EMPLOI DES JEUNES
Discussion d'un projet de loi en nouvelle lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi (n°
17, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif
au développement d'activités pour l'emploi des jeunes. [Rapport n° 18
(1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici réunis en nouvelle lecture pour
débattre du projet de loi relatif au développement d'activités pour l'emploi
des jeunes.
J'avais regretté devant vous, la semaine passée, l'adoption par le Sénat d'un
texte dénaturé et parfois même, me semble-t-il, incohérent. Je n'y reviendrai
pas. J'avais aussi, à l'époque, souligné la contradiction existant entre la
volonté de la commission des affaires sociales du Sénat, de son président et de
son rapporteur, qui s'était inscrite dans une logique d'amendement au texte, et
l'attitude d'une partie de la majorité sénatoriale qui avait préféré s'opposer
systématiquement à celui-ci, quitte d'ailleurs à se contredire d'un amendement
à l'autre.
Au terme de la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, nous sommes parvenus,
je crois, à un texte équilibré, qui pourra demain s'appliquer dans l'ensemble
de nos départements, comme le souhaitent les élus, qu'ils appartiennent ou non
à la majorité parlementaire. Il est le fruit de nos travaux collectifs et il
reste, bien entendu, susceptible d'être encore amélioré, si vous repoussez
l'adoption de la question préalable. Je dois cependant avouer que je ne crois
pas beaucoup à cette éventualité...
Ainsi, le champ d'application du présent projet de loi traduit-il désormais un
équilibre entre la nécessité de répondre à des « besoins émergents » et la
volonté d'éviter que le nouveau dispositif ne vienne se substituer à des
emplois dans la fonction publique ou dans le secteur privé.
Pour marquer cette volonté, nous avons exclu le financement par les
collectivités locales d'emplois relevant de leurs « compétences traditionnelles
». L'appréciation des projets se fera au cas par cas et tiendra compte des
réalités du terrain.
Le texte qui vous est maintenant soumis présente un dispositif suffisamment
souple pour s'adapter à chaque situation, tout en créant les garde-fous
nécessaires pour que la souplesse introduite ne puisse s'apparenter à une
quelconque forme de laxisme.
Le projet de loi qui vous est proposé cible un public prioritaire, celui des
moins de vingt-six ans, mais concerne également, dans certains cas, les jeunes
de moins de trente ans.
Suite à l'adoption d'un amendement par le Sénat, le texte prévoit désormais
que les jeunes handicapés pourront contracter avec un employeur jusqu'à l'âge
de trente ans, sans autre condition.
Je m'étais engagée à trouver une formule pour favoriser la mise en place d'un
encadrement de qualité et d'expérience, dans la continuité de ce que suggérait
votre commission des affaires sociales : la possibilité pour les partenaires
sociaux de l'UNEDIC (l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans
l'industrie et le commerce) de participer au financement de ces postes par
activation des dépenses de cet organisme, c'est-à-dire par une extension des
conventions de coopération, a été ainsi introduite.
Ce dispositif s'appliquant, quant à lui, aux chômeurs de longue durée sans
condition d'âge, les plus anciens pourront donc contribuer à mettre le pied à
l'étrier aux plus jeunes. Cette main tendue entre générations est, me
semble-t-il, symbolique de l'esprit qui sous-tend l'ensemble de ce texte.
L'Etat s'est engagé à verser une aide d'un montant et d'une durée qui sont
sans précédent. Suite à la demande de l'ensemble des associations d'élus que
j'ai pu recevoir pendant l'été, cette aide sera forfaitaire et linéaire pendant
cinq ans. Cette contribution massive de l'Etat ne représentera pas un surcoût
pour la collectivité, puisqu'il s'agira d'un redéploiement à l'intérieur du
budget de l'Etat.
Par ailleurs, pour corriger les situations géographiques et de richesse, les
régions et les départements pourront cofinancer la part restant à la charge de
l'employeur. Le Fonds social européen, que nous sommes en train de mobiliser,
nous permettra sans doute aussi d'assurer cet équilibrage.
Pour inciter les conseils généraux à s'investir dans la mise en oeuvre de ce
plan ambitieux, il a été admis que les montants qu'ils verseront au titre des
emplois-jeunes puissent venir en déduction de la contribution légale aux fonds
d'insertion du RMI, chaque fois qu'il s'agira d'aider de jeunes RMistes à
sortir de la situation d'échec qu'ils connaissent. S'agissant des DOM, les
départements d'outre-mer, vous avez, mesdames, messieurs les sénateurs,
introduit un dispositif permettant le recours à cette faculté pour leurs
conseils généraux.
En ce qui concerne le temps de travail, nous avons là encore adopté, je
crois, une solution pragmatique et équilibrée. Ces contrats seront à temps
plein, mais pour accorder aux communes, notamment rurales, la souplesse
nécessaire à la concrétisation de leurs projets le recours au temps partiel
sera autorisé, sur dérogation.
Ces contrats seront dans leur très grande majorité des contrats à durée
indéterminée. Je demanderai là aussi aux représentants de l'Etat de privilégier
les projets qui favoriseront ce type de contrats.
Ce projet de loi me semble équilibré, parce qu'il incite, à côté du dispositif
principal relatif aux contrats « nouvelles activités », à la création
d'entreprises, comme nous y avait fortement invité l'Assemblée nationale, ou
parce qu'il permet le développement et la pérennisation de l'apprentissage dans
le secteur public, comme l'avait proposé votre rapporteur, M. Souvet. Il en est
de même du Fonds de péréquation de la taxe professionnelle - veuillez excuser
ce lapsus, je voulais évoquer la taxe d'apprentissage, mais il faudra bien
travailler aussi un jour sur la taxe professionnelle ! - il en est donc de même
du Fonds de péréquation de la taxe d'apprentissage, dont l'usage est désormais
rendu possible par le vote d'un amendement du Sénat sous-amendé par le
Gouvernement.
Le texte qui vous est soumis aujourd'hui prend également en considération la
nécessité de transposer, sur le plan législatif, l'accord intervenu entre les
partenaires sociaux concernant les conditions d'accès et d'exécution des
contrats d'orientation. Notre volonté allait, elle aussi, dans ce sens.
Chacun d'entre nous est maintenant placé face à ses responsabilités. Le
Gouvernement a pris les siennes en favorisant un débat large et ouvert et en
donnant un avis favorable sur de très nombreux amendements parlementaires.
Celles et ceux qui ont voulu donner davantage de densité au dispositif ont pu
le faire et, je crois, être entendus. Personne n'a été bridé sur ce plan, et
cette nouvelle lecture vous donnera encore l'occasion d'intervenir, si
toutefois vous n'adoptez pas la question préalable.
Pour ma part, je n'ai jamais fait dépendre mon jugement sur un amendement de
l'appartenance politique de son auteur. Je n'ai contesté que les amendements
qui me semblaient alourdir la loi, la rendre moins claire, moins souple ou
inapplicable, ou encore les amendements qui en changeaient la philosophie
générale.
Il appartient maintenant à chacun de dire en conscience si oui ou non ce
dispositif peut aider à casser la spirale de la résignation.
Ce dispositif, nous en sommes tous conscients, ne peut à lui seul répondre à
l'ensemble des questions que soulève le chômage. D'autres mesures viendront le
compléter, à commencer par le second volet du plan « emploi-jeunes » concernant
le secteur privé, dont nous discuterons dès demain avec les partenaires
sociaux.
Dans ce combat, je sais que nombreux sont celles et ceux qui, au-delà de la
majorité actuelle, partagent notre sentiment et approuvent la démarche
engagée.
Aux autres, je n'ai rien à dire, sinon que l'opposition systématique n'est
sans doute pas la voie qui leur permettra d'être mieux compris par nos
concitoyens. La seule opposition audible est, à mon avis, celle qui suggère une
véritable solution de remplacement.
A chacun, je rappelle enfin que, au-delà de cet hémicycle, plusieurs centaines
de milliers de jeunes attendent notre décision. Pour chacun d'eux, l'enjeu
n'est pas de savoir s'il existe en France une opposition ; le seul enjeu à
leurs yeux est de savoir si la communauté nationale est prête à les aider à
construire leur avenir.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen. - Mme Joëlle Dusseau applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame le ministre, mes chers collègues, nous voici donc à nouveau réunis pour
étudier le projet de loi relatif au développement d'activités pour l'emploi des
jeunes. Une semaine a passé depuis l'examen en première lecture de ce texte par
le Sénat. Vous vous souvenez sans doute que nous avions alors proposé un
dispositif étoffé, en vue d'amender le texte dans un sens plus conforme à
l'intérêt des jeunes. En substance, nous avions fait en sorte que le dispositif
n'organise pas une fonction publique
« bis »
qui aurait accueilli les
jeunes pour cinq ans sans prévoir de formation, d'encadrement et de perspective
claire au terme du contrat.
Trois axes guidaient notre réflexion : premièrement, organiser la
pérennisation dès que possible, au sein du secteur privé, des activités créées,
et pour cela réintroduire l'esprit d'entreprise à toutes les étapes du
développement des activités émergentes ; deuxièmement, organiser la formation
des jeunes à ces nouveaux métiers, notamment par la voie de l'apprentissage,
qui permet la meilleure professionnalisation ; troisièmement, enfin, organiser
l'encadrement des emplois par le recours à des cadres au chômage et à des
préretraités qui souhaiteraient faire part de leurs expériences.
Ces trois propositions essentielles permettaient d'assurer un transfert vers
le secteur privé des activités, et ce dans les meilleurs délais. Elles
donnaient une utilité et une direction claires au texte.
En conséquence, la commission avait considéré que les emplois strictement
publics, comme ceux qui sont relatifs à la police, à l'éducation nationale et à
la justice, devaient être isolés du dispositif initial, puisqu'ils n'avaient
pas vocation à rejoindre le secteur privé. Leur financement devait relever des
crédits de personnels, et non des subventions prévues pour les aides à
l'emploi.
Cela était d'autant plus nécessaire que l'éducation nationale, à travers les
dossiers distribués par les rectorats, a défini des exigences qui s'éloignent
très sensiblement du cadre du dispositif prévu par le projet de loi, comme de
celui qui a été défini pour les emplois d'adjoints de sécurité de M.
Jean-Pierre Chevènement, à savoir un an, et seulement un an, éventuellement
renouvelable, un salaire égal au SMIC et des exigences importantes en matière
de qualification.
En plus de ces modifications apportées au texte, le Sénat avait adopté des
mesures visant à la création d'un fonds de péréquation de l'apprentissage, à la
pérennisation de l'apprentissage dans le secteur public et à l'adaptation du
contrat d'orientation.
Le texte transmis à l'Assemblée nationale participait donc d'une logique
certaine : assurer le développement et la professionnalisation de vrais
emplois.
Il s'appuyait sur un principe simple, auquel avait souscrit Mme le ministre
lorsqu'elle avait été entendue par la commission et lors de ses interventions
en séance publique : il s'agissait de privilégier la qualité plutôt que la
quantité des emplois, afin d'éviter les effets de substitution et les effets
d'aubaine.
L'idée de « pépinière d'activités » résumait assez bien notre philosophie ; le
secteur non marchand était sollicité ponctuellement, pour mettre le pied à
l'étrier à de nombreux jeunes sans expérience et mal préparés aux exigences de
l'entreprise.
Je tiens à rappeler que notre travail de réécriture avait été complété par la
présentation d'amendements, adoptés en séance publique, qui allaient au-delà de
la volonté de la commission. Ces modifications traduisaient, à l'évidence, les
doutes de certains de nos collègues sur le dispositif lui-même, leur inquiétude
légitime quant à la prise en considération des jeunes les plus en difficulté,
ou encore leur impatience de voir rapidement mis en oeuvre le plan
emploi-jeunes dans le secteur privé.
Comment l'Assemblée nationale a-t-elle réagi à nos apports ?
Il faut bien constater que, derrière les manières courtoises qui ont prévalu
lors de la réunion, le 2 octobre, de la commission mixte paritaire, s'est
dessiné un certain état d'esprit qui, par le refus du débat entre nos deux
assemblées et le postulat que les entreprises ne devaient pas être associées au
dispositif, ne pouvait que mener à l'échec.
Cet échec étant constaté, nous pouvons d'ores et déjà regretter cette attitude
préjudiciable aux jeunes au chômage. Les travers du texte gouvernemental que
nous avions dénoncés persistent : non seulement les emplois créés pourraient
écarter durablement leurs bénéficiaires du marché du travail, mais, de plus, le
coût de ce dispositif lui-même, de par la charge fiscale qu'il implique,
constitue un obstacle à la création de vrais emplois dans les entreprises.
L'Assemblée nationale est allée au bout de sa logique en rétablissant
globalement sa rédaction. L'ouverture en matière de financement des postes
d'encadrement va dans la bonne direction, mais elle reste timide.
Je me permettrai de revenir brièvement sur les principales modifications
apportées par l'Assemblée nationale au texte voté par le Sénat.
Au sein de l'article 1er, la rédaction du nouvel article L. 322-4-18 du code
du travail exclut ainsi à nouveau les secteurs du logement, des nouvelles
technologies et de la coopération du champ des conventions. Il n'est plus fait
référence, dans la liste des employeurs possibles, à l'ensemble des acteurs du
secteur HLM, des sociétés d'économie mixte et des groupements associant des
entreprises.
Plus grave encore, il n'est plus obligatoire d'évoquer, dans les conventions,
les conditions d'encadrement et de formation des jeunes, ainsi que celles d'une
possible participation financière de l'usager, pourtant évoquée ici même par
Mme le ministre, ou d'un éventuel transfert des activités au secteur privé.
On peut ainsi douter de l'engagement du Gouvernement de ne pas créer une
fonction publique d'un nouveau type, puisque rien n'est prévu pour que ce
dispositif débouche sur autre chose au cours des cinq ans, ou même au terme du
contrat. Mme Martine Aubry a cité, à de très nombreuses reprises, des exemples
personnels relatifs à la pérennisation des emplois créés par la ville de Lille.
Je tiens à dire que tous les maires ne disposent ni de la même personnalité ni
des mêmes relations que le ministre de l'emploi et qu'il est très peu probable
que les partenaires privés fassent preuve de la même bonne volonté qui, dans le
cas précis qui est cité, pourrait s'avérer non dénuée de tout calcul.
L'Assemblée nationale a supprimé l'intervention en amont d'un comité local
agissant au nom du CODEF, pourtant proposée par notre collègue Mme Dieulangard
qui avait essayé, non sans succès d'ailleurs, d'améliorer notre dispositif.
Elle traduit ainsi une volonté de concentration des décisions dans les mains du
préfet et des administrations centrales.
Pourtant, j'ai relevé, en lisant le compte rendu analytique des débats de
l'Assemblée nationale, à la page 29, que Mme le ministre envisageait des
dispositions semblables à celles qui sont préconisées par votre commission. «
On examinera aussi, est-il écrit, les chances de pérennisation ainsi que les
conditions de professionnalisation ; mais il est important que les
collectivités et les associations puissent être aidées. Une de nos idées serait
de trouver dans chaque région deux ou trois organismes que nous agréerions, que
nous formerions... » On peut se demander pourquoi, dans ces conditions, le
Gouvernement s'est refusé au dialogue avec le Sénat sur cette question qui
aurait pu permettre de trouver un dispositif intelligent qui nous aurait tous
satisfaits.
(Mme le ministre s'étonne.)
J'ai le texte sous les yeux, madame le
ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
J'ai tenu ces propos ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Absolument, ou alors le texte est faux.
On peut également noter que l'Assemblée nationale a supprimé une disposition
permettant aux collectivités territoriales d'employer des jeunes pour leurs
activités de représentation à l'étranger. Elle a également refusé que les
institutions représentatives du personnel soient consultées préalablement à la
signature des conventions, ce qui ne peut être que préjudiciable aux
employés.
Dans sa rédaction de l'article L. 322-4-19 du code du travail, l'Assemblée
nationale est revenue à des conditions limitatives pour les jeunes âgés de
vingt-six à trente ans, ce qui ne peut que pénaliser les jeunes titulaires d'un
doctorat qui auraient pu souhaiter rejoindre l'éducation nationale à cette
occasion.
Elle a maintenu l'âge de trente ans sans condition limitative, introduite par
le Sénat, pour les personnes handicapées sans remarquer que, en supprimant la
disposition qui permettait d'exclure ces emplois du quota de droit commun à
respecter, elle favorisait l'emploi des personnes handicapées dans le plan
emploi-jeunes au détriment de leur emploi sous statut normal. Le texte du Sénat
était, là encore, préférable.
L'Assemblée nationale a supprimé le bénéfice de l'aide financière de l'Etat
pour les postes d'encadrement sans condition d'âge, ce qui ne peut que réduire
un peu plus l'avenir de ces activités et notamment leur perspective de
pérennisation.
Elle a supprimé le principe même d'une priorité à l'embauche pour les jeunes
les moins qualifiés lorsqu'ils sont capables d'occuper les emplois proposés.
Cela ne pourra que créer des frustrations pour les jeunes surqualifiés alors
que les jeunes sans qualification seront exclus d'un dispositif que l'on aurait
pu croire leur être naturellement destiné.
L'Assemblée nationale a également supprimé toute référence au montant de
l'aide comme à celle d'une modulation en fonction du potentiel fiscal des
collectivités, et à celle d'une dégressivité, dans le temps, de l'aide.
Je rappelle que votre commission n'avait pas donné son accord à ces deux
dernières propositions, sans pour autant nier qu'il existait un véritable
problème concernant la pérennisation des activités et la situation des
collectivités locales les plus pauvres, auquel le Gouvernement n'apporte aucune
réponse.
Plus dommageable encore est la suppression du bénéfice de l'aide pour les
formations à ces nouveaux métiers par la voie de l'apprentissage. Cette
modification est incompréhensible : le Gouvernement persiste à considérer que
les jeunes au chômage ont une formation, sans se rendre compte que le diplôme
nominal peut ne présenter aucun intérêt professionnel. Sans formations solides
et structurantes, il ne pourra y avoir de nouveaux métiers.
Dans le texte proposé pour l'article L. 322-4-20, l'Assemblée nationale s'est
attachée à supprimer toutes les dispositions qui tendaient à permettre une
pérennisation dans le secteur privé. Cette attitude rigide est source
d'inquiétude.
Que va-t-il advenir de ces jeunes au bout de cinq ans ? Leur situation ne
sera-t-elle pas plus délicate encore s'ils ont été écartés du monde de
l'entreprise et maintenus dans des ersatz d'emplois ? En effet, certains jeunes
seraient âgés de trente ans voire trente-cinq ans au terme du contrat et ils
pourraient n'avoir jamais rencontré le monde de l'entreprise.
La seule avancée significative de l'Assemblée nationale réside dans
l'ouverture au bénéfice des conventions de coopération pour des postes
d'encadrement. L'Assemblée nationale reprend ainsi, sous une autre forme,
l'idée d'une activation des dépenses passives à travers le fonds paritaire
d'intervention pour l'emploi et le souci de valoriser les compétences des
cadres expérimentés. Il faut toutefois noter que ces cadres ne seront pas
éligibles à l'aide de l'Etat.
Ce geste traduit insensiblement une prise de conscience des insuffisances du
texte gouvernemental par l'Assemblée nationale, même si cette dernière n'en a
pas tiré toutes les conséquences quant à la formation et la pérennisation.
On peut faire la même observation sur l'article 2
bis
A relatif aux
contrats publics dans l'éducation nationale et la justice. Le ministre de
l'emploi et de la solidarité a déclaré à plusieurs reprises qu'ils s'écartaient
de l'esprit du texte. Comment se fait-il, dans ces conditions, que l'Assemblée
nationale maintienne le principe d'une « sous-fonction publique » sous contrats
privés, rémunérée par des subventions pour l'aide à l'emploi prélevées sur les
crédits du ministère pour financer ces emplois à concurrence de 80 % du SMIC
alors qu'ils devraient être financés en totalité par des crédits prévus en loi
de finances pour la rémunération des personnels, conformément aux principes des
finances publiques ?
Le désaccord entre l'Assemblée nationale et le Gouvernement, d'une part, et le
Sénat, d'autre part, est donc profond sur le projet de loi relatif aux
emplois-jeunes, la logique comme les objectifs sont différents. L'Assemblée
nationale et le Gouvernement privilégient coûte que coûte un objectif
quantitatif, sans se soucier véritablement de ce qu'il adviendra des jeunes,
alors que le Sénat a cherché à privilégier un dispositif souple, transitoire,
professionnalisé et proche des entreprises.
Les déclarations de certains organismes publics de gestion d'HLM constituent
un bon exemple des contradictions du texte présenté par l'Assemblée nationale.
Ces derniers viennent en effet de préciser qu'au terme de cinq ans la
pérennisation des emplois sera tout simplement assurée par une augmentation des
loyers. Dans ces conditions, on comprend mal pourquoi il serait nécessaire de
subventionnner pendant cinq ans des activités dont le financement pourrait
d'ores et déjà être assuré au moyen d'un relèvement des loyers.
Je tiens à ajouter que l'Assemblée nationale a accepté sans modification
l'article 4 relatif à la pérennisation de l'apprentissage dans le secteur
public et pour lequel votre commission avait beaucoup fait au printemps
dernier. Elle a également voté les dispositions introduites par le Sénat
concernant la création d'un fonds de péréquation de l'apprentissage et
l'adaptation du contrat d'orientation. Le parti que nous avions pris d'amender
le texte - ce qui est une preuve de bonne volonté - n'aura donc pas été tout à
fait inutile.
Vous comprendrez bien toutefois, monsieur le président, madame le ministre,
mes chers collègues, que notre accord sur des dispositions distinctes du texte
ne peut cacher une profonde divergence sur les politiques à mener pour créer
des emplois, notamment pour les jeunes.
Ce désaccord est d'autant plus fort qu'il s'accompagne d'un mode de
financement curieux puisqu'il sera comptablement assuré par une baisse des
crédits du ministère de la défense, qui, outre le fait qu'elle pourrait
fragiliser notre sécurité...
M. Emmanuel Hamel.
Elle la fragilise, c'est une certitude !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
... et notre capacité d'intervention, ne manquera pas de se
traduire par des licenciements supplémentaires dans les industries de défense.
L'armée, à tous les niveaux, a conscience d'avoir payé largement le coût du
dispositif emploi-jeunes. Les cadres militaires ne cachent pas leur inquiétude
quant à leur formation, ...
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
... à la modernisation de leurs matériels et donc à leur
carrière. Ils considèrent que des réactions vives pourraient accompagner
l'éventuel échec d'un dispositif emploi-jeunes qui leur a tant coûté.
L'attitude du Gouvernement et de l'Assemblée nationale étant par conséquent ce
qu'elle est, je vous propose, mes chers collègues, de mettre un terme à
l'examen de ce texte, qui conserve ses tares initiales, par l'adoption d'une
motion tendant à opposer la question préalable. J'avoue que, personnellement,
j'aurais préféré maintenir un texte complet, mais telle n'a pas été la volonté
de la majorité sénatoriale.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-Louis Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après une
longue réflexion, la majorité sénatoriale s'est résolue à présenter une motion
tendant à opposer la question préalable.
Nul doute que le Sénat a le devoir de débattre de tout texte qui lui est
soumis même si celui-ci est jugé irritant et symbolique. C'est ce que le Sénat
a fait, d'abord en commission des affaires sociales puis en séance publique, la
semaine dernière, pendant deux jours et deux nuits.
Vous avez tenu, madame la ministre, à déclarer l'urgence sur votre projet de
loi, ce qui est très significatif. Cette procédure, en supprimant la deuxième
lecture, enlève pratiquement tout espoir de conciliation, puisque le laps de
temps consacré à la réflexion, au mûrissement des idées - elles en ont besoin !
- au dialogue entre les deux assemblées est insuffisant et ne peut conduire
qu'à l'échec, nous le constatons.
Madame la ministre, le Sénat a joué son rôle d'assemblée complémentaire. Il a
apporté sa contribution sur un sujet qu'il considère comme étant
particulièrement grave. La majorité sénatoriale, acteur responsable, et en
particulier la commission des affaires sociales ont donc adopté une attitude
constructive. Elles se sont interrogées, ont fait part de leurs préoccupations,
ont mis en garde, ont émis des réserves et, surtout, ont formulé des
propositions.
Si nous avions d'emblée rejeté l'idée de recourir à une motion tendant à
opposer la question préalable, c'est parce que, d'une part, l'annonce des
emplois-jeunes avait suscité de nombreux espoirs et que, d'autre part, nous
considérions que la recherche d'emplois nouveaux n'était pas une solution à
rejeter
a priori.
La commission, en particulier, s'est donc appliquée à corriger le projet de
loi afin qu'il puisse atteindre son objectif avec plus de réalisme. La majorité
sénatoriale et la commission ont estimé, avec lucidité et clairvoyance, que la
direction donnée n'était pas la bonne et qu'il fallait changer d'aiguillage. Il
n'a jamais été dans l'objectif du groupe de l'Union centriste de rendre votre
projet de loi caricatural, madame la ministre. Nous étions sur un mode
différent.
Pourquoi ne pas avoir attendu la fin des travaux de la Conférence sur l'emploi
pour proposer un grand projet de loi d'ensemble destiné à lutter contre le
chômage, sans discrimination aucune, en dynamisant l'emploi vers le secteur
privé ? Au lieu de cela, vous vous êtes empressée, madame la ministre, de
proposer à une catégorie de jeunes des activités d'utilité sociale dans les
secteurs public et associatif, en faisant procéder à des recrutements avant
même que le Sénat n'ait eu son mot à dire et en alourdissant le poids des
finances publiques. Aujourd'hui, près d'un Français sur trois travaille pour
l'administration. La France est le pays de l'OCDE, à l'exception de la Suède,
qui compte le plus de fonctionnaires par rapport à la population active et où
les dépenses publiques sont les plus lourdes en pourcentage du PIB.
Une telle philosophie, qui consiste à augmenter les dépenses publiques par un
nouvel accroissement de la masse des personnels relevant des missions de
l'Etat, ne peut donc nous satisfaire.
Le dispositif est dangereux pour les collectivités locales, en particulier,
auxquelles sera imposée, encore une fois, une nouvelle charge financière. A
terme, il débouchera inévitablement sur une augmentation de la pression
fiscale. Et dans cinq ans, les collectivités locales seront contraintes de
financer elles-mêmes la pérennisation de ces emplois qui leur sera imposée par
la pression sociale.
Ce qui nous gêne également dans votre projet de loi, madame la ministre, c'est
que ces « métiers » ne s'adressent qu'à des jeunes diplômés et laissent sur le
bord de la route les autres, dont le taux de chômage est beaucoup plus criant
et qui auraient pu voir dans ces emplois-jeunes une véritable chance
d'insertion. Il ne faut pas oublier que, dans notre pays, un tiers d'une classe
d'âge sort de l'école sans aucune qualification.
Si de jeunes diplômés acceptent ces petits emplois payés au SMIC pendant cinq
ans, c'est que l'angoisse dépasse la révolte. Cela me rappelle l'affaire du
CIP, le fameux SMIC-jeunes : en 1994, les jeunes diplômés n'admettaient pas
l'idée d'être payés à 80 % du SMIC ; la dévalorisation du diplôme était, pour
eux, monétaire. Reconnaissez que la plupart des emplois-jeunes sont à la fois
surqualifiés pour les uns et sous-payés pour les autres.
Le plan que vous proposez repose sur une certaine logique d'assistance, et
c'est cette notion même d'assistance qui nous gêne car elle ne concorde en rien
avec la philosophie qui est la nôtre et qui se tourne résolument vers l'esprit
d'entreprise, vers la responsabilisation de notre jeunesse, vers la création de
richesses par l'entreprise.
Or, dans le contexte économique actuel, il nous faut une démarche stratégique
qui encourage l'innovation et stimule l'esprit d'entreprise des travailleurs
qui ont de l'expérience pour insérer les jeunes, en priorité, dans les
activités marchandes existantes.
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Jean-Louis Lorrain.
Non seulement le texte est ambigu quant à la nature des activités envisagées,
mais, de plus, ces emplois ne nous paraissent pas - dans l'ensemble - adaptés à
des jeunes âgés de moins de vingt-six ans, sans expérience professionnelle ni
expérience humaine, notamment en ce qui concerne la médiation familiale, la
réinsertion des détenus ou encore la prévention de la violence. Le risque
d'inutilité, voire d'échec, que nous déplorons, est donc malheureusement
probable.
La reconnaissance et le développement du tiers secteur, c'est-à-dire d'une
économie entre le marché et l'Etat, auraient mérité un autre débat. Ces
métiers, que l'on a qualifié de « métiers du lien social », consistent à
intervenir entre le fonctionnement ordinaire des institutions et les
comportements pour corriger, adapter individus et institutions. En fait, ils
remettent en cause le travail social. Après tout, pourquoi pas ? Mais il faut
le dire et s'interroger en amont sur son avenir.
Afin de clarifier le dispositif, il a paru essentiel à la commission des
affaires sociales de tracer une frontière bien nette entre les emplois-jeunes
et les assistants ou auxiliaires de la fonction publique. C'est l'un des points
qui nous opposent.
Les 20 000 adjoints de sécurité que vous avez prévu de recruter seront, en
fait, pratiquement intégrés à la police nationale, avec uniforme et arme de
service, mais après seulement deux mois de formation, ce qui nous paraît
inquiétant.
A l'exception de celles de la police judiciaire et du maintien de l'ordre, ils
pourront effectuer toutes sortes de missions : îlotage, patrouilles, etc. En
fait, ils remplaceront tout simplement les appelés du contingent servant dans
la police. Cela ne va pas sans critique des syndicats de policiers, qui
déplorent une formation bâclée et craignent une « police à deux vitesses » :
d'une part, 20 000 adjoints de sécurité, sous-payés et précarisés ; d'autre
part, 15 000 autres personnes, agents locaux de médiation, plus loin de la
police mais appelés dans les zones difficiles pour prévenir et désamorcer les
conflits par le dialogue et la discussion.
Certains emplois envisagés relèvent à l'évidence des missions régaliennes de
l'Etat et donc du secteur public comme ceux qui sont liés à l'éducation, à la
justice et à la police, relevant du ministère de l'intérieur.
Par ailleurs, considérant que seul le secteur marchand - des grandes
entreprises aux PME - est créateur d'emplois et que vous demeurez néanmoins
fidèle à la conception qui fait de l'Etat, c'est-à-dire de la puissance
publique, l'acteur principal, nous avons souhaité inclure dans le dispositif
les entreprises privées, en l'occurrence les PME de moins de 50 salariés, sous
certaines conditions bien sûr.
Nous avons été plus loin en permettant à ces petites entreprises, notamment
aux artisans, de conclure une convention pluriannuelle avec l'Etat pour
participer au dispositif des emplois-jeunes.
Nous sommes convaincus que seules de telles dispositions auraient pu permettre
de rendre votre projet de loi plus proche des réalités, c'est-à-dire plus
viable, et, surtout, de le placer dans la droite ligne d'une véritable
dynamique de l'emploi.
Fidèles à nos convictions, nous avons toujours privilégié la voie de
l'allégement du coût du travail et donc de l'allégement des charges sociales
sur les bas salaires.
Nous sommes donc en opposition avec le Gouvernement, qui vient d'annoncer,
pour 1998 la remise en cause de ces allégements.
Le Gouvernement va même jusqu'à remettre en cause le plan d'allégement des
charges sur les bas salaires. Tout à l'heure, des explications nous ont été
données s'agissant du plan textile, et je n'y reviens donc pas. Mais trouver là
un mode de financement au plan emplois-jeunes nous paraît difficile à
comprendre !
C'est à l'heure du premier bilan, en 1998, que nous vous donnons rendez-vous,
et nous verrons si les 150 000 emplois-jeunes qui doivent être créés pour cette
date auront eu un effet de substitution au sein des collectivités
territoriales. L'effet pervers aura alors joué. En effet, les finances locales
étant déjà fortement sollicitées, notamment au bénéfice de la solidarité, les
collectivités territoriales ne vont pas manquer de s'engouffrer dans cette
brèche qui est ouverte.
La majorité sénatoriale s'est donc rendue à l'évidence qu'elle n'avait pas
d'autre choix, aucune conciliation n'étant possible, que de rejeter ce projet
de loi, pour rester en phase avec ses convictions et ses engagements.
Nous sommes aussi préoccupés que vous du problème du chômage des jeunes. Toute
l'Europe l'est comme nous. Il est difficile de ne pas remarquer que des
nations, comme la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, commencent à réussir à
juguler ce problème en empruntant les moyens qui sont dédaignés dans notre
pays.
Aux Pays-Bas, le Gouvernement a misé sur le partage du travail par le temps
partiel. Le SMIC a baissé par rapport au salaire moyen et le poids des dépenses
publiques dans le produit intérieur brut a régressé très fortement. Le taux de
chômage y est comparable à celui des Etats-Unis.
C'est donc en conscience que le groupe de l'Union centriste votera la motion
tendant à opposer la question préalable. Il regrette que l'énorme travail
accompli par la commission des affaires sociales, saisie au fond,
particulièrement par son rapporteur et son président, n'ait pas été estimé à sa
juste valeur, alors que vous-même, madame le ministre, lui reconnaissiez des
mérites.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'incapacité
de trouver un accord entre les deux assemblées nous conduit donc, une semaine
après l'examen en urgence du projet de loi relatif à l'emploi des jeunes, à une
nouvelle lecture de ce texte.
Cela n'est pas pour m'étonner : le texte voté par la majorité sénatoriale,
passant au hachoir le texte adopté par les députés, aboutissait en effet à la
réécriture complète, presque systématique, du projet de loi.
Force est de constater que l'option affirmée par le Sénat était nettement
contraire à la volonté du Gouvernement, à celles des députés et, ai-je envie
d'ajouter, aux attentes et aux espérances de la jeunesse et de nos
concitoyens.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Ça, c'est moins sûr !
M. Guy Fischer.
La majorité de la commission des affaires sociales a donc pris prétexte de ce
désaccord et du refus de l'Assemblée nationale d'étendre le champ du projet de
loi au secteur marchand pour lui opposer la question préalable.
La majorité sénatoriale se dévoile sous son vrai jour. Elle tire donc les
leçons de ses divisions et renonce à amender le texte comme elle s'y était
essayée lors de la lecture précédente.
M. Alain Gournac.
Vous prenez vos désirs pour une réalité !
M. Guy Fischer.
Ce faisant, elle fait preuve de son mépris pour ce texte, mais surtout d'un
incroyable mépris pour l'espoir qu'il a soulevé dans toute une partie de la
jeunesse qui sent - on le voit bien d'après les réactions des jeunes - qu'il
s'agit peut être d'un premier pas permettant enfin de rompre avec la logique
passée.
M. Alain Gournac.
Un faux pas !
M. Guy Fischer.
Eh bien, plutôt que de prendre la mesure de ces attentes et de ces espoirs,
vous leur opposez une motion de procédure !
Aux 630 000 jeunes chômeurs, aux centaines de milliers de jeunes qui alternent
petits boulots ou contrats emploi-solidarité, stages plus ou moins qualifiants
et périodes de chômage, vous répondez par la question préalable.
Bien sûr, ce projet de loi peut, dans son état actuel, soulever des questions
et mériterait, à notre sens, d'être amélioré.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Ah bon !
M. Guy Fischer.
Je suis objectif !
M. Alain Gournac.
C'est bien !
M. Guy Fischer.
Je pense en particulier au maintien de la possibilité de recourir au temps
partiel. Si les affirmations de Mme la ministre en la matière nous rassurent
sur sa volonté de privilégier le temps plein, nous craignons néanmoins que, sur
le terrain, cette volonté ne puisse s'exprimer avec la même force et ne finisse
par laisser certains jeunes dans des situations de précarité.
Nous persistons à penser qu'il aurait été nécessaire de clarifier les rapports
entre le dispositif de emplois-jeunes et la fonction publique.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Tiens !
M. Guy Fischer.
Bien sûr, on peut regretter encore que l'Assemblée nationale n'ait pas intégré
certaines des rares améliorations apportées au texte par le Sénat : à cet
égard, je pense en particulier au maintien par les députés d'une simple
information sur les conventions et non pas, comme notre groupe ou d'autres
l'avaient proposé, d'une consultation des institutions représentatives des
personnels.
Il en est de même pour l'examen des conventions par une structure locale.
Bien sûr, on peut regretter certains ajouts effectués par l'Assemblée
nationale : je pense à l'ouverture aux bénéfices des conventions de coopération
pour les postes d'encadrement des emplois-jeunes en versant aux employeurs ce
qui est au bout du compte l'argent des chômeurs et des salariés. Nous avions
d'ailleurs refusé, en 1994, la création de ces conventions.
Il est symptomatique à cet égard que M. le rapporteur qualifie cette mesure de
« seule avancée significative ». Cela ne nous surprend pas.
Bien sûr, on peut toujours préférer, sur tel ou tel point - mais c'est bien
rare à mon sens - l'écriture proposée par le Sénat.
Mais aujourd'hui, avec le dépôt de cette motion tendant à opposer la question
préalable, il s'agit non pas de cela, mais de l'expression d'une opposition
entre deux logiques contradictoires.
D'un côté, nous avons un texte, celui de l'Assemblée nationale qui, même s'il
n'est pas parfait, s'inscrit dans la logique du projet de loi présenté par le
Gouvernement, apporte à ce dernier des améliorations et confirme la volonté
affichée de rompre avec un type d'aide à l'emploi qui a échoué jusqu'à
présent.
De l'autre côté, le texte de la majorité sénatoriale affirmait la volonté
d'aller toujours plus loin dans la flexibilité, dans la remise en cause du code
du travail, dans la baisse des coûts salariaux et de la protection sociale.
M. Alain Gournac.
Et dans la formation !
M. Guy Fischer.
Je pense à la proposition d'un sous-contrat à durée déterminée de cinq ans
pour les petites et moyennes entreprises, à la possibilité de conserver les
aides pour les emplois repris par le secteur marchand, au détournement du fonds
paritaire pour l'emploi, à la proposition formulée par un sénateur d'employer
sous contrat emplois-jeunes des gardiens d'immeubles en copropriété.
Ce texte prévoyait donc encore et toujours moins pour le salarié et encore et
toujours plus pour l'employeur : en bref, il visait à continuer dans une voie
qui, de loi quinquennale pour l'emploi et de contrat emploi-solidarité en
contrat initiative-emploi et en contrat d'insertion professionnelle, de loi sur
les négociations collectives en baisse du coût du travail, aurait, à défaut de
faire baisser le chômage, propagé la précarité par effet de substitution et
contribué finalement à la destruction d'emplois.
Ce texte, nous l'avions refusé. Et l'on peut se demander si le dépôt de la
motion tendant à opposer la question préalable ne montre pas, en fait, que la
droite ne croit même pas à sa proposition d'extension du dispositif au secteur
marchand ! Nous serons fixés demain.
Au reste, avec le futur texte sur l'emploi des jeunes dans les entreprises,
second volet de la lutte contre le chômage des jeunes, nous aurons l'occasion
de le vérifier encore.
Nous rejetons la motion tendant à opposer la question préalable - cela
n'étonnera personne - parce que nous rejetons la logique que la droite voulait
imprimer au dispositif des emplois-jeunes. Nous la rejetons, parce qu'il est
impossible de ne pas répondre à la situation d'urgence dont témoignent les 200
000 jeunes - on parlait naguère de 140 000 jeunes - qui se sont rués vers les
guichets des rectorats.
Pour nous, le projet de loi relatif au développement d'activités pour l'emploi
des jeunes est non pas un point d'arrivée, mais un point d'appui à partir
duquel doit être combattu le fléau que constituent le chômage et la précarité
pour la jeunesse et pour la société tout entière.
Décidés à ne laisser passer aucune chance et ne voulant pas renoncer au défi
d'offrir un véritable emploi aux jeunes de notre pays, nous rejetterons la
motion tendant à opposer la question préalable déposée par la majorité de la
commission des affaires sociales.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette nouvelle
lecture est bien sûr symbolique : la commission mixte paritaire a constaté le
désaccord entre l'Assemblée nationale et le Sénat, et le dernier mot reviendra
à l'Assemblée nationale, laquelle a quasiment rétabli en nouvelle lecture, à
quelques détails près, le texte initial ; enfin, la majorité de la commission,
par la voix de son rapporteur, a décidé de déposer une motion tendant à opposer
la question préalable.
Certes, la distance était très grande et les conceptions totalement
différentes entre le projet de loi et le contre-projet sorti des débats de la
Haute Assemblée.
Il n'y a pas lieu de le regretter, et il est même positif que nous ayons sur
un certain nombre de points clés des clivages très marqués.
Toutefois, le fait de souligner ces clivages - c'était nécessaire, même s'ils
ont parfois été accentués un peu gratuitement - a forcément érodé, élimé des
interrogations fondées qui se retrouvaient, et se retrouvent toujours, sur
toutes les travées de cette assemblée.
A ce stade du débat, c'est sur ces interrogations que je veux insister.
Je souhaite vous demander, madame la ministre, d'être particulièrement
vigilante sur un certain nombre d'aspects, dans les prochains mois. J'ai en
effet des inquiétudes, comme nombre de mes collègues, notamment MM. Fourcade et
Souvet, sur la confusion qui s'est installée entre le projet de loi initial et
la mise en place d'un secteur parapublic, avec des embauches dans l'éducation
nationale et dans la police.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Ah !
Mme Joëlle Dusseau.
Mais je l'avais dit dans mon intervention lors de la précédente lecture,
monsieur le président !
A cela, deux raisons.
D'abord, ces emplois, payés à 80 % sur les crédits du ministère de l'emploi et
de la solidarité, ne peuvent pas, par leur nature même, devenir marchands, d'où
la question de l'avenir de ces emplois, des profils de carrière de ces jeunes,
de la distinction entre eux et les fonctionnaires sur les plans du statut, de
la rémunération et des heures de travail.
L'idée de leur intégration par concours n'est pas complètement satisfaisante.
Si j'ai bien lu les chiffres, 40 000 emplois-jeunes sont créés cette année dans
l'éducation nationale et 150 000 le seront d'ici à trois ans. Ces chiffres sont
sans commune mesure avec le nombre de postes mis habituellement aux concours
dans l'éducation nationale, hors recrutement d'enseignants.
De plus, cela sous-entendrait que les concours, dans les années à venir,
seraient exclusivement réservés à ces jeunes que l'on embauche maintenant, ce
qui n'est pas possible.
La deuxième raison de mon inquiétude quant à la mise en place de ce secteur
parapublic tient à son poids « psychologique » sur l'image des emplois que vous
souhaitez créer.
Pour ces emplois, qui sont, au sens strict du terme, les « emplois Aubry »,
vous faites appel à deux notions qui me paraissent tout à fait importantes.
La première notion, qui vous est chère comme à moi, madame la ministre, est
l'imagination, la reconnaissance dans le champ social de ces emplois émergents,
dont certains se dessinent déjà à partir de pratiques sociales innovantes, et
dont d'autres sont encore à imaginer.
La seconde notion, qui vous est également chère, est le basculement partiel,
progressif, mais organisé, de ces emplois vers des financements diversifiés en
partie ou totalement marchands.
Il est à craindre, à entendre telle commune faire état de 100 emplois ou tel
conseil régional de 500 emplois dont le financement serait déjà inscrit au
budget supplémentaire en cours d'adoption, que, fortes de ces effets d'annonce,
les collectivités locales ne s'engouffrent dans ce système comme elles l'ont
fait précédemment dans celui des CES. C'est un peu moins rentable, certes, mais
tellement plus qu'une embauche puisque ces emplois sont financés à 80 % par
l'Etat !
C'est dire, madame la ministre, à quel point ce chemin de crête dans lequel
vous vous engagez - et dans lequel je vous suis - entre le secteur marchand et
le secteur public comporte des limites, qui seront difficiles à saisir par
certains utilisateurs faute de volonté ou d'imagination. Quoi qu'il en soit,
les collectivités locales devront bien un jour ou l'autre pérenniser les
emplois créés dans une sorte de « sous-fonction publique », ce qui ne
correspond pas à l'esprit de votre projet de loi.
C'est dire également à quel point ce projet fort, ambitieux et nécessaire, qui
correspond à de réels besoins non satisfaits et à l'attente exigeante de la
jeunesse, doit, au-delà du vote même du texte, être appliqué dans un esprit
novateur.
C'est dire aussi à quel point il ne pourra porter vraiment ses fruits que s'il
est complété par le second volet concernant le privé que vous avez annoncé,
mais aussi par une politique volontariste qui s'attaque au chômage des autres
catégories d'une population qui subit la crise depuis plus de vingt ans et dont
toute une partie ne vit plus que sous le signe des trois D : déprime,
débrouille et désespérance.
Vous le savez, au moment où nous examinerons la question préalable, seuls les
représentants des groupes auront droit à la parole. Je ne pourrai donc pas
exprimer la position des sénateurs radicaux socialistes du groupe du RDSE ! Je
précise donc - mais ce n'est pas vraiment une surprise - que, dans la mesure où
ils soutiennent le projet de loi, ces derniers voteront contre la question
préalable.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Diligent.
M. André Diligent.
Avant d'en venir à mon intervention proprement dite, je voudrais, madame la
ministre, vous poser une question précise et, je vous le dis d'emblée, je
n'emploierai pas la formule habituelle qui consiste à dire que de votre réponse
dépendra le sens de mon vote car, de toute façon, je ne voterai pas la question
préalable. Non pas pour vous être agréable, non pas pour déplaire à mes
collègues, mais parce que, en conscience, je le dois.
M. Emmanuel Hamel.
Vous n'êtes pas le seul !
M. André Diligent.
Je tiens à rappeler auparavant que, à l'instar de certains de mes collègues -
de tous bords, d'ailleurs - je réclame une véritable justice fiscale entre les
différentes collectivités locales.
C'est bien à cette fin que le Sénat a adopté, en première lecture, un
amendement instaurant une modulation au bénéfice des communes les plus pauvres,
car nous en avons tous assez d'un système aux termes duquel plus on est pauvre
plus il faut payer.
L'Assemblée nationale n'a pas suivi le Sénat, mais un parlementaire très
proche de vous, madame la ministre, a publié, dans la presse dominicale, le
communiqué suivant : « Afin que soit rendu possible un financement de 90 % au
lieu de 80 % par l'Etat des emplois-jeunes au bénéfice des communes percevant
la dotation de solidarité urbaine ou rurale, j'ai saisi le ministre pour qu'il
utilise cette possibilité de financement pour rétablir la justice, puisque je
ne peux pas voter cet amendement ».
J'aimerais connaître la réponse que vous allez apporter à ce parlementaire,
madame la ministre, car ce point est capital : c'est un combat qu'avec un
certain nombre de parlementaires nous menons depuis longtemps, et nous espérons
vous convaincre.
Cela dit, m'exprimant à titre purement personnel, je vous confirme que je ne
voterai pas la question préalable. J'ai en effet rencontré, au cours de ce
week-end, un certain nombre de jeunes chômeurs - et ce n'est pas difficile dans
ma commune, où les records sont battus - et je peux traduire ici le message
qu'ils m'ont transmis : certes, ce projet de loi est plein d'imperfections ;
certes, il aurait sans doute fallu donner la priorité à l'emploi privé par
rapport à l'emploi public ; certes, un problème de philosophie est posé à la
base ; certes, nous ne sommes pas rassurés quant à la pérennité des emplois.
Mais nous sommes au bord de la route et nous ne pouvons plus attendre une autre
législature, c'est-à-dire cinq ans ! Nous sommes désespérés, certains d'entre
nous ont, osons le dire, faim.
C'est pourquoi, tout en reprenant à mon compte et en approuvant les remarques
qu'ont présentées les différents orateurs de la majorité sénatoriale, je me
vois dans l'obligation, après avoir longuement hésité - car c'est pour moi un
véritable cas de conscience personnelle, mais n'y voyez pas un quelconque
reniement de ma part - de ne pas voter, à titre personnel, la question
préalable.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à la veille de
la Conférence pour l'emploi et les salaires qui réunira demain, à l'hôtel
Matignon, les partenaires sociaux sur l'invitation du Gouvernement, le Sénat va
mettre un terme, à sa manière, à l'examen du projet de loi relatif aux
emplois-jeunes.
La coïncidence de date permet de replacer l'ensemble de l'action du
Gouvernement pour l'emploi en perspective.
Un premier volet, dont nous terminons l'examen ce soir, est spécifiquement en
faveur de l'emploi des jeunes dans les structures publiques et parapubliques,
les collectivités territoriales et les associations. Puis se réunira une
conférence pour l'emploi, en vue notamment de déboucher sur la réduction du
temps de travail et la création d'emplois dans le secteur privé, y compris pour
les jeunes. Un projet de loi, enfin, interviendra en direction des plus
défavorisés afin de permettre leur insertion ou leur réinsertion sociale et
professionnelle. En effet, parmi eux, 250 000 jeunes sont en grande difficulté,
et leur situation retient toute notre attention. Elle nécessitera la mise en
oeuvre de dispositifs particulièrement bien ajustés.
Dans le passé, vous avez su, madame la ministre, agir en ce sens, et nous
savons qu'il en ira de même très bientôt.
Pour l'heure, c'est encore du projet de loi emplois-jeunes qu'il s'agit.
Le texte que nous a transmis l'Assemblée nationale nous convient globalement.
Nos collègues députés y ont intégré quelques éléments apportés par le Sénat,
notamment en faveur de l'apprentissage ou du contrat d'orientation. Nous notons
ainsi avec satisfaction la reprise de l'amendement ouvrant le bénéfice des
emplois-jeunes aux personnes handicapées jusqu'à l'âge de trente ans.
Par ailleurs, le texte a retrouvé la simplicité, la cohérence et la lisibilité
qu'il avait perdues ici en première lecture. Ce sont des éléments importants
pour le succès de cette opération auprès de tous les partenaires, surtout
localement.
Il a retrouvé aussi un coût budgétaire acceptable pour nos finances publiques.
En effet, ce ne fut pas le moindre paradoxe que la juxtaposition par la
majorité sénatoriale d'un discours alarmiste sur le coût supposé prohibitif des
emplois-jeunes et de l'incroyable extension de ce dispositif à de nouveaux
publics et à de nouveaux employeurs privés. Au demeurant, on se demande en
vertu de quoi ces employeurs percevraient une aide de l'Etat de 80 % par
emploi, alors que tant d'autres aides et exonérations leur sont déjà
accessibles par ailleurs !
Se proclamant gardienne sourcilleuse des finances publiques, la majorité
sénatoriale n'a pas hésité à proposer de considérables dépenses nouvelles. Tout
aussi surprenant, elle a adopté des amendements en direction du secteur privé
qui auraient provoqué de graves distorsions de concurrence nuisibles pour les
entreprises.
Pour ma part, j'ai le sentiment que, au-delà des péripéties politiciennes du
moment, cette confusion est le signe d'une distance - je ne veux pas dire d'une
incompréhension - par rapport aux mutations technologiques auxquelles nous
sommes confrontés.
Ces mutations induisent des transformations dans la société. Nous tous, en
tant qu'élus locaux, y sommes confrontés chaque jour lorsque nous en recevons
les victimes - chômeurs, personnes en difficulté - dans nos permanences.
Il est clair pour nous, socialistes, que nous ne pouvons laisser faire et que
nous ne pouvons nous contenter de panser les plaies individuelles. Une action
globale, prenant en compte l'ensemble de ces mutations, est plus qu'urgente.
Il n'y a plus, aujourd'hui, nous le savons tous, d'inépuisables réserves
d'emplois dans la production de biens d'équipement. La productivité acquise, à
laquelle vient s'ajouter la délocalisation massive de certains secteurs,
aboutit à une demande de main-d'oeuvre beaucoup plus faible que par le
passé.
Il ne suffit pas d'en prendre acte et de considérer, sans aller au-delà, que
les salariés sont la seule et unique variable d'ajustement pour maintenir la
compétitivité. Cela se justifie d'autant moins qu'après une période difficile
nos entreprises ont, pour la majorité d'entre elles, retrouvé une meilleure
santé, notamment financière.
Si des efforts demeurent à accomplir, c'est en direction des très petites
entreprises et des entreprises artisanales, d'ailleurs souvent victimes en tant
que sous-traitantes de la pression que des entreprises plus importantes font
peser sur elles.
Que ressort-il donc de ces mutations et comment les prendre en compte pour que
les conditions de vie demeurent acceptables pour le plus grand nombre ?
Il est clair aujourd'hui que, si l'entreprise est un moteur essentiel de la
croissance, elle n'est pas l'alpha et l'oméga de la vie d'une société. Comment,
d'ailleurs, une entité économique tournée par vocation légitime vers le profit
pourrait-elle prétendre répondre à l'ensemble des besoins sociaux ? Telle n'est
pas sa finalité.
S'il n'était orienté que vers un nombre de plus en plus restreint de personnes
en abandonnant le plus grand nombre à la précarité et à l'angoisse, le profit
réduirait en proportion son champ d'action : l'offre existerait, mais la
demande tendrait à disparaître. Dans ces conditions, l'appel à la croissance
serait sans effet, parce que sans rapport direct avec la vie de millions de nos
concitoyens.
D'un point de vue général, le mérite premier des emplois-jeunes - et nos
concitoyens l'ont, je crois, bien perçu - est de constituer le premier pas
important vers le retour à la confiance et à la croissance par l'expression de
la volonté collective et de l'action publique.
Pour la première fois, la convergence entre les nouveaux besoins sociaux
insatisfaits, la nécessaire professionnalisation de métiers nouveaux s'y
rapportant et la volonté des jeunes de s'insérer dans la vie active est prise
en compte de façon globale. Nous quittons le traitement social du chômage de
ces dernières années pour répondre à une demande nouvelle.
L'Etat reprend ainsi l'initiative et s'engage en première ligne, comme il est
de son devoir. Le groupe socialiste exprime, bien entendu, son soutien à cette
politique novatrice.
Nous aurions aimé, madame la ministre, vous exprimer ce soutien par un vote
positif, sans doute plus gratifiant pour vous et pour nous. Comme en première
lecture, nous serons malheureusement privés de cette satisfaction.
Après avoir dû voter contre un texte dénaturé, nous devrons évidemment voter
tout à l'heure contre la question préalable adoptée par la majorité de la
commission des affaires sociales, procédé qui laisserait penser, aux termes
même de la définition de la question préalable, qu'il n'y a pas lieu de
débattre d'un tel projet. Sur ce point, je comprends les remarques de notre
collègue M. Diligent !
Il est clair que tel est bien, pour la majorité sénatoriale, le seul moyen de
masquer ses divisions de fond sur la conduite à adopter, divisions qui se sont
manifestées aussi bien à l'Assemblée nationale qu'au Sénat en première
lecture.
Vous concevrez aisément, madame la ministre, que notre vote contre la question
préalable soit effectivement l'expression de notre soutien total et de notre
engagement à vos côtés.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Hamel.
M. Emmanuel Hamel.
Sur ce projet de loi, tel que modifié par l'Assemblée nationale, je partage
les doutes, les inquiétudes, les incertitudes exprimées avec sa conscience et
son talent par notre collègue M. Souvet. Mais je partage également le sentiment
exprimé par notre collègue M. Diligent et, comme lui-même, en conscience, je ne
pourrai pas voter la question préalable.
M. le président.
La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, c'est avec
regret que nous avons constaté que, dans le texte tel qu'il nous revient, la
plupart des dispositions votées par le Sénat en première lecture ont été
abrogées, et ce à la demande du Gouvernement. Notre excellent rapporteur M.
Souvet a dit toutes les raisons que nous avons de le déplorer.
Mais, parmi ces dispositions, il en est une que les sénateurs des Français de
l'étranger regrettent plus particulièrement de ne plus voir figurer dans le
texte.
Cet amendement, qui recueillait l'approbation de tous les sénateurs
représentant les Français de l'étranger et qui prévoyait, en quelque sorte, le
recours au dispositif emplois-jeunes pour les emplois situés à l'étranger,
avait été proposé par notre collègue socialiste Mme Cerisier - ben Guiga. Je ne
reviens pas sur son plaidoyer, qui avait été excellent. Il figure au
Journal
officiel
.
Je rappelle, madame le ministre, que vous lui aviez répondu assez vertement. «
Je comprends bien le souci de Mme Cerisier-ben Guiga de faire en sorte que des
emplois à l'étranger puissent être proposés au jeunes Français. Toutefois, à ce
stade, il s'agit pour nous de répondre d'abord aux besoins de nos concitoyens
en France métropolitaine et dans les départements d'outre-mer, au prix d'un
investissement qui est déjà lourd. »
Vous estimiez donc qu'il convenait de répondre d'abord aux besoins en France
et dans l'outre-mer, ne voyant sans doute pas - ce sur quoi nous avons insisté
par la suite - que les deux choses sont très intimement liées.
Celle qui était notre porte-parole avait d'ailleurs dit : « Un emploi créé à
l'étranger, c'est d'abord un chômeur de moins en France, mais c'est surtout un
jeune qui acquiert des compétences nouvelles : la maîtrise d'une langue
étrangère, l'adaptation à des méthodes de travail différentes ... »
Bref, nous considérions tous que c'était une expérience extrêmement
enrichissante et tout à fait utile au pays.
Sur l'ordre qui lui était ainsi intimé, Mme Cerisier-ben Guiga avait retiré
son amendement. Naturellement, celui-ci avait immédiatement été repris par la
majorité sénatoriale, ce qui avait donné lieu à un débat intéressant dans
lequel plusieurs de nos collègues, notamment M. Marini, étaient intervenus, ce
dont je les remercie.
Je veux citer aussi M. Fourcade, président de la commission des affaires
sociales, qui avait très bien expliqué ce que nous souhaitions : « ... une
mesure que réclament depuis longtemps les entreprises françaises qui veulent
envoyer à l'étranger des jeunes, à savoir un contrat à durée déterminée
couvrant une période plus longue que celle que prévoit actuellement le code du
travail pour ce type de contrat. » Entendez plus de deux ans, car, à
l'étranger, il faut davantage.
Autrement dit, nous proposions que, à l'occasion de ce plan emploi-jeunes, un
dispositif profitable non seulement aux intéressés mais également et surtout au
pays soit mis en place.
La disposition avait été votée par la majorité sénatoriale, par l'ensemble des
sénateurs des Français de l'étranger et, me semble-t-il, par la grande majorité
de notre assemblée, des deux côtés de l'hémicycle.
Madame le ministre, je regrette beaucoup votre attitude - on vous a d'ailleurs
répondu. Je déplore que l'on oublie l'existence des 1 700 000 Français qui
vivent à l'étranger. Je ne voulais pas que tel soit encore le cas lors de cette
nouvelle lecture.
Notre assemblée tout entière, et son président le premier, est très attachée à
la promotion des emplois à l'étranger, pour lutter contre le chômage en France
et donner de nouveaux débouchés à notre pays. Voilà pourquoi nous aurions
vivement souhaité que la disposition figurât encore dans le texte.
Cela étant dit, je ne reprendrai pas la parole lors de l'examen de la motion
tendant à opposer la question préalable. Puisque cette disposition essentielle
a été supprimée, les sénateurs des Français de l'étranger et, plus largement,
les sénateurs non inscrits, pour marquer leur désapprobation, voteront la
question préalable.
(M. Durand-Chastel applaudit.)
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame la ministre, mes chers collègues, après les explications qui viennent
d'être données, je tiens, en quelques mots, à bien marquer l'enjeu du débat.
Je respecte profondément le cri de conscience de mes collègues André Diligent
et Emmanuel Hamel, qui viennent de dire qu'ils ne pourraient pas voter la
question préalable. Je comprends leurs raisons et je respecte leur vote.
Je tiens toutefois à rappeler que le texte qui nous revient de l'Assemblée
nationale participe d'une philosophie qui consiste à isoler plus encore la
France de ses partenaires de l'Union européenne.
La France - je l'ai dit dès le début de la discussion - est le pays d'Europe
qui a le plus d'emplois publics après le Danemark et la Suède et, si l'on ne
modifie pas le texte pour favoriser un certain nombre de transferts vers le
secteur privé, il sera, dans cinq ans, celui qui en aura le plus. Par
conséquent, il aura le niveau de charges fiscales et sociales le plus élevé de
l'Union européenne.
M. Alain Gournac.
Et voilà !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Cette considération me paraît tout de même
avoir autant d'importance, à terme, que certaines impulsions ou certains
scrupules aujourd'hui, au regard du problème des jeunes chômeurs !
Madame la ministre - le débat l'a bien montré - la commission des affaires
sociales a essayé non pas de dénaturer, mais de modifier le texte, estimant que
votre idée était juste qui consistait à essayer de préfinancer, en quelque
sorte, des emplois émergents répondant à des besoins nouveaux. Car telle était
bien l'idée originale de votre texte.
La commission des affaires sociales a essayé de partir de cette idée, de cette
philosophie, en apportant quatre corrections essentielles au projet. Je
rappelle ces corrections afin d'éviter tout malentendu dans la communication
future.
Premièrement, il y a eu, selon nous, un mélange maladroit entre le recrutement
de jeunes pour tenir des emplois supplétifs dans la fonction publique et la
réponse au besoin d'emplois nouveaux dans des métiers émergents.
M. Alain Gournac.
Cela n'a rien à voir !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Il fallait soit bien séparer dans le texte
les deux filières, soit rédiger deux textes. C'est ce que nous avons essayé de
faire, et c'est ce que l'Assemblée nationale n'a pas accepté.
Tout à l'heure, dans cette enceinte, M. le ministre de l'éducation nationale a
bien précisé son intention de recruter 40 000 ou 50 000 jeunes dans le cadre
des emplois-jeunes. C'est dangereux, car non seulement cela ne donnera pas à
ces jeunes des garanties suffisantes pour l'avenir, mais cela contrariera
l'évolution normale, dans les cinq prochaines années, de tous les concours
administratifs. En conséquence, cela créera, demain, du chômage chez les jeunes
qui arriveront sur le marché.
J'en viens à la deuxième correction, à savoir l'organisation, avec tous les
acteurs économiques possibles, du transfert des emplois vers le secteur privé
dès le recrutement. Nous acceptons l'idée du préfinancement et celle de
l'utilisation des fonds publics pour essayer d'acclimater des emplois nouveaux,
mais nous pensons que tout doit être fait pour favoriser le transfert vers le
secteur privé.
A cet égard, la commission avait présenté un amendement essentiel qui avait
été adopté. J'en rappelle les termes, puisque je prends rendez-vous pour
l'avenir : « Les conventions précisent les modalités d'encadrement de
l'activité, les conditions d'une éventuelle participation financière de
l'usager, les conditions de l'éventuel transfert de cette activité au secteur
privé, fixent les objectifs de qualification et déterminent les conditions de
la formation professionnelle, ainsi que les modalités du tutorat. »
M. Alain Gournac.
C'est très important !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Ce point était fondamental. Nous n'avons
jamais dit qu'il fallait passer tout de suite au secteur privé ; nous avons
simplement dit qu'il fallait s'assurer dès le départ, au moment de la création
de ces emplois, de la possibilité de passer vers le secteur privé dans des
conditions de formation correctes.
M. Alain Gournac.
Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
La troisième correction tendait à remédier à
l'inexistence, dans le texte initial, de tout dispositif de formation et
d'encadrement.
M. Alain Gournac.
Incroyable !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
L'Assemblée nationale, sur ce point, nous a
largement rejoints, et je vous remercie, madame la ministre, de l'avoir aidée à
aller dans cette voie. Par conséquent, désormais, cette correction est moins
nécessaire.
Enfin, la quatrième correction portait sur le rôle exclusif donné au préfet et
au représentant des administrations de l'Etat pour détecter les emplois
émergents et pour définir dans quel secteur on pourrait aller.
L'expérience du RMI aurait dû vous convaincre que, lorsque l'on charge les
administrations publiques de trouver des passages vers le secteur privé, on est
sûr d'aller à l'échec.
Le fait d'associer, dans le CODEF, dans les missions locales ou dans les
comités de pilotage, comme l'avait proposé Mme Dieulangard, les professionnels,
les chefs d'entreprise et les artisans à la détection de ces métiers dès le
départ aurait permis au préfet, qui tranche en tout dernier ressort, de savoir
ce qui était bon et ce qui ne l'était pas, et d'avoir des avis motivés.
Voilà les quatre points sur lesquels nous avons non pas dénaturé, monsieur
Estier, mais corrigé le texte...
M. Alain Gournac.
Amélioré !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
... pour tenir compte de notre objectif :
comment arriver à préfinancer, aujourd'hui, pour faire face au problème du
chômage des jeunes, un certain nombre d'emplois qui, demain, pourront devenir
des métiers du secteur privé ?
Sur nos quatre propositions, l'Assemblée nationale en a repoussé trois, ne
faisant qu'un petit pas vers nous en ce qui concerne le dispositif de formation
et d'encadrement. Vous comprendrez donc qu'à nos yeux le texte ne puisse être
considéré comme ayant été corrigé !
Notre pays court ainsi le risque majeur de connaître, à terme, une
augmentation du nombre des emplois dans le secteur public et parapublic, car le
secteur associatif vivant du secteur public, c'est, hélas ! la même source de
financement !
Nous rattraperons alors le Danemark et la Suède et, face à la compétition au
sein de l'Union européenne, nous aurons des problèmes graves d'adaptation et de
concurrence.
Aujourd'hui, c'est donc une occasion manquée. Nous attendons, madame le
ministre, le second volet, qui résultera de votre négociation avec les forces
patronales et syndicales, pour voir comment vous pourrez insérer des centaines
de milliers de jeunes directement dans l'activité économique. C'est au vu de ce
second volet que nous porterons un jugement d'ensemble.
Dans cette affaire, il n'y a eu ni conflit idéologique ni dénaturation ; il y
a eu simplement jugement d'un texte généreux mais mal fait par des personnes
qui n'ont pas entendu celles qui ont l'expérience du terrain et qui, chez
elles, ont réalisé un certain nombre d'opérations tendant à orienter des jeunes
vers des métiers du secteur privé.
Il est dommageable qu'il n'ait pas été tenu compte des expériences concrètes
que chacun d'entre nous peut citer - mais encore aurait-il fallu qu'on nous le
demande ! - et que l'on s'en soit tenu à cette idée fallacieuse d'une
augmentation de l'emploi du secteur public et du secteur associatif.
Hélas ! ce n'est pas avec le secteur associatif et l'emploi public que l'on
gagnera la guerre économique qui nous est faite ; ce n'est pas de cette manière
que nous pourrons consolider l'euro ; ce n'est pas de cette manière que nous
pourrons faire face à la compétition américaine et asiatique.
Nous avions proposé les moyens de combiner le souci généreux d'aider les
jeunes dès maintenant et celui d'améliorer nos structures économiques dans les
prochaines années. Je constate que nos collègues de l'Assemblée nationale ont
peu tenu compte de nos propositions, ne retenant que celle qui concerne
l'encadrement.
Maintenant, il faut trancher le débat, afin que chacun prenne ses
responsabilités. C'est la raison pour laquelle la commission, dans sa majorité,
a adopté la question préalable.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union
centriste et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
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