vous souhaitez m'interrompre, je vous laisse bien
volontiers la parole.
M. Raymond Courrière.
Vous avez donné le mauvais exemple tout à l'heure. On vous suit !
M. le président.
Monsieur Courrière, laissez M. Marini poursuivre son intervention.
M. Raymond Courrière.
M. Marini a interrompu M. le ministre tout le temps, et maintenant il ne veut
pas que j'en fasse autant !
M. Philippe Marini.
Je me propose au contraire, mon cher collègue, de vous répondre si vous avez
des arguments à opposer, comme M. le ministre, fort courtoisement et avec
beaucoup d'habileté, a bien voulu le faire tout à l'heure.
(Sourires.)
M. Raymond Courrière.
Il vous a tout dit !
(Rires.)
M. Philippe Marini.
Acceptez-vous désormais que je reprenne mes citations ?
M. Raymond Courrière.
Mais bien sûr !
M. le président.
Monsieur Marini, veuillez poursuivre, je vous prie.
M. Philippe Marini.
J'en reviens donc à ma première citation : « Il n'y a pas de dérapages très
importants en cours pour des catégories de dépenses lourdes - dépenses de
personnels et dépenses sociales - celles pour lesquelles les dérives peuvent
entraîner loin sans être pratiquement rattrapables. »
C'est là un premier satisfecit pour la gestion de l'ancienne majorité.
M. Raymond Courrière.
Citation tronquée !
M. Philippe Marini.
Je mets à votre disposition ce texte que vous n'avez peut-être pas lu, mon
cher collègue, de manière aussi attentive que nous l'avons fait au sein de la
commission des finances. Je vous mets, par ailleurs, au défi de prouver que mes
citations ne sont pas objectives.
Deuxième citation : « Il n'y a pas de dérapages généralisés à un très grand
nombre de chapitres, ce qui aurait montré une loi de finances initiale mal
équilibrée ou exécutée par des autorités responsables sans l'exercice d'une
volonté ferme. ».
Cette phrase signifie que la volonté a été ferme, que la loi de finances
initiale a été bien calibrée et que les catégories de dépenses, en particulier
les dépenses de personnels et les dépenses sociales, qui peuvent engendrer les
pires dérapages, ont été, au contraire, bien gérées et bien tenues.
Voilà ce qu'ont écrit deux conseillers maîtres à la Cour des comptes qui ont
été chargés d'une mission d'audit par le Gouvernement que vous soutenez, mon
cher collègue. Que cela vous plaise ou non, vous devez l'admettre !
M. Raymond Courrière.
Pourquoi dissoudre alors ?
M. Philippe Marini.
Je parle budget, mesures d'urgence de caractère fiscal et financier. Veuillez
ne pas détourner le débat ! Au demeurant, vous n'avez qu'à vous réjouir de
cette dissolution.
(Sourires sur les travées socialistes.)
M. René Régnault.
Nous assumons !
M. Philippe Marini.
Par conséquent, mon cher collègue, laissez-moi revenir à la teneur de ce
propos qui porte spécifiquement sur le texte qui est soumis à notre
l'examen.
Nous ne sommes pas en train d'alimenter un débat sur les causes nécessaires ou
non de la dissolution !
M. Raymond Courrière.
Sur les errements de M. le Président de la République !
M. Philippe Marini.
Ce n'est pas le sujet ! Nous sommes dans un débat financier et fiscal, et non
pas sur une question de politique générale.
J'ajoute une troisième citation des deux rapporteurs : « Il s'agit de
dérapages localisés, bien identifiés, dont l'ampleur reste sous contrôle. »
Je pourrais continuer ainsi longtemps, mais j'en viens aux recommandations de
ce rapport d'audit.
Là encore, je ne ferai que citer fidèlement l'esprit des remarques de MM.
Bonnet et Nasse.
Selon eux, agir sur la dépense - M. Alain Lambert le rappelait - est le seul
moyen de réduire les déficits, comme la France s'y est engagée, sans accroître
des prélèvements obligatoires déjà très lourds.
Ce résultat ne pourra donc être obtenu que par des actions de fond. Il faudra
tout à la fois rendre les services de l'Etat plus productifs et leur activité
plus efficace.
M. Raymond Courrière.
Est-ce que vous, vous l'avez fait ?
M. Philippe Marini.
Est-ce ce que vous faites alors que, arrivés au pouvoir, immédiatement vous
décrétez que les effectifs de la fonction publique ne doivent plus diminuer ?
Première décision qui, d'ailleurs, modifie l'exécution de la loi de finances en
cours d'année dans le sens d'une augmentation des dépenses.
M. Raymond Courrière.
Ce sont les services publics qui faut protéger !
M. Philippe Marini.
Il s'agit bien de prélèvements obligatoires et de cette sphère de la dépense
publique de l'Etat que vous voulez, conformément aux orientations qui sont les
vôtres...
M. Raymond Courrière.
Largement approuvées par le peuple !
M. Philippe Marini.
... et dont vous êtes comptables devant le pays, sans cesse continuer à
accroître. Ce sont bien là des orientations qui nous différencient.
(M. Raymond Courrière manifeste.)
M. le président.
Monsieur Courrière, laissez s'exprimer l'orateur !
M. Raymond Courrière.
Il s'adresse à moi !
M. le président.
Poursuivez votre propos, monsieur Marini.
M. Philippe Marini.
Monsieur le président, je poursuis mon propos de façon tout à fait
imperturbable. Il est excellent qu'il y ait des clivages de fond, des
oppositions bien marquées au sein de cette assemblée et que l'examen de textes
qui ne conviennent pas à la ligne générale et à la philosophie politique de la
majorité sénatoriale aboutisse à des prises de position tranchées, comme celle
que nous recommande, en l'occurrence, la commission des finances. C'est une
bonne démonstration que l'on peut se livrer, à la loyale, à un bon débat avec
des arguments de part et d'autre.
Le constat du Gouvernement, comparé à celui des auditeurs de la Cour des
comptes, me paraît exagérément pessimiste. Je rappelle une nouvelle fois que le
précédent gouvernement avait gelé 10 milliards de francs de crédits qui avaient
vocation à être annulés. Le rapport d'audit estimait à 15 milliards de francs
les économies à faire d'ici à la fin de 1997. Au total, l'enjeu était de
l'ordre de 25 milliards de francs.
Il eût été normal et logique que le Gouvernement réduisît les dépenses et, en
particulier, utilisât les 10 milliards de francs gelés pour en faire des
économies définitives, ce qu'il n'a pas fait. C'est son choix et sa
responsabilité !
M. Michel Sergent.
Ils étaient déjà consommés !
M. Philippe Marini.
Avec ces 10 milliards de francs, il a financé des dépenses qui ont été
injectées dans le circuit économique.
M. Michel Sergent.
Oui, puisque ces crédits étaient déjà engagés.
M. Philippe Marini.
Mes chers collègues, nous allons pouvoir juger de l'efficacité de ces dépenses
dans les prochains mois. Certes, vous avez encore beau jeu de dire que vous
assumez, en quelque sorte, un héritage. Mais, dans quelques mois, lorsque nous
verrons la suite des statistiques sur l'évolution du solde des comptes publics
et surtout sur l'emploi, sur le taux de chômage, d'ici à quelques mois,
l'argument de l'héritage n'aura plus cours !
Plusieurs sénateurs socialistes.
Vous l'avez utilisé des années !
M. Philippe Marini.
Les alternances répétées d'ailleurs nous habituent à ce type de problématique
car, au bout d'un certain temps, on est devant la vérité de sa propre politique
et on ne peut plus accuser les autres.
Au demeurant, mes chers collègues, souvenez-vous des premiers comptes publics
que la majorité élue en mars 1993 avait trouvés. Quelle était la dérive ? Elle
n'était pas de 20 milliards à 25 milliards de francs ; elle était de 140
milliards de francs !
M. Jean Chérioux.
Exactement !
M. Philippe Marini.
Alors, héritage pour héritage, mes chers collègues, nous n'avons véritablement
aucun complexe à avoir.
(Applaudissements sur les través du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Même chose pour la croissance !
M. Philippe Marini.
Je crois que les chiffres concernant les situations budgétaires en cours
d'exercice 1997 apportent plutôt de l'eau à mon moulin. En effet, nous voyons
que les recettes du budget général en cours d'année, constatation faite à la
fin du mois de juillet si je ne me trompe, sont supérieures de 22,7 milliards
de francs au chiffre analogue de 1996, soit une progression de 3,6 %.
M. Raymond Courrière.
Normal, vous avez augmenté les impôts !
M. Philippe Marini.
J'ai d'ailleurs le souvenir de la réponse qui a été faite par M. Strauss-Kahn
à M. le rapporteur général lors de la séance de questions d'actualité du 26
juin 1997. Parlant des publications mensuelles de la situation budgétaire et de
l'endettement de l'Etat, le ministre avait déclaré que ces chiffres étaient
loin d'être parfaits et que, s'ils étaient susceptibles de donner régulièrement
la mesure exacte de notre situation budgétaire, cela se saurait.
J'avoue, monsieur le secrétaire d'Etat, que j'avais été personnellement un peu
surpris, voire un peu choqué, du doute lancé à l'égard de la qualité des
services rendus par vos collaborateurs du ministère de l'économie et des
finances.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat au budget.
C'est facile !
M. Philippe Marini.
Sur ce sujet, notre collègue M. Jacques Oudin avait repris la même question au
mois de juillet interrogeant le Gouvernement sur ses intentions au sujet de la
poursuite de la publication mensuelle de ces informations qui sont
particulièrement précieuses pour l'exercice du contrôle du Gouvernement par le
Parlement.
Je souhaite très vivement, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous puissiez
répondre clairement - ce qui, me semble-t-il, n'a pas été fait formellement
jusqu'ici - à la préoccupation ainsi exprimée à l'époque par notre collègue M.
Jacques Oudin.
Par conséquent, mes chers collègues, les motifs qui inspirent ce projet de loi
ne paraissent pas convaincants. Pour autant, les choix qu'il induit sont-ils
des choix que nous pouvons suivre ?
Pour tâcher de répondre à cette question - je vous indiquais en commençant, ce
qui affaiblit le suspense de mon exposé, selon quelle ligne j'envisage de
poursuivre mon argumentation
(Sourires)
- je voudrais rappeler que votre
plan est équilibré en deux temps. Il y a, d'un côté, 10 milliards de francs
d'économies, de l'autre, 22 milliards de francs de prélèvements
supplémentaires.
S'agissant des 10 milliards de francs d'économies, ce sont d'abord 2 milliards
de francs d'amputation sur le budget de la défense. Je ne suis pas persuadé
qu'une telle amputation laisse indemne la possibilité d'exécuter honnêtement
les engagements qui ont été pris vis-à-vis du ministère de la défense dans une
phase extrêmement délicate de réforme de fond supposant que, si j'ose
m'exprimer ainsi, le moral des troupes soit au rendez-vous. Je ne suis pas sûr
qu'avec cette économie vous en soyez là.
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
M. le maire de Brest vous en dirait plus.
M. Philippe Marini.
C'est en effet un élément de réponse. D'autres collègues sont certainement
beaucoup plus documentés encore que moi sur ces sujets.
Ce sont, ensuite, 2 milliards de francs qui ont été récupérés sur des
trésoreries dormantes. M. le secrétaire d'Etat au budget va probablement nous
expliquer tout à l'heure ce dont il s'agit. L'expression est sympathique :
naturellement tout le monde est contre les trésoreries dormantes, il n'est pas
possible d'être pour. Mais il faudrait qu'il veuille bien nous dire où elles se
trouvent et quelles seront les conséquences de leur réduction.
Ce sont, enfin, 6 milliards de francs d'économies qui représentent, à mon
avis, une nébuleuse assez opaque. Le Gouvernement se contente en effet de
déclarer qu'ils découleront du rythme de progression des dépenses modéré depuis
le début de 1997. J'avoue ne pas avoir été en mesure de situer clairement ces
économies, ce qui, à mon avis, laisse planer un doute sur leur réalité.
S'agissant maintenant des 22 milliards de francs de prélèvements
supplémentaires, il y a deux mesures fiscales et une mesure
d'accompagnement.
Le volet fiscal, c'est la contribution dite temporaire sur l'impôt sur les
sociétés. M. le ministre de l'économie et des finances a développé son
argumentation à ce sujet. Je ne mets naturellement pas en doute ses intentions
en ce qui concerne le caractère temporaire de la contribution. Si je me suis
permis tout à l'heure de l'interrompre pour exprimer un certain scepticisme,
c'est parce que la nature des choses fait que parfois, lorsqu'on a toutes
sortes de promesses à satisfaire, il arrive que l'on doive réviser de bonnes
intentions.
Je ferai quelques remarques à ce sujet.
S'agissant, d'abord, du seuil de 50 millions de francs, il est à l'évidence
trop faible, car il ne s'agit pas du seuil de la PME au sens européen, ce
dernier étant fixé par l'Union européenne à 44 millions d'écus, soit environ
260 millions de francs. Il s'agit du seuil de la petite entreprise, ce qui est
tout à fait différent.
Au demeurant, vous savez très bien, mes chers collègues, qu'un chiffre
d'affaires de 50 millions de francs a une signification totalement différente
selon la branche d'activité où l'on se trouve, et qu'en matière de distribution
50 millions de francs c'est très peu, alors qu'en matière de prestations de
services intellectuels, c'est énorme, et cela concerne une entreprise
relativement importante.
En outre, si j'en crois certains courriers que j'ai reçus ces derniers jours,
la plupart des concessions automobiles qui fonctionnent bien dans nos villes de
province sont des sociétés anonymes qui réalisent plus de 50 millions de francs
de chiffre d'affaires. Je crois même pouvoir dire qu'un très grand nombre de
ces concessions automobiles - s'agissant de la PME typique ou, souvent, plutôt
de la petite entreprise - vont devoir - passez-moi l'expression - supporter
plein pot cette majoration de l'impôt sur les sociétés.
Au demeurant, souvent - mais cela vous ne le dites pas - les sociétés qui
réalisent un chiffre d'affaires inférieur à 50 millions de francs sont des
entreprises individuelles qui ne sont pas, en tant que telles, assujetties à
l'impôt sur les sociétés.
Par conséquent, l'affirmation selon laquelle 92 % des PME ne seront pas
touchées par la contribution complémentaire est, à mon avis, fausse et
démagogique, car elle ne tient pas compte de la réalité du tissu économique de
notre pays.
Au demeurant, je me demande simplement si, au nom de l'égalité de traitement,
on ne pourrait pas mettre en cause une telle distinction, une telle barrière,
car quelle est la différence de situation objective entre des petites et
moyennes entreprises de plus ou de moins de 50 millions de francs qui vont, les
unes être assujetties à la surtaxe et, les autres, ne pas y être assujetties ?
La question, en tout cas, me semble devoir être approfondie.
Le taux de l'impôt sur les sociétés va donc passer, pour toute une série de
gens, à 41,6 %. On peut discuter sur les comparaisons internationales et les
taux en vigueur dans les pays voisins. Il n'en reste pas moins que l'évolution
se fait partout dans le sens de moins de pression fiscale sur les entreprises,
notamment de la part de tous ceux qui veulent le grand marché européen et qui
veulent la zone euro, et notre petit échange, tout à l'heure, avec M. le
ministre Strauss-Kahn a été, je crois, plein d'enseignements.
Il a reconnu, en effet, que l'harmonisation fiscale va dans le sens de la
baisse de la pression fiscale sur les entreprises et que, demain, il faudra
défaire ce que l'on nous appelle à faire aujourd'hui ; il ne nous a pas dit le
contraire. Il a reconnu que nous allons à contre-courant de l'Europe...
M. Michel Sergent.
Mais non !
M. Philippe Marini.
... dans le cadre d'une loi dont il prétend qu'elle est destinée à nous
permettre d'atteindre l'objectif européen !
M. Michel Sergent.
La baisse est inscrite dans le projet de loi !
M. Philippe Marini.
Mes chers collègues, je voudrais appeler votre attention sur ce point. C'est
bien la contradiction de base de votre démarche !
Vous nous dites, de retour d'Amsterdam et depuis lors : il faut faire l'euro ;
nous exécutons les engagements internationaux de la France. Bien entendu, nous
ne pouvons que saluer cette continuité. D'un autre côté, vous nous dites qu'il
faut traiter les entreprises françaises différemment de la manière dont les
Allemands, les Anglais, les Italiens, les Belges et tous nos autres partenaires
traitent leurs propres entreprises.
L'euro appellera l'harmonisation fiscale, notamment en termes de fiscalité de
l'épargne et de fiscalité sur les entreprises. Nous faisons précisément le
contraire, et c'est bien cela qui est grave dans la démarche que vous nous
proposez.
Je ne vais pas poursuivre trop longtemps sur ces sujets. Les arguments avancés
en ce qui concerne cette mesure relative au taux de l'impôt sur les sociétés
sont suffisamment graves pour que l'on puisse - et pour que l'on doive - suivre
la proposition de suppression de l'article 1er formulée par notre commission
des finances.
En second lieu, nous évoquons l'inclusion, dans l'assiette de l'impôt sur les
sociétés, des plus-values réalisées par les entreprises sur la cession
d'éléments de leurs actifs, à savoir les cessions de terrains, de fonds de
commerce ou de brevets, qui étaient taxées à 20,9 % et qui vont l'être à 41,66
%. Il est attendu de cette mesure 6 milliards de francs, mesure dont je
prétends, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'elle est singulièrement
antiéconomique.
Tout d'abord, elle est bel et bien rétroactive...
M. Alain Lambert,
rapporteur.
Absolument !
M. Philippe Marini.
...contrairement à ce qui nous a été soutenu tout à l'heure, car l'imposition
de ces plus-values porte sur toutes celles qui ont été dégagées à partir du 1er
janvier 1997. C'est ce qu'indique votre texte. Les plus-values dégagées avant
l'annonce du projet de loi, avant fin août et début septembre, seront donc
imposées au nouveau régime alors qu'elles avaient été dégagées au moment où les
entreprises pouvaient escompter se trouver soumises à l'ancien taux de
fiscalisation.
Une entreprise qui a cédé en début d'année un terrain, un immeuble ou un
brevet devra payer deux fois plus d'impôts que ce qu'elle avait prévu dans son
propre budget. C'est bien de la rétroactivité économique !
M. Alain Lambert,
rapporteur.
Cette entreprise aura d'ailleurs parfois réinvesti le produit
des cessions.
M. Philippe Marini.
Voilà qui aggrave encore la portée de cet argument.
Il s'agit là, nous n'en disconvenons pas, d'une question de fond. Les
mauvaises habitudes, je le maintiens, sont tenaces en la matière. Il serait
tout à fait nécessaire - et nous avons commencé voilà quelques mois à réfléchir
sur ce sujet - d'essayer de poser des règles du jeu qui pourraient constituer
une approche nouvelle de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique
relative aux lois de finances, voire, éventuellement, s'inscrire dans une
démarche de portée constitutionnelle.
En effet, nos entreprises, nos agents économiques ont besoin d'une règle du
jeu claire et fixe. Nous ne pouvons pas prétendre, ni les uns ni les autres,
que cette clarté et cette permanence aient été correctement garanties par les
comportements récurrents ou les habitudes des administrations et des
gouvernements successifs.
(M. Chérioux applaudit.)
J'ajouterai qu'inclure les cessions de brevets dans ce dispositif, c'est
jouer contre la recherche française et le progrès technologique. Le doublement
de l'imposition des plus-values, mesure particulièrement spoliatrice, n'est pas
de nature à inciter les entreprises à promouvoir la recherche.
Toutes ces raisons me conduisent naturellement, mes chers collègues, à
approuver la position de M. le rapporteur, qui nous incite à repousser
l'article 2.
Je formulerai une dernière remarque relative aux entreprises.
On a noté le niveau particulièrement élevé du taux d'autofinancement. Nous
n'en disconvenons pas, mais là n'est pas le problème. Il ne faut pas se livrer
à une analyse hexagonale des choses. Le problème réside dans la comparaison du
taux de rentabilité des entreprises françaises avec celui des entreprises
européennes qui sont leurs concurrentes.
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Eh oui !
M. Philippe Marini.
Ou alors, il ne faut pas prétendre vouloir l'euro ! Si l'on souhaite l'euro,
on doit rechercher la compétitivité des entreprises et, dans ce cas, pour
mettre en oeuvre un nouveau dispositif fiscal, on doit se livrer à une analyse
européenne et non pas à une analyse franco-française, comme vous vous bornez à
le faire.
C'est une raison de souligner à nouveau, monsieur le secrétaire d'Etat, les
ambiguïtés et les contradictions de votre engagement européen.
L'article 3 du projet de loi est extrêmement complexe. Créer un versement
anticipé de la contribution temporaire de l'impôt sur les sociétés, modifier le
régime des acomptes, cela appelle au moins une remarque.
L'acompte complémentaire dû au titre du changement du champ d'application des
plus-values à long terme sera calculé de façon obligatoire sur le dernier
exercice dont les résultats ont été déclarés, c'est-à-dire 1996, alors que
l'exercice ouvert en 1997 servira d'assiette effective à l'impôt sur les
sociétés.
Je qualifierai ce décalage - pardonnez-moi de me répéter - de rétroactivité.
Même si celle-ci n'est pas d'ordre juridique, elle est économique et est
pénalisante pour les entreprises en créant des distorsions dans le
fonctionnement normal du tissu économique.
Tout cela me conduit naturellement, une nouvelle fois, à suivre les
propositions du rapporteur de la commission, qui nous incite à rejeter
l'article 3.
Restent trois articles sur EDF, sur la BDPME, héritage du projet de loi
portant DDOEF qui aurait dû nous être soumis par MM. Arthuis et Lamassoure
(exclamations sur les travées socialistes)
et sur les CODEVI.
Vous avez oublié entre-temps, si je ne m'abuse, le régime fiscal des
footballeurs professionnels. A cet égard, je ne ferai pas de grands
commentaires car l'opportunité de cette mesure m'avait à l'époque échappé. Mais
nous n'avons pas eu à en discuter.
Sur l'article 5 concernant les CODEVI, une remarque et une proposition peuvent
être faites.
J'ai eu l'honneur de rapporter un texte sur les CODEVI au début de l'année.
J'ai recommandé son adoption, comme Alain Lambert, sans un enthousiasme
débordant. S'il ne pouvait pas faire de mal, il ne fait probablement pas grand
bien !
Je me souviens avoir entendu, lors de la discussion de ce texte, notre
excellente collègue vice-présidente de la commission des finances, Mme
Marie-Claude Beaudeau, qui, tout à l'heure, s'est exprimée de façon tout à fait
élogieuse à l'égard de l'épargne administrée, vis-à-vis des CODEVI, etc.,
parler alors de « duperie »,...
M. Marcel Debarge.
C'est facile !
M. Philippe Marini.
... d'« inefficacité », de « handicap pour les PME » et de « mesures
illusoires ».
Parfois, j'admire nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen
qui utilisent ainsi toutes les ressources de la dialectique pour avancer, dans
des circonstances différentes, des arguments opposés, et ce avec une logique
imperturbable. Cela mérite un hommage particulier.
En tout état de cause, nous approuverons, bien sûr, cette mesure puisque nous
avons voté au début de l'année le projet de loi qui nous était soumis sur le
sujet. Nous ferons preuve tout naturellement du même enthousiasme relatif dans
son approbation.
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'achèverai mon propos en rappelant que,
malheureusement, ce texte semble participer d'une certaine exception française
en Europe, que l'on pourrait qualifier peut-être d'exception socialiste à la
française. Certes, la situation est difficile, comme en témoignent les
statistiques de l'emploi - Mme Aubry l'a rappelé dans cet hémicycle cette
semaine - et personne n'a trouvé la recette incontestable pour y remédier. Mais
ce qui est sûr, c'est que la psychologie des entreprises, des décideurs
économiques, compte beaucoup. Or elle risque d'être affectée par l'incertitude
dans laquelle est plongé le monde économique. Je pense à tout le discours sur
les trente-cinq heures. Telle formule est-elle antiéconomique ? Telle autre
l'est-elle moins ? Les promesses de la campagne électorale sont-elles de vraies
promesses ?
M. René Régnault.
Un peu de patience ! Vous allez le savoir !
M. Philippe Marini.
A-t-on bien écouté les discours du candidat Jospin ?
A-t-on bien noté les propos plus récents du Premier ministre ?
Les écarts entre l'un et l'autre langage ne sont-ils pas de nature à renforcer
les atermoiements, les réflexes de prudence et donc l'attentisme du monde
économique ?
En effet, la croissance suppose une demande soutenue, personne ne peut le
contester, mais aussi un rendez-vous de l'offre et de la demande. Pour relancer
l'économie, il n'y a pas l'offre d'une part, la demande d'autre part. La
demande doit être relativisée. La demande intérieure n'est pas tout le chiffre
d'affaires des entreprises. Si la demande des agents domestiques dans un monde
qui s'internationalise de plus en plus dépend des branches, dépend des
activités, la dynamique est toujours dans le sens d'une plus grande
ouverture.
Par conséquent, le marché intérieur est important, mais ce n'est pas le seul
paramètre.
En outre, la croissance est le rendez-vous de l'offre et de la demande, de
l'investissement et de la consommation. Pour que l'investissement se développe
dans notre pays, nous devons être compétitifs. Nous devons savoir maintenir sur
notre territoire des activités de main-d'oeuvre. Voilà bien le vrai sujet dont
nous aurons à débattre au cours des mois à venir, lors de l'examen du projet de
loi de finances, mais surtout de celui du projet de loi de financement de la
sécurité sociale.
Mes chers collègues, je vais en terminer. Les textes que nous allons examiner
au cours des prochains mois vont modifier très substantiellement l'équilibre
économique et financier dans lequel les entreprises exercent leurs activités
dans notre pays. Je persiste à penser que votre démarche est une mauvaise
démarche, monsieur le secrétaire d'Etat, elle va dans le mauvais sens, elle est
contraire à l'objectif d'une Europe qui se construit économiquement.
Je persiste à penser que l'examen du projet de loi de financement de la
sécurité sociale d'un côté, du projet de loi de finances de l'autre, examen que
nous aurions avantage à mieux coordonner, mes chers collègues, au sein de notre
assemblée, exige de notre part une très grande vigilance.
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
S'il y a une mauvaise coordination, ce n'est
pas faute d'interventions de la part de la commission des finances, qui, hélas
! n'ont pas été suivies d'effet !
M. Philippe Marini.
La commission des finances a besoin, en effet, de disposer d'une vue
d'ensemble sur tout ce qui concerne les prélèvements obligatoires.
M. Alain Lambert,
rapporteur.
Très bien !
M. Philippe Marini.
Mes chers collègues, au moment de conclure, il me paraît logique de rejeter
l'essentiel du dispositif de ce texte. Par cette position, nous prendrons date.
Naturellement, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez la majorité à
l'Assemblée nationale, vous exercez l'essentiel des prérogatives de l'exécutif,
et l'efficacité de votre politique se constatera sur le terrain, dans les
chiffres, au fil des mois.
A ce stade du débat, nous ne pouvons que poser des jalons, mettre en garde et
exprimer - en tout cas, c'est ce que je fais au nom du Rassemblement pour la
République - notre opposition ferme aux dispositions fiscales contenues dans ce
projet de loi.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat au budget.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, je souhaiterais que le Sénat
interrompe maintenant ses travaux, car j'ai un déjeuner de travail avec M. le
commissaire Monti, afin de réfléchir à l'harmonisation fiscale dont il a été
question.
M. le président.
Le Sénat va bien sûr accéder à votre demande, monsieur le secrétaire d'Etat.
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