ADHÉSION DE LA RÉPUBLIQUE HELLÉNIQUE ET DE LA RÉPUBLIQUE D'AUTRICHE À LA CONVENTION D'APPLICATION DE L'ACCORD DE SCHENGEN
Adoption de deux projets de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion :
- du projet de loi (n° 427, 1996-1997), adopté par l'Assemblée nationale,
autorisant l'approbation de l'accord d'adhésion de la République hellénique à
la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les
gouvernements des Etats de l'Union économique Benelux, de la République
fédérale d'Allemagne et de la République française relatif à la suppression
graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen le 19 juin
1990, à laquelle ont adhéré la République italienne par l'accord signé à Paris
le 27 novembre 1990 et le Royaume d'Espagne et la République portugaise par les
accords signés à Bonn le 25 juin 1991. (Rapport [n° 431], 1996-1997).
- et du projet de loi (n° 428, 1996-1997), adopté par l'Assemblée nationale,
autorisant l'approbation de l'accord d'adhésion de la République d'Autriche à
la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les
gouvernements des Etats de l'Union économique Benelux, de la République
fédérale d'Allemagne et de la République française relatif à la suppression
graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen le 19 juin
1990, à laquelle ont adhéré la République italienne, le Royaume d'Espagne et la
République portugaise, et la République hellénique par les accords signés
respectivement le 27 novembre 1990, le 25 juin 1991 et le 6 novembre 1992.
(Rapport [n° 431], 1996-1997).
La conférence des présidents a décidé qu'il sera procédé à une discussion
générale commune de ces projets de loi n°s 427 et 428.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des
affaires européennes.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, j'ai l'honneur, au nom du Gouvernement, de soumettre au vote de la
Haute Assemblée deux projets de loi.
Le premier autorise l'approbation de l'accord d'adhésion, signé à Bruxelles le
28 avril 1995, de la République d'Autriche à la convention d'application de
l'accord de Schengen, signé le 14 juin 1985.
Le second autorise l'approbation de l'accord d'adhésion, signé à Madrid le 6
novembre 1992, de la République hellénique à cette même convention.
Les adhésions de l'Autriche et de la Grèce constituent un approfondissement du
processus entamé, voilà plus de dix ans, pour créer un espace de libre
circulation des personnes en Europe. La convention d'application de l'accord de
Schengen, signée le 19 juin 1990, définit les principales mesures permettant de
mettre en oeuvre cette liberté. Une des principales dispositions est la
suppression du contrôle aux frontières intérieures des parties contractantes,
lequel est reporté aux frontières extérieures de l'espace Schengen.
Cela signifie concrètement que tout citoyen d'un Etat signataire à l'accord de
Schengen peut circuler librement dans les autres Etats parties à l'accord. De
même, un ressortissant d'un Etat tiers extérieur à l'Union européenne n'a plus
qu'une seule démarche à accomplir auprès de l'Etat de destination principale
pour pénétrer dans le territoire Schengen et peut, grâce au visa uniforme,
circuler librement d'un Etat à l'autre.
En contrepartie de l'instauration de cet espace de libre circulation, et pour
éviter que celle-ci ne se traduise par une sécurité moindre pour les citoyens
de l'espace Schengen, la convention prévoit le renforcement de la coopération
policière, judiciaire et douanière, ainsi que l'échange d'informations sur les
personnes recherchées, les véhicules et objets volés et, enfin, l'adoption de
règles communes en matière de circulation, de surveillance des frontières et de
contrôle de l'immigration.
Ces objectifs ambitieux ne pouvaient bien évidemment être atteints que de
manière progressive et maîtrisée.
C'est ainsi que l'espace Schengen, qui s'est construit, à l'origine, autour
d'un noyau de cinq pays, s'est petit à petit élargi à de nouveaux adhérents,
pour couvrir aujourd'hui, conformément d'ailleurs au souhait initial de ses
promoteurs, un territoire presque équivalent à celui de l'Union européenne.
Après la République italienne le 27 novembre 1990, le Royaume d'Espagne et la
République portugaise ont adhéré à la convention le 6 novembre 1992, suivis par
la République d'Autriche le 28 novembre 1995. Enfin, l'adhésion très récente du
Danemark, de la Finlande, de la Suède et la signature d'un accord de
coopération avec la Norvège et l'Islande ont encore étendu le territoire
Schengen, et, partant, l'espace d'application des règles définies par la
convention.
A l'heure actuelle, il faut le souligner, seuls sept de ces Etats mettent en
vigueur la convention d'application : il s'agit de la France, de l'Allemagne,
de la Belgique, des Pays-Bas, du Luxembourg, de l'Espagne et du Portugal.
L'Italie, et c'est un fait important, l'appliquera à partir du 26 octobre
prochain, à l'exception des dispositions concernant la suppression des
contrôles aux frontières intérieures terrestres dont la mise en oeuvre sera,
quant à elle, progressive.
En ce qui concerne la Grèce et l'Autriche, l'achèvement des procédures
nationales de ratification constitue le préalable à l'entrée en vigueur de la
convention d'application de l'accord de Schengen dans ces deux pays.
Cette entrée en vigueur, je le souligne, ne préjuge en rien la mise en
vigueur de la convention dans ces deux Etats, laquelle implique que soit prise
une décision spécifique du comité exécutif Schengen. Celui-ci ne la prendra que
si les conditions préalables requises, parmi lesquelles l'effectivité des
contrôles aux frontières extérieures, sont remplies.
L'autorisation parlementaire qui vous est aujourd'hui demandée en vertu de
l'article 53 de la Constitution a donc une signification toute particulière.
Elle permettra l'entrée en vigueur des accords d'adhésion de l'Autriche et de
la Grèce, leur mise en vigueur restant soumise à un calendrier particulier que
j'évoquerai dans un instant.
Les deux projets de loi qui vous sont présentés comportent chacun un article
unique précisant que la République d'Autriche, d'une part, et la République
hellénique, d'autre part, adhèrent sans restriction aucune à la convention
d'application, dont elles s'engagent à mettre en oeuvre l'ensemble des
dispositions.
Le texte même de chacun des deux accords d'adhésion précise quels sont les
agents habilités à exercer le droit d'observation et, pour l'Autriche, le droit
de poursuite, et quelle est l'autorité nationale compétente pour la
transmission et la réception des demandes d'extradition.
L'accord d'adhésion de la République hellénique à la convention d'application
souligne, en outre, que la Grèce s'engage à ne pas recourir aux réserves
qu'elle a formulées quant aux conventions européennes d'extradition et
d'entraide judiciaire en matière pénale.
L'accord d'adhésion de l'Autriche est, pour sa part, accompagné de deux
déclarations communes.
La première dispose qu'il ne sera mis en vigueur entre l'Autriche et les Etats
signataires de l'accord de Schengen que lorsque les conditions préalables à son
application seront réunies et les contrôles aux frontières extérieures
effectifs.
La seconde déclaration engage l'Autriche à s'aligner sur le régime des visas
appliqué par les autres parties à l'accord.
S'agissant de la République hellénique, il existe également des dispositions
spécifiques.
Une première déclaration commune relative à la mise en vigueur de l'accord a
un contenu identique à celle qui figure dans l'accord d'adhésion de la
République d'Autriche.
Une deuxième marque l'engagement de la Grèce à s'aligner sur le régime commun
de visas.
Enfin, trois autres déclarations plus précises visent l'amélioration de la
législation grecque sur la protection des personnes, s'agissant du traitement
automatisé des données à caractère personnel, une dérogation quant à l'exercice
du droit de poursuite par la Grèce en raison de sa situation géographique
spécifique et, enfin, le maintien d'un statut dérogatoire pour le mont Athos.
Chacun sera indulgent sur ce dernier point !
Comme je l'ai indiqué précédemment, ces accords d'adhésion, une fois entrés en
vigueur, ne pourront être mis en vigueur qu'après décision du comité exécutif
constatant que sont réunies les conditions préalables en matière de contrôle
aux frontières extérieures, de délivrance du visa uniforme, de respect des
dispositions des conventions relatives aux stupéfiants et à la protection des
données personnelles, et enfin de réalisation et de fonctionnement du système
d'information Schengen. Ce double mécanisme offre les garanties de sécurité
indispensables à l'efficacité du système Schengen.
La volonté politique de l'Autriche et de la Grèce de participer pleinement à
l'espace Schengen n'a jamais été démentie. Observatrices au comité exécutif, à
tel point d'ailleurs que l'Autriche assure actuellement la présidence de
celui-ci, ce qui n'a pas manqué de soulever la curiosité de certains de vos
collègues de l'Assemblée nationale, la République hellénique et la République
d'Autriche ont longuement préparé cette adhésion.
Ainsi, elles ont fourni un effort important pour renforcer le contrôle de
leurs frontières extérieures. Leur système d'information Schengen est en place
et elles sont prêtes à délivrer des visas uniformes Schengen.
Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, des réserves ont été
exprimées, notamment par l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Espagne et la France, sur
l'efficacité des contrôles aux frontières extérieures de ces pays. Elles ont
conduit le comité exécutif, avec l'accord de ces pays, à envisager des
calendriers de mise en application progressive adaptés à la situation
respective de l'Autriche et de la Grèce.
Ce comité exécutif s'est réuni le 7 octobre. Il prévoit, sous réserve bien
évidemment de la ratification de l'accord par le Parlement français, l'entrée
en vigueur de celui-ci le 1er décembre pour l'Autriche et, à partir de cette
date, la levée progressive des contrôles terrestres et aéroportuaires.
S'agissant de la Grèce, la situation est plus délicate. Si l'ensemble des
Etats parties à la convention ont souhaité que ce pays puisse, le plus
rapidement possible, appliquer les dispositions relatives au système
d'information Schengen et à la politique des visas, la disposition sur la levée
des contrôles tant aéroportuaires que maritimes a été, en revanche, reportée à
la fin de l'année prochaine. Ainsi, la Grèce disposera d'au moins une année
supplémentaire pour se mettre en conformité totale avec les dispositions de la
convention. Dans ce laps de temps, une commission d'experts se rendra sur place
et fera rapport au comité exécutif, afin d'éclairer la décision de celui-ci.
Dans le même temps, et sans qu'il soit besoin de lever les contrôles aux
frontières intérieures, nous pourrons mettre en oeuvre toutes les autres
dispositions de la convention, ce qui nous permettra notamment d'avoir accès,
c'est un point très important que je souligne, aux données que l'Autriche et la
Grèce auront fournies au système informatique qui est situé, je le rappelle, à
Strasbourg.
Pour que cet échange de données puisse avoir lieu, nous devons, comme nous en
avons pris l'engagement devant nos partenaires, ratifier à notre tour ces
accords. Cette procédure, qui aurait dû être menée à son terme avant le 31 mai,
a été retardée, comme vous le savez, du fait de la dissolution de l'Assemblée
nationale. Je ne vous cache pas qu'une très vive impatience se manifeste en
Grèce et en Autriche dans l'attente de la décision de votre assemblée.
En effet, la France est aujourd'hui le seul pays à n'avoir pas achevé la
procédure. Le Gouvernement souhaite que cela soit fait avant la fin du mois
d'octobre, et je vous demande donc, mesdames, messieurs les sénateurs, de bien
vouloir approuver les deux projets de loi qui vous sont soumis.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames,
messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appellent les accords
d'adhésion de la République d'Autriche et de la République hellénique à la
convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985, qui font
l'objet des deux projets de loi aujourd'hui soumis à votre approbation.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, vous le savez, la Haute Assemblée a apporté une attention constante
et vigilante au processus enclenché par la signature de l'accord de Schengen en
1985. Je souhaiterais rendre hommage ici à l'activité de notre délégation pour
l'Union européenne, et en particulier aux travaux de notre collègue M. Paul
Masson. C'est dans un même esprit d'ouverture et de rigueur que j'ai souhaité,
au nom de notre commission des affaires étrangères, porter une appréciation sur
les deux accords d'adhésion qui font l'objet des projets de loi sur lesquels le
Sénat doit se prononcer aujourd'hui.
L'examen par la Haute Assemblée de ces deux textes revêt une importance
décisive car la France - vous l'avez rappelé, monsieur le ministre - est le
dernier pays à ne pas les avoir ratifiés, empêchant ainsi l'entrée en vigueur
des accords d'adhésion de la Grèce et de l'Autriche.
Je crois utile de rappeler à ce propos une particularité de la convention de
Schengen. L'intégration d'un nouveau membre à l'espace Schengen requiert deux
conditions : d'une part, le dépôt des instruments de ratification de l'accord
d'adhésion par chacun des Etats parties à la convention de Schengen - cette
procédure permet l'entrée en vigueur de la convention ; d'autre part, le
constat par le comité exécutif Schengen, où siège un ministre de chaque Etat
membre, que toutes les conditions préalables à l'application de l'accord de
Schengen sont remplies par le candidat.
Ce constat, arrêté à l'unanimité, ouvre la voie à la mise en vigueur
opérationnelle de l'accord d'adhésion. L'entrée en vigueur et la mise en
vigueur constituent deux verrous successifs. En d'autres termes, il ne saurait
y avoir de mise en vigueur, c'est-à-dire une application effective de l'accord
d'adhésion, sans une entrée en vigueur préalable, c'est-à-dire la ratification
par tous les Etats membres. Ces éléments me paraissent importants pour bien
apprécier la portée du vote de la Haute Assemblée.
Avant d'évoquer les adhésions de l'Autriche et de la Grèce, je crois
nécessaire de dresser un premier bilan de l'application de l'accord de
Schengen. Ce bilan est contrasté. Il a ses ombres et ses lumières. Au crédit de
Schengen, il convient de souligner trois avancées.
Premièrement, la mise en place d'un espace de libre circulation de personnes
apparaît désormais à nos concitoyens, par les facilités qu'il procure, comme un
acquis difficilement réversible.
Deuxièmement, l'harmonisation de la politique des visas, même si elle n'est
pas achevée, constitue un élément important pour renforcer la sécurité de l'«
espace Schengen ».
Enfin, troisièmement, la mise en place d'un réseau informatisé d'échanges
d'informations avec le système d'information Schengen représente un atout
appréciable pour la coopération policière.
Cependant, dans nombre d'autres domaines, les quelques avancées enregistrées
demeurent, comme le Sénat a déjà eu l'occasion de le souligner à plusieurs
reprises, très en deçà des évolutions nécessaires.
S'agissant d'abord du contrôle aux frontières extérieures, il convient de
regretter que le choix des dispositifs de contrôle les plus adéquats soit
laissé à l'initiative de chaque Etat sans qu'intervienne un réel effort de
coordination sous les auspices du comité exécutif.
Quant à la surveillance des frontières intérieures, dont la nécessité n'a pas
disparu malgré la suppression des contrôles, elle se heurte à l'insuffisance de
la coopération policière. Ainsi, le droit de poursuite, reconnu par la
convention de Schengen, se heurte aux divergences d'ordre juridique entre les
Etats membres et n'est que rarement mis en oeuvre.
Mais le troisième sujet de préoccupation - et à mon sens le plus grave - tient
aux progrès trop lents de la coopération en matière de lutte contre le trafic
de stupéfiants. Le principal obstacle demeure l'appréciation divergente portée
par les Etats signataires de l'accord de Schengen sur la politique répressive à
conduire en matière de drogue. Les difficultés, on le sait, se cristallisent
sur les Pays-Bas. Même si la position du gouvernement néerlandais a évolué de
façon positive - et il faut s'en féliciter - elle ne justifie pas encore que la
France renonce à la clause de sauvegarde qui lui permet de maintenir les
contrôles à ses frontières nord.
M. Robert Pagès.
Très bien !
M. Nicolas About,
rapporteur.
Tel est le contexte général dans lequel il convient
d'apprécier les accords d'adhésion de la Grèce et de l'Autriche.
Si le dispositif des deux accords apparaît largement commun, la situation de
ces deux pays au regard des « critères » Schengen se présente de manière
contrastée et doit conduire à une mise en oeuvre différenciée de l'adhésion de
l'Autriche et de la Grèce.
Le cas de l'Autriche se présente plutôt favorablement et s'il importe de
souligner les risques possibles que soulève cette adhésion, il faut aussi tenir
compte des efforts accomplis par ce pays - vous les avez évoqués tout à
l'heure, monsieur le ministre - pour répondre aux exigences posées par l'accord
de Schengen.
Quels sont ces risques ?
La surveillance de la frontière autrichienne constitue une véritable gageure :
avec près de 1 300 kilomètres, elle représentera la plus longue frontière
terrestre de l'espace Schengen, elle met l'Autriche au contact d'une zone qui
lui est historiquement liée - l'Europe centrale et orientale - mais à partir de
laquelle s'exercera une réelle pression migratoire.
L'Allemagne, consciente des risques de l'intégration de l'Autriche à l'espace
Schengen, a pris un ensemble de dispositions pour organiser une suppression par
étapes des contrôles aux frontières entre la Bavière et l'Autriche et pour
renforcer la coopération bilatérale dans le domaine de la police. A cette fin,
l'Allemagne et l'Autriche ont signé un accord informel en juillet 1997 à
Innsbruck et mis en place un groupe d'experts pour mieux coordonner leurs
forces. Il est à noter que l'Italie - mais pas la France à l'époque - a été
associée à cet accord : l'Allemagne craignait, en effet, les conséquences de la
mise en vigueur effective de l'accord de Schengen en Italie, prévue avant la
fin de l'année.
Même si la France n'a pas de frontières communes avec l'Autriche, elle ne peut
tenir pour négligeable le risque soulevé par l'immigration clandestine en
Autriche. En effet, du fait de la concomitance de l'application de l'accord de
Schengen en Autriche et en Italie, ces deux pays peuvent constituer les étapes
successives de filières clandestines dont la France serait l'aboutissement. Il
est donc indispensable que, parallèlement à la mise en application de l'accord
de Schengen en Autriche, la France engage une coopération étroite avec l'Italie
pour la surveillance de frontières entre nos deux pays. J'avais fait part de
ces préoccupations au ministre des affaires étrangères, qui m'avait informé que
la France signerait avec l'Italie un accord de coopération policière et
douanière, d'une part, et un accord de réadmission, d'autre part, lors du
sommet franco-italien à Chambéry, les 2 et 3 octobre dernier. En outre, M.
Védrine avait précisé, devant notre commission, que la France participait
depuis le 1er septembre au groupe d'experts institué par l'Allemagne,
l'Autriche et l'Italie.
En ce qui concerne la Grèce, ma position est naturellement plus réservée.
Ce pays, plus que l'Autriche encore, doit surmonter les handicaps d'une
géographie délicate. Je rappellerai d'abord la longueur de ses côtes - plus de
1 600 kilomètres - et la difficulté soulevée par la surveillance de quelque 3
000 îles. En outre, la Grèce a des frontières communes avec la Turquie et
l'Albanie, deux pays sensibles pour le trafic illégal de stupéfiants mais aussi
pour les mouvements migratoires clandestins.
Toutefois, il faut reconnaître que la Grèce a engagé un effort réel, d'une
part, pour adapter sa législation, notamment en matière d'immigration et de
droit d'asile, et, d'autre part, pour renforcer les moyens de contrôle aux
frontières. Une commission d'évaluation de contrôle Schengen, qui s'est rendue
sur place, a pu faire le constat de progrès concrets. L'effort n'est toutefois
pas achevé.
C'est pourquoi, au cours de réunions préparatoires avec des représentants du
Gouvernement de notre pays, j'avais demandé des assurances et obtenu des
engagements de trois ordres : la France observerait à l'égard de la Grèce une
attitude au moins aussi vigilante que l'Allemagne, qui a exprimé de nombreuses
réserves sur la mise en application de l'accord avec la Grèce ; elle ne
donnerait son consentement à la levée des contrôles aux frontières avec la
Grèce que lorsque toutes les conditions fixées par la convention de Schengen
auront été réunies et vérifiées ; enfin, elle n'accepterait pas, en tout état
de cause, une levée des frontières avant un délai minimal d'un an.
Aussi, je ne peux que constater avec satisfaction que le comité exécutif qui
devait se prononcer le 8 octobre dernier sur la situation de l'Autriche et de
la Grèce au regard des conditions posées par la convention de Schengen a
reporté la décision d'une levée éventuelle des contrôles aux frontières avec la
Grèce au deuxième semestre de 1998. Lors de cette même réunion, le comité
exécutif a décidé que la Grèce serait intégrée au système d'information
Schengen et participerait à la politique des visas. Par ces deux biais, il sera
possible de renforcer la coopération policière avec la Grèce sans supporter les
conséquences d'une ouverture des frontières.
Compte tenu des différentes garanties qui nous ont été apportées sur
l'adhésion de la Grèce et de l'Autriche et qui ne doivent en rien nous
dispenser de notre devoir de vigilance, la commission des affaires étrangères,
de la défense et des forces armées vous invite, mes chers collègues, à adopter
les deux présents projets de loi.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Rouvière.
M. André Rouvière.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous
examinons deux projets de loi visant à autoriser l'approbation de l'accord
d'adhésion de la République hellénique et de la République d'Autriche à la
convention d'application de l'accord de Schengen.
Cet accord a été signé le 14 juin 1985 entre l'Allemagne, la Belgique, la
France, le Luxembourg et les Pays-Bas. Il vise à supprimer progressivement les
contrôles aux frontières communes et instaure un régime de libre circulation
des personnes.
La convention d'application de l'accord de Schengen a été signé le 19 juin
1990 par ces cinq Etats. Elle définit les conditions d'application et les
garanties de mise en oeuvre de cette libre circulation.
Cet accord à cinq avait suscité, je le rappelle, de nombreuses craintes,
tenaces, souvent répétées, et qui peuvent se résumer en quelques mots :
augmentation des flux d'immigrants irréguliers, recrudescence du terrorisme et
du trafic de stupéfiants. Heureusement, il n'en a rien été.
L'accord de Schengen se révèle très positif. Tel est notamment le cas en ce
qui concerne la suppression graduelle des frontières communes aux Etats parties
à la convention, le développement des contrôles aux frontières extérieures et
l'échange d'informations et de renseignements entre les Etats membres afin
d'accroître l'efficacité de chaque Etat dans la lutte contre les passages
clandestins aux frontières extérieures. Enfin, Schengen contribue - et ce n'est
pas le moindre de ses aspects positifs - et continuera à contribuer au
renforcement de l'Union européenne au niveau des populations très sensibles à
la libre circulation des personnes.
Une conclusion paraît s'imposer : Schengen n'a pas affaibli la sécurité des
Etats membres ; il l'a même renforcée.
L'élargissement de Schengen à la Grèce et à l'Autriche n'est pas le premier.
En effet, l'Italie, l'Espagne, le Portugal, le Danemark, la Finlande et la
Suède ont fait passer le groupe des cinq au groupe des onze. Aujourd'hui, il
s'agit d'accueillir deux autres Etats : la Grèce et l'Autriche.
Ces deux pays se sont préparés à ce passage. En effet, depuis plusieurs
années, ils manifestent concrètement leur volonté de remplir les conditions
indispensables à l'adhésion à Schengen.
S'agissant de la Grèce, je citerai quelques exemples. Elle a développé ses
services de contrôle aux frontières ; même si ce n'est pas parfait, les progrès
sont indéniables. Elle a procédé à l'harmonisation des dispositions relatives
au droit d'asile. Elle a quasiment achevé la réalisation du système
d'information Schengen. Elle respecte les dispositions de la convention
relative concernant les stupéfiants. Elle est signataire de l'ensemble des
conventions internationales. Des lacunes subsistent encore, notamment dans les
contrôles aéroportuaires.
L'Autriche, quant à elle, a pris toutes les mesures techniques préalables à la
mise en vigueur de la convention, notamment en ce qui concerne le contrôle des
frontières et des aéroports, la délivrance des visas, le traitement des
demandes d'asile et la lutte contre le trafic de stupéfiants. Là non plus, tout
n'est pas parfait, mais les progrès sont éclatants.
Les efforts réalisés par ces deux Etats sont certains et plaident en leur
faveur. Le rejet de ces pays présenterait, à mon sens, plus de risques que leur
admission. En effet, la solidarité européenne leur est indispensable.
De plus, l'article 5 de l'accord de Schengen fait la distinction importante
entre l'entrée en vigueur et la mise en oeuvre des dispositions contenues dans
la convention.
La mise en oeuvre exige que les conditions préalables soient remplies et que
les contrôles aux frontières extérieures soient effectifs. Autrement dit, la
mise en oeuvre n'est donc pas immédiate. Le comité exécutif de Schengen peut
suspendre le processus d'ouverture des frontières si les avancées ne sont pas
jugées significatives.
A ce point de mon exposé, j'indiquerai que nous nous devons d'être à la fois
vigilants - cela a déjà été dit - et accueillants.
Dans ces conditions, le groupe socialiste votera les deux projets de loi
autorisant l'approbation de l'accord d'adhésion de la Grèce et de l'Autriche à
la convention d'application de l'accord de Schengen.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Masson.
M. Paul Masson.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les deux
projets de loi, adoptés par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de
l'accord d'adhésion de la Grèce et de l'Autriche à la convention d'application
de l'accord de Schengen ont été parfaitement analysés par notre excellent
collègue Nicolas About, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de
la défense et des forces armées. Je souscris intégralement, bien sûr, à cette
analyse.
Je voudrais cependant ajouter quelques commentaires personnels à l'occasion de
cette ratification que nous ne saurions classer dans les actes rituels d'une
procédure purement diplomatique sans commettre, me semble-t-il, le plus grave
des contresens. Je pense que M. le président de la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées, qui fut avec moi à la tâche
dans cette affaire, partage mon sentiment à cet égard.
(M. le président de la commission fait un signe d'assentiment.)
Non, l'entrée de l'Autriche et de la Grèce au sein de l'espace Schengen
ne saurait être considérée comme une simple péripétie diplomatique. Derrière
ces procédures un peu solennelles auxquelles les chancelleries nous habituent
existent des facteurs d'inquiétude que nous n'avons pas le droit de taire.
S'agissant de l'Autriche, le rapport analyse parfaitement les conséquences
pour ses voisins immédiats d'une situation géographique particulièrement
exposée aux phénomènes permanents d'une immigration clandestine.
Bientôt responsable de notre frontière extérieure vers l'Est, l'Autriche aura
- n'en doutons pas - fort à faire pour contrôler la route traditionnelle et
historique entre Budapest et Vienne, qui n'est autre que l'artère vitale de
l'ancien empire des Habsbourg. Les échanges sont intenses entre les deux
capitales, et je ne vois pas comment l'autoroute reliant ces deux villes
pourrait être placée sous surveillance efficace par les autorités autrichiennes
en charge d'une nouvelle responsabilité à l'égard de l'Europe.
Monsieur le ministre, je n'ai pas encore trouvé la moindre explication sur les
conditions dans lesquelles la République autrichienne entend assurer ses
nouvelles responsabilités sur la frontière austro-hongroise. Peut-être
pourrez-vous nous rassurer à cet égard ? J'attends que vous nous donniez des
explications techniques précises et non pas que vous vous retranchiez derrière
la doctrine de Schengen, dont je suis imprégné, un peu malgré moi, depuis assez
longtemps.
L'Etat de Bavière, lui, est depuis longtemps parfaitement conscient de cette
situation. Il a pris, surtout depuis deux ans, beaucoup de mesures pratiques
destinées à assurer sa propre protection, en légalisant en profondeur les
contrôles d'identité sur une bande de trente kilomètres en retrait de sa
frontière, ainsi que sur toutes les routes, autoroutes, zones de repos en
relation avec cette circulation transfrontalière. Par conséquent, n'importe
quel policier de Bavière, revêtu de son uniforme, en civil ou en mission
spéciale peut interroger quiconque sur une autoroute de l'ensemble de l'espace
de l'Etat pour lui demander son origine, ses papiers et vérifier si,
effectivement, il ne s'est pas introduit clandestinement sur l'espace de l'Etat
de Bavière. C'est là une protection juridique parfaitement incontestable, tout
à fait en rapport avec le traité, et qui prouve que l'Etat de Bavière est,
quant à lui, parfaitement sensible à cette situation géographique assez
inquiétante.
La législation bavaroise est parfaitement adaptée à cette surveillance en
profondeur et permettra aux autorités allemandes, je crois, de répondre
immédiatement aux exigences de sécurité que cette adhésion impose.
C'est d'ailleurs pourquoi les Allemands se sont inquiétés tout de suite de ce
que l'adhésion de l'Autriche risquait d'entraîner à la fois comme compléments
et comme menaces. Ils ont négocié à Innsbruck, le 17 juillet dernier, un
arrangement avec l'Autriche, dans le cadre de ses accords bilatéraux, qui sont
le complément indispensable du traité de Schengen, et que l'on a, je crois, un
peu trop longtemps négligés. Ils se sont ainsi clairement entendus avec les
Autrichiens sur les conditions communes d'une suppression progressive des
contrôles aux frontières. Cet accord implique également une coopération avec
les Italiens, qui y sont associés. La suppression du contrôle - vous l'avez
dit, monsieur le rapporteur, et je n'y reviens donc pas - se fera par étapes
échelonnées jusqu'au 1er avril 1998.
Au comité exécutif de Vienne du 7 octobre dernier, ce protocole a été
entériné. Les projets de décisions, tels qu'ils ressortent des travaux du
groupe central du 16 septembre, ont été approuvés, avec deux modifications
renforçant encore cette position : la levée des contrôles européens
n'interviendra que le 26 octobre, là où cela se révélera techniquement possible
et non pas systématiquement.
Pendant plusieurs mois, la France était absente de ces négociations et de ces
arrangements alors que, à l'évidence, notre pays est directement concerné par
ces mesures arrêtées sur ces frontières très proches.
J'ai récemment eu l'occasion d'attirer l'attention du Gouvernement sur les
incidences de ces arrangements pour la France. Il était urgent que nous nous
manifestions. M. le ministre de l'intérieur m'a récemment précisé qu'un
protocole a été signé avec l'Italie, lors du sommet franco-italien des 2 et 3
octobre 1997 - vous en avez fait état, monsieur le rapporteur - avec un accord
de coopération policière et douanière et un autre accord de réadmission des
entrées illégales sur le territoire de l'une ou l'autre partie. Je m'en
réjouis. Encore faudrait-il, monsieur le ministre, que les assemblées soient
informées du contenu de ces accords. Je pense que vous saurez communiquer à
leurs membres, en temps voulu, les dispositions techniques qu'il contient.
Il est bien que, depuis le 1er septembre, la France ait rejoint le groupe
d'experts institué par l'Allemagne, par l'Autriche et par l'Italie. Ainsi, nous
ne serons pas absents de ce groupe dont la tâche, dans les prochains mois, sera
de vérifier très exactement les conditions dans lesquelles se développent les
nouvelles modalités de contrôle dans un endroit stratégique pour l'Europe,
comme tout le monde le sait depuis longtemps.
Les choses sont beaucoup moins simples - vous l'avez dit, monsieur le
rapporteur - avec la Grèce, dont l'adhésion comporte un grand nombre de
risques. Sans doute nos liens traditionnellement amicaux avec ce pays nous
ont-ils conduits à gommer les difficultés que ne manquerait pas de rencontrer
la Grèce pour une application loyale et ferme des accords, dans toutes leurs
modalités et leurs contraintes. A cet égard, nous sommes un peu prisonniers de
l'histoire et de la tradition, lesquelles nous poussent, il est vrai, à être
toujours en situation diplomatique confortable à l'égard de la Grèce. Nous ne
devons en effet pas faire de peine à nos amis grecs.
Je me demande cependant si notre diplomatie a toujours mesuré l'ampleur des
risques que nous partageons avec l'Europe à cet égard.
S'agissant de sécurité, il convient de s'interroger sur l'opportunité d'une
telle adhésion. Nos partenaires l'ont parfaitement senti : ils ont fait valoir
avec force, au cours de la dernière réunion du comité exécutif, le 7 octobre
dernier, les difficultés d'une mise en vigueur de la convention d'application
dans les délais initialement prévus. L'attitude de l'Allemagne a été très ferme
pour ne pas dire intransigeante à l'égard de la Grèce. Quant aux Pays-Bas, ils
étaient particulièrement hostiles : les Néerlandais ont clairement expliqué
qu'ils ne voulaient pas envisager de mettre en oeuvre une partie de la
convention avant que la totalité des conditions permettant sa mise en oeuvre
intégrale soit remplie.
Seule l'insistance de la France a permis de déboucher sur un compromis que
l'on peut qualifier d'incertain. Le comité exécutif a bien accepté le principe
de la mise en vigueur de la commission d'application dans les délais retenus
initialement, mais cette décision - vous l'avez dit, monsieur le rapporteur -
devra être confirmée dans un délai de deux mois par une décision définitive.
Par conséquent, rien n'est encore irrémédiable. Pour la première fois, une
nouvelle lecture va avoir lieu en application de l'article 132, paragraphe 3,
de la convention, à la demande des Pays-Bas.
Pour bien marquer le caractère résolument hostile des Néerlandais, une
procédure écrite sera engagée, et elle devra être achevée avant le 1er
décembre. Les Néerlandais font donc, comme ils savent le faire à certains
moments, de la procédure !
Enfin, l'Allemagne a demandé expressément, lors de ce même comité exécutif,
que la mise en vigueur de la convention avec la Grèce ne soit opposable à
l'Allemagne que pour autant qu'elle sera conforme à son droit national.
Par conséquent - il faut bien le dire - les choses ne se sont pas bien passées
à Vienne, même si, diplomatiquement, nous pouvons nous estimer satisfaits.
Aucune date n'est fixée en ce qui concerne la levée des contrôles aux
frontières. Le comité exécutif devra encore se prononcer lors de sa dernière
réunion de 1998 - on renvoie donc à un an - considérant que, en Grèce, les
équipements techniques performants ne sont pas à la mesure des difficultés
rencontrées.
Enfin et surtout - faut-il le dire une fois encore ? - les contrôles des
frontières extérieures avec la Turquie ne font l'objet d'aucun arrangement avec
Ankara. Les Turcs refusent de réadmettre les étrangers refoulés dont il est
prouvé qu'ils proviennent de leur territoire. Or c'est capital.
Nous savons que la ratification d'un traité n'engage pas automatiquement la
mise en vigueur de ses dispositions. Il demeure que la France ne peut
s'autoriser à cet égard aucun laxisme. Notre pays souffre déjà d'une importante
clandestinité dont les effets sont pernicieux à tous égards.
Chez nous, l'ouverture sur le flanc européen du Sud-Est d'une nouvelle zone à
risques doit être suivie avec la plus grande attention.
Par tradition, mais aussi, peut-être, par facilité, toute les négociations sur
Schengen qui ont commencé en 1985 ont été conduites, chez nous, par le
ministère des affaires étrangères. Il ne me paraît pas normal que ces
négociations, essentiellement techniques, menées dans le silence des comités et
des commissions en dehors de tout contrôle politique, soient placées sous la
seule responsabilité du ministère des affaires étrangères.
M. Charles Pasqua.
Très bien !
M. Paul Masson.
Depuis longtemps, nos partenaires ont compris que ces affaires de sécurité, à
travers la libre circulation aux frontières, n'étaient pas uniquement des
affaires diplomatiques. Les ministres de l'intérieur des Etats membres sont
souvent les représentants des gouvernements au sein des comités exécutifs.
Parmi les grands Etats, seule la France fait exception. J'ai à de nombreuses
reprises insisté pour que la France confie ces dossiers au ministère chargé de
la responsabilité de la sécurité intérieure et du contrôle des frontières.
J'écrivais, dans le rapport que j'ai présenté à M. Juppé, en janvier 1996, que
« notre organisation gouvernementale est inadaptée aux conventions du traité,
car la gestion de la politique européenne de sécurité est calquée sur celle
mise en oeuvre pour les questions européennes ».
Je précisais que, « en France, le pivot de l'organisation est le secrétaire
général du comité interministériel pour les questions économiques européennes,
avec l'aide d'un préfet coordonnateur » - il vous faudra d'ailleurs le
remplacer, monsieur le ministre - « qui cherche un équilibre permanent entre
les points de vue divergents des services ».
Je rappelais que « la délégation française, chargée de ces problèmes, est
enclavée au sein d'une quarantaine de groupes de négociations et concerne
l'activité de vingt-trois directions ou offices centraux qui sont plus ou moins
concernés et qui relèvent de sept ministères, de l'intérieur, de la justice, du
travail, du budget, des armées et, bien entendu, des affaires étrangères ».
Manifestement, les problèmes sont, le plus souvent, abordés sous l'angle
technique et avec des objectifs essentiellement diplomatiques. Jamais une
stratégie politique n'est exprimée.
Il manque clairement aux gouvernements - aux gouvernements en général, pas au
vôtre spécifiquement, monsieur le ministre - un échelon de conception en faveur
de la politique de sécurité européenne de notre pays.
Cette absence de politique de sécurité a des conséquences parfois
spectaculaires. C'est ainsi qu'un programme de coopération entre les polices
allemande et française, définissant la coopération sur le Rhin, attend une
signature depuis quatorze ans. Personne n'ignore, cependant, l'importance des
trafics illicites qui existent sur cette voie navigable à grand gabarit qui
relie la mer du Nord et la mer Noire.
Plus proche de nous, la coopération franco-belge attend depuis deux ans
maintenant sa finalisation. On pouvait penser que l'échange de lettres,
effectué le 16 mars 1995, entre les deux ministères de l'intérieur nous
conduirait à cette coopération transfrontalière indispensable à la sécurité de
nos populations du Nord. Depuis, nous en sommes au point mort.
A l'évidence, me semble-t-il, le dossier de la sécurité intérieure devrait
être confié aussi au ministère de l'intérieur, avec, bien sûr, la création
d'une direction des affaires européennes de plein exercice. M. Barnier,
aujourd'hui notre collègue, me semblait l'avoir compris lorsqu'il répondait au
Sénat, le 26 mars 1996 : « Le Gouvernement a également décidé de confier au
ministre de l'intérieur le suivi du dossier de Schengen. Ce transfert, que
j'avais moi-même préconisé dès cet automne, interviendra à la fin de la
conférence intergouvernementale. Ce délai est simplement celui du passage de la
convention d'une phase de négociation qui n'est pas terminée à une phase qui
sera celle de la gestion courante. D'ailleurs, dans d'autres pays partenaires
de la France, ce sont bien les ministres de l'intérieur qui suivent le dossier
».
La conférence intergouvernementale est achevée depuis cinq mois, le traité
d'Amsterdam est signé. Le nouveau gouvernement entend-il donner suite à cette
réforme, à mes yeux fondamentale, qui consiste à confier les affaires de
sécurité européennes au ministère de l'intérieur, seul responsable de la
sécurité intérieure sur le territoire de la République ?
M. Charles Pasqua.
Bonne question !
M. Paul Masson.
Enfin, je reviendrai ici sur les très médiocres résultats que nous obtenons, à
travers Schengen, sur le trafic illicite des drogues douces ou dures.
On commence à le savoir, les Pays-Bas ne respectent pas les engagements qu'ils
ont pris. Notre collègue M. About rappelle, dans son rapport, ces engagements
néerlandais, notamment au regard de l'article 71-2, qui dispose : « Les parties
contractantes s'engagent à prévenir et réprimer, par des mesures
administratives et pénales, l'exportation illicite de stupéfiants, y compris le
cannabis. » Or c'est, je crois, une drogue douce !
Malgré l'intervention personnelle de M. le Président de la République, malgré
l'insistance des gouvernements français successifs, rien ne s'est, aujourd'hui,
amélioré, sauf que les Néerlandais, soucieux de leur crédibilité internationale
et préoccupés de l'incidence de cette situation sur leur propre opinion
publique, ont annoncé, à travers un livre blanc et dans plusieurs débats, leur
intention d'être moins permissifs sur ce dossier.
Force est de constater que, dans les faits, et malgré une volonté de
coopération bilatérale accentuée, les saisies de drogue à la frontière
franco-belge croissent chaque année, que 80 % des saisies effectuées en 1996
concernent des produits venant des Pays-Bas et que le tourisme de la drogue,
dans les villes du Nord et en région parisienne, n'a en rien diminué. Un seul
chiffre, d'ailleurs, montrerait, s'il en était besoin, monsieur le ministre,
que le gouvernement néerlandais n'est pas pressé de supprimer les
coffee
shop.
Les taxes versées chaque année au Trésor public néerlandais par les
tenanciers de
coffee shop
représentent une somme supérieure à la
totalité de l'impôt sur la fortune perçu en France !
Dans ces conditions, il me paraît particulièrement fondé de maintenir sur la
frontière franco-belge un dispositif policier et douanier susceptible de
dissuader les fraudeurs, en application de l'article 22 de la convention de
Schengen.
Je suis, à cet égard, reconnaissant à M. le ministre de l'intérieur d'avoir
maintenu cette disposition d'exception, malgré, dit-on, certaines réticences du
Quai d'Orsay et au grand dam des tenants de l'orthodoxie en matière de
circulation des personnes aux frontières intérieures.
Il demeure que cet état de fait n'est pas satisfaisant. Autant une mesure
d'exception se justifie quand elle est temporaire et qu'elle répond à une
situation nouvelle, autant ses effets deviennent, à la longue, pernicieux pour
l'esprit même du traité lorsqu'elles se prolongent au-delà d'un délai
raisonnable.
Ne serait-il pas plus opportun de saisir nos partenaires de la situation créée
par les Pays-Bas et de faire jouer une autre disposition du traité de Schengen
- c'est une mine, ce traité, monsieur le ministre ! - qui permet à toutes les
parties contactantes - et l'Autriche est maintenant partie prenante - de
prendre les mesures administratives et pénales nécessaires pour éviter
l'exportation illicite de la drogue lorsqu'une des parties contractantes, en
l'espèce les Pays-Bas déroge au principe visé à l'article 71-2 dans le cadre de
sa politique nationale propre ?
Reconnaissez que les négociateurs, à cet égard, avaient été prudents : ils
avaient prévu le coup, et tous ont signé. Engageons-nous donc dans cette
procédure puisque cette possibilité nous est offerte par la disposition finale
annexée au traité et contenue dans l'accord ratifié par tous en 1990 !
Enfin - pardonnez-moi d'être long, monsieur le ministre, et de me situer
peut-être en marge de la ratification du traité, mais, pour une fois que l'on
en parle, laissez ma verve s'exprimer à travers ce que je finis par tant
posséder que j'en rêve la nuit -...
M. Christian de La Malène.
Très bien !
(Sourires.)
M. Paul Masson.
... enfin, dis-je, un dernier point doit être souligné : par le biais d'un
protocole annexé au traité d'Amsterdam, les acquis de Schengen sont intégrés
dans le dispositif communautaire.
Tant que le traité d'Amsterdam ne sera pas ratifié, l'ensemble du dispositif
de Schengen continuera à être géré par le comité exécutif, voilà qui est clair.
Dès la ratification - cela devient moins clair - les membres du comité exécutif
seront remplacés par les membres du Conseil de l'Union européenne, nombre par
nombre, et je vous remercie, monsieur le ministre, des explications longues et
pertinentes que vous avez bien voulu me donner à cet égard en réponse à la
question écrite que je vous avais posée.
Dans cette réponse, vous précisiez que le Conseil déterminera, à l'unanimité
des membres concernés, la base juridique pour chacune des dispositions ou
décisions constituant l'acquis de Schengen, et vous ajoutiez : « La Cour de
justice exercera, sur ces dispositions ou décisions, les compétences que lui
confère le traité, en fonction de la base juridique retenue. »
J'aimerais que vous puissiez me préciser cette notion de « base juridique
retenue ». Cela veut-il dire, comme je l'interprète, que le Conseil aura toute
latitude pour déterminer, dans le cadre du traité, des dispositions ou des
décisions qui ne seraient plus fondées sur le titre VI du traité et qui
entraîneraient, dès lors, par une simple décision prise à l'unanimité du
Conseil, l'intervention de la Commission, de la Cour de justice et du Parlement
européen ?
Ainsi, si mon interprétation est exacte, le Conseil de l'Union européenne
pourrait introduire, dans un traité approuvé par le Parlement, une modification
essentielle du dispositif juridique ratifié, et ce par une simple décision à
l'unanimité, sans que le Parlement puisse à nouveau être concerné.
Il y aurait, alors - vous me l'accorderez, monsieur le ministre - une
interprétation abusive de la décision du Conseil constitutionnel au sujet de la
constitutionnalité de Schengen. Cette décision a été prise à partir d'un texte
définitif que le Parlement a ensuite ratifié. Le débat fut - je me le rappelle
bien - difficile, et je vous dis aujourd'hui clairement que je n'aurais
peut-être pas voté la ratification si j'avais imaginé qu'un nouveau dispositif,
introduit dans le traité d'Amsterdam, pouvait subrepticement faire glisser une
partie de notre droit interne sous le contrôle d'une cour supranationale.
A mon sens, ce transfert de souveraineté déguisé serait anticonstitutionnel.
En tout cas, une vérification me paraîtrait devoir s'imposer avant que les
nouvelles procédures soient engagées. Nous serons quelques-uns à y veiller, ici
et ailleurs.
J'aimerais donc, monsieur le ministre, que, sur ce point, vous puissiez me
répondre d'une façon explicite : en déterminant la base juridique des décisions
qu'il prendra, le Conseil peut-il sortir de l'acquis de Schengen qui relève des
seuls arrangements inter-Etats ?
Enfin, s'agissant des compétences du Parlement européen, de la Cour de justice
et de la Commission, j'ai bien compris que les institutions communautaires
n'auront aucune compétence sur le comité exécutif tant que celui-ci ne sera pas
remplacé par le Conseil.
Passée cette date, me dites-vous, les nouvelles compétences issues du traité
d'Amsterdam s'appliqueront au traité. Si je comprends bien, ces deux
considérations me paraissent contradictoires.
D'une part, vous me dites que le Conseil évalue la base juridique des
décisions qu'il prend. Il peut donc considérer que certaines bases juridiques
se réfèrent au traité de Schengen !
D'autre part, vous me dites que les nouvelles compétences du Parlement, de la
Commission et de la Cour s'appliquent en tout état de cause.
Je ne comprends plus ! Mais sans doute allez-vous nous apporter quelques
explications à ce sujet.
Est-ce à dire que les choix du Conseil ne s'imposeraient ni à la Commission ni
à la Cour ?
Il m'apparaît enfin que, sur ce point, le traité d'Amsterdam conduit à un
empiètement sur les conditions essentielles de la souveraineté nationale. Comme
le fait ressortir notre excellent collègue Christian de La Malène, dans un
rapport qu'il a présenté devant la délégation du Sénat pour l'Union européenne
voilà peu, le traité d'Amsterdam modifie de manière notable les compétences
communautaires en matière de libre circulation des personnes.
Dans sa décision du 9 avril 1992, le Conseil constitutionnel rappelle que les
conditions essentielles de la souveraineté nationale sont affectées dès lors
qu'il y a abandon de la règle de l'unanimité. Or il apparaît que de nombreuses
dispositions pourront être arrêtées sans que l'unanimité soit requise puisque,
selon le traité et après la première période de cinq ans, le Conseil peut
décider d'abandonner la règle de l'unanimité pour tout ou partie des mesures
relevant du troisième pilier.
Sans doute, pour passer de l'unanimité à la majorité, faut-il qu'il y ait
unanimité. Certes ! Mais un gouvernement français peut-il décider seul de
renoncer à l'unanimité dans un domaine où les délégations de souveraineté,
strictement énumérées et limitées, ont été introduites en 1992 dans une
révision constitutionnelle ? J'en doute personnellement. Le seul pouvoir
exécutif - pas plus que le pouvoir législatif, d'ailleurs - ne dispose pas de
la compétence qui lui permettrait de décider, au nom du pays, d'abandonner
cette unanimité, c'est-à-dire d'abandonner une partie de l'exercice de la
souveraineté nationale.
En vertu de la décision du Conseil constitutionnel d'avril 1992 - M. de La
Malène l'a exposé très clairement - le Gouvernement a été autorisé à consentir
les transferts de compétences nécessaires à la détermination des règles
relatives au fonctionnement des frontières extérieures des Etats membres. Aucun
autre transfert de compétences n'a été autorisé par la révision
constitutionnelle de 1992, et certainement pas le droit pour un gouvernement de
pouvoir passer, sans nouvelle révision constitutionnelle, de l'état d'unanimité
à l'état de majorité.
Telles sont, monsieur le ministre, les observations que m'inspire la procédure
de ratification engagée à propos de l'Autriche et de la Grèce. J'ai, c'est
vrai, largement débordé du sujet, mais je me sentais tenu d'inventorier les
problèmes diplomatiques, juridiques et politiques que pose l'extension de ce
système.
Je pense que le Parlement, et singulièrement le Sénat, doit saisir toutes les
opportunités pour évoquer un débat dont, vous le sentez bien, les répercussions
au sein même de l'opinion publique risqueraient d'être fortes si nos
compatriotes avaient le sentiment qu'en cette matière les choses ne se sont pas
déroulées dans la plus parfaite clarté.
Encore une fois, l'Europe sera objet de méfiance pour une grande majorité de
Français si nos gouvernements n'arrivent pas à sortir de ces débats de
spécialistes - nous en avons encore un exemple aujourd'hui - dont les échos
sont nuls dans l'opinion.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après
l'excellent rapport de Nicolas About et les interventions particulièrement
documentées des orateurs qui m'ont précédé, notamment celle de notre collègue
Paul Masson, j'aurais mauvaise grâce à revenir sur le fond du débat. Tout ou
presque a été dit et l'a été très clairement.
Mon propos aura donc essentiellement pour objet de saluer l'engagement
européen de la République d'Autriche, engagement qui n'était pas évident voilà
encore à peine une dizaine d'années, mais qui est manifesté de manière
éclatante par cette adhésion à l'espace Schengen.
Le 4 mars dernier, le président du Sénat, M. Monory, recevait le docteur
Herbert Schambeck, président du Bundesrat autrichien.
Le lendemain et le surlendemain, notre groupe d'amitié France-Autriche, à la
présidence duquel j'ai eu l'honneur de succéder à notre président de séance
Paul Girod, accueillait une délégation de parlementaires autrichiens.
Le président Schambeck puis nos collègues parlementaires ne cachaient pas,
alors, leur attachement à voir leur pays adhérer à la convention d'application
de l'accord de Schengen. Ils le faisaient avec force, en confirmant qu'ils
mesuraient parfaitement tous les enjeux de cette adhésion, pour leur pays comme
pour l'Union européenne.
Malgré d'évidentes difficultés - l'Autriche, on l'a rappelé, est en effet un
pays disposant d'une frontière extérieure de plus de 1 000 kilomètres avec les
pays d'Europe centrale et orientale, notamment la Tchéquie, la Hongrie et la
Slovénie - nous ne pouvions donc plus ignorer les efforts importants engagés
dans ce domaine par le gouvernement de Vienne.
Nous avions d'ailleurs eu l'occasion de pousser très loin la réflexion sur ce
sujet avec nos collègues autrichiens, lors de leur visite, à l'occasion d'une
réunion de travail que le ministre de l'intérieur de l'époque, Jean-Louis
Debré, avait tenu à présider lui-même. Les risques évoqués par notre rapporteur
tout à l'heure ont pu, en particulier, à cette occasion, être largement et
sérieusement examinés.
Toujours comme président de notre groupe d'amitié France-Autriche, j'ai eu
ensuite le privilège d'assister personnellement à un entretien au cours duquel
le chancelier Klima, en visite officielle à Paris, insista personnellement
auprès du Président de la République, Jacques Chirac, pour marquer l'importance
de cette adhésion pour l'Autriche et pour demander que la France rapidement
ratifie cet accord.
Je me suis donc très naturellement permis d'insister, dans le courant de
l'été, pour que ce texte puisse être inscrit dès le mois d'octobre à notre
ordre du jour, pourtant très chargé. Je suis heureux que ce soit le cas,
monsieur le ministre.
Avec cette adhésion, les Autrichiens montrent en effet combien ils sont
désormais engagés, avec nous et comme nous, dans la construction européenne.
Ils le sont dans tous les domaines, même les plus sensibles, en assumant toutes
les responsabilités que cela implique.
Je saisis l'occasion qui m'est donnée pour saluer le caractère exemplaire des
efforts fournis par l'Autriche dans un autre domaine, également important,
celui de l'économie. Ces efforts portent également leurs fruits. L'Autriche
sera en effet très vraisemblablement un membre de la première heure de l'Union
économique et monétaire.
Revenant au texte de ce jour et avant de conclure j'ajouterai simplement qu'il
me paraît bon que l'Autriche et l'Italie rejoignent l'une et l'autre Schengen.
Cette coïncidence est heureuse pour l'Autriche, elle était même nécessaire.
Elle l'est du point de vue général des relations qui unissent l'Autriche et
l'Italie, comme du simple point de vue de l'efficacité de l'accord de Schengen
lui-même. Elle était, en fait, indispensable.
Nous avons donc toutes les raisons de voter le projet de loi qui donne notre
accord à l'adhésion de la République d'Autriche à l'espace Schengen.
Nous devons surtout, au-delà de cette approbation, nous féliciter de cette
adhésion, laquelle marque une étape significative de la construction
européenne, d'une construction que l'Autriche et la France entendent poursuivre
ensemble avec la même rigueur et la même passion.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
(M. Jacques Valade remplace M. Paul Girod au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen des
projets de loi autorisant l'approbation des accords d'adhésion de la Grèce et
de l'Autriche à l'accord de Schengen nous a obligés, avant d'aller plus loin, à
voir comment cet accord avait été appliqué et quelles en avaient été les
conséquences depuis la première signature entre la France, l'Allemagne et le
Benelux, le 14 juin 1985, et, plus récemment, la convention d'application du 19
juin 1990.
Ce bilan vient d'être excellemment dressé d'abord par vous-même, monsieur le
ministre, bien que vous m'ayez paru parfois un peu optimiste, puis par notre
rapporteur, M. Nicolas About, de façon plus contrastée, et, à l'instant, par
MM. Rouvière, Badré et, bien entendu, Paul Masson.
Le long exposé de M. Masson nous dispense, à vrai dire, de revenir sur nombre
de questions ; je l'en félicite et l'en remercie.
Pour ma part, je rappellerai simplement que c'est à une large majorité que le
Sénat a toujours ratifié les textes portant sur Schengen. Mais il l'a toujours
fait en émettant quelques réserves, notamment sur un point qui me paraît
d'importance.
Si nous étions d'accord pour nous bâtir un nouveau logis et faire totalement
confiance à nos partenaires, à nos voisins, en laissant pour eux nos portes
ouvertes, nous souhaitions vivement, en même temps, que les grandes portes sur
l'extérieur soient verrouillées, parce que, bien entendu, dans ce logis,
regardé avec envie par l'étranger, toutes sortes de gens qui n'y avaient pas
droit, au moins pour le moment, cherchaient à y entrer.
C'est là un point essentiel : à l'ouverture des portes intérieures devait
correspondre une plus grande surveillance des accès extérieurs. Or, cela n'a
pas été fait, du moins pas comme il aurait fallu.
Bien au contraire, à la hâte mise à abattre toutes ces frontières intérieures
a trop souvent correspondu une extrême lenteur, voire un certain laxisme, dans
la construction des barrières, des gardes pour l'extérieur. D'où nombre de
difficultés que nous rencontrons aujourd'hui.
Au moment de l'adhésion de l'Italie, en juin 1991, j'avais moi-même pris la
parole sur ce point précis, en montrant à quel point les frontières de l'Italie
- mais il y en a d'autres ! - étaient de véritables passoires.
A l'instant où nous parlons de l'adhésion de l'Autriche, qui a une longue
frontière commune avec l'Italie, je rappelle, après M. le rapporteur et M.
Masson, que l'Italie nous a promis, notamment lors des entretiens récents de
Chambéry, de faire en sorte que la frontière entre elle-même et l'Autriche soit
spécialement surveillée.
Tout a été dit sur les progrès faits en matière de libre circulation des
personnes. Cette liberté est juridiquement reconnue depuis le traité de Rome ;
mais M. de La Malène, dans son rapport sur le traité d'Amsterdam, voilà
seulement une quinzaine de jours, nous a rappelé que ce droit pouvait néanmoins
avoir des conséquences sérieuses.
L'harmonisation des visas n'est pas si au point qu'on le dit. Ce n'est pas
encore fait. Pour ce qui est de la mise en place du système d'information
Schengen, le SIS, on a fait des progrès, mais certains pays n'ont pas les
moyens de l'utiliser, ne serait-ce que parce qu'ils ne disposent pas du
matériel informatique nécessaire.
A ce propos, je traiterai de l'autorité de contrôle commune, l'ACC, qui a été
mise en place en application de l'article 115 de la convention et que préside
notre excellent collègue Alex Türk.
M. Türk a constaté qu'il existait une grande hétérogénéité des fichiers
nationaux de police entre la France et le Luxembourg, d'une part, et les autres
pays, d'autre part. Il a également relevé une insuffisance totale des mesures
techniques pour garantir la sécurité des fichiers de Schengen, une ouverture
excessive de l'accès au système d'information Schengen et une grande
incertitude dans la gestion et le transport des supports magnétiques. Il faut
perfectionner tout cela.
Reste un problème immense, celui de la drogue. M. Masson a rappelé que, aux
termes de l'article 71-2 de la convention, des dispositions ont été signées par
les Pays-Bas pour empêcher l'exportation illicite des stupéfiants et,
notamment, pour arrêter la culture du canabis et son introduction en Europe.
Malheureusement, les mesures prises à cet égard restent très insuffisantes.
Aussi, la France a été obligée de renforcer la surveillance de sa frontière
avec la Belgique et d'utiliser très judicieusement la clause de sauvegarde
prévue à l'article 2, paragraphe 2, de la convention.
Sont également prévues des mesures pour répondre à la menace que constitue le
terrorisme. En ce moment, ces mesures demeurent latentes ; elles n'ont pas à
être mises en exécution de manière particulièrement rigide, elles constituent
une précaution permanente et nécessaire. A cet égard, il ne faut certainement
pas baisser la garde.
Alors, que conclure ? Tout d'abord que l'adhésion de l'Autriche est une
adhésion à risque, c'est vrai ; l'Autriche a 1 200 kilomètres de frontières
tous azimuts en plein centre de l'Europe. Dans son rapport, M. About note que
tous les jours passent au poste frontière de Niekelsdorf, entre Budapest et
Vienne, cinq cents camions lourdement chargés, quelquefois avec des clandestins
à l'intérieur ; on en découvre quasiment chaque semaine. La Bavière a pris des
précautions que M. Masson nous a signalées, et notre rapporteur a dit qu'il
fallait veiller à la frontière avec l'Italie.
Mais comment retarder l'adhésion d'un pays comme l'Autriche, avec toute la
richesse culturelle et sociale que représente l'héritage de l'empire des
Habsbourg et cette présence en plein centre de l'Europe ? Il faut certainement
l'accueillir, en lui recommandant la vigilance.
Quant à la Grèce, que peut-elle faire avec ses 3 000 îles qui font comme des
passerelles à travers la mer Egée ? Pour venir de Turquie, on pourrait presque,
en certains endroits, pratiquement passer à la nage !
Comment assurer la surveillance d'une telle frontière ? Au-delà de la Turquie
se trouvent tous les pays du sud de l'ex-Union soviétique. Des milliers
d'hommes voudraient aller en Europe, par tous les moyens. C'est là un fait dont
il faut avoir conscience.
M. Emmanuel Hamel.
C'est aberrant !
M. Jacques Habert.
Je comprends votre réaction, monsieur Hamel.
Néanmoins, là encore, comment trop retarder l'adhésion d'une nation qui est le
berceau de notre civilisation occidentale ?
C'est cependant à juste titre qu'il est suggéré d'attendre au moins un an pour
y voir plus clair avant que l'accord ne soit mis à exécution.
L'adhésion de la Grèce, malgré toute la sympathie que nous avons pour ce pays,
est en effet une adhésion à haut risque. Dès lors, il faut se hâter, puisque
ces peuples amis sont impatients, mais il faut se hâter lentement.
Veillons à ce que ce soit uniquement le jour venu que les accords que nous
allons voter, et qui autoriseront l'adhésion de l'Autriche et de la Grèce à
l'accord de Schengen, seront mis à exécution. Et il faudra le faire dans un
esprit d'amitié, mais avec toutes les précautions nécessaires pour que notre
Europe reste ce que nous souhaitons qu'elle soit.
(Applaudissements sur les travées du RPR)
M. le président.
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre groupe
a eu plusieurs fois l'occasion de faire part de son opposition aux accords de
Schengen.
Il ne nous semble toutefois pas opportun de nous opposer ici à des projets de
loi qui se limitent à l'approbation de l'accord d'adhésion de deux États, la
République hellénique et la République d'Autriche, à la convention
d'application de ces accords. Cela pourrait en effet être interprété simplement
comme une attitude négative à l'égard de ces pays. Tel n'est pas notre
objectif.
Nous tenons cependant, par notre abstention, à réaffirmer notre désaccord de
principe sur Schengen dans son ensemble.
Les accords de Schengen affirment la liberté de circulation pour les
ressortissants de la Communauté à l'intérieur de l'espace Schengen. Mais,
parallèlement, les dispositions s'accompagnent d'un renforcement des contrôles
basés sur des logiques contestables, favorisant notamment les discours
sécuritaires et les législations discriminatoires.
On aboutit, de fait, à une certaine conception des contrôles qui conduit
inévitablement à une construction européenne repliée sur elle-même et
inefficace.
La volonté manifeste d'associer dans un même corpus terrorisme, trafic de
drogue, libre circulation, trafic d'armes, asile et immigration ne fait que
renforcer cette tendance.
Par ailleurs, il apparaît de plus en plus évident que Schengen entraîne une
perte de contrôle démocratique et qu'il existe un manque de transparence sur
les mesures de sécurité dites « compensatoires ». De quelles informations
disposons-nous sur leur mise en application, sur les moyens utilisés, sur leur
efficacité, et sur leur coût réel ?
Je tiens également à réaffirmer nos doutes et nos inquiétudes sur la menace
que font peser certaines mesures sur les libertés individuelles, en particulier
le système d'information Schengen, qui s'avère par ailleurs globalement coûteux
et peu efficace au regard des objectifs initiaux. Un rapport de la cour des
comptes néerlandaise concernant le SIS révèle, par exemple, plusieurs éléments
qui confortent l'idée que son rôle effectif s'apparente plus à celui d'une «
super police » d'immigration qu'à un instrument de lutte contre le crime en
général.
M. Nicolas About,
rapporteur.
Cela sert à cela !
M. Robert Pagès.
Ainsi, sur les 2 620 personnes « rentrées » dans le SIS néerlandais en 1995,
2051 ont été fournies par l'organisme qui fait en quelque sorte office de
police de l'immigration aux Pays-Bas.
M. Nicolas About,
rapporteur.
Cela sert à cela !
M. Robert Pagès.
Même si ces données ne concernent pas directement notre pays, il est évident
que, Schengen étant intergouvernemental, les logiques sont les mêmes pour
l'ensemble des pays.
Enfin, Schengen implique le développement de pouvoirs de police supranationaux
peu et mal contrôlés et la remise en cause partielle de la souveraineté
nationale, qui vont à l'encontre de nos principes et de notre conception de
l'Europe.
Le cadre étatique nous semble le plus pertinent pour assurer la sécurité de
chaque pays et surtout le contrôle démocratique des mesures nécessaires à son
maintien.
Cela n'empêche pas, parallèlement, le développement d'une coopération
judiciaire et policière, mais avec un contrôle interparlementaire démocratique
réel.
Pour ces raisons, je confirme que le groupe communiste républicain et citoyen
s'abstiendra sur ces projets de loi.
M. le président.
La parole est à M. Hamel.
M. Emmanuel Hamel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai voté
contre les accords de Schengen lorsqu'ils ont été soumis à notre approbation,
voilà près de dix ans.
J'ai voté contre parce qu'un Etat qui se défait de la mission de protéger ses
frontières met en péril la nation qu'il a vocation de protéger, surtout lorsque
cette nation et cet Etat sont la France, ce pays si beau, si magnifique, qui
suscite de par le monde la volonté et la tentation d'y venir et de s'y
installer.
Pourquoi donc aujourd'hui voterais-je l'extension de ces accords ? Non pas que
j'ignore, comme l'a évoqué avec le talent qu'on lui connaît notre collègue
Jacques Habert, ce que l'Autriche nous a apporté, l'Autriche cette terre si
magnifique que je connais depuis plus d'un demi-siècle, avant même que vous ne
soyez né, monsieur le ministre. Oui ! je sais tout ce qu'elle a apporté à
l'Europe.
Et la Grèce ? La Grèce « ma mère où le miel est si doux, Argos et Ptéleon,
villes des hécatombes et Messa la divine, agréable aux colombes », je la
connais aussi la Grèce, et je respecte les Grecs comme j'ai de l'amitié et de
l'estime pour les Autrichiens.
Mais je ne veux pas voter pour l'extension d'accords dont d'éminents
collègues spécialistes de ce problème nous ont dit à quel point leur
application était funeste, leur bilan décevant, c'est écrit dans le rapport.
Pourquoi donc aujourd'hui irais-je contredire le vote que j'avais émis lors de
la demande d'approbation de ces accords de Schengen ? J'avais voté contre
alors, et je vote aujourd'hui contre cette extension.
J'estime dramatique de penser qu'un pays comme le nôtre s'enfonce dans
l'erreur tragique qu'il a commise de renoncer à sa vocation d'être un Etat qui
défend sa nation, coopère avec les autres mais défend ses frontières et les
protège, au lieu d'en faire des passoires pour le crime, pour toute
l'immigration clandestine. C'est inconcevable. Hélas, pauvre France !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames
et messieurs les sénateurs, j'interviens de nouveau, mais au terme d'un débat
de qualité qui témoigne du travail du Sénat et de l'attention qu'il porte aux
accords de Schengen. Notre débat d'aujourd'hui n'a en effet rien d'une
péripétie.
J'ai apprécié le rapport de M. About : il pose avec clarté les défis que ces
adhésions imposent de relever et souligne à quel point il est indispensable de
trouver un équilibre entre la liberté de circulation des personnes, qui est le
fondement des accords de Schengen, et la sécurité, sécurité des Etats, sécurité
des personnes. Là encore, M. le rapporteur relève avec précision les
difficultés auxquelles se heurte l'application des accords de Schengen pour
l'Autriche et - soyez certains que le Gouvernement en est conscient - plus
particulièrement encore pour la Grèce.
Je partage les conclusions de M. le rapporteur. Sa position, je le répète, est
équilibrée et sage. Elle tient compte des exigences du comité exécutif et aussi
des efforts des Etats qui souhaitent aujourd'hui adhérer à Schengen, souhait
dont témoignent les projets de loi qu'il vous est aujourd'hui proposé
d'adopter.
Je pourrais m'en tenir là, sans en « rêver la nuit », et sans avoir exploré,
comme M. Masson, la mine que contiennent les accords de Schengen ; je veux
toutefois répondre aux observations et aux questions que vous avez formulées
les uns et les autres, notamment à celles de M. Masson dont j'ai apprécié le
long mais très nourri exposé.
Je remercie M. Rouvière du soutien du groupe socialiste et M. Badré de son
attachement à l'Autriche.
Je regrette un peu le pessimisme de M. Habert, comme il a regretté mon
optimisme.
Je respecte la position du groupe communiste citoyen et républicain.
Je note celle de M. Hamel qui est cohérente avec un engagement de longue date,
lequel, à l'évidence, n'est pas le mien.
Je répondrai maintenant à vos interrogations.
Je commencerai par les moyens mis en oeuvre par l'Autriche, question posée,
notamment par M. Masson.
L'Autriche exerce un contrôle systématique des véhicules de tourisme et des
véhicules commerciaux, d'abord pour le franchissement à l'entrée de ses
frontières orientales avec la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie et
la Hongrie, je reviendrai sur ce point. Elle exerce aussi ce contrôle à la
sortie de son territoire aux postes frontières avec la Bavière.
En outre, les autorités autrichiennes ont entrepris une restructuration de
leurs moyens en personnels qui, par ailleurs, connaissent une augmentation
sensible.
L'Autriche entend remplir ses obligations par le biais d'une coopération
renforcée entre la gendarmerie, la police, les services des douanes et l'armée
fédérale elle-même.
Ainsi, à l'ensemble des contrôles aux frontières extérieures, 4 566 agents ont
été affectés par l'Autriche au 1er janvier 1997. Cet objectif a dû augmenter de
près d'un millier, pour atteindre 5 551 agents au 1er juillet 1997, dont 1 950
militaires ; à la frontière austro-hongroise, 2 000 hommes de l'armée
renforcent ces effectifs.
La présente période de transition est mise à profit à des fins de formation
des agents des différents ministères concernés.
Les équipements ne sont pas en reste, notamment en ce qui concerne les
frontières terrestres, afin d'assurer le contrôle des flux vers la voie
fluviale du Danube. Un dispositif est opérationnel depuis la fin du mois de mai
1997 dans les deux sens du fleuve au niveau de la ville de Vienne ; des
vedettes rapides devraient être acquises prochainement pour assurer
essentiellement la surveillance entre Vienne et la Slovaquie.
L'administration douanière a, pour sa part, renforcé aux points de passage
frontalier qui présentent le plus grand risque les effectifs de base par des
équipes d'intervention en matière de stupéfiants ayant reçu une formation dans
ce domaine et disposant de matériels performants.
En outre, des équipes mobiles de surveillance ont été créées.
Par ailleurs, des accords bilatéraux d'assistance administrative ont été
conclus par l'administration des douanes. Des salles de contrôle équipées
d'endoscopes et de rayons X ont été mises en place aux points de passages
frontaliers identifiés comme points d'entrée majeurs de stupéfiants.
Plusieurs d'entre vous ont qualifié cette adhésion d'« entrée à risques ». Il
est clair que l'Autriche a effectivement une vaste frontière à contrôler, mais
je crois qu'elle a développé des moyens tout à fait importants pour ce
faire.
S'agissant plus particulièrement de la frontière austro-hongroise, sur
laquelle M. Masson a attiré mon attention, je précise qu'aux travaux menés dans
le cadre de Schengen s'ajoutent ceux que nous menons dans le cadre de l'Union,
c'est-à-dire du troisième pilier, et dans la perspective de l'élargissement de
l'Union aux pays d'Europe centrale et orientale. C'est ainsi que, sur notre
initiative et en étroite coopération avec l'Autriche, ont déjà eu lieu des
séminaires d'information et de formation sur toutes les questions du troisième
pilier avec les pays d'Europe centrale et orientale, candidats à l'adhésion.
Ces travaux seront poursuivis ; ce sera l'un des objets de la stratégie de
préadhésion ; des crédits du programme PHARE seront mobilisés à cet effet.
S'agissant de la participation de la France aux négociations - point sur
lequel M. le rapporteur a déjà répondu - je m'étonne que M. Masson laisse
entendre qu'il y aurait eu une absence de la France.
La France a toujours participé de près aux travaux du comité exécutif. Le
sommet d'Innsbruck, provoqué de façon un peu inopinée, avouons-le, ne la
concernait pas directement et nous n'y étions pas invités. En revanche, il est
vrai que nous avons participé dès la première réunion, le 1er septembre 1997,
au groupe d'experts mis en place à Innsbruck ; nous continuons à y
participer.
Parallèlement, nous avons traité de manière bilatérale, par de nombreuses
rencontres au niveau ministériel, à la fois avec le ministre des affaires
européennes et le ministre de l'intérieur - j'y reviendrai - les questions
multilatérales.
Je confirme, mais vous le savez, bien sûr, monsieur le sénateur, les
signatures des conventions transfrontalières avec l'Italie, à Chambéry le 3
octobre, qui comportent deux accords : un accord de réadmission et une
convention de coopération transfrontalière.
Avec l'Allemagne, les arrangements administratifs existants ont été remplacés
par une convention en bonne et due forme qui répond, je l'espère, aux
préoccupations que vous avez exprimées. Cette convention a été signée par M.
Chevènement le 9 octobre 1997.
S'agissant de la Grèce, peut-on dire que c'est sur l'insistance de la France
qu'un compromis boîteux a été trouvé ? Je ne le crois pas et je voudrais
préciser la façon dont les choses se sont déroulées.
Nous avons, comme d'autres pays - pas avec la même tonalité que l'Allemagne,
il est vrai - clairement fait part à nos amis grecs de nos préoccupations quant
à leur capacité à assurer les contrôles aux frontières maritimes et
aéroportuaires. Ce n'est que pour éviter un blocage complet de l'ensemble des
décisions dont les répercussions auraient pu être fâcheuses sur d'autres
dossiers européens - je ne pense pas qu'à la Grèce, mais aussi à l'Italie ;
nous aurions ouvert à cette occasion une crise tout à fait malvenue - que nous
sommes intervenus pour rechercher un compromis dont la teneur est, à mon sens,
parfaitement conforme aux attentes qui ont été exprimées par vos collègues
parlementaires à l'Assemblée nationale ainsi que par des membres de votre
assemblée que nous avons pu rencontrer à l'occasion de la préparation de cette
séance.
Nous sommes en effet convaincus qu'en tenant la Grèce en dehors des accords de
Schengen nous n'obtiendrions aucune garantie d'aucune sorte que ce pays
poursuive les efforts engagés pour remplir les objectifs et les conditions
fixés par la convention.
Vaut-il mieux avoir un pays hors de l'accord et qui ne respecte aucune de ses
dispositions ou un pays adhérant à l'accord qui, petit à petit, s'adapte sous
le contrôle vigilant des Etats membres ?
A notre sens, la deuxième solution est préférable. Elle permettra à la Grèce,
si, bien entendu, votre assemblée accepte de ratifier cet accord, de mettre en
oeuvre l'ensemble de ses dispositions, excepté celles qui concernent la levée
des contrôles.
Comme l'a souligné M. Masson, la décision sur ce point ne sera prise que dans
un an. D'ici là, une commission d'experts se rendra sur le terrain et remettra
un rapport analysant la situation au comité exécutif, pour éclairer sa
décision. Je précise que, si celle-ci est reportée à la fin de l'année 1998,
cela ne signifie pas pour autant qu'à cette date le comité exécutif décidera
automatiquement de la levée immédiate des contrôles aux frontières : au vu du
rapport des experts, il établira un calendrier qui, lui aussi, peut être
progressif.
Je crois que nous avons ainsi les garanties nécessaires. Comme vous le voyez,
la France ne s'autorise, dans ce domaine essentiel de la sécurité, aucun
laxisme.
En ce qui concerne la répartition des compétences entre le ministre de
l'intérieur et le ministre des affaires étrangères, ou le ministre délégué aux
affaires européennes, j'ai noté le plaisir gourmand que M. Masson avait pris à
évoquer longuement et avec talent cette question. Comment s'en étonner lorsque
l'on connaît la mission que le précédent Premier ministre lui avait confiée et
visant à dresser le bilan de l'application de la convention du fait de
l'insatisfaction, très réelle, née au cours de la première phase d'application
?
Dans ce rapport, monsieur Masson, vous aviez été amené à faire des
propositions. Je sais tout l'intérêt que vous portez à ces questions. Mais,
s'agissant des rôles respectifs des ministères de l'intérieur et des affaires
étrangères - vous priant presque de m'excuser d'être devant vous aujourd'hui à
défendre ces projets de loi - je tiens à souligner que la fonction de
porte-parole de la délégation française, qui revient au ministre délégué chargé
des affaires européennes - en l'occurrence moi-même - ne l'a jamais conduit à
prendre en quoi que ce soit des positions personnelles.
Je pourrais aussi noter qu'en fait c'est pratiquement la moitié des Etats
Schengen qui font conduire leur délégation par leur ministre des affaires
européennes - je pense à l'Italie, à la Grèce, à l'Espagne, au Portugal, aux
Pays-Bas. Cela sera peut être modifié ultérieurement, mais cela signifie que,
dans la phase qui prévalait jusqu'à maintenant et qui continuera d'être en
vigueur jusqu'à l'application du traité d'Amsterdam, il y avait un ensemble de
questions de sécurité, mais aussi diplomatiques et juridiques, qui exigaient
peut-être une vue interministérielle.
A l'instar de la procédure suivie au sein de l'Union européenne, les réunions
du comité exécutif comme l'ensemble des groupes d'experts Schengen font l'objet
d'une préparation interministérielle sous l'égide du SGCI.
Je tiens à cette occasion, comme vous-mêmes, à saluer à cette tribune le
travail du préfet coordonnateur qui a été récompensé par un très beau poste
territorial. Nous veillerons bien entendu, avec le ministre de l 'intérieur, à
son remplacement prochain.
Chaque fois que des questions à caractère politique se sont posées, soyez
certains qu'elles n'ont pas échappé à la vigilance du Quai d'Orsay et qu'elles
ont été traitées au niveau adéquat, celui des ministres.
La question italienne, par exemple, nous en avons parlé avec les ministres des
affaires étrangères, mais aussi avec les ministres de l'intérieur.
Je peux, par ailleurs, vous assurer que l'expertise du ministère de
l'intérieur comme celle des ministères de la défense, de la justice ou celle
des autres ministères concernés ont toujours été largement prises en compte.
Je souligne au passage que d'autres pays, en dehors même du ministre des
affaires européennes, font conduire leur délégation par le ministre de la
justice, ce qui prouve que la réponse à cette question n'est pas d'une évidence
totale.
Pour ce qui me concerne, chaque fois que c'est nécesaire, j'évoque, avec le
ministre de l'intérieur, les questions à caractère européen qui relèvent
également de sa compétence.
S'agissant du trafic de stupéfiants, qui a été évoqué par M. le rapporteur
ainsi que par M. Masson, il est clair que cette question préoccupe fortement
l'ensemble des Etats Schengen.
Sur l'initiative de la France, une stratégie a été élaborée pour améliorer la
lutte contre le tourisme de la drogue entre les Etats Schengen.
Les recommandations pratiques et techniques applicables à tous les aspects de
la lutte contre tous les stupéfiants ont été adoptées en application de cette
stratégie. En particulier, la coopération entre les services concernés a été
intensifiée, ce qui a permis une augmentation des demandes de livraisons
surveillées, des commissions rogatoires et des extraditions.
S'agissant plus particulièrement des Pays-Bas, problème qui, là non plus, n'a
échappé à personne, un certain nombre d'avancées concrètes - ne les exagérons
pas, mais ne les minimisons pas non plus - ont été réalisées à titre bilatéral.
Je rappelle pour mémoire la signature d'un accord de coopération douanière
prévoyant l'échange de fonctionnaires ainsi que la décision, à notre demande,
des Pays-Bas d'installer un dispositif de contrôle des conteneurs dans le port
de Rotterdam. Cette coopération se poursuit.
Nous attendons toutefois d'autres résultats, des résultats plus importants.
C'est pourquoi, à ce jour, il n'a pas été envisagé de lever la clause de
sauvegarde.
J'évoquerai maintenant un dernier point - j'en ai noté d'autres, mais on se
doit toujours dans cet exercice d'être un peu sélectif - l'intégration de
l'accord de Schengen dans le traité d'Amsterdam.
Ce sujet pose des questions tellement complexes, qui ont été évoquées avec
virtuosité par M. Paul Masson, qu'il nous donnera sans doute l'occasion d'avoir
d'autres échanges, écrits et oraux. Je m'efforcerai cependant de dresser une
brève synthèse sur ce thème.
L'intégration de l'accord de Schengen dans le traité d'Amsterdam n'a jamais
figuré au rang des propositions françaises au titre de la Conférence
intergouvernementale, même si, je le sais, monsieur le sénateur, elle figurait
dans votre rapport de 1996.
La communautarisation d'une partie des dispositions du troisième pilier a fait
l'objet d'un arbitrage par le Premier ministre de l'époque, M. Alain Juppé, dès
la fin de l'année 1995, et cette idée a été reprise dans la première lettre
franco-allemande rédigée par le Président de la République et le Chancelier
Kohl en vue de la Conférence intergouvernementale.
M. Masson a plus particulièrement posé la question de la base juridique qui
sera retenue. Le protocole de Schengen annexé au traité d'Amsterdam prévoit que
le Conseil déterminera à l'unanimité des membres concernés la base juridique
pour chacune des dispositions ou décisions constituant les acquis de
Schengen.
Concrètement, cela signifie que les dispositions de Schengen seront intégrées,
selon leur objet, soit dans le premier, soit dans le troisième pilier. Tant que
le Conseil n'aura pas déterminé la base juridique exacte, les dispositions ou
décisions constituant les acquis de Schengen seront considérées comme des actes
fondés sur le titre VI du traité.
Pour ce qui concerne le Conseil constitutionnel, ce dernier sera bien entendu
saisi par le Gouvernement du traité d'Amsterdam. Mesdames, messieurs les
sénateurs, je ne peux pas préjuger aujourd'hui les difficultés qui pourraient
survenir. Il s'agit d'un acte substantiel dans la procédure de ratification,
qui pourrait, le cas échéant, entraîner une révision constitutionnelle. Mais,
nous n'en sommes pas là !
Je souligne au passage qu'à l'occasion de l'application du traité d'Amsterdam
et de l'intégration des dispositions de Schengen dans ce traité, la question
qui vous tient tant à coeur, monsieur le sénateur, celle des compétences
croisées entre, d'une part, le ministère des affaires étrangères et le
ministère de l'intérieur et, d'autre part, le ministère de la justice, trouvera
enfin une solution dans le sens que vous souhaitez, même s'il restera sans
doute à définir les liens entre ces trois ministères.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, le
Sénat, si j'en crois les interventions qui se sont succédé, s'apprête à voter
ces textes. Je crois qu'il s'agit en effet d'une décision sage et
équilibrée.
Vous allez ainsi satisfaire une très vive attente dans les pays concernés qui,
monsieur Hamel, sont des pays de culture, des pays amis, des pays européens et
qui doivent à ce titre pouvoir continuer de participer au mouvement de la
construction européenne, principalement fondée sur la libre circulation des
personnes.
Soyez assurés, sur tous les bancs de cette assemblée, que l'application de ces
accords, grâce à votre vote d'aujourd'hui, ne signifie en rien que le
Gouvernement relâchera sa vigilance, bien au contraire.
M. Habert a souligné le problème de l'efficacité des contrôles. Selon certains
spécialistes du ministère de l'intérieur, et non des moindres - je pense au
directeur général de la police nationale - les nouveaux types de contrôles
mobiles réalisés par des patrouilles communes mis en place après les postes de
contrôle-filtre traditionnels sont beaucoup plus efficaces.
De manière générale, nous savons bien qu'une action coordonnée, une
coopération renforcée aboutissent à de meilleurs résultats que la simple
fermeture de toutes les portes et de toutes les fenêtres.
Nous allons, vous allez aujourd'hui permettre à l'Autriche et à la Grèce de
mettre en vigueur les accords de Schengen. Je crois que cette juste décision ne
nous dispense en aucun cas de l'effort indispensable pour assurer la sécurité
des Etats, la sécurité des personnes et celle des biens.
(Applaudissements
sur les travées socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?
...
La discussion générale commune est close.
ADHÉSION DE LA RÉPUBLIQUE HELLÉNIQUE
À LA CONVENTION D'APPLICATION
DE L'ACCORD DE SCHENGEN
M. le président.
Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi n° 427.
«
Article unique
. - Est autorisée l'approbation de l'accord d'adhésion
de la République hellénique, signé à Madrid le 6 novembre 1992, à la convention
d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements
des Etats de l'Union économique Benelux, de la République fédérale d'Allemagne
et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles
aux frontières communes, signée à Schengen le 19 juin 1990, à laquelle ont
adhéré la République italienne le 27 novembre 1990 et le Royaume d'Espagne et
la République portugaise le 25 juin 1991, et dont le texte est annexé à la
présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
M. Emmanuel Hamel.
Je vote contre.
M. Robert Pagès.
Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.
(Le projet de loi est adopté.)
ADHÉSION DE LA RÉPUBLIQUE D'AUTRICHE
À LA CONVENTION D'APPLICATION
DE L'ACCORD DE SCHENGEN
M. le président.
Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi n° 428.
«
Article unique. -
Est autorisée l'approbation de l'accord d'adhésion
de la République d'Autriche à la convention d'application de l'accord de
Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des Etats de l'Union
économique Benelux, de la République fédérale d'Allemagne et de la République
française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières
communes, signée à Schengen le 19 juin 1990, à laquelle ont adhéré la
République italienne, le Royaume d'Espagne et la République portugaise, et la
République hellénique par les accords signés respectivement le 27 novembre
1990, le 25 juin 1991 et le 6 novembre 1992, signé à Bruxelles le 28 avril
1995, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
M. Emmanuel Hamel.
Je vote contre.
M. Robert Pagès.
Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.
(Le projet de loi est adopté.)
8