M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à Mme Beaudeau pour explication de vote.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Bien évidemment, les dispositions proposées par le Gouvernement dans le cadre de ce projet de loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier ont quelque peu indisposé les membres de la majorité sénatoriale.
A vous en croire, messieurs, et je reprends pêle-mêle vos propositions, il faudrait minorer l'impôt sur le revenu pour les ménages les plus aisés, diminuer le taux de l'impôt sur les sociétés, mettre un terme à la fiscalité pesant sur les opérations réalisées sur les marchés financiers, maintenir les privilèges accordés aux divers placements financiers tant en matière d'impôt sur le revenu qu'en matière de cotisations sociales, augmenter le poids de la taxe sur la valeur ajoutée et des taxes sur l'essence, réduire les droits de succession - singulièrement pour les transmissions d'entreprises - lutter contre le caractère prétendument antiéconomique de l'impôt sur la fortune, et j'en passe très certainement...
M. Alain Lambert, rapporteur. Vous pouvez continuer !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Cette orientation, mes chers collègues, correspond aux subtiles déclinaisons de l'idéologie libérale qui anime la majorité sénatoriale et qui, en parfaite contradiction avec nos principes fondateurs républicains, vise à alléger le coût des charges publiques pour les plus fortunés et à diffuser le poids de cette charge sur les plus modestes...
Vous prétendez même que notre économie pourrait supporter toutes vos propositions, mais une telle orientation n'est-elle pas en contradiction avec le choix même de nos compatriotes ?
La droite n'a pas été battue, au printemps dernier, parce qu'elle n'aurait pas été assez libérale : elle a été battue parce que le peuple de notre pays en avait assez des potions toutes plus amères qu'on lui servait et qu'il aspire à d'autres solutions aux problèmes sociaux et économiques qui nous sont posés, et que le Gouvernement doit résoudre.
Vous comprendrez, par conséquent, au moment où la collectivité nationale doit se mobiliser pour répondre aux défis de l'emploi, du maintien et du développement de la protection sociale, de la baisse du temps de travail - que les gains de productivité réalisés depuis plus de dix ans autorisent et nécessitent - on ne puisse suivre la majorité du Sénat, qui se cristallise sur les privilèges accordés à quelques-uns et appelle le peuple de ce pays à accepter d'autres coupes dans les dépenses publiques, synonymes de besoins collectifs insatisfaits.
Votre travail a consisté, aujourd'hui, à dénaturer profondément le projet de loi qui nous était soumis.
Ce texte n'a plus aujourd'hui de fiscal que la disposition, plus que discutable, qui consiste à ponctionner EDF, sous prétexte de normalisation comptable...
M. Alain Lambert, rapporteur. Il faut voter contre !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Mais, dès que l'on touche aux entreprises - nous avons démontré que peu d'entre elles étaient, en réalité, concernées - il y a une véritable levée de boucliers.
Posons la question : comment les entreprises de ce pays pourraient-elles payer moins d'impôt sur les sociétés ? Je l'ai dit ce matin : en investissant, en augmentant les salaires et en créant des emplois.
M. Philippe Marini. Bien sûr, en faisant des pertes ! C'est cela, la solution !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Cet effort permettrait, de surcroît, de soutenir l'indispensable relance de l'activité et ouvrirait des marges nouvelles d'allégements fiscaux, tant pour les entreprises que pour les ménages, et d'abord pour ceux-ci.
La situation financière des entreprises de notre pays le permet. Quand on constate des taux de marge de 30 %, des marges d'autofinancement positives depuis quatre ans, une progression régulière des dividendes versés de neuf à dix points par an depuis 1993, un désendettement réel des sociétés des secteurs industriel, commercial et de services, il y a, selon une expression bien connue, du « grain à moudre » en matière de salaires et d'emploi.
Quand cela n'est pas fait, et pèse donc sur la collectivité nationale dans son ensemble - on maintient le taux de marge, mais aussi le taux de chômage avec de tels choix de gestion - eh bien, il faut que la fiscalité se substitue à l'engagement volontaire des assujettis.
C'était le sens des premiers articles du présent projet de loi, que vous vous êtes empressés de supprimer.
Cette situation nous conduira, naturellement, à ne pas voter en faveur du texte tel qu'il a été amendé par le Sénat. Car il est dénaturé, inefficace pour le progrès social et pour l'emploi, et porteur de fortes inégalités et de certains privilèges. Nous voterons donc contre.
M. le président. La parole est à M. Régnault.
M. René Régnault. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, bien entendu, nous voterons contre un projet qui a été vidé de son sens, au sens propre du terme, puisque ses trois premiers articles ont été supprimés.
Nous étions globalement favorables aux trois derniers articles, mais ils ne suffisent plus à équilibrer ce qui reste de ce texte. Or cet équilibre, nous y étions, comme M. le Premier ministre, très attachés.
Nous voici donc au terme de l'examen d'un texte qui, comme M. le secrétaire d'Etat l'a souligné tout à l'heure, n'existe plus. La majorité sénatoriale a en effet supprimé les mesures de redressement des finances publiques, qui étaient pourtant nécessaires compte tenu de la situation qu'elle nous a léguée hier. Mais les dérapages sont bien réels ! Et je ne reviens pas sur les chiffres, au demeurant incontestables, de l'audit budgétaire.
Si quelque chose nous avait été caché entre le moment où M. Juppé a remis sa note budgétaire à M. le Premier ministre et aujourd'hui, nous le saurions ! Il était donc indispensable de prendre des mesures d'urgence.
Leur impact est au demeurant assez faible, surtout si on les compare à celles qui ont été prises en 1995 par le gouvernement de M. Juppé, que vous avez soutenu, mes chers collègues.
M. Marini a bien reconnu l'existence de quelques dérapages, mais il nous a dit aussitôt que, membre de l'opposition, il devait, à ce titre, s'opposer, sans plus d'explication ni de justification. Son opposition est donc davantage une opposition de principe qu'une opposition objective !
M. Philippe Marini. Nous avons tout de même débattu tout l'après-midi !
M. René Régnault. Vous avez également dit que le choix des entreprises était dangereux pour la croissance et l'emploi. Permettez-moi de rappeler ici que les mesures que nous proposons ne portent que sur 5 % des 400 milliards de francs de dividendes que les entreprises ont réalisés en 1996 et que, si les salaires ont augmenté de 2 % entre 1993 et 1996, les dividendes ont augmenté, eux de 7 %.
C'est donc un choix que le Gouvernement a fait. Nous le soutenons, nous l'assumons et nous l'expliquons.
Certes, vous auriez préféré un alourdissement nouveau de la TVA ou de l'impôt sur le revenu, avec toutes les conséquences que cela aurait eu sur la croissance. Il est dommage, à cet égard, que l'exemple de 1995 ne vous ait rien appris !
Quant à votre argumentation sur la maîtrise des dépenses, elle n'est pas non plus recevable, d'abord parce que l'urgence ne permet pas de remettre en cause 30 milliards de francs de dépenses, ensuite parce que vous n'avez pas présenté la moindre proposition d'annulation.
Enfin, vous déclarez être opposés aux hausses d'impôt, et M. le rapporteur nous a même dit qu'il s'agissait pour lui d'une position constante. Mais il n'y a pas réellement de hausse d'impôt : il s'agit de la compensation d'une insuffisance de recettes fiscales,...
M. Philippe Marini. Sophisme !
M. René Régnault. ... ce qui n'est pas la même chose, même si vous vous refusez à l'entendre depuis ce matin.
La majorité sénatoriale n'a-t-elle pas elle-même voté des hausses d'impôt, de 1993 à 1996, qui représentent plus de deux points de PIB, soit 160 milliards de francs ?
M. Alain Lambert, rapporteur. Elles ont été maintenues !
M. René Régnault. Alors, nous ne comprenons pas votre indignation pour 20 milliards de francs aujourd'hui.
Cela ne vous a d'ailleurs pas suffi à améliorer la situation, puisque les prélèvements obligatoires comme le déficit ont dérapé, bien que vous ayez encaissé de substantielles sommes en vendant une partie de la propriété nationale.
Pour notre part, nous faisons plus confiance, c'est vrai, au gouvernement d'aujourd'hui, qui stabilise dans les faits les prélèvements quand il ne commence pas - mais nous en reparlerons dans les prochains jours - à les réduire, en dépit des dérapages légués. Nous verrons bien, en tout cas, vos réactions lorsque nous examinerons prochainement les différents fascicules budgétaires.
Je crois malheureusement que la position de la majorité sénatoriale est claire. C'est celle de l'opposition, certes, mais elle est idéologique, elle est dogmatique.
Pour notre part, nous pensons que le nouveau gouvernement a pris les mesures équilibrées, justes et courageuses que la situation appelait. C'est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas adopter le texte issu de nos travaux.
Sur la forme, monsieur le rapporteur,...
M. le président. Je vous prie de conclure, monsieur Régnault !
M. René Régnault. ... vous vous félicitiez tout à l'heure de la courtoisie des échanges qui a présidé à nos travaux. Ce que je regrette - comme l'opinion, qui, au-delà de cet hémicycle, nous regarde - c'est que, malgré ces échanges courtois que nous savons avoir entre nous, nous soyons incapables, sur des points essentiels, de déboucher sur un quelconque accord. Ce faisant, nous ne répondons pas à l'attente profonde du pays.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Compte tenu de l'examen auquel nous avons procédé, ceux qui a priori étaient pour le texte sont à présent contre et ceux qui sont arrivés dans cet hémicycle en étant hostiles aux propositions du Gouvernement s'apprêtent à voter le texte tel qu'il résulte de l'adoption de nos amendements.
Il reste donc trois articles - ceux auxquels la majorité a souscrit - et, de ce fait, le groupe du RPR votera le texte composé de ces trois articles et des deux articles additionnels que nous avons adoptés.
Monsieur le secrétaire d'Etat, notre débat a été utile.
Il m'apparaît qu'avec ces mesures d'urgence fort astucieusement présentées dans une très belle opération de communication au cours de l'été, en juillet dernier, le Gouvernement a quelque peu mangé son pain blanc. Il est en effet arrivé en éveillant beaucoup d'espoir, après que l'on eut fait beaucoup de promesses.
M. René Régnault. Qu'il tient !
M. Philippe Marini. Ecoutez ! Il les tient, il les tient ! On verra dans la durée. L'exercice sera probablement plus cruel pour vous que pour nous !
Le Gouvernement est donc arrivé après que l'on eut fait beaucoup de promesses.
Il lui était sans doute difficile d'accroître la rigueur budgétaire et la pression sur les dépenses. Il a donc choisi une autre voie : il a créé des ressources fiscales supplémentaires, sans tirer parti, notamment, des gels de crédits qui étaient là opportunément et dont il aurait pu se servir.
Je le répète, le Gouvernement a mangé son pain blanc dans cet exercice. Pour le budget de 1998, c'est déjà plus difficile, et pour l'exécution dudit budget, ce sera encore plus difficile.
Au cours de la campagne électorale, vous avez dit que le pacte de stabilité européen était tout à fait sujet à caution ; puis, dix jours après être arrivés au pouvoir, vous avez signé les engagements, vous avez souscrit à ce pacte. Ce faisant, vous vous êtes engagés pour la durée, c'est-à-dire non seulement pour arriver au point de convergence, à la réalisation de l'euro, à la définition des parités, mais pour mener, soumis à cette contrainte, une politique sur le long terme, malgré toutes les illusions que vous avez suscitées dans l'opinion publique et malgré tous les débats fallacieux que vous lancez, au premier rang desquels celui qui concerne les trente-cinq heures, car c'est bien là la clé, c'est bien là le révélateur !
Par conséquent, ou bien ce que l'on a dit pendant la campagne électorale était vrai, et l'on a mobilisé l'opinion sur des promesses qui représentaient un véritable engagement à son égard, ou bien il s'est agi d'un simple exercice formel à l'usage des militants, d'un simple exercice idéologique et l'on savait qu'on ne pourrait pas le faire. Eh bien ! c'est cette contradiction qui va apparaître au cours des semaines et des mois qui viennent.
Monsieur le secrétaire d'Etat, votre gouvernement est habile. M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - nous le lui avons dit ce matin - est un homme d'une grande habileté dans sa présentation dialectique, pédagogique des choses. C'est un grand universitaire. C'est quelqu'un qui, effectivement, sait « emballer » j'allais dire n'importe quel ensemble plus ou moins cohérent de dispositions. Il le fait avec une très grande séduction.
M. René Régnault. Oh !
M. Philippe Marini. Cela dit, la réalité demeure, elle n'a pas changé depuis les élections législatives.
Vous bénéficiez, certes, d'une meilleure médiatisation, vous êtes de meilleurs communicants, c'est vrai, mais, la réalité restant la même, après avoir mangé votre pain blanc, vous connaîtrez, je le crois, quelques difficultés.
C'est naturellement avec cet espoir que je m'apprête à voter le texte que vous nous proposez, mais dans l'état où nous l'avons mis.
M. le président. La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré. Au terme de cette journée, je dirai simplement que notre débat a été de grande qualité sur le fond comme sur la forme.
S'agissant de la forme, cela a déjà été souligné.
S'agissant du fond, je ne partage pas vos réserves, monsieur Régnault. Nous nous sommes écoutés mutuellement, même si vous n'avez pas toujours entendu les arguments que nous présentions sur un certain nombre de points. Cela étant, je suis prêt à poursuivre ces échanges avec vous ; nous le ferons à la commission des finances ou ailleurs, selon votre souhait.
En conclusion, le groupe de l'Union centriste votera le texte dans l'état dans lequel nous l'avons mis aujourd'hui.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ça ! vous l'avez mis dans un drôle d'état !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. C'est l'expression qui convient !
M. Alain Lambert, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Lambert, rapporteur. On me permettra d'avoir une lecture très simple et très apaisée de cette discussion.
Ce sur quoi nous sommes tous d'accord, c'est la nécessité d'avoir un solde budgétaire correspondant à nos engagements européens. Partant de là, comment atteignons-nous l'objectif fixé ? Est-ce en accroissant les recettes - entre nous, c'est le plus facile ! - ou en réduisant les dépenses, ce qui est le plus difficile ?
C'est vrai, depuis 1992, à partir de ce retournement économique, les gouvernements précédents ont eu beaucoup de peine à réduire les dépenses. La commission des finances du Sénat a travaillé sur cette question de la réduction de la dépense publique ; des commissaires se sont rendus à l'étranger pour voir comment les pays qui avaient le mieux réussi avaient procédé.
Je n'ai retenu, au fond, qu'un enseignement : les pays qui y sont parvenus sont ceux qui ont réussi à obtenir un très large consensus sur la dépense publique.
Ce consensus tarde à se manifester dans notre pays. Il est, de toute façon absolument indispensable, mes chers collègues. Il ne l'est pas pour des raisons comptables ; il l'est pour l'avenir de la France, il l'est pour les générations futures.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
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